femme dans - Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc

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Solidaire avec VO'US
•
sommalre
Avril
1986
Dossier de presse: 3/86
KAliMA
Directeur de la Publication
Noureddine A YOUCH
Directrice Déléguée
Rachida BENNIS
Responsables de la Rédaction
Adil HAJJI
Hinde TAARJI
Reportages
Touria HADRAOUI
Chefs de Rubrique
Marie~France ALAOUI
Fatlouma BEN ABOENBI
Fatém~lahra EL BOUAB
Khadija EL lEMMOURI
Collaborateurs
Chérita ALAOUI
Amina A YOUCH
Mohamed Fouad BENCHEKROUN
Abderrahim BERRADA
Nejib BOUDERBALA
Aicha CHENNA
Michel CONSTANTIN
Noureddine EL AOUFI
Rachida ENNAIFER
Souad FILAL
Fatéma GALLAIR~
Ghislain RIPAULT
Jocelyne LAABI
Abdelaziz MANSOURI
Fatéma MERNISSI
Driss MOUSSAOUI
Amina SAID
ISKRA
Directrice Artistique
Karima TAli CALLy
Directeur Artistique Adjoint
Hassan FETHEDDINE
Photographes
Hamid lEROUALI
Jalil BOUNHAR
Responsable de la Publicité
Khadija M'BIR KOU
IMPRESSION: SONIR
KALI MA: 18, Rue Ibn Yala - Casabianca
Tél. : 36.24,89
Dépôt Légal nO 36/1982
A VOIX HAUTE
~---------------­
3
Masculin - Féminin
FEMININ - PLURIEL - - - - - - - - - - - - - - 4
Hinde TAARJ 1
Un dimanche à la campagne
Michel CONSTANTIN
Et si la féminité allait disparaître
Adil HAJJI
Portraits de dragueurs
Elles bougent «J'étais une analphabète»
8
6
12
propos recueillis par Touria HADRAOUI
FEU
VERT
24
Vivre le couple
LE POINT
Esclaves d'hier: «Dadas», histoires de vies
49
dossier réalisé par Hinde TAARJI
BEAUTE - MODE
Azzedine Alaïa : un arabe au sommet de la mode
42
39
F.Z. EL BOUAB
Attention, le Ramadan est bientôt là
ESPACE - J U N I O R S - - - - - - - - - - - - - - Histoire d'un drôle de vœu
Lettre ouverte
MIEUX
32
Jocelyne LAABI
35
ETRE-----------------
L'acné
23
Dr Khadija EL ZEMMOURI
CULTURE - - - - - - - -
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Nouvelle: Lalla Keltoum
Les «citadelles» féminines
Poème: le cœur de l'amour
Assia Djebbar : Présences du passé,
Esquisses de l'horizon
Amina
58
60
Khadija ABDERRAHMANE
Abdellatif LAAB 1
Qassim HADDAD
36
sAlo
& Ghislain RIPAULT
64
Najib BER RADA
Touria HADRAOUI
15
Noureddine EL AOUFI
20
BOUTIQUE DU DROn
Le divorce
Témoignages
17
L'ECONOMIE EN QUESTIONS
Au secours! la T.V.A. est arrivée
A L'AFFICHE
Courrier des lecteurs
Panier à idées
Chaussez-vous de multicouleurs
71
48
46
MASCULIN
Kalima en est tout juste à ses
premiers balbutiements que déjà
certains aspirent à la cataloguer
et à l'enfermer dans une définition bien nette. On la tourne, on
la retourne, on la compare aux
revues existantes sur le marché,
la classant parmi celles-ci puis
parmi celles-là, bref, on lui cherche désespéremment des sœurs
ou des cousines pas trop éloignées. En vain. Alors, quelques
critiques, bien spécifiques,
fusent.
Kalima se pose en tant que
revue féminine et déclare vouloir
s'adresser aux hommes et aux
femmes. Première contradiction
nous dit-on. On ne s'adresse pas
aux hommes et aux femmes mais
aux hommes ou aux femmes.
Dans la vie, il faut savoir ce
qu'on veut et choisir son camp.
Deuxième hic: si Kalima est
une revue féminine, pourquoi
faut-il se casser la tête à lire
autant de pages ? Où est le rêve
et l'évasion? Question tapis
volant, c'est un peu loupé. Les
jolies madames n'abondent pas et
côté cuisine, il n'y a pas de quoi
nourrir son homme. Comment
cette revue peut-elle être considérée comme féminine si la féminité
n'y est pas exaltée comme il se
doit?
Nous y voilà! Hommesfemmes, à chacun son monde, à
chacun ses centres d'intérêt. Pas
- FEMININ
de confusion de rôle et vive la
séparation des sexes.
Ce raisonnement, Kalima ne le
trouve pas réellement à son goût.
Mais alors, franchement, pas du
tout. Pour Kalima, être femme ne
se résume pas à être belle, à faire
de beaux bébés et à mijoter de
bons petits plats. La vie offre à
celle-ci, au même titre qu'à
l'homme, de multiples moyens de
s'épanouir.
Pourquoi lui réduire ses chances en limitant son univers ? Son
esprit requiert autant d'attentions, sinon plus, que son corps.
Kalima parle donc de mode et de
beauté comme d'économie et de
culture. Le désir de plaire existe
chez la femme mais aussi chez
l'homme. L'augmentation des
prix s'impose à l'homme mais
aussi à la femme. Alors de grâce,
cessons de «féminiser» ou de
«masculiniser» des questions qui
nous concernent tous.
Femmes comme hommes,
nous visons tous un même objectif : être bien et être bien ensemble. Pour cela, un seul moyen:
le dialogue. Nous devons apprendre à nous parler pour apprendre
à mieux nous connaître. Or, ce
n'est pas en restant chacun dans
son monde, chacun dans «sa»
revue que nous y parviendrons !
KA LIMA
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Depuis l'aube des temps, la sueur féminine se mêle au soleil
et à l'eau pour que vive la terre. Cette réalité, quoique connue, est trop
souvent occultée.
Kalima a donc décidé d'aller à sa rencontre, redécouvrant ainsi
çette hospitalité du cœur dont les gens simples détiennent le secret.
Pendant une journée, près de Zhor qui vit un rythme d'antan,
nous avons vécu au rythme des champs.
Hinde
Zhor ignore les variations de
cadence. Entre ses doigts
noueux, les mamelles s'allègent et le lait coule paisible, au
fond du seau.
Cinq heures du matin. Une
aube nouvelle, un jour nouveau, mais les mêmes gestes
qui se répètent. Emerger du
sommeil en solitaire. Se diriger
dans la fraÎcheur matinale vers
l'enclos des bêtes. Lire le premier bonjour dans le regard
lourd des vaches. Malgré des
petits enfants en série et des
articulations qui gémissent,
Une fois celui-ci rempli,
retour parmi les hommes. Il
faut chauffer l'eau, préparer le
thé, disposer le pain, assurer
l'édition numéro un du petit
déjeuner. A tour de rôle, mari
et fils se dégagent des langueurs de la nuit, piquent un
verre au vol, avalent quelques
bouchées et s'en vont. Leur
journée démarre là-bas, sur un
vague chantier, dans une autre
poussière.
Après leu. départ, la maison.
née commence à s'agiter. Les
plus jeunes se réveillent. Un
nouveau petit déjeuner est
servi. Du haut de son statut de
mère et de belle-mère, Zhor
distribue le travail à chacun.
Comme partout ailleurs, il
faut ranger, laver, moucher et
torcher les gosses. Préparer le
repas aussi, bien sûr. Mais
sans aucune des facilités
ménagères qui déchargent les
citadines. Le pain ne demande
pas simplement à être fait. Il
faut encore le cuire dans le
four en terre qui trône j quelques pas du seuJ. De son
côté, le lait exige son quota
TAARJI
d'énergie. Avant sa mise en
bouteille, il passe par le filtrage
afin que nul élément indésirable n'entache sa pureté.
Secoué et battu, le pauvre
malheureux se transforme en
beurre, « Iben »OU fromage.
Riche en rendez-vous,
l'agenda de cuisine de Zhor ne
désemplit pas. Pourtant, c'est
encore dehors que réside le
plus gros de son travail, la responsabilité d'entretenir les
champs, de donner vie à la
terre revenant en priorité aux
femmes. « Mon mari est
maçon, raconte notre hôtesse.
Mon fils ainé loue ses services
à un patron. Eux ramènent
l'argent de l'extérieur; nous,
les femmes, nous le produisons sur place.
Les « frêles » épaules féminines sur lesquelles d'aucuns
se plaisent à palabrer supportent là un sacré poids. Le sexe
dit faible, face à de telles charges n'a nul droit à la faiblesse.
A la production de sueur, par
contre il est abonné permanent. Les tâches varient en
fonction des jours mais ne
connaissent ni ralentissement
ni réduction. « Quand le travail
de la maison est terminé, il faut
s'attaquer à celui de l'extérieur. Sortir les bêtes et les
amener paÎtre. Tirer l'eau,
creuser des rigoles et arroser
les cultures. Sare/er, semer ou
moissonner selon la saison. Et,
tous les jours, surveiller les
récoltes, cueillir ce qui doit être
cueilli, arracher ce qui doit être
arraché, planter ce qui doit
être planté ».
A midi, puis quand le soleil
tire sa révérence, Zhor abandonne bêles et plantes pour se
plonger dans un autre univers: celui du tissage. Pour lui
sa préférence est nette. « Le
travail de la laine est beaucoup
plus intéressant que le travail
à l'extérieur. On est à l'abri de
la chaleur, du froid, de la fatigue. On reste propre loin de la
poussière et de la boue »,
explique-t-elle en se lançant
dans la description des différentes étapes.
«Dieu ra ainsi vou/W)
Une fois l'an, les brebis passent à la tonte. Lavée avec de
Sur le visage brûlé par le quelques semaines. Ceux que
la « chaba », puis séchée, leur
laine est ensuite peignée avant soleil, le foisonnement des vous voyez aujourd'hui ont
d'être filée. De Sidi Maârouf, rides contraste avec la vivacité grandi sans piqûres, sans
une jeune fille vient alors aider du regard. Zhor pourtant, ne médicaments, sans rien du
Zhor pour dix dh la journée. doit pas avoir connu un nom- tout. Pas comme cette catasL'épaisseur à donner au fil de bre impressionnant de prin- trophe de génération, ajoutelaine varie en fonction de la temps. Une cinquantaine tout t-elle en désignant ses petitscommande (tapis, jellaba ou au plus. Mais les efforts con- fils. Pour un mal de tête, il faut
couverture). Avant d'entamer tinus exigés par une vie de dur le docteur, un mal à l'oreille, le
l'opération finale du tissage, labeur ont marqué ce corps qui docteur, un mal au ventre, le
les différentes teintures dési- commence à s'affaisser. « Le docteur... on n'en finit plus.
rées sont appliquées. Pour un travail des champs me devient Des enfants de la seringue,
tapis de quatre à cinq mètres de plus en plus pénible, des enfants du comprimé ...
de long, un mois de travail e~t reconnaÎt-elle. Je ne le sup- voilà ce qu'ils sont». Que
nécessaire. En l'envoyant en porte plus. Heureusement, les l'absence des soins médicaux
ville pour la vente, Zhor espère enfants sont là pour me don- lui ait coûté douze petits ne
en retirer deux mille à deux ner un coup de main».
change en rien son opinion.
mille cinq cents dirhams. « Ce
Des enfants, Zhor en a eu Bien au contraire. « Si les
sont des tapis pour mariées, vingt pour n'en voir survivre vingt avaient vécu, dites-moi,
s'enorgueillit-t-elle en dérou- que huit. « Certains, raconte- comment aurais-je fait, moi,
lant son dernier-né. Garantie t-elle, sont morts à la nais- pour vivre?» A défaut de
pure laine, sans triche ni sance. D'autres se sont éteints contraception, vive la sélection
dans mes bras au bout de naturelle, semble-t-il !
arnaque»·
A la campagne, les enfants
sont d'un précieux secours car
ils constituent la main d'œuvre
indispensable à la bonne marche du travail. Avec ses deux
filles et ses six garçons, Zhor
a largement gagné sa place au
paradis. Autour d'elle, seuls
les seconds sont présents, les
premières ayant trouvé chaussures à leurs pieds. Trois
d'entre eux (huit, dix et onze
ansl fréquentent encore
l'école. Les cadets chôment.
Quant à l'aîné, il a, pour le
bonheur de tous, femme et
emploi.
Epaulée par sa belle-fille et
les trois plus jeunes, Zhor envisage cependant de marier rapidement ses cadets afin d'avoir
d'autres femmes pour la
seconder. Au moment de
notre rencontre, elle fulminait
justement contre la promise de
l'un de ses fils qui désirait
s'installer en ville après son
mariage.
« Au prix où sont les loyers,
c'est de la folie. Ici au moins,
ils auront un toit gratuit et
quelqu'un pour garder les gosses », m'explique-t-elle en
omettant toutefois de souligner son interêt dans l'affaire.
Malgré la dureté de sa condition de paysanne , Zhor
n'envisagerait
pas
une
seconde de changer de place
avec une citadine : « Quand je
vais en ville, au bout de quelques heures, je ne supporte
plus de rester assise comme
une malade. Ici au moins
l'espace est à toi. Tu ne te
sens jamais enfermée ». Circuler à son aise obéit cependant
à des règles. Ainsi, chaque
mardi, un souk se tient dans
les alentours de la ferme. Mais
pour elle, il est« défandé ».
Ce sont donc les hommes qui
se chargent de la vente de ce
qu'elle cultive.
Respectueuse des normes,
soumise à son destin, Zhor
s'en prend plus facilement aux
«femmes aux mains brisées»
qui négligent leur travail,
qu'aux exigences de celui-ci.
« Rien n'est jamais fini pour
nous, reconnaît-elle. Il faut
passer en permanence d'une
activité à une autre, de la terre
à la laine, du lait au blé, du bois
à l'eau ... L'homme, lui, une
fois sa journée terminée, rentre, se lave, prie ... et s'assoit.
Mais Dieu l'a voulu ainsi».
Peu de gens peuyent se l'anter de n'ayoir jamais, au grand jamais, tenté (élégamment ou non)
de faire ralentir une passante pour lui glisser un compliment (sincère ou non), une parole gentille,
ou lui proposer un rendez-yous. Ou pour, parfois, tout simplement, meubler le temps.
Le spectacle (tantôt amusant, tantôt affligeant) d'un homme interrompant la droite trajectoire
d'une femme dans la rue est fréquent, c'est Je moins qu'on puisse dire. M1lis ce n'est pas l'apanage
de nos régions. Même si, côté séduction "sauyage", depuis que la rue est l'objet d'un partage, les
progrès du pays ont été fulgurants.
Ce qui ne l'eut d'ailleurs nullement dire que nos grands-pères s'interdisaient de rêyer d'une rencontre ou ignoraient la tentation de transformer un hasard merYeilleux (le passage d'une belle semant
des frissons sur son sillage) en destin ...
Invité chez nous, le Persan de Montesquieu, obseryateur impartial s'il en est (à condition, bien
entendu, de supposer que, ignorant tout de sa patrie d'aujourd'hui, il ne puisse se sentir tenu ni de
nous réciter une tirade inquisitrice ni de nous faire douter de nous mêmes...), notre Persan donc
se dirait que, ma foi, tout le monde tente sa chance et que, faute de lieux sereins de rencontre, la
rue reste, pour nombre de gens, le moyen idéal - ayec l'alcool - de tromper la solitude.
Indulgence ou pas, il n'en reste pas moins que les moyens mis en œuyre pour entrer en rapport
ayec une représentante du genre féminin ne sont pas toujours du goût des principales intéressées.
La trayersée de la rue, pour elles, peut se réyéler harassante. Un yéritable champ de mines.
Deyançant une étude plus sérieuse, ô combien, de la drague, qui reste à faire, nous ayons répertorié quelques attitudes, quelques "spécimens" archi-yus... mais toujours cocasses. C'est l'Tai, les
dragueurs se répètent et se copient. Que les originaux nous pardonnent ces instantanés réducteurs!
A.diIIl.U.l1
Discret au point d'en être invi~
sible, ce timide chuchote si fai~
blement quand il s'adresse à une
passante, qu'on pourrait facilement le prendre pour un
demeuré. /1 ne veut aucun mal à
celle qui attire son attention, mais
il prend tellement de précaution
que, de loin, on le croirait affairé
à apprivoiser quelque moineau.
C'est un rêveur pour qui la
femme est aussi lointaine que la
voie lactée. Mais sa réserve
étonne tant qu'on doit insister
pour qu'il répète sa phrase
d'abordage.
Son arme c'est la maladresse.
C'est un rare spécimen de séduc~
teur assisté. Toutes les demiheures, il croit avoir aperçu la
femme de sa vie. Mais, il est très
indécis. C'est le recordman des
manœuvres d'approche. Le type
même du chômeur heureux, car
ses tentatives multiples, ses
essais avortés, occupent largement ses journées.
6
Seul ou en compagnie d'un
ami, c'est au volant de sa voiture
qu'il repère « la chose ». Il roule
lentement, comme une camionnette de police faisant sa ronde;
Il prend son temps, il jauge de
loin, apprécie les prouesses de
chaque physionomie, de toute la
morgue de l'automobiliste. Persuadé que posséder une voiture
n'est pas rien, il prend cette commodité pour un atout Jécisif.
Vaguement lâche, il sait qu'il
peut s'éloigner en toute impunité
en cas de colère de la piétonne et
qu'une gifle par la fenêtre n'est
pas facile à ajuster.
Célibataires ou mariés, étudiants ou salariés, fauchés ou
opulents, ils sont légion à avoir
adopté ce moyen de « faire connaissance ». Opérationnel, discret et économique en salive.
Entre les heures de bureau, avant
de rentrer à la maison, de retour
de la plage ou à temps complet,
ces chasseurs sillonnent le désert
affectif de la ville.
Une bande de garçons aussi
délicats qu'un bulldozer apostrophent une jeune fille, l'assourdissent de sifflements extasiés et
flatteurs, font le grand cercle
autour d'elle, s'étonnent de ce
qu'elle ne leur accorde pas sur-le
champ un rendez-vous. Outrés,
ils émettent vulgairement des
doutes quant à sa vertu, l'insultent et la harcèlent de plus belle.
On pourrait appeler cela la séduction « de force ». Dans ce cas,
très répandu, ce n'est pas un individu qui drague mais une coalition de mâles, plus frustrés que
des marins sillonnant en temps de
•
guerre les océans. Ils se font peu
d'illusions sur l'efficacité de leur
démarche... et ils ont raison.
Mais l'essentiel, pour eux, c'est
l'exercice, la timidité vaincue par
les petits moyens, la solidarité
manichéenne du groupe.
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~
.
INTERDICTION
'DE CIRCULER
«Alors beauté, on cherche un
peu de compagnie ?
Le regard me déshabille, le
verbe m'agresse. Le visage en feu,
un peu désorientée, le pas moins
assuré, j'hésite entre deux attitudes : ne pas ré~gir, presser le pas
et fuir devant l'assaut, ou faire
front, crier ma révolte et mon
indignation. Mais déjà un autre
assaillant se met de la partie,
l'hésitation devient angoisse; je
ne suis plus qu'un objet que se
disputent des regards avides et
pleins de convoitise. La scène se
répète et le sentiment persiste.
La rue me semble soudain hostile, un espace réservé aux hommes. Parce que je suis femme, je
m'y expose à tous les outrages.
L'angoisse s'estompe, l'indignation la remplace et la révolte
s'installe. J'ai envie de crier que
la rue est mienne et que sont révolus les temps obscurs ou je n'avais
pas le droit d 'y circuler.
Je n'hésite plus. Pas question
de reculer, de m'entortiller dans
des attitudes de fuite qui sont
autant de nouveaux voiles dictés
par la société. Je relève la tête et
j'avance; La rue est mienne. Et
gare aux interdits.»
.
L'homme des autobus
Lui, il a élu domicile dans les
pittoresques bus de la R.A.T .C..
Les jours de cohue sont pour lui
jours de fête. Coincé entre quatre épaules, trois sacs en plastique
et quelque voyageuses, il jubile.
C'est un voleur de sensations...
C'est le moins bavard des dragueurs, car il opère en silence.
Question de stratégie. Nous ne
pouvons en dire plus.
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__
.
.-~""'.
''''l'~
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.--- ... ....
'~
::::::.
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-
_1--
....,--- ....
~...-';-"
La ventouse culottée
Lui, il ne se découragerait pas
même devant un escadron de
femmes fraîchement enrôlées.
Têtu et sûr de son droit, il ne
demande pas un rendez-vous, il
l'exige. Insistant comme un receveur des impôts ou un mendiant
pressé de finir sa journée, il ne
s'avoue jamais vaincu. Un
« non » pour lui ouvre sur un
marchandage infini. Il fait le
sourd et submerge sa victime de
mille arguments pour qu'elle
n'écoute pas la voix intérieure qui
lui souffle la méfiance et le devoir
de réserve. Il ne lui viendrait pas
à l'esprit que l'élue de passage
puisse ne pas le trouver irrésisti·
ble ou que, simplement, son cœur
soit occupé par un ~lUtre ..Quand
on le croit découragé, il refait surface dix minutes plus tard, à un
kilomètre du lieu initial, toursourire, saluant comme il saluerait
une vieille amie d'enfance.
Ce maniaque de la rencontre a
plus d'un tour dans son sac.
7
C'était somme toute une "soirée"
casablancaise assez typique. Abondance de vivres et profusion de boissons. Toilettes étourdissantes et
coiffures dans le vent. Bonne humeur
désarmante. Eclat des ors et des pierreries. Conversations légères n'évitant
ni les imprévus de la saison, ni la mollesse des affaires. Une réunion intemporelle, qui aurait pu se tenir il y a dix
ans et qui distillait, comme il y a dix ans,
le même ennui.
Les groupes se formaient et se dissolvaient, au gré des convenances, chacun
se croyant obligé de redire à chacun les
mêmes mots usés, les mêmes qu'il y a
dix ans, et les mêmes que l'année prochaine.
Je laissais le temps s'écouler, paresseux, jusqu'à ce que la voix d'une jeune
femme, apparemment militante passionnée de la modernité de la condition
féminine, ne vienne me tirer de ma
torpeur.
Militante, certes, mais au fil des phrases je prenais conscience de ce fait contradictoire qu'elle n'était pas prisonnière
de quelque théorie privée d'âme et de
vie, qu'elle n'était pas prise au piège
d'un système méthodiquement élaboré
par d'autres. Ce qui me plaisait en elle,
ce qui faisait son charme et la vigueur
de sa conversation, c'était la fraîcheur
de sa pensée qu'on sentait issue d'une
réflexion personnelle. Elle ne rabachait
pas quelque leçon bien apprise, et les
mots sonnaient clairs, même si elle hésitait et butait avant que sa pensée ne jaillisse, catégorique.
Je l'écoutais avec de plus en plus
d'attention, la remerciant intérieurement d'écourter mon temps de
punition.
"En Allemagne, en Belgique, aux
Etats-Unis, les femmes ont lutté et ont
atteint, ou sont sur le point d'atteindre,
un niveau social identique à celui des
hommes. Elles·sont parvenues à desserrer les liens qui les entravaient, puis à
les trancher. Et dans peu' de temps,
dans très peu de temps, elles pourront
se battre à armes égales avec les hommes. "
Je me rapprochais et questionnais :
"Pensez-vous que la "femme occidentale", telle que nous la voyons, telle
que nous l'imaginons à travers l'image
qu'elle se donne, puisse être un modèle
pour toutes les autres femmes 7"
« Je ne parle pas de modèle, Monsieur. Mais d'un type de voie à suivre,
parce que la conquête de l'égalité me
semble être la seule solution pour que
notre sexe retrouve la place qui lui est
due dans la société. »
BLAZER bleu et noir rayé, chemise blanche
col-cassé.
SANA-SHOP
Et elle ajouta que si j'avais mieux à
proposer, elle était tout à fait prête à
m'écouter, là, tout de suite, et à en
débattre. Sans fards et sans retard.
Elle appartenait bien à cette
jeunesse qui vit dans l'instant, à
cette génération de l'ordinateur,
habituée à résoudre les pires
équations dans la seconde qui
suit. A cette génération détestant
toute idée du mûrissement et ne
supportant pas de méditer longtemps sur une unique question.
Quant à moi, je regrettais tout aussitôt ma vivacité et cette habitude de vouloir toujours remettre les modèles en
question, parce que j'avais le sentiment
d'avoir brisé une belle harmonie entre
toutes ces femmes. Et puis non, je
n'avais pas mieux à proposer, et je gardais le silence.
Mais elle n'était pas femme à lacher
sa proie. Après tout, poursuivit-elle, elle
voulait bien débattre des mérites de
toute autre lutte féminine de par le
monde. Et elle souriait, ironique,
sachant bien que j'aurais quelque difficulté à trouver un combat plus avancé
que celui de la femme occidentale.
S'évader d'une prison pour
s'enfermer dans une autre
Poussé dans mes retranchements,
sous peine de passer pour le pire des
imbéciles, je dus bien convenir que je
n'avais pas de modèle de rechange.
Qu'i! n'yen avait pas encore dans les
super-marchés, à côté des déodorants.
Son regard, hormis son contenu
triomphal, évoqua pour moi ce qu'avait
dû être celui de Dieu le Père chassant
Adam et Eve du jardin d'Eden. Il me
rabaissait au rang de ces individus qui
parlent pour ne rien dire, qui provoquent pour le plaisir et esquivent le véritable combat. Il me fallait croiser le fer.
« J'ai le sentiment, dis-je, que loin de
conquérir une quelconque liberté, la
femme occidentale ne fait que s'évader
d'une prison pour entrer dans une autre,
et de son plein gré. Il y a cinquante ans,
trente ans, sa personnalité, son caractère, son être tout entier étaient encore
enfermés dans le carcan familial, dans
les limites grotesques de l'entretien du
mari et de l'élevage des enfants. Elle
était mutilée... Mais se libère-t-elle en
faisant son entrée dans le monde du travail, en se donnant un rôle social productif et en s'octroyant une parcelle du
pouvoir économique? Croit-elle gagner
la liberté en imitant l'homme point par
point? En devenant identique à lui? Je
l'admets, c'est un progrès par rapport
à ce qu'elle était, mais ... »
« Vous ne pouvez nier que la
liberté passe par le pouvoir économique ! Et c'est par ce biais
que les femmes, en Europe, ont
pris en main le destin collectif de
leur espèce. Et ici aussi nous nous
battons! »
Et d'un ample mouvement du bras,
elle engloba toutes les femmes présentes. Je suivis son geste des yeux et, malgré toute ma bonne volonté, malgré
mon désir d'adhérer à son enthousiasme, je ne vis que des copies d'occidentales. Des faux pour la plupart.
Parées, fardées, corps révélés et vêtements colÎteux. Eclats de voix juste un
peu trop sonores. Tout ceci n'ayant
d'autre fonction que d'attirer le regard.
Je pensais que pour beaucoup d'entre
elles le modèle était bien imité, au moins
quant aux apparences extérieures. Elles
ressemblaient assez à ces poupées de cire
du musée Grévin, parfaites, mais sans
vie.
Nous n'avons
pas le choix
« Non, j'en suis désolé, mais ces femmes là ne combattent pas. Leurs époux
appartiennent à une élite, se situent à un
niveau social élevé. Et tout le combat de
ces femmes, toute leur ambition, se
limite à donner l'apparence d'appartenir à cette position sociale, alors qu'elle
n'est pas forcément la leur, ni intellectuellement. ni culturellement. La parure
n'est ici q~'un trompe l'œil ».
« Mais que faites-vous de toutes ces
femmes qui ont suivi des études universitaires complexes, comme les hommes,
qui sont devenues médecins, avocates,
9
juges, comme les hommes ? Pensezvous sérieusement qu'elles aussi ne sont
que des faux semblants? »
J'apaisais son indignation en l'assurant qu'à l'évidence les femmes étaient
parfaitement capables d'assumer les
mêmes fonctions sociales que les hommes. Mais pourquoi leur libération
passerait-elle fatalement par l'imitation
de ces fonctions? Ne voyait-elle pas que
cela les mettait dans l'obligation d'assumer un double rôle, de renforcer leur
propre affiche publicitaire de femme, de
devenir de plus en plus "sexy", comme
on aurait dit dans les années 50 ? Si leur
libération passait par un renforcement,
par une sur-activation de leur fonction
sexuelle, parce qu'il leur fallait bien rester une partenaire possible pour
l'homme, si elles étaient dans l'obligation de consolider une aliénation pour
en briser une autre, c'était non seulement jouer avec le feu, mais gravement
hypothéquer l'avenir.
Nous argumentâmes quelques minutes, nous lançant au visage telle ou telle
revue, tel ou tel exemple, des titres
d'ouvrages, chacun cherchant à grossir
ses arguments et à leur donner l'aval de
telle ou telle personnalité. Le débat
s'alourdissait et perdait de sa fraîcheur.
Lorsque sa conclusion fusa, elle nous
tira d'un enlisement peu glorieux.
« Nous n'avons pas le choix!
Vous ne nous laissez pas le
choix! Nous savons que vous ne
reconnaîtrez pas de bon gré notre
autonomie, mais vous y serez
acculés lorsque nous aurons
acquis une stricte égalité dans les
fonctions sociales. »
Elle avait probablement raison. Mais
elle n'était préoccupée que de tactique,
alors que j'essayais d'étendre ma vision
à l'avenir. Elle était sur le terrain, cherchant les moyens de gagner une offensive, alors que moi je regardais la mêlée,
sur une orbite de Sirius.
Je ne me voulais pas concerné, mais
il me semblait que le combat féministe,
nécessaire en soi, se dirigeait vers un
accomplissement qui pourrait peut-être
engendrer, non seulement des regrets,
mais aussi enlever tant de charme à la
vie. Il m'était pénible de voir tant de
choses disparaître de ce siècle, de regarder, impuissant, la technique remplacer
l'art, l'efficacité chasser la poésie. Si la
féminité, elle aussi, allait disparaître...
« Vous avez sans doute raison, lui
dis-je. Les hommes ne sont pas encore
tous prêts à vous reconnaître comme
leurs égales. Et votre lutte est nécessaire.
Mais vous êtes-vous parfois demandé si
nous recherchions en vous notre semblable ? Et si c'était le cas, notre réflexe ne
serait-il pas alors de nous tourner vers
notre véritable frère, plutôt que vers
vous, plutôt que vers une imitation? »
J'avais mis une sorte de désespoir
dans cette interrogation, parce que
c'était ce que je ressentais à ce moment-
là et que je voulais qu'elle le ressente,
elle aussi. Mais j'étais loin de m'attendre à sa réponse.
« Eh bien, si l'on considère le récent
développement des tendances homosexuelles, je pense qu'on peut effectivement conclure que l'homme recherche
de plus en plus son semblable, non ? »
Plutôt contente de sa réplique, la
dame. Et son regard de rencontrer celui
de ses compagnes et de n'y trouver que
jubilation. Le cercle se refermait autour
de moi, on me regardait, on me pressait, on attendait.
Il y avait là une sorte de défi que je
ne pouvais pas ne pas relever, sous peine
d'apparaître comme un inconsistant
contradicteur que la moindre question
épineuse mettait en déroute.
« Vous avez bien dit «récent» développement ?»
«Uh ... l'homosexualité est vieille
comme le monde, même dans le règne
animal. .. »
« Sans doute, mais vous avez raison
d'en parler comme d'une tendance en
expansion. Et vous ne nierez pas que cet
essor soit principalement localisé dans
les nations industrielles, dans ces pays
où justement les femmes ... »
« Rien ne prouve qu'il y ait un lien
de causalité. Rien ne vous permet
d'affirmer! »
« Comme rien ne prouve que le rapprochement des deux phénomènes n'ait
pas quelque signification. »
« Cessez de vouloir nous faire porter
le chapeau! C'est un fait de civilisation,
un point c'est tout. »
« De la même façon que les mouvements féministes ! »
« Vous essayez de nous faire croire
que... ? »
Egalité
identité
n' impliq ue
pas
Elle était indignée, à nouveau. Bien
que pas totalement invraisemblable, je
n'étais pas moi-même intimement convaincu par ma thèse. Je la préférais tout
de même à celle du "fait de civilisation"
qui n'est qu'une constatation et nullement une explication.
Et puis je m'amusais quelques instants à l'imaginer coiffée du chapeau de
l'homosexualité.
Non, ce que je voulais dire, c'est
qu'égalité n'implique pas identité. Je ne
suis pas un défenseur de la femmeobjet, de cette femme que les hommes
ont trop souvent inscrit dans leur inventaire de biens mobiliers. Je ne suis pas
non plus partisan de la femme-objet de
10
consommation, comme tant de revues
se plaisent à la présenter ... Mais je ne
pense pas non plus que l'homme puisse
avoir le désir intense de découvrir son
reflet quand il regarde sa compagne...
Parce qu'il n'est pas certain qu'il s'aime
beaucoup lui-même.
Vous avez un droit à l'égalité,
mais vous avez aussi un devoir à
la différence. Quoi que vous fassiez, quoi que vous écriviez dans
vos manifestes, sachez éviter
l'erreur dans laquelle nous nous
traînons depuis des siècles, celle
de croire que votre partenaire est
sans désirs, sous peine de devenir aussi "machistes" que lui.
Votre cornbat consiste plus à nous
transformer, à nous rendre conscients
de la légitimité de vos aspirations.
J'étais fermement convaincu que la
solution était là, dans le regard que nous
devrions porter les uns sur les autres, et
non pas dans quelque compétition
visant à se disputer les degrés les plus
élevés de l'échelle sociale. L'intervention
à tout prix, du social dans ce débat
m'apparaissait comme incongrue tant il
devrait être de peu d'importance dans
cette tentative de réalisation du bonheur
qu'est l'union d'une femme et d'un
homme.
Non, il s'agissait maintenant d'autre
chose. De la même façon que l'antiféminisme primaire n'était plus l'apanage que de quelques attardés mentaux,
le combat féministe devait se dégager de
son schéma primitif d'imitation
démonstrative pour rechercher des bases
de construction à long terme.
Ce n'est pas en essayant d'arracher le
pouvoir à celui qui le détient jalousement depuis des siècles qu'on peut espérer s'en faire un allié, mais en lui
opposant une autre forme d'emprise. Je
n'arrivais pas à voir comment pourrait
se concrétiser cette emprise, comment
pourrait s'instaurer ce mouvement de
balancier, mais j'était convaincu qu'un
jour, à force d'essais timides, de tatonnements et de tentatives avortées, il se
déclencherait d'un coup, aussi puissant
et inexorable que la mécanique stellaire.
Le temps n'était peut-être pas encore
venu, mais il fallait éviter que les nuages se profilant sur l'horizon ne soient
porteurs que d'une pluie acide.
Je pensais que nos positions étaient
trop fortes pour être enlevées de front
et que sans nul doute nous serions plus
vite réduits par un grignotage de tous les
instants que par une offensive générale
culminant dans une concurrence à
outrance pour le pouvoir.
« Le secret du dialogue est en
nous, Madame. Mais nous ne le
savons pas. Montrez-nous,
apprenez-nous comment nous
devrions être... Car nous sommes
des élèves sans professeurs. »
Humeur passagère d'une femme
«libérée»
«Féministe 1 Vous avez dit féministe 1» «féminine plutôt 1»
Non, 1 hélas ! trois fois hélas! Vous n'avez pas assez appuyé sur la dernière syllabe.
«iste» a une sonorité dure, brutale. <<nine» au contraire à la liquidité légère de la femme !
Vous me condamnez, savez-vous 1
Pourquoi ce vocable méchant «féministe» 1 Ai-je l'air de la fée Carabosse, harcelée à courir ici et là, le teint blafard à force d'être recluse dans les recherches et les livres 1
C'est vrai, je vous le concède, j'ai une vie remplie, «bien» remplie.
Je suis instruite, je sais lire, écrire, j'ai mes bouts de papiers, mes diplômes: me
voici donc chargée de l'éducation des enfants, nommée derechèf responsable de leur
scolarité.
J'ai mon permis de conduire. A moi les accompagnements au lycée, à l'école, à
moi les courses diverses.
Je suis autonome, libre, j'ai un compte en banque: à moi la gestion r.~~nagère.
Me voici promue expert-comptable de la famille: factures d'eau, d'électricité, impôts,
vaccinations, papiers administratifs. L'infatiguable fourmi signe, range, classe. C'est
vrai qu'on me considère comme une femme d'esprit, (valorisant 1), de tête (dévalorisant). Alors fini les gâteries, la prise en charge, l'aide de ce cher seigneur et maître, du
patriarche.
Responsable tu veux être? Responsable tu es. On m'a prise au mot.
Ah 1 que les femmes sont bêtement bavardes. Encore une occasion perdue de se
taire! «Responsabilisée». Autonome! Quel attrape-nigaudes ! Quelle nouvelle astuce
masculine, mysogine 1 Mère, femme, épouse, cuisinière, aide, soignante, raccomodeuse
répétitrice, levée tôt et couchée tard, c'est plutôt Cendrillon!
- «Affranchie» 1 Corvéable à merci, oui.
- «Libératiom> 1 Esclavage, oui. Et on pourrait s'amuser longtemps à continuer
ce petit dictionnaire à l'usage de ...
A force de clamer que les femmes sont capables, l'homme (<<am» a cédé. Alors
«on» les fait «bosser» au four, à la cuisine, au bureau, partout.
Et «on» est-il malheureux de s'être laissé dépouillé 1
Croyez-vous ! Pas du tout !
«On», épuisé par dix siècles de patriarcat, éreinté d'avoir été si longtemps le pilier,
le pivot, le soutien de la famille, laisse «généreusement» et «sarcastiquement» la place.
Enfin il peut se reposer. Chut! Vous allez le réveiller car le malheureux.... dort !
M.F. Jamal ALAOUI
11
J'étais une
analphabète
Propos recueillis par Touria HADRAOUI
J e su;s très rOODnn.;ss.nte à Feu SM
_ _Que peut ressentir une enfant de 12 ans
--9uand on la retire de l'école au bout de quatre
mois pour l'enfermer dans une maison avec un
mari? Que peut-elle ressentir quand on lui fait
entrevoir des horizons illimités pour lui interdire
aussitôt d'en rêver?
K. H. nous le révèle parce qu'elle fut cette fillette. Par sa volonté seule, elle s'est arrachée de
l'ignorance et a forcé les portes du savoir.
Analphabète hier encore, elle épluche
aujourd'hui les œuvres de Kacim Amin et discourt
sur Nawal Sâadaoui.
12
Mohammed V d'avoir incité les gens à
instruire leurs filles. Pour un événement,
ca c'était un événement. Beaucoup de
familles ont suivi ce conseil, dont la
mienne. J'avais 12 ans. On m'a envoyée
à l'école. Mais seulement pendant quatre mois, au-delà desquels on m'a
mariée et enfermée à la maison. Je me
demande d'ailleurs aujourd'hui si ce
passage à l'école n'avait pas simplement pour but de permettre à mon
fiancé de m'observer de loin.
Tous les enfants du Derb El Fokara
où nous habitions allaient en classe.
Quand je les voyais passer chaque matin
leurs cartables sous le bras, je suppliais
à chaudes larmes. Je suppliais la femme
de mon oncle (chez qui je vivais) de me
laisser retourner à l'école, juste le temps
d'apprendre l'alphabet. Elle me répondait: « qui pourra dans ces conditions
ouvrir quand on frappera à la porte?
(comme il lui était interdit de se montrer, c'était à moi que revenait ce rôle).
Aussi, pour calmer mon envie, je prenais les livres de classe de mon cousin
et je dessinais les lettres sans même les
comprendre.
Le jour de mes noces ne fut pas une
fête pour moi, mais des funérailles. Je
quittais notre maison pour celle de mon
mari, la mort dans l'âme, tel un condamné qu'on mène au peloton d'exécution.
Deux lettres. trois lettres.
quatre lettres...
et le mot naissait sous
mes yeux exaltés
D
ans la maison de mes beauxparents, il y avait un garçon de mon
âge, le fils de mon beau-frère. Nous
avions sympatisé et quand il ramenait
des livres d'enfant, il me les lisait. Mais
comme il adorait me taquiner, il commencait l'histoire puis au moment le
plus' captivant, s'arrêtait, fermait
Bien qu'il affirme n'établir aucune différence entre les garçons et les filles, il
paye une école privée à notre fils et
envoie notre fille à l'école publique. Déjà
petite, j'étais allergique à la ségrégation
sexuelle. Quand je me disputais avec
des garçons, je faisais tout pour qu'on
ne dise pas que les garçons sont plus
forts que les filles.
l'ouvrage et me disait qu'il voulait étudier ses lecons. Moi, je m'énervais, je
tempêtais et surtout, je souffrais. J'ai
alors décidé que je ne lui laisserais plus
la possibilité de me jouer ce sale tour.
Pour cela, il me fallait apprendre à lire
toute seule.
Ayant retrouvé parmi mes anciennes
fournitures scolaires un livre intitulé
« ",,-.JI
» je me suis appliquée
à déchiffrer les lettres de l'alphabet, à
les comparer les unes aux autres puis
à les faire suivre pour voir ce que ça
donnait. Deux lettres, trois lettres, quatre lettres et le mot naissait sous mes
yeux. C'était exaltant. Mon mari, en ce
temps-là, achetait régulièrement une
revue qui consacrait une de ses rubriques à l'alphabétisation. Grâce à elle, je
suis parvenue au bout d'un moment à
lire les petits contes pour enfants.
J'ai ainsi fait de gros progrès en lecture, en expression orale mais en écriture, dès qu'il s'agissait de former une
lettre, c'était le blocage total.
Pendant de longues années, je n'ai
plus tenté de surmonter cet handicap.
Mais quand mon fils aîné est entré à son
tour à l'école, j'ai repris goût à l'étude.
J'apprenais ses leçons, je faisais ses
devoirs. Cela m'a permis en 1970 de
gagner un concours de Javel la Croix en
envoyant un petit essai.
Mes connaissances cependant restaient extrêmement limitées. J'avais
besoin, pour les développer, d'une aide
extérieure. J'ai voulu une première fois
m'inscrire chez les sœurs. Mon mari s'y
est opposé sous prétexte que c'était
trop loin et que personne ne pouvait
m'accompagner. Aussi, le jour où un
club d'alphabétisation a été créé dans
la maison des jeunes de mon quartier,
je n'ai pas hésité une seconde. Bien sûr
cela m'a valu une année de disputes
continuelles avec mon mari, mais je n'ai
pas cédé à ses pressions.
Au contraire, j'ai résolu le problème
en inscrivant ma belle-sœur, illettrée elle
aussi. Il a été rassuré. A partir du
moment où je suis en compagnie de sa
sœur, il est tranquille pour son honneur.
Au début)elle se rendait au club en
cachette parce que sa famille se
moquait d'elle et lui disait:« c'est
maintenant que le vieux singe veut
apprendre à lire et à écrire» (parce
qu'elle a 37 ans). Maintenant elle n'a
plus de complexes et se défend parfaitement bien contre les sarcasmes. Nous
Je veux lire pour rejeter
l'ignorance au loin
-"':::_--31~
nous sommes ainsi rendu
mutuellement.
-,
service
Tous les moyens lui sont
bons pour m'empêcher
de lire
N
ous évoluons, mon mari et moi dans
deux univers diamétralement différents.
Il ne sait rien de moi, ne voit jamais ce
que j'écris et ne comprend pas ce qui
m'intéresse. Je vis dans mon monde de
lecture en compagnie de Nawal Saâdaoui et de Kacim Amin, lui est plongé
dans ses causeries religieuses.
A la maison, je dois attendre minuit
pour réviser mes cours parce que tous
les moyens lui sont bons pour m'empêcher de lire. De plus, je n'ai pas
intérêt à prendre sous ses
yeux un ouvrage où on parle
de la femme parce qu'il est
devenu allergique à ce mot.1I
lui arrive de se mettre en
colère et de nous dire à ma
belle-sœur et à moi, « tout ce
que vous apprenez va finir par
vous faire sortir du droit chemin ». Quand nous nous disputons, il m'accuse de vouloir
appliquer ce que j'apprends
dans les livres. Or moi, je sais pertinement qu'on ne peut pas appliquer
ce qu'il y a dans les livres. Il faudrait
pour cela que la société se transforme
et que l'esprit des gens se modifie.
J'essaye de discuter avec lui de l'éducation à donner à nos enfants, de lui
faire comprendre comment je la vois.
J e voya;, mo" o"cie happe, ma taote
et je me disais: « moi, jamais je ne tolèrerai un pareil comportement ». Mais
quand je me suis mariée à mon tour, j'ai
dû aussi supporter énormément de choses. Je me suis murée pendant des
années dans le silence, la tête baissée.
Le jour où j'ai osé dire « non» tout
le monde a ouvert de grands yeux. On
me disait « tu es folle, c'est maintenant
que tu espères changer ton mari» Les
radotages allaient bon train sur mon
compte. Mais cela m'était égal. Je
n'écoutais personne. Lorsque j'ai décidé
d'ôter le voile, ce fut le drame. Mon
mari n'a plus voulu m'adresser la parole
pendant trois ans. J'ai tenu bon.
Ma famille, elle aussi, se moque de
moi. Elle me demande où je veux en
arriver, où mes forces peuvent bien me
mener.
Moi je veux lire pour rejeter
l'ignorance au loin. Je veux
pouvoir m'intégrer à la société
parce que la société d'hier
n'est plus celle d'aujourd'hui.
Je ne veux plus vivre sur une
rive et mes enfants sur une
autre rive. Maintenant grâce à mes
lectures, je suis toujours avec eux. Mon
mari, lui reste seul dans son coin.
Quand il arrive et nous trouve en train
d'étudier, nous le laissons pour aller
dans une autre pièce. Ça l'a touché et
aujourd'hui, il commence à se montrer
un peu' moins sévère.
J'étais comme un oiseau en cage.
Grâce au club d'alphabétisation, les portes de ma prison se sont entrouvertes.
13
OLlÎ "
ou rEl" i11ti5-16.. ?
:::==----
LE DIVORCE
Najib BER RADA
Le divorce, (<<attatlik»), est le troisième mode de dissolution du lien du
mariage prévu par la Moudawwana.
Il se distingue fondamentalement de
la répudiation, et plus spécifiquement
du «khol'», par le fait qu'il concerne
avant tout une décision judiciaire qui
intervient à la demande de la femme
mariée. Dans le cas du «khol'», le mari
reste maître du jeu pour accorder le
divorce avec compensation à la femme
qui le demande.
En ce qui concerne «attatlik», l'initiative est juridiquement reconnue à
l'épouse et la décision relève de la compétence du juge civil. La femme dispose
donc du droit, non pas de prononcer le
divorce, mais de le solliciter, ce qui
constitue, compte tenu d'une législation
qui lui est fondamentalement défavorable, un acquis non négligeable.
Conçue pour s'appliquer à une
société régie par la toute puissance de
l'homme, la Moudawwana fait ainsi une
concession à la femme en lui reconnaissant une prérogative (qui demande à
être mieux exploitée) pour mettre fin à
une vie commune imposée, ou tout simplement devenue impossible.
Et comme pour atténuer les effets
d'un droit, pourtant fort restreint, le
Législateur, par excès de prudence, le
soumet à certaines conditions de fond
et de forme. Le code de statut personnel fut à ce point attentif à la question,
qu'il a prévu de façon précise et limitative les raisons à invoquer par la femme
mariée pour obtenir le divorce.
Le défaut d'entretien (art. 53)
Le juge prononce le divorce lorsque
l'époux refuse de s'acquitter de son
devoir d'entretenir son épouse. Le
divorce pour cette cause n'est pas automatique, car tout dépend de l'état de
fortune de l'époux et de sa bonne ou
mauvaise volonté. Il sera prononcé dans
trois cas précis :
(1) lorsque l'époux, qui prouve son
indigence, ne peut pas, après un
délai que lui accorde le juge, assurer l'entretien de son épouse.
(2) lorsque l'époux, qui ne fait pas la
preuve de son indigence, ne s'exécute pas au jugement préalable qui
le condamne à assurer l'entretien de
son épouse ou à la répudier.
(3) enfin lorsque l'époux, qui garde le
silence sur son état de fortune, persiste devant le juge à refuser
d'entretenir sa femme. Le divorce,
dans ce cas, est prononcé séance
tenante, sans doute plus pour
l'affront fait au juge, qu'en raison
d'une quelconque considération
pour la requête de la femme.
Quant au mari qui possède des biens
apparents, le juge se contentera de le
condamner à assurer l'entretien de son
épouse, sans donner suite à la requête
de cette dernière.
Le divorce par défaut d'entretien est
révocable et l'époux a le droit de reprendre sa femme pendant l'<<idda>> s'il justifie de moyens d'existence et démontre
sa bonne volonté d'assurer son obligation alimentaire vis à vis de sa femme.
Cette possibilité se transforme, hél?s
souvent, en un jeu bien malin qui consiste à entretenir et s'abstenir. Ses
adeptes ne sont, malheureusement, pas
rares.
Du divorce pour vice
rédhibitoire (art. 54)
Le divorce pour vice rédhibitoire peut
être invoqué par la femme à certaines
conditions. La décision judiciaire à intervenir tient compte de la nature du mal,
de sa gravité et de sa découverte par
l'épouse qui le dénonce.
Ainsi est fondée à demander au juge
le divorce (irrévocable dans ce cas), la
femme qui découvre chez son conjoint
un vice inguérissable affectant ses organes génitaux, ou un vice rédhibitoire
enraciné et incurable, préjudiciable en
cas de cohabitation, ou dont la guérison nécessite plus d'une année de
soins. La démence, la lèpre, l'éléphantiasis et la tuberculose sont les cas précisément cités par la Moudawwana ;
mais rien n'interdit à la femme d'invoquer d'autres maladies graves.
Le juge saisi de la demande est habilité à faire appel aux spécialistes aux fins
d'obtenir tout éclaircissement utile sur
le vice allégué.
A l'inverse, la femme ne peut invoquer le vice affectant son époux pour
demander le divorce, si elle en avait
connaissance en contractant le
mariage, ou si, la maladie étant postérieure au mariage, elle a accepté celleci de manière expresse ou tacite.
Du divorce pour sévices
(art. 56)
Mais du vice aux sévices il n'y a qu'un
pas que certains hommes franchissent
sans scrupules. Leur vice à eux n'est,
malheureusement, pas toujours apparent. Aussi est-il plus difficile à établir.
Mais la loi est ainsi faite que la femme,
qui se plaint de quelque sévice que ce
soit, est obligée d'en apporter la preuve.
Il ne suffit pas que le sévice invoqué soit
établi, encore faut-il démontrer qu'il
rend la vie conjugale impossible. Le juge
saisi finit par prononcer le divorce des
époux, mais seulement après une tentative de conciliation restée infructueuse.
La femme déboutée une première fois
et qui persiste à demander le divorce
15
sans que le préjudice soit établi, devra
subir l'épreuve d'une tentative de réconciliation sous l'égide de deux arbitres
délégués par le juge à cette fin.
Et si les arbitres échouent dans leur
mission, ils dressent un rapport à la
lumière duquel le juge tranche le litige.
Du divorce pour absence
du mari (art. 57)
En ce qui concerne la désertion du
domicile conjugal par le mari, il faut souligner qu'elle ne constitue pas une raison suffisante pour une dissolution
automatique du lien du mariage. Le
code, en cette matière également, a
multiplié les conditions surtout si le mari
absent se trouve dans un lieu connu.
Ainsi, l'épouse abandonnée a la
faculté de solliciter le divorce, si son
époux reste absent pendant plus d'une
année (les oiseaux migrateurs ne sont
pas concernés), et si cette absence lui
occasionne un préjudice. Le juge saisi
est tenu d'adresser au mari absent une
mise en demeure lui fixant un délai. Il
prend en outre le soin de l'aviser que le
divorce sera prononcé s'il ne réintègre
pas le domicile conjugal, s'il ne fait pas
venir sa femme auprès de lui, ou s'il ne
la répudie pas.
La dissolution irrévocable du mariage
interviendra à l'expiration de ce délai à
condition que l'époux refuse d'obtempérer et ne fournisse pas des excuses
valables, et après que le juge se soit
assuré une dernière fois que l'épouse
délaissée persiste dans sa demande en
divorce.
Du divorce par suite du serment de continence ou de
délaissement (art. 58)
Il existe une dernière cause du divorce
(révocable dans ce cas) qui découle du
serment fait par le mari de délaisser sa
femme ou de ne plus accomplir ses
devoirs intimes. Le juge lui fixera un
délai de quatre mois avant de prendre
sa décision.
Telle sont les causes, expressément
prévues par la loi, sur lesquelles doit être
fondée toute action en divorce qui, pour
aboutir, doit, en plus, maitriser une procédure judiciaire complexe et contraignante.
Et tant qu'à faire, le recours aux services d'un conseil juridique n'est pas
une précaution superflue. Il saura user
habilement et efficacement des multiples possiblités, pas toujours évidentes,
que recèle la loi.
16
Un code anachronique
Ceci pour l'immédiat, mais pendant
combien de temps encore faudra-t-il se
contenter de tirer le meilleur parti possible d'un code devenu anachronique et
dont la promulgation en 1958 s'inscrivait dans le contexte particulier d'une
société fondamentalement conservatrice, plus par réaction vis à vis de la culture occidentale que par tempérament.
Cette époque est maintenant bien révolue, faisant place à une nouvelle génération de femmes plus conscientes de
l'importance de leur rôle socioéconomique et plus exigeantes, en ce
qui concerne leurs droits. Les lois inadéquates qui continuent à s'appliquer à
elles ont fait leur temps. Elles sont condamnées au changement au nom du
Droit qui transcende les lois, conjoncturelles par nature car régulatrices de
tensions sociales et familiales.
La réforme de la Moudawwana est
donc souhaitable, le réajustement des
rapports hommes-femmes et la survie
de la cellule familiale est à ce prix.
Les réformateurs de tous bords multiplient les propositions, mais les com-
battants d'arrière-garde ne restent pas
inactifs, on s'en doute (ils ne sont pas
toujours du bord que l'on croit}. Il n'est
pas sans intérêt de rappeler que les juristes, sous l'égide du ministère de la Justice, préparent un projet visant à
adapter le droit à la réalité socioéconomique.
Mais comment faire évoluer le droit
quand les mentalités restent figées sous
le poids des préjugés ?
Comment se risquer à modifier les
textes quand le moindre changement
est ressenti par beaucoup comme une
menace contre les fondements de l'édifice social ? Comment enfin faire écho
(et traduire dans les textes) aux nombreuses revendications, lorsque toute
action législative doit nécessairement
s'inscrire dans un cadre juridique inspiré
par la religion musulmane et le rite
malikite?
N'en déplaise à ceux qui rament à
contre-courant, le changement, ici
comme en d'autres matières, s'impose.
Il est inscrit dans le cours de l'histoire,
même si la marge de manœuvre
demeure étroite.
(Témoignages)
Divorce
Entretien avec Fatiha X,
avocate:
«La femme ne s'aventure que très
rarement à demander le divorce parce
qu'elle sait qu'elle aura des difficultés
énormes à l'obtenir.
Un exemple: la demande de divorce
pour sévices du mari. Il yale certificat
médical, mais il faut trouver les témoins
et les convaincre de témoigner. Or, ce
n'est pas facile ...
En tant qu'avocate, je peux affirmer
que la plupart des dossiers qui me sont
soumis s'appuient sur l'absence du
mari. Ecoutez la radio, on ne parle que
de ça. Dans ce cas non plus, on
n'obtient pas aisément gain de cause.
J'ai récemment eu à me charger de
la défense d'une femme qui demandait
le divorce pour raison d'absence du mari
au foyer pendant quatre ans. L'affaire
a traîné deux longues années au tribunal et quand le jour du jugement est
arrivé, le mari a refait surface par miracle. Tout tombait à l'eau. Puisqu'il
s'était présenté, la raison invoquée était
devenue caduque.
En règle générale, ce sont les femmes
«intellectuelles» (sic) qui demandent le
divorce.»
Entretien avec Mustapha
X, jeune avocat:
«Pourquoi les femmes ne demandent
pas le divorce? Je pense qu'il faut
analyser ça d'un point de vue socioéconomique et écarter l'aspect
juridique.
Les femmes rechignent ou hésitent à
demander le divorce (le plus souvent,
elles n'ont à craindre que d'être répudiées) parce qu'elles sont sans travail.
Issues de familles pauvres, elles ne souhaitent jamais retourner à la pauvreté.
D'autre part, c'est la réputation des
familles qui est en jeu: quand une
femme divorce, on a tendance à "imaginer de mœurs légères et instable.
Tout le monde la suspecte de mener
une vie dissolue. Elle sera pratiquement
assimilée à une prostituée. C'est pour
cette raison aussi que les femmes ne
demandent pas le divorce. J'ai eu une
cliente, une femme de 24 ans, qui a été
battue et jetée du 3e étage par son mari.
Mon devoir d'avocat était de lui demander ce qu'elle souhaitait que je fasse.
Savez-vous ce qu'elle m'a répondu?
«Je veux rester avec lui, il est le seul à
pouvoir prendre soin de mes enfants.»
Et elle a ajouté: «Personne de ma
famille ne veut de moi. Je ne peux pas
travailler, je dois me résigner, supporter mon mari à cause des enfants.»
Dans la majorité des cas (quand c'est
la femme qui veut divorcer), la femme
ne se présente pas au tribunal. Elle
s'arrange avec son mari, et ils se rendent ensemble chez les Adoul pour
divorcer.»
Une femme divorcée.
«J'ai pris la décision de demander le
divorce quand j'ai appris qu'il s'était
remarié. Un grand choc. La femme,
selon moi, peut supporter beaucoup, Y
compris que son mari la batte, mais pas
qu'il se marie avec une autre. C'était
légitime que je veuille me séparer de
mon mari. Je n'ai pas hésité. Je me
demandais à quoi cela rimait de rester
ensemble dans ces conditions, maintenant qu'il m'avait trahie. En échange
des facilités qu'il ferait pour que
j'obtienne le divorce, je devais lui céder
les meubles de la maison, lui abandonner mes enfants, et lui laisser le titre de
propriété de notre logement. Je n'ai pas
«marché». Finalement, j'ai déposé ma
demande de divorce au tribunal. Trois
ans de va et vient.
On était très unis mais c'était une
apparence parce qu'il a exigé que je lui
laisse le réfrigérateur, la télé, la voiture
et que je ne demande pas la nafaqa. J'ai
failli céder (tout de suite) puis je me suis
ravisée: «Non, je ne lui donnerai rien.
Je resterai comme ca», en suspens, ni
mafiée, ni divorcée.:.». Au tribunal, j'ai
fait le serment que les meubles m'appar• -naient.
J'ai eu beaucoup de difficultés à
gagner notre subsistance pour mes
enfants et moi. J'étais obliqée de rester à la maison, de ne pas bouger, autrement il aurait pu utiliser mon absence
pour m'accabler devant le juge. Même
18
ma famille ne m'était pas favorable. Elle
disait: «Qu'elle patiente !» En fait, personne n'est solidaire d'une femme
divorcée. Au tribunal, ça aide d'avoir de
"argent et une grande famille derrière
soi. Mais la femme reste indéniablement
défavorisée. J'ai supporté les reports
continuels de l'audience. Cette procédure de divorce m'a plongée dans l'univers
des
tribunaux
et
des
commissariats, que je ne connaissais
pas. Elle a également nui à ma réputation ..
J'en arrive parfois à rêver de n'avoir
jamais eu connaissance de son mariage.
J'aurais continué à vivre avec lui si personne ne me l'avait appris ... il m'a
humiliée. Quand j'ai su l'atroce nouvelle, il a eu le front de me proposer un
marché: passer alternativement une
journée avec elle et une journée avec
moi. Ça, je n'ai pas supporté. Je lui ai
dit: «Va avec elle. Prends une troisième
femme si tu veux et, quand tu seras fatigué, reviens. Laisse-moi seulement la
nafaqa (pension) des enfants.»
Il n'a pas accepté.
Le divorce est une dure épreuve pour
la femme. Les gens parlent, dénigrent.
Ils disent d'elle: «Hajjala». Elle perd
toute valeur aux yeux de la société. Les
gens ne se demandent même pas pourquoi elle en est venue à vouloir se sépa-
rer de son mari. Ils ne savent
qu'accuser. Ils se satisfont de leurs préjugés. Ils ignorent ce qu'elle endure.
L'image d'une femme divorcée est très
négative.»
Une femme demandant le
divorce (rencontrée au
tribunal}
Elle venait démarcher pour faire avancer le dossier de «nafaqa» (entretien des
enfants)
Elle me raconte qu'elle a divorcé, il y
a huit ans, alors qu'elle avait 32 ans. "
lui a fallu cinq ans de rudes batailles
pour obtenir le divorce.
«Je n'ai jamais pensé au divorce pendant douze ans de mariage. Je m'étais
toujours résignée en me disant «mon
mari va changer». Je craignais aussi de
vivre mal, vis-à-vis de la société, mon
statut de divorcée. Je me suis finalement dit: «Tu es jeune et forte. Tu peux
travailler, faire n'importe quoi, pourvu
que ça soit un travail honnête, ne
demandes rien à ta famille» ... et je me
suis décidée à m'affranchir de mon
monstre de mari.»
'fol/ria Hadraol/i
~I!
ïqll
bilnqul! populilirl!
L'ECONOMIE EN QUESTIONS
Au secours!
La T. V.A.
est arrivée
par Noureddine El Aoufi
20
Elle: La T.V.A. a tenu ses lui: Non bien sûr. Entre le
promesses. Depuis début Avril droit et le fait la fâcherie ne
peut durer aussi longtemps.
elle est entrée en vigueur.
Notre système fiscal a dû subir
lui: En effet. C'est parti.
Elle: Ça te surprendra peut- m13intes modifications, rectifiêtre, mais j'avoue que je ne cations et adaptations. Mais ça
connais pas grand chose sur la reste ponctuel, instillé au coup
par coup.
question.
Luiça ne me surprend pas. Au Elle: J'imagine un véritable
contraire. Il y a eu très peu patchwork. Bref, la réforme
d'information. Quelques dîners fiscale est toujours à l'ordre du
débats privés et smart entre jour.
hauts responsables de l'impôt, Lui: Du point de vue du gougros industriels, gros commer- vernement et de la majorité qui
çants et compagnie. Quelques l'appuie au parlement, la
T.V.A. est le premier mouvearticles par ci, par là.
Elle: J'ai pu suivre à la ment d'une mise en ordre
télévision - qui ne bougeait pas générale. La suite c'est l'I.G.R.
encore - les débats parlemen- (impôt général sur le revenu) et
taires. Les joutes oratoires l'impôt sur les sociétés. Pour
m'ont beaucoup amusée. Mais la gauche...
Elle: Pour la gaucheJ la
je n'ai pas appris ma T.V.A.
Lui: En Espagne ils ont réforme fiscale n'est pas
informé les gens de manière réductible à une simple modutrès ample sur leur T.V.A. pen- lation technique et doit être
dant tout le mois de Novem- coextensive à un projet de
bre 1985. Ils ont utilisé à fond réformes tous azimuts. Je
tous les médias.
passe du coq à l'âne: quels
Elle: On dit que tout le monde sont les principes qui fondent
y prend goût aujourd'hui. la T.V.A. ? Mais, pour l'amour
C'est le nouveau truc des éco- de Dieu, trève de jargon. Au
nomistes~cette T.V.A ?
fait,dis_moi pourquoi l'écono- tion et de la commercialisaLui: On compte 28 pays dans miste parle une langue si tion. Cela veut dire encore que
"e monde qui appliquent la étrangère au public?
la taxe n'est pas cumulative T.V.A. Mais ce n'est pas un Lui: L'économiste emploie pas de taxe sur la taxe - mais
des codes, des concepts ou, si donne droit, en aval, à
truc nouveau.
L'Europe l'a adoptée dans les tu préfères, des mots techni- déduction.
années 60. La Tunisie l'a aban- ques qui sont, en réalité, de Elle: Un producteur, par
donnée 8 mois après son intro- simples outils commodes pour exemple, peut refiler la taxe au
duction. Au Maroc, il semble travailler, c'est-à-dire pour commerçant qui peut, à son
que le projet existe depuis une réfléchir, analyser. Mais, bien tour, la refiler au consommadizaine d'années. En tous les entendu, on peut être simple. teur. C'est, tout compte fait,
cas, la T.V.A. c'est la T.P.S Le risque ...
le consommateur final qui
(Taxe sur les produits et servi- Elle: Oui oui je sais ce que tu paie, c'est-à-dire toi, moi ...
ces), à laquelle elle se substi- risques. Paraître simpliste aux Lui: Ton exemple est très
tue, revue et corrigée. Même yeux de tes pairs. Heurter les simplifié, mais c'est exactele taux normal de 19 % ...
spécialistes et autres puristes. ment ça. La T.V.A. est un
Elle: Ils disent encore que la Lui: Non, le problème, en impôt indirect c'est-à-dire un
T.V.A. est mieux adaptée au fait, c'est qu'entre simplicité et impôt sur la dépense ou sur la
tempo des affaires. Cohérente, clarté d'un côté, trivialité et consommation.
objective, efficace, moderne et platitude de l'autre il n'y a Elle: J'aimerai qu'on précise
branchée. Simple aussi. qu'un pas que je me garde ce point.
Qu'elle ne manquera pas de bien de franchir.
Lui: D'accord mais auparadonner du tonus à l'économie· Elle: Oui bien sûr. Fermons la 'vant il faut noter deux éléparenthèse et revenons à nos ments nouveaux : le premier
etc ...
Lui : Le système fiscal maro- impôts.
est que la T.V.A. s'applique
cain est, dans l'ensemble, Lui: La T.V.A. se fonde sur aussi au commerce de gros.
archaïque et inadéquat. Il ne un principe simple qui, du Elle: La T.P.S. ne frappait
faut pas oublier qu'il est hérité reste, caractérisait partielle- pas le commerce de gros?
du protectorat. La T.P.S., par ment la T.P.S. : la déduction Lui: Non. Et cette situation
exemple, fut instituée en 1961. ou la récupérabilité. Cela veut était à l'origine, entre autres,
La taxe sur la consommation dire que sur un produit ou un de perturbations à l'intérieur
intérieure date de ... 1913. Le service, liés bien entendu à du système des déductions.
système a, par conséquent, l'exploitation, la taxe n'est per- Elle: Les grossistes doivent
besoin d'un lifting général.
çue pour le compte de l'Etat abominer la T.V.A.
Elle: Tu veux dire que depuis qu'autant qu'une valeur nou- Lu i : Ils trouvent ça en effet
25 ans c'est le même système velle est ajoutée - d'où son méchant. Mais ne t'en fais pas
d'imposition qui est appliqué? nom - au cours de la produc- pour eux.
Elle : La répercussion?
Lui : La répercussion est une
infinité de subterfuges.
Elle: Mais avec le commerce
de gros il ya plus de monde
pour payer la T.V.A. l'Etat doit
être content. Non ?
Lui: C'est une simple apparence. Il y a de nouveaux redevables c'est vrai:
les
grossistes principalement. Mais
d'un autre côté il ya ceux - ils
sont légion - qui payaient la
T.P.S. et qui ne sont plus soumis à la T. V.A.
Elle: Tu peux préciser un peu
plus. Donner des chiffres.
Lui : On estime que le nombre
des redevables
écartés
dépasse largement celui des
nouveaux assujettis. Au Ministère des Finances on établit
que la T.V.A. fait perdre quelques 60 % de la population
des redevables. Le ministre
des Finances estime que la
perte serait de l'ordre de 600 à
700 millions de DH. C'est
énorme.
Elle: Est-ce qu'il y a beaucoup d'exonération?
Lui: Il y a deux catégories de
produits et services exonérés.
La première comprend, en
gros, les produits de première
nécessité comme le pain, le
lait, le sucre etc. Si tu veux
21
jeter un coup d'œil sur le texte
de la T.V.A. la liste est donnée
à l'article 7.
La deuxième catégorie concerne les produits et services
exonérés avec bénéfice du
droit à déduction: les produits
livrées à l'exportation à titre
d'exemple. La liste des exonérations est limitative. Tout le
reste est soumis.
Elle: Quels sont les taux?
Lui: C'est le deuxième élément nouveau que je voulais
noter. Il n'y a, au total, que
cinq taux. Un taux normal fixé
à 19 %. Il frappe la majorité
des produits et services. Un
taux majoré, de 30 % qui
s'applique aux produits de
luxe. Trois taux réduits.
D'abord à 7 %.
Elle: Je vois, sur la liste,
l'eau, l'électricité, le gaz, les
huiles, les produits pharmaceutiques, les aliments composés pour enfants, les
magasines. les allumettes. le
thé. le café, etc. Je ne comprends pas que les produits ne
soient pas exonérés.
Lui: Et puis il y a 12 % ....
Elle : Pour les hôtels, les restaurants, les banques (avec
droit à déduction) et pour les
assurances, le téléphone, le
télex, les professions libérales
(sans droit à déduction).
Lui: Et enfin 14 % applicables
aux affaires d'entreprises de
travaux immobiliers.
Et
comme tu vois, aucune distinction n'est faite entre constructions
de
luxe
et
constructions économiques.
Elle: Que penses-tu de ces
taux?
Lui : Je pense que le taux normal fixé à 19 % est trop fort.
En France, pays développé s'il
en fut, la T.V.A. est de
18.6 %.
Elle: Mais encore?
Lui : Il existe en théorie fiscale
une loi qui s'appelle « loi des
rendements décroissants ». En
Juillet 1983, c'est-à-dire en
pleine
crise
financière,
souviens-toi, on a dû rectifier
la loi de finances et le taux (de
la T.P.S.) est passé de 17 %
à 19 %. Entre parenthèses, il
était de 15 % avant 1982) et il
n'a jamais dépassé 8 % dans
les années 60. On murmure
qu'on aurait voulu, en 1983,
combler un déficit d'environ 50
milliards de centimes. Le résul-
22
tat obtenu est renversant : les
recettes fiscales ont diminué
d·environ .... 50 milliards de
centimes. Tu connais l'adage:
« les hauts taux tuent les
totaux ».
Elle: Je connais une autre
formule colorée: « trop
d'impôt, pas d'impôt ». Mais
du moment qu'il y a déduction, récupérabilité. Cela fait
combien de sous pour l'Etat, la
T.V.A. ?
Lui: Les impôts indirects
représentent 70 % des recettes fiscales. Pour ce qui est dt'
la déduction, la T.V.A. est
payée d'abord, récupérée
ensuite. Ce qui, d'ailleurs,
engendre un maquis de facturation, d'opérations comptables, de déclarations qui
supposent une grande maîtrise
de l'exploitation électronique
et informatique.
Elle: Si j'ai bien compris. il
faut s'attendre à des bavures,
à des bêtises. Est-ce qu'on
peut répercuter ce qu' on
veut?
Lui: On touche là un problème central. Tu l'as soulevé
il y a un instant.
Elle: Comment s'opère la
répercussion ?
Lui: Je vais essayer de préciser certains points. Mais à tired'ailes seulement, parce que la
relation entre l'impôt et les prix
est extrêmement complexe.
Pour l'entreprise, la T.V.A. fait
partie de ce qu'on appelle le
prix de revient d'achat. La
répercussion définitive sur le
consommateur est, dans ce
cas. obtenue de manière
comptable. Ce qui requiert
beaucoup de transparence.
Rien de moins.
Elle: Tu veux insinuer qu'il va
y avoir dissimulation, fraude,
carambouillage etc. Le la Janvier 1986 le directeur général
des impôts a déclaré: la
T.V.A. n'est nullement inflationniste, bien au contraire elle
est déflationniste.
Lui: Il est, à mon avis, difficile de déterminer la part
exacte de l'incidence provoquée par l'impôt direct et indirect. Si on connait bien les
comportements (objectifs et
subjectifs), les psychologies,
les élasticités d'offre et de
demande, la mobilité des facteurs de production, le régime
des marchés (concurrentiel ou
monopolistique), les possibilités de crédit etc... cela fait
trop de choses. On peut. à ce
moment, apercevoir des tendances. A la limite il est possible d'obtenir des ordres de
grandeur approximatifs.
Elle: Inflationniste ou déflationniste la T.V.A. ?
Lui: Inflationniste. A coup
sûr.
Elle: Un peu, beaucoup, passionnément ?
Lui: Ecoute. Le Ministre des
Finances a dit 2 %. Il est plus
acceptable de dire que la
hausse des prix induite par la
T. V. A. variera entre 1 et 19 %.
Plutôt proche de 19 %. En
Espagne il y a eu, d'entrée de
jeu, une hausse générale de
l'ordre de 6 %.
Elle : Est-ce que la hausse des
prix peut être supérieure à
19 % ?
lui: Naturellement. Je donne
un exemple schématique.
Commerce de gros/ alimentation. Le commerçant achète
100. T.V.A. : 19. Il vend 103,
sa marge bénéficiaire étant de
3 %. Il récupère sa T.V.A. :
19 % de 103 c'est-à-dire
19,57. Dans cet exemple la dif-·
férence est de 0,57. Les prix de
certains produits et services
peuvent grimper de manière
démente. Il y a ce qu'on
appelle les prix spéculatifs. Et
puis l'impôt peut constituer un
prétexte pour accroître les
prix. C'est courant.
Elle: Ça va être dur pour les
petites bourses.
Lui : Pour les classes moyennes aussi ça va être dur. La
T.V.A. écrase, inexorablement, le pouvoir d'achat dOes
salariés, et d'un.
Elle: Parce que les salaires
sont trop bas? Parce que les
salariés
ne
peuvent
répercuter?
Lui: Les consommations
populaires vont tomber plus
bas, et de deux.
Elle : Elles sont déjà rudement
réduites.
Lui: La croissance de la consommation moyenne par tête
n'a pas dépassé 1 %, en termes réels, depuis 1971. Et last
but not least, le marché intérieur qui est très limité - il tiendrait dans un mouchoir - ne
peut, à la clé, que s'en trouver
considérablement rétréci,
rogné.
Elle: Un vrai poison d'avril
cette T. V.A .• mine de rien?
,
L'ACNE
Khadija EL ZEMMOURI
L'acné est avant tout une complication de la séborrhée ou peaux grasses.
Elle peut également être dûe à un déséquilibre hormonal (excès d'hormones
mâles ou androgènes par rapport aux
hormones femelles ou oestrogènes!.
Ces boutons disgracieux qui empoisonnent l'adolescence, et persistent parfois
bien au-delà, sont la conséquence d'une
rétention sébacée au niveau des points
de sortie des poils qu'on appelle «folli·
cules pileux».
L'acné Juvénile
C'est surtout à la période pubertaire
que l'acné se manifeste. De là vient le
terme «acné juvénile» ( ..,..,L,..';JI....,...:>" ) :
sur une peau grasse vont apparaître des
points noirs (comédons) qui vont boucher les canaux folliculaires formant
ainsi de petits kystes ou des abcès, parfois de grande taille, s'infectant très
facilement. Ces boutons affectent surtout les zones séborréïques (grasses),
en particulier le front, le sillon nasal, le
menton et parfois la partie supérieure du
dos et des épaules.
L'acné pubertaire évolue généralement par poussées presque toujours en
rapport avec des excès de matières
grasses ou de sucreries. Il y a par ailleurs une influence hormonale indiscutable surtout chez la femme - où les
poussées sont souvent prémenstruelles
(ce sont les fameux boutons qui précèdent les règles). Vers l'âge de 25 ans,
les troubles s'atténuent en général mais
laissent souvent, en l'absence de traitement, des cicatrices indélébiles.
Vers 40 - 50 ans,
peut apparaître un autre type d'éruption proche de l'acné qu'accentuent les
émotions, les changemens de température, les repas trop riches: la face
devient rouge, surtout au niveau des
joues, et les accès de rougeur peuvent
donner un aspect de «couperose» (peau
fine sur laquelle on observe de fins vaisseaux éclatés).
Attention aux cosmétiques
et à certaines pommades
Certaines crèmes de «beauté», mal
Mais d'où viennent ces
méchants petits boutons qui
empoisonnent la vie des adolescents ? Une petite explication et quelques conseils ....
adaptées au type de peau et peu contrôlées peuvent être responsables d'une
acné d'autant plus difficile à guérir
qu'on continue à les appliquer soigneusement pour supprimer les taches et les
boutons. Signalons aussi que les pommades à base de corticoïdes et les injections intramusculaires de vitamine 812
donnent également de l'acné (surtout
au niveau du tronc) et rappelons que les
pommades sont des médicaments qui
ne doivent être utilisés que sur prescription médicale, et dont l'utilisation fantaisiste peut être dangereuse.
Conseils
Les pommades sont
des médicaments et peuvent contenir des produits dangereux : ne les
utilisez pas sans prescription médicale.
--0--
Ne dites surtout pas
«cela disparaîtra avec
l'âge» ! Il faut traiter
vite l'acné pour éviter
les cicatrices et les surinfections qui peuvent
parfois être sévères !
-- g--
L'acné s'accompagnant
très fréquemment de che,,:,
veux gras, utilisez de préférence
un
shampoing
anti-séborrhéïque en vente
en pharmacie.
-'t)--
En raison du facteur hormonaI, qui joue un rôle prépondérant
dans
le
déclenchement de l'acné,
certains dermato.ogues prescrivent, chez la jeune fille,
outre le traitement local, la
pilule con~raceptive.
-
Que faire? Surtout ne pas
tripoter
Il n'est plus question de proclamer
que cela disparaîtra avec l'âge ou le
mariage! Car si les formes légères
d'acné disparaissent toutes seules, les
formes très étendues peuvent être
source de complications. L'acné en elle
même ne laisse pas de cicatrices;
celles-ci sont dûes uniquement à la
manipulation des lésions (boutons) par
le malade lui même.
Il faut donc toujours traiter en
sachant que le traitement est long et les
mesures hygiéno-diététiques très importantes.
La lutte contre la séborrhée est à la
base du traitement. On utilise surtout
des lotions dégraissantes à base d'alcool
camphré le plus souvent, ou de souffre.
Mais actuellement le traitement local
repose surtout sur des préparations dermatologiques à base de dérives de la
vitamine A, et de péroxyde de benzoyle.
Ces lotions sont préparées par la
pharmacien sur ordonnance médicale.
L'usage régulier d'un lait démaquillant
et d'une lotion adaptée à votre type de
peau permet un bon nettoyage des
comédons. Par contre, mieux vaut éviter l'usage des savons parfumés sur le
visage. L'exposition au soleil améliore
l'acné mais ne convient pas à tous les
types de peaux. La lutte contre la surinfection fait appel à certains antibiotiques
dépourvus d'effets secondaires importants et sera décidée par le dermatologue ou le médecin traitant en fonction
des cas.
Il est conseillé de corriger certaines
habitudes alimentaires : dites non au
beurre, au chocolat, aux sucreries, aux
fritures et aux tajines trop gras. La constipation doit toujours être évitée. Par
contre, le dérèglement hormonal ne doit
être traité qu'en cas de nécessité absolue. Ne prenez jamais de médicaments
à base d'hormones (corticoïdes, astrogènes, progestérone) sans avis médical,
23
VIVRE
LE COUPLE
«La différence entre un caprice et une passion éternelle c'est que le premier dure un peu plus
longtemps)) disait, en une boutade célèbre et flegmatique, Oscar Wilde. Pour un sujet «grave)), le
sourire s'imposait.
En effet, choisir l'être avec qui on va traverser une vie entière n'est pas une mince affaire. C'est
avec lui ou elle que l'on a décidé de tout vivre, les joies et les souffrances, la fleur de l'âge et la
vieillesse. Nul n'est infaillible, mais si une marge d' «erreUf)) est tolérée on n'a pas intérêt à trop se
tromper. Personne n'est en mesure de prévoir avec exactitude ce que seront les inconvénients et les
sacrifices de la cohabitation à vie avec son lot d'habitudes capables parfois de transformer un couple
idyllique en un duo de chiffonniers.
Prendre le petit déjeuner à deux, à l'aurore de son mariage? Délicieux! Au bout de quelques
années, ce plaisir des grands commencements peut devenir, sinon un calvaire, du moins de la très
mauvaise poésie. Et le navire se met à tanguer dangereusement...
Comment vit-on le couple? Nous avons demandé à quelques personnes mariées de nous confier
leurs déceptions, leurs joies, leurs attentes, de nous raconter les difficultés inhérentes au mariage,
que chacun, chacune, surmonte à sa manière.
Il serait prétentieux de vouloir cerner par le biais de ces quelques témoignages la complexité
de la relation qui s'établit au sein d'un couple. L'unique ambition de cette rubrique est, en recueillant ici et là des paroles de femmes et d'hommes. de susciter des interrogations et d'ouvrir le débat.
A vous de l'enrichir, ami (e) s lectrices et lecteurs.
Ce besoin vital de «l'autre»
O n avait un jour posé la question ,ulvante à Freud: «qu'est ce que la vie ?»
Il avait répondu «c'est aimer et travail-
len>. Je crois que c'est un beau raccourci.
«Aimer» signifie, bÎen sûr, aimer et
être aimé (e). Dans aimer, il yale besoin
vital de «l'autre».
Sans «l'autre» on n'existe pas. Mais
pas n'importe quel «autre». Un «autre»
privilégié, pour qui on a de l'estime et
pour lequel on éprouve un sentiment
très fort. Quelqu'un qui occupe une
place importante dans notre vie.
On forme un couple pour être deux
mais également pour faire des enfants.
On a besoin d'aimer et d'être aimé (e)
par quelqu'un mais il y a, tout aussi fon-
damentalement, le besoin de se reproduire et d'aller plus loin à travers ses
enfants.
L'équilibre individuel est entretenu
par l'échange mutuel, par l'affection
réciproque et aussi par ce sentiment de
sécurité qui se développe grâce à la présence de l'autre. Il faudrait que l'un
puisse être la base de départ de l'autre,
son refuge, son appui. Une certaine
assurance contre l'adversité, contre
l'angoisse de mort. Procréer permet de
contrer cette angoisse de mort qui
existe en tout être humaÎn car faire des
enfants, c'est une façon de ne pas
mourir.
25
J'aurai trop honte. Je préfère laisser ça
pour le jour du jugement dernier.
«II ne reste plus d'hommes
de nos jours»
«La porte est plus large
que tes épaules»
où mon mari m'a vue pour la première
fois. Une toute petite fille. Il me caressa
la tête et donna de l'argent à ma mère
en cadeau pour ma naissance. C'est ce
qu'elle me raconta par la suite. Au bout
de quelques années, cet homme est
revenu chez nous, à la campagne.
Quand il me vit, il demanda ma main à
mes parents. Voilà toute l'histoire de
mon mariage.
Mon mari était donc beaucoup plus
vieux que moi. Je l'ai toujours craint
comme j'aurais craint mon père. Je
n'osais pas lui dire non, ni le contredire.
Je faisais tout ce qu'il me demandait.
J'ai ainsi grandi sous sa férule.
Peu de temps après notre mariage, il
a commencé à s'absenter de la maison.
Il revenait tard dans la nuit, complètement soûl. Au début, je n'osais pas lui
demander où il allait ni d'où il venait. Ce
n'est qu'après la naissance de mon quatrième enfant que j'ai commencé à lui
reprocher son comportement. Il faut
croire qu'il n'attendait que ce prétexte
pour me tomber dessus, me frappant
dès lors avec ou sans raison. Tout son
26
argent, il allait le dépenser à l'extérieur
et rentrait à la maison les mains vides.
J'ai dû élever pour cette raison mes
enfants dans la faim et dans la misère.
Comme il était chef de brigade (et très
fier de son statut), il nous menaçait ses
filles et moi, de nous jeter en prison si
nous ne lui obéissions pas au doigt et
à l'œil.
J'étais une bonne pour lui et pour ses
enfants et je le suis encore. Il ne m'a
jamais appelée par mon nom. Pour lui,
je suis «celle-là .=.l..L..A ». Il me disait
quand je réagissais «la porte est plus
large que tes épaules». Je le savais bien
que la «porte était plus large que mes
épaules» mais où pouvais-je aller? Si
j'étais seule en cause, le problème ne se
serait pas posé.
Le travail que je fournis à l'intérieur,
je peux le faire à l'extérieur. Si c'est pour
être traitée comme une bonne, autant
que ce soit pour de l'argent. Mais avec
huit enfants, je n'avais guère le choix.
Aujourd'hui mes enfants ont grandi,
ils travaillent. Je n'ai plus besoin de son
argent, ni de sa présence à la maison.
Or, c'est maintenant qu'il veut y rester.
Il devient gentil parce qu'il n'a plus de
force. S'il n'en tenait qu'à moi, je
l'aurais expulsé mais mes enfants s'y
opposent.
Ceci dit, je lui interdis d'entrer dans
ma chambre. C'en est fini de ces nuits
où il venait «me jeter son eau» avec
force, où je le subissais en pleurant Pot
qu'il me frappait à la fin. Je ne peux pas
te raconter tout ce que j'ai enduré.
me suis marié comme tous les
hommes de ma génération. Par le biais
de la famille. Ma mère a vu ma femme.
Celle-ci lui a plu. J'ai dit «8ismi Allah».
Tout ce que fait la famille est bon. Il ne
faut jamais aller à l'encontre de sa
volonté. Les jeunes d'aujourd'hui ont la
,tête dure. Ils n'écoutent plus leurs
parents. Résultat: ils ne récoltent que
des problèmes. Ils se marient un jour et
divorcent le lendemain. Nous, on se fiait
totalement à la famille. C'est pour ça
que notre mariage était plus stable, plus
durable.
Vous me demandez si ma femme m'a
plu quand je l'ai vue. Ecoutez, elle
n'était pas mal mais surtout elle remplissait très bien ses devoirs à la maison.
Elle n'a jamais cherché à nuire à ma
famille «)I.~ lAI ~ .ùll» et elle s'occupe
bien de ses enfants.
Je ne passe pas beaucoup de temps
à la maison. Je ne rentre que le soir. Je
regarde la télévision et je dors.
Comment ! Aider ma femme à faire
le ménage. Il ne manquerait plus que
"cela,! Vous voulez nous transformer en
femmes, vous, les filles d'aujourd'hui.
Une femme est une femme, un homme
est un homme. Dieu a déterminé à chacun sa fonction. Si je commence à faire
le ménage, que lui restera-t-il à faire, à
elle !!! Quelle drôle de question !!!
Discuter avec ma femme? Voùs
savez, avec une femme, c'est toujours
des querelles. Elles adorent ça. Elles
n'ouvrent la bouche que pour dire du
mal. Si vous ne leur donnez pas toutes
les précisions sur vos entrées et vos sorties, elles vous accablent de reproches.
Comme si le travail était un endroit pour
rencontrer d'autres femmes!
De quoi peut-on parler avec une
femme sinon des problèmes des
enfants. Celui-ci a frappé celui-là. L'un
a raté ses études. L'autre s'est fait
exclure de l'école. Il y a également les
problèmes des voisins, de la famille.
Bref, on ne parle que des mauvaises
nouvelles et des catastrophes.
Non, bien sûr, je ne regrette pas de
m'être marié. Jamais. Le mariage est un
devoir. On ne peut pas s'en passer.
Grâce à lui, on complète sa religion en
constituant une famille et en ayant des
enfants.
Je suis choqué par l'attitude des jeunes d'aujourd'hui. Ils ne bougent plus
sans leurs femmes. Celles-ci les manipulent comme elles veulent. A l'époque,
les femmes n'osaient pas regarder les
hommes dans les yeux. Aujourd'hui,
c'est elles qui commandent. Jadis, les
hommes ne prononçaient jamais le nelJl
de leur épouse. Maintenant, je connais
un gars qui appelle sa femme «Lalla
Zhor» devant tout le monde sans avoir
honte.
Moi, ma femme, jamais un homme
n'a vu son visage. Malgré son âge et
nos trente ans de mariage, elle ne sort
jamais sans me le dire. Elle ne me contrarie jamais.
Quand je vois ma belle-fille dire à son
mari devant moi «non, je ne veux pas
faire ceci ou cela», je me dis qu'il ne reste
plus d'hommes de nos jours !
J'y ai perdu mon
•
«mOi»
Ja; beaucoup changée depu;s mon
mariage. Bonne vivante, je plaisantais
en permanence, dansais, chantais à
tout bout de champ. Je me sentais libre.
Maintenant c'est différent. Je ne peux
plus rigoler comme avant parce que si
je me comporte comme je le souhaite,
tout le monde va dire «voilà une mère
de deux enfants qui agit comme une fillette. Je suis devenue malgré moi ce
que la société veut que je sois.
Je n'ai plus d'amies (alors que j'en
avais une collection) parce que ce fut
la première condition posée par mon
mari. Il ne me reste que les voisines. Ce
qui "énerve d'ailleurs. Mais que veut-il
que je fasse ? Je ne travaille pas et je
suis tout le temps à la maison. J'ai absolument besoin de quelqu'un à qui parIer, à qui me confier ...
Mon mari ne veut pas que je m'épanouisse... que je sois brillante. Il voudrait me cantonner dans le rôle de mère,
un point c'est tout. Mais moi ça ne me
satisfait pas. Je voudrais pouvoir
m'exprimer par autre chose que par les
enfants, donner un autre sens à ma vie.
Mon mari me respecte certes. Mais
qu'est-ce_que le respect pour une
femme de ma condition. C'est comme
le respect qu'il aurait pour une esclave
devenue indispensable. Je voudrais être
reconnue en tant qu'esprit et non pas
uniquement en tant que corps, en tant
que fragment de femme.
Mon mari me considère toujours
comme un être «mineuo>. Il cherche
encore à m'éduquer. Or c'est impossible. Je suis déjà «faite». Il est trop tard
pour me transformer. Pour lui faire plaisir, j'ai déjà changé à bien des niveaux.
Du coup, il m'arrive parfois de ne plus
me reconnaître. Je me trouve bizarre à
mes propres yeux.
Je m'habille à son goût, je me comporte comme il le désire, enfin bref, je
me conforme du mieux que je peux à
l'image qu'il a de la femme. Tout cela
pour réduire les problèmes qui se posent
entre nous. Mais à force de vouloir lui
faire plaisir j'ai le sentiment de m'être
perdue, d'y avoir laissé mon «moi».
Rien n'est jamais acquis,
rien, jamais rien.
~dant
des années, ra; "avamé.
Sans relâche. Douze à quatorze heures
par jour. Le soir, je rentrais chez moi,
abruti de fatigue et je dormais. J'avais
des connaissances comme tout un chacun mais sans plus. Puis les choses ont
pris peu à peu place dans ma vie professionnelle et je me suis senti plus libre.
Plus disponible. Il y avait quelque
chose ... j'étais comme on dit «prêt».
J'étais persuadé que dans les deux mois
à venir, j'allais rencontrer quelqu'un. Eh
bien ça a pris deux ans et demi. Simplement parce que je suis exigent. Trop
exigent. Vis à vis de moi comme vis à
vis des autres. Je fréquentais des filles
qui répondaient parfaitement à un profil «bien» mais après une ou deux sorties je me rendais compte que ce n'était
pas çà ... J'ai. trois exigences qui me
paraissent indispensables pour pouvoir
vivre avec quelqu'un. La première se
rapporte au physique. C'est vrai, il joue
un rôle important pour moi. L'intellect
aussi. Une femme qui ne saisit pas les
choses au quart de tour, qui a besoin
de longues explications, c'est d'emblée
non. Quand à la troisième exigence, je
pourrais la rapporter à une certaine chaleur affective, la capacité de pouvoir
donner de soi-même. Je ne peux pas
supporter une fille belle, intelligente
mais sèche.
Ma quête a été longue avant de trouver une personne qui réponde à mes
aspirations. Notre rencontre s'est passée de manière extraordinaire. Comme
dans un rêve. Un rêve qui a duré un an
et demi. Et puis là, dernièrement, il y a
eu un truc. Un petit quelque chose dû
à une interférence extérieure qui a introdùit un décalage. Et c'est exactement
comme une sorte de valse magnifique
avec un rythme qui tout d'un coup
s'arrête. Le rythme est cassé; 1/ faut le
retrouver.
Cette première expérience va nous
apprendre à être prudent, à savoir que
rien n'est acquis, rien, jamais rien.
A chaque fois qu'on crie victoire,
qu'on se dit «ça y est», c'est là que
commencent les conneries. On relâche
son attention, on pense que c'est dans
la poche et on se rend compte ensuite
qu'il y avait un trou dans la poche.
27
La jalousie fait souffrir
J'un et étouffe l'autre
O n se cache à sol-même un tas d,
choses. A fortiori à l'autre. Il n'est
jamais bon de tout se dire, de se livrer
comme ça en bloc. Il faut au contraire
apprendre à se contrôler. Il y a certaines choses qui peuvent être dévoilées
d'autres dont il faut se méfier comme
de la peste. Raconter par exemple toute
sa vie antérieure à son conjoint avec le
moindre de ses détails me semble tout
à fait inadapté.
Le conjoint a tendance à éprouver de
la jalousie par rapport à ce qui a pu se
passer ou ne pas se passer ou qui pourrait éventuellement survenir. Si j'avais
une femme jalouse je ne lui dirais jamais
«regarde, il y a une jolie fille qui passe
à proximité». Je serai fou de lui faire une
réflexion pareille.
Cette question de la jalousie est terrible parce que celui qui est jaloux souffre et celui qui en est l'objet étouffe. Or
tout se rapporte à un problème de confiance. Et ce que les gens ne savent pas,
c'est que plus on est jaloux, plus on crée
de risques. Plus on dit à quelqu'un «il
ne faut pas agir ainsi,» plus on lui donrw
envie de passer outre cet interdit.
Se préserver un jardin
secret : une nécessité
Il
n'est pas bon de tout dl',. Il Yad"
aspects de ma vie qui n'appartiennent
qu'à moi. Je ne me dévoile jamais complètement car je pense qu'il est necessaire de se préserver un jardin secret.
Surtout pour les femmes.
28
S'il me prend de fantasmer par exemple sur quelqu'un, je ne peux pas le confier à mon mari. Même si ce n'est que
fantasme, je me vois mal en train de lui
dire «tu sais tel bonhomme me plait, il
m'attire».
J'ai des amis hommes et des amies
femmes que mon mari ne connait pas
du tout. Je crois en l'amitié entre les
hommes et les femmes et je pense qu'il
est important de développer ce type de
relation entre les sexes. Avec un
homme, tu peux aborder des sujets de
conversation différents de ceux que tu
aurais avec une femme, et c'est très
enrichissant. Mon mari ignore que j'ai
des amis hommes. Je ne lui en parle pas
parce que je crois qu'il réagirait mal s'il
venait à l'apprendre. Il me fait entièrement confiance, il n'est pas spécialement jaloux mais d'après nos
discussions, je vois comment il raisonne
et je sais que sur ce point là, il ne serait
pas d'accord. Alors je préfère me taire.
Ça me permet de continuer à fonctionner comme je le désire sans que cela ait
des répercussions négatives sur mon
couple. Il ne faut pas être totalement
dépendant de son mari parce que si tu
n'as que lui pour discuter, que lui pour
soutien, au bout d'un moment, tu en as
ras-le-bol.
Nous en avons discuté ensemble avant
d'en aviser nos parents. Le grand amour
est venu après. Les heurts aussi.
Nous avons rencontré au début de
notre mariage deux types de problèmes.
Le premier était d'ordre matériel (nous
avions très peu d'argent), le second se
rapportait à notre sexualité. Je n'étais
pas du tout préparée à la vie sexuelle.
Comme je lisais énormément, mes lectures m'informaient plus ou moins. Mais
ce qu'on écrit n'a rien à voir avec ce qui
est. Au Maroc, tout ce qui se rapporte
à la sexualité est tabou. Pourtant c'est
un domaine où beaucoup de femmes
rencontrent des problèmes. Elles
n'osent pas en parler, c'est tout. Et les
maris réagissent toujours en leur mettant toute la responsabilité sur le dos.
Au début de mon mariage, je ne parvenais pas à éprouver du plaisir dans le
rapport .sexuel. Comme j'avais honte
d'abor~r cette question. je n'en parlais
ni à ma mère ni à mes sœurs. Seule une
amie très intime recevait mes confidences. Elle m'encourageait à tenir le coup
en me disant qu'à la longue ça finirait
par s'arranger. Cela s'est avéré vrai.
Mais pendant ces premiers temps, mon
mari réagissait négativement en me
disant «c'est de ta faute, tu dois faire
des efforts» et les médecins que je consultais achevaient de me culpabiliser.
Normal, c'était tous des hommes!
«C'est de ta faute»
Tendresse, tendresse
suis manee très jeune. J'ai
donc très peu réfléchi à cette question
avant de me retrouver la bague au
doigt. Mes parents, comme tous les
parents traditionnalistes ne me laissaient
pas sortir comme je le désirais. Aussi le
mariage à mes yeux était pouvoir être
libre de faire ce que je voulais. Le couple, c'était vivre à deux, partager tous
les problèmes,avoir plus de responsabilités. Devenir donc quelqu'un de responsable, être considérée comme un
adulte. Je ne voulais plus être prise pour
une enfant par mes parents, par man
entourage.
J'ai épousé mon cousin. C'était un
mariage mi-moderne, mi-traditionnel.
que je ne sais pas ce que
c'est. Je n'ose plus idéaliser. La vérité
est tellement autre que je préfère, pour
éviter une quelconque désillusion, ne
pas trop m'en éloigner. Et pourtant...
comme je souhaiterais vivre autre
chose 1. ..
A l'heure actuelle, nous sommes
deux, mais nous vivons chacun dans
son coin. Sept ans de vie commune, et
c'est déjà la mort du couple. Il est là,
grand absent. Je n'arrête pas de concilier, de raccommoder, de lui pardonner
son absence mais trop, c'est trop. Je
maintiens le couple pour sauvegarder
l'équilibre de nos enfants. Je vis pour
eux, pour leur bien être.
Par moment je me demande s'il sait
que j'existe. Oh, bien sûr, il se rappelle
de mon existence pour ses séances de
défoulement. Quand il a un problème au
travail, avec sa famille, avec ses amis,
c'est sur moi que ça se répercute. C'est
lassant à la fin, vous ne trouvez pas?
Comment voulez vous préserver le
désir dans ces conditions? Un homme
qui ne vous voit plus, qui vous perçoit
négativement, comment peut-on
l'aimer, comment peut-on continuer à
le désirer?
Un amour non partagé ne peut pas
susciter le désir. " m'agresse par son
silence, je l'agresse par mes questions.
Je fais. l'amour avec lui par habitude,
par devoir, et non par désir. C'est une
vérité cruelle que je vous livre. Vous
vouliez connaître mon idéal d'homme.
Ma vie est déjà faite, je ne peux plus
espérer. Mais enfin puisque vous êtes
là et que vous m'y faites penser je vais
me donner la liberté de rêver à voix
haute.
Je ne rêverai pas d'un autre homme,
puisque ce n'est pas permis. Je vais
simplement vous dire comment je voudrais que mon mari soit. En un seul
mot: tendre.
Tendre et affectueux. Qu'il s'inquiète
de ma santé. Qu'il me ramène un bouquet de fleurs, une rose, un parfum de
temps en temps en me disant : «tiens
chérie, c'est pour toi». Ce serait drôle
mais surtout tellement agréable. Ne
vous moquez pas de moi, je sais que ce
que je suis en train ,de vous dire fait très
«photo-roman» mais j'aimerai J'entendre
me murmurer «tu es la femme la plus
extraordinaire qui soit» même si parallèlement à celà, il en fréquente une
autre. Et surtout qu'il ne me renvoie
plus de moi une image aussi négative.
C'est atroce de se voir ainsi dans le
regard d'un être que vous avez aimé et
qui vous a aimé.
Ces petits gestes
qui font tant de bien
R,
Elle est mon roc
con,e,ve, 'a v;tal;té au couple, M a temme et mo;,c'est du 'oUde.
il faudrait pouvoir continuer à découvrir
l'autre. Il n'y a rien de plus terrible que
d'avoir quelqu'un qui flambe comme un
feu de paille et qui s'éteint ensuite.
Découvrir l'autre par étapes. " y a des
choses que je n'ai pas encore montré à
ma femme et j'espère qu'il en est de
même de son côté. Cela signifie une
sorte de création de soi-même face à
une situation donnée. Les conjoints doivent pouvoir continuer à se surprendre.
Il est également nécessaire de construire autour des deux conjoints le maximum de choses. " ya une stratégie de
la vie à deux comme il y a une statégie
de la vie professionnelle. Il faut aller très
très doucement pour qu'il y ait une amélioration progressive tant au niveau
matériel qu'au niveau du plaisir, des
vacances, des voyages ... Lorsqu'on
veut aller trop vite, on se casse la gueule
parce qu'on ne supporte pas le retour
à la réalité.
Les enfants font partie de ces éléments qui font'progresser un couple,
qui lui permettent d'aller toujours plus
loin.
C'est vrai que le temps peut détruire
beaucoup de choses. D'où la nécessité
d'en créer toujours de nouvelles. D'avoir
donc de l'imagination. Si certains détails
s'effilochent et s'en vont, il faut en
entretenir d'autres. Ce n'est pas, par
exemple, parce qu'on n'ouvre plus la
portière à sa femme qu'on ne peut pas
de temps à autre lui apporter un bouquet de fleurs. De passer un jour à la
pâtisserie et de lui acheter les gâteaux
qu'elle aime. Et puis, un autre jour lui
ramener son journal préféré ... Bref un
tas de petits trucs qui signifient «je
pense à toi».
Quatorze ans de mariage et trois ans de
fiançailles. On se connaît bien. Bon
cœur tous les deux mais nerveux et vite
soupe au lait. Avant on criait beaucoup.
Puis on s'est aidé: quand l'un est
énervé, l'autre se tait. On se respecte
beaucoup et surtout on s'estime. De
toutes les façons, J'amour sans admiration ni estime ne dure pas.
Nous avons réussi à trouver des
valeurs fortes communes bien que nos
caractères soient très différents. Elle est
casanière. je suis extraverti. Jamais il
n'a été question de marchandage entre
nous. Nous sommes partis de rien, refusant toute aide familiale. Ce que nous
avons fait, le peu que nous avons fait
c'est notre œuvre. " n'y a jamais de calcul entre nous. Mon salaire, ton salaire,
on ne connait pas ces expressions.
Ma femme ne pense jamais à elle.
Parfois je lui en veux même de s'oublier
autant. Mais pour tout vous dire, je suis
extrêmement fier d'elle. Je la pousse à
s'exprimer, elle me pousse à me réaliser.
Jamais je ne pourrais la quitter; elle
est mon roc.
29
Milieu hospitalier
Aide-soignante, infirmière, laborantine: des métiers pour
celles dont le but est d'être utile aux autres.
Examens comptables
Pour a....oir un bon salaire, pour occuper un poste de confiance dans l'entreprise, préparez avec nous un des examens officiels: C.A.P., B.E.?, B.P., B.T.S., C.P.E.C.F.
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sabilités en travaillant dans la gestion commen;:iale.
Electromécanique
Dans les industries de production. les moteurs électri·
ques jouent un rôle important et nécessitent un personnel
compétent en électromécaniCNA--pour l'entretien, le con·
trôle, le dépannage.
Bâtiment
Chef d'équipe. chef de chantier, projeteur calculateur,
dessinateur en bâtiment. toussant nécessaires pour faire
avancer l'ouvrage sur le chantier de construction.
Le biscuit qui craque
et qui croque
Programmeur
en microinformatique
, Electricité
Pour acquérir rapidement les connaissapces nécessaires pour mettre en œuvre et utiliser un micro-ordinateur
(fourniture d'un micro-ordinateur SHARP).
Programmeur
Opérateur, analyste, chef programmeur ... Faites partie
de l'équipe informatique au moment où la place de l'ordi·
nateur ne ~eS5e de se développer dans tous les
domaines.
Couturière
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pour apprendre à réaliser vous-mëme des vêtements
féminins.
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AQ1:iculture
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et' tropicale
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spécialistes pour promouvoir son développement agri-
cola
Radio T.V. HI-FI
Quel que soit votre niveau, devenez un spécialiste dans
cette technique de pointe: monteur dépanneur, techni·
cien ou ingénieur(avec matériel d'application pratique en
option).
Ingénieur
électronicien
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pointe (avec matériel d'application pratique en option).
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Arour
une information complète sur le métier choisi
Métier choisi,
HISTOIRE
D'UN DROLE
DE VOEU
(Conte populaire marocain adapté par
Jocelyne Laiibi)
Assise sur la terrasse, les jambes
allongées, elle avait retroussé sa robe
bien au-dessus des genoux. La laine
filait rapidement entre ses doigts et elle
chantonnait d'une voix qui, peu à peu,
s'épanouissait. Elle aimait ce travail et
le soleil était chaud ce jour-là. Autant
de raisons d'être joyeuse et de chanter
vers le ciel !
Elle tendit la main et prit une olive.
Elle s'amusa à en jeter le noyau vers son
arbre préféré, celui que couronnait le nid
de cigogne. Puis elle prit le morceau de
fromage, le pain qu'elle avait posé là,
et, cessant un instant son travail, elle
grignota en rêvant.
A quoi elle rêva? Eh bien, d'abord à
son mari qu'elle aimait beaucoup. Il
commençait bien à devenir vieux mais,
elle-même, ne l'était-elle pas déjà un
peu? Elle eut un petit sourire tendre, et
puis elle passa à son rêve favori: si
j'avais une petite fille ...
32
« Si j'avais une petite fille ... elle pourrait m'aider à filer la laine! Oh, mais
non! Si j'avais une petite fille, je ne la
laisserai pas travailler. Elle resterait là
avec moi, simplement pour que je
puisse la regarder! Comme j'aimerais
avoir une petite fille! Une fille aux yeux
noirs... Noirs comme ... comme ces olives, tiens! Et puis, au teint blanc
comme ce bout de fromage que je
mange! Et elle aurait les joues rouges.
Comme cette pomme ! »
Elle prit la pomme et regarda son
arbre: l'une des cigognes se tenait là,
le bec sous l'aile.
« Oui. Une fille. Et même si elle était
cigogne! Une cigogne aussi peut tenir
compagnie! »
Et en riant, elle reprit son travail.
Qui l'entendit ce jour-là faire cet
étrange vœu? Un génie avait-il décidé
de s'amuser un peu? Toujours est-il
que, neuf mois plus tard, elle accoucha
d'une cigogne aux grands yeux noirs,
aux plumes éclatantes et au bec tout
rouge! Elle fut bien un peu interloquée
(son mari aussi, il faut le dire!), mais
se résigna en se rappelant le vœu qu'elle
avait fait pour rire. Et puis, après tout,
une cigogne aussi pouvait tenir com'pagnie!
Elle éleva donc sa cigogne, qui grandit et devint en très peu de temps un
bel oiseau. Elle fut aussi fidèle à sa promesse et la cigogne restait avec elle,
simplement pour qu'elle puisse la regarder. Un jour pourtant, comme elle se
sentait de plus en plus lasse, elle se plaignit avec un peu d'amertume: « Tout
ce linge à laver! Si j'avais une vraie fille,
elle aurait quand même pu m'aider.
Mais une cigogne que peut-elle faire
avec sa pauvre paire d'ailes? »
La cigogne avait entendu les plaintes
de sa mère. On a beau être cigogne, on
a son amour-propre! Dès que la vieille
femme eut tourné le dos, elle s'empara
d'un grand drap, y déposa le linge sale
et s'envola, le baluchon passé en travers
du bec. Elle s'envola vers le palais du
sultan: il y avait là-bas tant et tant de
lavandières qu'un surcroît de travail passerait inaperçu.
Ce fut bien ce qui arriva et, quelques
heures après, la cigogne trouva son
linge tout propre et bien séché par le
soleil. Avant de le plier dans le grand
drap, elle le parsema de roses, de jasmin, et de toutes les sortes de fleurs
odorantes qu'elle put trouver dans les
jardins du palais du sultan.
Arrivée chez elle, elle déplia cérémonieusement le drap. Quand sa mère vit
le linge si bien lavé et que l'odeur des
fleurs eut envahi la pièce, la cigogne eut
droit à un gros baiser sur le bout de son
bec. Elle eut droit aussi à quelques
remontrances car son absence prolongée avait angoissé sa mère.
Et ainsi, chaque fois qu'il y eut du
linge à laver, ce fut la cigogne qui s'en
chargea.
Un jour, le fils du sultan eut l'idée de
descendre dans les jardins du palais et
de s'y promener. Au fur et à mesure
qu'il parcourait les allées, sa stupéfaction grandissait: pas une seule fleur!
pas de roses, ni de jasmin, les narcisses ne poussaient plus et les glycines
avaient disparu! Il ne restait que des
arums, ces fleurs bêtes qui ne sentent
rien. Furieux, il déboucha sur la rivière
et s'enquit péremptoirement des raisons
de cette curieuse absence. Toutes tremblantes (après tout, c'était le fils du sultan), les lavandières répondirent:
« C'est une cigogne, Monseigneur! Elle
vient ici faire laver son linge, ce que
nous acceptions volontiers car il doit y
avoir là-dedans quelque magie: une
cigogne peut-elle s'habiller? Ou se servir de draps? Et avant de plier son linge
propre pour l'emporter, passé au travers
de son bec, elle cueille toutes les fleurs
qu'elle peut trouver et l'en parfume.
Voilà pourquoi il n'y a plus de fleurs
dans votre jardin! »
Au mot de «magie», le fils du sultan
était tombé dans une profonde
réflexion. Il avait, bien sûr, entendu
parler des génies. Il savait qu'ils prenaient parfois les formes les plus extravagantes. Il savait aussi que certains
génies étaient femmes, qu'elles pouvaient s'éprendre des hommes et
qu'elles les rendaient alors immensément riches et heureux. Aussi se décidat-il très vite.
«Quand cette cigogne reviendra,
comportez-vous comme à J'ordinaire.
Mais lorsqu'elle s'envolera, suivez-là
sans vous montrer. Celui ou celle qui
pourra me mener à J'endroit qu'elle
habite aura la plus belle des récompenses ! »
Tout le monde fut donc sur le quivive et quand la cigogne fit tomber son
linge au milieu de celui du sultan, les
lavandières le lavèrent aussitôt, tout en
la guettant du coin de l'œil.
Lorsque le linge fut scc, la cigogne le
rlia et s'envola sans plus attendre. Et
voici ce qui se passa alors: les draps ct
les vêtemens du Sultan, abandonnés par
les lavandières, descendirent la rivière;
dans les jardins, l'eau emplit les séguias
à en déborder; le palais se vida entièrement de ses serviteurs - prévenus on
ne sait comment - qui laissèrent les
marmites bouillir sur le feu! Tous
s'étaient précipités à la suite de la cigogne, et on se bousculait pour ne pas la
perdre de vue et surtout pour arriver le
premier!
Le jardinier en chef connaissait bien
les raccourcis des environs: il devança
la foule des serviteurs et ce fut lui qui
arriva le premier. Il vit la cigogne pénétrer dans une maison, il examina
l'endroit avec attention, et il s'en fut
bien vite au palais en se félicitant de sa
chance.
Ce soir-là, le fils du sultan eut avec
son père une longue conversation. Les
débuts en furent très animés et les serviteurs entendirent même deux ou trois
fois la grosse voix du sultan. Mais,
quand l'un et l'autre se retirèrent, le fils
du sultan souriait ...
Et on vit, le lendemain, les plus hauts
dignitaires du palais accompagner le
jeune homme, tous en grand apparat.
Lorsque les parents de la cigogne comprirent le sens de l'étrange demande, ils
essayèrent bien de convaincre le fils du
sultan qu'une cigogne ne lui convenait
pas; le fils d'un sultan se devait d'avoir
comme épouse une jeune fille ! Non
seulement une jeune fille, mais la plus
belle des jeunes filles! Rien n'y fit. Le
jeune homme s'entêtait et il commençait même à menacer les deux vieillards
de leur faire couper la tête et d'enlever
sa belle cigogne. Dès lors, comment
s'opposer?
On célébra le mariage à grand fracas
33
de réjouissances. Personne ne s'étonna
de la forme d'oiseau de la jeune mariée
car tant d'histoires merveilleuses circulaient sur les génies. Personne ne
s'étonna, mais personne n'osa trop s'en
approcher: sait-on jamais ce qui passe
par la tête d'un génie?
Après la fête, quand tous se furent
retirés, le jeune homme s'installa face
à la cigogne qui s'était perchée sur le
dossier d'un fauteuil, et il attendit. Il
estimait avoir droit à une rapide métamorphose de sa femme car il avait été
aux petits soins pour elle et se jugeait
digne de récompense. Il plongeait donc
son regard dans les yeux noirs de la cigogne et il attendait. Et rien n'arriva. Ils
se regardaient tou§ deux, et le regard
noir de la cigogne était si intense que le
fils du sultan finit tout simplement par
s'endormir ...
Le lendemain matin, le sourire du fils
du sultan était moins large et, au fil des
jours et des semaines, il disparut complètement. Autour de lui, au contraire,
le sourire s'élargissait et dans le peuple,
on se moquait même ouvertement de ce
stupide jeune homme qui avait épousé
une cigogne : « Vous vous imaginez les
enfants qu'ils vont avoir! ça sera reposant d'avoir un jour un sultan qui ne
saura faire que « clac! clac! ».
Le fils du sultan se sentait très malheureux, mais surtout très humilié: il
ne pouvait plus longtemps demeurer
l'époux d'un oiseau! Ne sachant que
faire, il songea à s'adresser à un savant,
si vieux et si expérimenté qu'il avait vu
et fait maintes merveilles. Le vieux
savant rassura le jeune homme.
L'affaire, apparemment, était simple:
« Si cette cigogne est enchantée, elle ne
résistera pas au charme que je lui ferai
subir ».
Le soir donc, il s'introduisit en grand
secret dans la chambre du fils du sultan.
Il se fit apporter des braséros, beaucoup
de braséros, et les alluma tous. Une vive
chaleur se répandit bientôt dans la pièce
et devint même vite étouffante. Le fils
du sultan avait très chaud. Mais il n'osa
rien dire.
Lorsqu'ils entendirent le battement
d'ailes de la cigogne qui venait dormir
perchée sur son fauteuil, le vieux savant
poussa le jeune homme un peu brutalement et ils se dissimulèrent tous deux
derrière une tenture. Le fils du sultan
n'osa pas protester. Il n'osa pas non
plus s'enquérir de quoi que ce soit.
La cigogne pénétra dans la pièce, se
percha sur son fauteuil et mit sa tête
sous son aile. Mais bientôt, gênée par
la chaleur qui épaississait l'atmosphère,
elle sauta à terre et se débarrassa de son
lourd manteau de plumes. Aussitôt, le
vieux savant s'en empara et le jeta sur
le braséro le plus proche. La cigogne se
RECHERCHONS
;:::;::;;;1
COMPAGNONS DE ROUTE
POUR VOYAGER
AU BOUT DES MEDIA
~.......;::::::::;:;;Egr
.;
..... ;;;::::;:::2:::::::::::::::::: ::~~:
...... ;;;;::::::~:!~~~~~HH~~::HHHiminHHiHIiHi~
;;;::: ::;::::::;::: ;::::::::;::::::;;;:;;;::::::;::: :::: '::
.. ~.,:;:::::;:::::::;;:::;:
•
LEUR PASSION: ECRIRE
LEUR AMBITION: COMMUNIQUER
CURIEUX DU MONDE
GENEREUX DE LEUR PLUME
ILS ECOUTERONT LES SILENCES
ET VEHICULERONT LES ELANS
LES ATTENDONS POUR CONTINUER
KALIMA AVEC NOUS.
ADRESSER C.V. + ARTICLE
KALIMA 18, RUE IBN YALA
CASAB~ANCA
TEL. : 36.24.89
+:::::::::::1
34
mit alors à hurler des imprécations et à
proférer d'horribles menaces, à faire
frémir le fils du sultan, toujours caché
derrière la tenture! Mais, à peine les
plumes eurent-elles fini de brûler que
l'oiseau se transforma en une blanche
jeune fille aux joues rouges et aux
grands yeux noirs. La métamorphose
s'était enfin accomplie.
Le vieux savant eut la récompense
qu'il méritait. Pour faire définitivement
taire les mauvaises langues et rentrer le
sourire à l'intérieur des bouches, on
recommença le mariage du fils du sultan. Les vieux parents de la cigogne ne
furent pas les moins fiers et la mère prétendit qu'elle sentait bien au fond d'ellemême que sa fille ne pouvait être un
oiseau!
La cigogne n'était pas un génie. Elle
ne rendit donc pas le fils du sultan plus
riche qu'il n'était. Par contre, elle le rendit immensément heureux car tous deux
s'aimèrent très fort. Mais il n'est pas
besoin d'être un génie pour cela ...
• ••
LETTRE OUVERTE
Pour le dialogue
permanent
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D
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es que j'ai atteint une certaine
franchement, ça ne m'a jamais vraiment
•• •
(maturité», l'âge où l'on veut explorer
«comblée» comme réponse. Parce qu'il
•
son être, j'ai éprouvé un besoin très fort
est impossible que l'on ne commette
•••
•
de mener ma barque comme je l'entenjamais de faute. Alors si ces adultes qui
••• •
dais. Malheureusement, j'étais sans
ont autorité sur moi peuvent se trom•• •
droits. Ce sont les ((grands», et les homper, ça veut dire que je peux, au moins
• ••
mes, qui ont des droits, le pouvoir
une fois, avoir raison. Mais comment
absolu. Dans mon cas, ce pouvoir est
celui qui dét(ent le pouvoir peut-il com• •
prendre ça 7 Car ce qui l'intéresse en
incarné par mon frère aÎné. 11 contrôle
••••
tous mes actes, du plus anodin au plus
premier lieu c'est de faire obéir les
• •
«sérieux». C'est lui qui décide à ma
place, en mon nom. Je dois obéir, baisser la tête et dire «ouiJ>. Mon problème
c'est que je suis rarement, pour ne pas
dire jamais, d'accord avec ce que veut
pour moi mon frère. J'agis toujours à
contre-sens de ce qu'on me présente
comme un commandement absolu ou
indiscutable. Evidemment, cette attitude me vaut régulièrement le bâton. Ce
bâton avec lequel on a toujours éduqué
J'enfant dans notre société et réprimé
l'individu voulant se réaliser. Tout cela
m'a poussée à me poser la question que
voici: «Pour quelle raison, le pouvoir
est-il entre les mains des «grands» 7»
D'habitude, j'V réponds tant bien que
mal en essayant de me persuader que
le «grand» est mûr, plein de sagesse,
conscient d'un tas de choses, etc. Mais,
autres par la force.
A J'école, l'institutrice était un cauchemar pour moi. Car elle aussi représentait le pouvoir dans son horreur. J'en
. rêvais la nuit; mon enfance, je l'ai donc
vécue prise en tenailles entre ces deux
pouvoirs.
L'individu est né libre, pourquoi
l'entraver constamment 7 Pourquoi nos
parents ne nous laissent-ils pas discuter librement leurs jugements, surtout
si ceux-ci sont faux. Pourquoi
n'admettent-ils pas qu'on conteste leurs
décisions? J'aimerais voir se créer une
société fondée sur le dialogue permanent entre les individus, pour qu'il ne
reste aucun voile entre le père et ses
enfants.
Une élève de 6° A.S. . 17 ans
• •••
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35
D'où qu'elles viennent, ces voix s'exprimeront ici, rebelles à
toutes frontières. Elles nous diront leur racines et les nôtres.
LE COEUR DE L'AMOUR
QASSIM HADDAD
Il est né en 1948 à Bahreïn. Il est l'un des principaux animateurs de la revue KALIMAT (une
coïncidence étrange !) qui paraît à AI Manama.
Parmi ses œuvres poétiques: "Le deuxième sang," 1975, "Appartenances", 1981, "Eclats", 1983.
Les poèmes que nous publions ci-dessous sont tirés du recueil "Le cœur de l'amour", 1980.
Réception pour J'océan
Il nous a surpris
avec ses poissons et ses algues
ses fonds et ses vagues
tant et tant de sel
Le dîner était prêt
Quelqu'un d'entre vous a-t-il essayé d'inviter
l'océan à dîner?
Je devais le faire
Car mon aimée était sous les eaux de l'océan
à m'en rendre jaloux
Et dans le bouillonnement de la colère
elle m'a promis de quitter l'océan
si j'invitais celui-ci à dîner
ne serait-ce qu'une seule fois
L'océan est venu dans tout son apparat
La maison se transforma en rivages
J'avalais ma jalousie
verre par verre
pendant que l'océan apprenait la nage à mon aimée
et qu'elle feignait chaque fois de se noyer
Puis, avant que l'enfer n'explose dans ma tête
quelqu'un est venu frapper à la porte:
l'océan devait partir
car les bateaux ne pouvaient plus appareiller
j'ai soufflé en raccompagnant l'océan à la porte
Il a dit:
votre dîner était bon et séduisant
et il est parti
Et quand je suis revenu à mon aimée
pour lui demander d'honorer sa pr01T~sse
j'ai trouvé qu'elle avait pris le large
le haut large
36
L'ici et le là-bas
L'aimé est ici
l'aimée est là-bas
Ils ne se sont pas fâchés
et la colère ne les a pas séparés
Simplement
la maison~de J'aimée surplombe la mer
et la cellule de l'aimé se trouve en plein désert
Le soleil qui les réchauffe est le même
et la nuit qui flagelle leurs nuits est la même
Le lit de J'aimée est un bloc de glace
dans la banquise de l'hiver
La couche de l'aimé une braise
dans l'âtre de J'été
Elle est ici
torturée par d'incalculables attentes
Lui là-bas
en proie à une foule de soucis
Ils ne se plaignent pas
Ils ne se lassent pas
ils ne baissent pas les bras
ils poursuivent simplement leur amour
Elle ici
lui là-bas
--------
Les villes enlèvent leur habit de deuil
Déverse-toi, déverse-toi ainsi
comme le vin qui écrit l'histoire
Ainsi, comme les forêts de café grouillant de désir
ainsi, comme les cascades imitant la nostalgie
Déverse-toi dans le rire
la musique est affamée de toi
Les arbres et les fauves
accourront vers toi
ainsi que le fleuve et les caravanes
Continue à rire, ainsi, ainsi
encore et encore
La ville enlèvera son habit de deuil
si tu ris
Déverse-toi encore plus
et toutes les villes
se relèveront de la tristesse
(Poèmes traduits de l'arabe par A. Laâbi)
Vivre.
Un bol, deux bols, trois
bols de harira... et bonjour les dégâts. Après une
journée de jeûne, il est
bien difficile de résister
aux tentations multiples
d'une table bien garnie.
La graisse, perfide, ne
guette alors que ce relâchement pour se loger
subrepticement dans les
coins et recoins d'un
corps aux défenses abaissées. La bedaine pointe
du nez et c'est parfois
plus d'un cran de la ceinture qu'il faut faire
sauter.
Cette fois-ci, c'est à
vous, messieurs, que nous
avons pensé en particulier. Voici une bonne série
d'abdominaux pour conserver à vos muscles toute
leur tenue. Donnez donc
l'exemple à vos compagnes. Ces exercices leur
feront autant de bien
qu'à vous.
Au début, faites dix
fois chaque mouvement,
au moins une fois par
jour, puis vingt fois et
ainsi de suite. Augmentez
le nombre d'exercices
progressivement.
Consacrez 10 à 15 mn
par jour à votre séance
d'abdominaux.
Effectuez-la de préférence le matin face à une
fenêtre ouverte.
Attention,
le Ramadan
est bientôt 1 à !
1. Epaules basses,
omoplates croche- /Q.
tée~, nuque étirée, 1 ~~;::---­
mams au ras des ~---~- ,
/' Ji
fesses, inspirez, serrez les abdominaux
('
.
1evez
au maxImum,
" h
les jambes à la verticale et redressez la
tête très légèrement.
Expirez en tenant la
contraction
au
maximum. Recommencez.
2. Les pieds à l'angle
du mur, bien collés,
les jambes fléchies,
les pouces à la base
du crâne, les omoplates crochetées,
inspirez à fond.
Contractez les
abdominaux puis
fléchissez le tronc
vers l'avant en écrasant les genoux au
sol (sans déplacer
les fesses). Expirez à
fond.
Recommencez.
39
3. En équilibre sur les
fessiers, doigts à la
nuque, omoplates
crochetées, inspirez,
contractez les abdominaux, amenez le
torse droit et le
coude bien ouvert
vers le genou
opposé. Expirez à
fond. Revenez à la
position initiale.
Inspirez, contractez. Refaites le
même mouvement
dans l'autre sens.
Expirez. Recommencez.
4. Les pieds soutenus
bien au sol (vous
pouvez demander à
un ami ou une amie
de vous aider), le
bout des doigts à la
nuque, les coudes
très ouverts (et ils
doivent le rester),
inspirez, contractez,
fléchissez le torse
vers l'avant en
poussant un coude
vers le genou
opposé. Expiration
sur l'effort. Changez de côté. Recommencez.
5. Couché, jambes
pliées, mains aux
genoux (c'est le truc
pour réussir) enroulez votre corps vers
l'avant et relevezvous avec souplesse.
Recommencez.
40
/
~----~
Avec Alata, un nom arabe a
pénétré le champ clos de la
haute-couture occidentale.
Ce petit tailleur tnnisien ne
se contente cependant pas
d'être parmi les grands, il les
bouscule et se hisse aux premières loges : oscar du meilleur créateur de l'année,
oscar de la Fédération de la
couture, sa consécration en
1985 est totale. Fatem-Zahra
El Bouab, notre collaboratrice, voulait absolument le
rencontrer. Elle l'a rencontré.
42
Rndeurs, formes et
sensualité
Rue du Parc royal, n° 17. Le Marais.
Paris plein cœur. Au jour et à ('heure
dits me voilà devant l'imrpeuble. Mise
soignée bien sûr au millimètre près. De
la jupe aux chaussures plates, tout est
rouge et tout est noir. Question de faire
impression.
Sur la lourde porte en bois laqué, une
plaque, un nom: ALAïA. Interphone.
Je m'annonce,La porte s'ouvre sur un
espace gris perle au carrelage noir. Une
des vendeuses, le corps moulé jersey,
griffe Alaïa, m'accueille et me demande
de patienter.
e m'étais promis de le renconUer. J'ai essayé. Et j'ai réussi.
II me fallait en premier lieu
trouver son numéro de téléphone. Grâce à une amie qui
travaille dans une revue de
mode, je parvins à l'obtenir. C'est donc
avec ardeur que j'ai composé ces huit
chiffres.
J
Trois jours. Trois jours de suite
durant lesquels j'eus droit à : « l\ n'est
pas encore venu ». « Il n'est toujours
pas venu ». « Il est parti déjeuner ». Il
n'est pas encore reven u », « l\ sera là
vers 13 heures.
Puis c'est « ne coupez pas ». Une
voix d'homme me donne des battements
au cœur. « M. Alaïa? « Non. M.
Alaïa, n'est toujours pas rentré. C'est
à quel sujet» ? Dans ma volonté de
convaincre, je m'empêtre dans les
détails. « Magazine féminin marocain,
rubrique mode, venue exprès à Paris
pour le voir, etc.. , »
Petite lueur d'espoir. Mon interlocuteur me promet de transmettre mon
message. Bilan de cette journée: sept
coups de fil. La cinquième aube se lève
et me voilà à nouveau accrochée à mon
poste de téléphone. Attente. Espoir.
Déclic. Désillusions.
Le samedi à cinq heures, un« ne coupez pas» me laisse à nouveau en
suspens. Pendant dix bonnes minutes,
l'oreille collée à l'écouteur, je rêve aun
petit monsieur tout de noir vêtu. Un
« allo »grave me ramène sur terre pour
me renvoyer direct voguer dans les
cieux. C'est lui! «M.Alaïa?»
« Oui ».
out mon speech y passe avec
une bonne grosse dose
d'émotion. Ça marche, me
'dis-je, ça ne peut que marcher.
Erreur.
«Non
madame, je ne veux plus
accorder un seul entretien aux journaux
arabes ».
T
Trémolos dans la voix. « Je voudrais
vous voir, juste vous voir ». C'est dur
la vie d'artiste, M. Alaïa. « Okay », me
dit-il vaincu par mon insistance. « Rappelez lundi matin pour qu'on vous fixe
un rendez-vous »,
Calée sur ma chaise, j'en profite pour
examiner les elientes qui évoluent dans
la boutique. Elles font partie de cette
catégorie de femmes du genre B.C.B.G.
qui, bien que d'un certain âge, aspirent
à « rester dans le coup ». Or dans du
Alaïa, ce n'est pas vraiment très évident.
Sa ligne fuselée qui colle à la peau en
valorisant la poitrine, serrant la taille et
moulant les fesses ne va pas réellement
à tout le monde. Mais elle est indiscutablement très belle. Cette coupe
superbe introduit enfin du relief dans le
corps féminin. Après toutes ces
ampleurs, toutes ces longueurs, toutes
ces superpositions et assymétries, il
retrouve sensualité. forme et rondeurs.
Plongée dans mes observations, je ne
l'avais pas vu arriver. Soudain, il est là,
en face de moi, lui, Alaïa. En tenuè
noire « mao », espadrilles chinoises,
comme sur les photos, avec le yorkshire
en moins. Accrochant mon plus beau
sourire sur mes lèvres je me présente et
lui demande: « Je peux vous voir?
Enfin auriez-vous quelques minutes à
m'accorder ». «Oui,. me répond-il,
mais seulement quelques minutes. Je
suis très occupé.» «Venez».
Je lui emboite le pas. Des escaliers
nous mènent dans une grande pièce où
s'entassent, à gauche des cartons et à
droite, des portants de vêtements. Dotée
d'un éclairage intérieur, une table en
verre dépoli trône au centre. A ses coins,
des ijlmpes style art déco. De l'ensemble se dégage une ambiance ivoire.
Nous nous asseyons. Silence. Je ne
sais pas trop quoi dire ni comment
démarrer la conversation. Et puis c'est.
parti.
43
difficiles
c'est une chance
D'abord la question stupide.
« Vous êtes vraiment Tunisien» ?
( Oui» (sourire franc et quelque peu
amusé).
Puis la question classique.
«Quelle a été votre formation
initiale ? »
- J'ai fait les Beaux Arts en Tunisie où un de mes professeurs a découvert mon don pour la couture et la
création de mode. J'ai commencé à faire
des surfilages pour des couturières, puis
des retouches. Mes premières clientes
sont arrivées. Et tout a commencé.
- Vous aviez trouvé votre vocation;
dès lors}plus rien ne vous a arrêté.
- Oui, je suis venu à Paris. Il faut
dire que j'ai toujours été aidé, protégé.
J'ai eu beaucoup de chance. Madame
Zerfuss _une Tunisienne mariée à un
Français - a beaucoup fait pour moi
à mes débuts. l'habitais dans des chambres de bonnes. C'est très important
d'habiter dans une chambre de bonnes
au début. .. C'est une chance de plus que
j'ai eu ...
- C'est une chance à vos yeux d'avoir
des débuts difficiles?
- Bien sûr. Ça permet de progresser
plus vite. D'en vouloir plus. J'ai commencé à faire du sur. mesure pour des
clientes. Et petit à petit ma clientèle s'est
agrandie. Des clientes venaient de tous
les pays. J'étais installé Rue de Belle
Chasse. Mes ateliers se trouvaient dans
mon appartement.
En 1980, j'ai décidé de me tourner
davantage vers le prêt-à-porter. J'ai préparé une petite collection avec peu
d'articles. La presse est venue, s'y est
intéressée. Tout leur a beaucoup plu.
J'étais lancé. J'ai ensuite organisé plusieurs petits défilés. Et tout récemment
un grand au Palladium de New York.
44
Il a été réalisé par Jean Paul Goude,
celui qui a « fait» « Graces Jones ».
Il a monté un opéra oriental avec des
chanteurs Palestiniens, la voix de Dunia
Yussin et un poème d'Oum Kelsoum dit
par Farida. Farida est Algérienne. Elle
est mannequin. Une femme magnifique.
- lious avez donc voulu donner un
"cachet local" à ce défilé. La beauté
arabe vous touche-t-elJe plus que les
autres?
- Je suis sensible à la beauté en
général, qu'elle soit française, arabe ou
autre. Je n'ai pas la fibre particulièrement nationaliste. En fait je suis
écœuré. Ecœuré par l'attitude des pays
arabes et de la Tunisie à mon égard. Je
ne comprends pas. Je ne sais pas ce que
je leur ai fait.
Un jour, un magazine arabe est venu
m'interviewer. J'avais alors bien précisé
à ses journalistes que si c'était pour
raconter des banalités sur mon compte,
ça ne m'intéressait pas. Ils ont publié
trois lignes où ils affirmaient que mes
vêtements étaient trop décolletés. Une
critique totalement absurde. Nous sommes à une époque où la femme doit se
sentir bien. Bien dans son corps. La
femme arabe a toujours été libre. Ma
grand-mère dans sa maison était une
femme libre. En fait, la femme ne se
voilait que pour faire sa prière. Et maintenant on veut la revoiler complètement
sous prétexte de religion.
Je suis musulman, sans être religieux.
Mais je ne veux pas jouer la comédie ...
On peut en parler de la mode au Proche Orient! Fioritures et falbalas, couleurs criardes et dorures! ... Si c'est ça
la mode pour eux, alors ils peuvent ne
pas apprécier ce que je fais. Maintenant,
ils reviennent me voir parce que j'ai eu
deux oscars. Comme si c'était ça, le plus
important. C'est trop facile!
temps n'a pas
d'importance quand on
aime ce qu'on fait.
- Si vous étiez resté en' Tunisie,
pensez-vous que vous seriez devenu ce
que vous êtes aujourd'hui?
Hochement négatif de la tête.
li faut venir à Paris. C'est à Paris que
tout se passe. C'est à Paris qu'on est
consacré.
- Je me souviens d'un styliste marocain installé ici, à Paris, dont l'attitude
à l'époque m'avait sidérée. Je l'avais
eontacté au cours de mes études de
stylisme pour lui demander de me recevoir en stage dans son atelier. Comme
('ondition préliminaire, il voulait
m'imposer de changer de nom (comme
lui-même l'avait changé) pour ne pas
paraÎtre «araIJe". De plus, je ne devais
jamais, au grand jamais, mentionner
qu'il était marocain. II disait que si eilrtains de ses clients l'apprenaient, ils ne
voudraient plus travailler avec lui. Pour
votre part avez-vous aussi ce type de
problème?
OUI
- Privilégiez-vous les tunisiens ou
les arabes qui voudraient travailler avec
vous?
Je ne veux pas me perdre dans ce type
de considération. C'est la valeur de
l'individu qui compte. La nationalité
n'intervient pas dans le travail. Pour
réussir, il faut travailler, beaucoup travailler.
- Combien faites-vous de coll!ctions par an ?
Deux collections. Chacune d'entre
elles comprend 180 à 200 pièces. Je fais
fabriquer le cuir chez Sonia Bay à Paris
et tout ce qui est chaîne et trame chez
Chamet.
- Non jamais. Je ne renie pas mes
origines. La naissance, à mes yeux, est
un accident. On peut naître n'importe
où. Je me sens bien dans le pays où je
suis mais je me reconnais toujours
comme tunisien.
- Travaillez·vous pour d'autres
marques ou bien uniquement pour
vous?
- Vous êtes le premier nom arabe à
avoir percé dans le domaine de la mode.
Vous occupez-vous de tout dans votre
travail ?
Je ne fais que du Alaïa. Je ne fais que
ce que j'aime indépendamment du reste
de la mode ou des tendances. Même si
ça ne marchait pas, ça ne me dérange-
rait pas outre mesure parce que je voue
une "éritable passion à mon métier. Je
m'y adonne entièrement. Quand je travaille, que ce soit le jour ou la nuit, je
ne sens pas le temps passer.
- Vous faites donc partie de cette
catégorie de gens pour qui le temps
s'arrête lorsqu'ils travaillent?
Oui, au fond, le temps n'a pas
d'importance quand on aime ce qu'on
fait. Aujourd'hui je suis amusé par le
changement d'attitude de certaines personnes à mon égard. Beaucoup viennent
ici maintenant par snobisme, parce que
j'ai eu deux oscars.
- Si vous aviez un conseil à donner
aux jeunes qui voudraient faire ce
métier, que leur diriez-vous?
De faire ce qu'ils ont envie de faire
mais avec beaucoup de rigueur. Ne pas
penser à la réussite. Travailler, acquérir le maximum d'expériences et apprendre à en tirer profit.
F.Z. EL BOUAB
45
Chaussez vous de multicouleurs !
La peinture ne se réduit pas aux toiles des «vrais» artistes..On peut en faire
un usage modeste sans viser au chef d'œuvre ou à l'expression profonde de soi.
Simplement, pour égayer le quotidien, saluer au passage les belles couleurs du
pays. Bricoler, un arc en ciel dans la tête, quoi de mieux pour embellir le moral?
Quand on a de l'imagination, on peut s'habiller de printemps, même si côté
money il fait plutôt froid. Alors, à vos pinceaux! Chaussez vous de multiOOUleurs !
Pour réaliser ces
modèles:
* Fournitures :
- 1 paire de chaussons de sport en
toile blanche (environ 40 DH).
- 1 paire de tennis blanches d'assez
bonne qualité (70 dirhams)
- Peinture pour tissus Setacolor de
Pebeo.
* Coloris employés
Pour les chaussons
13/bouton d'or Gaune)
2110range vif
27/vert lumière
16/tuFquoise (mélangé avec du blanc)
20/blanc
19/1aque noire
Pour les tennis
24/rouge cardinal
Il/bleu cobalt (mélangé avec un peu de blanc)
13/bouton d'or
19/1aque noire
20/blanc
Les couleurs peuvent aussi, selon
votre fantaisie, être modifiées, mélangées. Pour ce, faire d'abord un essai sur
un morceau de tissu blanc afin d'être sûr
du résultat.
Les motifs noirs peuvent aussi être
exécutés au feutre : feutre pour tissu
Setaskrib.
* Pinceaux employés :
Petit gris ou pébéo na 12 - na 8
Pinceau plat pébéo extra na 10
Mode d'emploi: Chaussons
Décalquer le motif et le reproduire au
crayon sur le chausson droit, ensuite
inverser le sens et reproduire sur le
chausson gauche.
Le triangle vert central doit avoir la
pointe (ou sommet du triangle) vers
l'extérieur de la chaussure.
Verser ensuite une petite dose de setacolor dans une palette ou un petit récipient. Si la peinture est trop épaisse, la
fluidifier avec un peu d'eau. Ne pas
mettre trop d'eau car la couleur risque
de se diffuser. Peigner ensuite les motifs
au pinceau comme vous le feriez avec
de la gouache, sans trop charger le
pinceau.
Mode d'emploi : Tennis
Sur ce modèle, le côté droit est légèrement différent du côté gauche. n faudra inverser sur la chaussure opposée :
le côté droit de la chaussure gauche
deviendra donc le côté gauche de la
chaussure droite et vice versa.
Pour les moins sûrs"faire au préalable un essai sur un morceau de toile
blanche, afin de s'exercer à doser la
peinture (procéder comme pour les
éhaussons).
Une fois le motif entièrement ter-
,~.I ~ ~
.1
miné, laisser sécher, puis thermofixer au
fer, à repasser. Pour le chausson, l'enfiler sur une petite planche à repasser
Geannette) en insistant bien, pendant 1
à 2 minutes.
Retirer les lacets et ouvrir bien la
chaussure pour repasser recto et verso.
n est aussi possible de fixer au four
de la cuisinière pendant 10 minutes à
100 0 C ou 5 Minutes à 140 0 C (four
éteint).
Mais dans ce cas précis je ne réponds
pas complètement de la résistance du
plastique des semelles.
Si le motif de la paire de chaussons
a été conçu plus particulièrement pour
les femmes, celui des tennis peut satisfaire indifféremment les hommes et les
femmes.
Pour ceux qui les trouveraient un peu
«voyantes», il suffit de changer les couleurs et remplacer, par exemple, le jaune
par du vert émeraude (26), le turquoise
par du terre sienne (25) et le rouge cardinal par du rouge d'orient (23). Ou
encore de les faire simplement bicolores : noire et rouge ou bleu cobalt et
noir.
Et maintenant, à vos pinceaux !
F.Z. EL BOUAB
47
PANIER
A
IDEES
Pomme de terre : gloire à
la reine des humbles
Posséder à la fois l'amour des
jeunes (des moins jeunes aussi,
avouons-le) et l'estime des ména.
gères n'est pas à la portée de
tous les légumes.
La modeste petite pomme de
terre longtemps méprisée par les
orgueilleux a bien su s'y prendre.
Normal. Au-delà des frites, question dépannage, elle est rudement sympa. On peut compter
sur elle. Deux cents recettes
répertoriées dans un ouvrage
récemment paru aux Editions
Robert Laffont, {( Merci M. Parmentier », de M. JoUy en témoignent. Nous y avons puisé pour
vous quelques {( trucs» bons à
connaître.
CUISINE
Tableau crasseux
Si votre mayonnaise tourne,
délayez à part une cuillerée de fécule
de pomme de terre (toujour~ dans de
l'eau froide pour ne pas aVOIr de grumeaux), puis ilicorporez-Ia à votre
mayonnaise ratée. Vous n'aurez pas
ainsi à la recommencer.
S'il est peint à l'huile, frottez doucement la toile avec une patate épluchée et coupée en deux. Enlevez
ensuite les traces d'amidon avec un
chiffon.
Si vous désirez que vos beignets
et vos gâteaux soient plus légers,
remplacez la moitié de la farine par
de la fécule. Votre estomac ne s en
portera que mieux.
Pour les faire briller, nettoyez-les
avec une pomme de terre coupée en
deux. Ils retrouveront leur plus bel
éclat.
Pour que votre crème anglaise soit
plus onctueuse et votre potage plus
velouté, rajoutez-leur deux bonnes
cuillerées à café de fécule.
Pour que vos pâtisseries ne collent
pas à la plaque du four, saup~>udrez­
la, après l'avoir graissée, de fecule de
pomme de terre. Celle-ci remplace
efficacement la farine.
Si vos casseroles sont entartrées,
faites-y bouillir des épluchures de
pommes de terre. Le calcaire disparaîtra.
Cheminée
Pour ramoner une cheminée
(quand on en possède une !) faire
sécher les épluchures de pommes de
terre et les jeter dans le feu.
Engelures, gerçures
Préparez un cataplasme de pommes de terre crues râpées mélangées
avec de l'huile d'olive.
48
Verres en cristal
Yeux fatigués
Imbibez deux compresses de jus
de patates et appliquez-les sur vos
yeux. Vous pouvez aussi recourir
directement à deux moitiés de
patates.
Quant à elles...
Pour que vos pommes de terre ne
noircissent plus en cuisant, ajoutez
une cuillère à soupe de vinaigre à leur
eau de cuisson. Vous aurez une blancheur assurée.
Pour qu'elles cuisent plus vite,
n'hésitez pas à les percer dans le
sens de la longueur à l'aide d'une
aiguille à tricoter.
Si vous en avez fait provision pour
l'hiver, prenez la précaution de les
saupoudrer de charbon de bois pilé :
elles ne germeront pas.
«DADAS»
Histoires de vie
De la Guinée
au Maroc
Une à une, les dernières d'entre elles s'éteignent doucement.
Dada el Yacouth, Mbarka, Messouda se muent peu à peu en souvenir. Le souvenir d'ombres noires rassurantes. Avec elles disparaissent les ultimes témoins d'une abomination que notre société,
à l'image de tant d'autres, n'a pas eu la sagesse de s'épargner:
l'esclavage.
Les «Dada» sont des familières de la nuit. Toute leur vie s'est
déroulée sous son signe. Mais aujourd'hui, c'est dans une nuit éternelle qu'elles s'enfoncent. Donner à l'esclavàge un visage, une
matérialité de chair et de sang en rend l'horreur plus palpable.
Nous avons été à la recherche de ces femmes pour qu'elles nous
racontent. .. Mais nous sommes souvent arrivés trop tard : la mort
ou la vieillesse les avaient déjà emmurées dans le silence. Nous
avons alors interrogé leurs proches, ceux qui avaient grandi à
l'écoute de leurs récits. Si les livres restent muets sur ce passé encore
chaud, les mémoires par contre en Sont remplies. Il suffit d'y puiser. Ce que nous avons fait.
Hinde TAARJI
Sur la question de l'esclavage, la loi
musulmane est très claire : il est interdit d'y réduire un musulman. Seuls les
incroyants faits prisonniers dans le
cadre de la guerre sainte, pouvaient
connaitre ce sort. Le principe même de
l'esclavage serait en quelque sorte légitimé par le devoir de tout musulman de
participer à la propagation de l'Islam.
Un esclave qui se convertissait à
l'Islam au cours de sa captivité n'en était
pas pour autant affranchi. Aussi, entre
l'esclavage légitime et l'esclavage illégitime, la distinction demeurait très difficile à établir. " suffisait aux traficants de
qualifier de «jihad» les raids qu'ils effec·
tuaient pour pratiquer leur commerce au
grand jour et dans la plus parfaite légalité. Leurs victimes étaient généralement
très jeunes et de sexe féminin: Transbahutées de leur environnement naturel vers des pays étrdngers dont elles
ignoraient tout, elles n'étaient guère en
mesure d'opposer la moindre
résistance.
Pour le trafic d'esclaves, le Maroc
constituait le point d'aboutissement
d'une ligne qui démarrait en Afrique
occidentale et traversait une grande partie du Sahara. Les nomades par conséquent jouaient un grand rôle dans ce
commerce. C'était eux qui kidnappaient
les enfants et les ramenaient de pays
comme la Guinée ou le Congo.
«Gnawa» vient d'ailleurs de «Guinée».
Les danseurs noirs de la place Jamma
El Fna descendraient de ces esclaves là.
Mais les marchands de chair fraiche
ne boudaient pas, loin delà, l'approvisionnement local. Les rapts d'enfants
étaient chose fréquente sur l'ensemble
du territoire et particulièrement dans la
région du Souss. Durant les périodes de
grande misère, on a vu des parents contraints de vendre un de leurs enfants
pour donner quelque chose à manger
aux autres.
•
•
•
49
Beaucoup de personnes associant
l'esclavage à la couleur de la peau, les
petits noirs étaient plus prisés que les
petits blancs. Ceux-là n'en étaient pas
pour autant à l'abri des enlèvements.
D'après certains témoignages, on les
badigeonnait parfois d'un produit foncé
pour les faire passer pour des noirs au
moment de la vente.
Les esclaves de «premier choix» restaient toutefois ceux qui portaient des
scarifications sur la figure. Ces signes,
propres à une tribu d'Afrique noire,
étaient la preuve que l'esclave venait de
très loin. Que ce n'était donc pas un
enfant du pays, donc musulman, qui
avait été volé. Une manière comme une
autre pour l'acquéreur d'éviter les problèmes de conscience.-Tant qu'il s'agissait de personnes venues de contrées
lointaines, on pouvait toujours les classer dans la catégorie des idolâtres.
Pour écouler cette «marchandise»
humaine, les marchands avaient deux
possibilités: soit la vente directe à l'intéressé, soit l'alternative du marché. Les
deux plus célèbres se trouvaient à Marrakech, Souk el Ghzal et à Fès, Dar
edlala. La vente aux enchères permettait de faire monter le prix du pauvre
malheureux qui en faisait l'objet. Traité
comme du bétail, il subissait un examen
féroce. Yeux, dents, oreilles, tout était
soumis à inspection. Pour les femmes,
une «errifa» avait pour charge de vérifier si elles n'étaient pas atteintes de
syphylis. Dar edlala et Souk el ghzal ont
cessé d'exister dans les années 20 - 30.
La vente des esclaves a continué sur le
mode direct pendant quelque temps
encore avant de s'éteindre complétement.
Esclaves blanches
et esclaves noires
Les maîtresses de maison craignaient
les esclaves dont la peau était blanche.
Elle les considéraient comme des personnes dangereuses car leur mari risquait de succomber à leur charme.
Mais, en vérité, les hommes étaient
beaucoup plus attirés par les noires que
par les blanches.
La femme n'a jamais le sentiment que
son mari va la tromper avec une noire.
Elle est mise devant le fait accompli une
fois que celle-ci tombe enceinte. Elle
n'avait à ce moment.là plus rien à dire.
De toutes les manières, elle ne pouvait
50
jamais rien dire.. Sinon elle se faisait
c.... la gu ....
Quand l'esclave tombait enceinte,
l'homme l'épousait parfois. Son statut
changeait mais il restait toujours inférieur à celui de l'épouse blanche.
Une des raisons aussi pour laquelle
les femmes n'appréciaient guère les
esclaves blanches venait du fait que
celles-ci acceptaient beaucoup plus difficilement de leur obéir. Je ne sais pas
pourquoi mais les noires étaient, en
règle générale, plus dociles.
KHADIJA - 60 ans
Les «Aouwaydates»
Chez les caïds de l'époque qui
menaient un grand train de vie, les
esclaves qui avaient gagné les faveurs
du maître accédaient à un s~atut particulier. Elles devenaient des «Aouwaydates».
Les «Aouwaydates» étaient des concubines (jariyates) à qui un enseignement du luth était dispensé. Comme
elles étaient nombreuses, elles formaient un orchestre. Leur tâche consistait à égayer les repas du maître. Elles
étaient également présentes lors des
réceptions qu'il donnait et elles en assumaient l'animation. Alors que les femmes «légitimes» étaient soustraites au
regard des étrangers, celles-ci, parce
qu'elles étaient des esclaves, y étaient
plus facilement exposées. Richement
vêtues et parées de bijoux (il fallait faire
honneur au maître à côté des autres),
elles demeuraient cependant dans une
petite salle à part d'où elles jouaier:lt
leurs morceaux de musique.
FATEMA, 55 ans
Les marchands
cl' épices
Pour montrer qu'ils avaient de
l'argent, les gens riches de l'époque
devaient posséder beaucoup d'esclaves. Aussi chargeaient-ils des intermédiaires de leur en ramener. Ces
transactions se déroulaient de la même
manière qu'une vente de moutons, de
vaches, de bétail quoi !
Les intermédiaires étaient généralement des marchands d'épices qui voyageaient à travers le pays pour ramasser
des plantes et vendre des épices.
Quand,en chemin, ils rencontraient des
petits enfants, ils essayaient de les enlever. Arrivé dans un village, le marchand
circule entre les maisons en criant : voilà
du poivre, voilà du cumin etc. Parallèlement à celà, il observe les enfants qui
l'entourent. Il vise les plus jeunes et
s'arrange pour les entrainer à l'abri des
regards par mille et une astuces. Une
fois seul avec eux, il les plonge dans de
grands sacs en toile de jute qu'il jette
sur sa mule et s'enfuit. Ces sacs, appelés «taliss», étaient cousus de telle
manière que les petits prisonniers pouvaient tout juste respirer.
Les familles, face à cette situation,
étaient complètement démunies. Il n'y
avait ni voiture, ni téléphone, aucune
des facilités de communication
d'aujourd'hui. Quand un enfant disparaissait, il y avait très peu de chances
de le retrouver.
Les parents se mettaient à sa recherche pendant quelques jours, puis se
résignaient en comprenant qu'il avait
été soit enlevé, soit dévoré par des
bêtes sauvages.
Les villages se trouvant parfois aux
abords de forêts, il fallait aussi tenir
compte de cette éventualité.
Les enfants blancs étaient enlevés au
même titre que les enfants noirs. Mais
on ne les qualifiait pas de ibid : on les
appelait «oulad el kbail».
MOHAMED, 65 ans
Fille d'esclaves
Aux enfants, le même sort qu'aux parents: nés d'esclaves,
ils' seront esclaves et leur vie n'appartiendra qu'à leurs maîtres
Des «rahallas» avaient enlevé mon
père de son village d'origine qui se trouvait en Afrique Noire et l'avaient ramené
avec eux au Maroc. Arrivés à Ksar
Souk, ils firent savoir à la ronde qu'ils
étaient en possession d'un petit «ibid».
Son futur maître eut écho de l'information. Il l'acheta. Aux dires des gens,
mon père devait être âgé de 10 ans. Il
grandit donc sous ce nouveau statut.
Un jour, lors d'un mariage, il entendit
un you-you de femme. Subjugué, il
décida sur le champ d'épouser celle qui
l'avait lancé. C'était ma mère.
Contrairement à lui, elle était une
femme libre, une bent el kbila. Elle
accepta cependant de l'épouser, mais
à une seule condition: de ne pas aller
vivre sous le toit de ses maîtres. li la
rejoignait donc le soir à son domicile,
ramenant avec lui, à défaut d'argent
puisqu'il n'était pas payé, de la nourriture et des vêtements. Ma mère, pour
sa part, filait la laine et tissait des habits.
Un jour, mon père se disputa avec ses
maîtres. Il décida de les quitter et de
partir de la ville. Ma mère refusa de le
suivre. Je venais de naître. Elle resta
seule à assumer ma charge.
Au bout d'une dizaine d'années, les
anciens maîtres de mon père se rappelèrent de mon existence. Ils cherchèrent
alors â me récupérer vu que j'étais la fille
d'un de leur esclave.
Il vinrent chez ma mère et lui dirent:
«donne-nous ta fille. Elle
est à nous. Nous l'élèverons avec les autres
«ibids» et quand elle aura
grandi, nous la marierons
à l'un d'entre eux».
Ma mère refusa tout net. Puisqu'ils
ne s'étaient pas préoccupés de moi pendant toutes ces années, ils avaient
perdu à ses yeux tous leurs droits sur
ma personne.
Le Cheikh de la ville fut contacté. Il
intervint auprès d'elle en lui demandant
d'accepter un arrangement à l'amiable.
Comme c'était un chérif et que son
autorité morale était grande, elle se soumit à sa volonté.
Un matin, sans rien me dire du but
de sa visite, elle m'emmena chez eux.
Je n'en compris le sens qu'une fois arrivée là-bas. Je me mis alors à pleurer en
me serrant contre elle. Ils essayèrent de
me çalmer en me disant: «écoute ma·
fille, nous ne te voulons aucun mal.
Comme ton père, ta place est parmi
nous. Tu verras, tu seras bien ici.» En
entendant ces paroles, je me suis
redressée en criant: «rien, je ne veux
rien savoir de toutes vos histoires, Je ne
connais personne, ni père, ni maître, ni
cheikh. Je ne connais que ma mère.»
Et je me suis enfuie.
ZOHRA, 55 ans
51
rugueuse et sombre. Concentrées sur
les brindilles qu'elles s'évertuaient à
enflammer, les fillettes n'avaient rien vu
venir. Quand elles sentirent une masse
s'abattre sur elles et les envelopper, il
était trop tard. Trop tard pourfuir. Trop
tard pour se débattre. Des mains
s'étaient emparées d'elles. Le temps de
réaliser ce qui leur arrivait, elles gisaient
au fond d'un grand sac en toile. Jetées
comme de vulgaires paquets. En
l'espace de quelques minutes, elles
avaient cessé d'être des personnes pour
devenir des choses. Des marchandises
de chair et de sang dont la jouissance
sera désormais fonction de monnaies
trébuchantes.
Un voyage au goût de
larmes
Badr Es S'oud
(une petîte fille venue d'1~
al eu'r ~
C'
1Ù
De ce jour-là, Badr Essoud
avait gardé un souvenir sur
lequel les années n'eurent
aucune prise. Avec'I'âge, bien
des faits s'effacèrent de sa
mémoire. Mais celui-ci y
demeura ancré à jamais.
C'était une matinée comme tant
d'autres. Chaude et sereine. A son habitude, Sadr, du haut de ses sept ans,
prenait plaisir à taquiner sa petite sœur,
de deux ans sa cadette. Leur mère terminait de laver son linge. Après l'avoir
52
étendu sur,les pierres brûlantes qui bordaient la rivière, elle remonta vers la
hu~e pour préparer le r~pas de midi. Elle
revint cependant rapidement sur ses
pas, le riz nécessitant d'être passé à
l'eau claire avant d'être cuit. En chemin,
elle demanda aux fillettes d'allumer le
feu. A so~ retour, I~s .bra.ises étaient
rouges mal~ la c~se etait Vide. Sadr ~t
sa s~ur a~alent dlsp~rues. Elle ne devait
plus Jamais les revOir.
Sur leur enfance insouciante et heureuse, un grand voile était brusquement
tombé. Ou plus exactement une étoffe
Du voyage qui suivit, Sadr ne se rappela que /e goût des larmes qu'elle versait. Ses yeux, racontait-elle,
semblaient ne plus jamais vouloir se
tarir. Un matin, le ballotement sans fin
qui rythmait son désespoir s'arrêta. Au
silence des profondeurs désertiques
succédèrent les trépignements d'une
foule glapissante. Elle se retrouva livrée
à une marée humaine dont le flot de
paroles folles acheva de la rejeter sur les
rives de l'aberrance. Aux sons étrangers
qui résonnaient à ses oreilles s'associaient des gestes brutaux et frénétiques. Palpée, tripotée, exhibée, elle
n'était plus qu'une masse animée de
souffle. Hébétée, elle se laissa faire
jusqu'au moment où on chercha à la
séparer de sa sœur. Comprenant que sa
dernière a~ac~e allait aussi lui être enlevée, elle reaglt de concert avec l'autre
petite.
Leur vacarme fut tel que
l'acquéreur de Badr put en
échange d'un lég r
' l'• e sup~ e
ment, ramener a son maltre
deux petites têtes d'ébène au
lieu d'une.
Quand elles atteignirent la demeure
de leur nouveau propriétaire, un grand
caïd de la région, leurs corps étaient
extrêmement faibles. Depuis l'enlèvement, elles n'avaient pratiquement rien
mangé. Au chagrin et à la peur, l'étrangeté des mets qu'on leur servait était
venue s'ajouter. Aussi se contentaientelles de boire en laissant ainsi à leur
peine le soin de consummer leurs dernières forces. Badr se souvenait encore
avec acuité du désarroi dans lequel leur
état plongea les membres de la maison.
Ces deux gamines en pleurs qui se laissaient mourir de faim posaient de
sérieux problèmes à l'entourage du
caïd. Quelqu'un proposa de leur donner
du riz.
Le résultat fut immédiat; les quatres
petites menottes s'y plongèrent sur le
champ. Grâce à ce plat, riche en images
de leur univers à jamais perdu, les fillettes d'Afrique renaquirent à la vie. A
une nouvelle vie.
administration étrangère parvint-elle à
Badr et ses compagnes. La rumeur
disait également que le pouvoir du caïd
s'en trouvait réduit et que la situation
des esclaves allait s'améliorer. Sur la
base de ces nouvelles, les anciennes
«jariates» décidèrent, un beau matÎn, de
prendre la fuite, leur objectif étant de se
rendre chez les autorités françaises pour
dénoncer les mauvais traitements qui
leur étaient infligés.
Elle attendirent, pour mettre leur plan
à exécution, le moment le plus propice.
Celui-ci arriva avec le départ de leurs
maîtresses pour des festivités en dehors
du village. Elles passèrent aussitôt à
l'action.
Les torchons, les
bijoux, puis l'oubli
Pendant que les unes creusaient, les autres couvraient
leurs bruits en jouant du tambourin.
Elle grandirent. Au bout d'un certain
temps, le cadette reprit le chemin de
Souk el Ghzal. Badr resta cette fois-ci
vraiment seule. Fine et élancée, Badr
était jolie fille. Aussi, dès que son corps
se fut dégagé des rondeurs de
l'enfance, elle paya le tribut de sa
beauté en devenant une des «jariyas»
du caïd. Elle donna à son tour le jour à
une petite fille. Son statut se transforma
rapidement.
Comme par un coup de baguette
magique, torchons et casseroles se
métamorphosèrent en bijoux et fanfreluches. On lui enseigna à jouer du luth
et elle anima avec les autres favorites les
repas et les fêtes du caïd. Elle était devenue une «aouwayda». C'était la période
rose.
Mais ce qui devait arriver arriva:
Le maître se lassa au bout
d'un certain temps de la courbure de ses reins, elle alla à
son tour grossir le lot des
esclaves prisées puis rejettées
dans l'oubli.
Le Maroc, entre temps,. vivait des
heures très graves. Avec le régime du
protectorat l'ère de la colonisation commençait. Malgré leur épaisseur, les murs
de la Kasbah laissaient filtrer l'information en provenance de l'extérieur. Aussi
la nouvelle de la mise en place d'une
Le soir, elles dissimulaient le fruit de
leur travail sous des rideaux. Quand le
trou fût assez grand pour les laisser passer, elles cassèrent tout ce qui pouvait
leur tomber sous la main et s'enfuirent.
Après maintes péripéties, elles arrivèrent à Marrakech où elles se firènt indi-
quer le bureau de l'officier francais. Elles
purent enfin donner libre cours à leur
rancœur.
L'officier fit appeler le caïd. Ille mit
au courant des doléances de ses esclaves, puis lui demanda de s'engager à
mieux les traiter à l'avenir. Après avoir
enregistré le nom de toutes les personnes présentes, il leur promit de s'enquérir régulièrement de leur bonne santé.
A l'issue de cet entretien, maître et
esclaves s'en retournèrent ensemble
d'où ils étaient venus.
Avec le temps, les portes de la Kasbah s'entrouvrirent de plus en plus et
celles qui voulurent tenter leur chance
ailleurs s'en allèrent.
Sadr demeura dans cette maison
jusqu'au jour où sa seule attache, sa
petite fille, mourut. Elle décida alors de
plonger à son tour dans l'inconnu.
P.S.
Badr Es S'ouds' est éteinte il y
a une quinzaine d'années. Nous
avons recueilli son histoire
auprès
de
ses derniers
employeurs. Ou plutôt de sa dernière famille.
Saadia
•
•
Une rencontre avec le silence
L'esclavage a été aboli,
mais pour elle, rien n'a changé.
Ou plutôt si : en pire
.Un coup de klaxon neNeux.
Au volant de sa voiture,
l'homme s'impatiente. Il est
jeune, élégant. Saâdia comprend l'appel. Elle descend
péniblement les quatres étages. Entre temps, H... a stationné, puis ouvert le coffre.
Saâdia arrive enfin. Elle se
penche et soulève le couffin
chargé des victuailles de la
semaine. Il est lourd, fort
lourd pour des membres usés.
Mais Madame attend. De son
côté, quatre à quatre,
l'homme enjambe les escaliers, les journaux sous le
bras.
La rencontre avec Saâdia se résume
à une rencontre avec le silence. Elle ne
parle pas, ou presque pas. Ses traits
sont animés en permanence d'une
expression apeurée et son regard évoque celui d'un oiseau pris au piège.
Répondant par onomatopées, elle a du
mal à s'exprimer, à formuler correctement une phrase, à développer une
idée. Soixante-dix ans d'esclavage, ça
marque! Avec l'âge, ses souvenirs se
sont dilués et les images qui lui restent
vagabondent sur une trame de brou iI54
lard. De son enlèvement, elle dit,
aujourd'hui encore, se rappeler. Sa
notion du temps cependant est un
poème pour surréaliste. «J'avais un an.
Je jouais dans la rue avec d'autres
enfants. Un homme m'a demandé de le
suivre. Je l'ai suivi et je me suis retrouvée dans une grande maison pleine de
monde.»
Saâdia ne devait plus ressortir de
cette maison avant de nombreuses
années. A la mort de son premier pro-.
priétaire, elle fut «héritée» au même titre
que les autres biens.
Du coup, elle changea de ville et de
maître. Le fils à la place du père, Fès à
la place de Marrakech. Une nouvelle
tranche de sa vie s'écoula. Puis vint le
jour où il fallut enterrer «Sidi Junior».
Rechangement de décor, Casablanca
remplaça Fès, de vagues cousins du
défunt ayant profité de l'aubaine que
représente une vieille «dada» en manque de proprio.
Les maîtres de la troisième édition
sont jeunes. Un homme et une femme
qui ont certainement dû s'indigner en
cours d'histoire de l'existence de l'esclavage. Un couple «moderne» mais qui
trouve normal de faire travailler une
dame âgée pour pas un centime. Car
Saâdia, aujourd'hui encore, n'est pas
rémunérée. Elle n'a rien. Elle n'est rien
en fait, pour personne. Elle ne bénéfi-
cie même plus pour sa vieillesse du
réconfort de vieux murs. En déchiffrant
ses bribes de phrases, on comprend
«qu'avant, c'était différent,» Le statut
d'esclave n'était pas vecteur uniquement de devoirs. " impliquait aussi des
obligations de la part du maître. Saâdia
avait le sentiment de représenter «quelque chose». Elle faisait, d'une certaine
manière, partie de la famille et son
rythme, dans ce sens, était respecté.
Aujourd'hui, au seuil du quatrième âge,
elle se retrouve chez des individus qui
ne voient en elle que la bête de somme
dont il faut exploiter les dernières
forces.
A la question «pourquoi restez-vous
chez eux,» elle a une réponse qui vous
coupe le souffle.
«J'ai peur, dit-elle, qu'ils ne
me poursuivent». L'esclavage a
été aboli mais, dans son esprit, il vit toujours. Mais à y réfléchir, de sa liberté,
que pourrait-elle bien faire aujourd'hui?
Entre sa situation actuelle et la rue, avec
la misère en prime, elle n'a guère le
choix. Elle est vieille, pauvre et seule.
Seule au monde. Pas d'attaches, pas de
famille. «Un jour, raconte-t-elle
quelqu'un m'apprit que ma mère était
morte, peu de temps après mon enlèvement, du chagrin de m'avoir perdue.
C'est tout ce que je sais d'eux». C'est
aussi tout ce qu'elle possède.
------Celle
quiregardait
toujours en bas
R_rd
Abd~laziz
baissé.
Paupières closes.
Comme si l'univers tout entier était à
ses pieds.
A vec ses cieux et ses horizons. Piedestal pour un regard prisonnier d'un
échevau de sortilèges.
D'où ce visage toujours emmuré dans
l'absence et qu'on aurait souhaité prendre par le menton et d'un geste arracher
comme on le ferait d'un masque. Pour
savourer la vision d'un rayon de lumière.
Mais non ! Elle était une reine dans
ce royaume. Libre d'aller et de venir à
sa guise. Dans un monde où personne
ne venait la déranger lorsqu'à force de
contemplation elle faisait corps avec les
carreaux disjoints de la cour. Impossible de la tirer de son sommeil. Certes,
quelquefois, on plantait autour d'elle le
décor d'un rêve plus rassurant. On
l'invitait à y entrer, lui faisant remarquer
qu'au-dessus de sa tête, il y avait un ciel
où le soleil, la lune, les étoiles, l'azur,
le gris... On abandonnait bien vite.
Elfe n'était pas perméable à cette géographie. ElJe le disait avec une voix ni
dédaigneuse ni ironique. Avec sa politesse habituelle. Puis riait, affermissait
le nœud du foulard qui couvrait ses cheveux blancs et continuait à coudre ou
à broder. Point par point. Pavé par
pavé. Jour après jour. Les yeux fermés
sur un monde, ouverts sur un autre. Ce
vaste territoire de la solitude qui s'était
formé
au
lendemain
de
/a
déchirure tout comme un volcan se
forme lorsque la terre a mal dans ses
entrailles. Mais aussi, comme elle ne
détachait jamais les yeux du sol, eJJe
avait une démarche gracieuse... Un
pied devant, un pied derrière, les bras
droits. Cela lui valait bien des compliments et elJe aimait les compliments.
Elle détestait les femmes qui avaient
f'air de danser en marchant.
EJJe souriait d'un plaisir vrai et pen-
dant un bref instant on avait J'illusion de
croiser son regard. Alors que/que chose
explosait dans ce visage. d'enfant
mangé par les cheveux blancs.
Quelque chose comme un océan
fu~ieux. Mais très vite la tempête cess81t, le masque s'empressant de neutraliser toute expression. Le masque de
l'absence.
Les paupières lestées de plomb se
refermaient, claquaient sur ce royaume
des portes inviolables.
Mais non, mais non, s'excusait-elle
avant de répandre ses politesses à vos
pieds tel un champ fleuri.
Et vous comment ca va et madame
et les chers enfants.:.
fi n'y avait qu'à se baisser pour cueillir le plus joli bouquet de gentiJJesses
qu'il fut possible d'entendre.
On était content d'elle. Toute esclave
qu'eJJe était, disait-on, cette femme
avait de l'éducation. ElJe faisait partie de
la famille, mangeait à la même table.
Aussi, .on ne comprenait pas ce
regard en berne, dressé comme un obélisque en hommage au refus.
Non, s'excusait-eJJe encore, c'est la
lumière du jour ! Et elle levait le bras audessus de la tête, l'index pointé vers le
ciel.
La lumlëre du jour ! Elle se frottait les
yeux pour en fournir une preuve visuelle
puis se faisait toute petite comme si ce
néant ouvrait soudain à ses pieds toutes les portes de ses abÎmes.
Elle se taisait. Reprenait son exploration inlassable. D'une dalle à l'autre.
Voilà ce qui arrive parfois lorsque tout
d'un coup la mémoire s'emballe comme
un cheval fou et se met à fixer. Une parcelle de temps. Une parcelle d'espace.
A vec cet art de la démesure dont seule
capable une mémoire malade qui a
faIt le vœu de construire un souvenir
gros comme une tumeur. Le souvenir
d'une image humide et noire.
es!
MANSOURI.
Qu'était-ee déjà, un puits? Peut-être.
Elle même ne s'en souvenait plus très
bien. Mais des lambeaux de cette image
humide et noire collaient encore à ses
vêtements, à sa peau et ni l'eau ni le
savon ne pouvaient les enlever.
De cette sorte d'images qui font que
les pupilles se dilatent jusqu'au grand
angulaire de la démence lorsque /'obscurité se drape dans les plis et les replis
d'une flanelJe épaisse. ElJe ne voyait rien
mais visualisait jusqu'à le palper ce cri
qui lui sortait de la bouche sans effort
et enfermait la ténèbre dans une camisole ae lumière crue, et qui montait
devenant de plus en plus fort et pur
pour finalement former un arc-en-ciel
où vibrent toutes les couleurs de l'espoir
consumé.
Alors, elle se tût. L'étalon sauvage
pouvait être monté. Adieu ruisseau)r.
plaines et vallées. Et c'est le moment
que son maÎtre choisit pour lui lancer
une corde, sûr qu'elle ne mordrait plus.
Elle ne mordit pas. Elle était assise paisiblement au fond de son image
gluante. Quelque chose en elle était
mort, autre chose d'indéfinissable était
né. Elle n'aurait su dire quoi.
Un autre puits peut-être. Qui avait
englouti mère, père, frères et sœurs.
Englouti, le village natal où elle a~ait
vécu de clous de girofle et de chants
d'oiseaux jusqu'au jour où petite fille
encore, des voleurs d'enfants l'avaient
mise dans un sac, coupant à jamais le
coraon ombilical qui empêche le ciel el
la terre d'entrer en collision.
Seul un regard qui avait découvert un
univers magique à ses pieds et le scrutait pas à pas.
Ce qui devait lui donner cette démarche si gracieuse et qu'elle sut garder
jusqu'à la fin.
55
,----La femme dans
----.
le regard
des peintres
orientalistes
Lvnne Thornton, spécialiste
de la peinture orientaliste du
19ème siècle, a participé à la
rédaction de nombreux catalogues et nous propose
aujourd'hui le troisième
volume d'une série de quatre
tomes, consacré, celui-ci, à la
femme dans la peinture orientaliste.
Le thème est décomposé en
plusieurs volets (attrait de
l'Orient, douceur de vivre,
fêtes et cérémonies, séduc·
tion, scènes de la vie quotidienne, tragédie et portraits).
Le texte d'accompagnement
ne fait jamais double emploi
avec l'illustration, mais donne
une information sérieuse sur la
réalité que l'imaginaire des
peintres a, sinon occultée, du
moins déformée (hammam,
harem, essentiellement)
Est d'abord analysée la
séduction que l'Orient (Turquie, Egypte, Damas, Afrique
du Nord) exerce sur l'Européen. Madame Thornton
remonte à la traduction des
« Mille et une nuits» de Mardus et mentionne la mode
orientale sur le continent, et
particulièrement en France, au
début du vingtième siècle,
(Poiret et ses fêtes, les ballets
de Diaghilev).
Les lieux où sont, de préférence, peintes les femmes sont
les appartements mais aussi
les terrasses. Un petit nombre
de peintres, dont Chasseriau,
va représenter des scènes de
maternité ou des scènes familiales.
En effet, pour l'Européen, la
femme arabe est essentiellement lascive et fatale. « Impérieuse présence charnelle »,
elle se distrait avec les cartes
ou l'astrologie, fume le narghilé ou se perd dans un silence
contemplatif. Si Ingres se
laisse aller à une vision érotique, Chasseriau offre, en
revanche, une représentation
plus proche de la réalité.
Renoir, Simoni ont plaisir à
peindre les mariages, Dinet,
les visites au cimetière. Renoir
peindra magnifiquement l'Aïd
El Kebir. Dufy sera l'un des
rares peintres à représenter la
légendaire hospitalité arabe
(<<Réception du Glaoui», 1926).
Nombreuses sont les scènes
de caravanes de chameaux,
égyptiennes surtout, ou celles
des déplacements de tribus
campant dans les sites grandioses du Hoggar ou du Sinaï.
Beaucoup de tableaux suggèrent les occupations des
femmes: préparation
du
couscous, lessive...
L'Europe était persuadée
que la condition de la femme
arabe était pitoyable. Aussi les
tableaux représentent-ils les
captures d'esclaves, les intrigues de sérail (Delacroix).
Corot, Vernet ont été particu-
Iièrement sensibles à la misère
de la femme répudiée.
Grâce à un texte riche, faisant appel aux témoignages
d'époque, aux mémoires, à la
littérature, nous pouvons, chaque fois, comparer ce qui fut
avec ce qui a été représenté.
En outre, on constate la
forte originalité de la peinture
d'Afrique du Nord : les portraits féminins sont enfin
expurgés des références
bibliques.
Certes, les femmes marocaines ne furent pas faciles à
peindre car le Maroc, durant le
protectorat, se protégeait fièrement contre les regards
étrangers. Seule Tanger, ville
cosmopolite, fut en mesure
d'accueillir des peintres et pas
des moindres : Delacroix ou
Matisse.
Il est commun de dire que
les peintres n'ont pas eu de
regard objectif sur un Orient
qu'ils ont le plus souvent imaginé, malgré les informations
dont ils pouvaient disposer.
Cela n'enlève ni n'ajoute rien
au plaisir de la contemplation
qui est ici immense.
Marie-France Jamal Alaoui
Lynne Thornton - « La femme
dans la peinture orientaliste»
ACR (1985)
ROGER BEZOMBES La Mariée Marocaine
57
Khadija ABDERRAHMAN
Rveillée depuis un long moment
déjà. Lalla Keltoum réfléchissait, un
petit sourire aux lèvres. A ses côtés,
Lhaj dormait encore, laissant échapper
parfois un ronflement sonore. Miagacée, mi-attendrie, elle tira doucement l'oreiller. Le ronflement s'arrêta
mais elle savait bien Qu'il reprendrait
bientôt. /1 ronflait ! Elle se souvint de
son mariage, (trente cinq ans déjà), lorsque sa mère lui avait appris qu'on la
« donnerait» à leur richissime voisin
(quelle n'avait, bien sûr, jamais vu), elle
s'était simplement dit: pourvu qu'il ne
ronfle pas. Et il ronflait ! Et depuis trente
ans, elle déployait toutes les nuits, une
série d'astuces pour faire cesser ce
bruit, tantôt ronronnant, tantôt rugis-
58
sant qui gênait son sommeil. Elle avait
fini par s'habituer à ce ronflement et à
ce petit bonhomme replêt et chauve
qu'on lui avait donné pour époux.
Femme de devoir, elle avait tout fait
pour l'aimer ou le lui faire croire tout en
prenant insensiblement un énorme
pouvoir.
Bon-vivant, enclin à la plaisanterie
facile, aimant la bonne chère et la vie
tranquille, Lhaj avait une sainte terreur
de sa femme. Depuis ce drôle de regard
qu'elle lui avait jeté ,du haut de sa petite
taille, le soir de leurs noces. Il avait été
surpris de la beauté de sa jeune femme
(tout juste quinze ans), mais plus encore
par ce regard bref, lancé comme un
défi, œil noir et sourcil arqué, comme
pour dire« je n'ai pas peur de toi ». Ce
fut très bref et bien qu'elle tremblât un
peu à son approche, il savait que ce
n'était pas seulement de peur.
En cela, il avait bien raison. Lalla Keltoum fulminait. Ce mari n'était pas
beau. Il deviendrait vite chauve. «Je
n'aurais jamais peur de lui ».
«Aurais-je peur d'un mari bête et
chauve ? » Elle tremblait peut-être un
peu de peur quand même, mais elle
savait que tout se jouerait au début et
fit suivre ce regard qui avait fusé tout
seul du plus charmant et du plus innocent des sourires. Lhaj n'y avait pas
résisté une minute et trente cinq ans
plus tard, il craignait encore autant le
sourire que la colère; il finissait toujours
par perdre.
Lhai se retouma dans le I;t, faisant
Lalla Keltoum ne se mettait jama;s en
colère mais on savait tout de suite
qu'elle était mécontente: une façon un
peu raide de marcher, la lèvre inférieure
à peine pincée. Elle restait très polie, ne
haussait jamais le ton mais, ces jourslà, Lhaj savait bien que le repas serait
moins bon que d'habitude et surtout
que, tous les soirs, Lalla Keltoum serait
très fatiguée, lui tournerait le dos, totalement insensible aux tentatives
d'approche, faisant la morte, et cela
jusqu'à ce que tout soit fait selon son
désir. Alors, le sourire enchanteur réapparaîtrait et Lhaj fondrait comme neige
au soleil. \1 en avait été ainsi pour tout:
elle avait décidé de ne plus habiter la
grande maison où le père de son mari
exerçait une autorité patriarcale sans
faille. L'idée avait été suggérée doucement un soir de tendresse et d'entente
parfaite :« Comme j'aimerais que nous
avions notre propre maison! \1 Y aurait
une cour pleine (je fleurs, et des
oiseaux, et nous y serions tellement
tranquilles! » Lhaj avait souri et serré
tendrement sa toute jeune femme:
« IN CHAA ALLAH» Il y avait seulement six mois qu'ils étaient mariés et
elle était si jolie! Il n'avait pas pris au
sérieux cette histoire de maison,
jusqu'au jour où il comprit que les fatigues excesssives et le sommeil de
plomb de Lalla Keltoum ne disparaÎtraient que dans la nouvelle maison.
Ce ne fut pas une mince affaire que
d'expliquer à son père qu'il désirait s'installer seul. Aucun de ses frères ne l'avait
fait. N'était-il pas logé et bien nourri?
De plus, il ne pouvait décemment
avouer que c'était là le désir de sa
femme. Depuis quand tenait-on compte
du désir des femmes? Et ne dit-on pas
que celui qui suit les idées des femmes
« se perd» ? Et pourtant, la maison fut
construite. Lalla Keltoum versa une
Aurais-je peur
d'un mari bête
et chauve?
larme sincère en quittant ses bellessœurs qui reprochaient avec véhémence à leur frère de s'éloigner d'elles
- mais les oublia bien vite. Les fleurs
furent installées dans la cour, des perruches remplirent bientôt l'air de leur
tintamarre. Lalla Keltoum eut deux fils
et une seule fille. Ce qui força le respect
de sa belle-mère qui se méfiait un peu
de cette bru trop sérieuse et si peu
bavarde. Puis Lhaj dut apprendre à conduire, malgré son penchant à la paresse,
et ils eurent une des premières voitures
de la ville. Lalla Keltoum sortait dehors,
petite silhouette blanche et menue, et
s'installait avec dignité près du conducteur, toute fière et secrètement ravie de
scandaliser sa belle-mère (à laquelle elle
montrait d'ailleurs le plus grand respect), qui ne comprenait pas que l'on
puisse sortir dans la rue lorsqu'on est
femme de bien, et encore moins que
l'on puisse monter dans ces machines
infernales fabriquées par des
mécréants ! Puis, il en fut toujours selon
son désir, pour chaque chose.
grincer un ressort cassé depuis plus de
dix ans. « Il faudrait bientôt se lever
pour la prière », dit-elle. Seul un grognement lui répondit.
Elle pensa qu'il se faisait vieux. A cinquante ans, elle se sentait résolument
jeune. Elle n'était pas mécontente de sa
vie: un bon mari, riche et généreux,
honnête homme, qui la choyait du
mieux qu'il pouvait, deux beaux garçons dont l'ainé venait de se marier. Et
une fille Qu'elle aimait mais qui lui ressemblait si peu! Une écervelée, toujours à lire et à travailler, réclamant la
liberté pour les femmes (comme si elles
étaient des esclaves !) et refusant de se
marier pour ne pas être dominée par un
mari. Qui domine Qui? Je vous le
demande! Lalla Keltoum sentit sa
bonne humeur s'envoler. Décidément,
sa fille n'avait rien compris. C'était bien
la peine d'avoir étudié, d'être. allée en
France pour débiter de pareilles âneries.
Elle refusait prétendant sur prétendant
et voulait aimer d'abord, se marier
ensuite! Est-ce qu'une femme de bien
aime d'abord! Elle aimera celui que
Dieu lui aura destiné, voilà tout. Sur ce,
Lalla Keltoum se leva. Il fallait faire
chauffer de l'eau pour les ablutions. En
chemin, elle se souvint: elle avait juste
Quinze ans. Cachée derrière la grillage
d'une étroite fenêtre, elle guettait le passage de son cousin et, lorsque la silhouette élancée du jeune homme
disparaissait, elle restait appuyée contre le mur, cœur battant et pommettes
roses, chavirée d'amour pOlir une silhouette à peine entrevue. « Ah mon
Dieu ! faites Que... » Quelques semaines plus tard, on l'avait donnée à cet
ami de son père, leur riche voisin.
59
Abdellatif Laâbi
Fidèle à son poste d'observation, quelque part entre ciel
et terre, Abdellatif Laâbi nous livrait récemment, avec «la brûlure des interrogations», un diagnostic lucide et ému sur, entre
autres problèmes ou «nœuds gordiens», comme on voudra, la
question culturelle (la littérature pour enfants si pauvre dans
notre pays, par exemple), la vie littéraire au Maroc...et la condition féminine. Des vues audacieuses, originales, en tout cas
à fleur de cœur et cela est rare. Un témoignage intense sur
l'humaine condition qui le concerne au plus haut point, sur le
cheminement qui est le sien, sous haute tension, aurait-il pu
dire. Un livre, où le poète et l'intellectuel, enjambant les frontières académiques, se soutiennent de l'aperception et de la vigilance qui leur est propre. Un livre qui nous touche, fidèle de
bout en bout à la «gravité» de son titre et Qui a le mérite de
poser clairement quelques Questions nécessaires ne souffrant
aucune dissimulation.
Nous vous offrons un extrait de cette «Brûlure des interrogations», livre d'entretiens avec Jacques Alessandra, où A.
Laâbi décrit les «citadelles» féminines.
Adil Hajji
60
En pays musulman, le problème de la
condition féminine reste toujours
d'actualité. «Dans une société comme
la nôtre - écrivez-vous dans Le Chemin
des ordalies ., être femme ou être prisonnier, c'est un peu la même condition», et, dans une lettre des Chroniques
de la citadeHe d'exil, «l'histoire des femmes est le martyre le plus long, le plus
odieux de la société de classes». J'aimerais savoir à qui vous faites allusion, à
la femme traditionnelle des campagne~
et des villes, ou bien à la femme
moderne des grandes villes ? Sont-elles
enfermées l'une et l'autre dans les
mêmes «citadelles» ? Et sont-ce uniquement les corvées ménagères en cellule
qui vous ont rapproché encore plus de
la réalité féminine ?
E
to~tes
parlant ainsi, je pensais à
les femmes, en tenant compte à la fois
des différences de situations vécues et
du «tronc commun» de l'oppression
subie, et de l'aspiration commune, consciente ou inconsciente. à la libération.
Je pense personnellement que les citadelles qui enferment les femmes, toutes
les femmes, sont nombreuses. On pourrait en représenter les murailles sous formes de cercles concentriques:
* Les femmes les plus enfermées, qui se
trouvent au centre de ce schéma de
représentation, sont celles appartenant
aux classes les plus défavorisées de la
société (des villes comme des campagnes), mais qui, en outre, sont à la fois
analphabètes et réduites sur le plan de
l'activité aux seules tâches domestiques
et assimilées. Nous nous trouvons là
dans une sorte d'enfer de la condition
féminine, un enfer plombé car n'y pénètrent ni la lumière de l'instruction qui
aide à la prise de conscience dans certaines conditions, ni celle du travail
social qui permet, malgré sa dureté et
son aspect d'exploitation, d'appréhender l'environnement et les rapports
sociaux sur une large échelle. Femmes
de l'abîme pour qui la vie n'est lutte que
pour la survie, n'est que chaîne de misè-
61
res materielles, morales et physiques,
attente d'une mort haïe et désirée.
Les hommes qui vivent dans les
mêmes conditions ont au moins l'illusion d'un pouvoir en tant que mâles,
illusion qui revêt, hélas couramment, le
caractère d'une force matérielle, en
s'exerçant sur la compagne de misère
dans un sens affreusement mutilant.
Les femmes de cette catégorie sont à
une sorte de degré zéro de la condition
féminine. Pour elles. il n'y a pas d'horizons de l'espace et du temps, il n'y a que
la ronde infernale des travaux et des
jours, de la douleur d'être et de subir.
* Dans le deuxième cercle d'enfermement, en partant du centre, nous trouvons les femmes de même condition
sociale, tout autant analphabètes, mais
qui exercent un travail salarié (ouvrières de l'industrie, de l'artisanat et de
l'agriculture, femmes de ménage, etc.).
Ces femmes surexploitées, recevant les
plus bas salaires de l'échelle des salaires la plus basse, partagent en outre avec
leurs consœurs de la première catégorie les mêmes privations et exactions, la
même exploitation domestique de leur
force de travail invisible.
Cette double exploitation et oppression qu'elles subissent pourrait amener
à les ranger au centre de notre schéma
de représentation si on perdait de vue
ce que le facteur d'activité sociale et
d'activité rémunérée pour apporter
comme changement dans le vécu de ces
femmes et la conscience qu'elles ont
d'elles-mêmes. Même si ce changement
s'opère au prix d'une double exploitation, il n'en est pas moins réel: émancipation économique, quelque dérisoire
qu'elle soit, revalorisation de soi et de
ses capacités, élargissement du champ
des relations sociales, perception plus
concrète des rouages sociaux et de
l'environnement matériel, de son organisation et de son fonctionnement. Il y
a là autant de voiles qui occultent la réalité pour la femme cloîtrée, et qui se
déchirent dans la pratique sociale.
* A l'intérieur du troisième cercle de
murailles, nous pouvons ranger les femmes et les jeunes femmes, issues tant des
couches pauvres de la société que de la
petite et moyenne bourgeoisie, qui ont
pu faire des études et trouver à
s'employer. Instruites donc, actives économiquement, «modernes» pour la plupart, on pourrait penser qu'elles
échappent à toute citadelle d'enfermement. Or, il n'en est rien. Leur enfer est
climatisé, mais il reste un enfer d'autant
plus insupportable que les femmes de
cette catégorie ont plus ou moins cons62
cience du type d'organisation sociale qui
le produit et le régit, et qu'elles ont les
moyens intellectuels qui leur permettent
de comparer leur condition à celle
d'autres femmes sous d'autres cieux.
( ... )
Malgré les limitations, auxquelles on
pourrait ajouter d'autres, intrinsèques
à cette catégorie de femmes (crise de
modèles, contradiction due à la différence des origines de classes, etc.), on
ne manquera pas de constater que
l'embryon de prise de conscience et
d'attitudes de combat, en liaison avec
C
e pouvoi" dans le milieu tmditionnel où j'ai vécu, pouvait aller jusqu'au
droit de vie et de mort sur les femmes.
Il suffit de peu pour que ma mémoire
me restitue tout un complexe de situations, de comportements, de psychodrames, de tabous. de jeux de massacre, où
les femmes, et d'abord mes proches
parentes, étaient enserrées, et dont elles
étaient les victimes: ma sœur aînée,
attachée à une échelle et battue longuement avec une corde qu'on a laissé tremper toute une nuit ; puis, bien plus tard,
son «mariage», lorsqu'elle fut donnée
en cadeau à un chérif polygame, parce
qu'on ne pouvait rien refuser à un chérif ; toutes les noces où l'exposition du
pantalon ensanglanté de la mariée
imprimait à jamais dans la mémoire le
caractère sacré de la virginité prémaritale; la ségrégation impitoyable des
sexes, même quand il s'agissait de frères et sœurs; le fait que je n'ai jamais
parlé à une petite fille, ni à fortiori joué
avec elle au cours de mon-enfance ; le
fait que pendant toute mon adolescence
à Fès, j'ai dû me contenter, pour tout
rapport avec les jeunes filles de mon
âge, d'attendre ces dernières à la place
Batha, au sortir du lycée, et de les voir
passer en silence, échanger un petit
regard furtif, et quand je n'en pouvais
plus, les suivre dans les ruelles en faisant semblant de suivre mon propre
chemin.
la questiçm féminine, est aujourd'hui
largement l'œuvre de ces femmes (...)
* On peut ajouter un quatrième cercle
d'enfermement, celui où se trouvent
enserrées les femmes des classes sociales les plus favorisées. Prison dorée cer- O n e image rorte m'est cependant <cstes, mais prison tout de même si nous
. tée de cette préhistoire, celle de ma
prenons en considération un absolu de
mère. Elle n'était pas soumise pour un
l'aspiration à l'égalité entre sexes, à la
sou, au contraire, c'était une femme
réalisation pleine de soi, de l'être
extrêmement révoltée contre le poids
humain (...)
écrasant de sa condition, les tâches
domestiques, les tracasseries que lui
Ce schéma de représentation ne doit
occasionnaient ses enfants, la claustrapas être, lui non plus, pris à la lettre. II
ne saurait y aVOIr étanchéité entre les
tion (elle qui aimait tellement sortir pour
différents cercles décrits. On a vu com«voir le monde», comme elle disait), et
ment ils peuvent non pas se recouper
même certains aspects des traditions
mais au moins communiquer. Une
religieuses. Il y avait là un niveau intuianalyse plus poussée permettra de cirtif de prise de conscience et de refus,
conscrire d'autres cas, d'autres situadont la réalisation ne pouvait qu'être
tions, ce qui ne manquera pas de
confisquée, vu les conditions de
nuancer et d'enrichir ce type
l'époque.
d'approche.
Mais je pense, avec la distance, que
Pour en arriver à ma propre prise de
cette attitude paradoxale m'a marqué,
conscience du problème, je dois dire que
d'autant plus que bien plus tard, ce temje reviens è~ ::)in. Pouvait-il en être
pérament de scalpée allait contribuer
autrement pour un homme qui a vécu
aux causes de la maladie qui l'a emporet assimilé au plus profond de lui-même
tée. Je ne sais pas pourquoi, si on me
les «valeurs» dominantes qui régissent
demandait maintenant de quoi est morte
la condition féminine dans une société
ma mère, je répondrais sans réfléchir :
où l'élément' mâle détient sans aucun
elle est morte de colère (...)
conteste le pouvoir, tous les pouvoirs ?
Effectivement, il m'a fallu attendre
l'expérience carcérale pour découvrir ce
problème dans toute son ampleur. J'ai
eu d'abord l'occasion de dévorer une
grande partie de la littérature féministe
et sur la co"ndition féminine, qu'elle
emprunte ou non la démarche marxiste.
Mais cette connaissance aurait pu en
rester au niveau de la rectification des
idées et du réaménagement théorique,
si un événement hautement sensible et
lyrique ne s'était pas produit: celui du
bouleversement du rapport à ma femme
et de la redécouverte du continent
amour, non pas dans la convivialité paisible du couple vivant en liberté, mais
dans la tension solidaire et la lutte commune pour triompher de la séparation,
des privations, des mutilations, et forger au plus noir de la nuit barbare le
message de fusion créatrice, de dignité
et d'espérance. Ma femme, mais aussi
toutes les femmes, mères, sœurs de
camarades, qui ont mené ce combat
sans expérience préalable, qui se sont
jetées à l'eau démontée de l'épreuve et
ont appris ainsi à nager. Grâce à elles,
à leur théorie pratique, alchimie du
cœur et des mains, la face cachée de la
terre ou de l'humanité meJut enfin révélée. Dès lors, les notions de force, résistance, ténacité, se conjuguèrent au.
féminin. Le rapport à la femme cessait
d'être cette prison et cet enfer faits du
nœud de vipères des frayeurs et des fascinations vécues au cours d'une enfance
et d'une adolescence frustrées, traumatisées, pour devenir un creuset de la réalisation de soi à travers l'autre, et de la
réalisation de l'autre à travers soi, condition d'humanisation de soi-même
comme préalable indispensable à
l'humanisation des rapports humains.
Cette expé,;ence a donc déposé en
moi une autre braise, celle de la remise
en cause permanente de moi-même à
travers le critère de mon rapport à la
femme, à la condition et à la cause de
libération des femmes. Car l'exigence
vis-à-vis de ce critère renseigne assurément, selon la belle expression de Marx,
sur le «degré de développement
humain», mais elle renseigne aussi, à
mon avis, sur la crédibilité ou l'hypocrisie de tout discours et de toute stratégie de libération. Nous avons là une
grille impitoyable de lecture de la réalité humaine, un télescope moral
d'observation des phénomènes intellectuels et sociaux qui permet à chaque
stade de mesurer le fossé séparant théorie et pratique.
J e cro;, que cette hm;" n'nun,;t P"
été aussi vive, aussi irrédentiste, si je
n'avais pas connu ce monde des cercles
concentriques de l'oppression et de
l'annihilation de l'homme qu'est l'univers carcéral. C'est là que j'ai pu appréhender dans ma chair et ma conscience
toutes les prisons, et notamment celles
qu'i ne sont pas entourées de murailles
matérielles, les prisons sociales faites de
toutes les aliénations et toutes les injustices historiques. Dès lors, ma relation
à la femme pouvait être conçue et vécue
dans le sens dé la réalisation de
l'humaine fraternité. Dès lors, je me
redécouvrais aussi en tant qu'homme
«viril». C'est ce qui m'amène
aujourd'hui à penser que les hommes
auraient peut-être besoin de leur propre
mouvement de libération, à l'instar des
femmes, un mouvement qui aurait pour
objectif de les libérer de cette tare historique qui en a fait les détenteurs du
pouvoir et les victimes sanguinaires du
poison du pouvoir, de leur faire découvrir le prolongement de la femme en eux
et leur prolongement en la femme. Alors
la douceur et la force, l'intuition et la
raison, le vital et l'intellectuel, n'auront
plus de genre exclusif. Tout au plus
auront-ils des nuances plus affirmées
chez l'un ou l'autre, selon leur histoire
individuelle et générique. L'homme
pourra enfin se débarrasser de son
armure de guerrier pour redécouvrir des
qualités qui lui appartiennent en propre
ou qu'il partage avec les femmes et qu'il
a refoulées jusqu'ici au tréfonds de luimême, parce qu'elles étaient en contradiction avec les poncifs de la masculinité. Le corps de l'homme cessera alors
d'être ce redoutable instrument de violence et de possession pour révéler son
émouvante fragilité, sa capacité de don
et d'abandon à l'autre, et pourquoi pas,
sa beauté, que l'art pourra célébrer à
son tour, au lieu de réserver cette célébration, comme ill'a fait jusqu'à maintenant, au seul corps féminin.
On peut sourire à ces élucubrations
futuristes provenant d'une réalité où la
condition des femmes est au plus bas,
ou la prise de conscience des hommes
est à l'état d'embryon isolé dans un
corps social profondément allergique.
Mais personnellement, je me refuse au
fatalisme des complexes. Toute semence
authentique finit par lever dans la glèbe
humaine. Il y faut simplement de la
ténacité et ce grain de folie de l'espoir
sans lequel le commerce de l'absurde et
du désespoir finira par investir notre
planète et la conduira à l'holocauste
contre la plus haute valeur qui soit:
l'esprit humain.
L'Harmattan
63
ASSIA DJEBAR
••
PRESENCES DU PASSE,
ESQUISSES DE L'HORIZON
Quatre romans entre 1957 et 1967, puis une période de réflexion, autour de la
langue d'écriture notamment: le cinéma devient alors pour Assia Djebar, femme
du regard et de la mémoire, le moyen de renouer, entre autres, avec la langue
originelle. En 1978, son premier long métrage, La Nouba des femmes du Mont
Chenoua, mi-documentaire mi-fiction, connaît un succès mérité. Il reçoit le Prix
de la critique à la Biennale de Venise l'année suivante et est sélectionné pour le
Premier Festival des femmes. Son deuxième film, La Zerda et les chants de l'oubli,
est présenté en 1982.
A travers la réalisation cinématographique, A. Djebar commence à se libérer
du «déracinement Iinguistique»t Elle reste cependant lucide quant à l'ambiguité
de «traduire» en français ce qui a été vécu en arabe. Parallèlement, et comme
pour ne pas se couper de l'écriture, elle continue de composer des nouvelles (Femmes d'Alger dans leur appartement).
~'es! dans son cinquième roman, l'Amour, la fantasia, récemment paru et
dont Il a eté rendu compte dans le n O l de Kalimll, qu'A. Djebar parvient, semblet-i1, à surmonter le problème de l'expression et des choix: ce corps-à-corps parfois très douloureux, est, selon Jacques Berque, au centre de «l'une des an~lyses
les plus profondes, sans doute, qui aient été faites des rapports du langage de
l'expression littéraire avec une histoire, un terroir, la révélation d'un corps à
lui-même» .
On retrouve chez l'auteur une attention soutenue à la langue et à la mémoire
féminine. Cette remontée aux sources innerve tant ses films que ses livres, et assurément son dernier où la romancière prend "Ie relais de la passion calcinée des
ancêtres" .
Née Fatima-Zohra Imalayène, à Cherchell, près d'Alger, elle est bientôt cette
fois à l'école, main dans la main du pere»,
de demain, la future Assia Djebar, les prelDIers pas vers la liberte de se mouvoir dans un espace traditionnellement masculin. Puis elle poursuit ses études à Alger, Paris (elle est la première Algérienne
admise à l'Ecole normale supérieure de Sèvres), Tunis. Elle enseigne par la suite
dans les trois capitales du Maghreb,
Mariée au poète algérien Malek Alloula, c'est à Paris, où depuis quelques
années elle poursuit son œuvre d'écrivain et de chercheur, que nous l'avons rencontrée. Telle elle apparaît dans les douze minutes du court métrage T.V. que le réalisateur algérien Farouk Beloula (qui travaille actuellement au Pain nu de M.
Choukri) lui a consacré à la parution de L'Amour, la fantasia, telle elle est : présence forte, silhouette juvénile, lente et vive, regard aigu sous les boucles brunes
Assia Djebar est à la fois douce et distante, chaleureuse et incisive. Elle dit ((je»'
elle dit ((nous», elle bouge, elle parle, elle déploie l'espace du dedans cherchant
la sortie du bout de la nuit, dans le labyrinthe du monde. Et c'est dans l'œil du
cyclone que la mAturité n'étouffe pas l'enfance. Pour cela, il a fallu conquérir
son propre itinéraire, ardemment, de toutes ses forces vives et pour la beauté des
gestes partagés.
Nous sommes alors au cœur-même de l'histoire.
~<fil~ette arabe allant pour la première
lD~tItuteur. Ce so~t là, pour la femme
Amina Saïd & Ghislain Ripault
64
Quel regard portez-vous aujourd'hui
sur vos quatre premiers romans publiés
entre 1957 et 1967 ?
Le premier roman, La Soif, a presque été un accident, une façon de tourner le dos au réel, parce que le réel, à
ce moment-là, me paraissait plus important. Je faisais la grève des étudiants
algériens. Mais avec le recul, je me suis
aperçue que ce n'est pas bon d'écrire
trop tôt: à cause des schémas que l'on
vous applique. Maintenant, j'aimerais
bien qu'il soit réédité. Cela fait au moins
dix ans qu'on me le demande. Je l'ai
relu il y a trois ou quatre ans et j'ai constaté qu'il n'y a rien à changer. Il a, je
crois, son public actuellement. Il a été
critiqué parce que c'était, disait-on, un
roman d'amour "suspendu", alors que
l'Algérie, c'était tout autre chose...
Le second IjJman, Les impatients, je
le trouve aujourd'hui un peu compliqué
dans le récit. Mais j'en retins un lieu.
Le premier était sans lieu, un roman
d'adolescence, sur le rapport entre deux
femmes. Le second est peut-être moins
"pur" que le premier. Mais il yale
lieu : le patio et la maison enfermée. On
peut dire que ce sont tous les deux des
romans d'apprentissage.
Le troisième, Les Enfants du nouveau
monde, correspond dans sa construction à ce que je pense du roman.
D'abord, il y a cette unité de lieu, et,
à partir de cela ainsi que de l'unité de
temps, c'est un ballet de personnages,
les femmes étant au premier plan, les
hommes un peu en retrait... Je l'ai
rédigé aussi rapidement que les autres,
en deux ou trois mois. A cette époque,
j'étais au Maroc et j'ai reçu une parente
qui m'a raconté ce qu'il en était à Alger,
cette ville où les femmes voyaient se
dérouler la guerre en observant les montagnes, alor~ même qu'on pensait
qu'elles étaient enfermées. En fait, elles
voyaient la guerre comme un jeu. Entre
autres histoires, cette parente m'a
raconté celle de cette vieille femme tuée
par un éclat d'obus et que l'on n'avait
ramassée qu'après l'alerte... C'est de là
que le livre est parti. Je pense que c'était
un besoin d'être là-bas alors que j'étais
absente, une façon de combattre l'éloignement.
Le quatrième, Les Alouettes naïves,
n'est plus un roman de jeunesse ou
d'apprentissage. C'est le premier roman
que j'ai écrit par coulées successives et
sur deux ou trois ans. Je ne me rendais
pas compte que l'écriture romanesque
était une construction. Le cœur de ce
roman, qui en est aussi le milieu.
s'appuyait sur des éléments autobiographiques, très intimes. C'est ce qui a fait
que j'ai décidé d'arrêter. J'ai eu un
refus, un refus de femme, d'écrire si
près de soi. Je pense qu'à ce moinent,
Photo: Malek ALLOULA
j'ai commencé à me masquer le problème en me disant qu'il fallait écrire en
arabe puisque je suis arabophone. Le
roman était terminé depuis un an
lorsqu'il est paru, en 1967. Je vivais de
nouveau en France, avec des enfants.
Comme je ne concevais pas la littérature
comme une carrière, ni comme un
besoin continu d'écrire, j'ai cessé. Le
rapport à la langue était bloqué. J'ai
cependant écrit des nouvelles, mais sans
penser tout d'abord à la publication.
Puis je suis rentrée en Algérie. J'ai fait
un peu de théâtre. Donc, de 1968 à
1974, il Ya eu un passage à vide. Chacun vit comme il peut un rapport devenu
difficile avec une langue. Moi, je me
suis plongée dans ma propre vie, en
oubliant la littérature! Je l'ai résolu en
retournant vivre en Algérie en 1974. Je
sens que je l'ai résolu tout simplement
par cette arrivée à l'écriture cinématographiqlle.
Les quatre premiers romans ont été
écrits entre vingt et trente ans. Il y a des
points de ressemblance entre eux, mais
pas de continuité romanesque. J'aurais
aussi bien pu commencer par le dernier ! Les autres sont-ils inutiles, te
n'est pas à moi d'en décider. Mais je ne
regrette pas les rééditions !
Après avoir tourné mon film La
Nouba des femmes du Mont Chenoua,
j'ai eu volontairement le désir de revenir à la langue française. Le recueil de
nouvelles, Femmes d'Alger dans leur
appartement, était une façon de faire le
point sur le passé et en même temps, de
concevoir l'écriture de manière continue. Mais je ne pense pas qu'un écrivain
soit obligé d'écrire des livres sans arrêt!
Si, dans nos pays, il y avait un substrat
culturel (édition, critique...), je crois
que, depuis onze ans, j'aurais écrit et
publié régulièrement. Parce que je
trouve que vivre de ses droits d'auteur,
consacrer toute son énergie à l'écriture,
est quand même un avantage. Il est vrai
aussi que si vous avez un second métier,
il vous donne parfois l'impression de
vous dévorer. Mais il vous donne, par
rapport à ce que vous écrivez, une sorte
de liberté. Ce qui est difficile, c'est de
ne pas pouvoir publier pour son public.
Et en même temps, le succès est un
piège. La liberté, c'est de pouvoir écrire
à la fois ce qu'on peut et ce qu'on veut,
et au besoin, de rester dix ou quinze ans
sans publier. Pour ma part, je suis enseignante et je me sens enseignante, même
lorsque je n'exerce pas. De toute façon,
je suis indépendante économiquement.
Un nouveau cycle est-il né avec votre
nouveau roman, L'Amour, la fantasia?
Effectivement, là je peux parler de
cycle. Ce livre sera suivi de trois autres
romans. C'est un quatuor. Peut-être
parce qu'en ce moment, je suis dans
Beethoven Ge suis d'ailleurs toujours
avec la musiquè, les musiciens). C'est
donc un quatuor, mais pas une suite
romanesque, avec des personnages,
comme dans les sagas. J'en ai actuellement deux de prêts. Pour moi,
L'Amour, la fantasia" c'est le violoncelle, parce que j'ai pensé à un quatuor
à cordes! Le second, que j'ai terminé
et qui s'appelle L'Oeil caché de l'aurore,
l'histoire de deux femmes, c'est l'alto;
Reste à écrire l'essentiel: les deux
autres. C'est aussi un quatuor parce
qu'il a quelque chose à voir, dans ma
tête, avec le chiffre quatre. Ce sont peutêtre quatre démarches différentes tour......
nant autour d'un même sujet.
J'ai commencé le second avant le premier, puis j'ai bloqué. Il s'agit d'un rapport entre deux femmes, un rapport à
l'espace. Cela peut se passer à Alger
comme à Rabat ou à Baghdad. Il y a
une femme qui sort voilée et son rapport à l'espace. J'ai bloqué à un
momt:nt sans trop comprendre pourquoi. Peut-être à cause du rapport au
français? Puis quand j'ai écrit
L'Amour, la fantasia d'une seule traite,
ça m'a complètement débloquée, même
si cela a été physiquement éprouvant.
Le second livre, c'est un peu comme
si, ayant creusé le passé, j'avais besoin
d"esquisser l'horizon, l'avenir. Les deux
suivants seront de structure apparemment plus classique, avec des personnages de fiction, des événements. C'est la
reprise du thème mais autrement. Ce
sont des variations, avec dans le premier
et le second livre, toujours cette construction en doublè, en chapitres alternants leurs registres. Je ne pense pas que
les suivants soient pareils.
Je dois en avoir encore pour deux ans
de travail. Pour les livres suivants, je
reviens à Alger : le troisième se passe au
1ge et au 20ème siècle, et le quatrième
est une variation sur l'ensemble "'du
Maghreb, une narration qui se déroule
à la fois à Alger, Tunis et Marrakech.
Je vais plutôt en arrière dans le temps.
Je m'interroge sur le pourquoi du fonctionnement de nos sociétés. Dans une
première approche, je me suis dit: je
suis Algérienne, la colonisation .a évidemment son impact, elle a bloqué quelque chose. Si elle a bloqué quelque
chose au niveau de mon expression, de
mon rapport avec le français, en réalité
66
les mêmes problèmes existent même si
on remonte avant la colonisation. C'est
mon point de vue, et c'est pour cela que
je vais en arrière tout en ayant l'impression pourtant que les choses se passent
maintenant. C'est donc une réflexion
sur l'Histoire qui touche aussi au présent, non?
Le cinéma, c'est une toute autre écri'ture, un autre regard, un autre espace
de parole, un espace pour le corps?
Quelle importance accordez';YOus si
l'image, au miroir?
Dans mon film «La Nouba des femmes du Mont Chertoua», le premiér
plan, c'est une femme qui tourne le dos
aux spectateurs et qui dit :
<de ne veux pas que l'on me voie, que
tu me voies». A la fin du plan, au bout
d'une minute et demi (ce qui est long au
cinéma), elle se retourne. Biza:-rement,
je pourrais dire qu'en ce qui concerne
«La Nouba .. . », et peut-être même le
second aussi, «La Zerda et les chants de
l'oubli», c'est une façon de faire un film
sur un faux regard. Le premier film
commence en tout cas sur un refus du
regard. A la limite, je devrais dire que
ces deux films, je les ai tournés pour non
pas me cacher, ce serait exagéré, mais...
je ne sais pas.
En tout cas, j'ai tourné le premier
film comme j'aurais écrit un livre, mais
sans utiliser le français. J'ai pris des éléments de fiction et je les ai placés au
milieu d'une réalité. Du côté de la
caméra - le regard - l'intérêt pour moi
c'est de voir comment la fiction s'ouvre
sur la r~é;llité, ou l'inverse. On dit que
c'est un film. de «recherche» ou «expérimentah): ça veut peut-être dire
ennuyeux ! Mais je travail1e ainsi.
Ces deux films ont été produits par
la télévision algérienne. On me permettait de poser mes questions sur le plan
de la création, et non pas sur celui de
la réception. Maintenant, j'ai envie
d'affronter un plus large public, de
communiquer si possible avec lui... Cela
dit, c'est le chiffre de spectateurs qui fait
un film pour «grand public». La vraie
communication entre l'auteur et le
public, quand il est important en nombre, joue forcément sur des équivoques.
Depuis trois ou quatre ans, je suis attirée par la fiction, et en même temps,
tout en moi refuse le cinéma «grand
public», parce qu'au fond, je ne sais pas
ce que cela veut dire. Mais la décision
intérieure est prise. Je vais d'abord finir
d'écrire ce cycle de romans, puis je tournerai un film «grand public» (sourire,
puis éclats de rire). Probablement avec
ce qu'on appelle une distribution, je
vous dirai ça bientôt! J'aime les grands
médias. J'aime les comédiens aussi.
J'espère que le cercle comédiens-argentpublic ne sera pas trop contraignant. On
verra ce que ça donnera (rires). Mais estce que ce sera une expérience enrichissante pout moi, je l'ignore.
Au bout d'un moment, je trouverai
peut-être que le temps investi et la
patience à avoir (parce que c'est aussi
un travail avec les autres) en regard du
résultat, me fera revenir plus gaiement
à la littérature !Parce qu'en littérature,
vous êtes votre propre maître. Ensuite,
quand vous avez dix, cinquante, cinq
mille lecteurs ou plus, c'est autre chose.
Votre Iivr,e existe· et vous pouvez .toujours vous dire qu'il restera dans les
bibliothèques. Tandis que pour un film,
dès son. élaboration, vous devez tenir
compte de certaines obligations. Je n'y
suis pas habituée ayant travaillé très
librement sur les deux premiers.
Pourquoi je cherche à avoir des contraintes ? Je ne sais pas! Peut-être qu'à
force de travailler depuis quatre ans sur
ce cycle romanesque qui a lieu dans le
p.assé, je dois ressentir une sorte d'isolement intérieur. Cela vient aussi de
cette façon de travailler hors de mon
pays. Faire un film, c'est s'ouvrir aux
autres, soit au niveau du travaille plus
concret possible, soit au niveau des
questions que vous pose un plan. Il y a
aussi le plaisir de travailler sur la langue, car pour l'instant, travailler sur la
langue arabe dans les films que j'ai faits
m'a passionnée. Et cela m'attire tou.ïours. Dans le premier, j'ai composé et
tait interpréter la conclusion, une sorte
de générique de facture populaire, un
chant qui résumait le film. Je suis donc
écrivain arabophone pendant six minutes! C'était pour moi une façon de revenir à l'arabe, de chercher à créer hors
de la coupure et du déchirement.
Pour ce qui est des images, il se pose
un problème spécifique à la société
arabe : comment prendre des images
alors que la société fonctionne en refusant de se livrer ? Et quand on cherche
à prendre des images vraies, comment
regarder et quoi prendre au juste? Vous
avez beau regarder, il Y a comme une
fuite, ou du moins, une image faussée
qui fait écran. Il n'y a peut-être que moi
qui me pose ces questions du regard
pendant le tournage? La plupart des
films dits arabes se contentent d'être
arabes en utilisant la langue arabe. J'ai
pour ma part une autre ambition. Il y
a une recherche d'un style, une recherche formelle, qui ne doit pas simplement
copier les Américains ou telle épole de
cinéma.
Dans mes deux films, je me suis
appuyée sur la musique non pour faire
des films musicaux, mais parce que c'est
la seule que je perçoive comm~ un héritage positif en quelque sorte. Je
m'appuie sur le rythme. C'est une
manière de retrouver une certaine tradition. Mais alors comment produire
des images neuves tout en se situant
dans une tradition ? Ce sont des problèmes de forme: est-ce qu'il me faut en
sortir ? Mes projets de fiction complète
seront des tests ...
Qu'est-ce pour vous que créer un personnage?
.
Je ne sais pas si je crée vraiment des
personnages. Dans le troisième roman
du cycle auquel je travaille, il y a un
homme de cinquante ans qui revient à
Alger quatre ans après la prise de la
ville. Comme sans doute pour tout
romancier, il y a des pulsions, des interrogations, des mouvements qui vous
agitent. Il y a peut-être quelque part un
lien entre ces personnages et moi, mais
je ne sais pas toujours lequel. C'est au
moment de l'écriture qu'ils prennent
forme, et qu'ils se transforment aussi.
Ce que je peux savoir à l'avance, c'est
autour de quel personnage le roman va
se construire et ce que sera ce «personnage» : un être humain, une atmosphère, une durée, un lieu, un
mouvement comme dans un ballet. .. ?
Au cinéma, dans «La Nouba ... ,» je
suis partie de la réalité et j'ai commencé
à écouter les femmes. Après quoi, il m'a
semblé intéressant de créer un personnage qui soit ma «déléguée» à l'image
et qui, elle, regardera. Pour moi se
posait alors le problème du rapport avec
l'actrice. Une interprète n'est pas
quelqu'un à qui je donne un texte
qu'elle va lire puis jouer. C'est un être
en chair et en os avec lequel doit se créer
un rapport d'intimité et de familiarité.
Comme pour un peintre, il faut savoir
très vite quoi mettre en valeur de cet
être. Cela peut être un geste, un regard,
une attitude. Au bout d'un moment,
vous voyez à quel moment une personne
qutexiste livre sa vérité. Il ne s'agit certainement pas, pour moi, de la filmer
de telle façon parce qu'elle est plus jolie
ou je ne sais quoi! Ce qui m'intéresse,
c'est à quel moment elle est, elle vit vraiment. Commençant alors à le sentir,
tout mon problème est alors de savoir
comment la caméra va venir la prendre
en image sans la «tuer». Le vrai problème est un problème d'objectif: à
quel moment être à la bonne distance.
Laisser des plans ouverts aussi.
Pour moi, l'idéal serait un type de
cinéma où vous démarrez dans la fiction, c'est-à-dire dans ce que, normalement, vous contrôlez, mais qu'avant
que vous ayez dit le fatidique «coupez !», le réel ait pu entrer dans le plan
malgré vous presque. Ainsi, ce n'est pas
une fiction faite à côté du réel. C'est
pour ça que j'aime les plans ouverts. Les
résultats peuvent être très beaux.
Dans le roman aussi, quand j'en suis
au premier jet, il faut que j'écrive
n'importe où, n'importe quand, et c'est
toujours très régulier. Mais si vous êtes
dans une scène et que vous êtes obligé
d'arrêter, quelque chose a pu se passer
entre-temps, qui devient un détail que
vous intégrez dans votre livre. La scène
romanesque n'est pas non plus une série
de notes, prises pour le càdre, le costume, les personnages et qu'il s'agit de
mettre en phrase dans un certain style.
C'est pourtant ainsi que fonctionne le
cinéma commercial. Il yale décorateur,
la maquilleuse, la personne qui s'occupe
des costumes, le coiffeur, le scénario
(questions-réponses-dialogue) ; tout est
en petits bouts. Et le réalisateur arrive
et fait sa mayonnaise ! Un cinéma du
Tiers Monde ne peut pas fonctionner
comme ça, selon moi. En réalité, ce que
vous cherchez à saisir ne l'a jamais été.
C'est mon principe de départ. Les films
soit-disant représentatifs de ces pays
tournent le dos à la vérité profonde des
gens. Certains cinéastes d'Amérique
Latine (et pas seulement pour ce qui est
du cinéma nuovo des années 60-70)
savent qu'entre le documentaire en profondeur et la fiction, il a quelque chose
d'important à faire.
Vous avez écrit dans un article: «En
pays d'Islam, ce qui reste précieux, concrètement uûle..., c'est l'existence d'une
solidarité entre femmes». Qu'en est-il de
cette solidarité ?
J'ai senti que la solidarité existait
dans un schéma de tradition complet.
Par exemple, prenons ma grand-mère.
La société des femmes était alors une
société de recluses. L'enfermement
n'était pas remis en question, du moins
dans les villes. Chez moi, la polygamie
était l'apanage des. chefs. On avait
l'impression qu'avec l'oppression et une
ségrégation sexuelle complète, les femmes avaient développé, dans l'espace
restreint qui était le leur, une solidarité
instinctive que je ressens et que j'ai vécu
enfant dans la relation des mères aux fillettes. Mais en même temps, c'est une
solidarité fondée sur une certaine amertume, une" certaine impuissance. On
peut rêver d'une solidarité différente...
Il me semble que dans les années cinquante, il y avait cette illusion que les
femmes allaient se libérer, tout au moins
dans le Maghreb (et ceci avec, disons,
vingt ans de retard sur le Moyen
Orient). Cela a d'abord fonctionné dans
les classes dites moyennes des villes.
C'était une période d'espoirs réels.
J'avais alors vingt ans. Ce dont je me
suis rendu compte, c'est que les femmes'
ont tourné le dos au «harem» et en
même temps à ce que la tradition et la
cohabitation des femmes avaient de chaleureux, en croyant qu'elles n'allaient
faire que des acquis positifs.
En fait, on s'aperçoit que la division
entre les femmes est entretenue par les
hommes. Avec cette libération à l'occidentale, il y a peut être eu le plaisir de
se sentir enfin un individu. Pour moi,
et dans mes romans on doit s'en rendre
compte, la vie de couple devient un
piège. Le jeu masculin est actuellement
plus fort. Avant, on enfermait les femmes dans. leur espace et c'est tout.
Aujourd'hui, il semble qu'il y ait une
sorte de peur des hommes devant le
dymunisme des femmes.
67
L'OEIL DU JOUR
par Hélé Béji
FEMMES ARABES-ET SOEURS
MUSULMANES
par Denise Brahimi
Denise Brahimi analyse dans
cette étude pas moins d'une
vingtaine de romans et
d'essais écrits en majorité par
des Européennes entre 1900 et
1953, et ayant pour sujet les
femmes arabes. L'auteur
s'attache à montrer ce qui
s'est passé entre Algériennes
et Européennes dans une
situation historique donnée, ici
la colonisation francaise en
Algérie.
.
L'analyse
d'ouvrages
comme ceux d'Hubertine
Auclair, Elise Crosnier, Marcelle Magdinier ou Elissa Rhaïs
(pour ne citer que quatre
auteurs sur les quinze présents) montre d'emblée comment et pourquoi ces ouvrages
diffèrent, tant par le ton que
par les réactions, à des situations données.
Si de ces livres d'Européennes naît l'impression d'une
urgence (celle qu'il y a à aborder certains problèmes comme
la polygamie, l'instruction des
filles, la prostitution, les couples mixtes... ), celle-ci ne peut
masquer d'une part, la projection de leurs propres hantises
et d'autre part, leur difficulté à
parler des femmes colonisées
sans préjugés de type colonialiste ou "maternaliste" (néologisme avancé par l'auteur et
calqué sur le terme "paternaliste").
Les raisons de l'impossibilité
de s'identifier en tant que femmes à ces autres femmes
qu'elles mettent en scène dans
leurs livres semble aller bien
au-delà des multiples barrières
qui les séparent. Alors quelle
solidarité? Dans l'ensemble,
note l'auteur, "tout dans leur
situation, joue finalement contre une possible solidarité avec
celles dont elles parlent. Tout,
c'est-à-dire aussi bien ce qui
les sépare, à savoir leur commune féminitude".
Rappelant la situation de
dépendance que les Européennes vivaient en cette première
moitié du siècle, D. Brahimi
souligne également l'ambiguité du discours de ces femmes écrivains: parler des
autres est un moyen d'occulter tout ce qu'il y aurait à dire
sur elles-mêmes et leur propre
situation, alors que, de
manière détournée, c'est au
fond aux hommes européens
qu'elles s'adressent en premier
lieu.
D. Brahimi, qui a enseigné
dix ans en Algérie, travaille sur
les représentations du monde
arabe dans la littérature occidentale. Elle a publié d'autres
essais, dont Requiem pour
Isabelle (Publisud, 1983) et
Maupassant au Maghreb
(Le Sycomore, 1983).
Amina Saill
(Editions Tierce, Paris)
Très beau livre que l'Oeil du jour de
la Tunisienne Hélé Béji - livre grave et
malicieux tout en arabesques
de paix et de lumière, livre de contemplation à sa manière et livre d'amour
pour la grand-mère, qui en viendrait
presque à représenter l'âme de son
pays. C'est une fête pour nous lecteurs
conviés à partager les fascinations (et
les répulsions) de l'auteur, de retour
pour un bref séjour dans sa ville
natale: fascination pour les êtres
(l'aïeule avec sa foi tranquille de vraie
croyante et quelques autres personnages croisés), mais aussi pour les objets,
les couleurs, les bruits, l'éblouissement
de la lumière, le charme d'une porte
cochère ou d'une haute fenêtre, les
métamorphoses de l'ombre sur les dallages du patio, la vieille ville : « blanche
forêt aux branchages de pierre », le
moindre tressaillement de l'air, la magie
des lieux...
Le livre de H. Béji donne à voir tout
ceci et plus encore. Si le charme des
descriptions tient à leur vérité, il naÎt
également de la musicalité des phrases,
de la beauté de l'écriture. Une foule
d'impressions et de sentiments se
mêlent que nous partageons. La durée
est bouleversée avec bonheur par le jeu
de la mémoire. En 253 pages et XVI chapitres, nous ne savons plus si c'est une
journée qui nous est donnée à découvrir ou bien toute une vie; si c'est un
retour qui va avoir lieu ou un départ tant
l'aïeule, dans sa sagesse et, dirait-on,
son éternité, semble vivre dans son
temps qui « n'est qu'une image du
monde arrêté, respirant doucement ».
C'est là une des forces du livre et non
des moindres : tout un univers naÎt, ou
renaÎt.
Et l'on se prend à relire maints passages - par pur plaisir.
Amina Saïd
(Maurice Nadeau éditeur 1985)
VOYAGE DE SINDBAD
Pris dans une tourmente imprévue, Sindbad n'a pas pu accoster
cette fois-ci. Le mois
prochain, sans faute, il
sera à quai.
Reproche
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Etat
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Midi
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Rongeur
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Frustrer
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Consigné
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Alarme
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Stand
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De pouvoir
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-Demier
-
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Phase
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Do
~,,!,,-.!-~o~ •
,
Liquide
Canton
Tiers
Pascal
,~
..
,
Actinium
Limé
Paturage ..
..
Berge
Collégien ..
Solu i ion des mots croisés du n 2
o
-t, mal e n
~'
~+- ,--+-'=-+-=----I-----=---+---=-+_~
.3'
4
5
b 0
7- r
g
cl
i
if
10 0
fi
II.
70
n
K(jJjjij
COURRIER DES LECTEURS
Rendre justice à la femme
Bravo pour votre revue KALIMA à qui
je souhaite 10n9"ue vie...
Jeune femme mariée avec deux
enfants, je me permets de vous demander de bien vouloir nous proposer dans
votre prochain numéro; «Quand la
femme a-t-elle le droit de demander le
divorce où plutôt quand peut-elle
l'avoir» bien sûr juridiquement et légalement.
Je souhaiterai aussi que vous procédiez à des tables rondes télévisées concernant la femme dans la société en
présence de plusieurs catégories de
femmes : docteurs, institutrices, femmes de ménage, femmes au foyer ... Je
pense qu'il ya beaucoup de choses que
les hommes ignorent et j'espère qu'avec
votre revue, justice sera donnée à la
femme.
Mme Khazziari Rachida,
Casablanca
A CHACUN SA KALIMA
KALIMA invite au dialogue entre
l'homme et la femme (. .. )
Le débat sur lequel porte l'invitation
ne semble accessible qu'à une frange
limitée de la société, la langue constituant un handicap sérieux. Cela
n'enlève rien à son importance dans la
mesure où les acteurs (actrices) sont
des éléments d'avant-garde qui participent activement au changement. Il ne
s'agit nullement d'élitisme mais d'une
constatation.
Et pour prendre part à une action
sociale qui puisse amener le changement, il faut une double prise de conscience.
D'abord être. Ensuite être libre.
D'abord être. La prise de conscience
de soi a quelque chose de fantastique.
Cela peut être le résultat d'un choc violent. d'un traumatisme. Cela peut être
également l'aboutissement d'une longue période douloureuse. La prise de
conscience de soi s'accompagne toujours d'un sentiment énivrant de libération. On se sent léger.
Le passé est perçu sous un nouvel
éclairage: c'est un ensemble d'habitudes et d'idées reçues dont on a saisi le
poids aliénant et que l'on se promet de
Une très bonne initiative
Enfin une revue marocaine qui a le
mérite d'analyser ou, du moins de mettre en exergue les nombreux symptômes d'un mal, qui longtemps négligé,
fait partie à présent du quotidien. Ce
mal porte un nom: l'absence totale
d'éducation et de savoir vivre.
Votre revue tente de contribuer à
l'évolution des mentalités et des
moeurs; très bonne initiative ! Nous
sommes beaucoup à vouloir y croire,
cela donne l'illusion qu'un mieux-être
est possible.
Par ailleurs, votre revue devrait
inclure une rubrique «loisirs» présentant
les différents centres, clubs, associations culturelles (adresses, modalités
d'adhésion, programme d'activité... )
ainsi que les concerts, théâtres, shows
qui se tiennent dans notre ville.
Nous souhaitons plein succès à votre
magazine.
AMINA HOUMMAN
CASABLANCA
passer au crible de la raison. L'avenir ne
fait plus peur parce qu'on se rend
compte que l'on participe à son édification. On ne subit plus.
D'abord être. C'est se sentir démarqué des autres, de tous les autres, et
d'abord de l'autre soi-même fabriqué
par le long et puissant conditionnement
de la société à travers l'éducation. Ce
surmoi comme l'appellent les Freudiens,
n'est pas à rejeter puisqu'il constitue
l'interface avec la société. Mais il faut
savoir qu'il existe et s'en détacher
quand c'est nécessaire.
Le moi, dégagé de la carapace des
préjugés et de l'handicap de la mémoire
génératrice des émotions inhibitrices, vit
intensément le présent. On s'intéresse
à ce qui se passe ici et maintenant.
D'abord être. C'est être à J'écoute de
son corps et vivre ses sens.
Ensuite être libre. La prise de conscience de soi est déjà un pas primordial
dans la voie de la liberté. C'est le commencement.
Etre libre, c'est s'insérer de facon
intelligente et harmonieuse dans' la
trame sociale. C'est àssumer ses rôles
sociaux sans ressentir une quelconque
contrainte. Certains sociologues ont
comparé le groupe humain en interaction à une partition musicale. On parle
Sans fard ni khol
« KALIMA » trois syllabes qui éveillent en nous des résonances mélodiques
et profondes. Ce mot contient plus de
magie que son « homologue» français! Sans fard ni «Khol», nous
tenons à vous dire que ce nouveau
magazine nous a vraiment épatés. Nous
avons en effet, passé un temps merveilleux à feuilleter et dévorer non sans avidité votre ou plutôt notre« Kalima ». Ce
n'est pas du tout étonnant parce que les
sujets choisis nous touchent de près. En
outre, nous sommes parvenus, sans
aucune difficulté, à déceler les traits
humoristiques qui caractérisent vos
écrits, ce qui offre encore plus de
charme et d'agrément. Pour cela,
nous n'hésitons pas à vous souhaiter un
succès in aeternum pour que nous puissions jouir encore du plaisir que nous
procure votre magazine. [. .. ]
Habri Jamal
de rapports harmonieux. Tant que l'on
n'est pas seul on ne cesse de jouer des
rôles: l'époux, le père, l'employé, l'usager des services publics, le consommateur dans un restaurant, ainsi à l'infini.
Alors il faut jouer le jeu, comme on dit.
Je m'enfonce dans les lieux communs
.direz-vous ; pourtant et pour paraphraser un penseur, il n'y a rien de plus
audacieux que de remettre le connu en
question.
Etre libre, c'est savoir maintenir une
distance par rapport au rôle, ne pas le
subir.
Etre libre c'est être informé. (... )
Etre informé permet de se rendre
compte de l'extraordinaire diversité (jes
modes de vie, des mentalités et des opinions. Il y a autant de réalités qu'il y a
de consciences qui saisissent la réalité.
Notre pays est heureusement riche en
diversités de par même son ouverture
sur toutes les cultures. Chaque région
a ses mœurs, ses croyances, sa culture
et son mode de vie.
Etre informé, permet enfin de vivre sa
différence, après avoir découvert que
cette différence n'est pas une exception
mais la règle (... )
Brahim Bensaïd
CASABLANCA
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RECETTES OFFERTES
PAR LA CENTRALE
LAITIERE
LES SAUCES:
SAUCE BECHAMEL
DANONE
NOMBRE DE PERSONNES 4
TEMPS TOTAL -INCLUS PREPARATION
& CUISSON 10 MINUTES
INGREDIENTS
- 4 Cuillerées à soupe de farine fine
- 2 Grands verres de lait
- 2 Cuillères à soupe de beurre
ou de margarine
Un peu de noix muscade, sel
- 2 Cuillères à soupe de DANONE nature
- Séparer le lait en deux récipients, le premier ira sur
le feu avec le beurre.
- Dans le deuxième récipient, défaire la farine dans le
lait froid et rajouter ce mélange dans le premier récipient qui devra être déjà porté à ébullition.
- Rajouter le sel et un peu de noix de muscade tout en
remuant sur le feu pendant 5 mn.
- Epaissir à volonté. Il ne doit pas y avoir de grumeaux.
. Une fois retirée du feu ajouter les deux cuillerées de
DANONE nature tout en mélangeant.
SAUCE SPECIALE
DANONE
NOMBRE DE PERSONNES 4
TEMPS TOTAL -INCLUS PREPARATION
& CUISSON 15 MINUTES
INGREDIENTS
- 100 Grammes de beurre
2 Cuillerées à soupe de farine fine
2 Jaunes d'oeuf crus, eau
1 DANONE Nature
Poivre blanc fin
1 Citron et du sel fin
- Mettre dans une casserole ou un récipient la moitié
du beurre, puis la farine, (faire cela en dehors de la
chal~ur du feu)
- Ajouter 1/4 de litre d'eau chaude, du sel, un peu de
poivre et les deux jaunes d'oeufs,
- Poser la casserole ou le récipient sur le feu et
remuer rapidement j\Jsqu'à ébullition,
- Retirer du feu et ajouter le reste du beurre et le
DANONE Nature,
- Sans arrêter de remuer avec une cuillère en bois,
- Finalement, ajouter quelques gouttes de citron,
- Cette sauce peut être servie de préférence, avec
des viandes grillées et aussi avec du poisson cuit ou
bouilli.
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C'est fiable.
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UNO 45 3Portes
UNO 45 S 5 Portes
Moteur FIRE 999 cm3
Vitesse maximale: 145 km/h
Consommation g<fKmlh. : 4,1 1.
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REGATA 70
Cylindrée: 1301 cm 3
Vitesse maximale: 155 km/h
Consommation 90 km/h : 5,4 1
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REGATA85S
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1498 cm 3
Cylindrée:
Vitesse maximale: 165 km/h
Consommation 90 km/h : 5,4 ,
REGATAD
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Cylindrée: 1697 cm~
Vitesse maximale: 150 km/ho
Consommation 90 km/h : 5,1 1.
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