Fin de la construction usufruit entre dirigeant et société : qu`en est

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Fin de la construction usufruit entre dirigeant et société : qu`en est
IPCF | Institut Professionnel des Comptables et Fiscalistes agréés
SOMMAIRE
p. 1/ F
in de la construction usufruit
entre dirigeant et société : qu’en
est-il des travaux de réparation et
d’embellissement ?
p. 4/ Taxation étalée des plus-values :
aperçu
p. 7/ L
a CNC se prononce sur la rectification
des comptes annuels
Lorsque le droit d’usufruit arrive à échéance, le nupropriétaire recouvre, par l’effet de la loi, la pleine propriété de l’immeuble dans son patrimoine privé sans
que le droit proportionnel de 10 % (en Flandre) et de
12,5 % (en Wallonie et à Bruxelles) ne soit dû.
Cependant, durant la période couverte par l’usufruit,
la société usufruitière a probablement supporté le coût
de certaines réparations ainsi que de certains aménagements et constructions apportés au bien.
Ces différents types de travaux posent question dans
la mesure où le dirigeant d’entreprise, en sa qualité de
nu-propriétaire, pourrait être tenté de faire supporter,
à la société, certains coûts qui lui incombent légalement.
C’est pourquoi, dans cette contribution, nous analyserons les obligations civiles incombant à l’usufruitier et
au nu-propriétaire en matière de réparations, d’aménagements et de constructions apportés au bien immeuble et les conséquences que leur non-respect peut
entraîner sur le plan fiscal.
1
A. Les grosses réparations et les
réparations d’entretien
Pendant la durée du droit, l’usufruitier a l’obligation
d’entretenir la chose. A ce titre, et en vertu de l’article 605 du Code civil, il est tenu compte des réparations d’entretien tandis que les grosses réparations
incombent au nu-propriétaire, à moins que celles-ci
n’aient été occasionnées par le défaut d’entretien de
l’usufruitier, auquel cas l’usufruitier y est aussi tenu1.
Dans un arrêt du 22 janvier 1970, la Cour de cassation
définit les grosses réparations comme étant les « travaux de rétablissement et de reconstruction ayant pour
objet la solidité générale et la conservation du bâtiment
dans son ensemble, qui revêtent un caractère de réelle
exception dans l’existence-même de la propriété et dont
les frais requièrent normalement un prélèvement sur le
capital […]
1
L’article 606 du Code civil dispose que « Les grosses réparations sont
celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des
couvertures entières ; Celui des digues et des murs de soutènement et de
clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d’entretien ».
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P 309339 – Bureau de dépôt 9000 Gent X – Bimensuel – Ne paraît pas dans les semaines 28-36
Fin de la construction usufruit
entre dirigeant et société : qu’en
est-il des travaux de réparation et
d’embellissement ?
Il appartiendra au juge de déterminer si les réparations
revêtent, sinon la nature des réparations expressément
visées par l’article 606, tout au moins un caractère comparable d’exception et d’importance, ou si, au contraire,
ce caractère extraordinaire ne peut leur être reconnu »2.
Une décision du Service des décisions anticipées (ciaprès « S.D.A. ») donne un aperçu des réparations devant être entendues comme des grosses réparations et
celles devant être qualifiées de réparations d’entretien
au sens des articles 605 et 606 du Code civil3.
1. Les grosses réparations
Selon le S.D.A., en plus des exemples donnés par le
Code civil, seront notamment considérées comme des
grosses réparations les travaux suivants : la réparation de la charpente d’une maison ; la réfection d’un
mur mitoyen ; l’installation ou le renouvellement du
chauffage central ainsi que l’installation ou le renouvellement de l’électricité4. Cette énumération est
conforme à l’interprétation donnée par la Cour de cassation dans son arrêt du 22 janvier 1970.
considérer, durant l’existence du droit réel où à l’extinction de celui-ci, qu’il y a lieu à imposition d’un
avantage de toute nature dans le chef du nu-propriétaire6.
B. Le sort des améliorations à
l’expiration du droit d’usufruit
Durant la période couverte par l’usufruit, l’usufruitier
a le droit d’user de la chose de manière conforme à sa
destination.
Dès lors, il a la possibilité d’effectuer certains aménagements ainsi que certains travaux et ouvrages sur la
chose, pourvu qu’il respecte sa destination.
1. Les aménagements constituant des
améliorations
Comme le précise l’article 599 du Code civil, l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer
aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites et ce, même si la valeur de la chose
s’en trouve augmentée.
2. Les réparations d’entretien
Toujours selon le S.D.A., seront notamment considérées comme des réparations d’entretien incombant à
l’usufruitier, les travaux suivants : les travaux de peinture des murs (même extérieurs), plafonds, portes et
fenêtres (à l’exclusion de la première mise en peinture) ; le vernissage ; les réparations aux puits ; les
réparations (à l’exclusion du renouvellement) au parquet, au plafond, aux escaliers, au toit ainsi que les
réparations des cheminées et le ramonage ; la révision
et les travaux d’un ascenseur et d’une pompe à eau ; le
recrépissage, même des gros murs ou encore la pose
de tapis (à l’exclusion de la première pose)5.
Sur le plan fiscal, l’administration fiscale ne peut,
en principe, à l’expiration de l’usufruit, qualifier
d’avantages de toute nature les aménagements et les
constructions pouvant être qualifiés d’améliorations.
La Cour de cassation considère toutefois que les améliorations ne peuvent s’étendre à l’ensemble des travaux effectués par l’usufruitier et que le montant de
celles-ci ne peut dépasser le montant des revenus pro-
6
3. Quid de l’indemnisation ?
Les réparations d’entretien effectuées par la société
usufruitière ne donneront lieu à aucune indemnisation du nu-propriétaire et ne posent dès lors aucune
difficulté sur le plan fiscal.
Par contre, en ce qui concerne les grosses réparations
prises en charge par la société et pour autant qu’elles
ne donnent lieu à aucune indemnisation du nu-propriétaire, l’administration fiscale serait en droit de
2
Cass., 22 janvier 1970, J.T., 1970, p. 203.
3
Décision anticipée n°700.234 du 9 octobre 2007, www.fisconet.be.
4
Ibid.
5
Ibid.
2
Cet avantage de toute nature serait, par hypothèse, non déclaré. Dès
lors, l’article 219 du C.I.R. trouverait à s’appliquer. Celui-ci prévoit
l’établissement d’une cotisation distincte ( la cotisation spéciale sur
« commissions secrètes »), à charge de la société, égale à 309 % (300 %
+ 3 % en vertu de l’article 463 bis du C.I.R.) des avantages de toute
nature qui ne sont pas justifiés au moyen de fiches individuelles et
d’un relevé récapitulatif établi dans les formes et les délais imposés
par le Roi. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin
2013 et de la publication de la circulaire du 22 juillet 2013, le recours
à la cotisation sur commissions secrètes ne serait plus aussi systématique qu’auparavant. En effet, cette circulaire stipule qu’ « Il est dès
lors expressément recommandé […] de ne plus considérer dorénavant
l’établissement de la cotisation distincte que comme une mesure
d’exception, si et seulement si l’impôt effectif et définitif à l’impôt des
personnes physiques dans le chef du bénéficiaire n’est pas (plus) possible dans les termes de la législation modifiée. Dans les cas concrets où
un doute pourrait encore subsister, il est dorénavant recommandé, sur
la base du bon sens, d’accorder la priorité à un règlement du problème,
de préférence par l’établissement d’une cotisation (complémentaire) à
l’impôt des personnes physiques plutôt que par l’établissement d’une
cotisation distincte à l’impôt des sociétés. ».
Enfin, si les conditions d’imposition d’un avantage de toute nature
ne seraient pas réunies, l’administration fiscale disposerait alors de
la possibilité d’imposer la société sur base de l’article 26 du C.I.R. Cet
article prévoit que les avantages anormaux ou bénévoles consentis
par une société à un tiers sont ajoutés à sa base imposable et taxés au
taux de l’impôt des sociétés.
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duits par le bien7. Il s’agit d’une notion à géométrie
variable8.
Constitueraient notamment des améliorations : « le
déplacement d’une cloison intérieure, la transformation
d’un grenier en chambre, le percement d’une lucarne
dans le toit, le placement d’une cuisine équipée, le remplacement des châssis, le changement du revêtement
des sols et des murs… »9.
2. Les aménagements dépassant la
notion d’amélioration
En revanche, la situation des aménagements et des
constructions qui dépassent la notion d’amélioration
est différente.
Partant du postulat qu’au terme du contrat le nu-propriétaire désire conserver les travaux effectués par la
société, il est souhaitable de prévoir le paiement d’une
indemnité suffisante par le nu-propriétaire, et ce,
même si, pour déterminer le montant de ceux-ci, il est
pris en compte les montants des redevances qui auront été acquittées par l’usufruitier pendant la jouissance de son droit10.
Dans le cas contraire, il existe un risque qu’à l’expiration du droit d’usufruit, un litige naisse avec l’administration fiscale. Cette dernière disposerait alors
d’une possibilité de taxer un avantage de toute nature
dans le chef du nu-propriétaire11.
Il est donc indéniable que le sort des ouvrages excédant la notion d’ « amélioration » doit faire l’objet d’une
indemnité. Cependant, la doctrine et la jurisprudence
étant divisées sur le fondement de l’indemnisation12,
nous nous rallions à l’opinion de Monsieur Beguin qui
préconise que l’acte d’usufruit fixe l’indemnité ou le
mode de calcul relatif à l’indemnisation des travaux
réalisés par l’usufruitier13.
Conclusion
Le dirigeant d’entreprise, en sa qualité de nu-propriétaire, doit impérativement résister à la tentation de
faire supporter à la société, sans indemnisation, certains coûts qui légalement lui incombent. En effet, s’il
succombe à celle-ci, les conséquences négatives sur le
plan fiscal pourraient venir réduire à néant les économies escomptées de l’opération de démembrement.
Les constructions impliquant une scission du droit
de propriété font l’objet des sept priorités actuelles du
fisc en matière de redressement fiscal. La prudence
s’impose dès lors.
Selon nous, la décision de ruling rendue le 18 janvier 2014 par le S.D.A. résume parfaitement l’attitude
à adopter par les parties pour conclure à l’absence
d’avantages de toute nature dans le chef du nu-propriétaire à l’échéance du droit d’usufruit14.
Il convient ainsi que les parties soient notamment attentives à ce que :
– seuls les travaux incombant légalement à l’usufruitier soient pris en charge par la société ;
–les travaux représentent un intérêt économique
dans le chef de la société usufruitière ;
– l’opération soit envisageable entre des parties totalement indépendantes15.
Enfin, les parties veilleront à ce que les travaux entrepris dans les cinq dernières années du droit d’usufruit,
et qui incombent légalement à l’usufruitier, soient
répartis proportionnellement entre la société usufruitière et le nu-propriétaire. Cette répartition tiendra
compte de la valeur respective des deux droits en présence par rapport à la valeur de la pleine propriété du
bien au moment où les travaux seront réalisés16.
Gil MEURISSE
Avocat au Barreau de Mons
7
Cass., 27 janvier 1887, Pas., 1887, I, p. 56. Voy. en ce sens Mons,
21 novembre 2012, R.G. n° 2011/1052, www.fiscalnet.be.
8
Pour une application de ce calcul voyez Mons, 21 novembre 2012,
R.G. n° 2011/1052, www.fiscalnet.be.
9
A. Gosselin et L. Herve, « Du sort des constructions et aménagements
immobiliers réalisés par l’occupant », Rev. Not., 2004, pp. 618-619.
10 L. Herve, « Superficie, emphytéose, usufruit et travaux : aspects civils
et contributions directes », R.G.F., 2008, pp. 19-20.
11 Voy. supra note infrapaginale 6.
12 Voy. à ce propos E. Sanzot, Les droits réels démembrés : aspects civils,
fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 52 et
53 ; E. Beguin, « La construction usufruit (les ventes usufruit/nue-propriété) : quelques questions, tentatives de réponse », Rec. gén. enr. not.
4, n°25.907, p.129 ; A. Vanderstraeten et G. Van Elder, « Habiter au
frais de sa société, une opération risquée ? », R.G.F., 2003, p.22.
13 E. Beguin, « La construction usufruit (les ventes usufruit/nue-propriété) : quelques questions, tentatives de réponse », Rec. gén. enr. not.
4, n°25.907, p.129.
L’auteur évoque différentes pistes pour déterminer les modalités
3
selon lesquelles l’indemnité sera calculée : le recours à des experts, la
fixation d’une méthode de calcul, le recours à certaines législations
spécifiques organisant un système d’indemnisation (règles particulières aux baux à ferme ou aux baux commerciaux, etc.).
14 Décision anticipée n° 2014.006 du 28 janvier 2014, www.fisconet.
be. Voy. également en ce sens la Décision anticipée n°9000.432 du
27 avril 2010, www.fisconet.be.
15 Ibid.
16 Ibid.
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Taxation étalée des plus-values :
aperçu
Lorsqu’une entreprise réalise certaines plus-values
non exonérées sur ses immobilisations corporelles et
incorporelles, ces plus-values sont en principe taxables
pour la période imposable au cours de laquelle elles ont
été réalisées. Dès lors, si une société vend une machine
alors que celle-ci était déjà entièrement amortie, elle
réalise une plus-value qui fera partie du résultat. Le
législateur a toutefois permis que les plus-values réalisées ne soient pas imposées en une seule fois, mais de
manière étalée.
Cette possibilité existe cependant à la condition que
le montant obtenu lors de la réalisation soit réinvesti.
Attention : la totalité du montant doit être réinvestie,
pas uniquement la plus-value. Dans la présente contribution, nous rappellerons tout d’abord les principes
généraux et ensuite, nous évoquerons à chaque fois
un certain nombre de cas particuliers en nous basant
sur la jurisprudence récente et les décisions administratives.
Quelles plus-values ?
La possibilité d’étaler la taxation de la plus-value
existe, d’une part, pour les plus-values forcées réalisées
sur des immobilisations corporelles et incorporelles,
c.-à-d. les plus-values qui résultent p.ex. d’un sinistre
ou d’une expropriation. En pareil cas, le contribuable
n’a en effet pas aliéné son actif de plein gré, moyennant un prix convenu.
sens, la Cour de cassation a dès lors jugé qu’une plusvalue réalisée sur un portefeuille de clients constitué
par le contribuable lui-même ne peut pas bénéficier de
la taxation étalée (Cass. 25 octobre 2013).
Délai
Pour les plus-values forcées, le remploi doit avoir lieu
au plus tard dans les trois ans à compter de la fin de
la période imposable au cours de laquelle l’indemnisation a été perçue. En principe, la plus-value ne naît
donc qu’à la réception de la somme d’argent. Si une
indemnisation est perçue le 24 juin 2014, le remploi
doit donc avoir lieu au plus tard le 31 décembre 2017.
En ce qui concerne les plus-values réalisées volontairement, le remploi doit avoir lieu dans les trois ans
à compter du premier jour de la période imposable
au cours de laquelle les plus-values ont été réalisées.
Si l’exercice comptable d’une entreprise se clôture le
31 décembre et que celle-ci réalise une plus-value volontaire le 24 juin 2014, le prix de vente doit donc être
réinvesti au plus tard le 31 décembre 2016.
Cette option existe, d’autre part, pour les plus-values
réalisées volontairement sur des immobilisations incorporelles pour lesquelles des amortissements ont été
admis fiscalement, ou sur des immobilisations corporelles. Les biens aliénés doivent toutefois avoir la nature d’immobilisation depuis plus de cinq ans avant
l’aliénation.
Le délai de remploi est porté à cinq ans si le prix de
vente est réinvesti dans un bien immobilier bâti, un
bâteau ou un avion. En outre, de tels investissements
réalisés au cours de l’avant-dernière période imposable
qui précède la réalisation de la plus-value entrent également en ligne de compte. Donc, si le contribuable
réalise p.ex. une plus-value volontaire le 24 juin 2014,
le délai de remploi court du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2018. Le contribuable peut également désigner
un bien immobilier bâti qui se trouvait déjà dans la
société. Dans notre exemple, il doit s’agir d’un investissement réalisé à partir du 1er janvier 2012 et la désignation de ce bien immobilier doit avoir lieu d’ici le
31 décembre 2016.
Plus-value sur goodwill
Remploi dans un bien immobilier
Lorsqu’un goodwill est acquis de tiers (p.ex. l’acquisition d’un portefeuille de clients), cet actif est amortissable. En revanche, un portefeuille de clients constitué
par le contribuable lui-même n’est pas amortissable,
car il ne peut pas être porté à l’actif des comptes de
bilan de l’entreprise (en effet, il ne s’agissait pas d’une
immobilisation incorporelle avant la cession). Dans ce
En pleine propriété ?
4
Lorsqu’une décision de taxation étalée est prise, la totalité du prix de réalisation doit être réinvestie dans
des actifs amortissables. Dans ce sens, il est donc impossible de réinvestir dans un bâtiment dont seule la
nue-propriété est acquise.
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Dans une décision du 4 juin 2013, la commission de
ruling a accepté que le bâtiment dont une société disposait par le biais d’un leasing financier – de sorte que
ce bâtiment avait été comptabilisé comme immobilisation corporelle – entre en ligne de compte comme
remploi donnant droit au délai de remploi prolongé
de cinq ans. Cette thèse n’était toutefois pas conforme
à une vision (ancienne) du Ministre des Finances qui
avait déclaré en 2001 que seuls les immeubles bâtis
acquis en propriété donnaient droit au délai de remploi prolongé.
Dans une décision du 21 mai 2013, le Service des Décisions Anticipées a jugé que l’acquisition d’un droit
d’emphytéose suffit également comme actif de remploi
donnant droit à un délai de remploi prolongé.
Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de réinvestir dans des
immeubles situés en Belgique. Les immeubles situés
dans d’autres pays de l’EEE (Espace économique européen) entrent également en ligne de compte.
Travaux de transformation et
d’amélioration
Dans sa décision anticipée du 11 juin 2013, la commission de ruling a déclaré que les investissements
effectués dans le cadre de travaux de transformation et d’amélioration entrent également en ligne
de compte comme remploi dans un immeuble bâti.
Concrètement, il s’agissait de travaux importants, à
caractère durable, servant à améliorer la structure,
l’aspect extérieur, l’hygiène et le confort en général,
ou à modifier la destination de l’immeuble. Il n’est par
ailleurs pas nécessaire que les travaux entraînent une
modification du RC.
Le principal aspect à prendre en considération, selon
la commission de ruling, est l’incorporation obligatoire des travaux au bâtiment. Formellement, cela se
traduit par une inscription de ces investissements
dans les mêmes comptes du grand livre que les bâtiments et un amortissement sur une durée identique à
la durée de vie résiduelle du bâtiment.
Acquérir des actifs au moyen d’une
fusion
L’article 47 du CIR 92 précise uniquement qu’il faut
réinvestir pour que la plus-value réalisée puisse
être taxée de manière étalée. Dans le passé s’est dès
lors posée la question de savoir si un élément d’actif
amortissable acquis à l’occasion d’une fusion pouvait
également être considéré comme un remploi valable.
Le fisc déclare en effet dans son commentaire (Com.
5
IR 1992, n° 211/59) que ce n’est pas possible, sauf
éventuellement pendant la période de rétroactivité
telle qu’elle a été définie dans la proposition de fusion.
En 2011, un tel cas a été soumis à l’appréciation du
tribunal de première instance de Gand. Concrètement,
une entreprise avait réalisé une plus-value sur un immeuble et opté pour une taxation étalée de cette plusvalue. Pendant le délai de remploi de cinq ans, une
fusion par absorption exonérée avait été réalisée. La
société absorbée avait toutefois investi dans un ancien
immeuble. Le contribuable estimait que cet immeuble
constituait un remploi valable.
Le juge a jugé, d’une part, que l’article 47 du CIR 92
ne détermine pas de quelle manière un remploi doit
être effectué, mais uniquement dans quels actifs.
D’autre part, le principe de neutralité de la fusion
exonérée doit également être respecté. Compte tenu
de ces deux éléments, une fusion exonérée ne pouvait
donc pas faire obstacle à un remploi valable. L’administration n’a pas été d’accord avec ce jugement et
a interjeté appel, mais en 2013, la Cour d’appel de
Gand a confirmé le jugement du juge de première
instance. Reste toutefois à savoir si l’administration
modifiera sa position et suivra cette jurisprudence à
l’avenir.
Avantages d’une taxation étalée
L’avantage du remploi réside dans la taxation étalée de
la plus-value réalisée. Du point de vue fiscal, la plusvalue constitue en effet une réserve exonérée d’impôt
qui est ensuite, année après année, taxée à partir de
la période imposable au cours de laquelle le remploi a
lieu, et ce, proportionnellement aux amortissements
admis fiscalement sur les investissements effectués en
remploi. On pourrait donc se demander quel est, tout
compte fait, l’avantage d’une telle taxation étalée. En
fin de compte, la plus-value est tout de même taxée à
l’impôt des sociétés.
Un premier avantage réside dans le fait que la taxation
de la plus-value ne doit pas être payée en une seule
fois. Une importante plus-value peut en effet générer
un coût financier considérable pour la société. Grâce à
l’échelonnement de la taxation, cette charge financière
est étalée dans le temps. De plus, la société dispose
plus longtemps de ces moyens financiers, ce qui lui
permet de réaliser un rendement interne sur une plus
longue période.
Accessoirement, il y a également lieu de tenir compte
de l’inflation. Si quelqu’un (le fisc en l’occurrence) reP a c i ol i N ° 396 I P C F - B I B F / 5-18 janvier 2015
çoit un montant de 5 000 EUR dans 15 ans, il pourra
alors acheter moins avec cette somme que s’il la recevait aujourd’hui. Une même somme d’argent a en
effet plus de valeur aujourd’hui que dans le futur. En
inversant le raisonnement, vous avez plus intérêt à
avoir un bonus de 5 000 EUR en caisse aujourd’hui
que dans 15 ans. Plus la taxe pourra donc être payée
tard, mieux cela vaudra.
Une société qui a droit au taux réduit progressif à
l’impôt des sociétés peut éventuellement, grâce à la
taxation étalée, faire imposer la plus-value dans une
tranche inférieure (p.ex. à 24,98 % ou 31,93 %). En effet, si la plus-value est intégrée en une seule fois dans
la base imposable, le bénéfice de la société sera plus
vite taxé à un taux plus élevé (35,54 %).
Réserves exonérées et impôts
différés
Lorsque, compte tenu des avantages précités, une entreprise opte pour une taxation étalée de la plus-value
réalisée, cette dernière est comptabilisée pour 66,01 %
dans les réserves exonérées et pour le solde (33,99 %)
dans les impôts différés. Par contre, si la société enregistre une perte, il y a lieu d’exprimer la charge fiscale
effective. Cette perte annulera en effet la charge fiscale
de 33,99 %.
suffira pas et une taxation partiellement étalée de la
plus-value ne sera pas non plus possible. À l’issue du
délai de remploi, la totalité de la plus-value deviendra
taxable.
De plus, des intérêts de retard (7 %) sont dus. En
effet, le fisc ne perçoit l’impôt dû que trois ou cinq
ans plus tard que prévu initialement. Cet intérêt
de retard est dû à compter du 1er janvier de l’année
d’imposition pour laquelle l’immunité a été accordée.
Récemment (le 29 janvier 2014), deux questions parlementaires ont été posées à ce sujet au Ministre des
Finances.
Une première question concernait le cas où, pendant l’exercice au cours duquel la plus-value devient
taxable (à la suite de l’expiration du délai de remploi),
il n’existe aucune base imposable. Dans ce cas, des intérêts de retard sont-ils également dus ? Le Ministre a
confirmé que lorsque la base taxable est égale à zéro
pour une période imposable déterminée, il n’existe
pas non plus de base pour calculer des intérêts de
retard.
Si cette condition d’intangibilité n’est plus remplie,
cette réserve est taxable immédiatement, c’est-à-dire
pendant la période imposable au cours de laquelle
cette condition n’est plus respectée.
Une deuxième question concernait le cas où une société rend spontanément la plus-value taxable avant
l’expiration du délai de remploi, p.ex. pour ne rien
perdre en termes de déduction reportée des intérêts
notionnels. Des intérêts de retard sont-ils dus dans ce
cas ? Le Ministre s’en est tenu à une lecture stricte de
la loi. L’article 416, al. 1er, du CIR 92 (l’article relatif à
la débition d’intérêts de retard) fait explicitement référence « aux plus-values imposables en vertu de l’article
47, § 6 ». Il s’agit concrètement des plus-values devenues imposables à la suite de l’expiration du délai de
remploi. Si donc la plus-value est spontanément rendue taxable pendant le délai de remploi, aucun intérêt
de retard n’est dû.
Quid en cas d’absence de remploi ?
Conclusion
Si aucun réinvestissement n’a été effectué à l’issue
du délai de remploi, la réserve exonérée comptabilisée redevient, en une fois, un bénéfice taxable pour
la période imposable au cours de laquelle le délai est
venu à expiration.
La taxation étalée des plus-values offre de nombreux
avantages et possibilités au contribuable. La jurisprudence et les décisions récentes de la commission de
ruling montrent également qu’il s’agit d’une matière
fiscale qui est encore en pleine évolution. Les sociétés doivent cependant toujours veiller à ce que toutes
les conditions soient scrupuleusement respectées en
la matière, et ce, pour éviter une brusque majoration
(indésirable) du résultat imposable.
La réserve exonérée n’est pas taxée tant que la condition d’intangibilité est remplie. Autrement dit, tant
que cette part continue de faire partie du patrimoine
de la société.
De même, lorsque la société ne parvient pas à réinvestir la totalité du prix de vente pendant le délai de
remploi, on considère qu’il y a absence de remploi.
Donc, si une vente est réalisée à concurrence de
10.000,00 EUR et que la plus-value représente également 10.000,00 EUR, la totalité de cette somme
doit être réinvestie. Un remploi de 8.000,00 EUR ne
6
Dries TORREELE
Senior Consultant Tax&Legal Vandelanotte
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La CNC se prononce sur la
rectification des comptes annuels
Dans son quatrième avis de l’année 2014, la Commission
des normes comptables s’est intéressée au traitement
comptable des rectifications de comptes annuels déjà approuvés. La CNC a été saisie de la question de savoir dans
quels cas les entreprises peuvent rectifier des comptes
annuels approuvés par l’assemblée générale et quel est
le traitement comptable à réserver à ces rectifications.
Les comptes annuels approuvés ont
force obligatoire…
Une fois que les comptes annuels sont approuvés, ils
ne peuvent, en principe, plus être modifiés par après.
Les comptes annuels engagent les administrateurs
ou gérants, ainsi que les associés ou actionnaires,
et naturellement la société elle-même. Par le respect
de leurs obligations en matière d’établissement et de
publication des comptes annuels, les organes de la
société ont épuisé leurs compétences en la matière et
les comptes annuels acquièrent un caractère définitif.
… mais il y a des exceptions
Des exceptions à ce principe sont toutefois possibles. Il
est avant tout possible, lors de l’établissement des nouveaux comptes annuels, de redresser certains chiffres
de l’exercice précédent en vue de leur comparabilité
(voyez art. 83, alinéa 2 AR/C. soc.). Lorsque les chiffres
de l’exercice en cours de clôture ne sont pas comparables
à ceux de l’exercice précédent, ils peuvent donc être redressés. Ce redressement ne nécessite pas d’écritures
additionnelles, mais doit être signalé et dûment commenté dans l’annexe, sauf s’il s’agit de redressements
minimes. En outre, les comptes annuels précédemment
approuvés peuvent ou doivent, dans certains cas, être
rectifiés rétrospectivement dans le cas où des « erreurs »
se sont produites. Les erreurs intervenues lors de l’enregistrement de la vie économique de l’entreprise portent
en effet atteinte à l’image fidèle des comptes annuels et
doivent pouvoir être rectifiées, de manière à donner une
image fidèle et complète de la réalité.
Erreurs
Dans le cas où des « erreurs » se sont produites, les
comptes annuels précédemment approuvés peuvent
donc être rectifiés rétrospectivement. Qu’entend-on en
l’occurrence par « erreurs » ?
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Par « erreurs », on vise en premier lieu les erreurs
matérielles. La CNC cite pour exemples, l’erreur de
plume, l’évaluation de stock fondée par distraction sur
les prix de vente au lieu des prix d’achat, la comptabilisation par inadvertance d’un certain produit sur
un compte incorrect, les erreurs de calcul ou autres
erreurs de fait grossières non fondées sur une quelconque appréciation juridique.
Selon la Commission, les « erreurs » peuvent également être des erreurs de droit ou des erreurs de fait,
ou même une erreur (non par inadvertance) dans
l’évaluation d’un poste des comptes annuels. Ces erreurs contiennent un élément d’appréciation. Enfin,
l’existence d’une erreur peut également être supposée
en cas d’infractions au droit comptable.
Les décisions de gestion ne sont pas
rectifiables
Les décisions proprement dites, exprimées dans les
comptes annuels, ne peuvent pas être rectifiées. Le
droit comptable prévoit certaines dispositions, telles
que les règles d’évaluation, qui, dans leur application,
laissent à l’entreprise une certaine liberté de gestion.
Les règles de droit comptable laissent donc à l’entreprise une marge d’appréciation. Selon la jurisprudence, les décisions exprimées dans les comptes annuels sont toujours définitives et irrévocables, même
si, rétrospectivement, il s’avère qu’elles ont été prises
peu judicieusement et à la légère. En effet, par la prise
d’une décision, la société a créé une réalité juridique
pour elle-même, sur laquelle elle ne peut plus revenir,
ce qui fait que les comptes annuels approuvés sont
irrévocables.
Dans la pratique : rectification par
l’assemblée générale …
Si les administrateurs de la société constatent une violation du droit comptable qui s’est produite par erreur et
qui n’a d’impact que sur les derniers comptes annuels
déposés, ils sont tenus, en principe, sans attendre la date
de la prochaine assemblée générale statutaire, de convoquer une assemblée générale spéciale afin d’apporter les
modifications nécessaires pour que les comptes annuels
soient conformes à la loi. Dans ce cas, une rectification
des comptes annuels s’impose. Une modification réP a c i ol i N ° 396 I P C F - B I B F / 5-18 janvier 2015
troactive des comptes annuels originels, par laquelle les
comptes annuels originels sont redressés de sorte qu’ils
soient conformes à la loi, n’est, quant à leur forme, possible que si l’organe de gestion présente en projet une
nouvelle version adaptée des comptes annuels à l’assemblée générale qui l’approuvera. En l’occurrence, la rectification via le résultat de l’exercice au cours duquel la
violation a été constatée, ne suffirait pas selon la CNC.
Ce qui précède, exprime l’avis de la Commission lorsque
les comptes annuels à rectifier n’ont pas encore constitué la situation d’ouverture des comptes annuels suivants, à savoir lorsque l’erreur est constatée dans la
période comprise entre le dépôt des comptes annuels
concernés et le dépôt des comptes annuels relatifs à
l’exercice suivant. Si, toutefois, il s’avérait nécessaire
de rectifier des comptes annuels antérieurs aux derniers comptes annuels déposés, cette rectification ne
pourra se faire que par le redressement de la situation
d’ouverture des derniers comptes annuels déposés.
Dans les deux cas, les derniers comptes annuels déposés doivent donc être rectifiés. Concrètement, la rectification devra, selon la Commission, s’effectuer de la
façon suivante :
– redressement éventuel des chiffres correspondants
(dans le cas où l’infraction au droit comptable est
survenue au cours de la période précédant le dernier exercice clôturé) ;
– écritures de correction dans le dernier exercice clôturé (modification du bilan d’ouverture – dans le cas
où l’erreur s’est produite avant le dernier exercice
clôturé – et autres écritures de correction, dans le
dernier exercice clôturé) ;
– mention dans l’annexe : dans l’annexe des comptes
annuels rectifiés, la nature et la méthode de rectification de l’erreur doivent être mentionnées. Dans
le cas où l’erreur s’est produite au cours d’une des
années précédentes, l’annexe des comptes annuels
redressés doit mentionner l’information nécessaire
sur la survenance et la nature de l’erreur et son effet sur les comptes annuels en question.
La société peut toutefois, si elle juge que cette solution
présente une utilité et qu’elle est praticable, procéder
à la rectification (rétablir et approuver à nouveau)
de tous les comptes annuels publiés par le passé qui
sont entachés de l’erreur. Il y a lieu de préciser dans
l’annexe, la nature et, le cas échéant, l’importance et
le mode de redressement de la faute ou de l’erreur.
La révision d’une série de comptes annuels antérieurs
est, selon la Commission, la méthode par excellence
pour signaler aux intéressés la gravité de l’infraction
et son impact sur les comptes annuels. Les comptes
annuels sont à nouveau comparables après la rectification.
Les comptes annuels redressés doivent également être
déposés auprès de la Banque Nationale de Belgique.
… mais il y a des exceptions
Bien qu’il appartienne, en principe, à l’assemblée générale d’approuver les comptes annuels redressés, l’organe de gestion prend, dans certains cas, pour des raisons pratiques, la responsabilité de procéder d’autorité
à la rectification d’erreurs, sans convoquer une assemblée générale. C’est le cas lorsqu’il s’agit de la rectification d’une erreur matérielle qui apparaît à l’évidence :
–des comptes annuels approuvés eux-mêmes (par
exemple, une faute dans l’adresse de l’administrateur, l’oubli de mentionner dans l’annexe l’obtention
par la société d’une dérogation relative à la monnaie
fonctionnelle, les erreurs d’arrondi, …) ;
– d’autres actes émanant de l’assemblée générale (par
exemple, lorsque l’affectation du résultat initialement proposée est reprise dans les comptes annuels
déposés, alors qu’elle a été modifiée lors de l’assemblée générale et qu’elle ne correspond donc pas à
l’affectation définitivement approuvée). Dans ces
cas, l’erreur ne doit pas être rectifiée par l’assemblée
générale, puisque celle-ci a approuvé les comptes
annuels corrects.
Fraude
La CNC précise également qu’elle ne se prononce pas,
dans cet avis, sur les implications comptables résultant de la fraude et que cet avis ne concerne que les
rectifications d’erreurs.
Prof. dr. STIJN GOEMINNE
Université de Gand, Faculté Economie & Gestion d’entreprises
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C. LEFEBVRE, Katholieke Universiteit Leuven.
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