La gentrification à Bruxelles. Symptômes et conséquences

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La gentrification à Bruxelles. Symptômes et conséquences
MEMOIRE
Présenté en vue de l'obtention du Master en Sciences
économiques, finalité Analyse et politique économique
La Gentrification à Bruxelles
Symptômes et Conséquences
Colin Vanden Eynden
Directeur: Professeur Estelle Cantillon
Assesseur: Professeur Micael Castanheira
Table des matières
Remerciements ........................................................................................................................... 3
Introduction ................................................................................................................................ 4
Partie 1 : Revue des théories de la gentrification ....................................................................... 7
1.1.
L'approche dite de la production ................................................................................. 7
1.1.1.
La théorie du différentiel de loyer de Neil Smith (rent gap theory) ..................... 8
1.1.2.
Évaluation de la théorie du différentiel de loyer ................................................ 12
1.2.
L'approche dite de la consommation ......................................................................... 14
1.3.
Vers une théorie intégrée ........................................................................................... 16
Partie 2 : Les spécificités de la gentrification à Bruxelles ....................................................... 18
Partie 3 : Cadre d’analyse......................................................................................................... 22
Partie 4 : Analyse...................................................................................................................... 29
4.1.
Identification des quartiers concernés ....................................................................... 29
4.2.
Effet de la gentrification sur la mixité ....................................................................... 42
4.2.1.
La mixité économique ........................................................................................ 42
4.2.2.
La mixité sociale ................................................................................................ 44
4.2.3. Vers un modèle de la dynamique de la mixité dans les quartiers en cours de
gentrification .................................................................................................................... 52
Conclusion ................................................................................................................................ 60
Bibliographie ............................................................................................................................ 63
Annexes .................................................................................................................................... 66
1
Table des Tableaux
Tableau 3.1 – Résumé des différents impacts attendus des deux types de gentrification sur le
bien-être des différents groupes de personnes concernés par le phénomène...................... 28
Tableau 4.1 – Détails des 15 secteurs statistiques sélectionnés ............................................... 37
Tableau 4.2 – Indice de mobilité dans les 15 secteurs statistiques sélectionnés ...................... 41
Tableau 4.3 – Population de 18 ans et plus ne suivant plus d’enseignement par niveau
d’instruction : les propositions des recensements............................................................... 45
Tableau 4.4 – Calcul de l’indice de Simpson pour les quartiers sélectionnés (1991-2001) ..... 48
Tableau 4.5 – Évolution de l’indice de Simpson pour les 15 quartiers sélectionnés ............... 54
Tableau 7.1 – Calcul de l’indice de Simpson pour les quartiers sélectionnés (1991-2001) ..... 66
Tableau 7.2 – Évolution de l’indice de Simpson pour les 15 quartiers sélectionnés ............... 68
Tableau 7.3 – ANOVA : Intensité de déménagement ............................................................... 69
Tableau 7.4 – ANOVA : Ecart interquartile .............................................................................. 70
Tableau 7.5 – ANOVA : Coefficient interquartile .................................................................... 70
Tableau 7.6 – ANOVA : Indice de Simpson 1991 – 4 catégories ............................................. 70
Tableau 7.7 – ANOVA : Indice de Simpson 2001 – 4 catégories ............................................. 71
Tableau 7.8 – ANOVA : Indice de Simpson 1991 – 3 catégories ............................................ 71
Tableau 7.9 – ANOVA : Indice de Simpson 2001 – 3 catégories ............................................ 71
Tableau 7.10 – Population active occupée par statut professionnel : les propositions ............ 72
Tableau 7.11 – Population active occupée par secteur d’activité : les propositions ................ 72
Table des Figures
Figure 1.1 – Le cycle de dépréciation et la formation du différentiel de loyer ........................ 10
Figure 4.1 – Carte des secteurs statistiques bruxellois ............................................................. 39
Figure 4.2 – Répartition de la population en fonction du diplôme – 15 secteurs gentrifiés .... 49
Figure 4.3 – Répartition de la population en fonction du diplôme – 616 autres secteurs ........ 51
Figure 4.4 – Proposition pour une courbe de Kuznets relative à la gentrification .................. 53
Figure 4.5 – Corrélation indice de Simpson (1991) – Progression de l’indice (1991-2001) ... 55
Figure 4.6 – Proposition alternative pour une courbe de Kuznets relative à la gentrification . 58
Figure 7.1 – Répartition de la population en fonction du diplôme – 15 secteurs gentrifiés .... 67
Figure 7.2 – Répartition de la population en fonction du diplôme – 616 autres secteurs ........ 67
Figure 7.3 – Corrélation indice de Simpson (1991) – Progression de l’indice (1991-2001) ... 68
2
Remerciements
Je remercie tout d’abord Estelle Cantillon, ma promotrice de mémoire, pour ses conseils
avisés et pour le temps qu’elle m’a consacré avec patience ces derniers mois.
Je souhaiterais ensuite remercier quelques personnes qui m’ont été d’une grande aide dans la
réalisation de ce mémoire :
-
Cécile Cuypers de la Direction générale Statistique et Information économique, qui
m’a permis d’avoir accès aux données des recensements décennaux ;
-
Alexandre Dauphin dont l’avis de physicien m’a été précieux (merci pour recours!) ;
-
Didier Willaert, van de VUB, om me de gegevens van de verhuismobiliteit te hebben
verschaft.
J’aimerai aussi remercier mon père, pour ses relectures attentives, mon frère pour m’avoir
initié aux programmes de retouche d’image qui me furent très utiles et ma mère pour sa
contribution à la création de conditions matérielles idéales pour mon travail (merci pour les
bons petits plats!).
Ringrazio anche Alessia, la mia ragazza, per avermi sostenuto durante questi ultimi mesi e per
avermi aperto le porte della biblioteca universitaria di Gand. Non ti ho dedicato il tempo che
meritavi durante le ultime settimane...
Mes remerciements vont également à mes amis Antoine J., Damien, Ibrahim, Antoine E.,
Benoît, Sébastien, Michael, Jean-François, Éric et Thi-Tiên sur qui j’ai toujours pu compter.
Ce mémoire est dédié (en vrac) à Teneesse Williams, Alfred de Musset, Simon Kuznets, Errol
Flynn, Claudette Colbert, Serge Rachmaninov, Arturo Toscanini, Mirella Freni, Patrick
O’Brian, Alexandre Pouchkine, Ludovico Einaudi, Matt Harding, Guidoriccio da Fogliano, la
contrada dell’Istrice.
3
Introduction
Dans les années 60, un phénomène sans précédent de réhabilitation de certains anciens
quartiers industriels, par une classe moyenne aisée, s'observe pour la première fois au centre
de Londres. Afin de décrire ce changement démographique neuf à l'époque, la sociologue
anglaise Ruth Glass invente, en 1964, le terme « gentrification » sur base du mot « gentry »
qui désigne la classe supérieure dans la société britannique1. Jusqu'alors, le processus
d'abandon des centres-villes par les populations les plus riches était considéré comme
inévitable et la suburbanisation des classes moyennes était considérée par certains modèles
comme le stade final du processus de passage de la ville pré-industrielle à la ville industrielle
(Hamnett, 1991, p. 173).
Quarante-cinq ans après cette première description, force est de constater que ce phénomène
s'est depuis amplifié, répandu et généralisé à presque toutes les grandes villes occidentales. Il
suffit de citer les quartiers du Marais à Paris, de Soho à New-York ou encore de HaightAshbury à San Fransisco pour saisir que les exemples de quartiers « gentrifiés » abondent.
L'American Heritage Dictionary de 1982 proposait de définir la gentrification comme « la
restauration de propriétés urbaines détériorées, particulièrement dans des quartiers ouvriers,
par la classe moyenne et supérieure ». Alors qu'une abondante littérature scientifique s'est
développée, se penchant notamment sur le pourquoi et le comment de la gentrification, la
nécessité d'une définition plus générale, prenant en compte, non seulement les changements
sociaux, mais également économiques, s'est fait sentir. De ce point de vue, Chris Hamnett
(1984, p. 284), auteur d'importantes contributions sur le sujet, précise la question de manière
particulièrement complète. Pour lui, la gentrification « implique en général l'invasion de
quartiers auparavant ouvriers ou d'immeubles collectifs en dégradation par des groupes de
classes moyennes ou aisées et le remplacement ou le déplacement de beaucoup des occupants
originaux de ces quartiers. Cela implique la rénovation ou la réhabilitation physique de ce
qui était auparavant un stock de logements très dégradés et son amélioration pour convenir
aux besoins des nouveaux occupants. Au cours de ce processus, le prix des logements situés
dans les quartiers concernés, réhabilités ou non, augmente fortement. Un tel processus de
transition des quartiers implique en règle générale un certain degré de transformation des
1
Il n’existe pas d’équivalent en français au mot « gentrification ». Le terme « embourgeoisement » est parfois
utilisé, mais est inexact en ce qu’il décrit l’évolution sociale d’un quartier déjà préalablement considéré comme
bourgeois et n’ayant donc jamais abrité une population défavorisée.
4
statuts d'occupation, de la location à la propriété occupante. »
La gentrification est donc un phénomène multiple aux implications aussi bien sociales que
matérielles, économiques et culturelles. Il n'est, par conséquent, pas surprenant que le sujet ait
fait l'objet d'un très grand nombre d'articles scientifiques, et ait intéressé autant les urbanistes
que les économistes, les géographes, les sociologues, etc., lesquels n'ont pas manqué de
mettre en avant les conséquences, aussi bien positives que négatives, du phénomène. Sujet de
débats et de controverses non dénués d'idéologies, il a également attiré l'attention des
politiques et du public.
Les premières études s’intéressent principalement au phénomène dans les villes anglosaxonnes et ont visé à présenter la gentrification comme un processus qui suivrait une
succession d'étapes bien déterminées : tout d'abord, des gentrifieurs pionniers, n'ayant pas
peur de prendre des risques, commencent par s'installer dans un quartier considéré comme
défavorisé. Ce sont souvent des membres de groupes alternatifs (artistes, hippies,
homosexuels, etc.) à la recherche d'un style de vie non-conformiste et d'une certaine mixité
sociale. Ensuite, ce sont des ménages plus conventionnels, issus en général de la classe
moyenne qui viennent s'installer, en rénovant à leur usage leurs lieux de vie. Finalement, des
agents immobiliers s'intéressent au quartier et acquièrent des propriétés qu'ils rénovent avant
de les revendre à des ménages aisés, intéressés par ce qui est maintenant devenu un
investissement sans risque. Il va sans dire que les habitants d’origine de ce quartier ne peuvent
généralement pas faire face à la hausse du loyer que le processus implique et doivent donc
déménager dans d'autres secteurs plus abordables. Dans ce contexte, le gentrifieur type est
décrit par Gale (1979, p. 295) comme faisant partie d'un ménage « sans enfant et composé
d'un ou deux adultes blancs ayant dans la vingtaine ou la trentaine. Possédant un diplôme
supérieur, le chef du ménage exerce bien souvent une profession libérale voire même parfois
une fonction managériale ».
Actuellement, cette approche par étape du processus a perdu beaucoup de sa pertinence. En
effet, depuis les années 80, le rôle des acteurs immobiliers et publics a pris une importance
considérable dans le processus de gentrification et celui-ci est maintenant bien souvent le fruit
de politiques urbaines voulues par les autorités. De plus, le phénomène de gentrification est
devenu beaucoup plus large, se manifestant sous des formes aussi diverses que variées. Ainsi,
on parle parfois de gentrification rurale (ou de greentrification) pour désigner le
5
(re)développement de zones rurales, de « new-build » gentrification pour caractériser la
construction de nouveaux logements et non la réhabilitation d'anciennes propriétés et de
super-gentrification (ou financification) pour un phénomène impliquant de très grands
investissements économiques et financiers dans un quartier déjà gentrifié (voir Lees et al.,
2007 pour une approche détaillée de ces différents phénomènes).
Depuis la fin des années 70, les travaux théoriques concernant l’analyse de la gentrification se
sont principalement inscrits dans deux styles d'approche radicalement opposés. Dans la
première partie de ce mémoire, nous allons tenter de synthétiser ces théories qui ont animé le
débat de la gentrification durant les dernières décennies.
Dans la seconde partie, nous nous pencherons sur le cas de Bruxelles en particulier et sur la
manière dont cette ville est affectée par le processus. Nous tenterons de souligner quelles sont
les spécificités propres au phénomène bruxellois et quelle est la forme de gentrification qui
prévaut à Bruxelles.
La gentrification est, comme nous venons de le souligner, un processus pouvant prendre des
formes fort différentes. Nous consacrerons donc la troisième partie de ce mémoire à la
manière dont les principales formes de gentrification, et en particulier celle qui semble
prédominer à Bruxelles, affectent les différentes catégories de personnes concernées par le
phénomène. Pour ce faire, il sera notamment nécessaire de se pencher sur le caractère positif
ou non de la mixité socio-économique.
Cette mixité socio-économique est souvent utilisée par les décideurs pour justifier
l’implémentation de politiques favorisant la gentrification. Dans la quatrième partie, afin de
déterminer quel serait le bien fondé de cette argumentation, nous essayerons de déterminer, à
l’aide d’outils statistiques, quel est l’impact de la gentrification sur la mixité socioéconomique des quartiers concernés par le phénomène. A cette fin, nous devrons
préalablement déterminer, à l’aide de critères pertinents et compatibles avec les particularités
bruxelloises mises en évidence dans les parties précédentes, quels sont, précisément, les
quartiers bruxellois sujets à la gentrification. Nous tenterons, finalement, de proposer un
modèle relatif à la dynamique de la mixité sociale dans un quartier en cours de gentrification.
6
Partie 1 : Revue des théories de la gentrification
Les débats autour de la gentrification se sont concentrés autour de deux approches
concurrentes. La première, comprend les théories dites de la production et insiste sur le rôle
déterminant joué par le capital et le profit dans le processus de gentrification. La seconde,
englobe les théories dites de la consommation, c'est-à-dire qui mettent l'accent sur les
préférences des gentrifieurs et expliquent donc la gentrification comme une conséquence de
changements dans la structure industrielle et occupationnelle des villes capitalistes avancées.
Les échanges entre Neil Smith et David Ley, les figures de proue respectives de ces deux
approches différentes, s'ils ont parfois été très vifs, ont surtout été extrêmement enrichissants
(Ley, 1986 ; 1987 ; Smith, 1987). Ils ont contribué d'une manière non négligeable à faire
progresser la compréhension du phénomène complexe qu'est la gentrification. Ces théories et
leurs implications seront détaillées dans les sections 1 et 2 de cette partie. Aujourd'hui, l'on
s'accorde néanmoins à dire que si chacune de ces deux approches parvient relativement bien à
saisir certains aspects du processus, aucune n'est suffisante par elle même. La nécessité d'une
théorie de la gentrification réunissant à la fois l' « approche production » et l' « approche
consommation » s'est donc fait sentir afin de fournir une explication exhaustive du
phénomène. A ce propos, nous nous pencherons, dans la troisième section de cette partie, sur
la tentative de Chris Hamnett de formuler une théorie intégrée de la gentrification.
1.1.
L'approche dite de la production
Les théories de la production expliquent comment la possibilité de dégager d'importants
profits fournit à des individus et à des organisations la motivation nécessaire pour réhabiliter
certains quartiers préalablement abandonnés. Elles trouvent leurs origines dans un article
célèbre que publia Neil Smith en 1979 dans le Journal of the American Planning Association
et qui chamboula complètement les théories urbaines néoclassiques de l'époque. D’après
Smith, une explication de la gentrification basée uniquement sur les actions des gentrifieurs
(les consommateurs), comme l'est l'explication néoclassique, est extrêmement réductrice en ce
qu'elle omet le rôle, selon lui déterminant, des agents immobiliers, des promoteurs, des
propriétaires, des prêteurs et des agences gouvernementales (Smith, 1979, p. 540). Pour
Smith, ce sont d’avantage les forces économiques que les forces culturelles qui seraient à
7
l'origine du phénomène. Il plaide donc pour la prise en compte, dans toute théorie de la
gentrification, du rôle à la fois des producteurs et des consommateurs, tout en affirmant que
les besoins de la production, en particulier celui de dégager du profit, est un facteur qui
domine toujours les préférences des consommateurs dans l'explication du phénomène.
L'approche basée sur la production, tient donc pour acquise l’existence d’une demande de
logements gentrifiables de la part des consommateurs et se focalise donc sur les circonstances
de la production de tels sites.
Dans son fameux papier d'octobre 1979, Neil Smith développait, en outre, pour la première
fois, sa théorie du différentiel de loyer (rent gap theory) qui allait alimenter les débats sur la
gentrification durant de nombreuses années. Cette théorie, qui néglige le rôle des préférences
affichées par les consommateurs dans les processus de transformation urbains, met en
évidence l'offre de propriétés gentrifiables et le fonctionnement des marchés foncier et
immobilier. De par son impact, la théorie du différentiel de loyer peut être considérée comme
la plus influente des tentatives d’explications de la gentrification du point de vue de la
production (Lees et al, 2007, p. 42). Les deux sections suivantes seront consacrées
respectivement à l'exposition et à l'évaluation de cette théorie.
1.1.1. La théorie du différentiel de loyer de Neil Smith (rent gap theory)
La théorie du différentiel de loyer se propose d'expliquer la gentrification des centres-villes
comme le produit d'investissements et de désinvestissements sur le marché foncier.
Smith considère le prix de vente d'une propriété (sale price) comme la somme de la valeur de
la maison (ou structure) qui s'y trouve (house value) et de la rente foncière capitalisée
(capitalized ground rent) associée au terrain. La valeur d'une maison est déterminée, selon
l'approche marxiste utilisée par Smith, par la quantité de travail socialement nécessaire à sa
construction et elle varie donc notamment en fonction des technologies existantes et des
salaires en vigueur. La rente foncière capitalisée représente en revanche les revenus
économiques que le propriétaire est en mesure de capter en fonction de l'usage présent de son
terrain. Cette rente est déterminée par l'attractivité du terrain sur lequel est situé la maison et
est donc fonction de la localisation et de l'accessibilité de celui-ci, mais aussi de
l'environnement dans lequel il est situé. Smith fait donc ici une distinction fondamentale entre
d'une part la valeur du bâti et d'autre part la valeur du terrain indépendamment de ce qui y est
8
construit. Puisqu'il n'est pas possible de recourir à l'approche marxiste pour évaluer la valeur
d'un terrain, celui-ci n'étant pas le fruit d’un travail rémunéré, cette valeur est captée lors des
transactions économiques au travers de la rente foncière associée au terrain.
En détaillant le processus, survenu au cours du XXe siècle, de dépréciation de centres-villes
datant du XIXe siècle, Smith décrit comment les différents éléments exposés dans le
paragraphe précédent varient dans le temps. Lors de la construction d'un quartier, les
propriétaires fonciers désirent utiliser leur terrain de manière optimale dans le but de
maximiser leurs profits. La structure qu’ils y construisent représente donc, en fonction des
technologies, des réglementations, des modes et du contexte urbain en vigueur, le « highest
and best use » de leur terrain. A ce moment, la rente foncière capitalisée (capitalised ground
rent), c'est-à-dire la rente perçue étant donné l'usage courant du terrain, est donc égale à la
rente foncière potentielle (potential ground rent), c'est-à-dire la rente maximale qui pourrait
être perçue lorsque le terrain est employé dans son meilleur usage (highest and best use).
Dans un premier temps, parallèlement au développement intensif du nouveau quartier, la rente
foncière associée au terrain augmente puisque l'attractivité de son environnement s'accroit. En
conséquence, le prix de vente de la propriété (sale price) augmente aussi.
Cependant, rapidement, la valeur d'un édifice (house value) commence à diminuer. Smith
identifie trois causes à cette dépréciation : l'augmentation de la productivité du travail
(permettant de produire une maison similaire à moindre coûts), le fait que le style d'un
bâtiment se démode peu à peu avec le temps et surtout l'usure du bien. Au début, à force de
travaux et de rénovations, les propriétaires parviennent en général à endiguer quelque peu la
dépréciation de leurs bâtiments. Par la suite, les coûts de restauration d'un édifice devenant
chaque année de plus en plus élevés, les propriétaires d’origine commencent parfois à
négliger l'entretien de leurs biens. A partir de ce moment, une différence entre la rente
foncière capitalisée et la rente foncière potentielle commence à apparaître. En effet, la rente
foncière potentielle est supposée croître dans le temps puisque les innovations technologiques
ainsi que la croissance économique et démographique vont avoir tendance à augmenter la
valeur d'un terrain si celui-ci est employé dans son meilleur usage (highest and best use),
tandis que la rente foncière capitalisée diminuera avec la dépréciation du capital.
Confrontés à des coûts d’entretien de plus en plus importants, certains propriétaires préfèrent
souvent partir s'installer ailleurs puisqu'il n'est plus profitable d'injecter de l'argent dans des
9
propriétés vieillissantes. Les occupants originaux sont alors progressivement remplacés par
des locataires issus de classes plus pauvres. Les propriétaires continuent néanmoins à
percevoir des loyers, mais leurs incitations à investir dans le quartier sont de plus en plus
faibles. Il devient en effet plus profitable pour eux d'investir dans d'autres parties de la ville,
les secteurs périphériques par exemple, voire dans d'autres secteurs de l'économie. Le capital
quitte donc les quartiers centraux dont l'entretien n'est plus suffisamment assuré. Un cercle
vicieux de désinvestissement commence alors puisque les institutions financières cessent de
s'intéresser à cette partie de la ville, au profit de la périphérie, plus rentable et moins risquée.
La valeur des maisons et des rentes foncières chute, et avec elle le prix de vente des propriétés
alors que dans le même temps, un phénomène de ségrégation sociale apparait. Certains
bâtiments, ne procurant plus de profits à leur propriétaire, sont parfois même laissés à
l'abandon. Finalement, « cette dépréciation fournit les conditions économiques objectives qui
font de la réévaluation (la gentrification) du quartier la réponse rationnelle du marché »
(Smith, 1979, p. 545).
Figure 1.1 - Le cycle de dépréciation et la formation du différentiel de loyer
Dollars
Prix de vente = Valeur de la structure + Rente foncière capitalisée
Rente foncière potentielle
Rent
Gap
Rente foncière
capitalisée
Valeur de la structure
Temps écoulé depuis la date de construction
Smith introduit ici la notion cruciale de rent gap, que l'on trouve parfois traduit dans la
littérature francophone par différentiel de loyer. Il définit ce concept comme « la différence
entre la rente foncière capitalisée actuelle d'un lot foncier, étant donné son usage présent, et
la rente foncière potentielle qui pourrait être appropriée dans son meilleur usage » (Smith,
1987, p. 462). Comme nous l'avons vu, la dépréciation amplifie l'écart entre la rente foncière
10
capitalisée et la rente foncière potentielle et accentue donc le différentiel de loyer. Smith
affirme ainsi que « c'est seulement lorsque ce différentiel apparaît clairement que le
redéveloppement peut être attendu puisque, si l'usage présent [du terrain] parvient à
capitaliser l'entièreté ou presque de la rente foncière, peu de bénéfices économiques
pourraient être obtenus par un redéveloppement » (Smith, 1979, p. 545). La possibilité de
dégager du profit apparaît donc comme fondamentale dans la théorie du différentiel de loyer.
Dès lors, le phénomène de gentrification ne s'enclencherait que si le différentiel de loyer est
suffisamment élevé pour permettre aux différents acteurs d'acquérir, de rénover et d'ensuite
revendre un bâtiment à un prix permettant de dégager un profit substantiel. La gentrification
serait donc un moyen de rapprocher la rente foncière capitalisée et la rente foncière potentielle
et donc de combler partiellement ou totalement le différentiel de loyer. Au plus le différentiel
de loyer serait élevé, au plus la motivation pour modifier l'usage d’un terrain devrait être
grande.
Un des points fondamentaux de cette théorie est le fait qu'elle ne prend aucunement en
compte la possibilité que le phénomène puisse également être éventuellement partiellement le
fruit d’une préférence intrinsèque des consommateurs. Selon Smith, sans la possibilité de
dégager du profit, aucun consommateur, quelles que soient ses préférences, ne se lancera dans
un processus de réhabilitation d'un quartier. Il soutient que la gentrification est initiée par une
action sociale collective à l'échelle du quartier. Pour lui, l’action individuelle ne joue aucun
rôle.
Finalement, Smith synthétise ainsi sa théorie : « La gentrification est le produit structurel des
marchés foncier et immobilier. Les flux de capitaux dont le taux de profit est le plus élevé et
les mouvements de capitaux vers les banlieues avec la dépréciation continue du capital des
centres-villes, produisent en définitive la rente foncière. Lorsque cet écart se creuse
suffisamment, la réhabilitation (ou, dans ce cas, la rénovation) peut commencer à
concurrencer les taux de retour disponibles ailleurs et le capital revient. » (Smith, 1979,
p. 546).
11
1.1.2. Évaluation de la théorie du différentiel de loyer
L’approche de Smith est ingénieuse. Son impact sur l’étude de la gentrification peut se
mesurer au nombre de réactions qu’elle a suscité.
Parmi les critiques qui furent émises à l'encontre de la théorie de Neil Smith, la principale est
sans doute le fait que le rôle joué par les préférences des gentrifieurs est complètement ignoré
au profit des flux de capitaux impliqués dans le processus. Ce manquement a notamment été
souligné par Hamnett (1991, p. 180) qui affirme que c'est là le talon d'Achille de la théorie du
différentiel de loyer. L'approche de Smith, basée sur une dynamique de désinvestissement et
de réinvestissement, est, en effet, tout à fait incapable d'expliquer pourquoi certaines
personnes choisissent de devenir gentrifieurs et d'autres non. Cette critique est reprise par
Munt (1987), dans un article où il se penche sur le phénomène de gentrification dans le
quartier londonien de Battersea, et dans lequel il réprouve lui aussi l'approche de Smith selon
laquelle « les individus répondent passivement aux mouvements du capital » (p. 1177).
Il semblerait également que la théorie du différentiel de loyer ne résiste que très moyennement
à la confrontation avec certains aspects de la réalité. Un des atouts de cette théorie devrait être
le fait que, contrairement aux théories dites de la consommation, elle devrait permettre de
situer avec précision quels sont les quartiers qui, les premiers, ont commencé à se gentrifier.
En effet, ces quartiers seraient ceux qui présentaient le différentiel de loyer le plus élevé et
promettaient donc le taux de profit le plus important en cas de réhabilitation. Comme Lees et
al. (2007, p. 58) l'affirment, cela est rarement le cas et, bien que la gentrification se déclare
souvent dans des quartiers forts dévalorisés, ceux-ci sont rarement ceux qui ont le plus
souffert des désinvestissements et qui présentent donc le différentiel de loyer le plus élevé de
la ville. Selon ces auteurs, l'effet de voisinage (neighborhood effect) pourrait cependant
expliquer cette particularité. En effet, la réputation intrinsèque d’un quartier, son taux de
criminalité réel et perçu, la localisation des services sociaux, sont, par exemple, autant de
variables susceptibles de fausser le processus du différentiel de loyer. L’effet de voisinage
détermine donc dans quelle mesure il est possible de combler le différentiel de loyer en
rapprochant la rente foncière capitalisée d’un terrain donné avec la rente foncière potentielle
considérée à l’échelle de la ville. La théorie de Smith est, en outre, incapable d'expliquer
pourquoi la gentrification s'observe dans certaines villes et non dans d'autres et pourquoi elle
se produit parfois dans des villes sans aucun passé industriel voire même dans certaines villes
12
européennes n'ayant pas connu une vague de désinvestissement massif (Paris par exemple).
Une autre critique régulièrement émise à l’encontre de la théorie du différentiel de loyer est le
fait qu’elle est extrêmement complexe à vérifier empiriquement puisqu'elle fait appel à des
notions telles que la rente foncière capitalisée dont la valeur semble très difficile à estimer. Il
n’est donc pas surprenant que peu d’auteurs se soient soumis à l’exercice. Les lacunes de
l’analyse menée par Ley (1986) sur un échantillon de différentes villes canadiennes furent
d’ailleurs mises en évidence par Smith (1987). La première tentative sérieuse d’évaluer
empiriquement la validité de cette théorie semble donc être celle de Clark (1987). Celui-ci se
penche sur le cas de la ville suédoise de Malmö. A l’aide de différentes variables, il tente de
construire une approximation valable du concept de rente foncière potentielle et de rente
foncière capitalisée ainsi que du prix de vente des maisons dans 6 secteurs centraux de la
ville. Il analyse alors dans le long terme le comportement de ces variables et parvient
effectivement à montrer l’existence d’un différentiel de loyer à Malmö. Il soutient donc, mais
en y apportant toutefois quelques suggestions (p. 252), la théorie de Smith. Badcock (1989)
s’intéressa, lui, à la présence d’un différentiel de loyer dans la ville australienne d’Adélaïde.
En compilant des données de 30 zones différentes de la ville, il parvient à montrer qu’un
différentiel de loyer non négligeable s’était formé au début des années 70 dans le centre
d’Adélaïde, avant d’être comblé dans les années 80 lorsque la gentrification était apparue.
Badcock montre néanmoins que la gentrification n’était que la troisième meilleure réponse du
capital sous les conditions existantes à Adelaïde et ne constituait donc pas nécessairement un
investissement optimal (p. 133). Pour lui, la gentrification ne serait donc pas une conséquence
inéluctable d’un différentiel de loyer.
En mettant l’accent sur les flux de capitaux et sur la production de quartiers propres à être
réhabilités, l'approche de Neil Smith a permit d'apporter d'importants éclaircissements sur ce
phénomène complexe et a exercé une influence considérable sur la littérature scientifique
consacrée à la gentrification. Néanmoins, d'autres facteurs pouvant expliquer la gentrification,
laissés de côté par cette théorie, semblent devoir être pris en compte afin de corriger les
carences constatées dans les travaux de Smith. Ce dernier a d'ailleurs reconnu lui-même qu'il
ne peut y avoir une seule et unique explication au phénomène (Smith, 1987, p. 464). La partie
suivante est consacrée à l’autre grand type de théories de la gentrification.
13
1.2.
L'approche dite de la consommation
L’approche « consommation » s’intéresse à l’influence des choix individuels, de la culture et
de la consommation pour tenter de comprendre le phénomène qu’est la gentrification. Les
préférences des gentrifieurs sont considérées comme déterminantes dans l’explication du
processus. Ces théories se penchent notamment sur les changements sociétaux ayant conduit
au développement d’une nouvelle classe moyenne dont sont issus les gentrifieurs et sur les
raisons poussant ceux-ci à choisir les centres-villes pour s’installer. Le porte drapeau de cette
approche est David Ley, dont la thèse post-industrielle, basée sur des travaux de David Bell, a
fait école.
Ley (1980), met l’accent sur les changements qui ont caractérisé le passage d’une société
majoritairement industrielle, héritée du XIXe siècle, à la société post-industrielle qui
caractérise la fin du XXe siècle. Le travail peu qualifié, destiné à la production de biens, est
progressivement remplacé par un travail qualifié, orienté principalement vers le secteur des
services. Dans les centres urbains, l’importance des cols blancs, dotés de compétences
spécialisées et occupant des fonctions administratives et techniques, s’accroît par rapport à
celle des cols bleus. En conséquence, la structure spatiale du travail évolue : les manufactures
sont reléguées en banlieue et les activités de service envahissent les centres. Une nouvelle
classe, cultivée, éduquée et bénéficiant d’un pouvoir d’achat substantiel, émerge ainsi,
exerçant une forte pression sur la demande de logements.
Les tenants de l’approche « consommation » s’intéressent avant tout aux exigences culturelles
et aux modes de consommation de cette nouvelle classe moyenne, afin d’expliquer ce qui la
pousse à choisir les centres-villes. Celle-ci cherche à se distinguer socialement et est donc en
quête d’une identité propre, opposée à celle, traditionnelle, plus caractéristique des habitants
de la périphérie. A ce titre, les centres urbains historiques offrent justement un environnement
culturel riche et varié, en adéquation avec le style de vie que cette nouvelle classe revendique.
En outre, ces centres permettent à celle-ci d’assouvir un désir de mixité sociale et disposent
d’un vaste stock de logements bon marché. Contrairement aux banlieues, ce sont des lieux
favorisant la libération de la femme, l’émancipation homosexuelle, la création artistique et les
styles de vie non-conformistes. De plus, en décidant de vivre au cœur des villes, là où sont
situés la majorité des jobs managériaux et professionnels, les membres de cette nouvelle
classe souhaitent également réduire le temps, et donc le coût, nécessaire pour se rendre à leur
14
travail. Cette position centrale leur permet, en outre, de pouvoir profiter plus efficacement des
commodités offertes par les centres urbains (restaurants, magasins, bars, etc.), mais aussi des
nombreux attraits sociaux et culturels avec qui ces derniers vont de pair.
La structure des ménages est également bouleversée. Alors que la culture familiale est
privilégiée en périphérie, les ménages qui choisissent de s’installer dans les centres sont, la
plupart du temps, composés de deux adultes sans enfants et disposent des deux salaires. Il est
tentant de faire un parallèle entre le phénomène de gentrification et l’apparition des yuppies
(young urban professional), mais Lees et al. (2007), montrent les limites d’une telle
association (p. 89-90). Certains auteurs, comme Castells (1983), ont, par ailleurs, mis en
évidence le rôle joué par la communauté homosexuelle dans de le processus de réhabilitation
des centres. Castells note à ce propos que « beaucoup d’homosexuels sont célibataires, n’ont
pas à entretenir une famille, sont jeunes et connectés à une économie de service relativement
prospère » (p. 160). Ces caractéristiques font d’eux d’excellents gentrifieurs potentiels.
Parallèlement, le rôle des femmes peut également être souligné, puisque les représentantes de
cette nouvelle classe moyenne, grâce à leur éducation, occupent maintenant une place de plus
en plus importante sur le marché du travail. Cela leur permet donc d’accéder à une certaine
autonomie financière. Le mariage et la décision de faire des enfants sont, par conséquent,
souvent retardés, leur offrant ainsi l’opportunité de découvrir ces environnements urbains
diversifiés que constituent les centres-villes.
Les théories dites de la consommation, en considérant les gentrifieurs comme les réels
initiateurs du processus de gentrification, tiennent pour acquis l’offre d’un environnement bâti
prêt à être revalorisé. C’est là une des faiblesses majeure de cette approche qui néglige
complètement l’importance fondamentale du rôle joué par les agents immobiliers, les
institutions financières et surtout par les pouvoirs publics locaux et nationaux. Si la thèse de
Ley fournit de précieuses indications sur le type de villes qui sont plus particulièrement
sujettes à la gentrification, sur les caractéristiques des gentrifieurs et sur la temporalité du
phénomène, elle pêche en revanche à expliquer formellement pourquoi certains quartiers
centraux se gentrifient et d’autres non. De plus, on peut également reprocher à cette théorie le
fait qu’elle ne s’intéresse qu’aux groupes bénéficiaires de la gentrification, c’est-à-dire aux
gentrifieurs, et occulte les conséquences négatives du processus. Le sort des classes les plus
pauvres, qui subissent la hausse des loyers et qui sont souvent contraintes au déménagement,
n’est en effet pas pris en compte par l’approche de la consommation.
15
Ley (1986) tentera de tester empiriquement l’influence de divers facteurs dans le processus de
gentrification. Il s’intéressa pour cela à plusieurs villes canadiennes. Grâce à une analyse
multivariée, il met en évidence le rôle des facteurs économiques et des attraits des centres
urbains dans l’explication de la gentrification et valide donc l’approche de la consommation.
Il semble néanmoins que cette étude souffre de problèmes d’endogénéité. Sa méthodologie
sera d’ailleurs vivement critiquée par Smith (1987).
Nous l’avons vu, chacun des deux groupes de théories, celui basé sur la production comme
celui basé sur la consommation, met en lumière certains aspects différents mais cruciaux du
processus. Néanmoins, ces deux approches présentent toutes deux des lacunes non
négligeables. Au lieu d’opposer ces théories, certains auteurs ont compris l’importance de les
combiner afin de montrer leur complémentarité et ainsi d’être en mesure de proposer une
explication plus globale du phénomène. Dans la section suivante, nous nous intéresserons à la
proposition de Hamnett visant à réconcilier les différentes théories.
1.3.
Vers une théorie intégrée
Chris Hamnett (1991), plaide pour une approche intégrée de la gentrification. Selon lui, la
gentrification est un phénomène trop complexe pour pouvoir se prévaloir d’une explication
basée uniquement sur le marché immobilier ou sur la culture. S’inspirant des théories de la
production et de la consommation, il distingue trois conditions qu’il considère comme
nécessaires au processus de gentrification, mais dont aucune ne serait suffisante (p. 19-20). Ce
n’est donc que la réunion de ces trois conditions qui permettrait à la gentrification d’avoir
lieu.
La première condition est l’existence d’un groupe de gentrifieurs potentiels sans qui la
gentrification ne peut être envisagée. Cette condition dérive de la théorie de Ley qui met en
avant les changements structurels survenus dans les villes lors du passage d’une société
industrielle à une société post-industrielle et le développement de la classe moyenne qui en a
résulté.
La deuxième condition est l’existence d’un stock de logements potentiellement gentrifiables
dans les centres-villes. La théorie du différentiel de loyer de Smith permet justement ici
d’expliquer comment, suite à un processus de désinvestissement dans les centres urbains au
16
profit des périphéries, une telle offre de propriétés bon marché a pu se former. Cette condition
permet notamment d’expliquer pourquoi la gentrification se produit dans certaines villes et
non dans d’autres.
Finalement, la dernière condition, qui est peut-être la plus importante, présuppose une
demande effective émanant des gentrifieurs potentiels pour les logements situés dans les
centres-villes. Nous l’avons vu, cette demande résulte la plupart du temps du désir de pouvoir
profiter plus efficacement des emplois et des agréments sociaux et culturels offerts par le cœur
des villes. Si cette condition n’est pas remplie, la gentrification n’aura probablement jamais
lieu.
Hamnett conclut en affirmant qu’une « explication exhaustive de la gentrification doit
nécessairement prendre en compte l’origine des gentrifieurs et les raisons pour lesquelles ils
gentrifient, la façon dont sont produits les quartiers et les immeubles à gentrifier, et les liens
entre ces deux ensembles de conditions » (p. 21).
Actuellement, la plupart des études mettent en avant la complémentarité des théories plutôt
que leur opposition afin d’expliquer et de comprendre la gentrification. Lees (1994) affirme
ainsi à ce propos que « le principe de la complémentarité tente de dépasser la dualité non en
cherchant une nouvelle théorie universelle mais en comparant et en confrontant un groupe
d’idées avec un autre » (p. 139).
17
Partie 2 : Les spécificités de la gentrification à Bruxelles
Les études concernant la gentrification portent, dans une très large mesure, sur un échantillon
limité de villes britanniques ou nord-américaines, Londres et New York en tête. Ces dernières
années, cependant, de plus en plus d’articles scientifiques se penchent sur la manière dont ce
phénomène affecte certaines grandes villes européennes. La présente partie a pour but de
résumer les recherches récentes concernant la ville de Bruxelles.
Capitale de la Belgique, Bruxelles abrite une population d’environ 1,1 million d’habitants en
considérant les 19 communes qui forment la Région de Bruxelles-Capitale. Contrairement aux
autres villes globales, traditionnellement concernées par la gentrification, Bruxelles est donc
relativement peu peuplée et son économie de service est moins développée. Historiquement,
Bruxelles connaît une phase de périurbanisation intense dans les premières années d’après
guerre. Ce n’est que l’afflux massif d’immigrants ouvriers à partir des années 60 qui empêche
le centre-ville de se dépeupler fortement. Les premiers signes d’une gentrification
commencent à apparaître vers la fin des années 80. En effet, dans certains quartiers centraux,
jusqu’alors délaissés par la classe moyenne et supérieure, un phénomène de réhabilitation de
logements et de commerces est constaté. En créant une nouvelle dynamique et en attirant
l’attention des pouvoirs publics, l’institutionnalisation de la Région de Bruxelles-Capitale en
1989 a sans doute joué un rôle de catalyseur pour ce phénomène de gentrification. La
création, en 1993, des contrats de quartiers, programmes de revitalisation de quartiers
fragilisés menés par la Région de Bruxelles-Capitale en partenariat avec les communes, et, en
1995, de la Délégation au Développement du Pentagone a, en outre, contribué à la
réhabilitation de nombreux quartiers centraux. En favorisant le « redéveloppement » du cœur
de Bruxelles, les décisions politiques ont donc joué un rôle majeur dans l’essor de la
gentrification bruxelloise. Par voie de conséquence, les prix sur le marché locatif du centreville ont continué à montrer sans relâche, créant une véritable crise du logement dont les
effets sont amplifiés par le fait qu’une grande partie des ménages habitants le pentagone
louent au privé leur habitation.
Mathieu Van Criekingen, l’un des principaux spécialistes de la gentrification à Bruxelles a
étudié en détail le phénomène. Il a mis en évidence le processus d’éviction dont sont victimes
certains des occupants initiaux d’un quartier et leur remplacement par de jeunes adultes (2534 ans) instruits, provenant d’une classe moyenne et vivant souvent seuls ou en couple non
18
marié et sans enfants (Van Criekingen, 2009, p.831). Ceux-ci, s’ils ne font pas partie, en
termes absolus, des bruxellois les plus riches, sont néanmoins nettement plus aisés que la
population initiale des quartiers dans lesquels ils s’installent. Les secteurs concernés sont
essentiellement situés dans le centre-ville (première couronne) et datent du XIXe siècle. La
progression de la gentrification à Bruxelles s’effectue principalement d’est en ouest, créant
des mouvements migratoires qui traversent le canal. Comme exemple de quartiers du
pentagone sujet à la gentrification, Van Criekingen (2006, p. 10) cite les Marolles, les
alentours de la place de la Vieille Halle aux Blés, le quartier Notre-Dame-aux-Neiges et le
secteur situé entre les boulevards centraux et le canal au nord de la rue Dansaert. Des poches
de gentrification sont également identifiées dans certains quartiers des communes de SaintGilles, d’Ixelles et de Schaarbeek. Un autre indicateur des changements sociaux qui sont en
cours dans le centre de Bruxelles est le fait que le nombre de ménages habitant le pentagone a
augmenté significativement entre 1991 et 2003 (+12%) alors que, dans le même temps, le
nombre d’habitants n’augmentait que légèrement (+4%) (p. 8). Une telle évolution traduit
bien un processus de gentrification qui voit l’apparition de plus en plus de ménages composés
d’une seule ou deux personnes.
Dans leur étude comparée des cas de Bruxelles et de Montréal, Van Criekingen et Decroly
(2003) montrent qu’à Bruxelles les ménages gentrifieurs ne s’installent en fait que pour des
périodes relativement courtes dans le centre-ville et qu’ils le quittent généralement dès qu’ils
accèdent à une situation financièrement stable ou qu’ils deviennent parents. En effet, à
Bruxelles, chaque année 25% de la population de 18-34 ans déménage et cette proportion
grimpe même à 38% si on ne considère que les jeunes adultes appartenant à des ménages nonfamiliaux. Le haut taux de « turnover » des gentrifieurs pousse donc Van Criekingen et
Decroly à affirmer que le processus de gentrification qui touche Bruxelles relève
essentiellement de ce qui peut être qualifié de gentrification « marginale »2. En effet, à la
différence de la gentrification au sens classique du terme, qui implique la transformation d’un
quartier initialement défavorisé en un quartier chic, la gentrification « marginale » suppose
que les habitants pauvres d’un quartier sont remplacé par des gentrifieurs bénéficiant d’une
grande richesse culturelle (éducation, niveau social, etc.) mais ne percevant pas encore de
revenus élevés. Le gentrifieur bruxellois serait donc plus fourni en capital culturel qu’en
capital économique. Un quartier sujet à la gentrification « marginale » n’est donc pas d’office
2
C’est Rose (1984) qui fut la première à décrire le phénomène de gentrification « marginale ».
19
censé se transformer à terme en un quartier particulièrement huppé. Ce dernier fait explique
sans doute que, contrairement à d’autres villes frappées par la gentrification, certains parmi
les habitants défavorisés parviennent encore à rester vivre dans le centre-ville. Van Criekingen
(2009, p. 830) affirme finalement qu’il est relativement surprenant qu’une ville comme
Bruxelles, qui occupe un grand nombre de professionnels aisés ne soit pas sujette, dans une
plus grande mesure, à une gentrification de type « classique ». Le fait que très peu de grands
projets de complexes résidentiels de luxe aient vu le jour dans les quartiers centraux pourrait
constituer une explication à cette particularité.
L’effet pervers du taux élevé de turnover concernant les logements du centre-ville est que la
vitesse à laquelle les loyers s’ajustent à la hausse est particulièrement élevée, puisqu’à
Bruxelles le marché locatif souffre d’une absence complète de régulation lors du départ d’un
locataire. Les ménages bruxellois sont d’ailleurs extrêmement vulnérables à la hausse du prix
des loyers. En effet, plus de la moitié des ménages du pentagone louent leur habitation à un
propriétaire privé alors que moins de 10% des ménages louent un logement au secteur public
(logement social) (Van Criekingen 2009, p. 831). Une étude de l’Observatoire des loyers en
Région de Bruxelles-Capitale (De Coninck et De Keersmaecker, 2004) montre d’ailleurs que
les ménages classés dans la catégorie médiane des revenus n’auraient plus accès qu’à
seulement 21% des logements de la ville alors que cette proportion était encore de 38% au
début des années 90. Van Criekingen (2008, p. 204) affirme que cette hausse des loyers
« laisse les populations défavorisées avec peu d’autres options que de rester dans le quartier
au prix d’une détérioration de leurs conditions de vie et d’habitat ou de partir par contrainte
plutôt que uniquement par choix».
Une autre conséquence de ce taux élevé de turnover est qu’une grande partie des ménages qui
quitte le pentagone pour s’installer ailleurs est en fait constituée d’ex-gentrifieurs cherchant
désormais des lieux de vie plus classiques. La population quittant le pentagone et
correspondant au profil type du ménage déplacé à cause de la pression des loyers ne
représenterait en fait qu’un cinquième du total des migrants en provenance du pentagone (Van
Criekingen 2009, p. 845). Ceux-ci se relocaliseraient en priorité dans des quartiers défavorisés
situés le plus souvent dans la partie ouest de la ville mais néanmoins pas trop éloigné de ceux
qu’ils quittent, voire dans d’autres villes aux loyers plus abordables, en particulier celles
situées dans le Hainaut.
20
Bien que Bruxelles ne soit pas une place financière de première importance, la présence
d’institutions internationales (OTAN, Commission Européennes, lobbys associés, etc.) a
permis à la ville de gagner une place de choix sur la scène mondiale. Si cette situation
contribue de manière non négligeable à la croissance économique, la présence d’une
importante élite d’expatriés joue un rôle très important dans la pression à la hausse que subit
l’immobilier à Bruxelles. Il ne semble pourtant pas que ce soit cette population de riches
étrangers (près de 40.000 personnes) qui soit responsable du phénomène de gentrification qui
affecte la ville. En effet, ceux-ci seraient encore réticents à l’idée de s’installer dans des
quartiers populaires, hormis dans le contexte de quelques appartements de luxe ultra-sécurisés
(Le Clos des Chartreux en est un exemple). D’avantage que les quartiers centraux populaires
en voie de revitalisation, c’est donc plutôt le sud-est de la ville, avec ses axes de prestiges
(avenue Louise, avenue F. Roosevelt, avenue de Tervueren notamment) qui attire ces expatriés
fortunés à la recherche de quartiers bourgeois. Le périodique Bruxelles en mouvements
(n°241, 2010, p. 7) conclut d’ailleurs à ce sujet que « les "eurocrates" (et profils assimilés)
participent […] d’avantage à une nouvelle vague d’élitisation de quartiers bourgeois qu’à la
gentrification des quartiers populaires ». En comparaison avec les autres métropoles
européennes, le secteur de services aux entreprises, susceptible d’engager des fonctionnaires
étrangers de haut rang, n’est d’ailleurs que peu présent dans le centre même de Bruxelles où la
gentrification se produit.
21
Partie 3 : Cadre d’analyse
Le phénomène de gentrification affecte d’une manière différente les diverses catégories de
personnes qu’il concerne. On peut distinguer trois types de publics touchés par le processus :
les gentrifieurs, les habitants initiaux du quartier contraints au déplacement et les habitants
initiaux du quartier qui restent dans le quartier malgré la hausse des loyers. Le fait que la
gentrification à Bruxelles soit principalement « marginale » devrait avoir des conséquences
quelques peu différentes pour ces trois groupes par rapport au cas de gentrification de type
« classique ». Dans la présente partie nous allons tenter d’analyser comment, à Bruxelles,
chacune de ces catégories de personnes est touchée par le phénomène.
Les gentrifieurs, puisqu’ils décident de leur plein gré de venir s’installer dans les centresvilles et révèlent ainsi leurs préférences, retirent toujours un avantage de la gentrification. Cet
avantage peut-être l’accès à des logements bons marchés, l’assouvissement de leur désir de
mixité sociale, une situation géographique proche des commodités présentes dans les quartiers
centraux, etc. Cependant, il se pourrait, dans le cas de la gentrification « classique », que les
gentrifieurs de la première vague (souvent appelé gentrifieurs pionniers), s’ils n’ont pas
accédé à la propriété de leur logement, ne puissent pas faire face à l’augmentation du prix des
loyers qu’ils ont eux-mêmes contribuée à déclencher en initiant le processus de gentrification.
Il est donc possible qu’à terme certains des premiers gentrifieurs soient contraints de quitter
eux aussi le quartier sous l’effet de la hausse du coût des logements. Le cas de la
gentrification « marginale » semble, à cet égard, quelque peu différent. En effet, puisque les
gentrifieurs ne s’installent que pour des périodes limitées dans le centre-ville et qu’ils le
quittent dès qu’une situation financière plus confortable le leur permet, les loyers ne devraient
pas grimper aussi fortement que dans le cas de la gentrification « classique ». Les gentrifieurs
sont donc, dans ce cas, moins susceptibles d’être déplacés sous l’effet de la hausse des loyers.
Remarquons toutefois qu’un gentrifieur « marginal » n’est, en principe, pas supposé devenir
propriétaire de son logement.
La seconde catégorie de personnes regroupe les habitants initiaux d’un quartier qui, sous
l’effet de la hausse des loyers, sont contraints de le quitter. Il semble peu probable que cette
catégorie de personnes retire le moindre bénéfice de la gentrification puisque l’augmentation
des loyers qui en découle réduit ses possibilités de consommation de logements et a donc un
impact négatif sur son utilité (atteinte d’une courbe d’utilité plus basse). Byrne (2003, p. 41922
420) affirme néanmoins que le processus, en relocalisant certains des habitants pauvres dans
des quartiers plus périphériques de la ville, leur permettrait d’accéder à des emplois qui leur
conviendraient mieux. Cet argument qui n’est pas vraiment étayé me parait cependant pouvoir
relever de la mauvaise foi. Une étude plus détaillée et qui fit beaucoup de bruit à sa parution
est celle menée par Freeman et Braconi (2004). Ceux-ci ont analysé, à l’aide d’outils
économétriques, les mouvements de population dans des quartiers en cours de gentrification
dans la ville de New York. Leur conclusion est que très peu de ménages quittent en fait un
quartier à cause de la gentrification et que celle-ci aurait plutôt pour conséquence non pas de
déplacer les populations initiales et donc plus pauvres d’un quartier, mais au contraire, de les
encourager à rester. Selon ces auteurs, dans certains quartiers, les externalités positives
(revitalisation du quartier, meilleurs services publics, accès à des emplois de service
n’exigeant que peu de qualifications, etc.) feraient donc plus que compenser les externalités
négatives (essentiellement les hausses de loyers) que la gentrification engendrerait. Ils
affirment en effet que « la gentrification diminue plutôt qu’augmente la probabilité qu’un
ménage défavorisé quitte son logement ». Cette étude qui porte un regard positif sur la
gentrification fut fort critiquée, notamment pour son interprétation des résultats (voire
Newman
et Wyly, 2006), mais a permis d’apporter un point de vue original sur le
phénomène. De plus, l’effet mis en évidence par Braconi et Freeman devrait être encore plus
important en présence d’une gentrification de type « marginale » comme celle que connaît
Bruxelles. En effet, la part des ménages évincés du centre-ville devrait être encore moins
élevée puisque les loyers n’augmenteraient pas autant qu’en présence d’une gentrification de
type « classique ». Nous avons par ailleurs déjà souligné que Van Criekingen (2009, p. 845) a
mis en évidence qu’à Bruxelles, seuls 20% des familles quittant le pentagone le font pour des
raisons liées à la hausse des loyers. Quoiqu’il en soit, même si le phénomène de relocalisation
des ménages les plus pauvres en dehors des zones gentrifiées est, semble-t-il, relativement
modéré à Bruxelles, l’expérience d’un tel déplacement peut-être extrêmement difficile à vivre
pour ceux-ci et c’est pourquoi un tel phénomène ne peut donc pas être négligé.
La troisième catégorie de personnes concernées par la gentrification est également celle dont
l’analyse de l’effet du phénomène sur le bien-être est la plus intéressante. Elle est composée
des habitants initiaux d’un quartier qui continuent à y vivre. Ceux-ci peuvent être soit
locataires soit propriétaires de leur logement. Ces derniers, puisqu’ils ne subissent pas la
hausse des loyers et voient au contraire la valeur de leur bien augmenter tout en bénéficiant
également des externalités positives engendrées par la gentrification sont clairement supposés
23
retirer un avantage du processus. Il convient cependant de noter que ces personnes devraient
être très peu nombreuses. En effet, généralement la propriété n’est pas caractéristique des
ménages défavorisés qui habitent initialement un quartier faisant l’objet d’un processus de
gentrification. Dans les quartiers centraux bruxellois, la proportion de propriétaires est
d’ailleurs très faible (souvent moins de 30%3), puisqu’une grande partie de la population n’a
accès qu’à un logement loué, trop pauvre pour l’acquérir. Le cas de ces locataires est donc
plus délicat. Le préjudice qu’ils subissent à cause de la hausse des loyers est-il compensé par
suffisamment d’externalités positives? Certains auteurs, nous venons de le souligner, estiment
que oui et que ce groupe d’habitants est donc également bénéficiaire de la gentrification.
Parmi ces externalités positives, l’on peut distinguer une diminution de l’isolation sociale des
pauvres grâce à une augmentation de la mixité socio-économique, une réduction du crime et
de l’insécurité, de meilleures possibilités d’éducation, des opportunités de travail accrues (afin
notamment de faire face à la hausse de la demande résultant de l’arrivée d’une population plus
aisée dans le quartier), un cadre de vie plus agréable et surtout le développement de services
publics de meilleure qualité. Beaucoup de ces opportunités sont une conséquence de l’afflux
supplémentaire de taxes payées par les gentrifieurs et qui contribuent à (re)développer le
quartier et à redorer son image.
Les externalités produites par la gentrificaction sont évidemment susceptibles de varier en
fonction du type de gentrification. Il est difficile de trancher la question de savoir lequel de
ces types produit des externalités plus favorables pour les habitants initiaux. La gentrification
« classique » conduira peut-être au développement de meilleurs services publics (externalité
positive) puisque les gentrifieurs payeront souvent des taxes plus élevées qu’en cas de
gentrification « marginale » (ils sont en principe plus aisés). Néanmoins, la gentrification
« marginale » a peut-être moins de chance de déboucher sur des conflits sociaux (externalité
négative) puisque les gentrifieurs, bien qu’ils aient un profil-âge très différent de la population
originaire du quartier, sont, dans ce cas, moins riches économiquement que culturellement et
sont souvent plus tolérants vis-à-vis d’une certaine diversité sociale ou même à la recherche
de celle-ci. Quoiqu’il en soit, il est donc vraisemblable que les locataires habitant initialement
le quartier soient enclins à accepter, dans une certaine mesure et pour autant qu’ils puissent y
faire face, une augmentation de leurs loyers. La seule question qui se pose est de savoir quel
3
Cela s’observe très clairement sur la carte 62 (p. 125) de l’Atlas des Quartiers de la population de le Région de
Bruxelles-Capitale au début du 21ème siècle (2006) ou sur la carte 4.06 (p.65) de l’Atlas de la Santé et du Social
de Bruxelles-Capitale 2006.
24
est le montant qu’ils sont prêt à payer pour rester dans le quartier et à partir de quelle limite ils
seront conduit à devoir se relocaliser autre part. Nous l’avons vu, Freeman et Braconi (2004)
soutiennent qu’en définitive seuls peu de gens quitteront le quartier. Cela serait encore
d’autant plus vrai en cas de gentrification « marginale ». Byrne (2003) affirme d’ailleurs que
la gentrification serait un phénomène positif pour la ville dans son ensemble, y compris pour
ses habitants les plus pauvres. Selon lui, le seul problème est en fait l’incapacité des
gouvernements à fournir, dans les centres-villes, des logements publics bons marchés
(logements sociaux) à destinations des populations les plus précarisées. Ces logements, qui
permettent aux ménages défavorisés de rester habiter dans le quartier en dépit de la hausse des
loyers sur le marché locatif privé, devraient théoriquement être financés par les revenus
supplémentaires générés par l’augmentation de la base taxable résultant de l’arrivée de
personnes issues de la classe moyenne. Il affirme donc que le phénomène devrait être mieux
encadré par les autorités urbaines et non laissé à lui-même.
Il semble établi, nous l’avons vu, que les déplacements des ménages les plus pauvres dus à la
gentrification sont moins nombreux que ce qu’on a pu penser, et ils seraient sans doute moins
nombreux encore en présence de gentrification « marginale ». Néanmoins, il convient de
s’intéresser particulièrement à ces personnes qui restent dans le quartier en n’étant pas
propriétaire de leur logement. Choisissent-elles de rester parce qu’elles bénéficient des
externalités dégagées par la gentrification ou restent-elles par contrainte car il leur est
impossible de trouver ailleurs d’autres logements accessibles économiquement ? Dans le
premier cas, la gentrification bénéficierait à cette catégorie de ménages. Dans le second cas,
elle leur serait défavorable. C’est cette dernière hypothèse que Van Criekingen (2006)
privilégie en ce qui concerne Bruxelles : « L’évidence suggère que les ménages les plus
pauvres sont moins susceptibles de quitter les quartiers en cours de gentrification marginale
car ils sont piégés dans le plus bas segment du marché locatif privé et ont donc très peu
d’alternatives en dehors des quartiers défavorisés et des zones qui sont en train de se
gentrifier marginalement ».
Le plus souvent, les gouvernements soutiennent, au contraire, que les effets positifs de la
gentrification priment sur les effets négatifs. Divers arguments sont ainsi repris par les
décideurs afin de justifier les politiques favorisant la gentrification. Au Royaume-Uni, par
exemple, le plan Going for Growth, élaboré par le Conseil de la ville de Newcastle et adopté
en 1999, a pour objectif avoué de ramener la classe moyenne dans le centre-ville, habité
25
précédemment par des populations précarisées et est justifié comme visant à réduire la
ségrégation socio-spatiale et à renforcer le tissu social dans les quartiers centraux. Il en va de
même à Bruxelles : Christos Doulkeridis, Secrétaire d’Etat du Gouvernement bruxellois, en
charge du Logement, affirmait ainsi en 2010 devant le parlement de la Région de BruxellesCapitale que, « pour ce qui est de la mixité, la SDRB4 a volontairement investi dans certains
quartiers afin d’en rehausser la qualité avec la volonté d’attirer un autre public qui
contribuera à une spirale positive dans les années à venir ». La même idée sous-tend
également le Plan de Développement International de Bruxelles (PDI)5 et les « contrats de
quartiers ». Présenter la gentrification d’une telle manière, occulte donc certains des aspects
les plus négatifs du phénomène. Cet objectif de mixité socio-économique est d’ailleurs le
cheval de bataille d’un grand nombre de politiques6 qui considèrent souvent la mixité comme
une solution universelle pour éradiquer définitivement les « ghettos sociaux ». Outre le fait
qu’il convient d’analyser dans quelle mesure la gentrification favorise ou non la mixité socioéconomique, le bien fondé de cet objectif est également, nous allons le voir, la cible de
nombreuses critiques. Comme il serait prétentieux de vouloir trancher dans un débat aussi
complexe, nous allons nous contenter d’exposer quelques-uns des arguments qui plaident en
faveur et en défaveur de la mixité socio-économique.
La mixité sociale peut-être définie comme « la coexistence sur un même espace de groupes
sociaux aux caractéristiques diverses » (Selod, 2004, p. 6). En faisant cohabiter des personnes
provenant de milieux radicalement différents, une telle mixité devrait engendrer des
externalités positives, spécialement en ce qui concerne les populations les plus défavorisées.
En effet, la concentration spatiale de pauvres dans les centres-villes créerait des externalités
négatives en développant un climat social peu favorable à l’ascension sociale et à
l’épanouissement personnel. Ceci pourrait même engendrer un cercle vicieux qui renforcerait
encore les problèmes dans ces quartiers. Cet effet est souvent appelé « effet de voisinage »
(« neighbourhood effect » en anglais). Favoriser la mixité socio-économique générerait donc
des externalités positives, capables d’endiguer ce phénomène de climat de pauvreté et
d’isolation des personnes défavorisées. Un exemple d’externalité positive dans le domaine de
l’éducation, est, par exemple, « l’effet de pairs » qui stipule que les résultats d’un élève sont
4
Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale.
Lancé en 2007 par Charles Piqué, le PDI a pour but de promouvoir la vocation internationale de Bruxelles. Il
préconise notamment l’installation de ménages issus de la classe moyenne dans les « ghettos sociaux » au
dépend des populations les plus pauvres (politique du logement et de mixité sociale).
6
Il suffit par exemple de citer, en Belgique, le décret inscription devenu ensuite le décret mixité en Communauté
Française.
5
26
fortement corrélés avec les caractéristiques socio-économiques des autres élèves. La mixité
augmenterait donc les opportunités d’avenir des plus démunis. L’on peut d’ailleurs lire chez
Selod (2004, p. 13) que « mieux répartir la pauvreté doit également permettre de la
diminuer ».
Cette description optimiste des effets de la mixité socio-économique, largement reprise par les
politiciens, doit pourtant être relativisée, particulièrement en ce qui concerne les personnes les
plus fragilisées économiquement. Premièrement, elle n’est pas nécessairement garante
d’ascension sociale pour les plus pauvres. Ensuite, elle peut même mener à l’apparition de
conflits entre les nouveaux venus et les « anciens » habitants du quartier qui éprouvent parfois
des sentiments mitigés par rapport à l’arrivée de ces ménages aisés. Blomley (2004, p. 99)
affirme que les travaux empiriques montrent en général que les habitants initiaux d’un
quartier en cours de gentrification bénéficient rarement d’une amélioration de leurs conditions
socio-économiques. Selon lui, il n’y aurait en fait que très peu d’interactions entre les
gentrifieurs et les populations défavorisées habitant le même quartier. Il dénonce aussi le fait
que la mixité socio-économique ne s’observe, en général, que dans un seul sens : des ménages
aisés sont régulièrement encouragés à s’installer dans des quartiers pauvres, tandis que la
mixité est rarement promue dans les quartiers plus riches. Il ne serait donc pas étonnant que la
mixité socio-économique amenée par la gentrification ne se traduise que par une cohabitation
délicate de différents groupes polarisés n’ayant au final que très peu de contacts entre eux,
plutôt que par la création d’une communauté socialement cohésive, offrant à chacun les
mêmes opportunités.
Le numéro de mars 2011 du périodique Bruxelles en mouvements (n°246) est consacré
entièrement à la problématique de la mixité sociale. On peut y lire une virulente critique
envers les idées reçues sur le sujet : la mixité sociale, en faisant cohabiter riches et pauvres sur
un même territoire, valoriserait en fait les inégalités. Réduire celles-ci passerait par un
déplacement d’argent plutôt que de personnes, par une distribution des richesses plutôt que
par un mélange de population. De plus, l’éviction de populations pauvres et leur
remplacement par des ménages issus de la classe moyenne renforcerait en fait l’homogénéité
sociale dans d’autres parties de la ville, là où ces pauvres se relocalisent. Dans ce dossier, les
ghettos urbains ne sont d’ailleurs pas considérés comme fondamentalement négatifs ; ils
favoriseraient, en effet, une certaine solidarité de proximité. Une attitude extrêmement
critique est également adoptée à propos du cercle vertueux que la mixité sociale devrait
27
engendrer et du fait qu’elle devrait augmenter les recettes fiscales des quartiers pauvres. Une
telle augmentation serait en fait relativement limitée, la gentrification étant principalement
« marginale » à Bruxelles. Un dernier point très intéressant mis en évidence est le fait que
tous les quartiers bruxellois, quel que soit leur niveau socio-économique moyen, sont en fait
déjà fortement hétérogènes d’un point de vue social. S’il est, en effet, possible de déceler une
hétérogénéité un peu plus faible dans les quartiers les plus pauvres, elle est plus faible encore
dans certains quartiers riches sans que personnes ne semble s’en émouvoir ou ne propose une
politique de mixité pour ces quartiers qualifiés, non sans humour, de « ghettos du gotha ». Le
dossier conclu finalement en affirmant que mixité sociale ne signifie donc pas intégration ou
cohésion sociale.
Au final, sauf exception, l’effet de la gentrification sur le bien-être est non ambigu sur le
groupe des gentrifieurs (effet positif), sur les habitants initiaux propriétaires (effet positif) et
sur le groupe des habitants déplacés à cause de la hausse des loyers (effet négatif). Cet effet
est au contraire, comme nous l’avons vu, ambigu en ce qui concerne les habitants initiaux qui
ne quittent pas le quartier et ne sont pas propriétaire de leur logement. Quoiqu’il en soit, le fait
que la gentrification soit de type « marginale » et non de type « classique » devrait toujours
atténuer les effets négatifs du phénomène puisque la hausse des loyers est, dans ce cas,
souvent moins importante.
Tableau 3.1 - Résumé des différents impacts attendus des deux types de gentrification
sur le bien-être des différents groupes de personnes concernés par le phénomène
Gentrifieurs
Impact positif
Impact positif. De plus, moins de risques de
devoir ensuite quitter le quartier à cause de la
hausse des loyers.
Habitants
déplacés
Impact négatif
Impact négatif. Concerne toutefois moins de
personnes que dans le cas de la gentrification
« classique ».
Loc.
Gentrification dite « marginale »
Impact positif si les externalités
positives compensent la hausse des
loyers. Impact négatif sinon.
Impact positif si les externalités positives
compensent la hausse des loyers. Cette hausse
est plus réduite que dans le cas de gentrification
« classique ». Impact négatif sinon.
Propr.
Gentrification dite « classique »
Impact positif (hausse de la valeur de
leur bien + externalités positives)
Impact positif (hausse - plus réduite que dans le
cas « classique » - de la valeur de leur bien +
externalités positives)
Habitants qui
restent
28
Partie 4 : Analyse
Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, la mixité sociale ou économique est au
cœur des débats à propos de la gentrification. La question est d’ailleurs abordée, mais non
tranchée, par le périodique Bruxelles en Mouvements d’octobre 2010 dans lequel on peut
notamment lire (p.2) que « La […] question porte sur l’hypothèse de la mixité de la ville. […]
dans les quartiers pauvres, l’aide à la brique a-t-elle réellement favorisé la mixité ou
seulement amélioré le bâti ? Lutter contre l’appauvrissement des quartiers sans en chasser
les habitants n’est possible que par une politique urbaine sociale. Mais quelle sera la mixité
de ces quartiers ? Voilà une question qui n’est pas résolue dans ce dossier et augure de la
nécessité de poursuivre la réflexion… ». C’est sur cette problématique que nous allons nous
pencher et tenter d’apporter notre contribution.
4.1.
Identification des quartiers concernés
Afin de procéder à l’étude des effets de la gentrification sur la mixité, il convient
premièrement de définir avec précision quels sont les quartiers bruxellois qui sont concernés
par le phénomène et qui feront donc l’objet de l’analyse. La littérature nous livre volontiers de
nombreux exemples de quartiers bruxellois gentrifiés ou en cours de gentrification, mais,
outre le fait que la définition de la gentrification puisse varier en fonction des sources, les
contours de ces quartiers sont souvent peu précisément définis. L’établissement d’une liste
exacte de quartiers bien délimités et sélectionnés selon des critères objectifs est donc une
priorité essentielle.
Afin de coller au plus près à la réalité, il était indispensable de pouvoir travailler avec des
unités territoriales beaucoup plus petites que les communes. En Belgique, l’unité
géographique la plus précise, pour laquelle des données socio-économiques et administratives
sont disponibles, est le secteur statistique. Les secteurs statistiques sont établis par l’INS
(Institut National de Statistiques) et permettent notamment de rendre compte de
l’hétérogénéité existante à l’intérieur même d’une commune. La Région de Bruxelles-Capitale
est divisée en 724 secteurs statistiques qui sont chacun identifiés par un code et une
dénomination propre. La superficie moyenne d’un secteur statistique bruxellois est de 0,22
km². En 2002, le nombre moyen d’habitants par secteur était de 1350. Les secteurs statistiques
29
furent institués au début des années 70 sur base de caractéristiques sociales, économiques et
architecturales. Un des avantages de l’utilisation des secteurs statistiques comme unité
géographique est le fait que leurs limites sont relativement stables depuis leur création, ce qui
permet, sans trop de difficultés, de procéder à des comparaisons temporelles7.
L’usage des secteurs statistiques afin de mesurer la gentrification n’est pourtant pas exempt de
défauts. En effet, il faudrait idéalement pouvoir mener notre analyse à des niveaux encore
plus fins (blocs d’habitations ou rue), la gentrification affectant parfois des parties
extrêmement réduites d’une ville. On risque donc, en utilisant comme unité territoriale le
secteur statistique, de perdre une partie de l’information. De plus, certaines zones en cours de
gentrification se trouvent parfois à cheval sur plusieurs secteurs statistiques qui comprennent
également des quartiers non concernés par la gentrification. De ce fait, l’analyse risque peutêtre d’être légèrement faussée. Van Criekingen et Decroly (2003, p. 2459) soutiennent
d’ailleurs qu’il existe, à Bruxelles, des « poches de gentrification » qui ne seraient pas
détectable à l’échelle du secteur statistique. Il convient donc de garder en tête ces éventuelles
faiblesses que nous ne pouvons totalement éviter, aucunes données n’étant disponibles à une
unité administrative plus petite.
Un autre élément important qu’il est nécessaire de prendre en compte est le fait que le SPF
Economie (Direction générale Statistique) qui s’occupe de rendre public certaines données,
n’autorise pas la publication des informations complètes pour les secteurs statistiques peu
peuplés (par exemple, le revenu moyen est indisponible pour un secteur si celui-ci compte
moins de 201 déclarations fiscales ; le revenu médian et d’autres indicateurs sont
indisponibles pour un secteur si celui-ci compte moins de 21 déclarations fiscales). Cela
semble essentiellement dû à une politique bien compréhensible de protection de la vie privée.
De toute façon, prendre en compte des secteurs trop peu peuplés risquerait de fausser quelque
peu l’analyse en ce que la présence d’erreurs ou de valeurs extrêmes influence, dans ce cas,
trop fortement le résultat. Nous avons donc, pour notre analyse, sélectionné uniquement les
secteurs statistiques représentant plus de 20 déclarations fiscales lors de toutes les années
considérées. Ceux-ci sont au nombre de 631 (sur un total de 724).
7
Quelques modifications concernant les limites des secteurs statistiques furent néanmoins effectuées, notamment
lors du recensement de 1981 (pour prendre en compte la fusion des communes qui eut lieu en 1977) et de 2001
(pour prendre en compte les modifications ayant eu lieu dans le bâti et les nouveaux travaux d’infrastructure). A
Bruxelles, deux quartiers (Meylemeersch et Neerpede) furent même scindés en deux, faisant passer le nombre de
secteurs statistique de 722 à 724. Quoiqu’il en soit, il s’agit principalement de modifications mineures
n’affectant pas significativement la limite géographique des secteurs statistiques.
30
Notre analyse couvrira principalement les années 90 et le tout début des années 2000, et ce
pour plusieurs raisons. Premièrement, nous l’avons vu, le phénomène de gentrification à
Bruxelles est apparu à la fin des années 80 (rappelons que la Région de Bruxelles-Capitale fut
créée en 1989) et il prendra toute sa mesure lors de la décennie suivante, encouragé
notamment par le lancement des contrats de quartier (1993) et par la création de la Délégation
au Développement du Pentagone (1995). Il est donc normal que notre analyse se concentre sur
cette période. Deuxièmement, les données fiscales disponibles ne couvrent pas les années
antérieures au début des années 90. Le recensement décennal, une source très intéressantes et
que nous utiliserons abondamment, s’arrête à l’année 2001. Le prochain recensement, celui de
2011, est toujours en préparation.
Afin de sélectionner les secteurs statistiques qui sont supposés faire l’objet d’un phénomène
de gentrification et sur lesquels portera notre étude, il importe de définir de manière claire et
objective quels seront les critères que nous utiliserons. Van Criekingen et Decroly (2003) se
sont déjà prêtés à un tel exercice. Ils avaient retenu 5 critères.
Selon eux, pour qu’un quartier soit considéré comme gentrifié dans un intervalle de temps, il
faut que ce quartier :
-
soit considéré comme pauvre en début de période ;
-
soit considéré comme riche en fin de période ;
-
ait vu son environnement bâti s’améliorer ;
-
ait vu le statut social de ses habitants augmenter ;
-
ait subi un changement dans la composition de sa population.
Il semble que ces critères soient très sélectifs, puisque, sur la période de temps considérée
(1981-1997), aucun des secteurs statistiques bruxellois ne les remplissaient tous les cinq (en
relâchant le second critère, il a été possible de mettre en évidence certains quartiers qui se
gentrifient « marginalement »). Dans un article ultérieur, Van Criekingen (2008), fait appel à
des critères beaucoup plus souples :
-
revenu moyen par ménage inférieur à la moyenne régionale au début de la période ;
-
croissance de la proportion de diplômés du supérieur plus importante qu’à l’échelle de
l’ensemble de la Région sur la période de temps considérée.
Cette méthode conduit à mettre en évidence une centaine de secteurs censés être concernés
par la gentrification. Selon nous, pour les besoins de notre analyse, cette méthode n’est pas
assez sélective et met en évidence un trop grand nombre de quartiers.
31
Ces deux études sont donc intéressantes mais les critères retenus nécessitent d’être quelque
peu affinés afin de produire un résultat satisfaisant pour étudier l’impact de la gentrification
sur la mixité sociale et économique à Bruxelles. De ce point de vue, prendre en compte des
critères compatibles avec le phénomène de gentrification « marginale » (augmentation des
loyers moins importante, hausse moins élevée du revenu moyen, etc.), est donc primordial.
Notre approche se basera sur trois critères qui nous semblent caractériser correctement les
principales particularités d’un quartier bruxellois sujet à une telle gentrification. Les deux
premiers critères sont d’ordre économique, le troisième englobe les aspects sociaux. Le
tableau suivant résume les trois critères que nous avons sélectionnés.
Critère 1 : Revenu médian du quartier en début de période (année 1995) situé dans le
premier quartile des revenus médians de tous les quartiers considérés.
Critère 2 : Rapport [revenu médian en fin de période (année 2003)/revenu médian en
début de période (année 1995)] situé dans le quatrième quartile des rapports de tous les
quartiers considérés.
Critère 3 : Rapport [(population dans l’enseignement supérieur/population 18-24 ans)/
(population ne suivant plus d’enseignement de plein exercice et titulaire d’un diplôme de
l’enseignement supérieur/population ne suivant plus d’enseignement de plein exercice)]
inférieur à l (année 2001).
Nous allons ci-après tenter d’expliquer et de justifier ce qui nous a poussé à choisir ces
critères. Nous y ajouterons quelques précisions et préciserons quelles ont été les difficultés
que nous avons rencontrées lors de leur application.
Le premier critère vise à représenter le fait que lors du déclenchement du phénomène de
gentrification dans un quartier, ce dernier est, par définition, à ce moment, défavorisé. En ne
sélectionnant que les secteurs statistiques situés, de ce point de vue, dans le premier quartile
(les 25% les plus pauvres), nous pensons avons traduit correctement cette réalité. Pour
déterminer la richesse relative d’un secteur statistique, nous avons utilisé des données
relatives aux revenus fiscaux8. Celles-ci sont établies sur base des déclarations d’impôt sur les
personnes physiques (revenus obtenus l’année précédente et imposés lors de l’année en cours
8
Ces données sont disponibles sur le site internet de la Direction générale Statistique et Information économique
et sont téléchargeables à l’adresse suivante : http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/fisc/
32
d’exercice). Ce sont les seules données de ce type disponibles au niveau des secteurs
statistiques. Sont considérés ici tous les revenus nets (répartis en 4 catégories : les revenus
professionnels, les revenus des biens immobiliers, les revenus des biens mobiliers et des
capitaux et les revenus divers) auxquels sont soustraites les dépenses déductibles (par
exemple les libéralités, les frais de garde d’enfants, etc.). Nous avons privilégié, dans notre
analyse, le revenu médian d’un secteur statistique plutôt que son revenu moyen car le revenu
médian est évidemment plus robuste en présence de valeurs extrêmes et qu’il est, de plus,
disponible pour un plus grand nombre de secteurs (le revenu moyen d’un secteur n’est pas
disponible si celui-ci représente moins de 201 déclarations fiscales).
L’usage de ces données comporte pourtant un certain nombre de limites qu’il est important de
préciser. Premièrement, ces statistiques ne considèrent que les revenus nets imposables des
ménages et non leurs revenus disponibles. Les revenus financiers et les plus-values sur le
patrimoine des ménages ne sont, par exemple, absolument pas pris en compte. De plus, les
exemptions fiscales sont très présentes dans le haut de l’échelle des revenus (les revenus de
l’épargne, par exemple). Remarquons aussi que certains résidents, principalement dans les
quartiers aisés, ne sont pas soumis à la fiscalité belge. C’est notamment le cas des eurocrates
ou du personnel d’ambassade, très présents dans le sud-est de la ville. La richesse des
quartiers favorisés risque donc d’être quelque peu sous-estimée. A l’inverse, certains des
habitants les plus pauvres de la ville ne sont pas soumis à l’impôt et leur revenu n’est donc
pas pris en compte. Le revenu médian dans les quartiers abritant une importante population
défavorisée risque donc d’être, dans ce cas, surestimé.
Deuxièmement, sont uniquement considérées ici les déclarations d’impôt par « ménage
fiscal ». Cela veut dire que les couples mariés ne doivent remplir qu’une seule déclaration qui
réunira les revenus des deux conjoints9. Celle-ci sera donc plus fournie que celles qu’ils
auraient remplies séparément s’ils n’étaient pas mariés. Par conséquent, un quartier dans
lequel la proportion de personnes vivant seules ou en couple non-marié est élevée semblera
désavantagé par rapport à un quartier abritant de nombreux couples mariés. Comme nous le
voyons, ces statistiques ne sont donc qu’une mesure imparfaite du revenu disponible des
ménages. Elles en restent pourtant, à condition d’en reconnaître les limites, la meilleure
approximation disponible à ce niveau géographique.
9
Depuis 2004, les cohabitants légaux sont également autorisés à remplir conjointement une déclaration unique.
33
Les données, publiées par la Direction Générale Statistique (SPF Economie) couvrent la
période 1993-2008 (les résultats n’étant disponible que deux ans après la période concernée).
Pourtant, tous les tableaux de données ne sont pas utilisables. En effet, jusqu’en 1995
(revenus déclarés lors de l’exercice 1996), les données ne sont pas complètes pour tous les
secteurs statistiques (manquent notamment certains indicateurs statistiques). C’est pourquoi
nous avons utilisé 1995 comme année de base en ce qui concerne le revenu médian. Nous
avons ensuite sélectionné, parmi les 631 secteurs statistiques avec lesquels nous travaillons
(voir ci-dessus) tous ceux se trouvant dans le premier quartile (c’est-à-dire présentant, en
1995, un revenu médian plus faible que celui de 75% des secteurs statistiques).
Le deuxième critère, vise à représenter l’augmentation du niveau de vie qui a lieu dans un
quartier qui se gentrifie. Ce critère sélectionne les secteurs statistiques dont le revenu
médian10 a fortement augmenté - plus que 75% des autres secteurs statistiques – sur la période
considérée. Ce critère me semble plus souple que le critère choisi par Van Criekingen dans sa
première analyse11 et mieux à même de rendre compte de la dynamique induite par la
gentrification à Bruxelles. En effet, nous l’avons dit, à Bruxelles, la gentrification dite
« marginale » est un phénomène non négligeable. Il est donc probable que des quartiers
subissant ce phénomène ne deviendront pas, en définitive, des quartiers véritablement riches
(imposer un critère exigeant qu’un quartier fasse, en fin de période, partie des plus riches
n’aurait donc pas beaucoup de pertinence). Pourtant, il semble néanmoins évident que le
revenu médian de tels quartiers progressera de manière non négligeable sous l’effet de
l’arrivée de représentants de la classe moyenne, qui, s’ils ne sont pas exceptionnellement
riches, sont quand même beaucoup plus aisés que les habitants initiaux du quartier. Le
deuxième critère devrait donc mettre en évidence les quartiers qui s’enrichissent sans pour
cela devenir spécialement huppés et il présente donc comme gros avantage de ne pas exclure
les quartiers qui se gentrifient « marginalement ».
Nous avons choisi, par simple souci de cohérence avec le premier critère, l’année 1995
comme année de base. Les données sont disponibles jusqu’en 2008. Malheureusement, une
importante rupture dans la manière de collecter les données a eu lieu entre l’année 2003 et
l’année 2004. En effet, premièrement, les non-résidents soumis à l’impôt des personnes ne
10
Par souci de cohérence avec le premier critère et aussi pour les raisons déjà invoquées plus haut, le revenu
médian a été privilégié au revenu moyen.
11
Il exigeait qu’un quartier gentrifié se trouve, en fin de période, parmi les quartiers les plus riches de la ville.
34
sont plus repris dans les données et deuxièmement, les cohabitants légaux commencent à être
imposés conjointement à partir de ce moment. Ces deux modifications conjuguées,
chamboulent complètement les données et rendent donc impossible toute comparaison
objective entre les années avant et après 2003. Nous avons donc logiquement choisi de ne
considérer les données que jusqu’en 2003. Sur base du deuxième critère, nous avons
sélectionnés les secteurs statistiques dont le rapport revenu médian en 2003 / revenu médian
en 1995 est situé dans le quatrième quartile.
Le troisième critère a pour objectif de représenter les changements sociaux survenant dans
un quartier en cours de gentrification. Nous avons ici opté, contrairement à ce que nous avons
fait pour les deux premiers critères, non pour une approche dynamique, mais pour une
approche statique. Cette approche, que nous sommes, à notre connaissance, les premiers à
mettre en œuvre, nous a été inspirée par un paragraphe que nous avons lu dans l’Atlas de la
Santé et du Social de Bruxelles-Capitale 2006 (p. 90)12. Elle consiste à comparer la proportion
de jeunes (18-24 ans) qui suivent un enseignement supérieur avec la proportion d’adultes
possédants un diplôme du supérieur. Nous l’avons vu, une des caractéristiques des
gentrifieurs est notamment le fait que ceux-ci sont, en général, de jeunes adultes bénéficiant
d’un niveau d’éducation élevé. Ces derniers ne s’installent généralement dans un quartier que
lorsqu’ils commencent à toucher un revenu, c’est-à-dire à la fin de leurs études. Il semble
donc logique qu’un quartier en cours de gentrification voie augmenter significativement la
proportion de personnes adultes éduquées (c’est-à-dire possédant un diplôme de
l’enseignement supérieur) qu’il abrite. Au contraire, parmi la population en âge de faire des
études supérieures (18-24 ans), encore composée majoritairement des habitants initiaux du
quartier, aucun changement significatif ne devrait être détecté quant à la proportion
d’étudiants. En effet, la gentrification concerne avant tout des jeunes adultes ayant fini leurs
études et n’ayant pas d’enfants ou seulement des enfants en bas âge. La gentrification
bruxelloise étant un phénomène relativement récent (notre analyse porte sur les années 90, la
généralisation du phénomène ayant donc seulement une quinzaine d’année au maximum), il
semble tout à fait improbable qu’à cette époque, les enfants d’un couple de gentrifieurs aient
déjà atteint l’âge de suivre des études supérieures. De plus, la gentrification bruxelloise étant
12
« À l’inverse, il y a à l’est du Pentagone des secteurs statistiques qui font partie du type où le niveau
d’instruction atteint est le plus élevé, alors que la proportion d’étudiants reste très faible. Cela indique la
présence d’un processus de gentrification, au cours duquel une population jeune et très instruite vient s’installer
dans le quartier, mais n’a pas d’enfants dans les groupes d’âges concernés. Le nombre limité de jeunes dans
l’enseignement supérieur s’explique par le fait que la population initiale habite encore en partie dans le
quartier. » - Atlas de la Santé et du Social de Bruxelles Capitale 2006, p. 90.
35
principalement de type « marginale », de nombreux gentrifieurs décident de toute façon de
quitter les quartiers centraux de manière spontanée quand ils ont leurs premiers enfants.
D’après ce raisonnement, un quartier en gentrification devrait donc se caractériser par une
population adulte ayant un niveau d’éducation relativement élevé par rapport au niveau
d’éducation potentiel de sa population en âge de suivre des études.
Les données que nous avons choisies et concernant ce critère proviennent de l’Enquête socioéconomique générale 2001 (ESE 2001, en abrégé)13. Ce type d’enquête est conduit à un
rythme décennal et constitue une source très précieuse d’information à propos de la
population belge, d’autant plus que les données sont souvent disponibles à des niveaux
géographiques très précis comme celui que constituent les secteurs statistiques. Pour travailler
au niveau des secteurs statistiques avec des données fiables, il est indispensable que
l’ensemble de la population soit consultée (le risque de biais est, en effet, très important
lorsqu’on analyse de petites sous-populations sur base d’un échantillon de taille réduite). Une
des forces des recensements de ce genre est donc qu’il ambitionne de consulter tous les
habitants du royaume âgés de plus de 5 ans. Le taux de renvoi des formulaires fut, de plus, en
2001, relativement élevé (plus de 95%). Bien que quelques critiques furent émises à propos de
cette enquête14, elle demeure une source d’une grande fiabilité et est fréquemment utilisée par
les chercheurs.
Le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur (A) par secteur statistique à été calculé
sur base du tableau 30.21A de l’ESE 2001. Le nombre d’habitant âgé de 18 à 24 ans (B) par
secteur statistique est tiré du tableau 30.04A. Afin de produire des résultats robustes, nous
avons, en outre, décidé d’écarter les secteurs statistiques n’abritant que très peu (moins de 25)
de résidents âgés de 18 à 24 ans en 2001. Finalement, pour chaque secteur statistique, le
nombre d’habitant titulaire d’un diplôme du supérieur et ne suivant plus d’enseignement de
plein exercice (C) et le nombre d’habitant ne suivant plus d’enseignement de plein exercice
(D) proviennent du tableau 30.22A de l’ESE 2001. L’indice que nous avons produit se calcule
ainsi :
(1)
13
Données disponibles sur demande auprès de la Direction générale Statistique et Information économique.
Certains manquements sont énoncés sur le site de l’enquête :
http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/collecte_donnees/recensement/2001/
14
36
Nous obtenons ainsi, par secteur statistique, la proportion d’étudiants du supérieur parmi les
jeunes en âge d’étudier par rapport à la proportion des adultes qui sont éduqués. Dans un
secteur statistique normal, il est plausible de considérer que la proportion de jeunes cherchant
à obtenir un diplôme du supérieur sera plus élevée que la proportion d’adultes possédant un
tel diplôme, puisqu’en général la génération actuelle étudie plus que la génération précédente
et que, par ailleurs, tous ceux qui entreprennent des études ne les réussissent pas. Dans un
secteur en cours de gentrification, cela a pourtant de fortes chances de ne pas être le cas. Dans
le cadre du troisième critère, nous avons donc choisi de ne retenir que les secteurs statistiques
(parmi ceux, comme précédemment précisé, ayant une population de 18-24 ans supérieure à
25 pour l’année 2001) pour lesquels l’indice est inférieur à l’unité. 104 secteurs statistiques
répondent au critère 3.
Nous avons ensuite sélectionné les secteurs statistiques qui répondent positivement aux trois
critères développés ci-dessus. Seuls 15 secteurs statistiques sont dans ce cas. Il semble donc
raisonnable de penser que chacun de ces 15 secteurs fait l’objet d’un processus de
gentrification. Notre analyse concernera ces secteurs. Leurs caractéristiques seront comparées
à celles des autres secteurs statistiques bruxellois. Les quartiers sélectionnés sont repris dans
le tableau ci-dessous et sont cartographiés à la figure 4.1.
Tableau 4.1 – Détails des 15 secteurs statistiques sélectionnés
Code
INS
Code
secteur
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21005
21009
21009
21011
21013
A001
A002
A01A14A20A25A35A71A811
A83A042
A542
A552
A00A00-
Commune
Secteur statistique
BRUXELLES
GRAND-PLACE
BRUXELLES
BOURSE
BRUXELLES
VIEILLE HALLE AUX BLES
BRUXELLES
GRAND SABLON
BRUXELLES
BOURSE-NORD-OUEST
BRUXELLES
BEGUINAGE (PLACE DU)
BRUXELLES
AD. MAX (BOULEVARD)
BRUXELLES
BLAES (RUE)-CENTRE
BRUXELLES
QUAI DU COMMERCE
BRUXELLES
E. JACQMAIN (BOULEVARD)-OUEST
ETTERBEEK
PH. BAUCQ (RUE)
IXELLES
EGLISE ANGLICANE
IXELLES
PORTE DE NAMUR
KOEKELBERG VANHUFFEL
SAINT-GILLES
HOTEL DE VILLE
QUARTILE 1 DES 631 SECTEURS
MEDIANE DES 631 SECTEURS
QUARTILE 3 DES 631 SECTEURS
MOYENNE DES 631 SECTEURS
Rev.
Pop
Rev 03 / Indice Pop 18médian
totale
Rev 95 critère 3 24 ans
95 (€)
1/10/01
13711
1,186
0,591
69
734
12137
1,270
0,521
31
384
13919
1,439
0,775
45
551
13446
1,194
0,970
146
1692
13795
1,259
0,851
162
1835
13292
1,444
0,724
96
1560
13466
1,385
0,541
47
495
12300
1,196
0,630
117
1134
14127
1,208
0,911
171
2003
14256
1,303
0,531
106
955
14385
1,175
0,866
398
3543
11621
1,620
0,968
29
382
13215
1,292
0,564
72
785
14095
1,126
0,900
228
1744
14579
1,148
0,841
322
3341
0,996
1,042
57
692
15097
17504
1,064
1,255
99
1281
19447
1,573
188
2184
1,123
17124
1,062
1,456
137,7 1535,3
Note : Les chiffres en gras correspondent au quartile pertinent pour le calcul des critères.
37
Penchons-nous maintenant sur la cohérence de ces résultats. La première observation
importante est que la grande majorité de ces secteurs est située dans le pentagone15. Ceci est
conforme à ce à quoi on s’attendait, les quartiers centraux étant traditionnellement concernés
par la gentrification. Les quartiers bruxellois les plus cités comme faisant l’objet d’un tel
phénomène sont, pour la plupart, retenus par nos critères. On retrouve ainsi des parties du
quartier des Marolles (environs de la rue Blaes) et les alentours du Grand-Sablon (quartiers
d’ailleurs sujets au phénomène dit de « sablonisation », c’est-à-dire atteints par l’extension
progressive des magasins de luxes situés sur le Sablon). Le quartier de la Vieille Halle aux
Blés, qui bénéficie effectivement d’un important renouveau depuis quelques années et qui est
régulièrement cité par les spécialistes de la gentrification (par exemple Van Criekingen, 2006,
p. 10) est également retenu, tout comme les alentours de la Grand-Place. Les environs
immédiats de la Bourse, dont notamment la place Saint-Géry, une partie de la rue des
Chartreux et de la rue Antoine Dansaert, souvent considérés comme les lieux symbolisant la
gentrification bruxelloise, font également parties des quartiers sélectionnés par nos critères.
Quelques secteurs statistiques du Nord-Ouest du pentagone (environs de la place SainteCatherine, du Béguinage, du théâtre flamand, du théâtre national, et jusqu’à la place des
Martyrs), complètent encore la liste des secteurs centraux respectant nos trois critères.
En ce qui concerne les 5 secteurs statistiques situés hors du pentagone et qui ont été retenus,
deux appartiennent à la commune d’Ixelles. Il s’agit de la zone comprise entre l’avenue
Louise et la Porte de Namur, le long de l’avenue de la Toison d’Or. Nous ne sommes pas
surpris de retrouver également, dans la commune de Saint-Gilles, les environs de l’Hôtel de
Ville (principalement les quartiers situés entre la chaussée d’Alsemberg et la chaussée de
Waterloo), qui ont connu un processus notable de rénovation urbaine depuis quelques
années16. Le haut de Saint-Gilles est d’ailleurs cité par l’Atlas de la Santé et du Social de
Bruxelles Capitale 2006, (p. 12) comme un quartier présentant des signes de gentrification.
Au contraire, les deux derniers secteurs statistiques, Vanhuffel (Koekelberg) et Rue Philippe
Baucq (Etterbeek), ne font pas partie des quartiers cités habituellement lorsqu’on parle de
gentrification. Quoiqu’il en soit, il semble, en général, que la grande majorité des secteurs
statistiques que nous avons retenus, ont connu ou connaissent effectivement un processus
significatif de gentrification, ce qui tend à confirmer la validité de notre choix de critères.
15
Il est possible de définir l’appartenance précise d’une rue ou d’une adresse à un secteur statistique grâce au site
internet suivant : http://geowebgis.irisnet.be/webgis/
16
Même si on aurait plutôt été tenté de qualifier d’embourgeoisement le phénomène touchant ce quartier. Il
convient d’ailleurs de signaler que des 15 secteurs statistiques sélectionnés, il est celui qui était le moins pauvre
en 1995.
38
Figure 4.1 – Carte des secteurs statistiques bruxellois
Parmi les critères que nous n’avons pas utilisés pour notre sélection, quels sont ceux qui
auraient pu être pertinents ? La réhabilitation du bâti, reflétée à travers l’augmentation des
loyers aurait pu être un critère de choix, puisqu’elle est une des conséquences les plus
évidentes du phénomène de gentrification. Mesurer de telles variables sur une base objective
s’avère pourtant extrêmement difficile (deux appartements ne sont jamais véritablement
similaires et comparables), surtout au niveau très fin des secteurs statistiques. Dans son
mémoire, Draps (2004), a tenté, en collectant des centaines de petites annonces immobilières,
de mesurer l’augmentation des loyers en cours dans les quartiers bruxellois qui se gentrifient.
39
Afin de produire des échantillons d’une taille suffisamment importante, une telle analyse a
évidemment dû être menée à une échelle géographique moins fine que celle des secteurs
statistiques et les résultats ne nous semblent que moyennement convaincants (les limites
d’une telle approche sont d’ailleurs bien détaillées dans le mémoire en question). Nous avons
donc décidé, pour des raisons pratiques, de ne pas utiliser un critère relatif à l’augmentation
des loyers.
Un autre critère que nous avons laissé de côté est celui des changements dans la population.
Van Criekingen et Decroly (2003) avaient mesurés ceux-ci en comparant l’évolution de la
proportion de 25-44 ans dans la population d’un quartier. Nous considérons toutefois que cette
évolution devrait en fait déjà être traduite en grande partie par notre troisième critère.
Néanmoins, nous avons décidé, afin de vérifier la cohérence des 15 secteurs statistiques que
nous avons sélectionnés, de nous intéresser à l’indice de mobilité. L’indice de mobilité d’un
secteur statistique représente le pourcentage de sa population de plus de cinq ans qui habitait,
cinq ans auparavant, à une autre adresse (le fait qu’une même personne ait pu effectuer plus
d’un déménagement endéans ce laps de temps n’est pas pris en compte). Notre hypothèse est
que ce taux devrait être significativement plus élevé dans les quartiers en cours de
gentrification que dans les autres quartiers puisque la gentrification induit d’importants
mouvements de population. Cela devrait être encore plus vrai dans les quartiers concernés par
la gentrification « marginale », puisque, contrairement à la gentrification « classique », celleci est caractérisée par un taux élevé de « turnover » chez les gentrifieurs (voir partie 2 et 3). A
Bruxelles, l’indice de mobilité était, en 2001, de 44,6%, c’est-à-dire particulièrement élevé (à
titre de comparaison, il était de 30,9% pour l’ensemble de la Belgique). Un tel taux est
notamment fort influencé par la proportion de locataires habitants l’entité considérée. Il est, en
effet, probable qu’un locataire, en particulier sur le marché du logement privé ou résiduel,
déménage plus souvent qu’un propriétaire. Or, les quartiers sujets à la gentrification se
caractérisent par une forte proportion de locataires. Les statistiques de l’indice de mobilité ont
été calculées, pour chaque secteur statistique, en confrontant les données du recensement de
2001 avec celles du registre national. Cet indice représente donc, pour chaque secteur
statistique, la proportion de personnes ayant déménagé entre 1996 et 2001. Remarquons
toutefois que ces données ne sont disponibles que pour 601 secteurs statistiques (dont les 15
secteurs sélectionnés), puisque les informations relatives aux secteurs possédants moins de
200 habitants n’ont pas été rendues publiques.
40
Tableau 4.2 – Indice de mobilité dans les 15 secteurs statistiques sélectionnés
Code
INS
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21005
21009
21009
21011
21013
Code
Secteur Statistique
secteur
A001
GRAND-PLACE
A002
BOURSE
A01VIEILLE HALLE AUX BLES
A14GRAND SABLON
A20BOURSE-NORD-OUEST
A25BEGUINAGE (PLACE DU)
A35AD. MAX (BOULEVARD)
A71BLAES (RUE)-CENTRE
A811
QUAI DU COMMERCE
A83E. JACQMAIN (BOULEVARD)-OUEST
A042
PH. BAUCQ (RUE)
A542
EGLISE ANGLICANE
A552
PORTE DE NAMUR
A00VANHUFFEL
A00HOTEL DE VILLE
QUARTILE 1 DES 601 SECTEURS
MEDIANE DES 601 SECTEURS
QUARTILE 3 DES 601 SECTEURS
Indice de
mobilité
62,7%
64,2%
62,2%
59,9%
67,2%
59,9%
60,0%
59,7%
57,6%
64,7%
45,2%
62,5%
62,3%
52,6%
53,3%
38,9%
44,0%
49,3%
La première constatation qui ressort de ce tableau est que l’indice de mobilité est très élevé
dans les secteurs que nous avons sélectionnés. Pour 14 des 15 quartiers sélectionnés, l’indice
de mobilité se trouve dans le quartile supérieur des 601 secteurs considérés. Cela permet de
confirmer que les trois critères choisis ont convenablement mis en évidence des secteurs
faisant l’objet d’importants mouvements de population, et qui sont donc probablement sujet à
un processus de gentrification. Seul l’indice de mobilité du secteur Rue Philippe Baucq,
secteur pour lequel nous avions déjà émis quelques interrogations, n’est pas situé dans le
quartile supérieur (son indice est tout de même supérieur à celui de la médiane et de la
moyenne de tous les secteurs bruxellois considérés).
Afin de confirmer que les 15 secteurs retenus présentent bien un indice de mobilité
significativement supérieur à celui des autres secteurs statistiques, nous avons procédé à une
analyse de la variance (ANOVA, ici l’équivalent d’un test de Student ou t-test puisque nous
ne sommes en présence que de deux groupes : les secteurs sujets à la gentrification et les
autres secteurs). Les calculs sont détaillés en annexe. Les résultats indiquent que les 15
secteurs sélectionnés possèdent un indice de mobilité significativement supérieur (p-value <
0,001***) à celui des autres secteurs bruxellois (rejet de l’hypothèse nulle). Nous pouvons
donc vraisemblablement considérer que les 15 secteurs statistiques sélectionnés par nos trois
critères, puisqu’ils sont sujets à d’importants mouvements démographiques, font l’objet d’un
processus de gentrification.
41
4.2.
Effet de la gentrification sur la mixité
4.2.1. La mixité économique
Afin d’étudier l’évolution de la mixité économique dans les quartiers se gentrifiant, nous
allons utiliser, comme indicateur de mixité économique, une mesure de dispersion statistique
des revenus. La mesure à laquelle nous aurons recours est, par secteur statistique, l’écart
interquartile des revenus totaux imposables (différence entre le revenu du troisième quartile et
le revenu du premier quartile). Cet indicateur représente la dispersion des revenus parmi les
ménages habitant un même secteur statistique. Nous aurions également pu utiliser comme
indicateur, l’écart type des revenus au sein d’un secteur statistique, mais cette donnée n’a pas
été rendue disponible par la Direction Générale Statistique du SPF Economie. Remarquons
que si, à la différence de l’écart type, l’écart interquartile n’utilise pas toute l’information
disponible (les 25% les plus faibles et les 25% les plus élevées des valeurs sont négligées) il
présente comme avantage d’être très robuste puisque peu sensible aux valeurs extrêmes ou
aberrantes. Un écart interquartile des revenus ayant une valeur élevée traduit une répartition
très inégale des revenus parmi les ménages habitants un même secteur statistique tandis qu’un
faible écart interquartile exprime une grande égalité de revenus parmi ces ménages. Notre
hypothèse est qu’un quartier sujet à la gentrification, puisqu’il se caractérise par l’arrivée de
ménages relativement aisés là où auparavant habitaient essentiellement des pauvres, verra son
écart interquartile augmenter fortement dans le temps.
Lorsque, pour les 15 secteurs sélectionnés, nous comparons l’écart interquartile des revenus
entre 1996 (première année pour laquelle toutes les données concernées sont disponibles) et
2003 (année que nous avons choisi, comme déjà mentionné plus haut, comme année finale
puisqu’ensuite la méthode de collecte de données est bouleversée), il est aisé de constater que
celui-ci a augmenté fortement (+30,8% en moyenne17). Il convient cependant de comparer ce
pourcentage avec celui de l’ensemble des autres secteurs statistiques. L’écart interquartile de
ceux-ci a également augmenté, mais cependant dans des proportions bien moindres (+13,8%
en moyenne17). En outre, le recours à un test d’hypothèse (ANOVA) précise que cette
différence d’augmentation entre les 15 secteurs sélectionnés et les autres est significative à un
niveau de probabilité de 1% (p-value < 0,001***). Cela tendrait à montrer que la mixité
17
Ce résultat est encore plus frappant lorsque nous utilisons les médianes. L’augmentation est alors
respectivement de 37,0% et de 14,6%.
42
économique augmente effectivement de manière plus prononcée dans les secteurs qui se
gentrifient. Il faut cependant être conscient du fait que l’écart interquartile n’est sans doute
pas complètement indépendant des critères de sélections (principalement le second critère)
que nous avons choisis.
Nous venons de nous pencher sur une mesure de dispersion absolue (écart interquartile).
Toutefois, lorsque les ordres de grandeurs sont forts différents (par exemple ici en présence de
médianes très différentes), il est utile d’avoir recours à une mesure de dispersion relative. Le
coefficient interquartile (écart interquartile/médiane), que nous utiliserons, est une de ces
mesures de dispersion relative18. Force est de constater que l’usage de cette mesure de
dispersion relative ne fournit pas un résultat conforme à celui attendu. Entre 1996 et 2003, le
coefficient interquartile progresse seulement de 5,0% dans le cas des 15 secteurs sujets à la
gentrification tandis qu’il progresse de 7,3% en ce qui concerne les autres secteurs. Les
mêmes calculs réalisés en utilisant les médianes et non les moyennes donnent pourtant une
augmentation légèrement supérieure pour les 15 secteurs (+8,4%) que pour les autres
(+7,4%). L’emploi du test d’hypothèse (ANOVA) montre, de toute façon, que ces différences
relatives à l’augmentation du coefficient interquartile ne sont pas significative (p-value > 0,1).
Le recours au coefficient interquartile ne met donc pas en évidence une différence
significative entre les quartiers sujets à la gentrification et les autres.
Les deux indices que nous avons utilisés afin de mesurer la diversité économique des secteurs
statistiques donnent donc des résultats contrastés. Premièrement, il semble évident que,
comme notre indice de dispersion absolue (écart interquartile) l’a montré, la diversité
économique a augmenté plus fortement dans les secteurs statistiques concernés par la
gentrification que dans les autres. Pourtant, il nous a semblé nécessaire de recourir à un indice
de dispersion relative (coefficient interquartile) pour prendre en compte le fait qu’un secteur
statistique qui a un revenu médian très élevé présentera plus souvent un écart interquartile
important. L’usage d’un tel indice ne produit toutefois pas de résultats significatifs.
18
Le coefficient de variation (écart type/moyenne) nous est ici impossible à calculer puisque les écarts types ne
sont malheureusement pas fournis par la Direction Générale Statistique.
43
4.2.2. La mixité sociale
Lorsque la question de la gentrification est abordée, la notion de mixité sociale est très
souvent évoquée. Nous avons vu précédemment qu’elle est régulièrement invoquée par les
politiciens afin d’encourager et de justifier le recours à des politiques favorisant
l’établissement de ménages aisés dans des quartiers défavorisés. Il nous a donc semblé crucial
de nous pencher sur l’évolution de la mixité sociale dans les 15 secteurs statistiques que nous
avons retenus comme étant sujets à la gentrification et de la comparer avec celle des autres
secteurs statistiques bruxellois.
Pour ce faire, il nous a fallu réunir des données concernant le statut social des bruxellois.
Hormis les recensements décennaux, très peu de données relatives au statut social des
habitants existent au niveau des secteurs statistiques. Pour créer notre base de données, nous
avons donc décidé d’utiliser ces recensements dont nous avons par ailleurs déjà précisé plus
haut les points forts et les limites. Afin de respecter notre horizon temporel qui correspond
aux années 90, nous avons choisi de travailler avec le recensement de 1991 et celui de 2001
(ESE 2001). Notre intention est d’évaluer l’évolution qu’a subit la mixité sociale pendant
cette décennie dans les quartiers concernés par la gentrification afin d’observer si, oui ou non,
et si oui, dans quelle mesure, la gentrification favorise la mixité sociale.
Sur base des données disponibles dans le recensement de 1991 et dans celui de 2001, nous
avions pensé utiliser trois types d’indicateurs de mixité sociale : le statut professionnel des
habitants, le secteur d’activité dans lequel ils travaillent et leur niveau d’instruction. Comme
nous allons le voir, nous devrons cependant nous contenter d’un seul indicateur.
Concernant le premier indicateur, le statut professionnel (parmi la population active), notre
hypothèse est que la gentrification, puisqu’elle se caractérise par l’afflux d’une population
éduquée, aurait un impact positif sur la proportion d’habitants ayant un statut professionnel
privilégié (chef d’entreprise, indépendant, cadre, etc.) par rapport à celle ayant des statuts
moins rémunérateurs (apprentis, aidants, ouvriers, etc.). Les recensements de 1991 et de 2001
demandaient notamment à chaque répondant faisant partie de la population active de préciser
son statut professionnel à choisir parmi une série de propositions. Malheureusement, nous
devons constater que la liste de catégories proposées comme choix de statut professionnel a
été modifiée entre 1991 et 2001. En effet, certaines catégories ont été fusionnées et d’autres
44
scindées. Le changement le plus notable est le fait qu’en 1991, on distingue dans le secteur
privé les travailleurs « employés du secteur privé » et « ouvriers du secteur privé », tandis
qu’en 2001, on distingue « statutaires du secteur privé » et « contractuels du secteur privé ».
Un ouvrier et un employé pouvant tous deux être soit contractuel, soit statutaire, ces données
deviennent complètement inutilisables lorsqu’il s’agit d’effectuer une comparaison
temporelle. Nous déplorons donc fortement que les responsables d’une ressource aussi
précieuse et aussi largement utilisée que le recensement décennal n’aient pas choisi de
privilégier la compatibilité (à défaut de continuité) entre deux recensements (même au prix de
la multiplication de catégories). Le second indicateur que nous espérions pouvoir utiliser, le
secteur d’activité de la population active, pâtit malheureusement de problèmes similaires,
mais d’une ampleur encore plus importante que ceux concernant le statut professionnel (18
catégories en 2001 pour seulement 11 en 1991 !). Les modifications qui ont été apportées aux
catégories entre les deux recensements sont détaillées en annexe.
Concernant la mesure de la mixité sociale à travers le niveau d’instruction, il a heureusement
été possible d’extraire, à partir des recensements décennaux, des données exploitables. Lors
de ces recensements, les répondants âgés de 18 ans et plus et qui ne suivaient plus
d’enseignement eurent à choisir, parmi les différentes propositions suivantes, celle qui
correspondait le mieux au niveau le plus élevé d’études terminées avec succès :
Tableau 4.3 – Population de 18 ans et plus ne suivant plus d’enseignement par niveau
d’instruction : les propositions des recensements
RECENSEMENT DE 1991
RECENSEMENT DE 2001
AVEC DIPLOME BELGE
PRIMAIRE
PRIMAIRE
SECONDAIRE INFÉRIEUR
SECONDAIRE INFÉRIEUR (DISTINCTION ENTRE LES 4 RÉSEAUX)
SECONDAIRE SUPÉRIEUR
SECONDAIRE SUPÉRIEUR (DISTINCTION ENTRE LES 4 RÉSEAUX)
PÉDAGOGIQUE TYPE COURT (NORMAL)
POSTSECONDAIRE NON SUPÉRIEUR
AUTRE ENSEIGNEMENT SUPERIEUR DE TYPE COURT
SUPÉRIEUR (TYPE COURT, LONG OU UNIVERSITÉ)
ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE OU SUPERIEUR DE TYPE LONG
SANS DIPLOME BELGE
AVEC DIPLÔME OU CERTIFICAT ÉTRANGER
AVEC DIPLÔME OU CERTIFICAT ÉTRANGER
SANS DIPLÔME OU CERTIFICAT ÉTRANGER
SANS DIPLÔME OU CERTIFICAT ÉTRANGER
Sur cette base, il nous a été possible de trouver des correspondances entre les propositions de
1991 et celles de 2001. Si les équivalences sont évidentes entre 1991 et 2001 en ce qui
concerne les propositions « primaire », « secondaire » (inférieur et supérieur) et « sans
45
diplôme belge », elles sont plus délicates à trouver en ce qui concerne l’enseignement
postsecondaire. Afin de produire des données fiables, il nous a semblé nécessaire de regrouper
toutes ces propositions en 4 catégories : niveau d’éducation faible, moyen, élevé et diplôme
obtenu à l’étranger. Nous avons effectué le regroupement au sein des 4 catégories comme
suit :
Niveau d’éducation faible
-
Sans diplôme ou certificat étranger (1991 & 2001)
-
Primaire (1991 & 2001)
Niveau d’éducation moyen
-
Secondaire inférieur (1991 & 2001)
-
Secondaire supérieur (1991 & 2001)
-
Postsecondaire non supérieur19 (2001)
Niveau d’éducation élevé :
-
Pédagogique type court20 (1991)
-
Autre enseignement supérieur de type court (1991)
-
Enseignement universitaire ou supérieur de type long (1991)
-
Supérieur type court, long ou universitaire (2001)
Diplôme obtenu à l’étranger :
-
Avec diplôme ou certificat étranger (1991 & 2001)
Comme on peut le constater, nous avons essayé de réunir l’ensemble des titulaires d’un
diplôme de l’enseignement supérieur dans la catégorie « niveau d’éducation élevé ». La
correspondance entre les catégories de 1991 et de 2001 semble donc pouvoir être respectée.
La catégorie « avec diplôme ou certificat étranger », réunit les personnes titulaires d’un
diplôme, quel qu’il soit, obtenu à l’étranger. Il ne nous est malheureusement pas possible de
distinguer, à l’intérieur de cette catégorie, le type des diplômes obtenus puisque les tableaux
de données disponibles ne nous fournissent pas cette information. Afin de produire des
résultats robustes, nous effectuerons donc notre analyse de deux manières différentes : d’une
part, en prenant en compte cette catégorie et, d’autre part, en l’excluant. Le détail des résultats
19
La catégorie « postsecondaire non supérieur » est définie comme suit par le formulaire de l’enquête socioéconomique de 2001 : « 7e année d’enseignement secondaire professionnel complémentaire (4e degré), chef
d’Entreprise des Classes moyennes ».
20
Formations supérieures destinées à former des instituteurs maternelle et primaire ainsi que des régents et
agrégés.
46
calculés en excluant les détenteurs d’un diplôme étranger se trouve en annexe. Ces résultats
concordent tout à fait avec ceux obtenus en prenant en compte les titulaires d’un diplôme
étranger.
En regroupant les statistiques issues des deux recensements, nous avons pu créer une base de
données fiable qui précise, pour chaque secteur statistique, le nombre de personnes qui se
trouvent, en 1991 et 2001, dans chacun des 4 groupes de niveau d’éducation. Sur cette base,
nous devons maintenant recourir à un indicateur qui permette d’évaluer la mixité sociale
relative de chaque secteur statistique. A cette fin, nous aurons recours à l’indice de diversité
de Simpson. Cet indice fut développé par le statisticien britannique Edward H. Simpson dans
un article qu’il publia en 1949 dans la revue Nature (n° 163, p. 688). Principalement utilisé
par les biologistes pour calculer la biodiversité d’un écosystème, cet indice mesure la
probabilité que deux individus, choisis au hasard dans une population, appartiennent à deux
groupes différents. Dans un secteur statistique présentant un indice de diversité d’une valeur
élevée, il est hautement probable que deux individus sélectionnés aléatoirement
n’appartiennent pas au même groupe. Un tel secteur statistique peut donc être considéré
comme présentant un niveau de mixité sociale élevé. Au contraire, un indice avec une valeur
faible traduira un secteur statistique où la mixité sociale est limitée. Dans le cas d’un
échantillon fini, l’indice de diversité de Simpson21 (D) se calcule ainsi :
1
∑
1
1
(2)
= catégorie de niveau d’enseignement
= nombre de catégories considérées (ici
4)
= nombre entier naturel d’individus appartenant à la ième catégorie
1, … ,
= nombre total d’individus
Il convient de faire quelques remarques quant à l’interprétation de résultats produits par un tel
indice. Premièrement, l’indice de diversité ne fournit pas de détails précis quant à la
composition de la population d’un secteur statistique. Ainsi, une valeur de 0,5 pourrait, par
21
On retrouve parfois l’indice de Simpson exprimé ainsi :
∑ !"
# #
. Dans ce cas, l’indice varie
inversément avec l’hétérogénéité. Afin de remédier à ce défaut, nous avons donc choisi, comme le propose Peet
(1974, p. 291), une formulation plus pratique en le soustrayant à sa valeur maximale, c’est-à-dire à 1. Lieberson
(1969) et Agresti et Agresti (1978) présentent une vue d’ensemble des indices de diversité existants.
47
exemple, caractériser aussi bien un secteur statistique partagé uniquement entre deux groupes
de même grandeur, qu’un secteur statistique dans lequel un groupe prédomine fortement
plusieurs autres petits groupes. Deuxièmement, l’indice varie entre 0 et 1. Une valeur de 0
indique une absence complète de diversité (observé si et seulement si
conséquent,
$
0 pour & '
et par
; c’est-à-dire lorsque tous les individus appartiennent au
même groupe). Une valeur de 1 indique une diversité totale (observé si et seulement si
pour
1, … , ; c’est-à-dire lorsque tous appartiennent à des groupes différents).
(1
Nous avons calculé l’indice de Simpson pour tous les secteurs statistiques bruxellois
considérés (c’est-à-dire 631 secteurs) pour les années 1991 et 2001. Le tableau ci-après
détaille les résultats que nous avons obtenus pour les 15 secteurs considérés comme concernés
par le phénomène de gentrification.
2001
1991
4.4 – Calcul de l’indice de Simpson pour les quartiers sélectionnés (1991-2001)
Code
INS
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21005
21009
21009
21011
21013
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21005
21009
21009
21011
21013
Code
Secteur
A001
A002
A01A14A20A25A35A71A811
A83A042
A542
A552
A00A00-
Secteur statistique
GRAND-PLACE
BOURSE
VIEILLE HALLE AUX BLES
GRAND SABLON
BOURSE-NORD-OUEST
BEGUINAGE (PLACE DU)
AD. MAX (BOULEVARD)
BLAES (RUE)-CENTRE
QUAI DU COMMERCE
E. JACQMAIN (BOULEVARD)-OUEST
PH. BAUCQ (RUE)
EGLISE ANGLICANE
PORTE DE NAMUR
VANHUFFEL
HOTEL DE VILLE
TOTAL 15 SECTEURS
TOTAL 616 AUTRES SECTEURS
A001
GRAND-PLACE
A002
BOURSE
A01VIEILLE HALLE AUX BLES
A14GRAND SABLON
A20BOURSE-NORD-OUEST
A25BEGUINAGE (PLACE DU)
A35AD. MAX (BOULEVARD)
A71BLAES (RUE)-CENTRE
A811
QUAI DU COMMERCE
A83E. JACQMAIN (BOULEVARD)-OUEST
A042
PH. BAUCQ (RUE)
A542
EGLISE ANGLICANE
A552
PORTE DE NAMUR
A00VANHUFFEL
A00HOTEL DE VILLE
TOTAL 15 SECTEURS
TOTAL 616 AUTRES SECTEURS
Bas
Moyen
Élevé
Étranger
Total
114
60
101
302
330
431
96
449
433
137
903
60
148
560
990
5114
210100
89
61
80
271
306
351
65
313
369
158
578
32
75
330
610
3688
165533
138
62
74
214
289
202
84
151
240
83
623
55
126
303
615
3259
195470
128
80
94
243
315
219
84
204
275
161
646
46
131
371
583
3580
201257
86
44
51
180
152
150
71
67
149
34
317
50
93
75
436
1955
116779
145
87
127
228
347
325
98
131
334
162
556
75
150
153
725
3643
151295
40
31
23
81
82
66
50
40
87
42
154
53
64
107
190
1110
40803
148
61
115
281
325
225
86
124
272
140
422
74
123
192
366
2954
101905
378
197
249
777
853
849
301
707
909
296
1997
218
431
1045
2231
11438
563152
510
289
416
1023
1293
1120
333
772
1250
621
2202
227
479
1046
2284
13865
619990
48
Indice de
Simpson
71,47%
73,73%
69,95%
70,95%
69,54%
64,92%
73,96%
53,96%
66,81%
67,61%
66,74%
75,23%
72,97%
61,37%
68,20%
68,03%
69,21%
74,30%
74,62%
74,41%
74,90%
75,00%
73,96%
74,72%
71,21%
74,63%
75,04%
74,49%
72,68%
73,82%
72,03%
73,74%
74,82%
73,68%
Note : Les indices de Simpson sont ici exprimés en pourcents.
Il nous est maintenant possible de comparer l’évolution du niveau de mixité sociale (mesurée
par le niveau d’éducation) dans les quartiers qui se gentrifient. Nos résultats révèlent très
clairement une forte hausse de la mixité sociale dans les 15 secteurs statistiques sélectionnés.
Dans chacun de ceux-ci, à l’exception du secteur Église anglicane, l’indice de Simpson a
augmenté. L’indice de Simpson pour les quartiers gentrifiés était de 68,03% en 1991, c'est-àdire inférieur à celui des autres quartiers de la Région de Bruxelles-Capitale, pris dans leur
ensemble, et qui était alors de 69,21%. En 2001, l’indice atteignait 74,82% pour les quartiers
gentrifiés (progression de 10,0%) et 73,68% pour les autres quartiers de la Région de
Bruxelles-Capitale, pris dans leur ensemble (progression de 6,5%). Alors qu’en 1991, la
mixité sociale dans les secteurs statistiques sujets à la gentrification était inférieure à celle du
reste de la Région de Bruxelles-Capitale, on constate que, suite à une forte augmentation, le
rapport s’est inversé et que cette mixité est devenue proportionnellement plus élevée en 2001.
A l’aide d’un test d’hypothèse (ANOVA), nous pouvons constater que les indices de Simpson
de secteurs statistiques sujets à la gentrification sont, en 1991, différents, à un niveau de
significativité de 10%, des indices de Simpson des autres secteurs statistiques. Le même test
appliqué aux données concernant l’année 2001 montre que les indices de Simpson des
secteurs statistiques sujets à la gentrification sont significativement différents de ceux des
autres secteurs, mais cette fois-ci avec une significativité de 1%. Entre 1991 et 2001, la
différence entre la mixité dans les secteurs faisant l’objet de la gentrification et celle des
autres secteurs a donc été renforcée. Il est possible de reproduire graphiquement la répartition,
par catégories de niveau d’enseignement, des habitants de l’ensemble des 15 secteurs
statistiques :
Figure 4.2 – Répartition de la population en fonction du diplôme – 15 secteurs gentrifiés
2001
1991
10%
21%
Bas
17%
45%
Bas
Moyen
Moyen
Élevé
28%
27%
26%
Étranger
Élevé
26%
Indice de Simpson : 74,82%
Indice de Simpson : 68,03%
49
Étranger
Comme attendu, nous pouvons constater, dans les quartiers concernés par la gentrification,
une forte diminution, entre 1991 et 2001, du pourcentage d’habitants ayant un niveau
d’éducation bas (-18%) et une forte augmentation du pourcentage des résidents les plus
instruits (+11%). La proportion d’habitants moyennement éduqués ne subit pas de
modification importante. L’augmentation de la proportion de personnes ayant obtenu un
diplôme à l’étranger est, quant à elle, frappante. Puisqu’il est impossible de connaître le
niveau du diplôme des personnes regroupées dans cette catégorie, nous en sommes réduits
aux conjonctures. L’Atlas des Quartiers de la population de Bruxelles-Capitale au début du
21ème siècle (p. 67-103), nous apporte néanmoins quelques éclairages intéressants. A travers
une série de cartes établies sur base des données de l’ESE 2001, celui-ci détaille les
mouvements ayant eu lieu entre 1991 et 2001 parmi la population étrangère à Bruxelles, et ce
au niveau des secteurs statistiques. Il est possible d’y déceler clairement, dans les quartiers
centraux qui nous intéressent, une augmentation significative de la population originaire de
certains des pays de l’UE 15 (les français avant tout, mais aussi les britanniques ou les
allemands) ainsi que des pays d’Europe de l’Est. Ces personnes ont en général un niveau
d’éducation assez élevé. Le nombre de personnes originaires des Etats-Unis, du Canada, du
Japon, d’Australie ou de Nouvelle-Zélande est également en augmentation dans le centre de
Bruxelles. Au contraire, nombre de marocains, italiens, grecs ou congolais ont quitté le centreville durant la décennie qui nous intéresse. Il est donc fort probable, qu’une grande partie de
l’augmentation de la proportion de titulaires d’un diplôme non-belge soit dû à l’installation
d’étrangers relativement éduqués, en provenance de pays de l’Union Européenne ou anglosaxons. L’amplification de l’intérêt pour les quartiers centraux bruxellois de la part de cette
population étrangère instruite est fort intéressante et est vraisemblablement liée au phénomène
de gentrification.
Nous avons pu constater les changements de population ayant eu lieu à l’échelle des quartiers
gentrifiés. A titre de comparaison, il est intéressant de se pencher maintenant sur les
modifications observées à l’échelle de tous les autres secteurs bruxellois. Celles-ci peuvent
être représentées à l’aide de diagrammes circulaires.
50
Figure 4.3 – Répartition de la population en fonction du diplôme – 616 autres secteurs
2001
1991
7%
16%
37%
21%
27%
Bas
Moyen
Moyen
24%
Élevé
Étranger
35%
Bas
Élevé
33%
Étranger
Indice de Simpson : 73,68%
Indice de Simpson : 69,21%
Nous pouvons aisément remarquer que les principaux changements observés dans le cas des
quartiers gentrifiés (diminution de la proportion des personnes les moins éduquées,
augmentation de celle des plus instruits et des titulaires de diplômes non-belges) s’observent
également au niveau bruxellois, mais dans une ampleur bien moindre. La mixité a donc
également tendance à augmenter en Région bruxelloise, ce qui est peu surprenant pour une
ville comme Bruxelles, étant donné qu’elle est capitale de l’Union Européenne et qu’elle
accueille un grand nombre d’entreprises internationales ce qui attire de nombreuses
personnes d’horizons les plus divers.
Il ne nous a pas semblé pertinent de comparer l’augmentation de l’indice de Simpson dans les
secteurs statistiques gentrifiés avec celle des autres secteurs statistiques bruxellois en ayant
recours à la moyenne arithmétique. En effet, cela donnerait une importance démesurée aux
changements ayant eu lieu dans les secteurs statistiques les moins peuplés par rapport à ceux
s’étant produits dans les secteurs les plus denses. Nous avons donc opté pour un indice de
Simpson moyen pondéré, lequel pondère l’indice de Simpson de chaque secteur statistique
suivant le nombre de réponses relevées dans ce secteur lors du recensement de 2001. Cet
indice de Simpson moyen se calcule ainsi :
*
,$
.
+
$
,$ ,
$
/
nombre de secteurs statistiques pris en compte
nombre de personnes prises en compte dans le jème secteur statistique
,
Nombre de personnes total
Indice
de
Simpson du jème secteur statistique
$
51
(3)
Nous avons d’abord calculé la valeur de cet indice pour les 15 secteurs statistiques sujets à la
gentrification et ensuite pour tous les autres secteurs, pour 1991 et 2001. En dix ans, l’indice
passe de 67,06% à 74,02% dans le cas des 15 secteurs (progression de 10,4%) et de 65,78% à
70,52% en ce qui concerne les 616 autres secteurs (progression de 7,2%). Même si la
différence entre les quartiers se gentrifiant et les autres est ici moins frappante que lorsqu’on
considère comme un tout ceux-ci ainsi que la Région de Bruxelles-Capitale, elle reste
néanmoins significative, conformément à ce que l’on pouvait attendre.
Au travers les analyses que nous venons de faire, il semble clair que la gentrification a
favorisé, ou, à tout le moins, accéléré, au cours des années 90, le progrès de la mixité sociale
dans les quartiers concernés. Le fait de savoir si oui ou non la mixité sociale est une bonne
chose est une question délicate que nous avons déjà abordée dans la troisième partie de ce
travail. Sans revenir sur ce débat, les arguments utilisés par les politiques qui considèrent la
gentrification comme un moyen de promouvoir la mixité socio-économique semblent ici
trouver quelque justification. Pourtant, avant de tirer la moindre conclusion, nous pensons
qu’il est fondamental de se pencher sur la dynamique de la mixité sociale à l’intérieur des
quartiers qui se gentrifient.
4.2.3. Vers un modèle de la dynamique de la mixité dans les quartiers en cours
de gentrification
Notre hypothèse est que, si l’effet de la gentrification sur la mixité sociale est positif à court
terme, il est ambigu à plus long terme. En effet, un quartier abritant initialement
exclusivement une population défavorisée présentera un niveau de mixité sociale (mesuré
grâce à l’indice de Simpson) très faible. L’arrivée progressive de personnes appartenant à la
classe moyenne, conjuguée à l’éviction de certains des ménages les plus pauvres, aura comme
conséquence d’augmenter petit à petit le niveau de mixité sociale. Cet effet, qui semble avoir
été prédominant à Bruxelles dans les années 90, a bien été capté par notre analyse statistique.
Pourtant, il semble que si le phénomène continue, comme cela devrait être le cas en présence
d’une gentrification de type « classique », le remplacement progressif de la population
défavorisée par des ménages aisés devrait conduire, à un moment ou un autre, à une
diminution de la mixité sociale. Au final, un quartier totalement gentrifié, c’est-à-dire
uniquement habité par la classe moyenne, présentera un niveau de mixité sociale très faible,
similaire à celui rencontré avant le début du phénomène de gentrification. La seule différence
52
sera le niveau social des habitants du quartier. Nous avons tenté de représenter cette
dynamique de la gentrification « classique » dans le graphique suivant.
Mixité sociale (indice de Simpson)
Figure 4.4 – Proposition pour une courbe de Kuznets relative à la gentrification
Augmentation de la
mixité sociale
Diminution de la
mixité sociale
Avancement de la Gentrification
empemps
Cette courbe qui prend la forme d’un U inversé, rappelle quelque peu la courbe de Kuznets22.
En effet, dans un premier temps, plus la gentrification progresse dans un quartier (c’est-à-dire
plus le revenu moyen des habitants du quartier progresse), plus le niveau de mixité sociale
(c’est-à-dire l’inégalité sociale entre les habitants du quartier) augmente. Cependant, à partir
d’un certain seuil, la gentrification risque de diminuer la mixité sociale et, à la limite, celle-ci
retrouvera son niveau initial. Il est donc tentant de qualifier cette courbe de « Courbe de
Kuznets relative à la gentrification ».
L’état final représenté sur cette courbe, c’est-à-dire un quartier dont tous les habitants
originaux auraient été chassés, peut paraître hypothétique, pourtant les exemples de quartiers
gentrifiés habités presque exclusivement pas la classe moyenne et présentant donc très peu de
mixité sont nombreux, principalement aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. A ce propos,
Neil Smith (1996), au travers de sa thèse de la « Cité Revancharde » (Revanchist City
Thesis23), dénonce la gentrification comme un plan collectif mis en place par les détenteurs de
capital pour reprendre les quartiers centraux des villes à ceux qui les auraient « volés » à la
22
Inspirée des travaux de Simon Kuznets (1950), cette courbe traduit le fait que l’inégalité au sein d’un pays a
d’abord tendance à croître avec le développement économique de ce pays. Ensuite, lorsqu’un certain niveau de
revenu moyen est atteint, l’inégalité commence à diminuer. Une variante, la courbe de Kuznets
environnementale, décrit une relation similaire entre la dégradation de l’environnement et le revenu par habitant.
23
Le mot « revanchist » est une allusion à un épisode de l’histoire française du XIXème siècle. En effet, les
revanchistes étaient un groupe de nationalistes qui s’opposaient à la Commune de Paris (1870) et qui avaient
pour ambition de prendre leur revanche sur ceux qui leur avaient, considéraient-ils, pris la ville. La thèse de la
« Cité Revancharde » peut être considérée comme une des plus importantes théories de ces dernières années
dans le domaine des études urbaines (Lees et al, 2004, p.229).
53
classe moyenne blanche. Nous voyons donc combien il peut être risqué de souscrire
aveuglément aux arguments politiques qui préconisent la gentrification à des fins de mixité
sociale.
La question qui se pose maintenant est de savoir quel pourrait être l’impact, à Bruxelles, de la
gentrification sur la mixité sociale dans le long terme. Il est important de prendre en compte le
fait que les quartiers centraux de Bruxelles sont principalement soumis à une gentrification de
type « marginale ». Comme nous l’avons déjà souligné, il est probable que ce type de
gentrification, en induisant une hausse des loyers plus limité que la gentrification
« classique », ne conduise pas à l’éviction de toute la population initiale du quartier. De ce
fait, il est possible que la dynamique de la mixité sociale dans les quartiers gentrifiés
bruxellois ne corresponde pas exactement à celle que nous avons décrite à l’aide de la
« courbe Kuznets relative à la gentrification ». Il se pourrait, par exemple, qu’une situation
d’équilibre finisse par s’établir à un niveau ou la mixité sociale serait encore relativement
élevée (par exemple non loin du sommet de la courbe représentée sur la figure 5.3).
Le recensement décennal de 2011 n’étant encore qu’en préparation, il ne nous est pas possible
de définir le niveau actuel de mixité sociale (évalué avec un indice de Simpson) dans les
quartiers bruxellois sujets à la gentrification avec la même rigueur que nous l’avons fait pour
les années 1991 et 2001. Nous nous contenterons donc d’émettre des hypothèses sur base des
statistiques que nous avons déjà calculées. Le tableau ci-après résume les changements de
l’indice de Simpson observés entre 1991 et 2001 dans les 15 secteurs concernés par la
gentrification.
Tableau 4.5 – Évolution de l’indice de Simpson pour les 15 quartiers sélectionnés
Code
INS
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21005
21009
21009
21011
21013
Code
Secteur
A001
A002
A01A14A20A25A35A71A811
A83A042
A542
A552
A00A00-
Secteur statistique
GRAND-PLACE
BOURSE
VIEILLE HALLE AUX BLES
GRAND SABLON
BOURSE-NORD-OUEST
BEGUINAGE (PLACE DU)
AD. MAX (BOULEVARD)
BLAES (RUE)-CENTRE
QUAI DU COMMERCE
E. JACQMAIN (BOULEVARD)-OUEST
PH. BAUCQ (RUE)
EGLISE ANGLICANE
PORTE DE NAMUR
VANHUFFEL
HOTEL DE VILLE
TOTAL
54
1991 Indice 2001 Indice
Simpson
Simpson
71,47%
74,30%
73,73%
74,62%
69,95%
74,41%
70,95%
74,90%
69,54%
75,00%
64,92%
73,96%
73,96%
74,72%
53,96%
71,21%
66,81%
74,63%
67,61%
75,04%
66,74%
74,49%
75,23%
72,68%
72,97%
73,82%
61,37%
72,03%
68,20%
73,74%
68,03%
74,82%
%
change
3,96%
1,21%
6,38%
5,58%
7,86%
13,94%
1,03%
31,96%
11,71%
10,99%
11,61%
-3,39%
1,17%
17,36%
8,13%
9,97%
L’analyse de ce tableau appelle quelques commentaires quant à la dynamique du phénomène.
Tout d’abord, les données du tableau ne permettent pas d’identifier clairement quels ont été
les premiers quartiers à se gentrifier. On aurait pu penser que ceux-ci présenteraient un indice
de mixité déjà élevé en 1991, signe que le processus était déjà amorcé depuis plusieurs
années. Pourtant, les quartiers les plus à l’est du pentagone ou encore d’anciens quartiers
bourgeois délaissés par les classes supérieures, comme le Béguinage ou le Sablon, qui sont
considérés comme parmi les premiers à avoir connu des signes de gentrification24, ne
présentent pas nécessairement un indice de mixité sociale plus élevé que les autres en 1991.
Une explication pourrait être que ces quartiers présentaient, au moment où ils ont commencés
à se gentrifier, un niveau de mixité sociale particulièrement faible (qui a d’ailleurs peut-être
contribué au déclenchement précoce du processus) et que ce déficit n’avait pas encore été tout
à fait résorbé en 1991.
Le second enseignement de ce tableau est extrêmement enrichissant en ce qu’il nous permet
d’émettre des hypothèses concernant le futur de la mixité sociale dans le cœur de Bruxelles. Il
est, en effet, intéressant de constater que les quartiers présentant le niveau le moins élevé de
mixité sociale en 1991, sont ceux dans lesquels la progression de cette mixité fut la plus
importante. La corrélation entre ces deux variables est d’ailleurs impressionnante (R = -0,993)
et traduit une concavité qui semblent parfaitement cohérente avec la partie ascendante de la
courbe de Kuznets relative à la gentrification que nous avons imaginée plus haut.
Figure 4.5 – Corrélation indice de Simpson (1991) – Progression de l’indice (1991-2001)
Progression 2001-1991
40%
30%
y = -1,546x + 1,1453
R² = 0,9868
20%
10%
0%
-10%
50%
55%
60%
65%
70%
75%
80%
Indice de Simpson en 1991
24
Le Sablon et le Béguinage sont deux quartiers cités par le périodique Bruxelles en Mouvements d’octobre 2010
(p.7) comme sujets à des signes de gentrification dès la fin des années 70. Il est encore précisé qu’en général, la
gentrification a progressé, dans le pentagone, d’est en ouest.
55
Il est encore plus frappant de constater que la valeur de l’indice de Simpson de chacun de ces
quartiers semble converger vers 75% (la valeur de 0 pour 1 = 0 est précisément de 74,08%),
indépendamment de celle prise par l’indice en 1991. Les changements dans l’indice de mixité
sociale d’un secteur statistique présentant déjà une forte mixité sociale (indice de Simpson
proche de 75%) en 1991 ne sont que très faibles, alors qu’au contraire, un secteur très peu
mixte en 1991 verra son indice de mixité sociale augmenter fortement et tendre vers 75%. La
valeur de 75% semble donc constituer, d’une certaine manière, un équilibre pour l’indice de
Simpson d’un quartier gentrifié. Il est donc plausible d’imaginer qu’à Bruxelles, la mixité
sociale, favorisée par la gentrification, s’établirait à un niveau élevé, relativement similaire
pour tous les quartiers gentrifiés, et qui pourrait dès lors constituer une sorte d’équilibre. Seul
le secteur statistique Église Anglicane observe une légère diminution de son indice de mixité
sociale sur la décennie. L’évolution constatée dans ce quartier (explosion de la proportion de
la catégorie hautement éduquée et des diplômes obtenus à l’étranger) serait cohérente avec un
renversement de la courbe de Kuznets relative à la gentrification. Pourtant, à part cette
exception, la lecture de l’indice de Simpson des autres secteurs statistiques, n’indique
nullement que cet indice soit voué à diminuer une fois un certain seuil dépassé, comme
l’extrapolation suivant la courbe de Kuznets relative à la gentrification pourrait le laisser
supposer. Au contraire, il semble que le niveau de mixité sociale aurait tendance à se stabiliser
à un niveau proche du sommet de cette courbe. Le fait que l’indice de secteurs statistiques
présentant déjà une mixité sociale importante en 1991 (Bourse ou Boulevard Ad. Max, par
exemple) n’ait pas connu de diminution corroborerait cette hypothèse.
La valeur qui constituerait l’équilibre (≈75%), ne semble pas anodine. Il convient
premièrement de souligner que cette valeur dépend fortement des catégories prises en compte
dans le calcul de l’indice de Simpson. Choisir de grouper différemment les types de diplômes
au sein de catégories (par exemple en distinguant les détenteurs d’un diplôme du secondaire
inférieur des titulaires d’un diplôme du secondaire supérieur) aurait modifié significativement
les valeurs prises par l’indice de Simpson et, par conséquent, la « valeur d’équilibre » aurait
été différente. Cette valeur est donc tributaire des choix subjectifs que nous avons pris.
Deuxièmement, il est très intéressant de noter que, étant donné notre choix subjectif de 4
catégories (niveau d’éducation bas, moyen, élevé, diplôme obtenu à l’étranger), la valeur de
75% ressemble pratiquement, comme nous allons le démontrer, à un maximum. En effet, étant
donné le nombre de catégories non vides considérées
56
et le nombre d’individus pris en
compte
, l’indice de Simpson n’atteint, par définition, sa valeur maximale que si la
population d’un secteur statistique est répartie de manière parfaitement uniforme parmi les
différentes catégories, c’est-à-dire lorsque
⁄
3
2
4 1. En replaçant
dans la formule (2), on obtient donc :
678
9
1
1
1:
1
1
(4)
nombre total d’individus pris en compte
nombre de catégories non vides considérées
On le voit, la valeur maximale25 que peut prendre l’indice augmente avec le nombre de
catégories non vides prises en compte
et diminue avec le nombre d’individus considérés
Elle n’atteint la valeur de 1 que lorsque
.
, c’est-à-dire, lorsque chaque catégorie n’est
composée que d’un seul individu. En présence d’un grand nombre d’individus
; ∞ , il est
aisé de voir que cette valeur maximale peut se réécrire comme suit :
1
678
(5)
Cette valeur maximale tend asymptotiquement vers 1 lorsque
augmente. Comme nous
avons pris en compte 4 catégories, la valeur maximale théorique est donc de ¾, c’est-à-dire de
75%, lorsque le nombre d’observation est élevé (ce qui est généralement le cas puisqu’il
oscille entre 227 et 2284 en 2001)26. Par conséquent, il est intéressant de constater que la
gentrification bruxelloise semble, à un moment, conduire à une situation dans laquelle la
proportion de représentants de chacune des catégories que nous avons définies est à peu près
identique, ce qui se traduit par un indice approchant sa valeur maximale.
Troisièmement, il est important de rappeler que l’indice de Simpson est neutre quant à la
nature du groupe qui est majoritaire. A ce titre, il convient de s’intéresser de plus près aux
25
On pourrait imaginer de standardiser D afin que, quel que soit le nombre de catégories et d’individus observés,
un indice maximum de 1 puisse être atteint. Cela peut se faire en divisant (2) par sa valeur maximale (4) :
1
26
∑
1
1
1
1
1
1
En 1991, l’indice de Simpson du secteur statistique Église Anglicane était très légèrement supérieur à 75%.
Dans ce secteur, le nombre de personnes prises en compte étant seulement de 218, il est aisé de voir, si on se
réfère à la formule (4), que dans ce cas, la valeur maximale est de
57
2 =
2 >
-
?
@
75,35%.
changements ayant eu lieu dans les secteurs statistiques présentant, en 1991, un indice de
Simpson déjà très élevé. A titre d’exemple, bien que leur indice ne change que très peu sur la
décennie, les secteurs Grand-Place, Bourse, Ad. Max (Boulevard), Porte de Namur
connaissent une diminution de la part des habitants les moins éduqués au profit de la part des
résidents plus éduqués. En effet, pour chacun de ces secteurs, la proportion de la première
catégorie est plus élevée en 1991 que la proportion de la seconde alors que le contraire est à
chaque fois observé en 2001. Théoriquement, une inversion de la proportion de personnes
appartenant à des catégories données ne modifie pas l’indice de Simpson, puisque celui-ci ne
prend pas en compte la nature des groupes considérés. Pourtant, l’augmentation de la
proportion des personnes plus instruites, si elle n’induit pas, dans un premier temps, de
changements notables dans la valeur de l’indice, laisse présager que la tendance détectée dans
le secteur Église Anglicane pourrait être, dans le futur, suivie par plusieurs autres secteurs et
donc finalement valider en quelque sorte les prédictions de la courbe de Kuznets relative à la
gentrification. La seule différence serait alors le fait que, avant de voir sa valeur chuter,
l’indice de Simpson d’un quartier en cours de gentrification resterait plus ou moins stable
pendant une certaine période, le temps de permettre à la proportion de personnes hautement
éduquée de devenir majoritaire. On pourrait donc imaginer une courbe de Kuznets relative à
la gentrification qui serait beaucoup plus plate que celle représentée sur la figure 5.3.
Mixité sociale (indice de Simpson)
Figure 4.6 – Proposition alternative pour une courbe de Kuznets relative à la gentrification
Augmentation
de la mixité
sociale
Stabilisation de
l’indice de
mixité sociale
Diminution
de la mixité
sociale
Avancement de la Gentrification
empemps
Durant la période de stabilité de l’indice représentée sur cette figure, ce serait donc le groupe
des personnes très instruites qui serait favorisé au détriment de celui des personnes peu
éduquées, préparant peut-être en cela une possible future inversion de la courbe comme cela a
pu déjà être observé dans le secteur Église Anglicane.
58
Quoiqu’il en soit, en 2001, le niveau de mixité sociale est très élevé dans tous les secteurs
statistiques bruxellois connaissant un phénomène de gentrification. Au côté de gentrifieurs
plus éduqués ou même de personnes ayant obtenu un diplôme à l’étranger, les populations les
moins instruites sont encore très présentes dans chacun des secteurs, quel que soit le moment
où le phénomène s’est déclenché dans le secteur concerné. De plus, une éventuelle inversion
de la courbe n’a, pour le moment, été détectée que dans un seul secteur statistique et une telle
tendance reste hypothétique en ce qui concerne les autres. Il est donc crédible de considérer
que l’indice de diversité de Simpson des secteurs statistiques concernés converge, jusqu’à
présent, vers une valeur d’équilibre qui traduit une mixité sociale importante. Savoir si cet
équilibre perdurera ou non est la question délicate à propos de laquelle nous avons tenté
d’émettre quelques pistes. Il sera hautement instructif de comparer les résultats de 2001 avec
les données que le futur recensement de 201127 devrait nous procurer. Nous pourrons alors
évaluer, avec plus de précision, quel est le niveau actuel de mixité sociale dans les quartiers
gentrifiés et déterminer sans ambiguïté si un équilibre existe bel et bien ou si la mixité sociale
dans les quartiers gentrifiés est finalement condamnée à diminuer, comme la courbe de
Kuznets relative à la gentrification semble le prédire.
27
Pour la première fois, la Belgique organisera un recensement (appelé Census en 2011) sur base de données
administratives. Il ne sera donc plus nécessaire d’organiser, comme auparavant, une enquête exhaustive. En
conséquence, le gain de temps sera considérable et pour le citoyen et pour les responsables du Census, tandis que
la fiabilité des données en sera augmentée. Nous espérons seulement que la cohérence entre le Census de 2011 et
les recensements précédents sera assurée de sorte que les comparaisons temporelles puissent être possibles.
59
Conclusion
La gentrification est un phénomène extrêmement complexe qui peut épouser des formes très
variées. Les études consacrées à la manifestation du phénomène à Bruxelles tendent à montrer
que cette ville est principalement sujette à une gentrification de type « marginale ». Celle-ci
est caractérisée par l’arrivée de gentrifieurs dont le capital économique est moins important
que le capital culturel et qui n’ont pas pour vocation de s’installer définitivement dans le
quartier. A terme, celui-ci, s’il ne se transformera pas forcément en un quartier bourgeois verra
néanmoins, dans une certaine mesure, ses loyers augmenter, entraînant souvent l’éviction des
habitants initiaux les plus pauvres.
Les politiques urbaines menées à Bruxelles ces dernières années, en encourageant
l’installation de ménages issus de la classe moyenne dans le centre-ville, semblent favoriser
sans réserve la gentrification. Pourtant, si l’impact du phénomène est positif pour les
gentrifieurs et éventuellement pour les habitants initiaux du quartier concerné, qui ont accédé
à la propriété, il est en revanche ambigu pour les habitants initiaux locataires de leur
logement, mais qui ne quittent pas le quartier, et clairement négatif pour ceux qui en sont
évincés. Ces politiques urbaines sont pourtant présentées par les décideurs comme bénéfiques
pour tous puisque favorisant la mixité socio-économique. Outre le fait qu’une telle mixité
n’est, comme nous l’avons vu, pas forcément toujours souhaitable, il nous a semblé capital de
déterminer si, oui ou non, la gentrification implique nécessairement une augmentation de la
mixité socio-économique.
Pour ce faire, nous avons dû, sur base de critères prenant en compte les spécificités de la
gentrification à Bruxelles, définir quels sont les quartiers concernés par le phénomène. Les
deux premiers critères couvraient les aspects économiques du processus, tandis que le
troisième concernait l’aspect social. Quinze des 724 secteurs statistiques bruxellois ont ainsi
été sélectionnés. Leur localisation semble relativement cohérente par rapport aux quartiers
souvent cités par la littérature. De plus, nous avons pu mettre en évidence que 14 de ces
secteurs sont caractérisés par un indice de mobilité très élevé, traduisant donc des
changements démographiques importants.
60
Dans les années 90, il semble que, dans les secteurs identifiés comme sujets à la
gentrification, la mixité économique, mesurée avec la dispersion absolue des revenus, ait
progressé significativement par rapport aux autres secteurs bruxellois. Le recours à une
mesure de dispersion relative ne montre cependant pas de différences significatives entre les
15 secteurs sélectionnés et les autres.
Nous avons choisi d’évaluer la mixité sociale en calculant un indice de Simpson basé sur le
niveau d’éducation des bruxellois. Au cours des années 90, l’augmentation de la mixité
sociale, ainsi calculée, est très prononcée dans les 15 secteurs considérés, bien qu’une telle
augmentation, mais d’une ampleur bien moindre, soit également perceptible à l’échelle de la
Région de Bruxelles-Capitale. Il est frappant de constater que les indices de Simpson des 15
quartiers concernés par la gentrification, quelles que soient leurs valeurs en 1991, semblent
tendre, en 2001, vers une valeur qui représente un niveau de mixité très élevé. Sur cette base,
nous avons imaginé une courbe qui représenterait la progression de la mixité sociale dans les
quartiers en cours de gentrification. En référence aux travaux d’un célèbre économiste, nous
avons appelé cette courbe, courbe de Kuznets relative à la gentrification. Celle-ci indique
qu’après avoir atteint un certain seuil, la mixité sociale d’un quartier se gentrifiant devrait
finalement diminuer. Le fait que la gentrification bruxelloise soit principalement de type
« marginale » explique peut-être pourquoi, à l’exception d’un seul secteur statistique, aucune
baisse de la mixité sociale n’ait encore été détectée dans les secteurs sélectionnés. Il n’est
donc pas impossible qu’un niveau élevé de mixité sociale puisse constituer un équilibre pour
un quartier sujet à la gentrification. Pourtant, les changements en cours à l’intérieur de la
plupart des quartiers concernés, s’ils n’influencent pas toujours directement la valeur des
indices de Simpson, laissent peut-être présager une diminution future du niveau de mixité
sociale, comme cela a déjà été constaté dans un des 15 secteurs statistiques. Afin de prendre
en compte ces éléments, nous avons proposé une nouvelle version, beaucoup plus plate, de la
courbe de Kuznets relative à la gentrification.
Nous avons donc montré, qu’à court terme, conformément à ce que soutiennent certains
décideurs qui prônent la gentrification, celle-ci semble effectivement avoir favorisé la mixité
sociale dans les quartiers concernés. Il serait pourtant risqué d’en tirer des conclusions
hâtives. En effet, il n’est pas garanti que le haut niveau de mixité sociale rencontré
actuellement dans les quartiers se gentrifiant perdure à moyen et à long terme. Une tendance
61
comme celle que nous avons proposée au travers de la courbe de Kuznets relative à la
gentrification, n’est pas à exclure. De ce point de vue, afin de mieux appréhender la
dynamique de la mixité sociale dans les quartiers en cours de gentrification, il sera très
intéressant de confronter nos résultats aux données que nous fourniront les prochains
recensements. L’analyse de cette dynamique dans d’autres villes que Bruxelles serait
assurément aussi fort riche d’enseignements.
62
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65
Annexes
Annexe A : Calcul des résultats en excluant les détenteurs d’un diplôme étranger
Si l’on calcule l’indice de Simpson des secteurs statistiques bruxellois sans prendre en compte
le groupe des titulaires d’un diplôme étranger, la conclusion n’est pas différente par rapport au
cas où ce groupe est considéré. Nous résumons ci-dessus les résultats ainsi obtenus.
Le tableau ci-après détaille donc les résultats que nous avons calculés pour les 15 secteurs
considérés comme concernés par le phénomène de gentrification lorsque la catégorie des
possesseurs d’un diplôme étranger n’est pas considérée.
2001
1991
Tableau 7.1 – Calcul de l’indice de Simpson pour les quartiers sélectionnés (1991-2001)
Code
INS
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21005
21009
21009
21011
21013
Code
Secteur
A001
A002
A01A14A20A25A35A71A811
A83A042
A542
A552
A00A00-
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21005
21009
21009
21011
21013
A001
A002
A01A14A20A25A35A71A811
A83A042
A542
A552
A00A00-
Secteur statistique
GRAND-PLACE
BOURSE
VIEILLE HALLE AUX BLES
GRAND SABLON
BOURSE-NORD-OUEST
BEGUINAGE (PLACE DU)
AD. MAX (BOULEVARD)
BLAES (RUE)-CENTRE
QUAI DU COMMERCE
E. JACQMAIN (BOULEVARD)-OUEST
PH. BAUCQ (RUE)
EGLISE ANGLICANE
PORTE DE NAMUR
VANHUFFEL
HOTEL DE VILLE
TOTAL 15 SECTEURS
TOTAL 616 SECTEURS
GRAND-PLACE
BOURSE
VIEILLE HALLE AUX BLES
GRAND SABLON
BOURSE-NORD-OUEST
BEGUINAGE (PLACE DU)
AD. MAX (BOULEVARD)
BLAES (RUE)-CENTRE
QUAI DU COMMERCE
E. JACQMAIN (BOULEVARD)-OUEST
PH. BAUCQ (RUE)
EGLISE ANGLICANE
PORTE DE NAMUR
VANHUFFEL
HOTEL DE VILLE
TOTAL 15 SECTEURS
TOTAL 616 SECTEURS
Bas
Moyen
Élevé
114
60
101
302
330
431
96
449
433
137
903
60
148
560
990
5114
210100
89
61
80
271
306
351
65
313
369
158
578
32
75
330
610
3688
165533
138
62
74
214
289
202
84
151
240
83
623
55
126
303
615
3259
195470
128
80
94
243
315
219
84
204
275
161
646
46
131
371
583
3580
201257
86
44
51
180
152
150
71
67
149
34
317
50
93
75
436
1955
116779
145
87
127
228
347
325
98
131
334
162
556
75
150
153
725
3643
151295
Indice de
Simpson
65,68%
338
66,36%
166
64,50%
226
65,12%
696
63,83%
771
59,45%
783
66,44%
251
48,62%
667
60,52%
822
58,67%
254
61,64%
1843
66,89%
165
65,71%
367
53,34%
938
62,86%
2041
10328
61,95%
522349 64,82%
65,59%
362
66,26%
228
65,60%
301
66,58%
742
66,64%
968
65,52%
895
66,03%
247
62,77%
648
66,26%
978
66,80%
481
66,57%
1780
62,97%
153
64,45%
356
63,06%
854
66,39%
1918
10911
66,67%
518085 66,17%
Total
NB : Les indices de Simpson sont ici exprimés en pourcents.
L’indice de Simpson de l’ensemble constitué par les 15 quartiers concernés par la
gentrification est de 61,95% en 1991 et de 66,67% en 2001 (progression de 7,62%). Les
66
diagrammes circulaires qui suivent résument cette évolution.
Figure 7.1 - Répartition de la population en fonction du diplôme – 15 secteurs gentrifiés
2001
1991
19%
Bas
49%
32%
33%
34%
Bas
Moyen
Moyen
Élevé
Élevé
33%
Indice de Simpson : 61,95%
Indice de Simpson : 66,67%
L’indice de Simpson de tous les secteurs statistiques bruxellois pris dans leur ensemble est,
quant à lui, de 64,82% en 1991 et de 66,17% en 2001 (progression de 2,09%). Les
diagrammes circulaires qui suivent illustrent cette évolution.
Figure 7.2 - Répartition de la population en fonction du diplôme – 616 autres secteurs
1991
2001
22%
40%
29%
Bas
32%
Moyen
38%
Bas
Moyen
Élevé
Élevé
39%
Indice de Simpson : 64,82%
Indice de Simpson : 66,17%
Nous avons ensuite calculé l’indice de Simpson moyen pondéré, défini dans la quatrième
partie, par la formule (3). Cet indice passe, sur la décennie de 60,97% à 65,74% (progression
de 7,82%) en ce qui concerne les 15 quartiers sélectionnés. Il passe de 61,10% à 62,56% pour
les 616 autres secteurs (progression de 2,38%). La différence de progression entre les
quartiers sujets à la gentrification et les autres quartiers est, ici, encore plus frappante que dans
le cas où les titulaires d’un diplôme étranger sont pris en compte.
De plus, il est possible de montrer, à l’aide d’un test d’hypothèse (ANOVA), que la différence
entre les indices de Simpson des quartiers sujets à la gentrification et ceux des autres quartiers
n’est pas significative en 1991, mais l’est par contre fortement (p-value < 0,001***) en 2001.
Cela confirme donc que la gentrification a bien favorisé une différentiation entre les secteurs
statistiques gentrifiés et les secteurs statistiques non gentrifiés.
67
Les changements survenus au cours de la décennie sont résumés ci-après pour chacun des 15
secteurs statistiques sélectionnés.
Tableau 7.2 – Évolution de l’indice de Simpson pour les 15 quartiers sélectionnés
Code
INS
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21004
21005
21009
21009
21011
21013
Code
Secteur
A001
A002
A01A14A20A25A35A71A811
A83A042
A542
A552
A00A00-
Secteur statistique
GRAND-PLACE
BOURSE
VIEILLE HALLE AUX BLES
GRAND SABLON
BOURSE-NORD-OUEST
BEGUINAGE (PLACE DU)
AD. MAX (BOULEVARD)
BLAES (RUE)-CENTRE
QUAI DU COMMERCE
E. JACQMAIN (BOULEVARD)-OUEST
PH. BAUCQ (RUE)
EGLISE ANGLICANE
PORTE DE NAMUR
VANHUFFEL
HOTEL DE VILLE
TOTAL
1991 Indice
Simpson
65,68%
66,36%
64,50%
65,12%
63,83%
59,45%
66,44%
48,62%
60,52%
58,67%
61,64%
66,89%
65,71%
53,34%
62,86%
61,95%
2001 Indice
Simpson
65,59%
66,26%
65,60%
66,58%
66,64%
65,52%
66,03%
62,77%
66,26%
66,80%
66,57%
62,97%
64,45%
63,06%
66,39%
66,67%
%
change
-0,13%
-0,15%
1,70%
2,24%
4,40%
10,21%
-0,60%
29,09%
9,50%
13,86%
7,99%
-5,86%
-1,92%
18,22%
5,62%
7,62%
Conformément à ce que l’on avait pu observer dans le cas ou la catégorie des détenteurs d’un
diplôme étranger était prise en compte, les indices de Simpson des secteurs statistiques
considérés convergent vers une valeur d’équilibre, valeur qui semble être ici de 66%. Nous
pouvons constater que la progression de l’indice est la plus forte pour les secteurs statistiques
qui présentaient, en 1991, un indice de mixité sociale faible. Le graphique suivant représente
la très forte corrélation qui existe entre ces deux variables (R = - 0,969).
Figure 7.3 – Corrélation indice de Simpson (1991) – Progression de l’indice (1991-2001)
Progression 2001-1991
30%
y = -1,383x + 0,9103
R² = 0,9392
20%
10%
0%
-10%
50%
55%
60%
Indice de Simpson en 1991
68
65%
70%
L’indice de Simpson du secteur Église Anglicane diminue sur la décennie, comme nous
avions déjà pu l’observer dans le cas où les titulaires d’un diplôme étranger étaient pris en
compte. Ce secteur semblait donc confirmer les prédictions de la courbe de Kuznets relative à
la gentrification. Dans le cas présent, 4 autres secteurs statistiques voient également leur
indice diminuer (Grand-Place, Bourse, Ad. Max (Boulevard), Porte de Namur). Cette
diminution est cependant très légère et ne permet pas d’affirmer formellement que nous
sommes en présence d’un renversement de la courbe de Kuznets. Il semble donc, dans ce casci aussi, qu’une valeur d’équilibre existe pour l’indice de Simpson. Le tableau 6.2 montre
qu’elle oscillerait autour de 66%.
La formule (5) de la quatrième partie, permet de calculer la valeur maximale de l’indice de
; ∞ . Puisque nous sommes en présence de
Simpson d’une population très nombreuse
trois catégories de personnes (niveau d’éducation bas, élevé, moyen), cette valeur maximale
est donc de ⅔, c’est-à-dire justement de 66,67%. La gentrification semble donc, encore une
fois, favoriser une situation dans laquelle la proportion de personnes des trois groupes est à
peu près identique. La conclusion que nous pouvons tirer ici ne diffère donc pas de celle que
nous avons exprimée dans le cas où les titulaires d’un diplôme étranger sont pris en compte.
Une des seules différences est qu’ici, plusieurs secteurs statistiques enregistrent une
diminution de leur indice de mixité entre 1991 et 2001. Cette diminution qui laisse peut-être
entrevoir un renversement de la courbe de Kuznets relative à la gentrification est cependant
souvent trop faible pour en tirer une autre conclusion.
Annexe B
Nous présentons ici le détail des calculs des tests d’hypothèse.
TABLEAU 7.3 – ANOVA : INTENSITE DE DEMENAGEMENT
TABLEAU RECAPITULATIF
Statut
Taille
Moyenne
Variance
Gentrifiés
15
0,5961
0,0031
Non-Gentrifiés
586
0,4394
0,0072
601
0,4433
0,0077
Total
TABLE D’ANOVA
Source de la
variance
Somme des
carrés des
écarts
Degré de
liberté
Variance
F
P-value
Inter-classes
0,3593
1
0,3593
50,789
< 0,0001 ***
Intra-classe
4,2373
599
0,0071
Total
4,5965
600
69
=> RH0
TABLEAU 7.4 – ANOVA : ÉCART INTERQUARTILE
TABLEAU RECAPITULATIF
Statut
Taille
Moyenne
Variance
Gentrifiés
15
1,307
0,012
Non-Gentrifiés
616
1,147
0,033
Total
631
1,151
0,033
TABLE D'ANOVA
Source de la
variance
Somme des
carrés des
écarts
Degré de
liberté
Variance
F
P-value
Inter-classes
0,372
1
0,372
11,354
0,0008 ***
Intra-classe
20,586
629
0,0327
Total
20,958
630
=> RH0
TABLEAU 7.5 – ANOVA : COEFFICIENT INTERQUARTILE
TABLEAU RECAPITULATIF
Statut
Taille
Moyenne
Variance
Gentrifiés
15
1,055
0,006
Non-Gentrifiés
616
1,085
0,022
631
1,084
0,021
Total
TABLE D'ANOVA
Source de la
variance
Somme des
carrés des
écarts
Degré de
liberté
Variance
F
P-value
Inter-classes
0,012
1
0,0124
0,577
0,4478
Intra-classe
13,547
629
0,0215
Total
13,560
630
=> RH0
TABLEAU 7.6 – ANOVA : INDICE DE SIMPSON 1991 - 4 CATÉGORIES
TABLEAU RECAPITULATIF
Statut
Taille
Moyenne
Variance
Gentrifiés
15
68,49%
0,0028
Non-Gentrifiés
616
65,55%
0,0036
631
65,62%
0,0036
Total
TABLE D'ANOVA
Source de la
variance
Somme des
carrés des
écarts
Degré de
liberté
Variance
F
3,554
Inter-classes
0,0127
1
0,0127
Intra-classe
2,2497
629
0,0036
Total
2,2624
630
70
P-value
0,0599
=> RH0
TABLEAU 7.7 – ANOVA : INDICE DE SIMPSON 2001 - 4 CATÉGORIES
TABLEAU RECAPITULATIF
Statut
Taille
Moyenne
Variance
Gentrifiés
15
73,97%
0,0001
Non-Gentrifiés
616
70,00%
0,0011
Total
631
70,09%
0,0012
TABLE D'ANOVA
Source de la
variance
Somme des
carrés des
écarts
Degré de
liberté
Variance
F
P-value
Inter-classes
0,0231
1
0,0231
20,616
< 0,0001 ***
Intra-classe
0,7058
629
0,0011
Total
0,7289
630
=> RH0
TABLEAU 7.8 – ANOVA : INDICE DE SIMPSON 1991 - 3 CATÉGORIES
TABLEAU RECAPITULATIF
Statut
Taille
Moyenne
Variance
Gentrifiés
15
61,97%
0,0026
Non-Gentrifiés
616
60,79%
0,0038
631
60,82%
0,0038
Total
TABLE D'ANOVA
Source de la
variance
Somme des
carrés des
écarts
Degré de
liberté
Variance
F
P-value
Inter-classes
0,0021
1
0,0021
0,541
0,4623
Intra-classe
2,3884
629
0,0038
Total
2,3904
630
=> RH0
TABLEAU 7.9 – ANOVA : INDICE DE SIMPSON 2001 - 3 CATÉGORIES
TABLEAU RECAPITULATIF
Statut
Taille
Moyenne
Variance
Gentrifiés
15
65,43%
0,0002
Non-Gentrifiés
616
61,97%
0,0016
631
62,06%
0,0016
Total
TABLE D'ANOVA
Source de la
variance
Somme des
carrés des
écarts
Degré de
liberté
Variance
F
P-value
11,303
0,0008 ***
Inter-classes
0,0175
1
0,0175
Intra-classe
0,9748
629
0,0015
Total
0,9923
630
71
=> RH0
Annexe C
Les modifications qui ont été apportées, entre les recensements de 1991 et de 2001, aux
propositions concernant le statut professionnel et le secteur d’activité sont résumées dans les
deux tableaux suivants.
Tableau 7.10 - Population active occupée par statut professionnel : les propositions
RECENSEMENT DE 1991
RECENSEMENT DE 2001
EMPLOYEUR
CHEF D'ENTREPRISE SANS CONTRAT D'EMPLOI
INDÉPENDANT
INDÉPENDANT TRAVAILLANT POUR UNE PERSONNE OU SOCIÉTÉ
CHEF D'ENTREPRISE LIÉ PAR CONTRAT
AUTRE INDÉPENDANT, PROFESSION LIBÉRALE
EMPLOYE DU SERVICE PUBLIC
CHEF D'ENTREPRISE SOUS CONTRAT D'EMPLOI
OUVRIER DU SERVICE PUBLIC
STATUTAIRE DU SECTEUR PUBLIC
EMPLOYE DU SECTEUR PRIVE
CONTRACTUEL DU SECTEUR PUBLIC
OUVRIER DU SECTEUR PRIVE
AUTRE EMPLOYÉ DU SECTEUR PRIVÉ
AIDANT
OUVRIER DU SECTEUR PRIVÉ, APPRENTI
PERSONNEL DOMESTIQUE
AIDANT (D'UN INDÉPENDANT)
APPRENTI
PERSONNEL DOMESTIQUE
STATUT PROFESSIONNEL INCONNU
AUTRE STATUT (EX. : ALE)
SANS STATUT
STATUT PROFESSIONNEL NON CONNU
Tableau 7.11 - Population active occupée par secteur d’activité : les propositions
RECENSEMENT DE 1991
RECENSEMENT DE 2001
AGRICULTURE, SYLVICULTURE ET PÊCHE
AGRICULTURE, SYLVICULTURE ET PÊCHE
ÉNERGIE ET EAU
INDUSTRIE
MINÉRAUX NON ÉNERGÉTIQUES INDUSTR. CHIMIQUE
BÂTIMENT ET GÉNIE CIVIL
INDUSTRIE TRANSFORMATRICE DES MÉTAUX
COMMERCE (GROS ET DÉTAIL)
AUTRES INDUSTRIES MANUFACTURIÈRES
RÉPARATION DE BIEN (DE CONSOMMATION) OU DE VÉHICULES
BÂTIMENT ET GÉNIE CIVIL
TRANSPORT, ENTREPOSAGE, COMMUNICATION
COMMERCE RESTAURATION ET HÉBERGEMENT
HÔTEL, CAFÉ ET RESTAURANT
TRANSPORTS ET COMMUNICATIONS
FINANCES (BANQUES, ASSURANCES)
INSTITUT. DE CRÉDIT ASSURANCE SERV. AUX ENTREPR.
IMMOBILIER, LOCATION
AUTRES SERVICES
SERVICES FOURNIS AUX ENTREPRISES
ACTIVITÉ MAL DÉFINIE
SERVICES DOMESTIQUES
ADMINISTRATION PUBLIQUE
ÉDUCATION, ENSEIGNEMENT
ORGANISMES INTERNATIONAUX
FORCES ARMÉES
SANTÉ ET ACTION SOCIALE
AUTRES SERVICES
PAS DE RÉPONSE À LA QUESTION
72

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