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SIMONE CHAPUT Un vent prodigue roman LEMÉAC Vent prodigue - Final.indd 5 2013-01-25 11:08:55 I Dimanche 19 juin 2011 Toujours le même, mon rêve : une pietà, une mater dolorosa. Je porte la Terre dans mes bras et, comme un corps criblé de blessures, elle fuit. L’avion est pénétré de courants d’air. Les sièges sont défoncés. Les hublots sont embués. Une odeur métallique flotte dans l’air et me fait grincer des dents. Pourtant, j’ai réussi à m’assoupir. Épuisée, sans doute, par le vrombissement qui fait danser mes os. C’est la manœuvre du pilote qui m’a secouée de mes rêves. Avant d’amorcer la descente sur le Nueltin (chipewyan : le lac de l’île qui dort), il a fait un virage sur l’aile pour nous – les quelques passagers de ce frêle esquif – pour qu’on voie le lac de l’œil de l’aigle : une coulée scintillante, une eau convulsée de lumière. Beauté suffisante, il me semble, pour rassurer même le cœur inquiet d’Yvan. Mon Yvan. Mon tout beau. Tourmenté incessamment par cette peur insidieuse. Et je me le demande : est-ce tout simplement une question d’âge – ce moment d’effroi dans le long cortège vers la mort ? Ou prendelle sa source, plutôt, dans la litanie de déchéances qui marque ce moment dans l’histoire de l’homme ? La détresse l’a pris à la gorge et, comme un chien enragé, ne le lâche plus. Je pense à lui dans sa petite roulotte perchée au bord de la rivière – je pense aux nuits qu’il passe seul (le mot aussitôt formulé, une petite écharde 11 Vent prodigue - Final.indd 11 2013-01-25 11:08:55 de doute me glisse sous la peau…) aux prises avec l’angoisse – et je m’en veux de ne pas l’avoir entraîné avec moi de force. Mais l’avion amerrit, on patine sur le lac fripé de vagues, et le pilote – un enfant, pas plus, entre les mains de qui, dans un moment de confiance aveugle, j’ai remis ma vie – nous fait signe d’un hochement de tête. Dimanche soir Un crépuscule perlé, dans le Nunavut, une clarté mi-soleil, mi-étoile – le monde de la nation déné, peuple de la lumière ; le fief des Etthen-eldeli-déné, mangeurs de caribou (algonquin : qui creuse avec une pelle). Ce soir de printemps tardif, ils s’accommodent de l’os nu de la toundra, tandis que moi, je me vautre dans le confort sacrilège des blancs en villégiature. Impressionnant, ce camp de pêche, il n’y a pas à dire. Construit de cèdre et de granit, bourré de lits et de canapés douillets, de glace et d’eau chaude, de scotch et de bourbon, le pavillon principal ne fait aucune concession à l’austérité du Nord. Ressemblant à s’y méprendre aux lieux de plaisance du Sud, il prend sur ses vitres la lumière dorée du couchant et se transforme en temple. Voué, bien sûr, au culte des dieux gras. L’hydravion nous dépose ici, dans ce hiatus taillé dans les arbres, pour pêcher la truite, l’omble et le doré, pour chasser, aussi, en saison, le lagopède et le caribou. Il y a des trophées accrochés aux murs des chalets – des têtes empaillées, des poissons raidis, des andouillers et des ramures – et, le soir, dans nos assiettes, on nous sert la chair tendre du gibier dans un coulis d’atocas. Avant de rentrer pour la nuit – cette nuit qui fuit, qui, dans quelques jours, ne sera plus –, j’ai marché le long du lac avec, à mes pieds, une eau mauve moirée 12 Vent prodigue - Final.indd 12 2013-01-25 11:08:55 sous le ciel d’opale. Une beauté qui saisit le cœur, qui renvoie, d’un élan involontaire, à la main de maître qui l’a créée. Beauté superflue, gratuite, incompréhensible. Alors à l’instar de tous ceux qui, avant moi, ont vécu dans son intimité, je n’ai pas cherché à comprendre. Elle est, je suis, et mon existence, par elle, est justifiée. J’ai marché, donc, et j’ai attendu Thomas. Thomas Bonechild, guide, pêcheur, trappeur, chasseur. Parce que c’est lui qui, par une nuit de tempête, a trébuché sur un miracle. Lundi 20 juin 2011 On a parlé jusque tard dans la nuit. Je savais qu’il était fatigué. Il s’était levé tôt pour emmener les touristes à la pêche ; la journée avait été longue, le soleil cru, il devait avoir hâte de baisser les paupières et de fondre dans le noir. Mais il n’a pas protesté et, comme tout bon colon, j’ai profité de son air soumis pour insister. J’avais tant de questions à lui poser, et j’avais si peur, aussi, qu’en le laissant partir, je perde à jamais ce lien ténu avec l’inimaginable. Il est venu jusqu’à moi sur la grève. Chavirée par la pureté du ciel boréal, je marchais la tête levée vers la lumière, et il s’est approché sans que je m’en aperçoive. Debout dans le sable, immobile, il a attendu, la tête baissée, que je me tourne enfin vers lui. Mais j’avais le cœur précaire, plein de prière, le magnificat d’une nuit sans amen, et j’ai marché encore longtemps avant de saisir, dans un frémissement de l’air, le silence subtil de sa présence. Il m’a saluée d’un imperceptible clignement de paupière. Le vent s’est calmé subitement – il ne tombe jamais tout à fait, ici, et son gémissement sourd gronde sous la coupole du ciel –, les insectes ont repris possession du 13 Vent prodigue - Final.indd 13 2013-01-25 11:08:55 monde, il a fallu qu’on coure se réfugier derrière les moustiquaires d’une véranda. Deux fauteuils de cuir, une lanterne, une peau d’ours et, devant moi, dans la clarté mitigée de la pièce, ce jeune homme qui ne levait les yeux ni sur moi, ni sur le ciel nacré. Sa réticence était palpable. Avant de l’importuner de mes questions, j’ai pris un moment pour l’admirer. Sa peau, d’abord, tannée, de la couleur d’une eau tourbeuse, sa longue natte noire, son visage ciselé comme une entaille. Il est beau, Thomas Bonechild, et si j’avais l’âge de Magali, je sais qu’en sa présence, ce murmure savant se lèverait dans mon sang, cette conscience aiguë qu’aiguise dans la chair d’une femme le désir très précis de plaire. Elle ne cesse de me dire, Magali, que les hommes ne sont plus beaux. Qu’il faut chercher longtemps, de nos jours, avant d’en trouver un qui sache éveiller l’appétit… Mais même jadis, ma petite, même avant que la beauté eût fui la gent masculine, Thomas Bonechild, par sa virilité, par sa grâce totémique, se serait démarqué du lot. Quand il a enfin levé les yeux sur moi – des yeux de lynx, des yeux de carcajou –, c’était pour me demander, sans aigreur ni méfiance, ce que je lui voulais, à ce peuple dissimulé dans les neiges de la taïga. J’ai songé, un instant, à tout lui expliquer – la lente dépossession du monde, l’imminence, l’inévitabilité de la fin –, mais le temps pressait : sous le ciel septentrional, l’aube pointait déjà à l’horizon. Alors, je lui ai dit que ce qui m’intéressait chez eux, c’était leurs rêves, leur rites, leur lien avec la terre, avec les cieux, avec les astres de la nuit. J’ai cru comprendre à la lumière de son regard que ma réponse lui avait plu. Ciel bleu, soleil blond sur les fenêtres de la salle d’exposition. Le gérant est en voyage, les nouvelles 14 Vent prodigue - Final.indd 14 2013-01-25 11:08:55 recrues sont à l’affût, le tout nouveau H3 VUS de Hummer est là, garé à la porte, attendant patiemment qu’on le sorte faire une petite tournée. Un essai routier, dit-on dans le métier. Partout autour de lui, bannières et pancartes annoncent Le Hummer qui vous libère des côtés néfastes de la civilisation et réinvente votre liberté. C’est plus fort que lui (tout, en fin de compte, est plus fort que Miguel). Il se glisse dans le bureau du gérant, s’empare des clés du Hummer, attrape au vol une plaque d’immatriculation. En poussant la porte de sortie, il fait un clin d’œil à un collègue, brandit la plaque d’un air complice, lui dit qu’il a le goût, cet aprèm, de prendre la clé des champs. Dehors, le soleil tape fort sur le bitume du stationnement. Il gicle, aussi – et douloureusement –, sur les centaines de pare-brise alignés. Miguel en a les yeux tout barbouillés de lumière. Il chausse vite ses Ray-Ban, vérifie le contenu de ses poches – BlackBerry, clés et portefeuille – et s’installe au volant. Prend une minute pour savourer. Le tableau de bord, les cadrans multiples (graves, excessifs), l’odeur du cuir, les glaces teintées. Il respire, avale avec délectation tous les effluves toxiques qui se dégagent de l’habitacle. Ah ! se dit-il, l’odeur d’une auto neuve ! Meilleure encore que l’odeur d’une femme. Il n’a qu’un moment d’hésitation. Quand il met le contact, une minuscule défaillance. L’impression éphémère de manquer à son devoir. Mais au son du moteur qui s’éveille – exaltant, ce murmure, jouissif –, il oublie tout et embraye. En naviguant dans les allées étroites du stationnement, il se rappelle Marilou (Marie-Laure ? MarieLynne ?), la nouvelle poupée, en tout cas, à la réception. Elle est mignonne, avec son visage gavroche et ses petits seins ronds portés haut dans son corsage. Il aurait voulu l’emmener avec lui aujourd’hui, pour 15 Vent prodigue - Final.indd 15 2013-01-25 11:08:55 l’avoir là, à côté de lui, son parfum bon marché, ses bras blancs comme des cuisses, ses genoux osseux pressés frileusement l’un contre l’autre. Ils auraient parlé, oh ! de ci, de ça, de rien de bien passionnant, mais derrière les mots, ce remous souterrain, ce trouble équivoque, plein d’exhalaisons émouvantes. Le jouet est rutilant. Un œil distrait sur la circulation, Miguel s’amuse à actionner tous les leviers et à appuyer sur tous les boutons. Le toit escamotable s’ouvre et se ferme, les feux s’allument et s’éteignent, les gicleurs giclent, les balayeurs balaient, les sièges avancent et reculent et, dans son dos, le coussin lombaire s’ajuste à la courbe de son épine dorsale. Et il est assis haut, dans son char blindé, il surplombe la chaussée et le grouillement des petites autos insignifiantes, et il a l’impression qu’il pourrait, d’un braquage du volant, leur passer sur le dos, les écraser, comme on foule aux pieds une rangée de fourmis. Il a une pensée, soudain, pour son père, sa carrure de colosse pliée comme un accordéon dans le minuscule habitacle de sa petite hybride. À son âge, se dit Miguel, avec l’argent qu’il a, se priver du confort et du luxe qui lui reviennent à cause d’une planète qui, elle, se fout parfaitement de lui ! Pauvre couillon ! Au lieu de profiter de son bien, il le dilapide au nom d’une idéologie douteuse ; au lieu de dormir sur ses deux oreilles, il passe ses nuits à échafauder des scénarios apocalyptiques, tous les uns plus cauchemardesques que les autres. Et Miguel se dit que c’est chez son père, justement, qu’il devrait rouler cet après-midi de juin, que ça lui ferait du bien, à Yvan, d’aller faire un tour en ville, loin des outils et du désordre du chantier. Mais l’inconscient en a décidé autrement. Sans s’en apercevoir, Miguel a pris le chemin du verger. C’est qu’il cultive des fruits, Miguel. (La femme : le premier fruit du premier jardin ; la pêche originelle.) À son 16 Vent prodigue - Final.indd 16 2013-01-25 11:08:55 avis, la chair, la pulpe du fruit, c’est la nourriture par excellence. Celle du paradis, celle des dieux, juteuse, moelleuse, sous la peau fine de l’écorce. À l’affût, sans cesse, de nouvelles espèces, Miguel ne dédaigne pas pour autant les fruits qu’il connaît déjà par cœur, les apprenant, avec chaque nouvelle bouchée, comme si c’était la première fois. Il les aime tant, les connus aussi bien que les inconnus, qu’il n’en brusque jamais la semence, la culture, la cueillette ni la consommation. En bon exploitant, il sait laisser mûrir, sait aussi, parfaitement, le moment propice pour récolter. C’est le fruit du poirier, justement, qui, cet aprèsmidi d’été, lui semble tout à fait à point. Ils sont, là-dessus, parfaitement d’accord, Yvan et lui : Il faut cultiver son jardin. Voltaire, lui répète sans cesse Yvan, n’a jamais dit si vrai : cultiver son jardin, renchérit-il, comme s’il y allait de sa propre vie. Parce que tu sais, Miguel, les asperges à Noël, les fraises en février, elles ne seront, bientôt, pour nous, qu’un souvenir nostalgique. On en sera réduit à ne manger que ce que la terre ici, ici, à cent kilomètres à la ronde, sait déjà produire. Et il se penche sur les sillons de son jardin, sur ses piquets et ses ficelles, et il place ses graines de carottes, de petits pois et de haricots une à une dans l’écrin noir de la terre, les égrenant comme un chapelet, comme un collier de perles. Quand Miguel a une minute, il va rejoindre son père en bottes de caoutchouc et chapeau de paille et il fait semblant, un petit quart d’heure, de l’aider à construire l’enceinte du jardin. Indispensable, cette clôture grillagée, à cause du gibier dans ce coin du pays, des chevreuils et des lapins qui se régaleront, le moment venu, de la petite salade et des fanes de betteraves du jardin de son père. Pendant que son fils l’observe, Yvan creuse des trous, érige des poteaux, étend le fil de fer. Plus tard, dit Yvan, il voudra établir 17 Vent prodigue - Final.indd 17 2013-01-25 11:08:55 sur le contour de son potager quelque chose de plus noble, de plus seigneurial – une muraille de pierres des champs, par exemple, ou une haie vive d’aubépines. Mais pour l’instant, il faudra qu’il se contente de ce grillage de poulailler. La dernière fois que Miguel est allé le voir – à la mi-juin, peu après le départ d’Adrienne –, il l’a trouvé à la petite table de cuisine de sa roulotte, en train de percer des cloques à l’aide d’une aiguille et d’une bouteille de teinture d’iode. À la vue de cette peau abîmée, Miguel a fait la grimace. (Ses mains à lui, il en entretient jalousement la douceur, à l’aide de gants, d’onctions et de crème.) Mais il s’est bien gardé de lui faire des reproches. De part et d’autre, ils en ont trop sur le cœur, ce père et ce fils. Des aigreurs, des regrets, des rancunes. Et chaque fois qu’ils se voient, tout affleure à la surface, comme les immondices dans un égout. Et en nommer une, une seule, évoque toutes les autres. C’est que, voyez-vous, le père ne pardonnera jamais à son fils de l’avoir si amèrement déçu, et le fils, quant à lui, en a soupé du mépris profond, constant et irrévocable de son père. Yvan le trouve médiocre, Miguel, insignifiant, lui, sa job, sa femme, ses bagnoles, sa vie. Impossible, vraiment, qu’ils soient du même sang. Qu’ils aient le même teint brun, la même carrure, les mêmes yeux pers. Car, à tout autre égard, ils sont, ce père et ce fils, diamétralement opposés. Attends donc que je meure avant de vouloir sauver le monde. Sa mère lui sourit gravement en portant à ses lèvres sa tasse de thé. Derrière elle, au-delà des grandes 18 Vent prodigue - Final.indd 18 2013-01-25 11:08:55 fenêtres de la baie vitrée, les arbres séculaires de son parterre trônent immenses et silencieux. Il a beaucoup plu ces derniers jours, des pluies torrentielles, des orages de mousson, et l’écorce de ces vieux érables est couverte d’un lichen vert, comme les arbres sempervirens, se dit Yvan, de la forêt tropicale. Le vent, aussi, a été rageur. La pelouse est jonchée de branches que le vieux jardinier s’occupe lentement à ramasser. Quand je serai morte, tu pourras t’occuper de la Terre tout à loisir. Moi, mon compte est bon, je n’en ai encore que pour quelques années. Maintenant, fiston, pendant qu’il est encore temps, c’est de ta mère qu’il faut que tu t’occupes. Le discours n’est pas nouveau. Yvan écoute d’une oreille distraite, se plaît plutôt à observer. Ils sont installés dans le solarium de l’ancienne maison, la pièce qu’il préfère entre toutes. À cette heure de la matinée, elle regorge d’une clarté glauque, versée du haut du ciel et passée au crible des grands feuillus. La lumière tombe en plaques verdoyantes sur la mousseline blanche des coussins, sur le vieux sèvres du service à thé, sur les arabesques délavées du tapis turc. Même l’hiver, même quand les bancs de neige s’empilent en vagues autour des troncs des arbres, dans cette pièce, c’est toujours l’été. Enfant, Yvan s’y installait avec ses bandes dessinées et son jeu de Meccano et la lumière tamisée qui pénétrait jusqu’à lui l’entourait comme une eau. Ses souvenirs d’enfance les plus tenaces baignent tous dans cette chaleur, cette moiteur, cette couleur d’aquarium. Sur la pelouse, le vieux Gonzague, penché comme un glaneur, ramasse toujours les branches tombées. Encore tout humectée de pluie, l’herbe se froisse sous ses bottes comme une soie lumineuse. Yvan plisse des yeux et imagine l’étendue de gazon devant lui découpée en multiples lopins de terre labourée, les 19 Vent prodigue - Final.indd 19 2013-01-25 11:08:55 quadrilatères de jardins maraîchers. Des épinards ! se dit Yvan, de l’endive et de l’escarole ! plutôt que cette maudite herbe urbaine gavée de phosphates et d’herbicide. Mais madame Coulonges (née Tillinac) ne voudrait jamais renoncer au prestige que lui confère cette immense pelouse mignotée. C’est un gaspillage extravagant, l’apanage par excellence de l’élite nantie. Et, d’ailleurs, à son avis, le potager familial fait pauvre. Il évoque genoux couronnés et ongles en deuil, courbatures et peau gercée. La boue, aussi, celle qui adhère aux carottes et aux poireaux, celle qui strie de longues traînées noires la porcelaine blanche de l’évier de cuisine. Un jour, quand Yvan était petit, Gonzague a fait cadeau à la famille d’un sac de betteraves qu’il avait lui-même récoltées du jardin qu’il entretenait, chez lui, dans le vague lointain d’un quartier inconnu. À la porte de service, madame Coulonges les a acceptées avec des exclamations de plaisir, lui a promis de les préparer, le jour même, pour le souper familial. Quand, plus tard dans l’après-midi, Yvan est allé fouiner du côté de la cuisine, il a trouvé sa mère occupée à peler et couper en dés les betteraves de Gonzague. Pour ne pas se salir les mains, elle avait enfilé des gants de coton blanc. L’enfant a gardé longtemps en mémoire l’image troublante de ces mains blanches tachées de sang. Il va sans dire qu’elle préfère de loin se procurer au Safeway du coin des tomates rangées en carton, des choux-fleurs enveloppés de cellophane, des feuilles de basilic en sachets plastifiés. Déposés à l’étalage du supermarché, se dit Yvan en faisant la grimace, au bout d’un parcours de quelques milliers de kilomètres, au coût faramineux et immoral du carburant nécessaire à la préservation de leur fraîcheur et de leur transport. 20 Vent prodigue - Final.indd 20 2013-01-25 11:08:55