Accompagner une personne financièrement fragile

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Accompagner une personne financièrement fragile
Jean Beaujouan
T : 01 42 23 18 58
[email protected]
Accompagner une personne financièrement fragile
Pédagogie de l’argent, gestion du budget familial
Juillet 2006
Résumé
Le fait de bénéficier d’une écoute bienveillante, d’un diagnostic financier, de conseils,
d’orientation, de médiation ou encore d’un micro crédit social peut aider certaines personnes
en situation financièrement précaire à traverser sans dommage un passage difficile.
Ces aides ponctuelles ne trouvent une efficacité durable que si la personne en difficulté
accepte de se faire accompagner durant quelques mois ou quelques années par une personne
« référente » à la fois motivée et compétente. Ce type d’accompagnement répond à un besoin
croissant et produit souvent des effets positifs pour les personnes ou les familles
économiquement fragiles, en situation de surendettement ou ayant un compte bancaire
chroniquement débiteur, et en danger d’exclusion bancaire et sociale. Il permet en particulier
à la personne accompagnée d’acquérir une éducation financière de base essentielle à une
bonne gestion pérenne de son budget et de son patrimoine.
Le texte qui suit présente le profil et la problématique des personnes susceptibles de
bénéficier d’un accompagnement, le cadre général de l’accompagnement « financier », les
motivations et les compétences des accompagnants, les enjeux et les grandes étapes d’un
accompagnement. Il analyse le processus d’accompagnement, ses difficultés et les modalités
pratiques de sa conduite. Il prend en compte le contenu de la Charte de l’accompagnement
élaborée par le Fonds de Cohésion Sociale pour l’attribution des micro crédits sociaux
auxquels celui-ci apporte sa garantie. Le texte joint en annexe expose quelques notions
relatives aux relations souvent complexes que les individus entretiennent avec l’argent.
1
Sommaire
Page
1. Présentation, définition, cadrage
3
2. Un exemple d’accompagnement
4
3. Qui sont les personnes en besoin d’accompagnement ?
6
4. Qu’est-ce que accompagner ?
7
5. Les enjeux de l’accompagnement
9
6. Les accompagnants
9
6.1. Qui peut accompagner ?
6.2. Quelles sont les motivations des accompagnants ?
6.3. Quelles compétences sont requises pour accompagner ?
6.4. Recrutement, formation et animation des équipes d’accompagnants.
7. Les difficultés rencontrées dans un travail d’accompagnement
11
8. Que faire et comment faire ?
11
8.1. Orientation générale
8.2. Mettre en place un accompagnement
8.3. Accompagner une personne dans la durée
8.4. Mettre fin à un accompagnement
9. Conclusion
18
Bibliographie sommaire
19
Annexe 1 : La relation des individus avec l’argent : quelques éclairages
20
1. Présentation, définition, cadrage
L’accompagnement d’une personne financièrement fragile peut être indispensable dans les
cas suivants :
• elle a bénéficié d’un micro crédit social garanti par le Fonds de Cohésion Sociale
• elle a bénéficié d’un micro crédit ou d’un crédit solidaire attribué dans un autre cadre1
• le chargé de clientèle de l’agence bancaire qui tient son compte a détecté un
dysfonctionnement2 préoccupant dans la gestion de ce compte et n’a pu trouver avec
1
Exemple : micro crédit professionnel de type ADIE accordé à un chômeur ou un RMiste en vue de créer une
micro entreprise ; prêt solidaire de consolidation ou plutôt de « resolvabilisation » pour un client en situation de
surendettement ou plutôt de « malendettement », cf. Beaujouan J. Le crédit solidaire au Crédit Agricole de
Nord-Est, article publié dans le Rapport Moral sur l’Argent dans le Monde 2006 édité par l’Association
d’Economie Financière sous l’égide de la Caisse des Dépôts et Consignations, p. 391-404
2
Ce dysfonctionnement se manifeste en général par le fait que le compte est régulièrement en position débitrice,
et que le client semble incapable de le ramener en position durablement créditrice. Ses causes peuvent être 1/ un
accident de la vie du type chômage, divorce ou séparation du couple, maladie, accident etc. 2/ une insuffisance
permanente de revenus 3/ une incapacité plus ou moins grave à gérer un budget familial, elle-même liée à 4/ un
manque d’éducation (et parfois une contre éducation !) familiale dans la gestion de l’argent 5/ des carences
intellectuelles de la personne : incapacité plus ou moins grande à se représenter l’argent, les chiffres, à compter,
à classer, à vérifier… 6/ des problèmes psychiques : pour certaines personnes, l’argent est fortement associé à
des images négatives (de danger, d’angoisse, de mort, de saleté, d’injustice, d’interdit, de culpabilité, d’esclavage
etc.), ce qui les pousse à le mettre à distance, et à ne pas gérer leur budget « les yeux ouverts » 7/ le caractère de
plus en plus abstrait et virtuel de l’argent (en particulier l’argent électronique) 8/ la négligence, l’irresponsabilité,
l’inconséquence : certaines personnes n’investissent pas l’argent comme objet d’obligation et de contrat.
2
elle une solution satisfaisante : il lui propose de faire un travail personnalisé avec un
accompagnant, dans le cadre d’un programme de médiation bancaire et/ou d’éducation à
la gestion du budget familial3
• une structure accueillant des personnes en difficulté (association ou service public
d’action sociale, organisation caritative etc.) constate que la personne rencontre dans la
gestion de son budget de réelles difficultés principalement liées à un défaut de savoir
faire dans le maniement de l’argent.
Dans chacun de ces cas, la personne a donné son accord pour être accompagnée par une
personne référente.
Le but du présent texte est multiple :
• clarifier ce que signifie accompagner une personne fragile ou en difficulté
• définir le cadre général de ce type d’accompagnement
• en analyser les principales difficultés
• proposer aux accompagnants quelques recommandations concrètes pour leur permettre
de conduire au mieux un processus d’accompagnement.
Par son étymologie (du latin cum panem qui a donné en vieux français compain, puis copain
et compagnon), le mot « accompagner » une personne évoque le fait de partager le pain avec
elle. Il signifie dans un premier temps « prendre pour compagnon », puis « se joindre à
(quelqu’un) », notamment pour faire un déplacement en commun.
L’accompagnement est un contrat librement conclu entre des personnes en vue d’atteindre un
objectif. Sa durée est en principe limitée dans le temps.
L’accompagnement d’un client bancaire fragile mobilise quatre personnes ou institutions, et
quelquefois cinq :
• la personne en situation de difficulté, qui cherche à trouver une issue à ses problèmes,
qui concernent souvent également sa famille. Par convention, nous l’appellerons le
client, terme qui désignait primitivement une personne en situation de fragilité qui se
plaçait sous la protection d’une autre personne riche et puissante4
• la personne qui accompagne le client en difficulté. Par convention, nous l’appellerons
l’accompagnant5
• l’association ou l’institution au nom de laquelle celui-ci intervient
• la banque gestionnaire du compte du client, représentée par le directeur d’agence ou par
le chargé de clientèle
3
Beaujouan J., Un dispositif de médiation solidaire dans la banque : Passerelle, article publié dans le Rapport
Moral sur l’Argent dans le Monde 2005.
4
« Client » (1437), est emprunté au latin cliens, terme politique qui, à Rome, désignait le plébéien (généralement
pauvre) se plaçant sous la protection d’un patricien (fortuné) appelé patronus (cf. patron). Le mot désigne
d’abord la personne qui confie ses intérêts à un homme de loi puis, par extension, à un patricien (1845). Le
16ème s. a réintroduit par emprunt le sens politique de « personne se mettant sous la protection d’un grand,
moyennant son aide »(1538). (Robert, Dictionnaire historique de la langue française)
5
« Accompagnant » ne figure pas au dictionnaire. Nous l’avons pourtant préféré au mot « accompagnateur », qui
évoque trop, à notre goût, la fonction d’encadrant de voyages organisés… !
3
• éventuellement l’institution qui attribue le micro crédit, dans le cas où elle est distincte
de la banque gestionnaire du compte.
2. Un exemple d’accompagnement
M. et Mme B., 46 et 43 ans, habitent une petite ville du Sud-Ouest de la France. Ils ont quatre
enfants dont un seul reste à leur charge. M. B. a un emploi stable comme jardinier chez un
paysagiste. Ils remboursent depuis près de 10 ans un prêt immobilier pour l’achat de leur
maison. Pour aider un de leurs fils qui connaît des difficultés financières graves, ils ont eu
récemment recours à des crédits revolving sans avertir leur banque.
Découvrant rapidement qu’ils sont dans l’incapacité de rembourser, ils commencent à vendre
des meubles, puis décident de mettre leur maison en vente pour solder tous leurs crédits. Dans
l’urgence de se reloger, ils s’adressent à un agent immobilier qui trouve un acquéreur pour
leur maison, et leur propose d’en acheter une autre plus petite. M. B., psychiquement fragile,
entre dans un processus de dépression.
Le remboursement des crédits personnels contractés en dehors de la banque ayant connu
également de sérieux retards, les époux B. sont maintenant fichés au FICP6 et peuvent
difficilement bénéficier de nouveaux prêts dans un cadre classique.
La banque découvre leur situation difficile au moment où ils viennent lui présenter leur projet
de rembourser le solde du crédit immobilier en cours et demander un crédit pour l’achat de la
nouvelle maison : jusqu’à ce moment, ils n’avaient pas informé leur chargé de clientèle, et
celui-ci ne s’était pas inquiété du retard de remboursement des dernières mensualités du prêt.
Les époux B., qui avaient jusqu’alors fait preuve de sérieux et de bon sens, reconnaissent
leurs erreurs, qui leur ont d’ailleurs déjà coûté cher (quasi disparition de leur patrimoine,
sentiments d’angoisse et de culpabilité, dépression de M. B. etc.). Avec l’aide du service de la
banque spécialisé dans l’accueil et le conseil aux personnes en difficulté, une solution est
trouvée, qui prévoit :
•
l’apurement de toutes les créances en cours grâce au produit de la vente de la maison
•
la mise en place d’un crédit « solidaire » exceptionnel pour financer l’acquisition de
la nouvelle maison
•
l’engagement de leur part de ne plus avoir recours au crédit consommation sans
l’accord préalable de leur conseiller bancaire
•
la définition d’un « budget de croisière » assez serré leur permettant de rembourser le
nouveau crédit et de ne pas manquer de l’essentiel
•
le retrait de la plupart des moyens de paiement à l’exception d’une carte de débit à
autorisation préalable
•
enfin leur accompagnement financier et humain pendant plusieurs années par un
accompagnant désigné par la banque.
Les époux B. acceptent volontiers.
L’accompagnant, bénévole, est un jeune retraité expérimenté, ayant été chargé de clientèle au
sein de la banque. Il cherche dans un premier temps à gagner la confiance des époux B., et
singulièrement de Mme, qui gère les affaires d’argent. L’affaire est difficile, car celle-ci se
sent coupable et honteuse de ce qu’elle a fait. L’accompagnant rencontre chaque mois les
époux B. à leur domicile, fait le point sur ce qui s’est passé durant le mois écoulé, vérifie avec
diplomatie que le budget de référence est respecté, et cherche à établir avec eux une relation
6
Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers, géré par la Banque de France.
4
amicale et durable. Dès le premier jour, il leur donne son numéro de téléphone portable afin
qu’ils puissent l’appeler en cas de besoin.
Au bout de quelques rencontres, il cherche à les convaincre d’épargner, même des sommes
modestes, afin de pouvoir faire face à une dépense imprévue. Les échanges se faisant
progressivement plus confiants, il découvre que Mme B. aide son père âgé en payant pour lui
une femme de ménage (25 €/mois). Il découvre également que le véhicule automobile des
époux B., assez délabré, est encore officiellement au nom de l’ancien propriétaire qui le leur
avait vendu, et qu’il est de surcroît mal assuré. Les régularisations sont faites assez
rapidement.
Mme B. gère plutôt bien son budget : l’accompagnant se contente progressivement d’une
supervision financière et d’un accompagnement humain, mais n’a pas de rôle pédagogique
majeur. Un jour, il déconseille pourtant à Mme B. l’acquisition d’un appareil électroménager
qui n’est pas indispensable. Il a le sentiment que la partie est en voie d’être gagnée le jour où
Mme B. lui affirme que plus jamais elle n’aura recours à « ces crédits » et qu’elle maudit cette
période de sa vie durant laquelle « elle ne vivait plus »7.
La situation se rétablit assez vite, car Mme B., qui veut être financièrement plus à l’aise,
trouve un travail à temps partiel. Le couple peut acheter un véhicule d’occasion pour
remplacer sa vieille voiture, et permettre à M. B. de se rendre à son travail.
Quelques mois plus tard, la maladie de M. B. connaît de nouvelles complications. Reconnu
inapte au travail, M. B. bénéficie d’une invalidité. Pour compenser la diminution de revenu
qui en découle, Mme B. augmente ses propres horaires de travail.
Trois ans plus tard, le plan financier est toujours bien respecté. Tout en restant vigilant,
l’accompagnant espace ses visites, mais garde un lien régulier avec les époux B., notamment
par téléphone.
Commentaires : il s’agit d’un accompagnement relativement facile, mais qui illustre quelques
éléments fréquemment présents dans un processus d’accompagnement financier :
•
des personnes « sérieuses » ont fait « des bêtises » en matière d’argent
•
les dépenses initiales qui causent la crise sont faites dans un but louable
•
l’enjeu est de concrétiser les bonnes résolutions dans la durée
•
la relation de confiance, clef de la réussite, ne se construit que progressivement
•
la confiance conduit la personne accompagnée à dévoiler certains éléments cachés de
la situation.
•
De nouvelles difficultés apparaissent au cours de la période d’accompagnement
3. Qui sont les personnes en besoin d’accompagnement ?
Celles-ci se caractérisent par leur grande diversité : leur statut social, leurs revenus, leur
patrimoine, leur personnalité, la nature et la gravité de leurs difficultés peuvent être très
différents d’une personne à l’autre.
La plupart d’entre elles ont néanmoins en commun plusieurs des caractéristiques suivantes :
• elles sont en situation de précarité dans le registre financier et social, et parfois dans le
registre familial et psychique
7
Ceci ne constitue pas une charge contre les crédits consommation, ou autres crédits revolving, qui peuvent être
d’une grande utilité lorsqu’ils sont utilisés de manière prudente et réaliste.
5
• elles ont subi un ou de plusieurs accidents de la vie (maladie, décès, chômage…) qui
déstabilisent gravement l’équilibre financier de leur budget familial8
• elles perçoivent des revenus irréguliers, en lien avec diverses formes d’invalidité ou
avec la précarité croissante du travail
• elles ont des moyens limités pour résister aux sollicitations multiples de la société de
consommation (publicité, vente par téléphone ou à domicile, abonnements et
prélèvements automatiques multiples)
• elles sont entrées dans le processus d’exclusion bancaire9
• elles sont parfois ignorantes de leurs droits les plus élémentaires
• elles sont honnêtes et de bonne foi
• elles désirent réellement se sortir d’affaire, et sont prêtes à faire les efforts nécessaires
dans ce but.
Ces personnes en besoin d’accompagnement méritent donc d’être considérées avec
bienveillance.
Ce qui n’exclut pas le réalisme et la prudence. Il serait en effet inapproprié de les idéaliser et
de leur faire confiance de manière aveugle : certaines d’entre elles peuvent également être :
• confrontées à des difficulté financières sérieuses voire graves, telles que le
surendettement, dont elles n’ont parfois pas mesuré l’ampleur ni informé leur
conjoint…
• porteuses d’une histoire de vie compliquée et douloureuse, voire dramatique,
notamment en ce qui concerne leur relation avec l’argent et avec les affaires d’argent
(cf. annexe 1)
• psychiquement fragiles : un certain nombre d’entre elles, notamment, sont dépressives
• peu évoluées culturellement, et dans certains cas illettrées des chiffres et de l’argent
(comme d’autres le sont de la lecture et de l’écriture des mots), du fait d’une éducation
parfois gravement carencée
• incompétentes ou négligentes pour tout ce qui concerne la gestion de leurs problèmes
administratifs
• peu orientées vers la recherche d’économies : leur budget téléphone, abonnements
télévision, alcool, tabac, jeu d’argent etc. est parfois excessif
• victimes de leur propre imprudence par surconsommation : c’est parfois le cas des
personnes surendettées10
8
La séparation ou le divorce en est un exemple éclairant : financièrement, cet événement est doublement
perturbant : une première fois parce qu’il entraîne des dépenses supplémentaires (du type payer un deuxième
loyer, acheter une voiture pour rester mobile), une seconde fois parce que la perturbation psychique liée au
conflit de séparation amène souvent ceux qui se séparent à « laisser filer » les déficits financiers, oubliés dans la
bataille ou considérés comme secondaires au regard des aspects émotionnels et conflictuels de la crise.
9
En France, l’exclusion bancaire concerne, selon les définitions, entre 2 et 6 millions de personnes. C’est le
processus par lequel une personne a des difficultés d’accès ou d’usage concernant les services bancaires, en
particulier d’accès au crédit. L’exclusion bancaire n’est pas un état, mais un processus. Celui-ci est complexe, et
différent selon les individus. Il comporte des niveaux et des formes variables, selon que le banquier retire à son
client une partie ou la totalité des moyens de paiement, selon qu’il le fait de manière progressive ou immédiate,
pédagogique ou brutale. Dans certains cas, l’exclusion est réversible. Sur l’exclusion bancaire, on pourra
utilement se référer à Gloukoviezoff G., Peut-on chiffrer l’exclusion bancaire ?, article paru dans le Rapport
Moral sur l’Argent dans le Monde 2005, Paris, op.cit., p. 389 à 406, ainsi qu’à l’ouvrage qu’il a dirigé et qui fait
autorité. : Exclusion et liens financiers, L’exclusion bancaire des particuliers, Centre du rapport Walras 2004,
Economica, Paris 2005
6
• incapables, du moins dans un premier temps, de jouer la transparence à propos de leur
situation11
•
etc.
Il ne s’agit pas de porter des jugements moraux sur les personnes en difficulté, mais d’être
vigilant et réaliste par rapport à des situations souvent complexes, qui n’apparaissent dans leur
réalité profonde que dans la durée. Si ces personnes étaient financièrement à l’aise, bien
insérées socialement et notamment professionnellement, psychiquement équilibrées,
conscientes et avisées dans la gestion de leur budget familial, elles n’auraient probablement
pas besoin d’accompagnement…!
4. Qu’est-ce que accompagner ?
L’accompagnant exerce auprès de son « client » une quadruple fonction :
• l’aider (par une écoute bienveillante, un soutien moral, des avis) à analyser les
difficultés (professionnelles, familiales, sociales, financières) qu’il peut éventuellement
rencontrer, et à y faire faire face
• l’inciter à gérer rigoureusement son budget et, si le client est emprunteur, à rembourser
les mensualités régulièrement
• l’aider à développer son autonomie dans la conduite de sa vie, en acquérant des
capacités pérennes à bien gérer son argent et à affronter les vicissitudes de la vie
• l’aider à renouer avec sa banque une relation normale de client à fournisseur, fondée sur
la lucidité et la prudence.
Concrètement, accompagner une personne consiste à :
• être à ses côtés, ni vraiment devant, ni derrière
• l’écouter de manière bienveillante et confiante, sans a priori ni jugement moralisateur 12
• l’aider à exprimer son vécu, ses émotions, ses angoisses, ses interrogations, ses
croyances, ses valeurs
• stimuler son questionnement, et l’aider à mieux comprendre sa situation, à regarder la
réalité en face, à identifier et analyser les problèmes
• explorer avec elle diverses solutions acceptables, les enjeux et les résultats probables de
chacune de ces solutions
• susciter en elle la volonté de trouver le chemin qui lui convient le mieux
10
Si l’on définit la pauvreté comme un accès limité aux moyens de paiement qui permettent d’acheter des biens
et des services, et si l’on considère que l’acte d’achat et de consommation procure à son auteur un sentiment
euphorique d’exister et d’avoir de la valeur aux yeux de la société, on comprend – sans l’excuser ni a fortiori le
justifier – que certaines personnes, peu éduquées à la rigueur budgétaire, se laissent aller à des dépassements de
budgets. Elles sont en effet sollicitées par une société publicitaire qui leur dit bruyamment : « Achetez, nous
vous prêtons… », et ne leur fait entendre qu’à voix basse le message complémentaire « …à condition que vous
ayez les moyens de rembourser »
11
Parce qu’elles ont dans un premier temps une image très négative de la banque, ou qu’elles sont habitées par
des sentiments intenses de honte, qui peuvent s’accompagner de la peur d’être rejetées.
12
Cette écoute patiente et bienveillante de l’accompagnant est la clé d’un accompagnement réussi : c’est elle qui
crée un espace de confiance et de partenariat avec le client, et qui va permettre à ce dernier de dire des choses
qu’il n’a peut-être jamais dites, pas même à lui-même, et, à travers cela, comprendre, apprendre et commencer à
transformer son comportement…
7
• l’encourager dans les démarches à faire, les décisions à prendre
• ne pas décider ni faire à sa place
• lui signaler le cas échéant tel ou tel danger
• lui rappeler, si elle semble les avoir oubliées, les diverses composantes de la convention
d’accompagnement, et en particulier le but principal à atteindre
• être dans une attitude pédagogique, l’aider à apprendre
• lui donner confiance, la rassurer
• pouvoir changer de registre si une urgence apparaît (ex. : devenir ponctuellement plus
directif pour éviter à la personne de faire un erreur qui lui serait très préjudiciable).
L’accompagnement est une relation complexe et mouvante, toujours à réinventer, entre un
accompagnant, censé équilibré et compétent, et un client, censé se « remettre en selle » après
un passage difficile voire dangereux pour lui. Cette relation se construit dans la durée, en
fonction de la personnalité et de la motivation des deux partenaires, en fonction des
évènements, des accidents, des réponses trouvées en commun etc.
Ces grandes étapes d’un accompagnement sont en général les suivantes :
• définir le cadre contractuel de l’accompagnement
• faire le diagnostic approfondi de la situation sociale et financière de la personne
financièrement fragile
• élaborer avec elle son projet : projet de vie s’il s’agit d’un micro crédit social, projet de
redressement s’il s’agit de mettre fin à une situation (notamment financière)
déséquilibrée
• prendre les dispositions nécessaires pour réaliser ce projet : attribution du prêt, ou
mesures de redressement, qui débordent souvent les seuls aspects financiers de la vie
• accompagner le client au long cours
• mettre fin à l’accompagnement
5. Les enjeux de l’accompagnement
Lorsqu’il entre dans le processus d’accompagnement au long cours, le client accompagné a
déjà fait un chemin important : il a pris conscience de ses difficultés, fait une démarche pour
demander de l’aide, fait un diagnostic plus ou moins complet de ses difficultés et de sa
situation financière, pris certaines dispositions concrètes pour redresser la barre,
éventuellement sollicité et obtenu un crédit personnel etc. Après avoir avancé dans le cadre
d’une thérapeutique plus ou moins vigoureuse, il entre dans une phase de « convalescence ».
Celle-ci va lui permettre de
•
consolider sa situation personnelle, familiale, sociale et financière
•
acquérir ou consolider les apprentissages lui permettant de sortir durablement de sa
fragilité, et de développer son autonomie
Pour la personne accompagnée, les enjeux sont donc vitaux. Si la consolidation réussit, elle
est en principe remise en selle durablement. Dans le cas contraire, elle connaîtra à nouveau
les difficultés voire l’exclusion.
8
Au-delà de son but immédiat, l’accompagnement a donc pour finalité d’aider le bénéficiaire à
construire une nouvelle dynamique de vie, en devenant capable de s’assumer financièrement
de manière autonome, y compris en cas de nouvelle difficulté.
A l’issue d’un accompagnement réussi, la personne accompagnée est devenue plus consciente
de sa problématique et éventuellement de sa propre responsabilité dans ses difficultés13, elle a
trouvé, au moins en partie, des solutions à ses difficultés, elle a acquis ou renforcé ses
compétences pour gérer ses affaires financières, elle sait demander de l’aide si elle en a
besoin, elle a acquis une plus grande autonomie dans la conduite de sa vie.
6. Les accompagnants
6.1. Qui peut accompagner ?
Selon la charte du Fonds de Cohésion Sociale, l’accompagnant peut être un travailleur social,
un salarié ou un bénévole d’une association familiale ou caritative, un ancien salarié de
banque retraité bénévole etc.
Pour assurer avec succès l’accompagnement d’une personne en difficulté, il n’est pas
nécessaire d’être un psychologue professionnel ni un coach certifié. Toute personne de bon
sens, normalement équilibrée, ayant la capacité de gérer convenablement son propre budget
familial et capable d’entretenir avec autrui des relations bienveillantes et fermes a le potentiel
requis pour assurer la fonction d’accompagnant.
Ces capacités sont en principe largement acquises chez
• les travailleurs sociaux et assimilés, notamment les professionnels et les bénévoles des
organisations investies dans l’action sociale
• les agents ou anciens agents bancaires en contact avec les clients, les administrateurs
élus des banques mutualistes
• toute personne ayant exercé des activités de gestion d’une affaire (commerçants,
artisans, professions libérales etc.)
• dans une mesure parfois moindre mais néanmoins suffisante, toute personne ayant géré
avec rigueur son propre budget familial.
On pourra ultérieurement inclure dans les accompagnants potentiels certaines personnes ayant
elles-mêmes bénéficié d’un accompagnement financier : quelques unes d’entre elles en ont le
potentiel, et l’expérience réussie de leur « apprentissage » de l’argent peut leur permettre de
devenir à leur tour accompagnant dans ce domaine. La possibilité leur serait ainsi donnée de
transmettre à un tiers ce qu’elles viennent d’apprendre, et de renforcer leur propre
apprentissage. Toute personne bénéficiaire d’une aide momentanée a en effet vocation à
entrer elle-même dans une démarche de solidarité active à la mesure de ses moyens : le don
appelle naturellement le contre don, ou le désir de rendre.
6.2. Quelles sont les motivations des accompagnants ?
Elles peuvent être multiples :
• le besoin d’être utile à des personnes en souffrance
• un désir d’engagement dans une action de solidarité active, pour « réparer » un tissu
social fragilisé ou endommagé
13
Responsabilité qui n’est évidemment pas unique
9
• le plaisir - il est réel - de voir quelqu’un se prendre en charge, se transformer,
apprendre, acquérir des réflexes sains, se sortir d’affaire, devenir autonome
• le besoin de s’occuper durant la retraite, et de donner un nouveau sens à sa vie14
• la réponse à la sollicitation d’un ami, d’un ancien collègue de travail ou d’une
association à vocation économique et/ou sociale, qui manifeste qu’il y a des besoins
importants dans ce domaine
• etc.
Toutes ces motivations sont bienvenues, à condition qu’elles engendrent chez l’accompagnant
une volonté durable de servir les intérêts de la personne accompagnée, et non les siennes
propres… !
6.3. Quelles compétences sont requises pour accompagner ?
Trois familles de conditions semblent nécessaires pour devenir accompagnant :
• une motivation sérieuse et forte, qui rend l’accompagnant capable de s’investir dans la
durée
• des capacités humaines d’écoute, de bienveillance, de bon sens, de prudence, de
pédagogie, de diplomatie, de rigueur et de courage. Mais aussi la capacité à côtoyer la
grande souffrance avec empathie et sans en être trop perturbé, en restant capable de
maintenir souplement le cap qui a été fixé d’un commun accord avec le client
accompagné
• des compétences techniques élémentaires concernant le maniement quotidien de
l’argent et la gestion planifiée d’un budget familial. Par exemple : connaître et analyser
les recettes et des dépenses d’un budget ; faire des prévisions sur les mois ou l’année à
venir ; différencier les dépenses courantes des investissements, les dépenses récurrentes
des dépenses exceptionnelles ; rapprocher le relevé de compte bancaire des documents
justificatifs des dépenses réalisées ; comparer les prévisions budgétaires et les
réalisations etc.
Pour la plupart des accompagnants, une formation au moins élémentaire à l’accompagnement
des personnes financièrement fragiles est indispensable. Le Fonds de cohésion sociale a
sélectionné plusieurs cabinets proposant des sessions spécifiques de formation des
accompagnants, centrés sur trois thèmes
•
Qu’est-ce que le micro crédit social ?
•
L’instruction des dossiers de prêt en liaison avec la banque et les bénéficiaires
•
Les relations avec les bénéficiaires (l’accompagnement).
6.4. Recrutement, formation et animation des équipes d’accompagnants.
Pour ne pas alourdir le présent texte, ces questions, de grande importance, font l’objet d’une
note spécifique15.
14
L’entrée dans la retraite s’accompagne souvent d’une « crise » liée à un remaniement identitaire. Le bonheur
d’être enfin libéré de toute obligation professionnelle s’accompagne en effet souvent de deux questions plus ou
moins angoissantes : « Que faire de tout ce temps libre ? » et « Comment donner du sens à ma nouvelle vie ? ».
Cf. sur ce sujet L’entrée dans la retraite : nouveau départ ou mort sociale ? Les enjeux individuels et collectifs,
de Dominique Thierry, Editions Liaisons Sociales, Paris, 2006.
15
Beaujouan J., Recruter, former et animer des équipes d’accompagnants, Mai 2006, 13 p. Disponible auprès
de l’auteur.
10
7. Les difficultés rencontrées dans un travail d’accompagnement
L’accompagnement d’une personne financièrement fragile est rarement simple. Une difficulté
financière est en effet souvent le reflet et la traduction d’une difficulté de la personne ellemême et/ou d’un dysfonctionnement de la société dans laquelle elle vit.
Cet accompagnement dure généralement une année ou plus, et des évènements inattendus
peuvent surgir à tout moment et créer des situations complexes ou des problèmes nouveaux.
Celles-ci peuvent tenir :
• soit à l’environnement, notamment à travers un nouvel accident de la vie qui remet en
cause le travail accompli
• Soit au client accompagné lui-même :
o il est en grande difficulté et n’arrive pas à trouver une solution
o il n’a accepté le principe d’un accompagnement que par l’effet d’une certaine
contrainte, et n’est pas très coopératif
o il n’accorde sa confiance qu’avec grande difficulté
o il n’accepte pas facilement de changer ses habitudes de vie et de gestion de budget
o il a pu jouer honnêtement le jeu d’un redressement financier pendant plusieurs
mois ou plusieurs années, et connaître subitement un passage à vide, une période
de découragement, et replonger dans des conduites contraires à ses engagements,
par exemple en contractant à nouveau et secrètement des crédits à la
consommation16.
8. Que faire et comment faire ?
8.1. Orientation générale
L’un des paradoxes de l’accompagnement est le suivant : l’accompagnant travaille avec des
personnes qui, au regard des pratiques de l’argent, ne sont pas dans « la norme » ; sa mission
est donc de les aider à y revenir ; mais il doit pour cela comprendre et accepter qu’elles n’y
reviennent pas tout de suite, ou pas complètement… !
Par ailleurs, le client accompagné est à la fois :
• une personne en situation financière difficile, en danger ou en situation d’exclusion, qui
a besoin d’appui et accepte de se faire aider
• un sujet responsable de sa vie et de ses décisions : il est le meilleur expert de ses
difficultés, lui seul peut leur apporter une solution durable, c’est donc à lui d’assumer
l’essentiel du travail à faire pour se « remettre en selle ».
Sur cette ligne de crête instable, l’accompagnant devra donc éviter deux postures également
peu adaptées :
• celle qui consisterait à le laisser se débrouiller seul dans des situations trop complexes
pour lui
• celle qui consisterait à prendre en charge le client accompagné, à faire à sa place, ou à
lui dire précisément ce qu’il devrait faire.
16
Ce phénomène n’est malheureusement pas rare. Ce type de reconstruction repose en effet parfois sur des
fondements fragiles : le client peut notamment endurer assez bien et pendant plusieurs années le carcan de son
redressement, et subitement le trouver insupportable et y faire une entorse inopinée, selon la logique redoutable
du fumeur ou de l’alcoolique qui a arrêté et qui, un jour, replonge dans son comportement d’addiction
11
L’accompagnement est avant tout un processus éducatif. Pour apprendre dans les meilleures
conditions, « l’apprenant », qu’il soit adulte, adolescent ou enfant, doit certes être entouré,
stimulé, accompagné, encadré, encouragé… Mais c’est lui qui apprend, selon son rythme,
avec des « trucs » qui lui appartiennent en propre, et qui ne marchent pas nécessairement pour
tel ou tel autre apprenant.
Chaque accompagnement est donc différent, parce que le client, sa vie et sa relation à l’argent
sont uniques, parce que l’accompagnant est lui aussi unique, et que chaque couple
client/accompagnant devra trouver sa propre voie, selon un rythme, une intensité et des
modalités de travail spécifiques.
8.2. Mettre en place un accompagnement
L’accompagnement d’une personne en situation sociale et financière fragile nécessite un
cadre et des règles qui en favorisent la sécurité et la réussite. Ceux-ci sont définis, et si
nécessaire négociés, dès le début du processus17, avec l’aide éventuelle du prescripteur de
l’accompagnement18.
8 .21. Clarifier les engagements des intervenants
Même si elles semblent aller de soi, certaines règles de travail méritent d’être formalisées.
Cela permet aux acteurs de clarifier leurs droits et obligations réciproques.
Volontariat et liberté d’implication
Le volontariat du client, et la motivation positive qui l’accompagne, sont une condition
essentielle de réussite de l’accompagnement.
Dans la réalité, la situation est parfois ambiguë. Dans certains cas (notamment dans
l’attribution d’un micro crédit garanti par le Fonds de cohésion sociale), l’accompagnement
est requis. L’accompagnant intervient alors comme le représentant de la société pour inciter
l’un de ses membres, perçu comme fragile ou prodigue, à entrer dans la normalité d’une
gestion équilibrée de son argent et, le cas échéant, à rembourser le crédit qu’il a obtenu.
Conscient de cet arrière plan, l’accompagnant aura donc intérêt à discuter avec la personne
accompagnée de son degré de volontariat. Si la motivation n’est pas suffisante,
l’accompagnement risque d’échouer.
En dernier ressort, l’accompagnement n’a de sens que s’il est fait prioritairement au bénéfice
de la personne accompagnée et si celle-ci reste libre de dimensionner son degré d’implication
dans l’accompagnement. Cela signifie en particulier que l’accompagnant s’interdira de faire
pression sur la personne accompagnée pour obtenir d’elle des informations qu’elle n’a pas
envie de communiquer, ou un comportement contraire à sa volonté.
Confidentialité
La confidentialité concerne les informations confiées par la personne accompagnée à son
accompagnant dans le cadre de leur travail commun, mais aussi les informations
communiquées à l’accompagnant par d’autres intervenants au contrat d’accompagnement,
voire extérieurs à ce dernier (banque, structure pour laquelle travaille l’accompagnant,
17
Si l’accompagnement se fait dans le cadre de l’attribution d’un crédit, les premiers entretiens entre
l’accompagnant et le client se déroulent aussi en amont que possible dans le processus de son instruction et de
son attribution. Si l’accompagnant n’est pas l’instructeur du prêt, il travaille avec lui et avec le client dans une
attitude d’écoute active. Il peut conduire par ailleurs des entretiens seul avec son client, si l’un ou l’autre en
ressent le besoin.
18
En général la banque ayant accordé le crédit solidaire ou la structure sociale qui a accueilli la personne en
difficulté, ou encore le chargé de clientèle de l’agence bancaire.
12
éventuellement autres travailleurs sociaux etc.). La personne accompagnée a des besoins
légitimes et des droits et notamment :
•
que ne soient pas communiquées à des personnes extérieures au contrat les informations
qu’elle dévoile sur sa vie à son accompagnant
•
qu’elle ait connaissance du type d’informations que son accompagnant et les autres
intervenants au contrat (banque, association ou employeur de l’accompagnant) sont
susceptibles d’échanger sur elle-même et sur sa situation financière, et qu’elle les
autorise.
Bienveillance
L’accompagnant doit avoir envers son client une attitude bienveillante et respectueuse,
débarrassée autant qu’il est possible de jugements moralisateurs.
Assiduité
Le rythme des rencontres étant fixé dans ses grandes lignes, chaque intervenant
(accompagnant et personne accompagnée) est tenu d’être disponible et assidu aux rencontres
de travail.
Supervision, médiation en cas de difficulté
Les échanges entre l’accompagnant et son client peuvent à certains moments donner lieu à des
situations dans lesquelles l’accompagnant se sent incertain de la conduite à tenir, ou même
face à une situation de danger pour lui-même ou pour son client. Il doit dans ce cas s’en ouvrir
à une personne extérieure expérimentée dans ce type d’accompagnement (superviseur), pour
analyser la situation avec elle et chercher une issue convenable.
Si la situation s’avère potentiellement conflictuelle, les deux intervenants doivent avoir
recours à une personne expérimentée (médiateur), qui les aidera à résoudre la difficulté.
8.22. Elaborer les autres points du contrat d’accompagnement
Concrètement, dans cette première phase, l’accompagnant veillera en particulier à :
• connaître l’histoire de son client à travers ce qu’en dit le prescripteur
l’accompagnement
de
• inviter son client à se présenter et à raconter lui-même les faits qui l’ont conduit à
accepter un accompagnement, la manière dont il a été accueilli et traité dans son agence
bancaire19, l’état d’esprit dans lequel il se trouve au moment de ce premier entretien
• faire un point approfondi sur sa situation financière : en quoi, pourquoi y a-t-il
dysfonctionnement ou besoin de crédit au regard de l’argent et du budget familial20 ?
• placer cette situation financière dans le cadre plus large de sa situation familiale,
professionnelle, sociale etc.21
• se présenter lui-même à son client, sans mystère inutile, mais sans excès de détails, car
l’accompagnant doit garder une distance suffisante à l’égard de son client
• lui dire dans quel esprit il envisage le travail d’accompagnement
19
Si les relations du client avec sa banque ont été conflictuelles, l’accompagnant a intérêt à ne pas prendre parti
pour l’un ou pour l’autre, mais à rester dans une attitude de neutralité et de recherche d’informations objectives :
que s’est-il réellement passé ? pourquoi ? comment cela a-t-il été vécu ? etc.
20
C’est cette situation financière et son évolution qui resteront , tout au long de l’accompagnement, l’objet
central du travail d’accompagnement
21
L’enjeu est de donner au client l’opportunité d’explorer devant une oreille neutre les interférences complexes
entre les évènements de sa vie, sa situation financière et sa relation à l’argent.
13
• permettre à son client, à ce moment-là ou ultérieurement, de raconter sa vie de manière
plus complète, en rappelant qu’il n’y a aucune obligation à le faire, et que le client et
l’accompagnant peuvent à tout moment fixer la limite de ce qui peut être dit et
entendu22
• amener son client à clarifier ses attentes, à identifier les buts à atteindre, et à indiquer les
contributions qu’il est prêt à faire pour cela
• clarifier ses propres attentes d’accompagnant, ses contributions possibles
• formaliser les buts prioritaires à atteindre, et si possible les critères qui permettront de
vérifier qu’ils sont atteints
• convenir du fonctionnement du couple accompagnant/client : mode, lieu et périodicité
des rencontres, type de travail qui sera fait en commun, règles spécifiques à respecter
etc.
o le lieu pourra être le domicile du client, les locaux de l’association de rattachement
de l’accompagnant s’ils existent et sont disponibles, une annexe de l’agence
bancaire qui a accordé le crédit, ou encore tout lieu neutre dans lequel le client
comme l’accompagnant se sentent à l’aise
o une périodicité mensuelle semble minimale, au moins dans un premier temps, et
pourra éventuellement varier ultérieurement en fonction des besoins du client
o au-delà des rencontres en face à face, un contact téléphonique peut utilement être
proposé au client au cas où il en ressentirait le besoin entre deux rendez-vous
programmés (procédure à cadrer pour éviter les débordements, à « consommer avec
modération » !)
Au cours de ce ou ces premiers entretiens, l’accompagnant veillera particulièrement à :
•
mettre le client en confiance, et à gagner sa confiance : le vrai travail
d’accompagnement commence en effet le jour où la confiance est établie. Dans cet
esprit, l’accompagnant rappellera que ces échanges sont garantis par le secret
professionnel, et il évitera de pousser son client à la confidence si celui-ci, dans un
premier temps, manifeste une certaine réticence à se confier
•
l’écouter, observer son comportement, chercher à comprendre ses valeurs et ses
logiques d’action, évaluer le degré de confiance qu’il peut lui faire
•
le convaincre que, s’il y apporte une contribution active, l’accompagnement représente
pour lui une opportunité réelle de mieux vivre et de simplifier sa relation à l’argent.
8.23. Formaliser et signer le contrat
A l’issue de ce ou ces premiers entretiens, un contrat est conclu entre la personne
accompagnée et son accompagnant, qui constituera le cadre de la collaboration entre les deux
contractants. Ce contrat énonce
22
Certains clients ont naturellement besoin de raconter leur histoire, et ce récit peut avoir un effet très positif : il
donne au narrateur l’occasion, parfois pour la première fois de sa vie, de comprendre autrement ce qui lui arrive,
avec un regard à la fois plus lucide et plus distancié, et de découvrir un sens nouveau à sa propre vie. Ce recul
peut entraîner chez lui un changement de comportement, en particulier par rapport à la manière de gagner et de
dépenser son argent. L’approche des récits de vie se développe depuis quelques décennies dans les sciences
humaines et en particulier dans la formation. Pratiquée dans un contexte d’écoute intelligente et bienveillante,
elle produit des effets remarquables dans la réduction de certaines addictions telles que le tabagisme et
l’alcoolisme. Sur les histoires de vie, on pourra consulter : Lainé A., Faire de sa vie une histoire. Théories et
pratiques de l’histoire de vie en formation, Paris, 1998, Desclée de Brouwer, et Niewiadomski C., Histoires de
vie et alcoolisme. A la recherche d’un espace de construction de sens avec les personnes alcooliques, Seli
Arslan, 2000.
14
•
les raisons de l’accompagnement23
•
les buts poursuivis
•
les droits et engagements de chacune des parties
•
les principales règles de fonctionnement.
Le contrat est en principe signé par l’accompagnant, par la personne accompagnée, et par les
autres parties ou leurs représentants. Il peut également rester verbal, mais il est bon qu’il soit
explicite : si, dans le cours de l’accompagnement, des difficultés nouvelles ou une crise
apparaissent, l’accompagnant et son « client » peuvent en effet utilement s’y reporter.
8.3. Accompagner une personne dans la durée
8.31. Les pratiques recommandées
En allure de croisière, l’accompagnant pourra conduire chaque rencontre en veillant à :
• commencer la séance en invitant son client à faire un tour d’horizon sur ce qui s’est
passé d’important dans sa vie depuis la dernière rencontre
• l’inviter en particulier à faire le point sur le travail spécifique qu’il était censé faire
depuis la dernière rencontre (cf. infra)
• se centrer plus particulièrement sur le budget :
o faire le point avec son client sur ce qui s’est passé depuis la dernière rencontre :
quels engagements avait-il pris ? Qu’a-t-il fait dans ce domaine ? Quels résultats
concrets ont été obtenus ? Quels évènements inattendus se sont éventuellement
produits ? Quels commentaires peut-on faire sur ces points au regard des objectifs
fixés et des résultats obtenus ? Y a-t-il des mesures à prendre ?
o vérifier avec le client que le travail de fond a bien été fait : par exemple le pointage
du relevé de compte bancaire, les prévisions de rentrées et de dépenses pour les
trois mois à venir, le contrôle a posteriori des recettes et des dépenses qui avaient
été prévues, ou encore telle ou telle démarche qui devait être faite en vue de mieux
maîtriser le budget etc. Si ce travail n’a pas été fait, ou pas assez précisément, ne
pas hésiter à le faire avec le client, tout en veillant à ce que ce soit bien lui qui le
fasse
o explorer avec lui, si nécessaire de manière détaillée, les différentes actions
envisageables pour accroître ses ressources et/ou pour diminuer ses dépenses24
o lui suggérer, s’il ne le fait pas par lui-même, de constituer une épargne de
précaution25.
23
En des termes suffisamment généraux pour ne pas stigmatiser le client
Cette approche est simple et de bon sens dans son principe, et peut se révéler très efficace, car certaines
structures de budget familial ou individuel sont visiblement déséquilibrées et peuvent être assez facilement
réaménagées dans la bonne direction. Mais elle doit être conduite avec diplomatie : le contenu d’un budget est
souvent la résultante et la représentation de réalités stables et « dures » de la vie d’une personne : ex : son
environnement économique, familial, mais aussi ses goûts et plaisirs pas toujours « négociables », son talent
personnel pour gagner de l’argent, ses choix de vie etc.), réalités qui parfois s’imposent à cette personne, ou
qu’elle est réticente à faire évoluer.
25
Même si elle porte sur des sommes modestes (de l’ordre de quelques dizaines d’euros par mois), celle-ci a une
portée symbolique et éducative importante : en allure de croisière, l’emprunteur n’est plus un individu qui
dépense toutes ses ressources au mois le mois, en perpétuelle difficulté à « joindre les deux bouts », mais une
personne responsable qui épargne en vue de faire face par elle-même, si nécessaire, à un besoin imprévu ou à
une difficulté passagère pas trop grave. Cet acte d’épargner contribue à donner à l’emprunteur une meilleure
image de lui-même et renforce sa confiance en lui.
24
15
•
resituer la question du budget et de l’argent dans le cadre plus vaste de la vie
(familiale, professionnelle, sociale, les questions de santé etc.)
•
échanger avec le client, s’il y est ouvert, sur les causes et sur le sens de ses réussites et
de ses éventuels échecs depuis la dernière rencontre
•
si le client semble souhaiter des échanges plus approfondis sur sa relation avec
l’argent : l’accompagner dans cette réflexion par une écoute attentive et active, et si
nécessaire chercher à le « réconcilier » avec l’argent
•
lui donner des informations sur les dispositifs d’aide sociale et sur les « bonnes
pratiques » concernant les relations avec la banque
•
lui suggérer, à la fin de la rencontre, de définir lui-même une initiative concrète à
prendre d’ici le prochain rendez-vous (un contact à prendre, un travail à faire, un
objectif à atteindre, une réflexion à conduire, un point de comportement ou un
sentiment à observer), de nature à le faire progresser vers l’atteinte des objectifs
définis en commun
•
chercher à obtenir son engagement formel sur ce travail
•
l’inviter à faire le bilan de la rencontre (comment il l’a vécue, ce qu’il a découvert, ce
qu’il en retient…)
•
lui donner votre propre sentiment sur cette séance de travail
•
terminer sur une note positive.
Dans ce travail, l’accompagnant a intérêt à
• rester attentif à la qualité de la relation avec le client : être humain, chaleureux et positif
avec lui, l’encourager et le féliciter lorsque cela est justifié (car il peut se percevoir
comme une personne en échec et avoir besoin de retrouver une image positive de luimême).
• rester vigilant et rigoureux, garder une distance suffisante même si tout semble bien
aller, pour pouvoir dire si nécessaire : « Sur ce point précis, je ne suis pas d’accord avec
vous »
• conforter la motivation du client, notamment en lui rappelant les avantages qu’il peut
retirer de la réussite de ses efforts à bien gérer son argent
• faire preuve de prudence lorsque le client demande un conseil concernant un point
concret de sa vie : stimuler sa réflexion, l’amener à découvrir par lui-même la décision à
prendre, afin qu’il développe ses capacités d’autonomie
• être disponible pour s’adapter à des situations nouvelles, à une nouvelle donne, qui
peuvent toujours se présenter
• rester en contact autant que nécessaire avec le chargé de clientèle qui, à la banque, est
responsable du compte du client, mais jamais à l’insu de ce dernier
• faire évoluer la périodicité des rencontres, avec prudence, en fonction de l’évolution de
la situation du client, des apprentissages qu’il a acquis, et de son degré d’autonomie.
8.32. Les pratiques déconseillées
L’accompagnant doit éviter les comportements suivants :
• décider à la place du client : si celui-ci ne se prend pas lui-même en charge et s’il ne fait
pas lui-même l’essentiel du chemin à parcourir, le travail pédagogique ne se fait pas, et
rien de durable ne pourra se construire
16
• avoir une attitude trop directive : l’échange de points de vue, la négociation et le respect
de la volonté du client sont les outils privilégiés de l’accompagnement
• donner au client l’impression qu’il est « jugé »
• prêter ou donner de l’argent de sa propre poche
• aller au-delà de ses propres capacités : s’il se sent dépassé par les évènements,
embarqué par son client dans une relation qui ne lui convient pas, l’accompagnant doit
le signaler prudemment à ce dernier, et annoncer qu’il va réfléchir et prendre un avis
auprès des personnes autorisées et compétentes.
Parallèlement, l’accompagnant veillera à se ménager des occasions régulières d’échange
avec d’autres accompagnants, avec des amis, avec un animateur de la banque ou de
l’association à laquelle il est rattaché, pour discuter avec eux le déroulement de cet
accompagnement et en particulier, s’ils surviennent, les problèmes inattendus qui peuvent
surgir.
Cette pratique régulière d’échange et de régulation apporte une sécurité indispensable aux
accompagnants, notamment en cas de difficulté26.
8.4. Mettre fin à un accompagnement
Un accompagnement est inscrit dans une durée et a vocation à prendre fin. Plusieurs cas de
figure peuvent se présenter :
•
La durée initialement prévue de l’accompagnement est arrivée à son terme (par
exemple l’accompagnement était la condition mise à l’attribution d’un crédit
personnel, et celui-ci a été remboursé en totalité)
•
L’objet principal de l’accompagnement est atteint, et le client semble ne plus en avoir
besoin
•
L’accompagnement est un échec, et l’accompagnant, après avoir exploré en vain
diverses pistes et consulté sa « hiérarchie », considère que la meilleure - et parfois la
seule - solution consiste à mettre fin à l’accompagnement, ou à passer la main à un
autre accompagnant.
Dans chacun de ces cas, il convient de formaliser la fin du contrat d’accompagnement.
Dans les deux premiers cas, l’accompagnant et son client conviendront quelques mois à
l’avance de la date approximative à laquelle l’accompagnement prendra fin. Le moment venu,
ils prendront le temps de faire un bilan approfondi des résultats acquis par rapport aux
objectifs initiaux, et d’évoquer le chemin qu’ils ont parcouru ensemble, les bons moments, les
découvertes, les apprentissages, mais aussi les passages difficiles, les crises voire les échecs
partiels éventuels.
Ce travail est essentiel à la fois d’un point de vue pédagogique (il s’agit de tirer les
enseignements positifs d’une tranche de vie qui a été intense et riche, et de « missionner » le
client dans son nouveau statut d’individu financièrement autonome), et d’un point de vue
relationnel (il s’agit de formaliser une certaine forme de séparation).
Dans le dernier cas, celui d’un échec, l’intervention d’un superviseur ou d’un médiateur est
bienvenue, et il est utile que la séparation se fasse également dans des conditions aussi
pédagogiques que possible : même si le contexte est beaucoup plus difficile voire conflictuel,
26
Les Groupes de Codéveloppement Professionnel proposent une méthodologie de grande qualité pour les
accompagnants qui souhaitent échanger de manière approfondie sur leurs pratiques d’accompagnement et s’y
perfectionner. Cf. Payette A. et Champagne C., Le groupe de codéveloppement professionnel, Presses
Universitaires du Quebec (disponible en France à la Librairie du Québec, 30 rue Gay-Lusac, 75005 Paris). Cf.
annexe de la note citée supra : Recruter, former et animer des équipes d’accompagnants, Mai 2006
17
il convient là encore de faire le bilan de la relation d’accompagnement, et de clarifier et
d’exprimer les motifs de son interruption, en resituant celle-ci dans le cadre du contrat initial
qui avait été conclu. Il peut également se révéler utile de faire signer au client un document
attestant des conditions dans lesquelles il est mis fin à l’accompagnement, en vue de protéger
l’accompagnant contre une éventuelle mise en cause de sa responsabilité juridique.
Dans les trois cas, l’accompagnant peut utilement convenir avec son client que la fin du
« contrat » d’accompagnement n’interdit pas, si de nouvelles circonstances le justifiaient ou le
permettaient, qu’une nouvelle rencontre et de nouveaux échanges puissent avoir lieu. Il s’agit
en l’occurrence de se garder de deux dangers opposés : l’accompagnement à durée indéfinie
voire infinie, dans laquelle le client deviendrait dépendant de son accompagnant ; et une
interruption du contrat d’accompagnement qui serait trop brutale et trop rigide.
9. En guise de conclusion
Attribuer un prêt à une personne financièrement et socialement fragile, c’est lui rendre service
deux fois :
• une première fois en répondant à un besoin légitime qui lui permettra de mieux vivre et
d’investir pour lui-même ou pour sa famille
• une seconde fois en lui donnant l’occasion, grâce à l’accompagnement, d’apprendre à
mieux gérer ses affaires d’argent en allure de croisière.
Accompagner une personne en situation de précarité est une mission socialement utile et
humainement passionnante. Elle demande quelques connaissances techniques dans la gestion
d’un budget, mais surtout beaucoup de doigté et d’intelligence du cœur. Nous faisons le pari
que beaucoup de personnes sont capables d’y réussir, pour les raisons suivantes :
• on peut souvent faire mieux que ce dont on s'imagine capable
• mieux vaut un accompagnement imparfait que pas d’accompagnement : on ne recherche
pas des accompagnants parfaits, mais des accompagnants motivés, humains et désireux
de rendre service
• l’accompagnement est un « métier » qui s’apprend et dans lequel on progresse
naturellement :
o à partir d’une pratique régulière
o en s’accordant un certain droit à l’erreur
o en apprenant, si on en fait, à partir de ses erreurs
o en se formant de manière régulière, notamment par des lectures, des échanges de
pratiques et des discussions de « cas » avec des collègues accompagnants.
Dans l’accompagnement, l’essentiel est d’établir une relation de confiance avec la personne
accompagnée et de lui apporter un soutien moral durable.
Bibliographie sommaire
1/ A propos de l’argent
18
Borneman E., 1978, Psychanalyse de l’argent, Paris, PUF. (Très technique. Livre de base.
Scientifiquement très solide)
Bouilloud J.-Ph., Guienne V. (sous la direction de), 1999, Questions d’argent, Paris, Desclée
de Brouwer. (Excellente introduction. Je recommande particulièrement les articles de
Enriquez, de Barus-Michel, de Gaulejac)
Bouilloud J.-Ph., Guienne V. (sous la direction de), 2000, Pratiques sociales de l’argent,
Paris, Editions Eska.
François-Laugier M.-C., Comment régler ses comptes avec l’argent, Paris, Payot (diffusion
« grand public », quelques notations intéressantes. L’auteur est une ancienne « banquière »
reconvertie comme psychothérapeute)
Gallois T., 2005, Psychologie de l’argent, Paris, L’archipel (très « grand public », qualité
scientifique modeste)
Henaff M., 2002, Le Prix de la vérité. Le don, l’argent, la philosophie, Paris, Seuil. (analyse
excellente et complète de l’argent du point de vue philosophique, sociologique et historique,
par un philosophe rigoureux et lisible, qui a consacré dix ans à écrire ce livre)
Rachline F., 1996, Que l’argent soit. Capitalisme et alchimie de l’avenir, Paris, Hachette
Pluriel. (excellente approche économico historique de l’argent, par un professeur d’économie
de Paris X-Nanterre)
Rey J.-M., 2002, Le temps du crédit, Paris, Desclée de Brouwer (belle réflexion d’un
philosophe historien sur l’argent et le crédit comme produits de la confiance)
Simmel G., 1987, Philosophie de l’argent, Paris, PUF. (l’ouvrage de référence, publié par le
grand sociologue allemand en 1900, d’une lecture pas toujours aisée)
Simonnot Ph., 2002, Vingt et un siècles d’économie, en vingt et une dates-clés, Paris, Les
Belles Lettres (voyage intelligent à travers l’histoire économique, agréable à lire, marquant
bien l’importance de l’argent dans la grande comme dans la petite histoire. Travail rigoureux)
Simonnot Ph., 2005, Les papes, l’Eglise et l’argent, Histoire économique du christianisme
des origines à nos jours, Paris, Bayard (une fresque historique fascinante décrivant la place
éminente de l’argent dans l’Eglise catholique durant 20 siècles qui ont forgé notre culture)
Viveret P., 2004, Reconsidérer la richesse, 84 240- La Tour d’Aigues, France (réflexion
novatrice et un peu « décoiffante » sur l’argent, la richesse et les indicateurs de richesse en
économie. P. Viveret est philosophe et haut fonctionnaire)
2/ A propos de l’exclusion bancaire et sociale
Declerck, P., 2001, Les naufragés. Avec les clochards de Paris. Paris, Plon, Terre Humaine
Poche, Pocket (description réaliste de la misère des exclus dans la phase ultime de leur
dépérissement)
Gaulejac, V. de, et Taboada-Leonetti, I., 1994, La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer
(comment on peut passer en quelques mois ou quelques années d’un statut social « normal »
avec famille, emploi et logement, à un statut d’exclu, privé de tout ou partie de ces
constituants essentiels du lien social)
Gloukoviezoff, G. (sous la direction de), 2005, Exclusion et liens financiers, L’exclusion
bancaire des particuliers, G., Centre du rapport Walras 2004, Paris, Economica, (ouvrage qui
fait autorité sur cette question complexe)
19
Gloukoviezoff, G., 2005, Peut-on chiffrer l’exclusion bancaire ?, in Rapport Moral sur
l’argent dans le monde 2005, Paris, Association d’Economie Financière, 26 rue de Lille,
75006
Hatzfeld, M., 2006, Les dézingués, Parcours de SDF, Paris, Autrement (le regard d’un
sociologue et anthropologue, complémentaire de celui de P. Declerk, sur ceux qui n’ont pas su
ou pu éviter la rue, phase ultime de l’exclusion)
Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), Rapport annuel,
Paris, La Documentation Française (on peut aussi consulter le site de l’ONPES)
3/ A propos de l’accompagnement et des échanges de pratiques entre accompagnants
Angel, P. et Amar, P. Le coaching, 2005, Paris, PUF Coll. Que sais-je ?
Higy-Lang, C., Gellman, C., Le coaching, 2002, Paris, Editions d’Organisation
(l’accompagnement n’est pas le coaching, notamment parce que le cadre institutionnel et les
buts poursuivis sont différents, mais certaines approches ou certaines idées du coaching
peuvent, avec prudence, être transposées dans l’accompagnement)
Paul, M., L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique, 2004, Paris,
L’Harmattan
Payette A. et Champagne C., Le groupe de codéveloppement professionnel, Presses
Universitaires du Quebec (disponible en France à la Librairie du Québec, 30 rue Gay-Lusac,
75005 Paris).
Articles, conférences,
[email protected])
documents
divers
(disponibles
sur
demande
auprès
de
Beaujouan J ., Un dispositif de médiation solidaire dans la banque, Passerelle, in Rapport
moral sur l’argent dans le monde 2005, Association d’Economie Financière, 26 rue de Lille,
75007-Paris, 22 p.
Beaujouan J ., La relation des individus avec l’argent : éclairages cliniques, note de 2005, 7
p.
Beaujouan J ., Argent et transmission généalogique, note de janvier 2005 rédigée dans le
cadre d’un séminaire pour les particuliers sur la relation à l’argent, 22 p.
Beaujouan J ., La tutelle, une affaire d’argent, conférence faite en mai 2005 dans le cadre des
Journées d’étude de l’IRTS de Franche Comté : « La tutelle, protection ou sanction ? », 13 p.
Beaujouan J ., L’argent, au cœur des métiers bancaires. Pour une pratique de la relation
bancaire durable, conférence faite en mai 2005 à l’occasion d’un séminaire pour des cadres
de banque, 23 p.
Beaujouan J ., Argent et hyper modernité, communication faite au colloque de l’Institut
International de Sociologie Clinique en juin 2005, 14 p.
Beaujouan J ., Le crédit solidaire au Crédit Agricole du Nord-Est, in Rapport moral sur
l’argent dans le monde 2006, Association d’Economie Financière, 26 rue de Lille, 75007Paris, 22 p.
Beaujouan J ., Aspects psychologiques de l’exclusion financière, exposé réalisé en 2006 à
Charleroi (Belgique), dans le cadre de la Conférence européenne sur l’éducation financière
organisée par l’Observatoire (belge) du Crédit et de l’Endettement, 34 p.
20
Beaujouan J ., Argent et prévention de l’exclusion sociale, conférence faite en 2006 à Loudun
(Vienne), dans le cadre de la Semaine de la solidarité internationale, 11 p.
Beaujouan J ., Accompagner une personne financièrement fragile. Pédagogie de l’argent,
gestion du budget familial, 2006, note 26 p.
Beaujouan J ., Recruter, former et animer des équipes d’accompagnants. Pédagogie de
l’argent, gestion du budget familial. 2006, note 12 p.
Beaujouan J ., L’argent et le lien social, conférence faite à Paris en 2006 à la demande de
l’association La Traversée,12 rue Saint-Sulpice. 75006 – Paris. 17 p.
Beaujouan J ., L’éducation à l’argent, une urgence sociale, 2007 in La pédagogie de l’argent,
Les cahiers pour l’histoire de l’épargne, édité à Paris par Finances et Pédagogie à l’occasion
de son cinquantième anniversaire, 5 p.
Gloukoviezoff, G., Peut-on chiffrer l’exclusion bancaire ?, in Rapport moral sur l’argent
dans le monde 2005, Association d’Economie Financière, 26 rue de Lille, 75007-Paris, 16 p.
Gloukoviezoff, G., Quelle place pour la pédagogie face à l’exclusion bancaire ? 2007 in La
pédagogie de l’argent, Les cahiers pour l’histoire de l’épargne, édité à Paris par Finances et
Pédagogie, 9 p.
Médiateur de la République, Le malendettement, nouvelle urgence sociale ?, dossier de presse
de la conférence tenue à Paris le 14 décembre 2006, excellente introduction au sujet traité, 44
p.
Annexe 1 : La relation des individus avec l’argent : quelques éclairages
Présentation.
Les analyses qui suivent illustrent la complexité, et parfois l’extrême intensité de notre
relation avec l’argent. Elles résultent principalement des déclarations et du vécu exprimé par
de nombreuses personnes ayant participé à des séminaires ou à des ateliers que j’ai animés,
dont le but spécifique est de permettre aux participants de mieux comprendre les relations
qu’ils entretiennent avec l’argent.
Ces éclairages peuvent être utiles à tout « accompagnant » d’une personne financièrement
fragile.
1. De nombreuses personnes semblent avoir le besoin ou le désir de parler d’argent
Parmi les personnes ayant appris l’existence d’un séminaire ou d’un atelier sur l’argent, un
nombre assez élevé – 5% ? 10% ? plus ?- se disent spontanément intéressées par le thème.
Le travail réalisé par celles qui y participent montre que cet intérêt n’est pas de façade, mais
bien réel.
Pour de nombreuses personnes, l’argent est donc au moins un objet de questions, et parfois un
objet de souffrance. Il suscite non pas une curiosité ou une réflexion académique, mais bien
un désir de travail personnel qui apparaît presque comme une nécessité dès lors qu’un cadre
est proposé.
2. Les participants parlent de leurs histoires d’argent assez facilement
Les participants ne manifestent pas de réserve forte à parler d’argent durant le séminaire, et
21
notamment à approfondir la question ou le problème personnel qu’ils souhaitent travailler à
propos de l’argent.
Certes, ces participants se sont inscrits à un séminaire qui traite justement de l’argent, mais on
aurait pu imaginer des réticences plus grandes de leur part à entrer directement dans un
discours souvent intime et impliquant.
3. Les difficultés des personne à l’égard de l’argent sont multiples
Les difficultés sur lesquelles les participants souhaitent travailler sont évidemment très
diverses :
•
Certains souhaitent gagner plus d’argent, pouvoir demander un salaire ou fixer et recevoir
des honoraires, mais s’en sentent peu capables, notamment parce qu’ ils se disent très
incertains de leur propre valeur. On imaginerait volontiers que ces personnes souhaitant
gagner plus d’argent représentent la grande majorité des participants, mais il n’en est rien
•
D’autres participants viennent afin d’être moins angoissés face à l’argent
•
D’autres encore souhaitent travailler pour que les questions d’argent perturbent moins leur
vie de couple, ou leurs relations avec leurs parents, leurs enfants, leurs frères et soeurs, ou
encore pour développer leur capacité à vivre leur vie avec légèreté
•
Autres motivations d’un travail sur l’argent
o Incapacité à vivre avec un époux trop riche
o Horreur des chiffres, de l’argent, besoin d’apprendre à compter, à gérer son argent
pour « devenir un peu libre »
o Compulsion d’achat, surendettement, interdiction bancaire perçue comme une
punition effroyable, angoisse de ne plus exister socialement
o Relation passionnelle et contradictoire avec l’argent
o Tendance à se faire escroquer
o Etc.
•
Ce qui m’a le plus étonné est le nombre élevé de personnes ayant des revenus et/ou un
patrimoine confortables – souvent gagnés très « régulièrement » par le travail - et qui se
plaignent de trop épargner, de ne pas oser dépenser, et qui constatent avec tristesse que,
ce faisant, elles s’interdisent de vivre, de jouir pleinement, ou au moins normalement, de
la vie.
4. Les émotions et les sentiments liés à l’argent sont divers et intenses
« L’argent me fait peur, il est lié à la mort ». « Ma mère a toujours eu honte de cet argent, qui
venait de la collaboration avec les Allemands au moment de Vichy ». « L’argent me terrifie.
Je suis interdit de chéquier ». « J’ai une angoisse économique terrible : pour moi, l’absence
d’argent, c’est la mort ». « Je suis fascinée de pouvoir parler d’argent ». « Je suis en colère
contre l’argent qui remplace la religion ». « J’ai honte d’être pauvre et méprisée par les riches,
et en même temps je ressens de la culpabilité car je suis nantie par rapport aux pauvres ». « Je
dépense tout avec plaisir ». « J’aime compter les sous dans la boite, gagnés avec amour à faire
des massages ». « Avoir des dettes, c’est sacrilège ». « Lorsque mon père m’a fait cette remise
de dette – qui portait sur un montant peu élevé – ça a été pour moi un choc, une stupéfaction,
j’ai été très reconnaissant ».
Comme le montrent ces citations, les sentiment à l’égard de l’argent sont non seulement
divers et intenses, mais également souvent contradictoires : haine ou mépris et fascination,
sentiment de toute puissance et peur de manquer, envie et peur de posséder etc.
22
Ces sentiments et émotions sont associés à des représentations elles-mêmes multiples et
diverses, certaines classiques, d’autres plus inattendues :
•
La liberté, la puissance virile, le plaisir, la sécurité, l’état adulte, l’abondance,
l’indépendance, la propriété – « c’est magique ! » - , le jeu d’investir en Bourse, la
terre où s’enraciner, la circulation du flux sanguin, le statut social, la reconnaissance
sociale, l’identité et la valeur personnelle, la dignité d’exister, l’amour, l’échange, la
réserve d’énergie etc.
•
L’argent est également associé à des représentations négatives, ou neutres, et
notamment celles-ci : la saleté, la révolte, le malheur, la douleur, la mort, « l’explosion
de ma vie affective », la séduction, l’insignifiance, l’inutilité, l’incompétence, le
manque, la compensation d’un manque, Satan, le démon, l’impudeur, la stérilité,
l’esclavage, la souffrance – pour le gagner - , la domination ou l’écrasement d’autrui,
la destruction de l’amitié, le lien qui ligote, la spéculation dangereuse – « l’argent
peut mordre » - , le tabou, le paraître, le malaise, le jeu d’échecs auquel chacun est
contraint de jouer, la prostitution etc.
5. Le travail sur l’argent touche des parties très intimes de la personne
Le propre de ces séminaires ou ateliers est de permettre aux participants d’explorer leur
relation et souvent la problématique à l’égard de l’argent : l’expérience montre combien cette
exploration conduit rapidement à des expériences de vie anciennes et intimes, à des
souffrances jamais révélées et parfois même rejetées dans l’oubli, à des histoires liées à
l’enfance et à l’adolescence, à la famille, au fonctionnement du couple parental, à la
transmission généalogique, aux premières expériences d’adulte, à la vie de travail, à la
maladie, aux héritages etc.
L’argent n’est pas seulement au coeur de la vie économique, il est également au centre de
notre vie émotionnelle et affective, pas nécessairement comme objet central, mais comme
« accompagnant » actif et parfois moteur. Il est au cœur des « nœuds » sociaux psychiques qui
parfois nous enchaînent, et nous empêchent d’agir et de vivre comme nous le souhaiterions.
6. Beaucoup de confusion à l’égard de : combien je gagne ? A combien s’élève mon
patrimoine ?
De nombreux participants ne se sont tout simplement jamais posé ces questions clairement, ou
font des erreurs importantes, généralement en minorant leurs revenus et leur patrimoine.
Certains annoncent une grande difficulté à manipuler les chiffres, à compter, que ce soit
l’argent ou autre chose, et ceci depuis l’age scolaire. Un autre affirme être certain de s’être
appauvri au cours des sept dernières années, mais est incapable de justifier cette croyance.
Invité à le faire par mes soins, il revient le lendemain en ayant retrouvé des éléments de
patrimoine qu’il avait oubliés.
Nombreux sont ceux qui sont dans l’incapacité de qualifier un échange d’argent avec leur
famille : est-ce un don manuel des parents ? Un prêt ? Une avance sur héritage ? Les frères et
sœurs ont-ils reçu une somme identique ? Qui a droit à quoi, qui doit quoi à qui dans
l’indivision ? Qui est légalement propriétaire de quoi ? Les situations créées sont parfois
d’une extrême complexité ou confusion, pour des raisons souvent cachées mais en général
très signifiantes dès lors qu’un peu de lumière a pu être faite.
7. Des freins psychologiques ou culturels puissants s’opposent à la perspective de gagner
plus, ou de devenir riche.
Des participants affirment vouloir devenir riches, voire très riches. Quand on leur demande :
23
« Combien voudrais-tu gagner ? Ce serait quoi, pour toi, être riche ? », on est frappé par le
caractère modeste des réponses. On pourrait dans certains cas parler d’une incompétence
pathologique à gagner de l’argent. Telle personne gagnant à peine plus que le SMIC considère
que la très grande aisance, pour elle, serait de gagner 10 % de plus que son salaire actuel,
alors que la question autorisait totalement une réponse du type : « Je voudrais gagner quatre
fois, dix fois, ou même cent fois mon salaire actuel » !
En l’occurrence, les freins sont multiples : manque de modèle, de culture familiale par
lesquels on apprend à gagner de l’argent et à le dépenser en assez grande quantité, en trouvant
cela naturel et normal ; peur ou interdit, inconscients ou non, de dépasser les parents dans ce
domaine, et de trahir leurs valeurs et même leur vie ; peur de devoir changer d’amis si on
devenait riche ; interdit de jouir des bonnes choses de la vie qu’on peut se procurer avec
l’argent ; peur de susciter l’envie ou la jalousie ; peur d’avoir à gérer cet argent, si on en avait
beaucoup ; peur de pouvoir en être dépouillé ; idée que l’argent est sale, ou dangereux,
qu’avec de l’argent on peut nuire à autrui, ou se détruire soi-même ; incapacité à négocier son
salaire, à recevoir de l’argent de la main à la main ; désir de rester assisté, dépendant de
quelqu’un – l’Etat, le conjoint, les parents – plutôt que s’assumer soi-même ; manque
d’imagination pour transgresser ce qu’on perçoit comme des interdits sociaux etc.
Cette autolimitation à l’égard de la richesse est étonnante, là où la croyance commune
voudrait que tous les agents économiques cherchent à améliorer leur niveau de vie et leur
patrimoine. Peut-être les classes sociales aisées profitent-elles largement de cette inhibition à
caractère social, et ont-elles tout intérêt à cultiver les dictons tels que « L’argent ne fait pas le
bonheur », ou encore l’idée que la vie est dure, que c’est normal d’en baver pour gagner de
l’argent, et qu’il ne faut pas rêver de devenir riche etc.
Il serait d’ailleurs intéressant d’imaginer un monde dans lequel tous les humains
deviendraient subitement animés d’une forte volonté de devenir riches, d’une grande capacité
d’investir, d’entreprendre et de créer des richesses nouvelles, de commercer, de négocier leur
salaire ou leurs avantages financiers divers dans un esprit mutuellement constructif etc. Ce
serait, plus que le « grand soir », une vraie révolution sociale…!
8. Les événements historiques, économiques ou sociaux impactent la situation
financière, et donc la vie des personnes.
Il s’agit là d’une affirmation banale, mais elle est abondamment illustrée par les histoires de
vie des participants. On rencontre ainsi, pêle-mêle :
•
l’attraction de la fonction publique pour sortir des métiers de la terre et trouver un
métier « qui t’apportera la sécurité de l’emploi »
•
les « Trente Glorieuses » et l’aisance ou l’enrichissement qu’elles ont pu apporter
•
le chômage et le développement du travail précaire, et les souffrances qui y sont
attachées
•
l’exclusion bancaire, souvent perçue comme l’antichambre de l’exclusion sociale
•
le développement dangereux du paiement indolore par monnaie électronique invisible,
la compulsion à dépenser face aux tentations d’achat entretenues par la publicité
•
la place centrale des études universitaires dans les stratégies d’élévation sociale
•
la réussite fréquente de ces stratégies – grands-parents agriculteurs ou ouvriers,
parents petits fonctionnaires à La Poste ou dans les Chemins de fer, enfants cadres
supérieurs ou exerçant une profession libérale
•
les lointaines suites de la première et de la seconde guerre mondiale – la ruine d’un
commerce ou d’une usine, les privations, parfois l’enrichissement subit et douteux etc.
24
•
le retour en catastrophe des rapatriés d’Afrique du Nord ayant dû abandonner toutes
leurs richesses
•
les emprunts russes
•
le développement du divorce rendu possible par l’autonomie financière croissante des
femmes
•
le sentiment de s’être subitement et gravement appauvri parce que la Bourse a perdu
20 ou 30 % de sa valeur… etc.
La prégnance de ces événements historiques et économiques illustre, s’il en était besoin, que
la situation de fortune de chaque individu ne résulte pas uniquement de sa volonté et de son
habileté à gérer son argent, ou encore de sa vie intra psychique, mais également de certains
faits sociaux qui traversent sa vie et en déterminent puissamment le cours.
9. Le bonheur de parler d’argent.
Beaucoup de participants retirent une réelle satisfaction de ce type de séminaires, notamment
parce qu’ils peuvent mieux comprendre les multiples déterminants de leur relation à l’argent,
et acquérir une plus grande liberté dans leur conduite dans les circonstances où l’argent est en
jeu. Le travail réalisé en quelques jours est parfois impressionnant.
Mais le point à mes yeux le plus remarquable est leur satisfaction d’avoir pu parler ensemble
de leurs multiples sentiments, émotions, questions, problèmes, souffrances ou jubilations à
l’endroit de l’argent.
Chacun se sent souvent en effet seul face à ses problèmes d’argent, on peut rarement s’en
ouvrir en toute confiance à un tiers : les échanges réalisés dans le cadre des séminaires,
mêmes s’ils sont parfois douloureux, produisent des moments inattendus de bonheur et un
allègement bénéfique pour ceux qui ont osé sauter le pas.
10. La relation « idéale » d’un individu avec l’argent
Bien que théorique, une réflexion sur cette question n’est pas inutile à qui accompagne des
personnes ayant avec l’argent des relations complexes et parfois conflictuelles.
Une telle relation idéale serait caractérisée par :
• La capacité à en gagner suffisamment, sans avoir à « se tuer au travail »
• La capacité à le dépenser, pour satisfaire ses besoins et ses désirs (savoir se faire plaisir)
• La capacité à contrôler ses dépenses en fonction de ses recettes
• La capacité à épargner et à emprunter (ni trop, ni trop peu)
• La capacité à penser l’argent dans la durée, et notamment à constituer et à gérer un
patrimoine, en « bon père de famille »
• La capacité à donner gratuitement et à recevoir
• La capacité à recevoir, à « intégrer » et à gérer un héritage
• La capacité à transmettre à ses propres héritiers
• Le fait d’avoir, de l’argent, une représentation réaliste et positive ou au moins neutre
• Le fait que l’argent tienne une place modérée (ni trop, ni trop peu) dans sa vie
psychique (pensées, rêves, conversations, émotions…)
• La capacité à faire normalement confiance en l’avenir
25
• La capacité à faire confiance à un tiers (ce qui n’exclut ni les précautions préalables, ni
éventuellement un contrôle a posteriori…)
• Le respect, pour l’essentiel, de la loi et des usages
• Le souci de faire avec autrui des transactions équitables
• Plus techniquement
o La capacité à distinguer l’argent flux et l’argent stock
o La capacité à manier une grosse somme d’argent
o La capacité à prendre un risque modéré (ex : acheter un logement)
o etc.
11. Quelques pathologies à l’égard de l’argent
A l’opposé de cette « bonne » relation à l’argent, relation idéale qui n’existe pas, ou qui est
exceptionnelle, quelques fonctionnements pathologiques peuvent être identifiés. Le
comportement de la plupart des individus se situe entre ces deux références extrêmes relation idéale et relation pathologique :
•
L’avidité financière : elle se manifeste par une volonté et une énergie extrêmes à se
procurer de l’argent, à gagner de l’argent par tous les moyens, sans souci de morale,
d’équité ni de mesure. Cette conduite occupe l’essentiel des pensées et de l’activité de
la personne avide, elle peut la couper de ses amis et relations, elle constitue une sorte
d’obsession. On la rencontre chez quelques grands financiers ou capitaines d’industrie,
mais également chez des personnes plus modestes et dotées de moins de talents…!
•
L’avarice, qui peut être associée à l’avidité, mais ne l’est pas toujours : Aristote
nommait cette association « chrématistique », et la considérait comme une grave
déviation.
L’avare est obsédé par la rétention, il vit son argent comme une partie de son propre
corps, et ne se sent bien que « plein aux as ». Donc il entasse son argent, il l’empile, il
le compte, il le cache, il le dorlote. Il ne supporte pas d’en perdre, de s’en séparer,
même en petite quantité. La progression de son tas d’or le réjouit et le met en sécurité,
une chute de la Bourse ou une affaire qui tourne mal le plonge dans la mélancolie et il
se sent comme en danger de mort. L’avare ignore que l’argent a pour destin de circuler
à l’infini, et qu’il est produit, principalement, par des échanges confiants et constructifs
avec autrui. L’avare vit dans l’isolement et la tristesse.
•
La prodigalité : à l’inverse de l’avare, le prodigue dépense de manière excessive, fait
des dons, des cadeaux sans compter à son entourage. A cela plusieurs motivations,
souvent inconscientes :
o l’argent lui « brûle les doigts », notamment lorsqu’il provient d’un héritage
chargé de significations affectivement négatives (par exemple un patrimoine
« contaminé » par de l’argent sale venant de la collaboration avec les Allemands
lors de la dernière guerre), ou lorsqu’il est perçu comme dangereux ou sale : le
prodigue cherche donc à s’en débarrasser
o le prodigue pense qu’en donnant son argent, là encore vécu comme une partie
de lui-même, il sera reconnu, apprécié et aimé. Il est en quête d’admiration et
d’affection
•
La « ludopathie » ou passion maladive du jeu : le joueur joue son argent avec le désir
conscient de gagner, de « rafler la mise », d’atteindre cet état illusoire de toute
26
puissance lié à la grande richesse27. Dans la réalité, et de manière souvent inconsciente,
il répète un scénario dans lequel il recherche de manière compulsive l’état d’excitation
et de plaisir morbide lié à une prise de risque qui le met, lui et sa famille, en danger de
mort, et au moins de mort économique et symbolique.
Pour les « ludopathes », le jeu est une passion, c'est-à-dire, étymologiquement, une
souffrance. Lorsqu’il devient irrépressible, il constitue une addiction, tout comme le
tabac, l’alcool ou la drogue. En fin de scénario, le joueur se retrouve le plus souvent
« fauché », triste, et seul avec son sentiment de culpabilité et de honte…
• La compulsion d’achat : dans sa version la plus grave, il s’agit là encore d’une
addiction. C’est l’envie impérieuse, accompagnée d’excitation et d’angoisse, d’acheter
certains objets, selon un scénario répétitif qui suit généralement les phases suivantes :
o l’acheteur (ou l’acheteuse) est d’abord dans un état de tristesse, de sentiment de
vide, de dépression, de frustration
o il (elle) visualise un ou des objets de désir, généralement très coûteux (« une
folie »), qu’il désire s’approprier comme si cet objet était capable de le faire
sortir de son état de souffrance. Cibles privilégiées : vêtements de luxe, produits
de beauté, parfums etc. Le vendeur est tout sourire et cordialité. La publicité lui
susurre à l’oreille un slogan du type : « Parce que vous le valez bien…»
o l’acheteur entre avec une grande excitation dans le magasin correspondant, ou
s’installe devant son ordinateur. Il doit acheter immédiatement, « passer à
l’acte ». Il regarde, essaie, choisit et paie (on appelle cela « faire chauffer la
carte bancaire »). Sentiment d’euphorie et d’apaisement, mêlé de vague
sentiment de culpabilité : l’acheteur sait en effet que cet achat est au dessus de
ses moyens, il cherche à oublier ce détail…
o souvent, les objets achetés sont jetés dans un placard et ne seront jamais
consommés ou portés. L’acheteur compulsif entre alors dans la phase de
dépression, de remords, de culpabilité, il atterrit et mesure l’étendue des dégâts
relatifs à sa situation financière : il va devoir jouer les équilibristes, cacher la
situation à son conjoint, mentir à son banquier etc.
Le débiteur chronique, le joueur, l’acheteur compulsif, le dilapidateur se mettent dans
des situations financières « infernales », qu’ils traitent par des manœuvres de déni ou
d’évitement (ex. : ils n’ouvrent pas leur courrier pour ne pas avoir à affronter les
relances de factures impayées ni les relevés de compte catastrophiques de la banque, ils
ne répondent pas au téléphone aux heures où leur banquier pourrait les appeler). Ils
attendent que la situation se résolve d’elle-même, par miracle.
27
Selon une enquête de la Sofres, 53 % des Français déclarent jouer aux jeux de hasard (ce qui ne signifie
évidemment pas que tous ces joueurs soient des « ludopathes »… !). Selon une étude de l’INSEE publiée le 13
mai 2005, les ménages français ont dépensé en 2003 une somme, nette de gains, de 7,8 milliards d’euros, soit en
moyenne 130 € par habitant et 0,92 % de leur budget (l’équivalent de leur budget consacré aux livres, journaux
et périodiques !). Ce chiffre a doublé depuis 1976 et progresse de 3 % / an.
27