Procédure civile

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Procédure civile
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Lexbase La lettre juridique n˚586 du 9 octobre 2014
[Procédure civile] Chronique
Chronique de procédure civile — octobre 2014
N° Lexbase : N3992BUE
par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre
de l'Institut universitaire de France
Lexbase Hebdo — édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en
procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de
Grenoble II, membre de l'Institut universitaire de France. L'auteur s'intéresse, d'abord, au plan du ministère
de la Justice sur la "Justice du XXIème siècle". Il revient, ensuite, sur la question du droit de la preuve face
à la vie privée (Cass. civ. 1, 10 septembre 2014, n˚ 13-22.612, F-P+B). Enfin, il analyse, à travers certains
arrêts, les pouvoirs et devoirs du juge (Cass. com., 11 juin 2014, n˚ 13-17.318, F-P+B et Cass. civ. 2, 5 juin
2014, n˚ 13-16.053, FS-P+B).
1 — Justice du XXIme siècle : le plan du ministère manque d'action
Une réflexion globale sur l'organisation juridictionnelle et sur le fonctionnement des institutions judiciaire a été entreprise l'année dernière, tant au Parlement (1) que par la Garde des Sceaux (2). A l'origine de ce mouvement,
l'idée de simplifier l'organisation juridictionnelle et l'accès à la justice a conduit à orienter la réforme dans quelques
directions majeures : la réunion des juridictions de première instance en un seul tribunal, la création d'un guichet
unique du greffe et le développement des modes alternatifs de règlement des litiges. En 2013, la ministre de la Justice a créé plusieurs commissions de réflexion qui ont rendu trois rapports sur la Justice et les juridictions du XXIme
siècle. Les 10 et 11 janvier 2014, un colloque réunissant environ 2 000 acteurs de la Justice a été organisé autour
des différents rapports. Les actes du colloque ont ensuite été soumis aux différentes juridictions pour alimenter un
large débat durant l'année 2014. Ce grand mouvement a donné lieu, au début du mois de septembre, à un plan
d'action présenté par la Garde des Sceaux lors du conseil des ministres du 10 septembre 2014.
Le travail de synthèse n'a pas été simple. D'une part, il a fallu retenir l'essentiel des 268 propositions qui émanaient
des rapports. D'autre part, il a fallu tenir compte des débats qui ont été organisés autour de ces propositions,
tant au niveau national qu'en région où se sont déroulées 580 assemblées générales et où ont été produites 2 000
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contributions. En définitive, ce sont quinze actions qui sont retenues par la ministre de la Justice (3), qui se déclinent
en de multiples applications concrètes. D'emblée, on est frappé par le manque d'ambition de la réforme.
L'introuvable réforme de l'organisation juridictionnelle
D'un point de vue institutionnel, le cœur de cette réforme aurait dû se trouver dans une simplification juridictionnelle
visant à réunir, au moins pour partie, les juridictions de première instance au sein d'un même tribunal. Dans son
discours prononcé lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en janvier 2013, le président de
la République avait pourtant affirmé de façon claire "une juridiction de première instance sera donc instituée. Elle
regroupera tous les contentieux du quotidien". De ce projet ambitieux, repris dans les différents rapports rendus
la même année, il ne reste pratiquement rien. L'organisation juridictionnelle est laissée telle quelle et la réforme
se contente de proposer des transferts de compétence du tribunal d'instance vers le tribunal de grande instance.
L'objectif consiste à recentrer le TI sur le contentieux du quotidien et de lui retirer les contentieux trop techniques.
Des transferts vers le TGI sont ainsi prévus s'agissant des préjudices corporels, des élections professionnelles ou
du départage prud'homal. L'idée d'une simplification juridictionnelle a donc été tout à fait écartée. Seule la matière
pénale pourrait être concernée par un transfert du tribunal de police au sein du TGI, mais l'existence de cette juridiction pénale semble préservée, de même que sa compétence. Il faut souligner que la proposition de regroupement
des juridictions de première instance n'a pas reçu un accueil très favorable auprès des magistrats. La peur d'une
"structure tentaculaire" et d'un manque de spécialisation au sein de cette juridiction à large compétence a été mise
en avant. Les aspects humains (diminution des effectifs dus à la mutualisation, mobilité géographie imposée) ont
également été exposés (4). En définitive, l'hostilité de la profession a peut-être eu raison de l'ambition politique qui
avait guidé initialement le projet politique à destination des justiciables.
Enfin, rien n'est dit dans le plan ministériel sur le sort de la juridiction de proximité, dont la suppression est théoriquement programmée au 1er janvier 2015. Cette suppression avait été reportée dans l'objectif d'une réforme globale
de la Justice de première instance. Cette réforme d'ensemble n'aura pas lieu et l'on peut s'interroger sur le silence
du plan ministériel à l'égard d'une juridiction de proximité, dont l'existence même fait débat.
L'espoir de proximité : le guichet universel de greffe
Parmi les propositions susceptibles de simplifier l'accès à la Justice, figure la création d'un guichet unique permettant
à tout justiciable de saisir la Justice et de suivre ses procédures en un seul lieu, situé à proximité de son domicile.
Dans cette perspective, une expérimentation a été initiée dans cinq juridictions (5). Les justiciables doivent y trouver
un point d'accès qui leur permettra de réaliser l'ensemble des démarches liées à la conduite de leurs procédures.
Par exemple, ils devraient pouvoir saisir toute juridiction compétente en France depuis ce point d'accès. Ils devraient
également y trouver toutes les informations sur les procédures les concernant devant une juridiction française.
Ce projet mérite toute l'attention. Dans l'hypothèse d'un succès, il aurait un impact sensible sur la vie des justiciables.
Il entre également en résonnance avec les efforts qui pourraient être déployés dans le domaine de la communication
électronique. Le ministère envisage ainsi de créer et de développer, à partir de 2015, une application appelée
"Portalis", dont l'objectif final est de permettre aux justiciables de saisir les juridictions en ligne et de suivre l'avancée
des procédures sur Internet. Cette application figure parmi le développement de l'E-Justice depuis déjà plusieurs
années (6) et le plan d'action de l'actuel Garde des Sceaux semble lui donner une consistance.
La simplification des procédures demeure dans le vague
Le plan d'action ministériel comporte un volet sur l'efficacité de la Justice. Le document parle ainsi d'une "justice
trop complexe" qui "varie trop fréquemment selon les contentieux". La proposition 6 projette ainsi de réduire les
délais, de simplifier les règles de procédure et les recours. Cet idéal procédural est très fréquent dans les projets de
réforme et il se décline ici de façon particulièrement floue. Le plan évoque l'idée de simplifier la phase de préparation
de la procédure, ainsi que les difficultés d'exécution des décisions civiles.
Mais on retiendra surtout la volonté de recentrer l'appel sur "la bonne application de la loi". On voit ici poindre
le spectre de l'appel, voie de réformation, qui avait été écarté du nouveau Code de procédure civile en 1975,
par l'introduction habile et mesurée de l'évolution du litige. En 2013, les premiers présidents de cour d'appel ont
appelé de leurs vœux un retour à une conception restrictive de l'appel et la restauration d'une voie de réformation
a également été envisagée dans l'un des rapports commandés par la ministre (7). A l'heure actuelle, il est difficile
de connaître avec précision l'ambition du plan ministériel et notamment de savoir si les possibilités d'évolution du
litige en appel vont être réduites.
L'autre inconnue réside dans l'idée de "renforcer l'effectivité de la décision de première instance et la sécurité
juridique". On peut ainsi s'interroger sur l'implication que pourrait avoir une telle formule sur l'exécution provisoire
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des décisions de première instance. Cette question a déjà été envisagée par le passé. Un avant-projet de décret
diffusé en 2002 avait donné lieu à un intense débat doctrinal. Il pourrait revenir au premier plan, notamment dans
la perspective de restreindre l'usage de la voie d'appel en supprimant par principe son effet suspensif.
L'efficacité procédurale passe enfin par les voies de contournement des juridictions. A cet égard, les modes alternatifs de règlement des litiges ont été unanimement salués par les différents rapports. Toutefois, les améliorations en
ce domaine sont limitées, car la procédure civile française est déjà très largement ouverte à ce type de procédures.
Qu'il s'agisse de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les modes alternatifs de règlement des
litiges bénéficient de régimes juridiques qui permettent à la fois un usage aisé et une grande efficacité. Ainsi, le plan
d'action qui envisage de favoriser le règlement amiable des litiges ne contient-il aucune proposition révolutionnaire,
mais envisage plutôt la création d'une nouvelle instance administrative : le Conseil national de la conciliation et de
la médiation.
L'anticipation judiciaire
A notre sens, l'une des propositions les plus intéressantes du plan ministériel consiste à améliorer les capacités
d'anticipation des décisions judiciaires. Pour le dire rapidement, le droit n'apporte pas la sécurité juridique à laquelle
on peut légitimement s'attendre. Même une bonne connaissance de la matière permet difficilement de prédire le
sens d'une décision juridictionnelle. Prenant le contrepied de cette réalité, le rapport souhaite "permettre aux citoyens de mieux évaluer les possibilités de succès de leurs actions en justice". Par exemple, il s'agit de publier
des barèmes relatifs aux pensions alimentaires, aux prestations compensatoires, ou à l'indemnisation des préjudices corporels. De façon plus ambitieuse encore, il s'agirait d'établir des partenariats entre les universités et les
juridictions pour analyser les jurisprudences locales et fournir aux magistrats des outils pour améliorer la cohérence
de leurs décisions. Ce partenariat d'un nouveau genre, s'il était effectivement mis en œuvre, serait susceptible de
combler un peu le fossé qui existe entre l'étude des règles de droit et leur mise en œuvre dans la pratique. Il y a là
une véritable occasion, mais la question demeure de savoir qui disposera du temps et de l'énergie pour s'en saisir.
En définitive, le plan d'action de la Garde des Sceaux déçoit. On y trouve beaucoup de petites propositions. Certaines peuvent améliorer le quotidien des justiciables ou des fonctionnaires du service public de la Justice. D'autres
sont de nature purement institutionnelle, très éloignées de l'idée qu'on peut se faire d'une vraie réforme. Elles
visent, par exemple, à la création de nouvelles instances administratives de réflexion, de débat et d'orientation sur
la Justice. La principale innovation procédurale devrait résider dans la mise en place du guichet unique et dans l'espérance d'une mise en ligne réelle de l'action en justice et du suivi des procédures. Si la dématérialisation s'avère un
succès, la réforme aura déjà rempli un important objectif. Mais l'expression "Justice du XXIme siècle" ne demeurera
qu'un outil de communication.
2 — La vie privée cède le pas devant le droit à la preuve
– La photographie d'une personne exerçant des tâches ménagères à son balcon ne porte pas une atteinte
disproportionnée à sa vie privée (Cass. civ. 1, 10 septembre 2014, n˚ 13-22.612, F-P+B N° Lexbase :
A4236MWS ; cf. l'Encyclopédie "Procédure civile" N° Lexbase : E7396ET4).
Depuis 2012 et la consécration jurisprudentielle du droit à la preuve, la Cour de cassation semble avoir sonné le
coup d'envoi d'une vaste compétition entre les principes antagonistes du droit de la preuve. Nous y avons déjà
consacré plusieurs chroniques (8) et un arrêt récent nous conduit à y revenir, car la première chambre civile donne
l'impression d'ébranler les lignes établies par le passé.
Le passé auquel nous faisons allusion n'est pas si lointain. Il date du temps où la Cour de cassation assurait au
salarié la protection d'informations à caractère personnel contre les intrusions de son employeur (9). Une époque
où la filature organisée par un employeur (10) ou par un ex-époux (11) en vue d'établir une preuve en justice était
considérée comme attentatoire à la vie privée. Ce temps est-il révolu et le droit à la preuve est-il en passe de
prendre le dessus sur le droit au respect de la vie privée ? La question semble posée par l'évolution récente de la
jurisprudence et en particulier par l'arrêt rendu le 10 septembre 2014.
En l'espèce, un litige avait d'abord opposé un institut de beauté à une cliente qui réclamait la réparation d'un préjudice oculaire. Par la suite, la cliente avait recherché la responsabilité de l'avocat de la partie adverse, lui reprochant
d'avoir versé aux débats des preuves portant atteinte à sa vie privée. En effet, pour établir la preuve de l'absence de
préjudice, l'avocat avait eu recours aux services d'un détective privé qui avait pris des photos de la demanderesse
dans sa vie quotidienne. Ces photos la montraient conduisant son véhicule ainsi que dans l'exercice de tâches ménagères sur son balcon. Elles permettaient de constater qu'elle ne portait pas de lunettes au cours de ces activités
et tendaient à montrer que le préjudice oculaire allégué n'existait pas.
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La cour d'appel rejeta le grief tiré de la violation de la vie privée, en affirmant de façon laconique que "le simple
récit d'activités, visibles à partir de la voie publique, ne constitue pas une atteinte à la vie privée". Les juges du fond
opéraient ainsi une confusion entre le lieu public et l'absence de vie privée, contrairement à une jurisprudence bien
établie à cet égard (12). A l'inverse, l'auteur du pourvoi soutenait que "l'immixtion tenant à la photographie et au
récit des activités d'une personne se trouvant sur le balcon de son propre domicile" portait atteinte à la vie privée.
Elle soulevait également un moyen tenant à la violation de son droit à l'image.
La Cour de cassation rejeta le pourvoi en usant d'une motivation nuancée. Elle prit d'abord le contrepied de l'arrêt
d'appel qui "énonce à tort que le simple récit d'activités, observées à partir de la voie publique, notamment en
direction du balcon de l'intéressée, ne constitue pas une atteinte à sa vie privée". Mais elle mesura ensuite la
portée de ce raisonnement, en affirmant "qu'une telle atteinte n'est pas disproportionnée lorsque, eu égard au droit
à la preuve de toute partie en procès, elle se réduit, dans ce but et comme en l'espèce, à la simple constatation de
l'absence de port de lunettes lors de la conduite d'un véhicule ou lors du ménage et rangement d'un balcon".
Par ailleurs, la Cour écarte également le moyen tiré de l'atteinte au droit à l'image en estimant que les photos
produites en justice étaient suffisamment floues et rendaient impossible l'identification de la personne représentée.
Le raisonnement que tient la Cour de cassation à l'égard de la vie privée est emprunté à une méthodologie européenne bien connue. Dans un premier temps, la première chambre civile suggère l'idée que des photographies
d'une personne dans l'intimité de son domicile et de son activité quotidienne constituent une atteinte potentielle
à la vie privée. Dans une telle circonstance, la CEDH aurait parlé d'ingérence. Puis, dans un second temps, la
Cour de cassation estime que l'atteinte est proportionnée. Cette proportionnalité confère sa licéité à l'élément de
preuve. Pour l'apprécier, la première chambre civile se réfère d'abord à la finalité de l'atteinte, qu'elle trouve dans
le droit à la preuve (13). Elle s'en tient également à une appréciation des faits de l'espèce. Les photographies qui
étaient produites en justice visaient à la "simple constatation de l'absence de port de lunettes". Les faits capturés
n'atteignaient donc pas un degré d'intimité tel qu'ils auraient mérité une protection plus haute.
La solution se comprend. D'une part, l'intimité de la vie privée subit les assauts d'autres droits antagonistes, comme
le droit à l'information. La prise en compte du droit à la preuve pour justifier une atteinte à la vie privée s'inscrit donc
dans la perspective de la conciliation des droits fondamentaux. D'autre part, les règles de preuve ne doivent pas
s'éloigner de l'impératif de vérité, qui constitue le fondement même de cette matière. La vie privée ne peut donc
s'ériger en obstacle insurmontable face à la production des preuves en justice.
Toutefois, si l'on replace cet arrêt dans un contexte plus large, on peut formuler deux séries d'observations. La
première consiste à regarder l'évolution de l'obstacle tiré de la vie privée face aux techniques probatoires intrusives
en matière civile. A cet égard, on peut observer que la protection de la vie privée recule. Par exemple, en 2002,
la Chambre sociale de la Cour de cassation jugeait de façon tranchée qu'"une filature organisée par l'employeur
pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu'elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère
disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur" (14). Certes, il s'agissait ici de rééquilibrer une relation
asymétrique entre l'employeur et l'employé. Mais l'esprit d'une telle protection se trouvait également dans le contentieux familial. A l'occasion d'un litige portant sur une prestation compensatoire, la deuxième chambre civile avait
retenu l'illicéité d'un rapport de détective privé, en constatant que la partie qui faisait l'objet de ce rapport "avait été
épiée, surveillée et suivie pendant plusieurs mois, ce dont il résultait que cette immixtion dans la vie privée était
disproportionnée par rapport au but poursuivi" (15). Ici encore, on pourrait voir une différence de degré avec l'arrêt
rendu le 10 septembre 2014 qui fait l'objet de notre commentaire. Cette différence pouvait expliquer la divergence
de solutions.
En réalité, la jurisprudence semble avoir pris un tournant avec un arrêt de la Chambre commerciale rendu en 2007.
Dans une affaire qui concernait la production en justice de pièces relatives à la santé du dirigeant d'une société, la
Cour de cassation a mis en avant les droits de la défense pour justifier l'atteinte à la vie privée résultant de cette
production (16). La première chambre civile a repris ce raisonnement un an plus tard, faisant obligation aux juges du
fond de "caractériser la nécessité de la production litigieuse quant aux besoins de la défense et sa proportionnalité
au but recherché" (17).
Le principe des droits de la défense s'est donc d'abord imposé pour neutraliser le filtre de la vie privée et favoriser
la production des preuves en justice. Par la suite, la Cour de cassation a précisé son raisonnement. D'une part, elle
a consacré le droit à la preuve comme fondement direct de la production en justice des preuves détenues par les
parties (18). D'autre part, elle a indexé la puissance du droit à la preuve sur la "nécessaire et légitime préservation
des droits" substantiels de la partie qui produit la preuve litigieuse. C'est en tenant un tel raisonnement qu'elle a
admis la production en justice de constatations opérées par un huissier de justice qui avait suivi et filmé un assuré
durant deux jours pour établir la preuve d'une fraude à l'assurance (19). La Cour introduisait alors l'idée que le droit
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à la preuve était au service de la "nécessaire et légitime préservation des droits de l'assureur". Même fondé sur un
intérêt purement patrimonial, le droit à la preuve pouvait mettre en échec la vie privée. Dans cette affaire, la Cour de
cassation prenait soin de préciser que l'atteinte à la vie privée était atténuée, car l'assuré avait été suivi uniquement
dans des lieux publics et que les faits relatés dans le constat ne concernaient que ceux en cause dans le litige (la
mobilité et l'autonomie de l'intéressé). En d'autres termes, le caractère intrusif de l'enquête était peu prononcé.
Toutefois, un arrêt récent est venu accentuer le recul de la vie privée face au droit à la preuve. Il s'agissait à nouveau
d'un litige de fraude à l'assurance, dans lequel l'assureur demandait en justice l'annulation du contrat. Il se fondait
sur un rapport d'enquête privé, dont il résultait que des investigations approfondies avaient été réalisées dans la
vie privée du défendeur. En particulier, l'enquêteur avait interrogé l'ex-épouse de l'assuré, le gestionnaire de son
compte bancaire et ses collègues de travail. Les renseignements collectés portaient sur ses habitudes de conduite,
sa situation financière, ses problèmes personnels, ses relations intimes et ses tendances supposées à l'alcool et
au jeu. Face à de telles intrusions, la Cour de cassation possédait enfin une occasion de réaffirmer l'importance du
respect de la vie privée dans la recherche des preuves. Bien au contraire, elle a considéré que l'atteinte à la vie
privée n'était pas disproportionnée au regard du droit de l'assureur d'établir en justice la nullité du contrat (20). Pour
soutenir une telle appréciation, la Haute juridiction a dû préciser que la décision rendue par la cour d'appel ne se
fondait que sur une partie des éléments recueillis par l'enquêteur privé et elle a suggéré que ces éléments étaient
faiblement attentatoires à la vie privée.
Cette évolution marque une nette tendance au recul de la vie privée face au droit de rechercher et de produire des
preuves en justice. Cette tendance peut être relativisée par plusieurs éléments. D'abord, elle est l'œuvre quasiexclusive de la première chambre civile. Ensuite, les arrêts rendus par la Haute juridiction dans ce contentieux sont
souvent très motivés et ils fournissent une appréciation détaillée des faits. Il est ainsi possible de constater dans
chaque espèce que les faits qui ont été retenus par les juges du fond comme support de preuve portent faiblement
atteinte à la vie privée (21). Enfin, ces décisions ne remettent pas en cause la jurisprudence développée par la
Chambre sociale depuis l'arrêt "Nikon" (Cass. soc., 2 octobre 2001, n˚ 99-42.942 N° Lexbase : A1200AWD), qui
protège particulièrement les informations personnelles des salariés. Il n'en reste pas moins que l'usage des droits
de la défense, puis la consécration du droit à la preuve ont conduit à faire pencher la balance en faveur de la
recevabilité des preuves au détriment de la vie privée.
Il faut se garder de conclure à un triomphe généralisé du droit à la preuve en matière civile. La première chambre
vient récemment de juger "que le droit à la preuve découlant de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ne peut faire échec à l'intangibilité du secret professionnel
du notaire, lequel n'en est délié que par la loi" (22). Le chemin vers la vérité demeure semé d'embûches.
3 — Pouvoirs et devoirs du juge
– Le juge de l'exécution est compétent pour statuer sur la demande de modération de la clause pénale
(Cass. civ. 2, 5 juin 2014, n˚ 13-16.053, FS-P+B N° Lexbase : A2981MQH ; cf. l'Encyclopédie "Responsabilité
civile" N° Lexbase : E5843ETL).
Un arrêt rendu le 5 juin 2014 est une occasion de rappeler que le juge de l'exécution, s'il est compétent pour
connaître des litiges relatifs aux titres exécutoires et à l'exécution forcée, possède également une compétence au
fond.
Dans cette affaire, le litige portait sur un contrat de vente immobilière dans lequel était stipulée une date de libération
des lieux, assortie d'une clause pénale. Les lieux ne furent pas libérés dans les temps et le créancier sollicita devant
le juge de l'exécution, différentes saisies destinées au paiement de la clause pénale. A l'occasion de cette procédure,
le débiteur demanda la réduction de la clause pénale et il obtint gain de cause.
La Cour de cassation a confirmé cette analyse en rappelant que l'article L. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire
(N° Lexbase : L4833IRG) donne compétence au juge de l'exécution pour trancher les contestations de fond qui
s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée. Cette compétence lui donne ainsi la possibilité de modérer la clause
pénale en application de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ).
– Le juge a le devoir de statuer sur les dernières conclusions déposées (Cass. com., 11 juin 2014, n˚ 1317.318, F-P+B N° Lexbase : A2129MRB ; cf. l'Encylclopédie "Procédure civile" N° Lexbase : E1609EU7).
Un arrêt rendu le 11 juin 2014 semble s'imposer comme une évidence, mais il rappelle en réalité une jurisprudence
constante issue du mécanisme des conclusions récapitulatives. Le litige concernait le paiement de créances cédées.
Le créancier avait déposé un premier jeu de conclusions précisant un certain montant, mais il avait régulièrement
déposé un second jeu de conclusions développant une argumentation complémentaire ainsi qu'une augmentation
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des sommes réclamées au débiteur. Pourtant, les juges du fond n'avaient pas tenu compte de ce dernier jeu de
conclusions pour rendre leur décision.
La décision est cassée au visa de l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0386IGE). Ce
texte prévoit de façon générale que "les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que
sur les prétentions énoncées au dispositif". La Cour en déduit que le juge doit statuer sur les dernières conclusions
déposées. Cette solution n'est pas nouvelle. Elle avait été posée par la première chambre civile (23) et reprise
par la Chambre mixte (24). La Cour avait d'ailleurs précisé dans cet arrêt que le juge "ne peut statuer que sur les
dernières conclusions déposées". La Chambre commerciale s'aligne sur cette interprétation de l'article 954, alinéa
2, du Code de procédure civile, qui montre que les conclusions récapitulatives s'imposent tant aux parties qu'au
juge.
(1) Voir nos obs. in Chronique de procédure civile, Lexbase Hebdo n˚ 548 du 21 novembre 2013 — édition privée
(N° Lexbase : N9423BT8).
(2) Cf. notre article intitulé La Justice du XXIme siècle : rapports, débats et réformes à venir, Lexbase Hebdo édition
privée n˚ 560 du 27 février 2014 — édition privée (N° Lexbase : N0942BUG).
(3) Ces actions sont présentées sur le site du ministère de la Justice
(4) Synthèse des contributions des juridictions.
(5) Bobigny, Brest, Dunkerque, Privas, Saint-Denis de la Réunion.
(6) Il apparaissait déjà en 2009 dans le budget de l'action informatique du ministère de la Justice.
(7) Sur tous ces aspects, voir l'article éclairant de S. Amrani-Mekki, Les métamorphoses de l'appel, Gaz Pal, 31
juillet 2014, n˚s 211 à 212, p. 30.
(8) Cf. nos obs. in Chronique de procédure civile, Lexbase Hebdo n˚ 506 du 22 novembre 2012 — édition privée
(N° Lexbase : N4534BT4), à propos du droit à la preuve, et pour un aperçu général, Les nouveaux territoires du
droit de la preuve, Lexbase Hebdo n˚ 581 du 4 septembre 2014 — édition privée (N° Lexbase : N3464BUT).
(9) Cass. soc., 2 octobre 2001, n˚ 99-42.942 (N° Lexbase : A1200AWD).
(10) Cass. soc., 26 novembre 2002, n˚ 00-42.401 (N° Lexbase : A0745A4D).
(11) Cass. civ. 2, 3 juin 2004, n˚ 02-19.886, FS-P+B (N° Lexbase : A5489EI7).
(12) Par ex. Cass. civ. 1, 12 décembre 2000, n˚ 98-17.521 (N° Lexbase : A2436CHP), Bull. civ. I, n˚ 322.
(13) Consacré par cette même chambre depuis un arrêt du 5 avril 2012, cf. notre chronique précitée, Lexbase
Hebdo n˚ 506 du 22 novembre 2012 — édition privée.
(14) Cass. soc., 26 novembre 2002, n˚ 00-42.401 (N° Lexbase : A0745A4D).
(15) Cass. civ. 2, 3 juin 2004, n˚ 02-19.886, FS-P+B (N° Lexbase : A5489EI7).
(16) Cass. com. 15 mai 2007, n˚ 06-10.606, F-P+B (N° Lexbase : A2532DWP).
(17) Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n˚ 07-15.778, FS-P+B (N° Lexbase : A8028EAL).
(18) Cass. civ. 1, 5 avril 2012 n˚ 11-14.177, F-P+B+I (N° Lexbase : A1166IIZ).
(19) Cass civ. 1, 31 octobre 2012, n˚ 11-17.476, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3196IWB).
(20) Cass. civ. 1, 5 février 2014, n˚ 12-20.206, FS-D (N° Lexbase : A9221MDU).
(21) Même si l'opération probatoire prise globalement a été beaucoup plus intrusive.
(22) Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n˚ 12-21.244, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6787MP3).
(23) Cass. civ. 1, 27 février 2007, n˚ 04-13.897, FS-P+B (N° Lexbase : A4074DUG).
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(24) Cass. mixte, 6 avril 2007, n˚ 05-16.375, P+B+R+I (N° Lexbase : A9500DUE).
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