Roman Ondák à Madrid : Une excroissance invisible du monde
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Roman Ondák à Madrid : Une excroissance invisible du monde
Votre abonnement annuel pour €/mois 19 pendant 12 mois NUMÉRO 515 / MARDI 7 JANVIER 2014 / WWW.LEQUOTIDIENDELART.COM / 2 euros Roman Ondák à Madrid : Une excroissance invisible du monde L’EXPOSITION DU JOUR LE DIVISIONNISME POINT PAR POINT À LA FONDATION PIERRE ARNAUD PAR CÉDRIC AURELLE L’idéal de transparence qui traverse l’architecture UIF!BSU!EBJMZ!!!!!OFXT du XXe siècle trouve dans les pavillons de verre ses figures tutélaires dont l’un des plus beaux exemples est celui du Parc du Retiro à Madrid, aujourd’hui annexe bucolique du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía. C’est dans ce Palacio de Cristal tout d’acier ciselé et de verre que l’artiste slovaque Roman Ondák a été invité par le musée à réaliser un projet in situ. FIERTÉ DU PATRIMOINE MADRILÈNE, l’édifice a perdu sa vocation de serre tropicale pour devenir un espace de convivialité très prisé de la bourgeoisie locale friande de promenades, aussi bien que des touristes curieux des habitus de celle-ci ainsi que de ses décors. L’observation de la socialité végétative des plantes y a ainsi laissé place au spectacle de la comédie humaine dont elle devient une nouvelle scène. « Escena » : c’est justement le titre que donne Roman Ondák à son projet, lequel peut donner au visiteur sortant du Prado voisin une étrange impression de rendez-vous manqué. Entouré d’arbres centenaires, le pavillon y rayonne dans l’éclat du soleil de l’hiver ibérique, les jeux d’eau du lac voisin se reflétant dans ses panneaux de verre et les arbres environnants se retrouvant, selon les points de vue, à l’intérieur même de l’édifice… Mais d’art, point de trace autre que celle d’une nature domptée et d’une architecture sophistiquée, apparemment. L’artiste a-t-il simplement programmé une performance que l’on aurait ratée, comme c’est devenu aujourd’hui tellement convenu ? Ou bien l’exposition est-elle tout bonnement déjà terminée et démontée ? L’observateur aguerri aux codes de l’art contemporain réfutera ces hypothèses trop simples et se raccrochera à l’énorme rampe d’accès, monstrueux avatar de tous les dispositifs d’accessibilité conformes aux normes actuelles : n’est-ce pas cela, la « Escena » ? Hé bien non, il faudra refaire un tour du bâtiment, SUITE PAGE 2 LIRE PAGE 5 SOMMAIRE PARIS_ page 4 FEU VERT POUR L’ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE SUR LE QUAI BRANLY * NICE_ page 7 LA VILLA ARSON SE MET AU SPORT EXPOSITION FONDATION PIERRE ARNAUD PAGE 05 LE QUOTIDIEN DE L’ART / NUMÉRO 515 / MARDI 7 JANVIER 2014 Le Divisionnisme point par point à la fondation Pierre Arnaud PAR ALEXANDRE CROCHET L’exposition inaugurale de la nouvelle fondation Pierre Arnaud (lire Le Quotidien de l’Art du 23 décembre), qui a ouvert ses portes au public fin décembre à Lens (Suisse), revient sur l’aventure du divisionnisme européen. Si ce mouvement né autour de 1880, lancé par Georges Seurat et poursuivi par son théoricien, Paul Signac, est bien connu, l’accrochage vaut d’abord par son ampleur géographique. Rares en effet ont été les présentations offrant un aperçu simultané de la production à la fois française et belge, italienne et suisse, grâce ici à de nombreux prêts privés et d’institutions internationales. Non chronologique, l’accrochage sur deux niveaux privilégie la technique picturale en rapprochant les pratiques. « Cette stratégie, précise dans le catalogue le directeur scientifique du centre, Christophe Flubacher, ne contredit pas obligatoirement l’histoire et la géographie du divisionnisme ». Les habitués des grands musées risquent d’être déroutés par le parti pris de l’exposition : laisser les œuvres parler d’ellesmêmes, sans panneaux explicatifs. Sur deux niveaux ouverts, une centaine de toiles sont réparties sur des cimaises amovibles ménageant des points de fuite et suggérant au regard des directions, des confrontations et des rebonds d’une peinture à l’autre, dans une grande COMMISSAIRE : Christophe liberté de déambulation. Flubacher, directeur scientifique Pour le scénographe, Adrien Gardère, qui a notamment réalisé la muséographie du Louvre-Lens, il s’agit avant tout d’éviter au visiteur de raser les murs d’une salle l’un après l’autre, et de casser les habitudes du spectateur. Si ce point est réussi, il aurait sans doute été pertinent de jalonner l’exposition de repères tels que dates clés, informations sur les sous-courants ou pays... L’éclairage aussi sera à ajuster. Malgré ces (petits) bémols, le choix des œuvres se révèle judicieux et emblématique des différentes orientations, du point à la tache, dernière étape dont témoigne Jeune fille nue aux ombres de branches d’Ernst Ludwig Kirchner. Français et Belges sont d’abord réunis autour de Georges Seurat, Camille Pissarro, Paul Signac, Maximilien Luce et Théo van Rysselberghe. (Re)découverte de l’exposition, le Suisse Alexandre Perrier, proche du pointillisme d’un Seurat, les accompagne avec ses délicates vues du lac Léman. Dévolue à la Suisse et à l’Italie, la seconde partie du parcours met en avant des artistes souvent moins connus tels que Giuseppe Pellizza et Emilio Longoni pour l’Italie, auxquels s’ajoutent des œuvres « préfuturistes » de Giacomo Balla et Umberto Boccioni. Côté suisse, les productions de Cuno Amiet, Gottardo Segantini ou Giovanni Giacometti se détachent, tandis que la touche se fait moins systématiquement pointilliste. À travers des thèmes Georges Seurat, L’Hospice et le phare de Honfleur, 1886, huile sur panneau, 15,8 x 25 cm. Moscou, Collection Inna Bazhenova. © Solin Nikolai. souvent intimistes, religieux ou méditatifs chez les Suisses et les Italiens, le vibrato de la couleur reflète à merveille les oscillations de l’âme. L’exposition réussit in fine son pari : replacer la sensibilité régionale – suisse - dans l’universalité de la grande histoire de l’art. COULEUR MAÎTRISÉE, COULEUR ÉCLATÉE, jusqu’au 22 avril, Fondation Pierre Arnaud, 1, route de Crans, Lens, Suisse, tél. +41 27 483 46 10, www.fondationpierrearnaud.ch Un centre d’art au pied des pistes À l’origine, ce projet imaginait d’autres implantations géographiques que la ville de Lens, notamment Martigny, qui abrite déjà la Fondation Gianadda. Les deux fondations auraient ainsi pu y former un pôle d’art renforcé. Mais Léonard Gianadda n’a sans doute pas vu d’un très bon œil cette arrivée. Si bien que la Fondation Pierre Arnaud a finalement vu le jour à quelques kilomètres de la station de Crans-Montana (lire page 6). Le bâtiment a été achevé en 2013, en mémoire du collectionneur et homme d’affaires Pierre Arnaud (1922-1996), Provençal établi dans la région. Sobres et contemporaines, ses lignes s’insèrent dans le panorama grandiose des sommets alpins, reflétés par la façade – translucide - en miroir constituée de cellules photovoltaïques. Elle est pourvue d’un restaurant gastronomique, et accueillera deux expositions annuelles, la suivante sera consacrée cet été au Surréalisme et aux arts extra-occidentaux. ENTRETIEN FONDATION PIERRE ARNAUD PAGE 06 LE QUOTIDIEN DE L’ART / NUMÉRO 515 / MARDI 7 JANVIER 2014 « Faire dialoguer le régional et l’universel » DANIEL SALZMANN, PRÉSIDENT DE L A FONDATION PIERRE ARNAUD La Fondation d’art Pierre Arnaud a ouvert fin décembre au public à Lens, une chance pour ce petit village du Valais suisse. Retour avec son président sur ce projet et ses enjeux. A. C. Pourquoi avoir choisi ce lieu à l’écart des grandes villes d’art et des flux de visiteurs pour installer la Fondation Pierre Arnaud ? D. S. D’autres lieux ont été envisagés, avant de comprendre que la proximité d’une station comme Crans-Montana - 50 000 personnes y viennent en pleine saison hivernale, des gens disponibles, avec du temps - était une opportunité. Les stations de montagne ne peuvent plus vivre que du ski, avec seulement un mois et demi de saison pleine par an. Autrefois, l’hôtellerie de montagne était familiale et vivait très bien avec trois mois de remplissage. Mais nous sommes passés à une hôtellerie professionnelle avec des investissements importants. Le modèle économique habituel ne peut plus fonctionner. Les stations doivent avoir d’autres propositions, notamment artistiques. A. C. Comment est né ce projet ? D. S. Il part d’abord de l’art. J’avais coédité il y a quelque temps un livre de Christophe Flubacher [directeur scientifique de la fondation, n.d.l.r.] sur les peintres en Valais. Entre 1850 et 1950, ils furent nombreux à venir peindre dans les Alpes, à commencer par Turner. Mon beau-père, Pierre Arnaud, avait commencé une collection de ces peintres que je regardais d’un œil un peu narquois, les jugeant régionalistes. Avant de réaliser que de la même manière que Gauguin avait peint des Bretonnes, on pouvait y trouver une dimension régionale mais aussi une inscription dans les grands courants de la peinture, ces artistes ayant fait des études ou des séjours dans les grandes capitales. Il fallait mettre ces artistes en avant. A. C. Comment vous positionnez-vous justement face à des fondations comme la Fondation Pierre Gianadda ? D. S. Le public valaisan a été formé à l’art par Léonard Gianadda à travers sa fondation, ce qui est remarquable. Auparavant, personne ne connaissait la ville de Martigny, maintenant on voit ses affiches partout. C’est l’un des premiers à gérer le marketing de son centre d’expositions de façon professionnelle et dynamique. Sur un plan touristique, le fait d’avoir deux centres d’art à 45 kilomètres de distance est un plus, qui renforce le pôle culturel. A. C. La fondation a-t-elle une collection ? D. S. Sylvie, mon épouse, et moi-même avons poursuivi et enrichi la collection de Pierre Arnaud. Cinq de ces œuvres figurent dans l’exposition actuelle sur le divisionnisme. Mais elle n’est pas attribuée à la fondation. Une collection permanente prend de la place et quand les gens sont venus Fondation Pierre Arnaud. © François Bertin 2013. une fois, ils ne reviennent pas toujours. Nous avons opté pour des expositions faisant dialoguer identité régionale et universelle, et, l’été, civilisations occidentales et extraoccidentales, à une époque où le monde devient sans limite, et où l’on voit beaucoup de populations revenir à une identité régionale. A. C. Comptez-vous aborder la période contemporaine ? D. S. Je suis passionné par l’histoire de l’art allant de 1850 à 1950, cœur de la programmation du centre d’art. J’ai besoin de recul. Je suis moins à l’aise après 1960. J’achète personnellement des pièces postérieures, mais je ne me sens pas la légitimité pour dire que telle œuvre est importante. Sans parler de l’aspect spéculatif de l’art contemporain. Ceci dit, nous intégrerons de l’art contemporain dans la troisième exposition d’été sur le corps peint. Cela dépendra de la thématique. A. C. L’exposition s’appuie notamment sur les très riches collections suisses des environs. Quelle est votre stratégie vis-à-vis des propriétaires d’œuvres face aux autres institutions suisses ? D. S. Nos prêts sont diversifiés : grands musées et collections suisses, mais aussi musées français, allemands, italiens, anglais. L’avantage de notre concept - pas d’exposition monographique -, c’est que nous n’avons pas besoin d’une très grande représentation de chaque artiste. Si une toile n’est pas accessible, nous pouvons facilement en trouver une autre sans que ce soit un problème majeur. Cäsar Menz, ancien directeur des musées d’art et d’histoire de Genève, nous a ouvert bien des portes ; Christophe Flubacher a fait un travail scientifique remarquable entre autres pour le catalogue. Obtenir les prêts a été un travail de bénédictin, et une gageure sachant que le centre d’art n’avait pas encore vu le jour… PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE CROCHET