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NOUVELLES TENDANCES
DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
INTERNATIONAL ARBITRATION: NEW TRENDS
TABLE RONDE AVEC
Jean-Georges BETTO *, Jason FRY **, Marc HENRY ***, Elie KLEIMAN ****
et Philippe PINSOLLE *****
Après vingt années de foisonnement doctrinal et législatif
attestant de la pénétration dans la vie des affaires internationales de l’arbitrage, notre Revue a réuni son Groupe de
politique rédactionnelle consacré à la matière – dont les
membres appartiennent à la nouvelle génération de praticiens – pour ébaucher les futures tendances de l’arbitrage
international.
After twenty years of profuse legislative and academic works showing how deep arbitration has penetrated the international world business community,
this Journal has asked the members of its editorial
board on international arbitration who belong to the
new generation of practitioners, to elaborate on what
could be the new trends in international arbitration.
Philippe Pinsolle présente les enjeux que fait naître l’utilisation des nouvelles technologies dans l’arbitrage (1). Jason
Fry analyse le recours croissant aux mesures provisoires
dans les procédures arbitrales (2). Elie Kleiman dresse le
constat de l’exigence de plus de transparence dans l’arbitrage (3). Jean-Georges Betto s’interroge sur la nécessité de
renforcer l’autorité de l’arbitre pour rendre l’arbitrage plus
efficace (4).
Philippe Pinsolle addresses the pros and cons of the
use of new technologies in international arbitration (1). Jason Fry analyses the growing tendency to
use provisional measures in arbitral proceedings (2).
Elie Kleiman shows the demands for more transparency in arbitration (3). Jean-Georges Betto wonders
whether arbitrators’ powers should be reinforced to
render arbitration more efficient (4).
1. L’utilisation des nouvelles technologies
dans l’arbitrage
1. Using New Technologies in International
Arbitration
L’utilisation des nouvelles technologies dans l’arbitrage
international soulève, si l’on exclut les questions de sécurité, deux types de problèmes. Le premier type de problème
est lié à l’opportunité de l’utilisation de ces techniques qui
Excluding security questions, the use of new technologies in international arbitration presents two sets of
challenges. The first of these arises from the need to
balance the efficiencies offered by new technologies
*
**
***
****
*****
Avocat au Barreau de Paris, Derains et Associés.
Avocat au Barreau de Paris, Clifford Chance.
Avocat au Barreau de Paris, Lovells.
Avocat au Barreau de Paris, Freshfield.
Avocat au Barreau de Paris, Shearman & Sterling.
RDAI / IBLJ, N° 3, 2006
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NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
with their potential to add complexity. The second is
more abstract and concerns respect for the equality
of parties within the adversarial process.
nécessite d’apprécier l’avantage retiré par rapport aux complications qu’elles imposent. Le deuxième type de problème
est plus technique, et est lié aux exigences du respect du
contradictoire et de l’égalité des parties.
New technologies allow the electronic storage of
documents, which saves space, and offer new visual
aids for use in oral pleadings and witness examination. The use of electronic documents is unproblematic, provided that all parties have the technology
to store, manage and access them. When many
documents are involved, this entails the ownership
of specialized software. It is essential that the arbitrators have the technical skills to access the documents in a database as well as the parties. When
these conditions are met, significant space can be
saved by using electronic documents. In large matters
involving many documents, the use of a laptop and
CD-ROM in place of boxes full of bound documents
enhances the comfort and mobility of arbitrators and
counsel. Electronic documents are, however, no
panacea. Many arbitrators and counsel consider that
reading from a screen is not an adequate replacement for reading the physical exhibits. It will be some
years before paperless arbitration can be considered
standard.
Les nouvelles technologies peuvent être utilisées, d’une
part, pour stocker les documents sous forme numérique,
ce qui permet un gain de place considérable et, d’autre
part, comme soutien visuel à la plaidoirie ou, le cas échéant,
aux interrogations des témoins. Le premier aspect ne pose
en général aucune difficulté pour ce qui concerne l’opportunité d’y recourir. Il suppose que toutes les parties soient
dotées des capacités technologiques suffisantes pour stocker et gérer des documents importants. En pratique, il
convient de disposer d’un logiciel approprié pour gérer cette
base documentaire numérique. La gestion numérique des
documents dans un arbitrage suppose également que les
arbitres soient dotés des mêmes capacités. Lorsque ces
conditions sont réunies, ce système permet de gagner un
espace considérable. En particulier, dans les dossiers très
lourds en fait, dans lesquels les documents sont très nombreux, il est beaucoup plus confortable pour les arbitres et
les conseils de se déplacer avec un simple ordinateur
portable et un CDRom plutôt qu’avec des caisses de classeurs de documents. Il ne faut toutefois pas penser que le
stockage numérique des documents constitue la panacée.
Beaucoup d’arbitres et de conseils estiment que la lecture
sur l’écran ne remplace pas la lecture des pièces, et il se
passera sans doute encore quelques années avant qu’un
arbitrage sans papier puisse être considéré comme la norme.
The use of technology as an aid in oral pleadings
raises a different concern. New technology facilitates
the rapid display of large volumes of complex information. But it is necessary to balance the volume
and complexity of information communicated with the
arbitrators’ capacity to absorb that information. Visual
presentation software, such as Powerpoint or Trial
Director, enables counsel to scroll through exhibits,
highlight key quotations, and articulate a series of
elements by referring to the supporting evidence.
The development this offers on conventional visual
presentation techniques is the ability to present information more quickly and densely. But arbitrators are
not always as ready to absorb information presented
Toujours du point de vue de l’opportunité, l’utilisation de la
technologie comme soutien à la plaidoirie pose pour sa part
un problème différent. C’est à l’évidence un outil très puissant pour communiquer une information complexe en peu
de temps et de manière très efficace visuellement. La difficulté réside dans l’équilibre qu’il convient de trouver entre la
quantité d’informations qui peut ainsi être communiquée
aux arbitres dans un temps limité et la capacité d’absorption
de cette information de ces mêmes arbitres. L’utilisation de
logiciels de présentation visuelle, type powerpoint ou trial
director, permet en effet de faire défiler de nombreuses
pièces sous les yeux des arbitres, de zoomer sur certains
passages, d’articuler entre eux une suite d’événements en
faisant apparaître les preuves correspondantes. Le changement principal par rapport aux techniques traditionnelles est
la rapidité et la densité de l’information ainsi communiquée.
Malheureusement, les arbitres ne sont pas toujours aussi
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NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
prêts que les conseils ne l’imaginent à absorber une telle
quantité d’informations. En d’autres termes, le mieux est
l’ennemi du bien dans l’utilisation de ces technologies et il
faut se méfier de trop vouloir bien faire. Elle permet à l’avocat plaidant de suivre une présentation qui s’articule d’ellemême et contribue à une plaidoirie plus détendue. La
difficulté est que ce type de plaidoirie est très linéaire et ne
permet pas à l’avocat de s’adapter aux questions éventuelles ou aux incidents d’audience. Sous ces réserves, il
est clair que, bien utilisé, un logiciel de présentation visuelle
constitue une aide particulièrement utile à la plaidoirie. C’est
pourquoi ce système tend à se répandre aujourd’hui et
constitue indiscutablement un progrès, tant du point de vue
de l’arbitre que de celui du conseil.
in this way as counsel may imagine. In this sense,
‘the better is the enemy of the good’ to the extent
that counsel risk allowing technologically impressive
visual aids to detract from the effectiveness of their
oral pleadings. A relaxed and self-contained oral
pleading is preferable to a pleading dominated by
visual aids. Pleadings dominated by visual aids tend
to be very linear and this inhibits the ability of the
advocate to address questions or adapt to problems
as they may arise during a hearing. Provided that
advocates apply visual presentation software in a
thoughtful and measured way, it is a helpful aid in
oral pleadings. The widespread use of this software
is evidence of its popularity amongst arbitrators as
well as counsel.
Le fait que ces systèmes de présentation soient de plus en
plus répandus pose néanmoins un problème plus technique
du respect du contradictoire et de l’égalité des parties. De
ce point de vue existent deux préoccupations différentes
dont l’une seulement, à notre sens, peut constituer une
réelle difficulté. La réelle difficulté est de s’assurer que les
parties ont été prévenues à temps de l’utilisation de ces
technologies et qu’elles ne seront pas surprises le jour de
l’audience par une présentation qui contient un certain
nombre de « demonstrative exhibits », pour reprendre le
terme anglais, qui ne sont en réalité qu’une présentation
visuelle d’un argument sous forme animée. Il ne s’agit pas
cependant de forcer les parties à dévoiler leur présentation
à l’avance. Ce type de présentation visuelle des arguments
pourrait aussi bien être dessiné au tableau selon une
méthode traditionnelle, ce qui ne pose en général aucune
difficulté. Il s’agit en revanche de s’assurer que les parties
et les arbitres ont été informés que ces technologies pourront, ou seront utilisées, afin d’éviter l’hypothèse d’une partie
qui aurait pu préparer elle-même une telle présentation
mais qui se serait abstenue de le faire à l’idée que l’autre
ne le ferait pas non plus. C’est en ce sens qu’un tribunal
arbitral doit faire respecter le principe du contradictoire et
de l’égalité des parties.
There are circumstances in which the use of visual
presentation software may threaten the equality of
the parties within the adversarial process. Two
concerns have been raised, but only one of them
has merit. This concern is that of ensuring that parties have appropriate notice of the use of a visual
presentation so that they are not surprised on the
day of the hearing by a presentation containing
‘demonstrative exhibits’ that are no more than animations setting out an argument. There is no need
for advance disclosure of the content of the presentation. After all, an argument may be set out visually
on a board during the presentation in the traditional
way without controversy. What is required is for arbitrators and the parties to be informed in advance
that visual presentation software may be used. This
avoids the possibility that a party that may have
benefited from the use of a visual presentation
decides to abstain from presenting one in the expectation that the other party will not be doing so. Such
a situation would be inconsistent with the equality of
the parties within the adversarial process.
En revanche, il ne nous paraît pas légitime d’interdire l’utilisation des nouvelles technologies à une partie au motif que
l’autre, pour des raisons plus ou moins fondées, ne disposerait pas de la faculté de le faire. Il est parfois affirmé
qu’au nom de l’égalité des armes, si une partie n’a pas les
moyens financiers ou ne souhaite pas utiliser les nouvelles
technologies, l’autre ne devrait pas les utiliser non plus.
Cette idée paraît fondamentalement erronée. Elle consiste
It would, however, be illegitimate to limit the use of
new technologies on the ground that another party to
the proceeding lacks access to the same technology. It is sometimes argued that if a party lacks the
will or the financial means to use new technologies
the other party should be prevented from using them
in the name of equality of arms. This argument is
fundamentally wrong. It seeks to constrain the per-
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NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
formance of counsel to the standard of the least
technologically sophisticated party. The level of
resources a party devotes to an action is a private
matter for that party. It is inconsistent with the equality of the parties within the adversarial process for
one party to be given a right to impose its decision
about the level of resources it devotes to a dispute
on the other party. Equality of the parties within the
adversarial process does not require that the
resources devoted by the parties be identical. Rather,
it requires that the parties have an equal opportunity
to employ such resources as they may choose.
à aligner la performance des conseils sur celle qui est la
moins évoluée technologiquement. Si une partie ne peut
pas ou ne souhaite pas consacrer des moyens importants à
sa défense, c’est avant tout le problème de cette partie. En
revanche, on ne peut pas interdire de le faire à une autre
partie qui souhaite consacrer des moyens importants à sa
défense, pour autant que le contradictoire et l’égalité des
parties soient respectés, c’est-à-dire la possibilité pour chacune des parties d’être traitée de la même manière, et non
pas le fait que les deux parties plaident de la même manière.
In other words, to argue that a party should be prevented from using new technologies because another party does not have access to them or chooses
not to use them is to misunderstand the concept of
the equality of the parties within the adversarial process. Respect for the equality of the parties is premised on each being at liberty to present its arguments
and does not require that the parties use that liberty
in any particular way.
En d’autres termes, la conception qui consiste à interdire à
une partie l’usage des nouvelles technologies au motif que
l’autre n’en disposerait pas, relève d’une mauvaise compréhension de la notion d’égalité des parties. Le respect de
l’égalité des parties suppose de donner la même liberté aux
deux parties pour présenter leurs arguments, pas que ces
deux parties fassent nécessairement usage de la liberté qui
leur est ainsi offerte.
2. The Use of Interim Measures
in Arbitral Proceedings
2. L’utilisation des mesures provisoires
dans les procédures arbitrales
“ To delay justice is to deny justice ” (“ Une justice différée est une justice déniée ”). The truth of this statement is undoubtedly borne out when there is a
serious threat or real urgency affecting an existing
dispute and which requires a decision to be taken
rapidly, failing which a future decision on the merits
may be stripped of any effect. This is where interim
relief plays such an important role and it explains the
growing use of interim measures in arbitration proceedings, which have become increasingly lengthy
and complex. Interim relief satisfies the need for a
rapid solution, which should be the very foundation
of arbitration itself. Simply defined, interim measures
are taken “ in order to resolve an urgent situation on
a temporary basis pending the final decision ”. Most
often used to maintain the status quo, they are intended, in practice, to protect a right or property, or
more generally to prevent imminent loss.
« Une justice différée est une justice déniée » 1. Ce postulat
est sans doute vérifié lorsque pèse sur un litige déjà existant,
une menace sérieuse, voire une réelle urgence, qui requiert
le prononcé d’une décision rapide, sous peine de faire
perdre toute son efficacité au jugement à venir. C’est alors
que se manifeste toute l’importance des mesures provisoires et que s’explique leur utilisation croissante dans les
procédures arbitrales, devenues plus longues et plus complexes. En effet, les mesures provisoires répondent particulièrement au souci de rapidité, fondement même de la
justice arbitrale. Définies de façon elliptique, les mesures
provisoires constituent des mesures prises « afin de régler
momentanément une situation urgente en attendant une
décision définitive » 2. Visant le plus souvent à maintenir le
statu quo ante, elles sont en pratique destinées à la sauvegarde d’un droit ou d’une chose ou, plus généralement, à
prévenir un dommage imminent.
Today it is undisputed that the arbitral tribunal has
jurisdiction to pronounce such measures. Such jurisdiction is all the more significant since it affects the
concurrent jurisdiction of the national courts. In certain cases, the arbitrator may decide upon relief
which is contrary to that already granted by a natio-
La compétence du tribunal arbitral afin de prononcer des
mesures provisoires est aujourd’hui incontestée 3. Cette
compétence est d’autant plus importante qu’elle n’est pas
sans affecter celle, concurrente, de la juridiction étatique.
En effet, dans certains cas, l’arbitre peut prendre une mesure
contraire à celle déjà ordonnée par un juge national 4 ;
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NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
plus encore, le tribunal arbitral se reconnaît désormais la
possibilité de prendre une mesure provisoire visant à interdire à la partie qui a saisi le juge national de poursuivre son
action 5. Certains auteurs considèrent même qu’il s’agirait là
d’un pouvoir « inhérent » 6 à la fonction de l’arbitre.
nal judge; and, what is more, the arbitral tribunal
now recognises the possibility of granting interim
relief to prevent a party which has issued proceedings before national courts from continuing with
such proceedings. Certain authors even think that
this is an “ inherent ” power of an arbitrator.
L’autorité dissuasive des mesures provisoires se manifeste
lorsqu’elles sont employées comme un moyen de contrainte ;
ordonnées en faveur de la partie qui le requiert, elles peuvent indiquer à l’autre l’issue probable du litige. Dès lors,
plutôt que de poursuivre une « cause perdante » matérialisée par une perte de temps et d’argent, l’autre partie serait
plus encline à accepter certaines concessions, à transiger.
Les mesures provisoires seraient alors un moyen utile,
moins coûteux que la procédure au fond, mais tout aussi
satisfaisant en termes de résolution de litige. A terme, les
mesures provisoires peuvent rendre inutiles de nombreux
arbitrages au fond.
The dissuasive nature of interim relief can be seen
when it is used as a means of constraint; when relief
is granted to the applicant, it can indicate to the
other party the probable outcome of the arbitration.
Consequently, rather than continue to pursue a “ lost
cause ”, which in practical terms may waste time and
money, the other party may be more inclined to
accept certain concessions, or to settle. Interim measures are therefore a useful means of resolving disputes, at less cost than proceedings on the merits.
Ultimately, the granting of interim relief can render
nugatory many arbitrations on the merits.
Néanmoins, rompant avec cet objectif soi-disant « simpliste »,
une demande de mesures provisoires peut parfois être
introduite dans le but de déstabiliser la partie adverse, voire
même, indirectement, de saboter l’arbitrage. Dans cette
hypothèse, la demande de mesures provisoires est destinée
à distraire les arbitres ainsi que l’autre partie de la demande
principale. Non sans paradoxe, les mesures provisoires
peuvent ainsi devenir un moyen dilatoire mis à la disposition
d’une partie très peu soucieuse de rapidité.
Leaving aside such a “ simplistic ” objective, an application for interim relief can, however, sometimes be
made in order to destabilise the other party, or even,
indirectly, to sabotage the arbitration. In such a case,
an application for interim relief may distract the arbitral tribunal and the other party from the principal
claim. Paradoxically, interim relief can thus become
a delaying tactic used by a party that has little interest in a rapid outcome of the proceedings.
Cette utilisation pernicieuse des mesures provisoires ne
peut pas aller sans limites.
Such improper use of interim measures cannot be
allowed to operate without limitations.
En effet, pour conserver toute son efficacité, le prononcé
d’une mesure provisoire doit être confiné dans de sages
limites. Il appartient ainsi à l’arbitre, conformément à son
autorité 7, d’évaluer l’opportunité du prononcé d’une telle
mesure et de prévenir les demandes abusives de mesures
provisoires.
In order to be fully effective, the use of interim measures must be kept within sensible limitations. It is
thus the duty of the arbitrator, in exercising his
powers, to assess whether such relief should be
granted and to deny improper applications.
Cependant, les critères usuels retenus par un tribunal arbitral pour apprécier la légitimité de l’octroi de telles mesures
demeurent incertains. Face au silence de certains règlements d’arbitrage à l’instar de celui de la CCI et même de la
Loi type CNUDCI sur l’arbitrage commercial international au
sujet des conditions requises pour l’octroi de mesures provisoires, il est possible de constater l’existence, dans la
pratique arbitrale, de certaines exigences, notamment : les
chances de succès au fond (prima facie case) 8, l’existence
d’un dommage irréparable, l’admissibilité de la mesure
However, the standard criteria applied by arbitral tribunals to assess whether such relief should be granted remain unclear. Despite the silence of certain
arbitration rules, including those of the ICC and even
the UNCITRAL Model Law on international commercial arbitration on the conditions required for the
granting of interim relief, it can be seen in practice
that arbitral tribunals require certain elements to be
proved, in particular: a prima facie case, risk of irreparable harm, the availability of the relief sought, an
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NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
assessment of the risk that the decision on the merits
would be predetermined by granting the measure
and finally the provision of security. However, should
the absence of one of these conditions necessarily
result in a refusal to grant the interim relief sought? It
seems unclear. The lack of pre-existing criteria does
provide parties with more freedom and arbitrators
with greater flexibility but, on the other hand, determination of such criteria would result in greater transparency and reduce the risk of an abuse of process.
demandée, la prévention de tout risque de préjugé sur le
fond, enfin l’existence de sûretés 9. Cependant, le défaut de
l’une de ces conditions emporterait-il nécessairement refus
de la mesure provisoire ? A ce propos, une hésitation est
permise. Cette absence de critères préexistants est certes
heureuse dans la mesure où elle assure une liberté aux
parties et une flexibilité pour les arbitres. Toujours est-il que
la détermination des critères aurait permis, fut-ce au prix
d’une certaine contrainte, plus de transparence et surtout
moins d’abus.
Should compliance with fundamental principles of
justice, in particular the right of both parties to be
heard (audi alteram partem) impose other restrictions on the granting of interim relief, or, has arbitration, as a means of conflict resolution, attained a
sufficient degree of “ maturity ” for such considerations, albeit fundamental, to be put aside in the interests of speed and effectiveness which should lie at
the heart of arbitration? In this regard, reform of the
UNCITRAL Model Law on interim relief and measures
of protection in international arbitration has given rise
to much debate, in particular the power of arbitrators
to grant certain forms of interim relief on an ex parte
basis. Is it not essential for parties to be allowed to
defend themselves during proceedings which, in reality, may well turn out to be final? If the right to grant
interim relief on an ex parte basis is adopted by
national systems of law, is the image of international
arbitration not in danger of being damaged for ever?
The “ War ” may be won or lost before the “ battle ”
has even started.
Par ailleurs, le respect des principes fondamentaux du procès, notamment le principe du contradictoire (audi alteram
partem) devrait imposer d’autres limites aux mesures provisoires. Néanmoins, l’arbitrage, comme moyen de résolution
des conflits, a-t-il atteint un degré de « maturité » suffisant
pour que ces considérations, pourtant si fondamentales,
puissent être dépassées au nom des impératifs de rapidité
et d’efficacité propres à l’arbitrage ? Il n’est nul besoin de
rappeler que la réforme de l’article 17 de la Loi type de la
CNUDCI relatif aux mesures provisoires et conservatoires
dans l’arbitrage international 10 a donné lieu à de nombreuses controverses, en particulier sur le pouvoir des
arbitres d’ordonner certaines mesures provisoires ex
parte 11. N’est-il pas cependant impérieux de permettre aux
parties de se défendre lors d’une procédure qui, en fait,
risque d’être la dernière ? Si cette possibilité d’octroi de
mesure ex parte est reconnue par les droits nationaux,
l’image de l’arbitrage international risque d’être entamée
à jamais ; « les guerres » arbitrales seraient perdues ou
gagnées d’avance : autrement dit, avant même que la
« bataille » n’ait commencé.
Despite the success of interim measures, it is not yet
clearly established whether orders granting such
measures are enforceable; the New York Convention and other national systems of law do not provide
for the right to enforce an “ order ” made by the arbitrator, and such right may therefore prove to be
illusory, if the parties refuse to submit to it on a
voluntary basis. In this regard, one of the most important contributions made by the UNCITRAL Working
Group to reform the UNCITRAL Model Law on international commercial arbitration is the provision for
the enforcement of interim measures by the Courts.
If this provision is not ultimately adopted, compliance
with such measures will depend largely on the good
faith and honesty of the parties. From the current
En dépit du succès des mesures provisoires, leur caractère
exécutoire n’est pas encore pleinement assuré ; dans le
silence de la Convention de New York et d’autres droits
nationaux sur la possibilité de faire exécuter une ‘ordonnance’ de mesure provisoire prononcée par l’arbitre 12,
celle-ci peut demeurer illusoire dans l’hypothèse où les parties refusent de s’y soumettre volontairement. A ce niveau,
l’une des contributions les plus significatives apportées par
le Groupe de travail sur l’arbitrage pour la réforme de la Loi
type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international
est d’avoir prévu, à l’article 17 bis, l’exécution forcée des
mesures provisoires 13. Cependant, et si à terme, cet article
n’est pas adopté, le respect de la mesure dépendra largement de la bonne foi et de la loyauté des parties. La situation
pourrait se prolonger jusqu’au prononcé de la sentence.
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NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
Ainsi, il résulte de l’état actuel des textes, qu’en matière
d’arbitrage, sans doute plus qu’ailleurs, le provisoire a
tendance à durer.
wording of the provisions, it seems that, in relation to
arbitration, certainly more than elsewhere, temporary
measures have a tendency to become permanent.
3. Transparence et arbitrage
3. Transparency and Arbitration
A priori synonyme de perturbation du caractère privé de
l’arbitrage, la transparence s’impose largement aux opérateurs de la vie des affaires. Le besoin de vérité, de dialogue
et de communication qu’expriment les promoteurs de la
transparence est bien une réalité qui se traduit tous azimuts :
organisations internationales, législateurs, régulateurs, tribunaux, actionnaires, consommateurs, groupes de pression, sociologues, politiques, journalistes… L’arbitrage, dont
le statut de mode de règlement par excellence des différends internationaux est par ailleurs régulièrement affirmé,
est rattrapé par cette tendance. Le constat n’est d’ailleurs
pas tout à fait nouveau. L’on peut tenter de résumer ici les
incidences de la transparence sur l’arbitrage à travers trois
thèmes essentiels : garanties procédurales, intervention
des tiers et publicité.
Transparency is often viewed as a synonym of disruption to the private nature of arbitration, with its
wide-ranging reach over operators in the business
world. The need for truth, dialogue and communication is advocated all out by transparency zealots and
evidence of this abounds. One needs only look at :
international organisations, legislators, regulators,
courts, shareholders, consumers, pressure groups,
sociologists, politicians, journalists, and so forth. With
its regularly-affirmed status of most adequate means
of settling international disputes, arbitration is caught
by this movement. Such an observation is not entirely novel. This article endeavours to summarise the
effects of transparency on arbitration through three
main topics: procedural guarantees, third party intervention and the public nature of arbitration.
A peine rappellera-t-on que le principe du contradictoire et
celui d’égalité entre les parties expriment l’un et l’autre une
exigence de transparence procédurale dans la conduite de
l’arbitrage auquel il appartient à l’arbitre de veiller, sous le
contrôle du juge de la régularité de la sentence.
It is a truism that the principles of due hearing and
equal treatment of the parties both require procedural transparency in the conduct of the arbitration. It is
for the arbitrator to verify this process, subject to the
judge who may be required to rule upon the legality
of the award.
Impartialité et transparence sont également intimement
liées : il pèse sur l’arbitre un devoir positif de révélation
quant à toute circonstance de nature à provoquer dans
l’esprit des parties un doute raisonnable sur son indépendance. La convergence des droits nationaux 14, règlements
d’arbitrage 15 et des recommandations internationales 16 en
faveur d’une approche subjective est établie. Le recours aux
IBA Guidelines se généralise et ses fameuses listes rouge,
orange et verte proposent une conception transnationale
harmonisée de l’éthique. La dissociation admise entre circonstance à révéler et cause de récusation 17 s’explique par
la différence de finalité entre révélation (permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation) et récusation (manquement à des critères plus objectifs d’indépendance et
d’impartialité).
Impartiality and transparency are also closely linked:
the arbitrator has a positive duty of disclosure as
regards any circumstance which may provoke in the
mind of the parties a reasonable doubt as to the arbitrator’s independence. The convergence of national
laws, arbitration rules and international recommendations in favour of a subjective approach may be
observed. Use of the IBA Guidelines is becoming
widespread and its famous red, orange and green
lists purport to set out a harmonised transnational
concept of ethics. The accepted dissociation between
the circumstance to be disclosed and the ground of
challenge may be explained by the difference in purpose between disclosure (to allow the parties to
exercise their right of challenge) and the challenge
(failure to meet the more objective criteria of independence and impartiality).
Un dernier bastion procédural devrait toutefois résister : le
secret du délibéré. Celui-ci, sauf circonstances exceptionnelles relevant de la fraude ou du manquement flagrant
There is nonetheless one ultimate procedural stronghold: the secrecy of the deliberations. Save for
exceptional circumstances pertaining to fraud or flagrant breach by an arbitrator of intuitus personae
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NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
(the “personal” basis of the relationship) which characterises the arbitrator’s mission, this must be protected as an essential guarantee of proper justice.
d’un arbitre à l’obligation d’intuitus personae qui caractérise
sa mission, doit être protégé en tant que garantie essentielle
d’une bonne justice.
Transparency raises some delicate questions in the
relationship between arbitration and third parties.
Arbitration remains a private form of justice, and the
contractual nature of the appointment of the arbitrator traditionally rules out any third party participation,
unless agreement to this effect. In numerous arbitral
proceedings, however, issues of general scope which
go beyond the private interests in question, must be
ruled upon, especially when the proceedings involve
States. Amicus curiae has been admitted in several
awards rendered in the context of NAFTA, accepting
the possibility for non-governmental or trade union
organisations to submit their arguments on the merits
in writing, whilst prohibiting them from participating in
the hearings or having access to the documents produced during the proceedings. Here, transparency
and public interest come before the requirement of
consent, with the amicus curiae being imposed by
decision of the arbitrator upon request of one of the
parties only.
Au cœur des rapports entre l’arbitrage et les tiers 18, la
transparence soulève des questions délicates. L’arbitrage
reste un mode de justice privé, la nature contractuelle de
l’investiture de l’arbitre s’opposant traditionnellement à toute
participation de tiers, sauf accord à cet effet. Mais, au-delà
des intérêts privés en cause, nombre de procédures arbitrales, notamment lorsqu’elles impliquent des États, invitent
à trancher des questions de portée générale. L’amicus curiae
a ainsi été accueilli par plusieurs sentences rendues dans
le cadre de l’ALENA, admettant la possibilité pour les organisations non gouvernementales ou syndicales de présenter
par écrit leurs arguments sur le fond, tout en leur refusant la
participation aux audiences et l’accès aux pièces de la procédure 19. Transparence et intérêt public passent ici devant
l’exigence de consentement 20, l’amicus curiae pouvant être
imposé par décision de l’arbitre sur requête d’une des parties seulement.
However, transparency should not be confused with
interference. French law on international arbitration
excludes third party opposition to the arbitral award.
It seems preferable not to throw into question the private nature of recourse against the award. Thus,
third party intervention – even if indirect – before the
judge ruling upon the legality of the award should not
be encouraged.
Il paraît toutefois déterminant de ne pas confondre transparence et interférence. Ainsi, le droit français de l’arbitrage
international exclut la tierce opposition contre la sentence
arbitrale. Il ne paraît pas souhaitable de remettre en cause
le caractère privé des recours contre la sentence. Ainsi, les
interventions de tiers – même à titre accessoire – devant le
juge de la régularité de la sentence ne devraient pas être
encouragées.
Confidentiality is often assumed. It is frequently viewed as an expectation of the parties to the arbitration
agreement and is recognised as such by some court
decisions and provided for by some arbitration rules.
However confidentiality in arbitration does not originate from a general principle and remains limited : it
does not prevail over rights of the defence, or public
policy. There is also the issue regarding expectations
of concerned third parties as to the public nature of
the arbitration.
Postulée, tenue pour une attente des parties à la convention d’arbitrage, reconnue par certaines jurisprudences 21,
prévue par certains règlements d’arbitrage 22, la confidentialité de l’arbitrage ne procède pas d’un principe général 23 et
reste limitée : elle ne prévaut pas sur les droits de la
défense 24, ou sur l’ordre public. Se pose aussi la question
de l’attente de publicité des tiers intéressés par l’arbitrage.
Confidentiality in this case gives way to the legal
obligations of transparency imposed for reasons of
market confidence and the protection of public
savings. Publicly-listed companies are obliged to
mention, in the financial information directed at the
market, disputes likely to have an impact or appreciable influence on the company’s accounts. Similarly,
disputes likely to have an influence on the judgment
of investors make up part of the information that is
necessary for certain transactions, such as admission to listing on a regulated market, or public offe-
La confidentialité cède ainsi devant les obligations légales
de transparence imposées à des fins de confiance des marchés et de protection de l’épargne publique. Les sociétés
qui font appel public à l’épargne sont tenues de mentionner,
dans l’information financière destinée au marché, les litiges
susceptibles d’avoir un impact ou une influence sensible sur
les comptes sociaux. De même, les litiges susceptibles
d’avoir une influence sur le jugement des investisseurs font
par tie de l’infor mation préalable à cer taines opérations, comme l’admission à la négociation sur un marché
378
NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
réglementé ou les offres publiques. L’arbitrage n’échappe
pas à ces obligations. Étant d’ordre public, l’obligation d’information doit l’emporter sur l’obligation de confidentialité, qui
apparaît plutôt tournée vers la sauvegarde des intérêts des
parties 25.
rings. Arbitration does not escape these obligations.
Falling within the realms of public policy, the obligation to inform has to prevail over the obligation of
confidentiality, the latter appearing to focus more on
the protection of the parties’ interests.
En outre, les conflits qui touchent les sociétés cotées suscitent la curiosité de tiers intéressés (actionnaires minoritaires et autorités boursières) qui revendiquent sinon une
exclusivité, du moins une priorité sur les questions litigieuses – il arrive ainsi que la pénalisation du contentieux
du droit des sociétés pose des questions plus ou moins artificielles, telles que demandes de sursis à statuer ou allégations de fraude et d’escroquerie à la sentence. Dans ces
domaines, où les positions des parties s’échangent par voie
de presse, la discrétion de l’arbitrage peut être dérangée
par des assauts médiatiques non sollicités.
Moreover, disputes which affect listed companies
arouse the curiosity of concerned third parties (minority shareholders and market authorities) which claim
to have an exclusive, or at least a priority position
when it comes to the issues in dispute – the criminalization of company law disputes therefore raises
some rather artificial situations, such as requests for
the stay of judgment or allegations of fraud relating
to the award. In these cases, where the positions of
the parties are exchanged in the press, the discretion
of arbitration may be disturbed through unsolicited
attacks by the media.
Par ailleurs, les droits de la défense libèrent les parties
tenues au secret pour la défense en justice de leurs intérêts 26. Chaque fois que les tribunaux étatiques interviennent
en tant que juge d’appui ou dans une procédure de recours
ou d’exécution concernant la sentence, la sentence et parfois même les délibérations des arbitres 27 tombent dans le
domaine public. A fortiori, en cas de procédure étatique
parallèle ou consécutive à l’arbitrage, l’on aura tendance,
sauf abus, à admettre aux débats la sentence et d’autres
pièces de la procédure arbitrale 28.
Furthermore, rights of the defence free up parties
who are bound by secrecy, to enable them to defend
their interests at law. Each time state courts intervene, in support of the arbitral proceedings or in proceedings regarding an appeal or enforcement of the
award, the award and sometimes even the deliberations of the arbitrators fall into the public domain. A
fortiori , in the case of state proceedings that are
parallel or subsequent to the arbitration, there is a
tendency, save for abuse, to admit to the proceedings
the award and other documents from the arbitration.
Enfin, et dans un autre domaine, la publicité des sentences
répond à un besoin de connaissance de la jurisprudence
arbitrale. D’élaboration impressionniste 29, la jurisprudence
arbitrale n’en est pas moins une réalité. Vingt-et-un ans
après les premières publications au Recueil Clunet des
sentences CCI, la publication de sentences se généralise et
s’accompagne d’une tendance des arbitres à fonder leurs
décisions sur des sentences antérieures. Certes, l’autorisation des parties est généralement requise avant toute publication. Mais les sentences sont souvent communiquées
aux media et à des tiers, y compris aux autorités de marché
dans le cadre des obligations sur la transparence financière.
Par ailleurs, malgré les précautions prises pour caviarder le
nom des parties, les lecteurs intéressés n’ont souvent
aucune peine à identifier les parties à la lumière du contexte.
On note donc une relativité certaine de la confidentialité. Le
phénomène est devenu courant dans les arbitrages impliquant les États 30. Ainsi, même si le CIRDI ne publie pas de
sentence sans le consentement des parties 31, la volonté de
Finally, and in another domain, the public nature of
the awards responds to a need for arbitral case law.
Notwithstanding its rather piecemeal evolution, there
is a clear existence of a body of arbitral case law.
Twenty-one years after the first publications in the
Clunet Collection of ICC awards, the publication of
awards is becoming widespread and is accompanied
by a tendency of arbitrators to base their decisions
on earlier awards. The parties’ authorisation is of
course generally required before any publication.
However, the awards are often disclosed to the
media and third parties, including market authorities
pursuant to obligations of financial transparency.
Moreover, despite the precautions taken to censor
the name of the parties, the reader often has no difficulty in identifying the parties in the light of the
context. One can therefore observe a certain relativity with regard to confidentiality. The phenomenon
has become common in arbitrations involving States.
Thus, even if ICSID does not publish awards without
the consent of the parties, the desire to publish is a
379
NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
contrario perceptible. Numerous websites – starting
with the one of ICSID – easily enable the identification of most of the cases. The concern regarding the
public nature of the decisions and, the hearings
themselves for that matter, is understandable in disputes involving the protection of international investments. This is because of the undeniable issues of
public interest that such disputes entail.
publier est a contrario perceptible. De nombreux sites web –
à commencer par celui du CIRDI – permettent aisément
l’identification de la plupart des affaires. La préoccupation
de publicité des décisions, et pourquoi pas des débats euxmêmes, est du reste bien compréhensible dans le contentieux de la protection des investissements internationaux en
raison des indéniables préoccupations d’intérêt public que
celui-ci entraîne.
The issues regarding transparency illustrate, in
diverse ways, a fundamental tendency to no longer
consider international arbitration as a purely private
legal process, protected from third party glances as
a result of the wish of the parties. The effective
scope of application of arbitration today is wider than
ever; from commercial disputes to the protection of
international investments, arbitration can be seen to
go beyond the sphere of opposing private interests,
to affect all sorts of third parties. The multiplication of
appeals is unfortunately a consequential development to this tendency, which risks throwing the
effectiveness of arbitration into question, notably
because of the public nature that is characteristic of
disputes relating to challenges and those relating to
the legality of the award. This evolution, which is not
exempt from abuse, may be regarded as the somewhat inevitable consequence of the way in which the
major movements shaking our society are creeping
up on arbitration. In most cases, the quality of the
arbitration process should not die out, on the condition however that the arbitral “ bubble ” is not pushed
to the point that it bursts
Les préoccupations de transparence illustrent, dans leurs
diverses manifestations, une tendance de fond à ne plus
concevoir l’arbitrage international comme une pure justice
privée, protégée des regards tiers par la volonté des parties.
Le champ d’application matériel de l’arbitrage est aujourd’hui
plus large que jamais et, des litiges commerciaux à la protection des investissements internationaux, l’arbitrage peut
dépasser la sphère des intérêts privés en présence pour
intéresser toutes sortes de tiers. La multiplication des
recours est malheureusement un développement consécutif
à cette tendance, qui risque de remettre en cause l’efficacité de l’arbitrage, notamment en raison de la publicité
propre au contentieux de la récusation et à celui du contrôle
de la régularité de la sentence. Cette évolution, non exempte
d’abus, peut passer pour la conséquence, plus ou moins
inéluctable, du rattrapage de l’arbitrage par les grandes
tendances qui secouent la société. Dans la plupart des cas,
la qualité de la justice arbitrale ne devrait pas y perdre
à condition toutefois que la pratique de la « maison de
verre » ne dégénère pas pour autant en « opération portes
ouvertes ».
4. Should Arbitrators’ Powers be Reinforced
to Render Arbitration more Efficient?
4. Faut-il renforcer l’autorité de l’arbitre
pour rendre l’arbitrage plus efficace ?
Efficiency is one of the essential qualities of international arbitration. Indeed, it can be tremendously efficient:
L’efficacité constitue une qualité essentielle de l’arbitrage
international. L’institution peut en effet se montrer terriblement efficace :
– a model clause of a couple of lines, available in
most languages, suffices to found the arbitrators’
jurisdiction;
– une clause-type de quelques lignes, disponible dans la
plupart des langues, suffit à fonder la compétence des
arbitres ;
– an arbitral tribunal properly designated will devote
necessary time to find the best ways to solve the
dispute;
– un tribunal arbitral bien choisi consacre le temps nécessaire à trouver les meilleures solutions au litige ;
– the taking of evidence is vast and the obstacle of
legal culture and languages disappears;
– les modes de preuves sont vastes et la barrière des
langues et des cultures juridiques s’évanouit;
– the arbitral award is often enforced voluntarily;
– la sentence arbitrale est souvent exécutée volontairement ;
380
NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
– l’exécution forcée à l’étranger est bien plus facile que celle
d’un jugement étatique ;
– enforcement measure can be executed more easily
than a state court judgment in a foreign country.
Aujourd’hui, les procédures ont néanmoins atteint un degré
de sophistication tel qu’il est nécessaire de s’interroger sur
le risque de dénaturation de l’institution elle-même 32.
Nowadays, however, proceedings have reached such
a level of sophistication that the true nature of arbitration is put into question.
La place de Paris prend conscience de la nécessité d’évaluer leurs pratiques à l’aune de l’efficacité 33. Déjà en 1998,
la Chambre de commerce internationale avait consacré les
journées dédiées à Michel Gaudet au thème « Improving
International Arbitration: the Need for Speed and Trust » 34.
Depuis, une doctrine savante tente de répondre à la question difficile : qui tient les rênes de l’instance arbitrale ? 35.
Paris practitioners are assessing their practice to
proceed with efficiency. As far back as 1998, the
International Chamber of Commerce had dedicated
the “ Michel Gaudet days ” to “ Improving International
Arbitration: the Need for Speed and Trust ”. Since,
learned authors have tried to answer that difficult
question: who leads the arbitral proceedings?
La Chambre de commerce internationale a encore récemment créé un groupe de travail sur la réduction du temps et
des coûts dans les arbitrages complexes présidé par Yves
Derains et Christopher Newmark, confirmant son objectif de
toujours mieux satisfaire les besoins de la communauté des
affaires internationales.
The ICC has recently formed a task force on reducing time and costs in complex arbitrations co-chaired by Yves Derains and Christopher Newmark, thus
confirming its constant intent to achieve world business community expectations.
Parmi les pistes évoquées, deux semblent prévaloir :
Among the issues evoked, two seem to prevail :
– l’arbitre doit davantage diriger les mesures d’instruction ;
– arbitrators shall further direct the taking of evidence by the parties;
– counsel shall better rationalize their submissions
and pleadings.
– les conseils doivent mieux rationaliser leurs écritures et
plaidoiries.
Ont été notamment évoquées la soumission à l’autorisation
préalable de l’arbitre des mesures d’instruction menées
directement par les parties (expertise de partie, témoignage…) et, de manière plus iconoclaste peut-être, la soumission par les parties aux arbitres de synopsis de la
sentence à intervenir (nous souhaitons une décision dans
tel sens sur tel élément de droit ou de fait pour telle condamnation) 36.
It has been proposed to submit the taking of evidence (e.g. party experts and witness testimony) to
the prior approval of the arbitrator. In a more iconoclastic way, the parties may be requested to provide
the tribunal with synopses of the award to come
(what findings of law or fact, for which decision).
L’amélioration de l’efficacité de l’arbitrage semble ainsi passer par le renforcement de l’autorité de l’arbitre dans ses
rapports avec les parties.
The improvement of the arbitration efficiency seems
therefore to require the strengthening of the arbitrator’s authority with regard to the parties.
Reste une interrogation. Une telle réforme de la pratique du
pouvoir par l’arbitre peut-elle conduire à des dérives encore
moins souhaitables qu’une faible performance : des entorses
au droit d’être entendu ?
Then a question arises. Could such reform of the
practice of the arbitrator’s powers lead to more
undesirable drifts than a poor performance: some
exceptions to the right to be heard?
Les garde-fous juridiques existent, qui empêchent l’exécution de la sentence arbitrale rendue en violation du principe
du procès équitable. Mais c’est surtout à l’arbitre qu’incombe
le rôle de « garant du respect des valeurs de l’arbitrage » 37.
Arbitration laws will oppose the enforcement of an
award rendered against due process. But the best
safeguarding measure is to be implemented by the
arbitrator itself as “ garant du respect des valeurs de
l’arbitrage ”.
Où la volonté des parties revient au cœur du sujet, par le
choix de son juge.
At the end, the choice of the parties is again at the
core of the question when selecting their judge.
381
NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
Notes
1. Cité par P. Bernardini, « Les pouvoirs de l’arbitre », in Mesures conservatoires et provisoires en matière d’arbitrage internationale,
Bulletin CCI, numéro spécial, pp. 22 et s.
2. Vocabulaire juridique G. Cornu, H. Capitant, pp. 527-528.
3. Citons à titre d’exemple : Sentence CCI n° 7544, (1996) n° 7962 (1995) ; n° 8113 (1996) ; n° 7047 (1994) Bulletin ASA 1995, p. 301 ;
sentence CCI n° 7289 (1996) ; n° 7489 (1992), JDI 1993.1078 ; sentence CCI n° 6632 (1993) ; sentence CCI n° 7544 (1996). Comp. Article 391 CIRDI et article 47 Convention de Washington, qui ne confèrent aux arbitres que le pouvoir de recommander des mesures provisoires pour
la sauvegarde de leurs droits.
4. CCI n° 4126 1984, JDI 1984, p. 934.
5. C’est dans cette perspective de lutte contre les mesures destinées à aggraver le litige, que la pratique des « Anti-Suit Injunctions »
peut être classée : S. Clavel, « Anti-Suit Injunctions et arbitrage », Rev. arb. 2001. 669 ; E. Gaillard, « Les Anti-Suit Injunctions et l’arbitrage
commercial international », Décideurs juridiques et financiers 2003, n° 41, p. 68 ; du même auteur, « Il est interdit d’interdire : réflexions sur l’utilisation des Anti-Suit Injunctions dans l’arbitrage commercial international », Rev. arb. 2004.47.
6. W. Laurence Craig, William W. Park and Jan Paulsson, International Chamber of Commerce Arbitration, Oceana Publications, Inc.,
third edition, 2000, section 26.05.
7. L’article 23 du règlement de la CCI susmentionné confère au tribunal arbitral un assez large pouvoir d’appréciation pour ordonner une
mesure provisoire, donc inversement, pour la refuser.
8. Society of Martimes Arbitrators, Inc. New York, sentence intérimaire, n° 2015, 24 août 1985, Yearbook Com. Arb. 1986, pp. 209 et s.
9. Il importe de souligner que les critères permettant l’ordonnance de mesure provisoire sont à présent systématisés par le projet de
l’article 17 de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international. Conformément à ce texte, la demande de mesure provisoire
doit notamment être fondée sur l’existence d’un préjudice irréparable et la chance de succès au fond.
10. Le projet d’article 17 de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international dispose : « Lorsque la divulgation préalable
d’une mesure provisoire à la partie contre laquelle elle est dirigée risque de compromettre cette mesure, le demandeur peut former sa
demande sans en aviser cette partie et demander une mesure préliminaire [lui enjoignant de préserver le statu quo jusqu’à ce qu’elle se soit
manifestée auprès du tribunal et que celui-ci se soit prononcé sur la demande]… ».
11. Bull. ASA, 4/2004, pp. 746 et s.
12. La jurisprudence semble prohiber cette exécution. Voir cependant : CA Paris (1 re chambre) 7 octobre 2004, Société Otor
Participations et autres c. Société Carlyle Holdings 1 et autre, Rev. arb. 2005, pp. 737 et s., note E. Jeuland. Cet arrêt soulève un doute sur la
prétendue impossibilité de demander l’exequatur d’une ordonnance de mesure provisoire, puisqu’il permet le recours en annulation contre une
« sentence » prononçant une mesure provisoire sans attendre la décision sur le fond. Puisque le recours en annulation est permis, a fortiori
l’exécution le serait.
13. Le projet d’article 17 bis de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international dispose : « Une mesure provisoire ou
conservatoire prononcée par un tribunal arbitral est reconnue comme s’imposant aux parties et, sauf indication contraire du tribunal arbitral,
est mise à exécution sur demande auprès de la juridiction étatique compétente, quel que soit le pays où elle a été prononcée, sous réserve
des dispositions du présent article […] ».
14. En droit français : Paris, 12 janvier 1999, Rev. arb. 1999.381 et Cass. civ1, 16 mars 1999, Rev. arb. 1999.308.
15. L’article 7(2) du Règlement CCI adopte expressément le critère de subjectivité ; l’article 5.3 du Règlement LCIA et l’article 9 du
Règlement CNUDCI ne l’excluent pas.
16. IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration, 22 mai 2004.
17. Voir par exemple : Paris, 2 avril 2003 (arrêt de la Cour d’appel de renvoi dans l’affaire Frémarc c/ ITM Entreprise), Rev. arb. 2003.
1231 note E. Gaillard.
18. « L’arbitrage et les tiers », Rev. arb. 1988 n° 3.
19. Methanex Corporation v. United States, Decision on Petitions from third Persons to intervene as amici curiae, 17 octobre 2001 ; UPS
(United Parcel Service of America Inc) v. Government of Canada, Decision of the Tribunal on Petitions for Intervention and Participation as
Amici Curiae, 15 janvier 2001, Arb. Int. 2005.211, note L. A. Mistelis.
20. B. Stern, « L’entrée de la société civile dans l’arbitrage entre État et investisseur », Rev. arb. 2002.329.
21. C. Dolling-Baker v. Merrett, [1991] 2 All ER 890 ; Hassneh Insurance Co. of Israël v. Steuart J. Mew, [1993] 2 Lloyd’s Law Reports
243 ; Paris, 18 février 1986, Rev. arb. 1986.583.
22. Règlement d’arbitrage de la CNUDCI prévoyant que l’audience se déroule à huis clos sauf convention contraire des parties ; article 30
du Règlement LCIA (London Court of International Arbitration) de 1998 ; mais ni le Règlement CCI de 1998, ni celui de l’AAA (American
Arbitration Association) ne prévoient un devoir général de confidentialité.
23. Jan Paulsson & Nigel Rawding, The Trouble with Confidentiality, ICC International Court of Arbitration Bulletin, mai 1994, vol. 5,
n° 1C ; Constantine Partasides, Bad News from Stockholm : Bulbank and Confidentiality Ad Absurdum Mealey’s International Arbitration
Report, December 1998, vol. 13, n° 12 et Bulbank – The Final Act, Mealey’s International Arbitration Report, Décembre 2000, vol. 15, n° 12 ;
L. Yves Fortier, The Occasionally Unwarranted Assumption of Confidentiality, Arbitration International, Vol. 15, n° 2; Hans Bagner,
382
NOUVELLES TENDANCES DE L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
Confidentiality in Arbitration : Don’t Take It For Granted!, Mealey’s International Arbitration Report, Vol. 15, Issue 12 ; Eric Schwartz, The New
1998 ICC Rules of Arbitration: Proceedings of the ICC Conference Presenting the Rules, ICC International Court of Arbitration Bulletin, Special
Supplement November 1997.
24. Associated Electricity & Gas Insurance Services v. European Reinsurance (2003) Privy Council, All England Commercial Cases,
2003, vol. 1
25. F. Fages, « La confidentialité de l’arbitrage à l’épreuve de la transparence financière », Rev. arb. 2003.5 et affaire True North c/
Publicis, ordonnance référé Paris, 22 février 1999.
26. Voir Associated Electric and Gas Insurance Services, précité.
27. Voir CME c/ République tchèque, devant la Cour d’appel de Svea (Stockholm), décision, 15 mai 2003, International Legal Materials,
2003, Vol. 42, p. 919.
28. Paris, 22 janvier 2004, Rev. arb. 2004.647, note E. Loquin et rapprocher Paris, 18 février 1986, Rev. arb. 1986.583.
29. L. Bernheim, « Compte rendu du deuxième colloque européen, La pratique uniforme dans l’arbitrage commercial international, mythe
ou réalité ? », Rev. arb. 2004.493.
30. Jan Paulsson & Nigel Rawding, The Trouble with Confidentiality, précité.
31. Règlement d’arbitrage, article 48.4.
32. S. Lazareff, « L’arbitre singe ou comment assassiner l’arbitrage » in Global Reflections on International Law, Commerce and Dispute
Resolution, Liber amicorum in honour of Robert Briner, ICC Publishing 2005.
33. M. Bühler, « Cost of Arbitration : Some Further Consideration », in Global Reflection on Commerce and Dispute Resolution, op. cit.,
p. 179. ; J-G. Betto, « Simplifier et actualiser l’arbitrage international », Les Échos 20 février 2006, p. 15.
34. ICC Publishing 1998.
35. Ch. Jarrosson, note sous Paris 1re Ch. C. 19 mai 1998, 3 décembre 1998 et 19 janvier 1999, Rev. arb. 1999.601 ; D. Hascher,
« Principes et pratique de procédure dans l’arbitrage commercial international » , RCADI 1999 pp. 51-193 ; « Le pouvoir des arbitres de régler la
procédure, une analyse comparative des systèmes de Civil Law et Common Law », Rev. arb 1995.163 ; en dernier lieu, G. Kaufmann-Kohler
« Qui contrôle l’arbitrage ? Autonomie des parties, pouvoir des arbitres et principe d’efficacité » in « Autour de l’arbitrage », Liber amicorum,
Claude Reymond, Litec 2004.
36. J-G. Betto, op. cit.
37. B. Hanotiau, Global Reflexions on International Law, Commerce and Dispute Resolution, op. cit., p. 365.
383

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