Les pratiques psychocorporelles au domicile

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Les pratiques psychocorporelles au domicile
dossier
Les pratiques psychocorporelles
témoignage
Les pratiques psychocorporelles
au domicile
Chantal Géneau de
Lamarlière-Flandre
Infirmière coordinatrice
Réseau Palpi 80, 4, ruelle
Ambroise Minot, 80440 Boves,
France
z Les pratiques psychocorporelles peuvent être mises en œuvre au domicile, notamment dans le
cadre de soins palliatifs z Elles permettent de soulager la douleur, d’améliorer le confort et le bienêtre du patient z Témoignage d’une infirmière de soins palliatifs auprès d’une personne souffrant
de sclérose latérale amyotrophique.
© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS
Mots clés – domicile ; infirmière ; pratique psychocorporelle ; sclérose latérale amyotrophique ; soins palliatifs Body-mind practices at home. Body-mind practices can be implemented at home, notably as part
of palliative care. They help to relieve pain and to improve the patient’s comfort and wellbeing. This
article presents the experience of a palliative care nurse with a person suffering from amyotrophic
lateral sclerosis.
© 2014 Published by Elsevier Masson SAS
Keywords – amyotrophic lateral sclerosis; body-mind practice; home; nurse; palliative care
L
Adresse e-mail :
[email protected]
(C. Géneau de LamarlièreFlandre).
30
e réseau Palpi 80 1 accompagne les personnes qui nécessitent des soins palliatifs
(SP) au domicile. L’équipe pluridisciplinaire
évalue les besoins du patient, de la famille ou
des soignants et intervient en soutien et conseil,
avec le souci permanent de ne pas se rendre
indispensable et de préserver l’autonomie de
décision de la personne.
Diplômée infirmière en 1980 et cadre de santé
en 1989, je suis sensibilisée aux SP par une
expérience acquise dans divers services. Ma
formation universitaire en SP et un travail sur
la bienveillance m’ont amenée à m’y intéresser. Infirmière dans ce réseau depuis 2007, j’ai
pu bénéficier de formations au toucher-massage® [1]2 en 2010. Le rôle propre infirmier
intègre ces pratiques dans les soins d’hygiène
et de confort, la prévention et le traitement de
la douleur sans visée psychothérapeutique.
Au-delà de l’accompagnement, les missions du
réseau sont de « promouvoir et diffuser la démarche
palliative […] en proposant de nouvelles pratiques
professionnelles sous-tendues par l’interdisciplinarité ». Il m’est donc possible depuis 3 ans, selon
les besoins évalués en interdisciplinarité, d’initier des pratiques psychocorporelles (PPC)
comme les massages de confort, la relaxinésie [2] et la relaxation auprès de personnes
malades au domicile.
© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS
http://dx.doi.org/10.1016/j.soin.2014.04.025
Spécificité de la sclérose latérale
amyotrophique
zz La sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou
maladie de Charcot est une maladie grave neurodégénérative de la voie motrice volontaire. Elle
associe, dans un ordre variable, une paralysie des
membres et des muscles labio-glosso-pharyngolaryngés. Dans les formes classiques, aucun
trouble sphinctérien, cognitif marqué ou sensitif
[3] n’est observé. Cette maladie interpelle par
son évolutivité et les pertes fonctionnelles qui en
découlent. Les moyens de suppléance du handicap
et des déficiences, tels que fauteuil roulant, lèvemalade, gastrostomie, ventilation non invasive
(VNI) ou outils de communication, demandent à
la personne et à son entourage de constantes adaptations, conscients que le pronostic vital est engagé
à moyen terme. Il n’existe pas dans notre région
de centre ni de réseau SLA. L’intervention du
réseau de SP est généralement proposée par le
service de neurologie du centre hospitalier universitaire (CHU) avec accord du médecin traitant. Le
réseau accompagne le patient et son entourage en
lien avec les équipes hospitalières et de proximité
afin d’assurer le soutien et la compensation des
handicaps. Des contacts avec l’Association pour la
recherche sur la SLA (Arsla) d’Ile-de-France3 assurent les conseils techniques et prêts de matériels.
SOiNS - no 787 - juillet/août 2014
dossier
Les pratiques psychocorporelles
zz Concernant les symptômes liés à l’immobilité et au stress générés par la dépendance et
la maladie, les actions recommandées aux infirmiers par la spécialiste des sciences infirmières,
Lynda J. Carpenito, en complémentarité des
soins classiques, sont d’aider le patient à « pratiquer des mouvements passifs en soutenant les articulations ; de lui permettre d’identifier ses ressources ;
de lui enseigner les techniques de relaxation » [4].
Ces actions demandent bien sûr une validation
en interdisciplinarité ainsi que la compétence
requise. L’Arsla donne aussi aux personnes et
aux aidants des conseils pour effectuer les massages de détente et la relaxation4.
Pratiques
proposées au domicile
zz La relaxation fondée sur la respiration, souvent connue des patients, est initiée lors de l’apprentissage et peut être utilisée de façon
autonome par le patient avec ou sans support
(enregistrement guide vocal ou CD).
zz Le toucher et le massage détente [5] peuvent être pratiqués. Le toucher, premier sens à
apparaître et dernier à disparaître, est nécessaire à l’épanouissement de l’être humain. Il
constitue l’outil quotidien des soignants, primordial dans ce qu’il transmet de reconnaissance et respect à la personne malade. Le
massage détente a un effet décontractant sur
les muscles, antalgique ou sédatif sur le système
nerveux par inhibition de la transmission du message douloureux. Le toucher et le massage aident
à la prise de conscience de l’unité corporelle.
zz La relaxinésie mobilise, relâche et assouplit
les articulations. Elle favorise la circulation et
améliore le confort.
zz La musique choisie par la personne aide à la
détente.
zz Ces pratiques peuvent être proposées soit
sur avis de collègues connaissant le patient – un
contact téléphonique me permet alors de mesurer l’attente de la personne et la pratique qui
sera la plus adaptée –, soit lors de l’évaluation
d’un soin douloureux ou complexe. Selon la
réceptivité de la personne, je montre aux soignants ou aidants présents comment reprendre
cette pratique lors des prochains soins. L’évaluation peut être réalisée à l’aide d’échelles
numériques concernant la douleur (0 à 10) et
l’inconfort ressentis avant et après la séance (0
= confort total /10 = inconfort total). Lors de
la séance, une attention constante permet
d’ajuster les gestes aux réactions de la personne.
SOiNS - no 787 - juillet/août 2014
L’évaluation est aussi réalisée à distance lors
d’entretiens téléphoniques de suivi.
Notes
1
Mme E
zz Mme E., âgée de 53 ans, est atteinte de SLA
depuis 3 ans. Elle présente une paraplégie, un
déficit partiel des membres supérieurs et une
altération des fonctions respiratoires. Elle est
installée à l’aide d’un lève-malade en fauteuil
électrique pendant la journée, a besoin d’oxygène (O2) ou de VNI. Elle s’exprime par oral
avec difficulté et ne peut plus écrire. Elle décrit
une gêne au niveau des membres avec une sensation de froid permanent et une anxiété qui
altère la digestion. Elle vit avec son mari plus
âgé qui, atteint de troubles cognitifs, ne peut
plus l’aider. Lors de l’entretien sur les PPC, elle
me confie qu’elle avait lu sur un site que la
relaxation et les massages étaient recommandés
mais ne pensait pas pouvoir en bénéficier.
zz Mme E. me demande de venir en présence
de l’auxiliaire de vie pour que celle-ci puisse
apprendre à réaliser les massages. Nous effectuons en binôme les massages des pieds et des
mains avec enveloppement et pose de
bouillotte. Mme E. se détend. Elle ferme les
yeux, sourit et respire plus calmement. Les
mobilisations des chevilles et des jambes sont
difficiles dans un premier temps, puis plus
aisées ensuite. Mme E. décrit une sensation de
chaleur dans les jambes et les mains, ce qui lui
apporte un grand confort. Elle souhaite ensuite
tester le massage du visage. Les évaluations montrent une douleur, avant le soin, de 3 /10, après
celui-ci de 0/10. L’inconfort avant le soin est de
6/10 et de 1/10 après.
Dès le lendemain, Mme E. nous envoie un mail
pour nous remercier. Elle précise que la sensation de chaleur dans les pieds s’est maintenue
dans la nuit et que le lendemain matin, ceux-ci
étaient moins ankylosés que d’habitude. Lors
d’un échange téléphonique, elle me demande
si une séance de relaxation est possible ; je lui
réponds par l’affirmative.
zz Mme E. a téléchargé des musiques pour préparer la séance de relaxation. Après l’installation au lit et de légers étirements, dès le début
de la séance, Madame E. se détend, sa respiration est plus profonde. Elle suit mes conseils ; je
la guide et l’encourage à visualiser un paysage ou
un tableau dont elle peut modifier les formes, les
couleurs et les lumières à sa convenance. Elle
sourit. En effet, son loisir favori est la peinture,
Réseau de soins palliatifs à
domicile, palpi80@wanadoo.
fr, https://sites.google.com/a/
esante-picardie.com/palpi80/
2
Institut de formation Joël
Savatofski, 1, rue du Docteur
Barbier, 21000 Dijon. http://www.
ifjs.fr/
3
http://www.arsla-asso.com/slasclerose-laterale-amyotrophiquefr/a-la-une.html
4
Fiche conseils aux aidants
“Psychomotricité”, Association
pour la recherche sur la sclérose
latérale amyotrophique (Arsla),
Réseau SLA Ile-de-France, 75,
avenue de la République, 75011
Paris, http://www.arsla-asso.com
Références
[1] Savatofski J. Le massage
douceur, 2e édition. Paris:
Dangles; 1999.
[2] Savatofski J. Le ToucherMassage. Paris: Lamarre; 2011.
Coll. Soigner et Accompagner.
[3] Société française de
neurologie, Haute Autorité
de santé. Prise en charge
des personnes atteintes de
sclérose latérale amyotrophique.
Conférence de consensus. Centre
universitaire méditerranéen de
Nice, 2005
31
dossier
Les pratiques psychocorporelles
Références
[4] Carpenito LJ. Plans de soins et
dossiers infirmiers : Diagnostics
infirmiers et problèmes traités en
collaboration, 2e édition. Paris: De
Boeck Université; 1997.
[5] Fedor MC, Grousset S,
Leysseyne-Ouvrard C, MalaquinPavan E. Le Toucher au cœur
des soins. Recommandations
pour la pratique, la formation
et l’évaluation en soins
infirmiers. Groupe national
Toucher de la Société française
de soins palliatifs (Sfap), Pôle
Qualité de vie, des soins et de
l’accompagnement. Phase 1,
décembre 2007.
Pour en savoir plus
• Loi n° 99-477 du 9 juin 1999
visant à garantir le droit à l’accès
aux soins palliatifs disponibles,
http://www.legifrance.gouv.fr/
affichTexte.do?cidTexte=JORFT
EXT000000212121
• Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002
relative aux droits des malades et
à la qualité du système de santé,
http://www.legifrance.gouv.fr/
affichTexte.do?cidTexte=JORFT
EXT000000227015
• Loi n° 2005-370 du 22 avril
2005 relative aux droits des
malades et à la fin de vie,
http://www.legifrance.gouv.fr/
affichTexte.do?cidTexte=JORFTE
XT000000446240&dateTexte=&c
ategorieLien=id
• Circulaire DHOS/O2/O3/
CNAMTS N° 2008-100 du 25
mars 2008 relative au référentiel
national d’organisation
des réseaux de santé en
soins palliatifs, http://www.
sante.gouv.fr/IMG/pdf/
circulaire_100_250308.pdf
• Célestin-Lhopiteau I, WanquetThibault P. Guide des pratiques
psycho-corporelles. Issy-lesMoulineaux: Elsevier Masson;
2006.
mais l’accès au chevalet et l’utilisation des pinceaux étant devenus impossibles, elle réalise des
tableaux au doigt sur tablette.
zz À l’issue de cette première expérience, je lui
propose de petites mobilisations avec étirements
des membres qu’elle apprécie beaucoup. L’évaluation de l’inconfort est la suivante : avant, 3
/10 ; après, 0 / 10. Elle souhaite ensuite tester la
relaxation seule, avec l’aide de l’auxiliaire de vie
et un CD.
zz Mme E. a accepté que je réalise chez elle une
vidéo afin de transmettre cette expérience. Nous
avons repris la relaxation sous VNI avec relaxinésie avant et après la séance, à sa demande. Lors
de cette 2e séance, elle a pu visualiser son tableau
préféré et se sentir marcher dans la forêt. À l’issue de cette séance, elle m’explique que, depuis
la première séance, elle a fait installer ce tableau
devant son lit avec le lecteur CD et les produits
de massage à sa portée. Ces séances lui ont permis de se réapproprier le salon qui lui sert de
chambre et de s’octroyer un espace de détente.
Elle a aussi osé demander à son kinésithérapeute
de lui masser les jambes, ce qu’elle n’osait pas
faire malgré nos conseils.
Enquête et discussion
zz J’ai pu mesurer l’intérêt des PPC chez les
personnes atteintes de SLA au domicile et la
légitimité de l’infirmière dans la mise en œuvre
de ces pratiques. Le choix de ce travail, partagé
avec le médecin responsable, l’équipe du
réseau et la neurologue référente, est motivé
par la complexité et le manque de perspectives
thérapeutiques qui caractérisent cette pathologie et l’isolement des personnes qui vivent au
domicile.
zz Une pré-enquête réalisée auprès de 6 personnes a permis d’évaluer les symptômes ressentis les plus difficiles. Ils sont essentiellement
: la perte d’autonomie, l’inconfort permanent
lié à l’ankylose des membres, le stress lié à l’imLes points à retenir
Déclaration d’intérêts
L’auteur déclare ne pas
avoir de conflits d’intérêts
en relation avec cet article.
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• Les pratiques psychocorporelles permettent
aux patients atteints de sclérose latérale
amyotrophique de maintenir ou retrouver des
sensations corporelles altérées par la maladie.
• La mise en œuvre de ces pratiques offre
une légitimité à l’intervention infirmière dans
le cadre d’une maladie offrant peu de perspectives
thérapeutiques.
mobilité et au besoin d’aide permanente. La
douleur n’est pas évoquée et seule une personne sur 6 évoque des troubles respiratoires
(tous ont une VNI ou de l’O2). Cette enquête a
évalué aussi les attentes et la réceptivité des personnes aux PPC. Pour les 6 personnes, les massages et la relaxation sont les pratiques les plus
connues. Elles ne pensaient pas pouvoir en
bénéficier du fait de la pathologie et souhaitent
un apprentissage au domicile avec recours
ensuite à un tiers proche. En effet, les exigences
liées aux handicaps et aux techniques de suppléance nécessitent une attention permanente
de l’intervenant qui initie ses pratiques.
zz La place de l’aidant au domicile est primordiale. Après des mois d’aide dans les soins quotidiens, celui-ci est parfois relayé par les
soignants. La pratique de massages peut alors
maintenir une place privilégiée en termes
d’échanges et de communication. C’est pourquoi il est intéressant de l’encourager à “oser”
pratiquer ou l’associer en binôme. L’auxiliaire
de vie sociale, très présente au domicile, développe des compétences grâce à ses interventions fréquentes et devient parfois l’aidant
référent.
zz La relaxation, les massages de confort associés à la relaxinésie et la musique, proposés
par le réseau, répondent aux besoins et attentes
évoquées par les personnes malades. Ces pratiques sont adaptables aux handicaps et nécessitent très peu de moyens.
zz Les évaluations lors des séances confirment
les résultats de l’enquête puisque la douleur
est peu cotée alors que l’évaluation confort/
inconfort est significative. Pour ces pratiques,
la confiance induite dans la relation conditionne le ressenti positif du patient, ce qui rend
cette évaluation assez subjective.
zz L’étude, effectuée sur un temps limité, n’est
pas suffisante pour être affirmative et objective. Elle nous a toutefois permis d’aborder le
sujet en équipe et avec les personnes malades
et leur entourage. Les propositions se limitent
aux moyens alloués au réseau ; une évaluation
de l’impact de celles-ci sur le confort et le bienêtre ressenti sur un nombre plus important de
personnes serait nécessaire. Par ailleurs, la formation d’un coordinateur du réseau à la
communication hypnotique enrichirait l’offre
de suivi pour les personnes initiées en neurologie par un médecin qui se forme à l’hypnose. n
SOiNS - no 787 - juillet/août 2014