coree-etats-unis le duel de la raison
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COREE-ETATS-UNIS LE DUEL DE LA RAISON (NUCLEAIRE, MISSILES, SATELLITE ARTIFICIEL) Jon Chol Nam Editions en Langues Etrangères Pyongyang, Corée 89 du Juche (2000) Avant-propos La Corée du Nord (la République Populaire Démocratique de Corée) est considérée comme le «pays des énigmes». L’incident de Rangoon, en octobre 1983, la disparition, en octobre 1987, d’un avion sud-coréen, le «développement d’armes nucléaires» dont le problème s’est aiguisé depuis 1992, le lancement d’un «missile» et la construction d’«installations nucléaires souterraines» en 1998, enfin la «question des casinos», le «kidnapping d’une Japonaise» et ainsi de suite, tous ces méfaits ont été attribués sans aucune preuve patente et avec parti pris à la Corée du Nord. Or, plus d’une fois, les soupçons sont le résultat de montages sans fondements. Ceux qui parlent de tel ou tel soupçon pesant sur la Corée du Nord, ce sont les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, ceux-là mêmes qui lui sont opposés. Le plus souvent, ils tirent profit de la confusion créée. Maîtres des «sources de renseignements», ils échangent entre eux des «informations» préjudiciables à la Corée du Nord, les exagèrent, leur donnent une apparence crédible, puis les publient. Et ils n’hésitent pas pour cela à entraîner avec eux l’ONU et autres institutions internationales. Et on n’entend presque jamais en Occident la voix de la Corée du Nord. Pour plus d’équité, il faudrait admettre préalablement la différence qu’il y a entre l’efficacité de la diffusion de ces renseignements inventés ou reçus et le peu d’influence qu’a la Corée du Nord. N’est-ce pas à cause de cela que la Corée du Nord n’apparaît pas sous son vrai aspect et que son image de pays «paria» reste inchangée? 1 Le présent livre se propose d’aborder les différentes approches de ce problème et de faire ressortir les trails essentiels de la situation prévalant dans la péninsule coréenne. Le Chapitre I essaie d’analyser à fond le «scandale du missile» pour prouver le changement fondamental qu’imprime au rapport des forces politiques et militaires dans la péninsule coréenne le lancement d’un satellite artificiel par la Corée du Nord. Le Chapitre II analyse les négociations RPDC-USA consécutives au «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord, arrange les écrits publiés dans des journaux et revues, les retouchant parfois. J’assure, non sans fierté, avoir prévu presque exactement l’évolution des événements, alors que des experts en renom en problème de la péninsule coréenne et des observateurs de la question coréenne faisaient circuler un flot de conjectures gratuites, telles que «Nous voilà au jour J de 1’"éclatement d’une deuxième guerre de Corée"», «Dislocation de la Corée du Nord», etc. J’estime nécessaire de revenir une fois encore sur le problème nucléaire nord-coréen et l’accord nucléaire RPDCUSA et d’apporter des précisions, afin de faire comprendre la situation dans la péninsule et ses perspectives d’avenir. Les fonctions des personnes, les noms des services, etc. mentionnés correspondent aux époques concernées. Le Chapitre III traite des possibilités de réunification du Nord et du Sud de la Corée et des voies censées conduire à cette réunification. Pour anticiper la conclusion à laquelle entend aboutir le présent livre, je dirais, premièrement, que l’éclatement ou le softlanding (atterrissage en douceur) de la Corée du Nord sont exclus, deuxièmement, que celle-ci établira très probablement d’ici quelques années des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, et ce tout en maintenant son régime socialiste, troisièmement, qu’une détente militaire permettra à son économie de prendre une bonne tournure, quatrièmement, que les deux parties de la Corée s’orienteront vers une réunification par fédération et enfin, 2 cinquièmement, que l’amélioration des relations entre la Corée du Nord et le Japon restera la dernière question à régler. Après la fin de la guerre froide, la situation dans la péninsule coréenne a foncièrement changé. Je pense que le processus de dissolution de la structure de la guerre froide restant en place dans cette partie du monde est une nécessité historique qui, sans aucun doute, s’accomplira. Seulement, les rapports RPDC-USA ont encore divers obstacles à surmonter. Une tension extrême est à prévoir dans le premier semestre de 1999, en raison du problème des missiles, du «soupçon d’installations nucléaires souterraines», de la négligence américaine dans l’application des accords RPDCUSA, etc. Crise qui pourrait finalement se convertir en un catalyseur de l’instauration de la paix. Pour résumer la situation dans la péninsule après la guerre froide, on peut parler d’une guerre sans coups de feu, d’une guerre diplomatique, d’une guerre psychologique. Qui gagnera? Jon Chol Nam Le 25 janvier 1999 3 Avant-propos de l’édition en langues étrangères Je suis heureux de voir les Editions en langues étrangères de Pyongyang, en RPDC, assumer la tâche de publier la traduction en plusieurs langues de mon modeste livre intitulé Corée—Etats-Unis, le duel de la raison—nucléaire, missiles et satellite artificiel paru en mars 1999 à la maison d’édition Shakai Hyoronsha du Japon. Le livre décrit le «soupçon nucléaire pesant sur la Corée du Nord», les différentes démarches tendant à améliorer les relations RPDC-USA inaugurées par ce soupçon, ainsi que l’impact décisif qu’a eu, sur les rapports entre la RPDC et les Etats-Unis et la situation dans la péninsule coréenne, le lancement réussi, en 1998, en RPDC, du satellite artificiel «Kwangmyongsong 1». L’évolution de la situation après la parution du livre a démontré que je ne me suis pas trompé dans mes prévisions. Dans la présente édition, comme me l’ont demandé les Editions en langues étrangères, j’ai décidé de traiter, dans un nouveau chapitre IV, les nouveaux événements importants intervenus pendant l’année qui s’est écoulée depuis, du point de vue de la stratégie économique, diplomatique et unificatrice du Secrétaire général Kim Jong Il. Maintenant que j’ai fini d’écrire le nouveau chapitre, je peux conclure que la «guerre sans coups de feu RPDC-USA» s’est terminée par la victoire de la Corée du Nord avec le lancement réussi du «Kwangmyongsong 1». Le vaincu, les Etats-Unis, n’a qu’une seule issue: mettre la dernière main sur le dossier de l’amélioration des relations RPDC-USA et éliminer définitivement la structure de la guerre froide dans la péninsule coréenne. En d’autres termes, les Etats-Unis doivent renoncer à la politique d’hostilité envers la Corée du Nord et à la domination sur la Corée du Sud, conclure un accord de paix, établir des relations diplomatiques avec la Corée du Nord et retirer par étapes leurs 4 troupes de Corée du Sud selon un calendrier fixé d’avance. Quand les tâches seront réalisées, la péninsule coréenne pourra bénéficier de la sécurité. Et cela ne se fera pas attendre. La nation coréenne recouvrera alors, par ses propres moyens, sa souveraineté et parviendra, selon les Trois principes—indépendance, paix et grande union nationale—, à la réunification du Nord et du Sud, son aspiration vieille de plus d’un demi-siècle et condition préalable à la paix et à la stabilité en Asie du Nord-Est. Cette réunification se fera par voie de fédération vers le début du XXIe siècle. La Corée réunifiée deviendra un Etat neutre conformément au «Projet de création d’une République fédérale démocratique du Koryo» et au «Programme en dix points pour la grande union de toute la nation en faveur de la réunification de la patrie» proposés par le Président Kim Il Sung, et la péninsule coréenne deviendra une zone de paix et dénucléarisée. C’est l’évolution légitime de l’histoire de la péninsule coréenne. Si le présent livre pouvait aider tant soit peu à la compréhension de la nécessité et de la réalité de cette évolution, je m’en féliciterais incomparablement. Je prierais de tout cœur les amis de tous les pays de lutter ensemble pour créer un siècle nouveau de paix et transformer la péninsule coréenne en zone de coexistence et de coprospérité. Jon Chol Nam Le 2 février 2000 5 TABLE DES MATIERES Avant-propos ....................................................................... 1 Avant-propos de l’édition en langues étrangères .............. 4 Chapitre I. LE «SCANDALE DU MISSILE» ET LES PERSPECTIVES D’AVENIR DE LA «GUERRE PSYCHOLOGIQUE» RPDC-USA .................................................................... 13 1. Missile balistique ou satellite artificiel?........................ 13 L’objet volant, satellite artificiel ............................................... 13 Réussite ou échec? ................................................................... 15 Le chagrin et l’embarras perçant dans le rapport final de l’Agence de la défense.........................................................18 Les raisons du lancement d’un satellite artificiel........................21 2. Les effets de la «carte de la rancune» du Japon........................................................................ 24 Contresens et rancune ...............................................................24 «Le monde entier se trompe, sauf le Japon » ...............................25 L’absence d’un préavis est-elle intolérable? ..............................28 Les raisons du retard dans l’annonce du lancement.................... 31 L’abandon ou la perte de sa carte diplomatique à l’égard de la Corée du Nord ...............................................................33 6 3. La puissance de la carte du satellite artificiel............................................................................ 36 Le satellite artificiel, est-ce une menace militaire?........................36 Le vrai impact du lancement d’essai de missiles de 1993 ............ 39 La Corée du Nord, est-elle une menace militaire? ....................... 41 La diplomatie de la parole contre la politique de force..................44 Apparition d’un puissant atout diplomatique .............................. 48 4. Produit de la surréaction du Japon ................................. 51 Effet négatif du «scandale du missile» ......................................51 La TMD contraire aux intérêts du Japon ....................................54 Des satellites de reconnaissance bons à rien ..............................57 Les forces d’autodéfense japonaises incapables d’attaquer les bases de missiles ................................................. 60 Le danger de la loi relative au nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense ............... 63 5. Le jour J arrivera-t-il ? ...................................................... 65 Les raisons militaires empêchant l’éclatement de la guerre ............ 65 Les obstacles politiques à l’éclatement de la guerre......................75 La Corée du Nord amène les Etats-Unis à modifier leur stratégie asiatique.................................................................. 77 Mesures dures et toile d’araignée..................................................82 6. L’échec de la tactique dilatoire et le nouveau soupçon nucléaire ............................................................ 85 La politique de soft-landing vouée à l’échec..............................85 Ni les «rayons de soleil» ni le «vent du nord» n’ont d’effet ...... 87 La tactique dilatoire en difficulté...............................................89 7 Nouveau «soupçon nucléaire» ...................................................92 7. Guerre sans vainqueur ni vaincu..................................... 98 La voie de la coexistence et de la coprospérité............................ 98 Le Japon voué à l’échec........................................................... 100 La Corée du Nord après l’établissement de relations diplomatiques avec les Etats-Unis ......................... 105 Chapitre II. LA CONCILIATION RPDC-USA AMORCEE PAR LE «SOUPÇON NUCLEAIRE» (Regard rétrospectif)........................................................ 109 «Evolution du problème nucléaire dans la péninsule coréenne»............................................................ 109 1. L’objectif recherché par la publication de la déclaration du retrait du TNP et son arrièrefond (De mars à avril 1993) ......................................... 113 Dernière tactique visant à sauvegarder sa souveraineté ................................................................113 Arbitraire et inéquitable est le TNP ............................... 115 Riposte à la carte nucléaire des Etats-Unis..................... 118 Menaces de guerre nucléaire et d’«inspection coercitive» ....................................................................... 121 Coup retentissant assené au TNP, symbole de l’exclusivisme et de l’arbitraire.......................... 124 Les Etats-Unis dans une impasse............................ 126 8 2. Premiers pourparlers RPDC-USA (De juin à juillet 1993) ........................................................ 129 Point de jonction entre la «force» et la «riposte».................. 129 Pour éviter un second Panama, un second Irak ............................... 133 Recherche d’un moyen de contrôle de la dénucléarisation ........ 136 Vision positive et vision négative ............................................... 138 3. Deuxièmes pourparlers RPDC-USA (De juillet à août 1993) ...................................................... 141 Un tournant dans l’effort pour mettre fin aux relations d’hostilité ..................................................................................141 La livraison de réacteurs à eau légère contribuera à la non-prolifération des armes nucléaires .................. 144 L’inspection régulière constitue le meilleur moyen de dissiper le «soupçon».........................................148 4.L’amélioration des relations est l’impératif des temps, passé et présent (Février 1994).....................151 La «politique de force» sans issue ........................................... 151 Les Etats-Unis doivent régler leur passé ................................... 154 Comment vaincre la peur ? ........................................................ 157 5. Vers la confiance mutuelle—accord-cadre RPDC-USA (D’octobre à novembre 1994) ...................159 «Problème nucléaire» et problème nucléaire ......................... 159 Le «présent» et le «futur» priment le «passé» .............................. 162 Un accord profitable aux deux parties ................................... 165 9 La guerre ou le dialogue? .......................................................168 Vers la dénucléarisation de la péninsule coréenne, sa transformation en zone de paix .......................................... 170 L’application de l’accord et la promotion de la confiance mutuelle ..................................................................173 6. Vive controverse au sujet des réacteurs à eau légère de «type sud-coréen» et aboutissement à un accord (D’avril à juillet 1995).................................. 175 Que signifie le «cheval de Troie»?.........................................175 Réacteur défectueux laissant à désirer quant à sa sûreté ............... 180 Qui conduira le projet? ...........................................................182 Deux messages présidentiels .................................................. 184 Vers l’établissement de relations diplomatiques ...........................187 Chapitre III. LA POSSIBILITE DE REUNIFIER LA COREE PAR LA FEDERATION DU NORD ET DU SUD ... 190 1. Solution miraculeuse d’Irlande du Nord .................... 190 2. Premier essai de transcender les différences de régime en accordant la primauté à la «nation»........ 194 3. Les changements dus à la fin de la guerre froide ......197 La structure de paix et de sécurité ..........................................197 La Corée du Nord mène la barque..........................................201 4. Issue aux situations économiques actuelles du Nord et du Sud .........................................................204 La réalité économique en Corée du Nord ..............................204 10 L’économie sud-coréenne......................................................... 206 La coopération économique nécessaire entre le Nord et le Sud .. 207 Ambiance politique favorable à la reprise du dialogue Nord-Sud ................................................................................. 209 Démarches effectives pour des échanges entre le Nord et le Sud ..................................................................................... 212 5. La réunification par fédération assurera la coexistence et la coprospérité ................................... 217 Chapitre IV. LA STRATEGIE ECONOMIQUE, DIPLOMATIQUE ET UNIFICATRICE DU PAYS DE LA RPDC................................................ 229 1. La «révolution dans la culture de la pomme de terre» et les rapports RPDC-USA ....................... 229 Une entreprise aussi bénéfique que la livraison de réacteurs à eau légère.............................................................. 229 La solution simultanée des problèmes énergétique et alimentaire....................................................................... 232 Secours contre la disette et production alimentaire suffisante ........................................................... 235 La perspective d’un revirement et la confiance en soi ............... 238 2. Le dollar vacillant et la stratégie économique de la Corée du Nord ........................................................... 242 Rapprochement de l’Union européenne ................................... 242 Illusions communes sur le dollar.............................................. 245 Symptômes de la fin d’un dollar omnipotent............................ 247 11 La libération du joug du dollar et l’économie indépendante .....251 L’idée de l’établissement d’un nouvel ordre économique international .........................................................253 3. La Corée du Nord face au facteur principal de la perpétuation de la division du pays......................... 256 Pour mettre fin à la politique hostile des Etats-Unis et éliminer leur domination ................................................... 256 La Corée du Nord, sortie victorieuse du combat diplomatique ............................................................................. 258 Le retrait des troupes américaines et la situation de la Corée du Sud......................................................................261 «Un pays et deux régimes», programme réaliste................... 264 La Corée du Nord aplanit les obstacles auxiliaires à la réunification ............................................................................. 268 DOCUMENTS DE REFERENCE ................................................. 272 NOTE DE LA REDACTION ........................................................ 288 12 CHAPITRE I LE «SCANDALE DU MISSILE» ET LES PERSPECTIVES D’AVENIR DE LA «GUERRE PSYCHOLOGIQUE» RPDC-USA 1. MISSILE BALISTIQUE OU SATELLITE ARTIFICIEL? L’objet volant, satellite artificiel Qu’est-ce que la Corée du Nord a lancé le 31 août 1998? C’est un missile balistique, selon les informations fournies aux autorités japonaises par l’armée américaine stationnée au Japon. «Missile balistique» qui, après confirmation de la chute de cet objet volant dans le Pacifique par-dessus l’archipel du Japon, a provoqué un scandale dans ce pays: «Attaque de missiles nord-coréens?— Menace militaire? C’est absolument impardonnable», s’écriait-on. Or, le 4 septembre, l’Agence télégraphique centrale de Corée annonçait le lancement réussi d’un satellite artificiel. Peu à peu, la confirmation du lancement d’un satellite artificiel a pris le pas sur la suspicion initiale. Voici les informations qui ont conduit à cette mutation des opinions: • Le 4 septembre, le responsable du Centre de poursuite des satellites de Russie a déclaré: «Nous avons vérifié le placement en orbite du premier satellite artificiel nord-coréen. Il décrit une orbite elliptique dont le périgée est de 218, 82 km, l’apogée, de 6 978, 2 km et la 13 période de révolution, de 165 minutes 6 secondes. » Milov, chef adjoint de l’Association cosmique de Russie, a remarqué: «La fusée est d’une haute et étonnante technologie (L’agence ITARTASS). » • Le 4 septembre, l’agence Xinhua annonçait: "Un satellite a été lancé avec succès et placé en orbite (Radio Beijing).» • Le 4 septembre, des hauts fonctionnaires du gouvernement américain ont affirmé qu’il était possible que la Corée du Nord ait placé un objet en orbite autour de la Terre. • Le 10 septembre, dans une conférence de presse, Hong Sun Yong, ministre sud-coréen des Affaires étrangères et du Commerce, en visite aux Etats-Unis, a déclaré: «Ils ont en effet essayé de lancer un satellite artificiel au moyen d’une fusée balistique d’un modèle récent. Selon toute apparence, ils y ont échoué. » • Le 11 septembre, Craig Thomas, président de la souscommission des affaires d’Asie de l’Est—Pacifique de la commission des relations extérieures du Sénat américain, a expliqué lors d’une audience publique: «Selon l’appréciation de la NASA (National Aeronautics and Space Administration), la Corée du Nord a lancé un satellite et l’a placé en orbite, mais il ne remplit pas ses fonctions.» Un haut fonctionnaire du gouvernement américain a déclaré: «Des renseignements attestent la différence que marque ce lancement, dès le début, par rapport à un essai de missile balistique, ce qui correspond aux affirmations nord-coréennes.» La CIA a rendu le même jugement sur la nature de la trajectoire (Washington Times). • Le 14 septembre, le gouvernement américain a déclaré officiellement: «Le satellite artificiel dont la fusée était munie n’a pas réussi à être placé en orbite.» • Le 15 septembre, une consultation non officielle du Conseil de sécurité de l’ONU a publié une déclaration réclamant de la «retenue» à la Corée du Nord, mais reconnaissant pourtant que 14 «tout pays se réserve le droit légitime de promouvoir un programme spatial à des fins pacifiques». • Le 17 septembre, les autorités sud-coréennes ont convoqué une réunion de sécurité où elles ont donné leur conclusion définitive: «Ils ont essayé de placer en orbite un satellite artificiel de petite dimension au moyen d’une fusée à trois étages, mais ils y ont échoué.» Ces données prouvent qu’il a été reconnu sur le plan international que la Corée du Nord avail lancé, non pas un missile balistique, mais un satellite artificiel. Réussite ou échec? La Corée du Nord a-t-elle réussi ou non à lancer un satellite artificiel? La question n’a certes plus d’importance, le fait ayant été reconnu, sur le plan international, qu’il s’agissait bien d’un satellite artificiel. Pourtant, il n’est pas inutile de le vérifier. Le 4 septembre 1998, l’Agence télégraphique centrale de Corée, établissement d’Etat, affirmant que «le lancement a été une réussite», a annoncé en substance: (1) Le 31 août, une fusée porteuse a été lancée à 12 h 07 mn à 86° depuis le site de lancement situé dans la commune de Musudan, arrondissement de Hwadae, province du Hamgyong du Nord, et a placé, à 12 h 11 mn 53s, un satellite en orbite; (2) La fusée porteuse est formée de trois étages. Le premier étage a été largué 95s après lancement de la fusée et est tombé dans les eaux internationales de la mer de l’Est de Corée, à 40° 51' de latitude nord et à 132° 40' de longitude est. 144s après, le deuxième étage a ouvert le corps caréné de sa partie supérieure, puis, 266s après, s’est détaché du reste et est tombé en haute mer du Pacifique à 40° 13' de latitude nord et à 149° 07' de longitude est. 27s après la séparation du deuxième étage, le troisième étage a placé le satellite en orbite; 15 (3) Le satellite gravite sur une orbite elliptique, à 218, 82 km de périgée et à 6 978, 2 km d’apogée. Sa période de révolution est de 165mn 6s; (4) Le satellite émet vers la Terre, par signaux en morse, sur une fréquence de 27 MHz, les mélodies du Chant du Général Kim Il Sung et du Chant du Général Kim Jong Il et l’appellation de «Corée du Juche». Selon des sources nord-coréennes, le satellite, appelé «Kwangmyongsong 1», a effectué, le 13 septembre, sa 100e rotation autour de la Terre et, les 3 et 4 octobre, a pu être observé à l’œil nu, à l’aube, au-dessus de la Corée. Si c’est vrai, cette réussite, qu’a obtenue la Corée du Nord par ses propres moyens, se classe 9e après celles d’ex-Union soviétique, des Etats-Unis, de la France, du Japon, de la Chine, de la Grande-Bretagne, de l’Inde et d’Israël. Or, il ne manque pas de pays et d’experts qui doutent du fait. Ils avancent en substance les trois arguments suivants: 1. La fréquence de l’émission annoncée par la Corée du Nord n’a pas été confirmée; 2. La première vitesse cosmique, celle qu’il faut pour placer le satellite en orbite, n’a pas été atteinte; 3. Le satellite lui-même n’a pas été détecté. Pour reprendre le premier point, il n’est pas étrange que les ondes émises par le «Kwangmyongsong 1» sont difficiles à détecter. Jadis, même les radio-amateurs pouvaient capter les ondes émises par des satellites, car elles étaient en morse. Mais, dans les pays développés, on n’emploie plus de signaux en morse, on n’y trouve donc plus de récepteurs ad hoc. «Pis encore, leur fréquence correspondant à celle employée au Japon par les cibistes, leur détection est difficile pour tout autre appareil, vu les parasites et la faiblesse des signaux» (Nogi Keiitsi, commentateur militaire), et «Il est difficile de les saisir à cause de la faiblesse de la fréquence de 27 MHz» (Fukumuro Yashuyuki, chef du service de l’information de la NASDA—National Space Development Agency of Japan). 16 Pour parler du deuxième point, si le département américain de la Défense a allégué, pour démontrer un échec, que la fusée n’avait atteint qu’environ 7 km à la seconde, vitesse inférieure à la première vitesse cosmique (7,9 km/s), il avait omis le troisième étage (ce qui lui a fait sans doute croire à un missile) et n’avait pu remarquer, à cause de sa haute vitesse, que la courbe décrite. Le manque de précision de ses observations est cause de la déduction de ce chiffre inexact. Sa déclaration n’est qu’un argument ad hominem et prouve que la fusée a atteint la première vitesse cosmique. Enfin, le troisième point. Il est difficile de prouver le placement en orbite du satellite, les Etats-Unis et la Russie étant les seuls pays à disposer d’un réseau de détection des satellites. Pourquoi? Autour de la Terre tournent actuellement—fin 1998—2 528 satellites et 6 204 éclats de fusées et divers. Les vérifier imposerait un travail énorme. La Russie, prévenue par la Corée du Nord, n’a pas dû éprouver cette nécessité, et les Etats-Unis, eux, croit-on, n’ont pu y parvenir malgré leur tentative. N’ont-ils pas fait état au Japon du lancement d’un missile balistique? Il leur fallait parler d’un «échec», même après avoir vérifié le lancement du «Kwangmyongsong 1 », pour sauver la face. Il y a plus. On avance l’hypothèse que la Corée du Nord a prévenu les Etats-Unis du «lancement d’un satellite artificiel». Dans ce cas, ils auraient sous-estimé la Corée du Nord: comment ce pays en butte à une crise alimentaire et économique en serait-il capable? Ils ont ainsi conclu, avec parti pris, tout en scrutant l’objet volant. «"Baliverne", a réagi froidement (à l’annonce du lancement d’un satellite artificiel) le département américain de la Défense. "Comment y croire?" a-t-il calmement nié les faits au début. Or, le responsable qui avait —le matin— promis de "publier une déclaration sans tarder" a dit, d’un air gêné, — le soir— qu’"il est impossible de confirmer ou de nier." Certains scientifiques ont commencé à signaler l’étrangeté de ce premier essai de missile ("La vérification et l’impact du missile", Asahi Shimbun, le 22 17 septembre 1998). » L’embarras décrit témoigne du choix fait par les Etats-Unis. Le 6 octobre 1998, à la commission des relations extérieures du Sénat, Donald Rumsfeld, président de la commission américaine d’évaluation des menaces de missiles balistiques et ancien secrétaire à la Défense, a reconnu le mépris et la sous-estimation dont étaient l’objet la capacité et la technique de la Corée du Nord en déclarant: «Au début, compte tenu de la complexité de la technique du lancement d’une fusée à trois étages, les Etats-Unis ont estimé difficile pour la Corée du Nord de la posséder. Ils ignoraient que le troisième étage de la fusée nord-coréenne employait un combustible solide, nécessitant une haute technique, et, de plus, était muni d’un satellite artificiel.» Est-ce que le lancement a réussi? En Occident, il est probable que des raisons politiques aient empêché de l’affirmer. Quoi qu’il en soit, le fait émerge au grand jour: ce que la Corée du Nord a lancé, c’était bien un satellite artificiel. Le chagrin et l’embarras perçant dans le rapport final de l’Agence de la défense Le gouvernement japonais persistait seul à considérer comme un missile balistique ce qui a été lancé quand il a conclu, dans son rapport final du 30 octobre, à un «missile». Or, un examen attentif de ce rapport prouve qu’il s’agit, non pas d’un missile, mais d’un satellite artificiel. «Juste avant que le corps ne perde son impulsion, une petite partie s’en est détachée pour voler pendant un bref instant sans parvenir à prendre la vitesse nécessaire pour se placer en orbite. On peut estimer que l’objet volant était parti du missile 1.» Sans ombre de doute, cela veut dire que c’était un satellite qu’on avait voulu placer en orbite. 18 Les expressions du genre: «... Bien qu’on ne puisse nier absolument, sur le plan théorique, que le vol du genre pratiqué dans le cas de ce lancement puisse placer un corps en orbite», «Bien que, dans l’ensemble, ne soit pas totalement exclue la possibilité théorique de placer en orbite un corps minuscule», etc. ne nient pas que l’objet volant en question était un satellite artificiel. Certes, le rapport final énumère des arguments pour conduire à un missile balistique comme suit: l’insuffisance de la vitesse de l’objet volant, la non-confirmation des signaux, censés être émis, la trop petite dimension du troisième étage pour porter un satellite, l’absence de traces du placement du corps en orbite autour de la Terre, l’insuffisance du niveau scientifique et technique de la Corée du Nord, etc. «Un cadre de l’Agence de la défense qui avait précisé avec assurance ses vues préétablies a déclaré que les renseignements recueillis par les satellites militaires et l’appareil d’observation d’engins balistiques de l’armée américaine et ceux collectés indépendamment par l’Agence de la défense et les forces d’autodéfense du Japon "se correspondaient" (Sankei Shimbun, le 30 octobre 1998).» Or, le Japon est dépourvu d’un système permettant d’observer et de poursuivre en toute indépendance des missiles balistiques ou des satellites. L’«assurance» de l’Agence de la défense ne peut donc être interprétée que comme de commande. Les arguments énumérés dans le rapport final concernent l’échec du lancement d’un satellite et ne conduisent pas à l’identification d’un quelconque missile balistique. Dans ce rapport, on reconnaît que l’objet volant avait une altitude plus basse qu’un missile balistique et poursuivait un vol horizontal comme une fusée porteuse d’un satellite artificiel. Un missile à longue portée est lancé à la verticale pour voler loin et, après avoir traversé l’atmosphère, maintient un angle de 45°. Une fusée porteuse d’un satellite maintient une trajectoire 19 parallèle à la surface de la Terre, tandis qu’un missile balistique se tient à un angle de 40 à 45° par rapport à la surface de la Terre au moment de rentrer dans l’atmosphère et retombe sur terre sous cet angle. C’est-à-dire qu’il a une trajectoire rappelant une montagne très haute et pointue. Un vol horizontal à basse altitude ne peut «attester techniquement le vol à longue distance d’un missile balistique» (le rapport final). Selon les vues pleines d’assurance de l’Agence de la défense, la Corée du Nord doit avoir procédé à l’essai de lancement d’un missile balistique dont la vérification technique est impossible, autrement dit à un lancement dépourvu de sens. Il semble que l’Agence de la défense a projeté, au début, de publier un rapport final admettant la «thèse du satellite artificiel». «Le 21, l’Agence de la défense a recueilli des avis en faveur de l’admission de l’échec éventuel d’un essai de lancement d’un satellite artificiel. Cela figurera dans le rapport final qui sera publié dans le courant de ce mois» (Tokyo Shimbun, le 22 octobre 1998). Information que donnaient également d’autres journaux. Pourtant, au cours de la dizaine de jours qui ont précédé la publication du rapport final, la conclusion prévue a changé. Comment admettre le lancement d’un satellite après avoir affirmé l’essai d’un missile balistique et avoir appliqué des sanctions immédiates à la Corée du Nord? Rien de plus ignoble. C’est, selon toute éventualité, ce jugement politique qui a conduit à conclure au «lancement d’essai d’un missile». Le Mainichi Shimbun, le 31 octobre, a, sous le titre de «La couleur politique», annoncé: «Un cadre de l’Agence de la défense a fait remarquer l’identité de vues entre l’Agence de la défense et les Etats-Unis en ce qui concerne la constatation des faits et leur analyse et a émis l’idée de "définition" (du satellite)... Affirmer ou nier un "satellite", c’est se prononcer sur l’intention pacifiste ou non de l’acte de Corée du Nord, c’est, par conséquent, montrer quelle est l’altitude diplomatique 20 prise vis-à-vis de ce pays.» Autrement dit, l’Agence de la défense a défini un satellite comme «ayant la fonction de communication, d’observation de la Terre ou une quelconque fonction importante permettant la vérification et la poursuite d’un corps». Ayant arrêté, sans avoir identifié le corps, le jugement politique que la Corée du Nord avait eu une intention non pacifique en procédant au lancement, on était finalement amené à ne pas lever le voile sur cette affaire. En d’autres termes, on peut dire que le rapport final, la conclusion finale du Japon se ramène à la «reconnaissance, pour la première fois, du fait qu’un corps propulsé a volé, quoique pendant un bref instant à la dernière étape» (Asahi Shimbun, le 30 octobre 1998). Il est indéniable que l’attitude équivoque du Japon, aboutissement de la volonté de sauver la face, —lui qui avait affirmé le lancement d’un missile balistique—, tout en respectant les prises de position des Etats-Unis et de la Corée du Sud, se résume en une conclusion bourrée de contradictions. Les raisons du lancement d’un satellite artificiel Pourquoi la Corée du Nord a-t-elle lancé un satellite artificiel, qui exige d’énormes fonds et une haute technique, en dépit de sa grave crise alimentaire et économique? «Rien ne se fait sans but. Même un acte dépourvu de sens à première vue cache un sens. Si l’on oublie que cela caractérise les communistes, on ne saurait prévoir leur conduite (Fujie Hisashi, commentateur militaire).» C’est cet esprit qui fait gravement défaut en Occident quand il s’agit d’apprécier la Corée du Nord. Dans son numéro du 17 septembre 1998, le Rodong Sinmun, organe du Parti du Travail de Corée, a publié le rapport de la conference de presse des hommes de science ayant collaboré 21 à la construction du satellite artificiel. Faisons appel à cette conférence pour examiner l’enjeu du lancement. «Le "Kwangmyongsong 1" et la fusée porteuse à plusieurs étages récemment lancés ont été construits il y a six ans déjà. On aurait pu les lancer dès lors, mais on a atermoyé compte tenu de l’impact que cela exercerait sur la situation mondiale complexe. Le lancement a été retardé d’autant que les trois années qui allaient suivre la disparition du Président Kim Il Sung étaient une période de deuil national." En 1992, le Président Kim Il Sung était en vie, la Corée du Nord n’était pas encore touchée par la crise alimentaire causée par des calamités naturelles et était économiquement à l’aise. La fusée à plusieurs étages, dit-on, était au point dans les années 80 déjà. Rien d’étrange à ce que la Corée du Nord ait commencé dans les années 90 à construire un satellite artificiel. D’ailleurs, en 1992, se situe le début du «soupçon de développement d’armes nucléaires», la Corée du Nord était gravement confrontée militairement aux Etats-Unis, et un danger de guerre imminent régnait dans la péninsule coréenne. Tout risquait de faire prendre par les Etats-Unis un lancement de satellite pour un lancement de missile balistique, comme ce fut le cas récemment, ce qui pouvait être à l’origine de l’aggravation de la tension militaire. L’expression «compte tenu de l’impact que cela exercerait sur la situation mondiale complexe» en dit long sur la volonté d’éviter un tel malentendu. D’autre part, il faut remarquer qu’un lancement de satellite pouvait être un événement national heureux, à même de rehausser le prestige du pays. Y procéder pendant que le pays était en deuil du Président Kim Il Sung dépassait l’imagination, vu la nature du système d’Etat de la Corée du Nord. «C’est à l’occasion de la première session de la 10e législature de l’Assemblée populaire suprême et du jubilé de la République Populaire Démocratique de Corée qu’on a lancé récemment un premier et significatif satellite artificiel.» 22 Le deuil avait pris fin. Kim Jong Il, successeur du Président Kim Il Sung, avait été élu en 1997 Secrétaire général du Parti du Travail de Corée et réélu, le 5 septembre 1998, Président du Comité de la défense nationale. De plus, en 1998, la RPDC fêtait le cinquantenaire de sa fondation et prenait un nouveau départ à l’issue de sa «Dure marche», choses dignes d’être célébrées. Et c’était l’occasion ou jamais. Autre chose à ne pas oublier, l’accord-cadre RPDC-USA de 1994 fait que les deux pays s’acheminent vers la réconciliation et la confiance. Actuellement, la péninsule coréenne est pourvue de divers systèmes de sécurité au point qu’elle est au moins à l’abri d’un danger de guerre imminent. Voilà, selon toute apparence, l’appréciation de la situation et l’enjeu qui étayaient le lancement d’un satellite. Il n’est pas difficile de s’imaginer que son effet politique était pour la Corée du Nord plus grand qu’on ne le pensait en Occident. Ce n’était certainement pas du gâchis ni une simple démonstration de force. Les satellites artificiels peuvent avoir une grande utilité économique pour la Corée du Nord. Ils se divisent en satellites scientifiques, satellites utilitaires, satellites militaires et autres. La Corée du Nord, elle, compte sur des satellites de télécommunication, vu sa topographie montagneuse, sur des satellites météorologiques pouvant servir à l’agriculture, sur des satellites de prospection capables de détecter et de permettre d’exploiter efficacement les abondantes richesses de son soussol. Et des satellites commerciaux pourraient lui servir à acquérir des devises fortes. La Corée du Nord semble projeter pour de bon de multiplier des essais de lancement de satellites à des fins utilitaires. Compte tenu des échecs répétés qu’ont dû subir les pays avancés avant de réussir, la Corée du Nord qui a réussi à son premier lancement n’est nullement en retard quant à sa technique. «Symbole de la résurrection, celui de la 23 transformation du malheur en bénédiction après la crise en Corée du Nord», ainsi peut-on qualifier le lancement de ce satellite artificiel. 2. LES EFFETS DE LA «CARTE DE LA RANCUNE» DU JAPON Contresens et rancune Le «lancement du missile» a produit sur le Japon un choc incommensurable. Certains le qualifient par ironie de «bateau noir de Perry», et il est probable que ce pays qui chantait la «paix» depuis plus d’un demi-siècle que la guerre avait pris fin ait éprouvé, à la nouvelle du survol de son territoire par un objet volant lancé par le pays ennemi, une menace comparable à celle ressentie par les contemporains d’Edo pour le «bateau noir». Une menace d’origine vague conduit à la terreur, puis au boycottage. S’il est souhaitable qu’une hostilité aux barbares telle que celle de la fin du shogunat qui se résume par l’expression «vénérer l’empereur et expulser les barbares» ne renaisse pas après plus d’un siècle, on se demande si le «missile» était un «bateau noir». Comme on le verra dans les lignes suivantes, le Japon a pratiqué pendant longtemps une politique d’hostilité à l’égard de la Corée du Nord en considérant la Corée du Sud comme l’unique gouvernement légitime dans la péninsule coréenne et en accordant une importance essentielle aux relations d’alliance avec elle et les Etats-Unis, ces deux derniers étant en opposition militaire avec la Corée du Nord. L’aide alimentaire ou autre «politique d’amitié» auxquelles il fait allusion n’est en fin de compte qu’un acte d’humanitarisme, mais non pas la preuve 24 d’un changement radical de politique à l’égard de la Corée du Nord. Le Japon n’est pas non plus resté indifférent à la tension régnant dans la péninsule coréenne. Il a de sa propre initiative orienté sa politique vers une opposition aiguë à l’Union soviétique, à la Chine et, de nos jours, à la Corée du Nord, qu’il considère comme des pays ennemis, comme des menaces virtuelles. La «paix» à laquelle veille le Japon, c’est la sécurité conçue selon la stratégie mondiale et asiatique des Etats-Unis. Du point de vue de la Corée du Nord, le Japon n’est qu’une «terrible menace», et nullement un «pays pacifique». L’innocence et l’attachement à la paix que s’attribue le Japon ne peuvent être du point de vue de la Corée du Nord qu’une fausse idée de la réalité. Les conservateurs, les éléments de droite qui se plaignent et s’indignent du manque de conscience de la défense chez leurs compatriotes, de la crise et de sa gestion «se félicitent» du «missile». Pourquoi? Parce qu’heureusement le «missile» a, à leurs yeux, ranimé le chauvinisme corrompu et en léthargie des Japonais. Or, ce serait, à n’en pas douter, un symptôme très dangereux si de nombreux Japonais, pourtant hostiles à la guerre, se laissaient aisément gagner par l’esprit borné représenté par ce chauvinisme et cette rancune. «Le monde entier se trompe, sauf le Japon» Dès le lendemain de la réception du commandement des forces américaines stationnées au Japon de la nouvelle du «lancement d’un missile balistique par la Corée du Nord», le gouvernement japonais a réuni, avec une hâte inhabituelle, le cabinet pour prendre des sanctions, à savoir suspendre la négociation de la normalisation des relations diplomatiques, l’aide humanitaire, notamment alimentaire, et renoncer à sa collaboration à la KEDO 25 (Organisation pour le développement de l’énergie dans la péninsule coréenne—NDLR). Ensuite, il a suspendu la ligne aérienne directe Nagoya— Pyongyang. Enfin, le 3 septembre 1998, la Chambre des conseillers et la Chambre des représentants ont voté à l’unanimité la décision de «protester contre le lancement du missile». Riposte prompte dont on se demande l’origine: la critique fréquente du manque de conscience de la crise, de l’imperfection du système de riposte ou la certitude des faits acquise grâce à la surveillance exercée par l’envoi au large de la côte ouest du Japon du Myoko, navire doté du système Aegis, et d’un «EP 3», avion collecteur électronique de renseignements à longue durée de vol? Or, le lendemain de ce vote, la Corée du Nord a annoncé la «réussite du lancement d’un satellite artificiel». Parler du lancement d’un satellite, parler du lancement d’un missile balistique sont deux discours divergents du point de vue politique et militaire. La riposte du gouvernement japonais aurait été sensiblement autre s’il avail pris son temps pour analyser les faits et les juger, notamment pour se renseigner auprès de la Corée du Nord. En l’ait, les Etats-Unis et la Corée du Sud ont réagi avec sangfroid, l’attitude américaine «contrastant avec celle du Japon qui a crié au loup alors qu’ils méditaient» (Samuel Jameson, ancien chef du bureau de Tokyo de Los Angeles Times). Le Japon s’est indigné de l’attitude des deux pays, leur exprimant sa vive inquiétude, sans pourtant parvenir à obtenir leur coopération, juste à peine quelques témoignages de sympathie. Force était au Japon de se plaindre auprès du Conseil de sécurité de l’ONU auquel il n’a pu pourtant arracher qu’une déclaration exprimant de 1’«inquiétude», sous forme de communiqué oral du président sans procès verbal officiel. 26 «Je me déclare préoccupé par l’"objet" lancé par la fusée nord-coréenne qui est tombé dans la mer de l’Est de Corée. J’exprime mon regret que le lancement ait eu lieu sans prévenir les pays des alentours», lit-on dans la déclaration qui ajoute néanmoins: «J’affirme que c’est un droit légitime pour tout pays d’exploiter l’espace à des fins pacifiques tant que cela répond au règlement de sécurité du droit international et respecte le principe de transparence.» Autant que pouvait faire le Conseil de sécurité dans la mesure où la communauté internationale, excepté le Japon, reconnaissait un satellite artificiel. Or, Takamura, ministre japonais des Affaires étrangères, s’est vanté: «Avec quelque exagération, on y voit la victoire de la diplomatie japonaise à l’égard de l’ONU. Bonne chose que l’avis du Japon ait eu, comme c’est légitime, la compréhension de tous les membres du Conseil de sécurité.» Expression du contentement de soi. Une autre faute du Japon, c’est le coup d’arrêt donné à sa collaboration à la KKDO. Une sanction est destinée à nuire à un pays donné, c’est un moyen efficace en politique extérieure, comme le monde entier le sait. Et la KLDO est un corps international, né de l’initiative des Etats-Unis, pour livrer des réacteurs à eau légère à la Corée du Nord en vertu de l’accord-cadre RPDC-USA. Le retard dans leur construction portera préjudice aux Etats-Unis et à la Corée du Sud, pays membres du conseil de la KEDO, et restera presque sans effet sur la Corée du Nord. Bien plus, ce sera éventuellement un atout à jouer contre les Etats-Unis. Il s’avère donc légitime aussi que les Etats-Unis et la Corée du Sud critiquent le Japon, lui réclamant d’annuler son gel. Malgré une certaine réticence initiale, force lui a été d’y procéder, sans pourtant en préciser le motif. Ce n’est pas pour rien si Charles Kartman, envoyé spécial américain chargé de négocier la paix en Corée, s’est plaint: «Le Japon est dépourvu de toute 27 tactique. "Je ne veux pas de toi", voilà tout ce qu’il sait dire (Nihon Keizai Shimbun, le 16 septembre 1998).» D’autres sanctions n’ont pas eu non plus d’effet sur la Corée du Nord. On présumait que la suspension de la ligne aérienne directe porterait préjudice à l’exportation du champignon de la Corée du Nord. Or, on apprend qu’en 1998 la mauvaise récolte de champignons en Corée du Sud, due à des pluies diluviennes, a obligé les Sud-Coréens à importer de Corée du Nord, via Chine, de grosses quantités de champignons, dont la part du lion a été achetée par les touristes japonais. La Corée du Nord ne s’est donc pas, ou presque, ressentie de la suspension de la ligne directe. Il y a longtemps déjà que, pour la Corée du Nord qui a été pendant de longues années l’objet des sanctions politiques et économiques du Japon, et même de sanctions ayant valeur d’ultimatum pour un pays ordinaire, ce genre de menaces a perdu son sens. La Corée du Nord déclare qu’elle a vécu et saura vivre encore sans avoir normalisé ses relations avec le Japon. Loin d’être du bluff, cela résume les rapports qu’ont eus les deux pays. Si Takamura a affirmé que «le monde entier sait que la Corée du Nord est responsable», la communauté internationale pense cependant que c’est un satellite qui a été lancé. Il s’avère que le gouvernement japonais manque de bon sens. On entend souvent les Japonais se moquer d’eux-mêmes à propos de la politique économique: «Le monde entier se trompe, sauf le Japon.» C’est le cas aussi, faut-il le dire, dans l’attitude adoptée à l’égard de la péninsule coréenne. L’absence d’un préavis est-elle intolérable? Le gouvernement japonais a allégué, pour prendre ses sanctions contre la Corée du Nord, premièrement, l’absence d’un préavis, donc infraction du droit international, et deuxièmement, la violation de l’espace aérien, donc celle de la souveraineté. 28 Arguments trop fragiles pour étayer des sanctions susceptibles d’entraîner l’éclatement d’une guerre avec un pays ennemi. La Corée du Nord a répliqué: «Premièrement, depuis 1975 le Japon a lancé plusieurs dizaines de satellites, et il n’a jamais prévenu la Corée du Nord, deuxièmement, il est d’usage sur le plan international de lancer un satellite sans préavis, troisièmement, on a fait tomber le corps dans les eaux internationales après avoir survolé le détroit de Tsugaru.» Du coup, le gouvernement japonais est resté muet. Quant au préavis en cas de lancement de satellite artificiel, le traité de l’espace, le traité du droit maritime international, etc. ne le stipulent dans aucune clause. L’Union soviétique, les Etats-Unis, la Chine et autres pays n’ont publié l’annonce du lancement de leur premier satellite qu’après avoir eu confirmation de la réussite. Comme de raison, ils n’ont donné aucun préavis aux autres pays. Le Japon non plus, «si ce n’est qu’il a prévenu en anglais, un mois avant de procéder au lancement, les agences aéronautiques et les ports des différents pays étrangers pour qu’ils veillent à ce que les avions ou les navires ne pénètrent pas dans la zone où tomberait le propulseur» (l’ISAS—Institute of Space and Astronautical Science). Certes, aucun problème ne se poserait au Japon qui procède au lancement vers l’est depuis les sites de l’île de Tanega ou de la péninsule d’Osumi si bien que les corps lancés n’aient pas à survoler d’autres pays. En général, les satellites sont lancés vers l’est pour tenir compte de la direction de la révolution de la Terre, ce qui oblige la Corée du Nord à «survoler» le Japon. Au reste, si le droit international ne spécifie pas l’altitude de l’espace aérien des pays, on considère d’habitude qu’elle va jusqu’à 100 km, au-delà s’étendant l’atmosphère—l’espace cosmique. Dans le cas du lancement par la Corée du Nord, la deuxième séparation a eu lieu à 204 km d’altitude, et le satellite a été placé en orbite à 239,2 km au-dessus de la mer de l’Est de Corée. Il n’est donc pas question de violation de la souveraineté du Japon. Ce 29 qui a amené Takamura, pourtant si entêté, à répondre évasivement: «On ne peut affirmer si l’espace aérien a été violé ou non, c’est douteux (Interview du 30 octobre 1998).» «La direction idéale du lancement pour obtenir la vitesse maximale est l’est exact (l’angle azimutal de 90°), mais elle passe au-dessus du territoire japonais. Aussi avons-nous modifié la direction du lancement du satellite, soucieux de respecter la souveraineté du voisin au prix même du sacrifice de la direction idéale. Nous avons adopté la direction de 86° d’angle azimutal (au-dessus du détroit de Tsugaru, entre Hokkaïdo et Honshu), malgré les désavantages que cela comportait pour nous. Du reste, nous aurions pu atteindre une plus haute altitude, mais nous avons pris sérieusement en compte l’éventualité d’une chute du deuxième étage près des eaux territoriales du Japon. A nos dépens et dans le respect de la souveraineté du pays étranger, nous avons adopté une moindre altitude. Il est fort regrettable que certaines personnes au Japon ne comprennent pas notre attitude équitable et réfléchie.» A ces explications des scientifiques nord-coréens, constructeurs de satellite, le Japon aurait dû prendre le temps de prêter oreille. Car l’objet volant qu’il a qualifié de «missile balistique» a laissé les traces de son vol en direction et à l’altitude indiquées ci-dessus. Seulement jamais jusqu’à présent, il n’avait été question de «violation de l’espace territorial» par un satellite artificiel, et les pays ayant procédé au lancement sans préavis n’ont été l’objet d’aucune critique internationale. D’ailleurs, l’objet volant, annonce-t-on, a survolé les îles du Japon et est tombé au large de Sanriku. Plus exactement, le propulseur est tombé à 330 milles marins du Japon, à 12 milles marins de ses eaux territoriales, dans les eaux internationales, loin des eaux économiques de nature exclusiviste de 200 milles marins. «Au large de Sanriku» pourrait passer pour une expression politique extrémiste de nature à susciter inutilement la terreur de la population du Japon. 30 Les raisons du retard dans l’annonce du lancement «C’est une bonne chose si c’est un satellite artificiel, et non une arme, qui fut lancé. (Il aurait fallu alors le dire sans trop tarder.)» (Asahi Shimbun, le 5 septembre 1998, la rubrique «Particules fondamentales».) «Je me souviens du "gauchisme, maladie infantile" de Lénine. Serait-ce le lancement d’un "missile"? Si on l’avait lancé sans tenir compte du milieu environnant, ce serait un acte infantile, et, si l’on l’avait lancé en en tenant compte, ce serait une "maladie infantile". De "gauche" ou autre, je ne sais pas. Mais, si, à l’annonce à l’étranger de la "crise en Corée du Sud", de la "confusion au Japon", du "désordre en Russie", etc., on avait mal apprécié les faits et qu’on se fût écrié: "Quelle aubaine", ce serait une salve coûteuse (Le premier septembre).» Ainsi ironisait et tournait en ridicule la Corée du Nord, dans l’hypothèse du lancement d’un missile, l’auteur d’un article tout en exprimant un avis certainement partagé par la plus grande partie des Japonais. Sans doute qu’il n’aurait pu que manifester son dépit à l’annonce, quatre jours plus tard, de cette réussite. Pourquoi alors l’annonce a-t-elle pris quelques jours? Je suppose deux raisons. D’abord, comme je viens de le mentionner, il a fallu vérifier non seulement un lancement réussi, mais aussi une évolution régulière du satellite suivant son orbite. Il en allait du prestige du pays, et un échec ne devait pas passer pour une réussite. «Dès le début, précise le responsable de la construction de l’engin, nous avons pensé publier le résultat du lancement, mais avec le souci de le faire avec sérieux, après avoir déterminé l’issue du lancement et recueilli et synthétisé les différentes données mesurées.» J’ai sous la main des informations selon lesquelles la Corée du Nord avait préparé deux satellites artificiels à lancer et, dans le cas d’un échec du premier lancement, projetait d’en tenter un deuxième. Cela correspond d’ailleurs aux 31 informations faisant état des «préparatifs de lancement d’un autre satellite». Décidément, la Corée du Nord était déterminée à faire un succès du lancement d’un satellite afin de célébrer le 50e anniversaire de la fondation de son Etat. L’autre raison est purement technique: l’absence d’un système de poursuite capable de vérifier le placement sur orbite du satellite, lacune qui a obligé la Corée du Nord à mettre plusieurs jours pour effectuer cette opération. Dans la déclaration publiée deux jours après le lancement, la Corée du Nord a dénoncé le «grand bruit» du Japon et les «sanctions » qu’il a prises en méconnaissant la «conjoncture» et les «dessous» de l’entreprise. On peut se demander si l’annonce était alors impossible. Tout porte à croire que la vérification était encore insuffisante. Un observateur en conclut cependant que 1e Japon a été «dupe de la Corée du Nord». L’hebdomadaire Asahi, le 18 septembre 1998, a publié un article intéressant intitulé «Les fondements de la thèse d’un "accord secret RPDC-USA" sur les missiles». L’auteur dit en substance: les EtatsUnis, qui avaient lancé des avertissements énergiques contre les essais de lancement de missile de la Corée du Nord, avaient gardé le silence sur le lancement prévu de celle-ci, dont ils étaient pourtant tenus au courant, puis avaient annoncé au Japon un «lancement de missile». C’est, dit-il, une supercherie menée de complicité avec la Corée du Nord pour faire adhérer le Japon à leur programme TMD (Theater Missile Defence). On a constaté d’autres commentaires encore, notamment du genre: «Le récent scandale du missile n’est-il pas le fait de l’"intrigue" des Etats-Unis?» (un haut fonctionnaire de la Direction de l’intérieur de l’Agence de la défense), «Leur dessein est de soutirer de l’argent au Japon pour ranimer leur industrie de guerre» (Kamiura Motoaki, commentateur militaire). La politique internationale est sévère. La diplomatie équivaut à un combat pour la survie. Les Japonais se doutent de plus en plus que les Etats-Unis sont prêts à donner le change au Japon, leur allié, pour 32 leurs intérêts. Sentiment justifiable eu égard au rapprochement RPDCUSA qu’ils constatent depuis quelque temps. Or, il est trop tôt pour parler de relations de confiance suffisantes entre la Corée du Nord et les Etats-Unis et pour conclure un «accord secret». Une quinzaine de jours après le lancement du satellite, j’étais en visite en Corée du Nord, et je m’en suis enquis auprès de plusieurs responsables du Parti du Travail de Corée. «C’est formellement exclu, ont-ils affirmé unanimement. Seulement, cela pourrait éventuellement arriver par la force des choses.» Propos bien significatifs. S’il est énigmatique que les Etats-Unis, bien que prévenus par la Corée du Nord, n’aient pas empêché le lancement du satellite, cela n’a rien à voir avec cette dernière. Il n’est pas exclu qu’ils aient berné le Japon pour lui imposer leur TMD et promouvoir le nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense. La vérité, il faut la chercher dans leurs rapports, et non ailleurs. Que le Japon, ce «bonhomme», fût mystifié par les Etats-Unis, ce «diplomate rusé», n’est rien d’autre qu’une défaite diplomatique. Contre qui le Japon devrait-il dès lors protester, sinon contre les Etats-Unis? L’abandon ou la perte de sa carte diplomatique à l’égard de la Corée du Nord Le Japon se plaint de ne pas avoir été prévenu par la Corée du Nord, comme l’avaient été la Russie et les Etats-Unis, du lancement d’un objet qui devait, sinon violer son espace territorial, du moins survoler l’archipel. Plainte apparemment fondée. Or, qu’est-ce que c’est que le Japon aux yeux de la Corée du Nord? Rien d’autre qu’un pays immoral persistant dans son refus de régler son passé de domination coloniale, un pays dangereux, hostile, si impertinent qu’il fait fi de l’éthique internationale, appendice américain incapable d’une politique extérieure indépendante. La politesse n’est pas d’usage entre 33 pays hostiles. A fortiori, il était inutile, sans doute, de le prévenir, car c’était un satellite à usage pacifique, et non un missile à usage militaire. Pourquoi ne pas relever aussi l’absence apparente de toute voie de dialogue politique entre les deux pays? Cet état de choses est imputable au Japon. Depuis longtemps déjà, la Corée du Nord a proposé l’amélioration de leurs relations au Japon. Celui-ci pourtant n’a cessé de la méconnaître, fidèle à sa politique favorable à la Corée du Sud. Les partis au pouvoir dans les deux pays sont parvenus plusieurs fois à des accords, et, en mars 1995, le Parti du Travail de Corée d’un côté et les partis formant la coalition au pouvoir au Japon —le Parti libéral-démocrate, le Parti socialiste et le Sakigake— de l’autre se sont engagés à reprendre les négociations sans conditions. Pourtant, le gouvernement japonais n’est toujours pas prêt à les reprendre, alléguant principalement un «soupçon de kidnapping d’une Japonaise». Poussée à bout par la déloyauté du Japon, la Corée du Nord semble avoir décidé, il y a quelques années, de ne plus traiter avec lui. Ainsi s’est bloquée la voie de dialogue entre eux. On reproche fréquemment au Japon de manquer de jugement politique et de stratégie diplomatique à l’égard de la Corée du Nord, absence imputable avant tout, à mes yeux, à la méconnaissance de ce pays et au refus de le connaître. On ne peut se combattre ou se concilier si l’on méconnaît son ennemi, c’est une règle de la diplomatie. Et pourtant le Japon s’est accommodé d’un jugement qui, dans sa politique nordcoréenne, le mettait à la remorque des Etats-Unis et de la Corée du Sud. Gros piège auquel il s’est fait lui-même prendre, dirait-on. Ce qui est grave, c’est que le Japon s’est trouvé dépourvu d’une carte politique et diplomatique à l’égard de la Corée du Nord dans un «état d’urgence» tel que celui survenu récemment. Il n’a que la «carte de la rancune» qui s’exprime: «Quelle insolence de la part de la Corée du Nord! Elle est impardonnable.» C’est le malheur 34 de la diplomatie nord-coréenne du Japon. La «carte de la rancune» en aucun cas ne peut être un joker. «Le gel de notre collaboration à la KEDO était significatif, car il devait exprimer à la Corée du Nord l’indignation que ressentait notre pays à l’égard de son lancement de missile, considéré comme un forfait. Les Etats-Unis et la Corée du Sud ont témoigné de leur compréhension (Takamura, ministre japonais des Affaires étrangères).» «La "carte diplomatique" dite gel a certainement exprimé amplement la volonté du Japon à la Corée du Nord. On peut juger que nous avons usé de la "carte diplomatique" pour riposter au sujet du missile (Editorial du Mainichi Shimbun, le 20 octobre 1998).» Vaine autosatisfaction, à n’en pas douter. «Laisser exploser sa rancune, c’est faire le jeu de la Corée du Nord. Celle-ci veut fâcher le Japon, puis voir un désaccord se créer entre lui, les Etats-Unis et la Corée du Sud. Il faut faire appel à la raison (Asahi Shimbun, le 24 septembre 1998).» «Le Nord vise à diviser le Japon, les Etats-Unis et la Corée du Sud, et il y a réussi amplement avec un seul missile. Or, la récente évolution des événements fait craindre que non seulement la Corée du Nord, mais aussi les Etats-Unis et la Corée du Sud ne méprisent le Japon (Editorial du Sankei Shimbun, le 16 septembre 1998).» Même les médias qui, les premiers, faisaient circuler la «thèse de la menace du missile» ont commencé, une quinzaine de jours après, à réclamer au gouvernement japonais une diplomatie stratégique rigoureuse. Pourtant, il s’avère, tragiquement, que le Japon n’a aucune carte diplomatique ou politique efficace vis-à-vis du pays ennemi. Abandonner ou perdre une cane équivaut à courir un gros danger. A la longue, le Japon risque de se voir abandonné par ses alliés et isolé dans la gestion internationale du problème de la péninsule coréenne. 35 3. LA PUISSANCE DE LA CARTE DU SATELLITE ARTIFICIEL Le satellite artificiel, est-ce une menace militaire?q La communauté internationale admettait l’idée d’un satellite artificiel lorsque le gouvernement japonais a commencé à rétorquer: «Missile balistique ou satellite artificiel, cela fait peser la même menace sur la sécurité du Japon et de la région Asie-Pacifique.» «Ce qui a été lancé, c’est un missile à plusieurs étages, techniquement avancé. Il est de peu d’importance de savoir si l’on a lancé un satellite artificiel. C’est fort inquiétant (Kurt M. Campbell, assistant délégué au secrétaire à la Défense américain, chargé des affaires d’Asie-Pacifique).» «Les services spéciaux américains évaluent une distance de 4 000 à 6 000 km, ce qui correspond à celle d’un ICBM (Intercontinental Ballistic Missile) (Rumsfeld, président de la commission américaine d’évaluation des menaces de missiles balistiques).» Telle est, en gros, l’idée que se sont faite les Etats-Unis du lancement du satellite artificiel par la Corée du Nord. Somme toute, ils pensent que du point de vue militaire un satellite artificiel est beaucoup plus impressionnant qu’un missile et exerce un impact international considérable. Idée qui contraste subtilement mais de façon fondamentale avec celle du Japon qui crie à la menace militaire, en admettant l’idée de missile balistique. Comme chacun le sait, une même technique sert à une fusée porteuse d’un satellite et à un missile balistique. Et, de nos jours, la technique du missile balistique est appliquée à la plupart des fusées porteuses de satellite dans le monde. Les satellites américains « Atlas36 Centaur», «Titan», «Delta», les satellites russes «Soyouz», «Cosmos», les satellites chinois «Longue-Marche», etc. ont tous utilisé la technique de l’ICBM ou de PIRBM (Intermediate Range Ballistic Missile). Les fusées japonaises N-I, N-H et H-I ont emprunté les techniques du «Delta» ou du «Thor» (IRBM). La fusée nordcoréenne a été, elle aussi, le sous-produit du développement de missile balistique, comme le reconnaît la Corée du Nord elle-même. Le satellite «Kwangmyongsong 1» a été lancé par une fusée à trois étages, dont le troisième a employé un combustible solide de haute fiabilité (découvert par la Corée du Nord elle-même). Et la séparation du propulseur a été une réussite. La portée d’un ICBM réclame l’emploi du missile à multiples étages, chose qui devient facile dès que l’on possède la technique de la séparation. Que la Corée du Nord soit en possession de cette technique témoigne de sa capacité (et de la possibilité réelle) de développer l’ICBM, arme capable d’atteindre le territoire américain. La défense antimissiles américaine présupposait l’absence momentanée de l’ICBM chez les pays autres que la Russie et la Chine, aussi la réussite du lancement d’un satellite par la Corée du Nord imposait-elle une révision de la stratégie américaine de la défense antimissiles. Lors de la consultation RPDC-USA sur les missiles, au début d’octobre 1998, la Corée du Nord a déclaré: «Nous exploitons l’espace à des fins pacifiques, et nous poursuivrons nos lancements de satellite artificiel.» Et, aux Etats-Unis qui lui demandaient la suspension du développement et du lancement de missiles, elle a répliqué: «Développer et déployer des missiles relève du droit d’un Etat souverain et se révèle nécessaire à la Corée du Nord compte tenu du contexte spécial où elle se trouve.» Aucune objection efficace n’a pu y être formulée. En juin 1998, la Corée du Nord a, pour la première fois, annoncé officiellement son programme de développement et d’exportation de missiles, déclarant qu’il s’agissait de sa souveraineté et de son droit à la survie quand elle développe et déploie des engins. Puis, elle a présenté comme une importante 37 source de devises l’exportation de missiles dont l’arrêt, voulu par les Etats-Unis, nécessiterait la compensation correspondante de leur part. Le MTCR (Missile Technology Control Régime) patronné par les Etats-Unis ne réunit que 16 pays signataires, parmi lesquels la Corée du Nord ne figure pas. Les Etats-Unis sont les plus avancés dans le domaine du missile, ce sont le plus grand exportateur d’armes. De quel droit critiqueraient-ils donc unilatéralement l’exportation de missiles par la Corée du Nord? Au reste, celle-ci est juridiquement indemne, aucune législation internationale n’interdisant l’exportation de missiles. Avec la possession évidente de la technique de l’ICBM par la Corée du Nord, l’appréhension américaine au sujet de la prolifération des missiles s’est aiguisée. «Si des missiles étaient exportés vers des pays du Moyen-Orient par exemple, les pays dotés de missiles à portée de plus de 2 000 km se multiplieraient d’emblée. L’interdiction de la prolifération des missiles balistiques est devenue plus urgente que jamais. On dirait qu’on voit s’ouvrir d’un coup devant soi la porte de l’enfer (Ehata Gensuke, commentateur militaire japonais).» Impression qui est loin d’être exagérée. Pour les Etats-Unis, le lancement d’un satellite par la Corée du Nord a un autre aspect menaçant: celle-ci est à même de se doter de satellites militaires. La Corée du Nord a été de tout temps l’objet d’une menace nucléaire permanente et unilatérale de la part des Etats-Unis. Si elle disposait de moyens et installations de défense en cas d’attaque nucléaire par surprise, elle manquait de capacités de ripostes. Venaient s’y ajouter la reconnaissance et la surveillance permanentes effectuées par les satellites militaires et les appareils de reconnaissance à haute altitude des Etats-Unis. Pour tout moyen d’y parer, elle n’avait que le camouflage, la construction d’usines d’armements et de bases militaires et la conservation des armes en sous-sol. Certes, pour autant, si les Etats-Unis pouvaient exercer une menace militaire sur la Corée du Nord, il ne leur était pas facile de l’attaquer en premiers. Avec le lancement du satellite, la Corée du 38 Nord s’équipait d’un moyen de riposte à l’attaque américaine et faisait voir ses possibilités à long terme de reconnaître et de surveiller les pays ennemis que sont les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon. On peut en déduire un changement fondamental du rapport des forces, autrement dit des forces militaires, entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Le vrai impact du lancement d’essai de missiles de 1993 Si, en 1993, le lancement d’essai de missiles par la Corée du Nord vers sa mer de l’Est a suscité beaucoup de bruit au Japon, le récent lancement y a provoqué une réaction du gouvernement et une indignation de la population incomparables. «(1), on a ressenti la première menace de proximité depuis la fin de la guerre (depuis le 15 août 1945). (2), aux Etats-Unis et en Corée du Sud, on a relevé pour la première fois des manifestations de conscience de l’état de crise, suivies d’actions concertées. (3), la crise intérieure, qu’on pourrait qualifier de dysfonctionnement de l’âme du gouvernement, s’est extériorisée. Tel était l’essentiel dans l’"impact du missile" (Asahi Shimbun, le 22 septembre).» A quoi se ramenait en fait le récent «scandale»? Voici des faits dramatiques de nature à le priver de tout sens. «Le 29 mai 1993, la Corée du Nord a réussi dans le lancement d’essai de missiles à plusieurs étages. D’après un personnage compétent de l’armée nord-coréenne, on avait prévenu les Etats-Unis de ces essais au nombre de trois. L’un des missiles, ayant une portée de 500 km, est tombée au large de la péninsule de Noto. Les deux autres ont parcouru plus de 3 000 km, chacun tombant dans les eaux internationales, respectivement au large d’Hawaii et de Guam. On présume que ces réussites ont donné plus d’assurance à la Corée du Nord qui allait réussir en 1996 à développer l’ICBM qu’il a déployé.» 39 C’est un extrait de Kim Jong Il, le jour de la réunification de la Corée—la Corée du Nord, mise en scène de la guerre et de la paix—, ouvrage de M. Kim Myong Chol (édité par la maison Gojinsha). Depuis des années, des informations de source américaine mentionnaient fréquemment que «le pays qui, après les Etats-Unis, la Russie et la Chine, est en mesure de développer l’ICBM dans les meilleurs délais, c’est la Corée du Nord». Peu de Japonais y prêtaient alors attention. Pourtant, concurremment au «scandale du missile», le journal sud-coréen Joson Ilbo, le 23 octobre 1998, a annoncé qu’«une analyse des services spéciaux américains a fait ressortir que le missile a survolé l’archipel japonais et est tombé sur le Pacifique à 1 300 km du point de lancement», et, le même jour, Nukataga, chef de l’Agence de la défense, a déclaré qu’il avait «reçu les mêmes informations des Etats-Unis au printemps dernier». En fait, à la fin de l’avant-dernière année, le premier ministre Hashimoto avait interdit leur publication. Deux questions en découlent. Premièrement, pourquoi, en 1993, les Etats-Unis n’ont fourni au Japon que des informations partielles, relatives à «la chute dans la mer de l’Est de Corée»? Deuxièmement, pourquoi le Japon a-t-il fait grand bruit cette fois, contrairement à la fois précédente, après avoir reçu des renseignements similaires des Etats-Unis? A fortiori, quand il s’agissait cette fois d’un satellite artificiel, et non d’un missile balistique comme précédemment? Peut-être qu’en 1993, étant donné la gravité de la tension militaire provoquée par le «soupçon nucléaire», les Etats-Unis avaient prévu un choc trop violent pour le Japon? Ou bien qu’eux-mêmes n’en revenaient pas? C’eût été certainement honteux pour le Japon de parler de renseignements vieux de cinq ans. Aussi a-t-il préféré doubler la force de sa riposte à la mesure de son ancienne rancune. Evidemment, la conduite des Etats-Unis et du Japon n’est pas facile à comprendre. Toutefois, on peut vérifier, entre autres choses, que les Etats-Unis ne sont pas prêts à fournir au Japon tous leurs renseignements militaires, que la Corée du Nord a réussi en 40 1993 dans l’essai de lancement de missiles, proches à l’ICBM, qui ont survolé sans à-coup l’archipel du Japon, et que cette réussite a décidé les Etats-Unis à parvenir à un accord nucléaire avec la Corée du Nord. Les médias ont présenté la consultation RPDC-USA sur les missiles comme destinée à traiter du problème de la cessation du développement et de l’exportation de missiles par la Corée du Nord, tandis qu’en réalité, selon toute apparence, elle se centrait sur le développement et le déploiement de l’ICBM par ce pays, donnant ainsi lieu à d’âpres marchandages diplomatiques. La Corée du Nord, est-elle une menace militaire? Il est vrai que la Corée du Nord accroît actuellement son potentiel militaire sous la direction de Kim Jong Il, Président du Comité de la défense nationale et Commandant suprême de l’Armée populaire de Corée. La Corée du Nord, avec la capacité qu’elle a démontrée à développer l’ICBM et des satellites militaires, est-elle prête à attaquer en premier les ennemis comme les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, c’est-à-dire à déclencher la guerre? En somme estelle une si grave menace militaire pour la sécurité de la région AsiePacifique? Quant aux Coréens, ils ont fait une amère expérience de l’esclavage lors de la colonisation du pays par le Japon. Beaucoup d’entre eux ont été tués, six millions ont été contraints de travailler comme des bêtes de somme, un million d’hommes ont été intégrés de force dans l’armée japonaise, et près de 200 000 femmes ont dû servir au plaisir sexuel de ses soldats. Un peuple qu’on a privé de toutes ses richesses, de sa culture, de ses patronymes, de sa langue. Colonisés, les Coréens avaient perdu leur statut d’hommes. Là est le ressentiment de la Corée du Nord, l’origine des principes de son développement. La Corée du Nord est décidée à se défendre, sans plus tolérer l’agression étrangère. 41 Pourtant, la péninsule coréenne a été divisée en Nord et Sud par des forces étrangères qui lui ont ensuite imposé la guerre. La guerre de Corée a inspiré aux Coréens, au Nord et au Sud, une vive aversion d’une nouvelle guerre, d’une réédition de la tragédie nationale. L’Accord d’armistice de Corée, conclu en 1953, stipule que dans les trois mois qui suivront son entrée en vigueur toutes les troupes étrangères doivent se retirer de Corée, et les pays intéressés (la Corée du Nord, la Chine et les Etats-Unis) se réunir en consultation politique pour résoudre pacifiquement le problème coréen. Mais les Etats-Unis, eux, ont conclu, après la guerre de Corée, en août 1953, l’«accord sur la défense et l’assistance mutuelles» avec la Corée du Sud, qu’ils ont ensuite renforcé de même que le pacte de sécurité signé en 1951 avec le Japon. Ils ont formé une alliance militaire américano-sud-coréenne, une alliance militaire américano-japonaise, puis une alliance militaire tripartite américano-sud-coréo-japonaise. En flagrante violation de l’Accord d’armistice, les Etats-Unis ont assujetti la Corée du Sud et le Japon sur les plans politique, militaire et économique, choisissant ainsi de former un étau autour de la Corée du Nord et d’entrer dans une opposition militaire critique avec elle. Pour y faire face, la Corée du Nord s’est vue contrainte d’investir force fonds et main-d’œuvre dans la défense, ce qui a pesé sur elle dans son développement économique. Par-dessus le marché, en 1962, lors de la crise de Cuba, l’Union soviétique, cédant à la menace nucléaire américaine, a retiré ses missiles de ce pays, ce qui ne laissait pas la Corée du Nord indifférente. Celle-ci ressentait vivement que l’Union soviétique, malgré sa position de supergrand socialiste, n’osait pas faire front aux Etats-Unis dans le système de guerre froide, que les Etats-Unis pouvaient éventuellement vaincre un à un les pays socialistes sans pour autant entrer en conflit direct (en guerre) avec l’Union soviétique, autant de faits qui témoignaient de la dureté de la politique internationale. 42 Comme on s’y attendait, les Etats-Unis n’ont pas tardé à intervenir en grand dans la guerre du Viêt-nam et ont multiplié pressions et opérations de séduction vis-à-vis des pays socialistes d’Europe de l’Est. Pour y faire face, force était à la Corée du Nord de renforcer sa défense et d’établir un système qui resterait invulnérable aux pressions militaires américaines. Il s’agissait en l’occurrence de sa ligne militaire en quatre points, définie au milieu des années 60: armement du peuple tout entier, fortification de tout le territoire, transformation de toute l’armée en armée de cadres et sa modernisation. Les Etats-Unis, qui n’ont cessé de renforcer l’alliance militaire tripartite américano-nippo-sud-coréenne, ont, depuis le milieu des années 70, hâté en grand le déploiement d’armes nucléaires en Corée du Sud et organisé à large échelle «Team Spirit», manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes. Ainsi, plus d’un millier d’armes nucléaires tactiques sont réparties en Corée du Sud, parmi lesquelles figurent Tomahawk, missile de croisière à sol, la bombe atomique de lancement à l’usage des fantassins et des bombes à larguer d’avion. Menace militaire incontestable pour la Corée du Nord. La Corée du Sud ou le Japon ne pourraient imaginer la terreur où maintenait la Corée du Nord depuis des dizaines d’années l’imminent danger d’attaque nucléaire qui pesait sur elle. Au début des années 90, si la guerre froide a pris fin ailleurs, elle est demeurée avec toute sa structure dans la péninsule coréenne. Le délicat équilibre politique et militaire qui maintenait la péninsule hors de la guerre a été rompu. La Corée du Nord, pour y faire contrepoids, a utilisé la «carte nucléaire» qui lui a offert l’accord-cadre RPDCUSA. Or, les Etats-Unis ne respectent toujours pas avec toute la loyauté voulue cet accord qu’ils ont conclu en prévision de la «chute» de la Corée du Nord. Celle-ci, quant à elle, l’a respecté, notamment bloquant ses installations atomiques, acceptant l’inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et atténuant les restrictions économiques à l’égard des 43 Etats-Unis. L’essentiel dans le règlement global, c’est le principe de l’action simultanée, qui suppose le respect simultané de l’engagement par les deux parties. Si ce principe est enfreint, l’accord sera frappé de dysfonctionnement. Or, les Etats-Unis, loin de le respecter loyalement, ont adopté la politique de soft-landing ayant pour but d’imposer à la Corée du Nord l’économie de marché et le capitalisme. Ils cherchent à faire bonne impression avec leur politique d’adoucissement sans pour autant renoncer à la menace militaire, leur moyen habituel. Force est donc à la Corée du Nord de renforcer toujours son potentiel militaire, c’est-à-dire ses capacités défensives. Telle a été grosso modo l’évolution de la situation politique et militaire dans la péninsule coréenne. Comme on a pu le constater, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon ont, les premiers, exercé une menace militaire à laquelle la Corée du Nord n’a fait que s’opposer. Par menace militaire, on entend ici, non pas une menace latente d’attaque d’une partie, mais bien la démonstration et l’exercice d’une force militaire réelle. Somme toute, si les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon considèrent la Corée du Nord comme une menace militaire, le fait est qu’ils en font une menace et la menacent pour la contraindre à renforcer son potentiel militaire. La diplomatie de la parole contre la politique de force En politique et diplomatie internationales, on définit la partie adverse avec laquelle on est en rapport d’hostilité comme une «menace pour la sécurité de son pays ou de la région». Ainsi la Corée du Nord n’a-t-elle cessé de se plaindre à l’adresse de la communauté internationale sans pourtant obtenir une écoute assez importante. Les échos se ramènent à des témoignages d’«inquiétude» ou de «soutien». Témoignages de sympathie, mais sans effets concrets. Et aucun pays étranger ne s’offre à combattre les puissants 44 Etats-Unis pour le compte du petit pays qu’est la Corée du Nord. Tous les pays sont absorbés par leurs affaires intérieures et extérieures. Jadis, les pays socialistes avaient au moins pour cause de défendre le socialisme, qui est tombé depuis en Europe de l’Est. De puissants pays occidentaux investissent la Corée du Nord, lui imposant l’isolement, ce pays qui tient tant à son régime socialiste. Pour faire face à la puissante coalition militaire des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon, la Corée du Nord avait besoin de pénétrer la stratégie et les procédés diplomatiques des Etats-Unis, «métropole» de la Corée du Sud et du Japon. La diplomatie américaine est appelée souvent «diplomatie de la canonnière», ce qui n’est qu’un de ses aspects. Elle comprend trois composantes quand il s’agit des pays ennemis et s’appelle «politique de force». Voici l’analyse que je me propose d’en faire: A. La diplomatie de la parole—Les Etats-Unis commencent par faire part de leur analyse, de leurs remarques, de leur position, ils cherchent à les imposer, puis brandissent la menace de sanction économique et d’attaque militaire; B. La diplomatie de la sanction économique—Ils font appel à leur puissance économique et à l’«ordre économique» mondial qu’ils contrôlent pour exercer le blocus économique sur le pays ennemi; C. La diplomatie de la canonnière—Ils font des démonstrations de force, font référence à l’attaque militaire et adressent un ultimatum pour exiger compromis et soumission. Les Etats-Unis sont habiles à combiner ces trois éléments pour l’emporter sur les pays adverses. Leur action s’accomplit par les cinq étapes suivantes. La première étape—C’est l’étape de la diplomatie de la parole, où les Etats-Unis passent pour maîtres, donnant toute la mesure d’un supergrand. Dans la quasi-totalité des cas, ils ont eu gain de cause à cette étape. La deuxième étape—La sanction économique intervient à côté de la diplomatie de la parole. Au cours des cinq dernières années, les 45 Etats-Unis y ont eu recours, dit-on, à une soixantaine de reprises à l’égard de plus de 70 pays ou régions du monde. La troisième étape—C’est l’étape de la combinaison de la parole, de la sanction économique et de la canonnière. On envoie des forces américaines sur place, on fait même allusion à une attaque nucléaire éventuelle. La 7e flotte américaine, l’infanterie de marine, envoyées, exercent des pressions. La quatrième étape—Interviennent à la fois la parole, la sanction économique et la canonnière, entre autres. Si les opérations de la troisième étape ne produisent pas leur effet, on lance l’attaque, autrement dit on déclenche la guerre, puis, après la guerre, on continue le chantage, la sanction économique ou militaire. C’est le cas de la politique pratiquée vis-à-vis de l’Irak et des bombardements dont il fait l’objet. Si ces mesures restent sans effet, on recourt au mépris et à l’isolement. Dans leur politique nordcoréenne, les Etats-Unis ont, pendant de longues années, appliqué tous les moyens possibles, notamment le mépris, le chantage, le blocus économique et l’encerclement. La cinquième étape—La conciliation et l’établissement de relations diplomatiques. Si la parole, la sanction économique, la canonnière et la guerre s’avèrent inefficaces, on passe à la diplomatie du dialogue. C’est le cas du Viêt-nam par exemple et, pour le moment, de la Corée du Nord. Le 5 janvier 1999, le département d’Etat américain a annoncé des orientations portant sur l’adoucissement des sanctions économiques exercées sur Cuba et l’extension des échanges non gouvernementaux entre les deux pays, symptômes d’une politique qui atteint probablement cette cinquième étape. Quant à la Corée du Nord, elle a, depuis de longues années, désiré conclure un accord de paix avec les Etats-Unis, signataire de l’Accord d’armistice de Corée, et a appelé au dialogue dans cette perspective. Elle a même proposé des pourparlers tripartites, incluant la Corée du Sud. Or, les Etats-Unis y ont opposé constamment le 46 mépris. Voilà qui a éternisé l’«état de guerre» et la division du pays en Nord et Sud pendant près d’une cinquantaine d’années. En 1988, l’administration Bush, changeant de politique à l’égard de la Corée du Nord, a entamé le contact avec elle à Beijing au niveau de conseiller. La fin de la guerre froide a accéléré le processus de dégel entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Mais, vers 1992, le «soupçon nucléaire» a surgi, provoquant une extension progressive de la tension. C’était, malgré tout, l’occasion ou jamais pour la Corée du Nord d’améliorer ses relations avec les Etats-Unis. Celle-ci est entrée en compétition, en guerre diplomatique avec les Etats-Unis. Elle devait faire appel à toute son intelligence, à toutes ses forces pour faire face au supergrand unique, pour le vaincre. Tantôt, c’est la «diplomatie dure»: «Nous répondrons à la guerre totale par la guerre totale, au dialogue par le dialogue», tantôt la «diplomatie du chantage»: «Nous userons sans faute de représailles», tantôt la «diplomatie du sourire»: serrement de main, tantôt la «diplomatie de la guérilla»: opération de perturbation, exploitation des doutes de l’adversaire et des faiblesses de son système militaire, tantôt la «diplomatie décisive»: recours à des actions inattendues, par déclaration de son retrait du TNP (traité de non-prolifération des armes nucléaires), déclaration du retrait de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), lancement d’un satellite artificiel, etc. Autant d’appellations utilisées par les médias occidentaux pour la Corée du Nord, contrainte, comme c’est habituel, de déployer toute la panoplie de ses moyens pour l’emporter sur l’arène diplomatique internationale par la guerre des informations, la guerre psychologique et la guerre des nerfs. Le propre de la diplomatie nord-coréenne, «diplomatie de la parole», c’est l’usage de la force maximale de la parole. Ses déclarations concernant le pays ennemi sont véhémentes et pourtant ne manquent pas de mentionner les conditions qu’elle lui pose et qui lui ouvrent une échappatoire. Il faut bien connaître l’ennemi pour le vaincre, disent les Nord-Coréens dont la stratégie vise à tirer profit de la stratégie diplomatique des Etats-Unis pour les combattre. 47 Apparition d’un puissant atout diplomatique La «diplomatie de la parole» ne se suffit pas à elle seule, elle nécessite un appui. Cet appui, c’est le potentiel militaire, autrement dit les capacités de défense nationale. En l’occurrence, la diplomatie internationale s’exerçant autour de la péninsule coréenne est une «diplomatie militaire». Pendant de longues années, la Corée du Nord a construit des usines et bases souterraines et s’est munie de capacités défensives à toute épreuve, convertissant tout son territoire en un véritable hérisson avec ses piquants ou en une tortue avec sa carapace dure. Malgré leur puissance, les Etats-Unis ne se sentent pas en état d’y intervenir impunément. La Corée du Nord, à toute menace, se déclare prête à «répondre à la guerre par la guerre», ce loin de donner le moindre signe de faiblesse. Décidément, c’est un enfant intraitable. Les Etats-Unis, sortis non vainqueurs (autrement dit vaincus) de la guerre de Corée, ont expédié, lors de l’affaire du Pueblo, en 1968, et de celle de l’avion «EC-121», l’année suivante, des unités mobiles de porte-avions et concentré en Corée du Sud des escadrilles de bombardiers stratégiques «B-52»—capables de porter des bombes à hydrogène—et de chasseurs-bombardiers, etc. pour se disposer à l’attaque. Pourtant, ils ont toujours fini par présenter leurs excuses pour remédier à la situation. Expérience qui les a persuadés que la Corée du Nord ne fanfaronne pas, mais qu’elle a la volonté réelle de se battre contre eux. Et la déclaration par la Corée du Nord de son retrait du TNP les a amenés à passer à la diplomatie de la 5e étape, celle du dialogue, seule qui restait à leur disposition avec la 4e étape, celle du mépris. Car, si la Corée du Nord s’en retirait, rien ne pourrait plus l’empêcher de poursuivre le développement et le déploiement d’armes nucléaires. En concluant l’accord-cadre RPDC-USA, les Etats-Unis ont «réussi» avec peine à empêcher ce retrait. 48 Si l’on affirme que les Etats-Unis ont fourni «miel» et «rémunération» à la Corée du Nord, on ne peut croire pour autant qu’ils n’aient fait que lui obéir. Dialogue et conciliation étaient les seuls moyens à leur portée pour parvenir à leur fin. Pourquoi maintenant le lancement du satellite par la Corée du Nord a-t-il impressionné les Etats-Unis plus que sa déclaration de retrait du TNP? C’est que plus que jamais la guerre est devenue inenvisageable. Si des hostilités éclataient en Corée, elles dégénéreraient forcément en une guerre nucléaire, comme on en parlera plus loin. Des commentateurs militaires comparent souvent à cet égard la puissance militaire de la Corée du Nord à celles des EtatsUnis, de la Corée du Sud et du Japon, comparaison qui ne vaut pas grand-chose, pas plus qu’un simulacre de guerre. Certains sousestiment la puissance militaire de la Corée du Nord, l’Armée populaire de Corée manquant de carburant, de produits alimentaires et ne disposant que de maigres quantités d’armements, d’ailleurs très souvent démodés. Analyse que je trouve de peu de valeur, la péninsule coréenne devant éventuellement voir éclater, non pas une guerre ordinaire, mais une guerre nucléaire. La surestimation comme la sous-estimation ne conduiront qu’à des erreurs dans l’analyse de la situation militaire de la péninsule. «Illusion que la "force de dissuasion nucléaire", la "force de dissuasion de la guerre"», dit-on, critique qui me semble pertinente dans la mesure où elle fait ressortir le danger et la stupidité de la course au développement, au déploiement d’armes nucléaires, ceux de l’extension des armements. Pourtant, si l’équilibre militaire est rompu, les faibles sont condamnés à être attaqués par les forts et à se soumettre à eux. Chose à laquelle ne se résignent pas les pays qui vivent dans une tension militaire extrême qui les place devant l’alternative: ou survivre ou mourir. C’est un aspect de la politique internationale. C’est à la lumière de ce fait essentiel qu’il faudrait interpréter l’avertissement donné, le 4 septembre, par le ministère des Affaires étrangères de la Corée du Nord aux Etats-Unis et au Japon. 49 «... Que nous soyons possesseur de satellites relève de l’exercice de notre droit souverain légitime, et il dépend entièrement de l’attitude des forces ennemies que nos capacités servent ou non à des fins militaires. Les Etats-Unis devront réfléchir à leurs pressions militaires et à leur attaque surprise, et le Japon, s’aviser que les tentatives de législation en faveur de son intervention dans une guerre nord-coréo-américaine sont un acte fort dangereux, équivalant à une déclaration de guerre à notre endroit.» Il suffit à la Corée du Nord de poursuivre ses lancements de satellites à des fins pacifiques, admis par tous les pays, sans avoir besoin d’essayer ou de déployer l’ICBM ni de développer des satellites militaires, pour faire éprouver aux Etats-Unis une «menace percutante» et leur donner la «peur de subir des représailles en cas d’attaque». Voilà pourquoi c’est «beaucoup plus frappant qu’un missile balistique». La Corée du Nord s’est dotée ainsi du nouvel et efficace atout politique, militaire et diplomatique qu’est un satellite artificiel. Le 2 décembre, le porte-parole de l’état-major général de l’Armée populaire de Corée a déclaré: «L’attaque "chirurgicale" ou l’attaque "surprise" ne relèvent pas du choix exclusif des Etats-Unis, la manière d’attaque n’étant pas leur apanage. Il doit être clair que les coups de notre Armée populaire ne sont pas limités et qu’aucun endroit sur notre planète n’est à l’abri.» «La Corée du Sud et le Japon, a-t-il averti, peuvent eux aussi leur servir de cibles.» Si c’est la première fois que la Corée du Nord a usé d’expressions aussi menaçantes, il est clair que cet avertissement avait pour prémisse la carte du satellite artificiel, c’est-à-dire celle de l’ICBM. 50 4. PRODUIT DE LA SURREACTION DU JAPON Effet négatif du «scandale du missile» Après l’annonce officielle du lancement du satellite artificiel par la Corée du Nord, le «scandale du missile» au Japon, loin de s’apaiser, s’est amplifié de plus belle. La participation à la TMD, le lancement d’un satellite de reconnaissance, la promotion du projet de loi relative au nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense, autant de sujets qui n’avaient pas jusque-là le soutien de l’opinion publique, mais qui à force de débats ont commencé à s’imposer considérablement. Et l’opinion publique japonaise paraît favorable. En voici un exemple typique: «Le lancement d’un missile ou même d’un satellite artificiel sans préavis mérite une critique dans la mesure où il a encouragé les durs du Parti républicain des Etats-Unis hostiles à la politique nord-coréenne de l’administration Clinton et a fourni un prétexte au gouvernement japonais pour participer à la TMD (Sekai, post-scriptum du numéro de décembre, 1998).» Or, c’est aux Japonais de décider s’ils admettront ou non la participation à la TMD. En fait, ce n’est pas la Corée du Nord qui ait donné un prétexte, mais les autorités américaines et japonaises utilisent ce lancement de satellite pour en tirer profit sur le plan militaire. Si l’on admettait que le lancement d’un satellite approfondit la tension militaire, il faudrait dire que le lancement d’un satellite pour la construction d’une station spatiale représente une menace militaire. C’est sans doute la raison pour laquelle les fréquentes persécutions ignominieuses perpétrées contre la Chongryon (Association générale des Coréens résidant au Japon—NDLR) favorable à la Corée du Nord et les Coréens du Japon n’ont pas 51 encore provoqué une large indignation semblable à celle qui s’est manifestée contre la «persécution des traditionnels costumes des Coréennes» lors du «soupçon des casinos» de 1989 ou du «soupçon nucléaire» de 1994. A écouter les informations concernant le «soupçon du kidnapping d’une Japonaise», la «crise alimentaire», la «suspension de la visite de leur pays natal par des Japonaises (résidant en Corée du Nord)», on en vient à se rendre compte que le sentiment des Japonais à l’égard de la Corée du Nord a empiré, leur hostilité à ce pays s’étant renforcée d’ailleurs au fil des années, et même à affirmer, sans crainte d’exagération, qu’il a atteint à son paroxysme à l’issue du «scandale du missile». Mais les Japonais sont invités à réfléchir à la réalité: se laisser emporter par leur sentiment d’hostilité à l’égard de la Corée du Nord pour promouvoir l’établissement d’un projet de loi relative au «cas d’urgence» ou laisser persécuter les résidents coréens pour aggraver l’antagonisme entre les deux pays ne profitent nullement au Japon, mais mettent en péril son avenir. Comme mentionné ci-dessus, la Corée du Nord ne prend pour cible que les Etats-Unis dans son activité diplomatique. Sur le plan diplomatique, on peut considérer que le lancement du satellite visait les Etats-Unis. Pour le moment, la Corée du Nord ne pense pas au Japon, et elle a lancé son satellite sans songer à lui. Il en a été de même pour le lancement d’essai de missiles en 1993. «La Corée du Nord ne pense guère au Japon. Mieux, on dirait qu’elle le méconnaît. Je conviens moi aussi que c’était un satellite artificiel. De toute façon, le récent "missile" n’avait pas le Japon en vue, c’était sans doute l’expression d’une attitude qui ignore un pays comme le Japon. Je crois que l’essentiel n’était pas d’envoyer un message au Japon (Gomaki Teruo, Institut des affaires économiques asiatiques, Sekai, numéro de novembre 1998).» Quoi qu’il en soit, comme l’affirme Takamura, ministre japonais des Affaires étrangères, aux yeux duquel ce lancement «a donné au Japon le plus vif choc depuis la fin de la guerre» et «a représenté une menace 52 directe, plutôt qu’une inquiétude, pour le Japon», il est vrai que le Japon a pour la première fois ressenti directement la «menace» de la Corée du Nord et pris conscience d’une crise. Même aujourd’hui, alors que le satellite artificiel a été identifié, ce sentiment, loin de s’évanouir, ne cesse de s’exacerber. Raison pour laquelle, le 15 septembre, le ministère des Affaires étrangères de la Corée du Nord a déclaré que, «premièrement, la RPDC ne tentera pas de normaliser ses relations avec le Japon tant qu’il continuera ses actes d’hostilité à son égard; que, deuxièmement, si le Japon continue à chercher à esquiver son obligation de faire amende honorable pour ses forfaits passés et de les réparer, il devra endosser toute la responsabilité des conséquences qui en découleront; et que, troisièmement, la RPDC ripostera résolument, par des mesures de légitime défense globales et efficaces, aux actes hostiles du Japon». En septembre, à Pyongyang, le sentiment antijaponais s’exacerbait, tandis que l’antiaméricanisme ne se faisait nullement remarquer. La tension monte, peut-on dire, entre la Corée du Nord et le Japon, guerre des nerfs qui nuit énormément au Japon. Car rien ne justifie la critique japonaise, le monde entier ayant admis que l’objet volant lancé par la Corée du Nord est un satellite artificiel et le fait ayant émergé au grand jour qu’il n’avait pas été lancé pour intimider ou provoquer le Japon. La riposte du Japon n’a pour effet que de s’engager formellement envers la Corée du Nord et de s’attirer sa critique. Le vrai impact grave n’est pas celui du «missile», c’est celui de l’énorme perte diplomatique que subirait le Japon en poursuivant son effort pour se transformer en une puissance militaire et en exacerbant son hostilité à la Corée du Nord 53 La TMD contraire aux intérêts du Japon La TMD, programme promu par les Etats-Unis à partir de 1993, reste à l’étape de conception, soulevant de nombreuses questions. En voici les quatre raisons: Premièrement, le programme manque de perspectives claires et son efficacité est douteuse. La TMD suppose la détection, l’identification et la poursuite des missiles balistiques (à portées inférieures à 3 000 km) descendant de haute altitude, par des satellites de reconnaissance, des AWACS, un réseau de radars au sol, etc., puis leur interception par des missiles installés au sol ou à bord de bâtiments dotés du système Aegis, opérations qui, techniquement, sont irréalisables dans l’immédiat. «Il faut, disons, abattre un missile balistique d’environ un mètre de diamètre, venant à 4 km à la seconde de 150 km de distance, avec un antimissile plus rapide. Le fusil des soldats a une portée efficace de 500 m et une vitesse initiale de 1,8 km à la seconde. D est donc beaucoup plus difficile techniquement d’atteindre un missile balistique avec un antimissile qu’une balle de fusil avec une autre balle de fusil (Sankei Shimbun, le 24 octobre 1998).» Les Etats-Unis eux-mêmes ne sont pas sûrs des possibilités techniques qu’on attend de la TMD. En effet, malgré la dépense annuelle de quelque 3,6 milliards de dollars, ils ont essuyé cinq échecs consécutifs dans l’essai de développement de la THAAD (Theater High Altitude Area Defence), le programme du sixième essai restant indéterminé. Le journal militaire américain Defence News , le 14 décembre 1998, a annoncé que le département américain de la Défense évolue vers une renonciation au programme de développement de la THAAD du fait des difficultés techniques. La suspension de la THAAD, appelée pilier de la TMD, pourrait très probablement entraîner l’annulation de ce programme TMD. 54 Deuxièmement, le développement du programme demande trop de temps. Même dans l’hypothèse d’un développement régulier, son déploiement exigerait 20 ans au bas mot. En ce moment, le Japon voit dans la Corée du Nord la plus grande menace pour lui, mais qui sait si les deux pays resteront ennemis d’ici 20 ans? Certes, on compte actuellement (la fin de 1998) 36 pays possesseurs de missiles balistiques, nombre qui, dans 20 ans, peut augmenter encore et comprendre de nouveaux pays ennemis. On pourrait donc soutenir l’utilité de l’entreprise. Néanmoins, l’heure dans le monde étant à la détente, au désarmement, à l’abolition des armes nucléaires et des missiles, nul ne peut l’affirmer. Il est même plus probable qu’elle s’avère dépourvue de tout sens et s’arrête à mi-chemin. Troisièmement, d’immenses dépenses sont nécessitées. Un calcul élémentaire montre un budget de 1 000 à 2 000 milliards de yens ou plus, budget qui montera de façon inimaginable, dans dix ou vingt ans, eu égard à la hausse des prix et du coût de la vie. En 1998, les dépenses d’équipement des forces d’autodéfense japonaises étaient de 940 milliards de yens. Le déploiement exigé par la TMD sera impossible à moins d’y consacrer chaque année plus de 10 % de ces dépenses. Or, on trouve ces dépenses mêmes insuffisantes pour l’heure. Un personnage compétent se lamente même: «Les forces d’autodéfense sont comme un tigre en papier avec leur équipement. Un équipement aussi imparfait et défectueux ne sert à rien. Si l’on prélève sur les dépenses d’équipement en faveur de la TMD, les autres unités perdront de leur force. Aussi le programme est-il irréalisable.» Et l’augmentation des dépenses de défense aura ses limites. La participation à la TMD risque d’avoir pour effet de réduire la puissance militaire d’ensemble du Japon. Quatrièmement, tous les missiles balistiques ne pourront pas être interceptés. Si certains experts militaires trouvent la TMD peu chère pour la défense de la paix du Japon, une analyse sensée montre qu’il est 55 impossible d’intercepter tous les missiles balistiques qui viennent par dizaines ou centaines à la fois. Vu que l’explosion d’un seul missile à tête nucléaire ou le largage d’un seul missile ordinaire sur une centrale atomique peuvent causer un désastre, cela manque de sens, ou presque, de développer le programme à grands frais à moins de lui assurer une parfaite précision. Ajoutons que ce n’est plus un secret que l’antimissile Patriote réputé «hyperperformant» lors de la guerre du Golfe n’a alors presque jamais touché sa cible. «La TMD est un cadeau du Secrétaire général Kim Jong Il» (Campbell, assistant délégué au secrétaire à la Défense américain), «Le Secrétaire général Kim Jong Il fait cadeau de la TMD et de satellites de reconnaissance» (un haut fonctionnaire du ministère japonais des Affaires étrangères), ainsi commence un article de l’Asahi Shimbun du 28 septembre qui conclut qu’«il s’agit d’une fine mouche». Cadeau pour les Etats-Unis peut-être. Car le Japon est censé devoir partager des dépenses qu’ils ne sont pas à même d’assumer seuls, sans parler de la possibilité offerte à leurs conglomérats de l’industrie de guerre de rouler pour longtemps sur l’or. Mais cadeau pour le Japon? Certains énumèrent les avantages que comporterait la TMD pour le Japon, avançant notamment qu’elle consoliderait sa sécurité, lui servirait de force de dissuasion et lui apporterait des innovations techniques. Pourtant il n’en sera pas ainsi. Et, même si elle est installée au Japon, elle ne pourra dissuader un ennemi déterminé à l’attaquer avec des missiles balistiques et qui s’emploiera donc à trouver le moyen d’esquiver les antimissiles. Lors d’une conférence organisée le 12 janvier 1999 à Washington, Sha Zukang, directeur chinois du désarmement, a lancé une verte critique, disant notamment: «Le programme TMD a un impact négatif sur la région d’Asie et le monde entier. Il poussera les autres pays à entreprendre de développer des missiles plus performants, elle ne sera utile à personne.» Comme il l’a remarqué, le Japon s’engouffrera dans la course au développement de missiles. 56 On apprend que, selon le sondage d’opinion mené le 10 septembre par la chaîne Fuji Télévision, 64,4% des personnes abordées ont répondu par l’affirmative à la question: «Est-ce que le Japon doit se doter d’une défense autonome, notamment en acceptant le programme TMD et en introduisant des satellites de reconnaissance?» On se demande si cette réponse a été donnée en connaissance de cause. Que, malgré les énormes gâchis que cela entraînerait, les Japonais choisissent à large majorité d’adopter ce système, c’est leur affaire. Seulement, on peut dès maintenant affirmer que cette option leur est tout à fait perdante. Dépenses trop coûteuses «pour les relations nippo-américaines» (un haut fonctionnaire de l’Agence de la défense). Des satellites de reconnaissance bons à rien Le 6 novembre 1998, le gouvernement japonais a décidé, lors d’une séance du cabinet, d’introduire des satellites de reconnaissance. Ce système de satellites de reconnaissance (militaires) doit comprendre, dit-on, par exemple, deux satellites optiques, équipés d’une caméra à très haute résolution (1m), et deux satellites porteurs de radars. Leur construction et leur lancement nécessitent 190 à 300 milliards de yens. De plus, ces satellites dont chacun coûte 20 milliards de yens au moins sont censés ne servir que 5 ans, puisqu’ils doivent suivre des orbites basses. Il faudrait donc les renouveler tous les cinq ans. L’exploitation et le déploiement de ce système coûteraient quelques milliers de milliards de yens. Le satellite du Early Waming System servant à la TMD nécessite une technologie encore plus haute et des dépenses beaucoup plus importantes. Raison pour laquelle la Russie et la Chine ont pratiquement renoncé à lancer de tels satellites de reconnaissance. Les Etats-Unis et l’Allemagne fédérale, avec leur «Helios» à résolution de 1m, sont les seuls à en posséder. 57 De plus, pour parvenir à la résolution des satellites militaires américains, le Japon aurait besoin de beaucoup de temps. De même le pouvoir d’analyse obtenu par le Japon pour sa technique spatiale est faible. «Alos», satellite météorologique que la NASDA (National Space Development Agency) du Japon prévoit de lancer en 2003, serait équipé d’une caméra à résolution de 2,5 m et aurait presque le niveau technique du satellite de reconnaissance américain lancé il y a environ 30 ans. Il est nécessaire d’ajouter que les satellites militaires américains ont une résolution de moins de 15 cm. Cela dit, le Japon ne pourrait pas éviter pour le moment de recourir comme avant aux renseignements américains. Un satellite de reconnaissance (à révolution périodique), destiné à obtenir des renseignements sur les armements, le développement de nouvelles armes, les calamités, les cultures ou l’environnement, et un satellite stationnaire du Early Waming System appelé à détecter rapidement le lancement de missiles balistiques sont deux genres différents, le dernier étant indispensable à la TMD. Même s’il disposait de satellites de reconnaissance, le Japon ne serait pas en mesure de faire face à la «menace de missiles balistiques nord-coréens» dont il parle. On sait que le Japon cherchait à fabriquer lui-même le chasseur d’appui «FS-X» et que les Etats-Unis ont fait pression sur lui jusqu’à le contraindre à accepter de le faire en coopération avec eux. Certains Japonais craignent qu’une telle chose ne se reproduise. Car les Etats-Unis fourrent leur nez dans tout ce qui peut leur apporter du profit. Le Japon risque de s’enliser dans une impasse. Ainsi, le Sankei Shimbun, le 7 novembre 1998, écrivait dans son éditorial: «Si le Japon introduit le produit américain ou coopère avec les Etats-Unis pour construire les satellites prévus, ces derniers pourront user de l’arbitraire dans la fourniture de leurs renseignements. Au contraire, si le Japon tente de les fabriquer lui-même, les Américains s’y opposeront fermement. 58 «La plus grande difficulté du Japon pour s’équiper de satellites est de persuader les Etats-Unis.» Mitsubishi Electric Corporation, le plus grand constructeur de satellites du Japon, a un plan identique à celui du gouvernement pour l’introduction de satellites collecteurs de renseignements. Ceux qui gagneront de l’argent, ce sont toujours les fabricants d’armements japonais si le Japon choisit d’en construire au pays, et, s’il accepte d’introduire le produit américain, ce sont des groupes américains de l’industrie de guerre. Ce sont eux qui se félicitent le plus de l’extension des dépenses militaires imposée par le «choc du missile». Le 2 janvier 1999, au Congrès, le président Clinton a proposé un budget de guerre supplémentaire de 12 milliards de dollars et, pour six ans, une extension totale de 100 milliards de dollars. La plus grosse somme supplémentaire depuis le milieu des années 1980, époque de la guerre froide. Certes, cela suppose une relance de l’économie américaine, mais l’argument invoqué avec le plus d’insistance, c’est les «menaces militaires» que les Etats-Unis prétendent combattre, celles de l’Irak et de la Corée du Nord par exemple. Le refus irakien de l’inspection et le «missile» de la Corée du Nord ont été une bénédiction pour les groupes de l’industrie de guerre américains et japonais qui déclinaient du fait du désarmement et de la réduction des dépenses militaires. Seulement, le lancement de satellites à des fins militaires va à rencontre de la proposition de la diète japonaise de 1969 —la loi adoptée par la NASDA du Japon dit la même chose— selon laquelle l’exploitation et l’utilisation de l’espace doivent se limiter à des «fins pacifiques», et «fins pacifiques» veut dire «fins non agressives» et «non militaires». C’est du «scandale du missile» que le Japon a profité pour cacher son vrai dessein sous le voile de la «collecte de renseignements à multiples objectifs». La critique paraît donc fondée quand elle a trouvé ce procédé tout à fait puéril. 59 La TMD supposant l’utilisation de satellites américains du Early Warning System, il faut forcément faire appel aux Etats-Unis pour assurer son fonctionnement technique. De plus, certaines gens soutiennent le non-sens des satellites de reconnaissance, qui ne serviraient à rien. La Corée du Nord, elle, doit certainement penser qu’elle n’a rien à, craindre, que le Japon s’équipe ou non de satellites de reconnaissance, puisqu’elle a toujours été l’objet de la surveillance des satellites militaires américains, à la plus haute précision. Rêver d’user de satellites de reconnaissance pour faire face aux missiles balistiques nord-coréens ne peut servir peut-être qu’à consoler le Japon lui-même. Les forces d’autodéfense japonaises incapables d’attaquer les bases de missiles «Mieux vaut lancer une attaque surprise que d’attendre passivement la mort», voilà un avis musclé émis, le 8 septembre 1998, lors d’une réunion d’enquête sur la sécurité du Parti libéraldémocrate du Japon. Okazaki Hishahiko, commentateur diplomatique, disait: «Détruire les bases de missiles prend beaucoup moins de temps que de mettre en œuvre la TMD. La contre-attaque relève de l’exercice du droit d’autodéfense.» Matsushima Yusha, ancien chef des forces d’autodéfense de terre de la partie centrale, préconisait: «Le Japon est ignoré. S’il est un Etat souverain, il doit jouir, dans le cadre du droit international, du droit de choisir d’attaquer du moment qu’il est visé par des missiles prêts à être lancés.» Toutes ces affirmations s’inspirent de l’avis unanime du gouvernement émis en 1956 à la diète et qui s’exprime ainsi: «On ne peut pas admettre que la Constitution exige qu’on reste, les bras croisés, à attendre la mort. Tant qu’on n’a pas d’autres moyens, il faut voir dans l’attaque des bases de missiles et autres l’exercice du droit d’autodéfense.» 60 Avant de discuter de la conformité de cette opinion à la Constitution, voyons si l’attitude intransigeante qui veut qu’on «use de représailles en cas d’attaque», en d’autres termes que les forces d’autodéfense japonaises attaquent les bases de missiles de Corée du Nord, est réaliste. Le Gunji Kenkyu (Etude militaire) de novembre 1998 a nié cette possibilité, en avançant les éléments suivants concernant les forces d’autodéfense: (1) l’absence de moyens de reconnaissance ad hoc; (2) l’absence de missiles air-sol capables de détruire les radars de l’adversaire; (3) l’absence de bombes téléguidées par laser, par conséquent l’imprécision de leur attaque; (4) l’absence d’avions porteurs et d’avions d’attaque, par conséquent l’impossibilité de bombarder avec précision de haute altitude en grande formation; (5) l’attaque par missiles de croisière Tomahawk lancés par les bâtiments de la marine est impossible car la riposte (de la Corée du Nord) sera foudroyante. Avant de parler de la capacité d’attaque du Japon, il faut dire que celui-ci n’a aucune raison valable pour parler d’attaquer une Corée du Nord qui reste inoffensive et que le choix de l’attaque contrevient à la Constitution, favorable à une autodéfense exclusive. La communauté internationale n’admettra ni ne soutiendra une telle conduite. L’attaque japonaise risque de provoquer la guerre totale entre les deux pays. Le Japon, est-il alors prêt moralement et matériellement à y faire face? Ushio, ancien officier d’état-major du corps d’aviation général des forces d’autodéfense de l’air, et actuellement journaliste, a procédé à un simulacre de guerre, dont le résultat s’est avéré plus dramatique encore. Dans SAPIO du 11 novembre 1998, il a exposé ainsi le résultat de l’analyse qu’il a faite d’un simulacre de riposte japonaise à une attaque supposée des missiles balistiques nordcoréens: (1) les avions de combat du gros des forces d’autodéfense ne pourront intervenir car incapables d’attaquer des bases de missiles; (2) les missiles japonais existants ne sont pas à même d’assumer cette 61 tâche; (3) l’unique moyen disponible, c’est d’expédier des «commandos». Il a conclu à la nécessité de renforcer l’alliance nippoaméricaine, d’adopter au plus tôt le projet de loi relative au nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense, de réinterpréter la Constitution sur le droit d’autodéfense collective. D’autres commentateurs militaires abondent presque dans son sens. Or, la révision de la Constitution, l’extension de la notion de droit d’autodéfense collective et l’abandon de la prémisse majeure constituée par une autodéfense exclusive réclament de longues formalités et démarches. De même, les pays voisins y réagiront avec plus de force que prévu, et le Japon risquera d’être isolé sur le plan international. En outre, pour doter les forces d’autodéfense d’un équipement de nature offensive, il faudra énormément de temps et d’argent. Comme l’affirment certains hommes politiques et commentateurs politiques et militaires, le Japon n’est pas en situation d’appliquer facilement le slogan «Usez de représailles en cas d’attaque». Un autre point non moins sérieux, c’est que, même dans l’hypothèse que ces obstacles aient été surmontés, et tous les préparatifs nécessaires finis, les forces d’autodéfense (appelées alors éventuellement armée) ne seront pas à même de détruire les bases de missiles de Corée du Nord. C’est qu’elles ne pourront pas découvrir ni détruire les missiles gardés en sous-sol. Pendant qu’elles s’y emploieront, un grand nombre de missiles balistiques s’abattront sur le territoire japonais. La guerre totale, serait-elle alors la bonne option pour le Japon? D’aucuns peuvent voir dans l’exercice du droit d’autodéfense collective et la capacité de prendre l’initiative de l’attaque une force de dissuasion. Or, la Corée du Nord a déclaré qu’elle userait de représailles si elle était attaquée. Il en résultera donc une guerre totale. 62 La Corée du Nord n’est pas aussi loin du Japon que les EtatsUnis de l’Irak. Ce sont des voisins. De plus, elle a à sa disposition des missiles balistiques pouvant atteindre l’archipel japonais. Tout le monde peut s’imaginer que, une fois la guerre déclenchée, le Japon ne resterait pas indemne. Somme toute, l’attaque contre l’adversaire ne produira pas son effet si les autorités n’ont pas la détermination—la vraie force de dissuasion— de «répondre à la guerre totale par la guerre totale» et que le peuple ne la soutienne pas. Le danger de la loi relative au nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense Pourquoi le Japon, «Etat pacifique», devrait-il opter pour sa militarisation? La formule qui l’y conduit est simple: la Corée du Nord est en opposition avec la Corée du Sud, ainsi qu’avec les Etats-Unis auxquels une alliance militaire le lie; il ne veut pas lier amitié avec la Corée du Nord; avec le récent «scandale du missile», il a vu en elle, non pas une «menace virtuelle», mais une «menace réelle». Tout compte fait, la «menace» qu’il éprouve prend sa source dans le pacte de sécurité nippo-américain. C’est pourquoi, si la Corée du Nord et les Etats-Unis faisaient la paix ou que le Japon en fasse autant avec elle, en toute indépendance, la «menace militaire» qu’il voit venir d’elle disparaîtrait spontanément. Or, il a renforcé son alliance avec les Etats-Unis. Cela s’est concrétisé dans le «guide de collaboration nippo-américaine pour la défense (New Guideline)», décidé en septembre 1997, qui suppose l’intervention automatique du Japon (envoi de troupes à l’étranger) lors d’un «cas d’urgence» dans la péninsule coréenne, ainsi que dans l’institution de la loi sur le cas d’urgence, loi visant à le mettre en pratique. 63 Les Américains ont exigé, en toute occasion, que ce guide soit adopté au plus tôt. Aussi le régime Obuchi, issu de la coalition du Parti libéral-démocrate et du Parti libéral, tente-t-il de profiter du «scandale du missile» pour y parvenir lors d’une session régulière de la diète qui s’ouvrira le 19 janvier 1999. Le Japon fait face, pour sa part, à la tension militaire dans la péninsule coréenne, rôle qu’il veut spécifier maintenant dans ce guide. Et, pour pouvoir l’exercer sans à-coups, il sera obligé d’annuler tôt ou tard le paragraphe interdisant la guerre de l’article 9 de sa Constitution. On verra alors apparaître, en première ligne de la guerre froide (pouvant se transformer éventuellement en une guerre chaude) dans la péninsule coréenne, la puissance militaire que sera le Japon, qui exercera une terrible menace réelle. En fin de compte, quand un «cas d’urgence» se présente en Corée du Nord, le Japon deviendra spontanément une puissance belligérante et donc offrira une cible à l’attaque de la Corée du Nord, de quel côté qu’on ait pris l’initiative de la guerre. Malgré cela, les autorités japonaises ont choisi ce chemin et accélèrent davantage la militarisation du pays sous couvert du «scandale du missile». Il est douteux que les Japonais en aient une idée claire. Le débat sur le problème du «cas d’urgence» est si complexe qu’on se demande si c’est un rideau de fumée pour voiler la vérité. Il ne faut pas oublier que le Japon ne gagnera rien à faire la guerre à la Corée du Nord ou à participer à une guerre que feraient les Etats-Unis à celle-ci La meilleure sécurité pour un Etat, c’est lorsqu’il reste hors de toute guerre. Le Japon et la Corée du Nord ne sont pas divisés par des litiges territoriaux, tels que le problème du territoire septentrional et celui de l’île de Tok qui opposent le premier respectivement à la Russie et à la Corée du Sud, ni par une véhémente opposition d’idées ou d’intérêts. Le seul problème à résoudre dans leurs rapports, c’est celui du règlement de son passé par le Japon. Et la guerre n’est pas 64 la solution adéquate, le Japon devant se voir défavorisé pour avoir déjà commis des méfaits contre la Corée. La guerre ne ferait qu’aggraver le problème du règlement de son passé et l’antagonisme entre les deux. Pis encore, le Japon n’a aucune chance de gagner une éventuelle guerre qui ne lui apporterait que de nombreux sinistrés et un territoire pollué par la radioactivité. Pourquoi donc intervenir dans une guerre contre la Corée du Nord? Le lancement d’un satellite artificiel par la Corée du Nord n’allant pas à rencontre du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations unies qui défend la menace armée, il est déraisonnable de l’invoquer pour se transformer en une puissance militaire. Certains se félicitent du «scandale du missile», catalyseur, à leurs yeux, pour la conversion du Japon en une puissance militaire. Ainsi, le «scandale» a servi à révéler la stupidité de la militarisation comme leurs desseins secrets. Catalyseur peut-être, mais pas pour longtemps, car le choc passera, l’opinion reprendra ses esprits, et le Japon se repentira d’un acte qui risquait de le mettre lui-même en péril. 5. LE JOUR J ARRIVERA-T-IL? Les raisons militaires empêchant l’éclatement de la Guerre Il y a longtemps déjà que l’on a commencé à parler ouvertement du jour J, jour de l’éclatement d’une éventuelle seconde guerre de Corée. 65 Les experts en problème coréen ont prédit, à la première occasion, la date de l’éclatement de la guerre en Corée, mais ils se sont toujours trompés. Est-ce que le danger de guerre s’est aggravé avec le lancement d’un satellite artificiel par la Corée du Nord? Non. C’est-à-dire que le risque s’est amoindri et est parvenu, disons, à un stade tel que la guerre s’avère impossible. Voici pourquoi, sur le plan militaire. Primo, la Corée du Nord est dotée d’une capacité de défense inimaginable. Sa puissance militaire réside dans la priorité absolue accordée à la défense. L’essentiel en est constitué par la ligne militaire en quatre points que voici. (1) Armement du peuple tout entier: tous les citoyens font l’exercice et sont armés en vue d’encercler et d’anéantir les forces alliées américano-sud-coréo-japonaise; si la guerre éclate, on verra se lever une armée forte de quelque dix millions d’hommes; si les combats s’engagent sur terre, les Nord-Coréens écraseront l’agresseur, forts de leurs avantages topographiques. Les Etats-Unis ont déjà expérimenté l’efficacité et la terreur de telles opérations en Corée. (2) Fortification de tout le territoire: construire en sous-sol des bases d’aviation, de missiles, d’artillerie et de navires et des usines d’armements et répartir des pièces d’artillerie antiaérienne sur chaque mont; les ouvrages de défense offriront une protection à toute épreuve contre l’attaque nucléaire; au reste, provisions de bouche et de carburant sont stockées pour faire face à une guerre prolongée. On apprend que la fortification du pays a été achevée. (3) Transformation de toute l’armée en armée de cadres: des cadres militaires en puissance sont formés régulièrement, en premier lieu au sein de l’armée régulière; si la guerre éclate, des troupes aussi nombreuses que celles de l’armée régulière seront organisées autour d’eux. 66 (4) Modernisation de toute l’armée: équiper l’armée régulière d’armes du dernier modèle dont on produit l’essentiel au pays. On pourra ainsi mener la guerre sans l’aide ou le soutien extérieurs. Il est bien connu que pendant la guerre du Viêt-nam, lors de la chute de Saigon, les Américains et les Sud-Vietnamiens ont été frappés de stupeur à la vue de l’équipement moderne et puissant de l’armée régulière du Viêt-nam du Nord. Il est certes vrai que les équipements dont dispose la Corée du Nord, notamment les armes, sont moins sophistiqués que ceux des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon, et pourtant la Corée du Nord les trouve suffisants pour se défendre. 13 000 pièces d’artillerie à longue portée et lance-roquettes multiples (selon une évaluation américaine) ont été déployés en sous-sol. «65% des effectifs et 80% des pièces d’artillerie de campagne et des missiles se trouvent concentrés à 96 km ou moins du 38e parallèle (Military Balance de 1998-1999 de l’Institut britannique des affaires stratégiques internationales).» Kang In Dok, président du Conseil sud-coréen pour l’unification, a dit: «La Corée du Sud est, depuis déjà les années 80, à la portée des missiles du Nord. Le Nord a déjà déployé des missiles à portée de 600 km, donc à même d’atteindre tout le territoire sud-coréen, tandis que la Corée du Sud ne construisait qu’un missile à portée de 80 km.» Si la Corée du Nord est attaquée par les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, tous ces canons ouvriront le feu simultanément. De plus, des missiles balistiques et des ICBM frapperont, par mesure de représailles, les territoires des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon. Le 19 décembre 1998, le Rodong Sinmun a publié une affiche illustrée où trois missiles marqués des lettres «Corée du Juche» visent des avions portant les noms de Washington, de Séoul et de Tokyo, image au-dessous de laquelle on lit: «La cible de l’attaque est claire.» On dirait un avertissement sévère à l’adresse des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon. 67 Secundo, les Etats-Unis ne sont pas décidés à faire la guerre à la Corée du Nord. Le «plan d’opérations 5 027», scénario d’une guerre éventuelle en cas d’urgence dans la péninsule coréenne, élaboré par le Comité américain des chefs d’état-major, remonte aux années 60, et il a été modifié tous les dix ans. Ayant pris sa fonction, le président Clinton l’a fait revoir. Puis, en 1993, examinant le rapport présenté, il a renoncé au projet de guerre contre la Corée du Nord. D’après le résultat d’un simulacre de guerre, (1) 540 000 hommes, soit la moitié des effectifs américains, devraient être mobilisés inévitablement pour cette guerre qui connaîtrait une bataille âpre de 120 jours au moins, (2) des millions de victimes seraient dénombrées parmi les civils, (3) le nombre des soldats américains tués équivaudrait à celui des soldats américains tués pendant trois ans de guerre de Corée ou dix ans de guerre du Viêt-nam (52 000), et (4) la péninsule coréenne et les pays voisins se ressentiraient gravement de la radioactivité émanant des centrales atomiques bombardées. La guerre du Golfe avait fait 1 000 morts parmi les soldats américains, et les gens aux Etats-Unis, tout exaltés qu’ils fussent par la victoire obtenue dans une guerre ayant mobilisé des techniques de pointe, n’avaient pu cacher leur stupeur devant ces pertes humaines qui leur inspiraient toujours davantage l’horreur de la guerre. Comment accepter la perspective d’un nombre de morts équivalant à celui déploré par eux pendant la guerre de Corée ou celle du Viêt-nam? De ce point de vue, il n’est certainement pas dans les intentions des Etats-Unis de faire la guerre à la Corée du Nord. De plus, les Etats-Unis ne sont plus seuls à posséder l’arme nucléaire, et leurs alliés ne sont plus dépourvus de centrales atomiques comme naguère. Désormais, si la guerre éclatait, les centrales atomiques seraient l’objet de l’attaque qui la transformerait inévitablement en une guerre nucléaire. Les Etats-Unis, qui avaient largué deux bombes atomiques sur le territoire japonais, n’ont plus recouru depuis à ce genre d’attaque bien qu’ils aient eu 68 de nombreuses guerres à mener. Ils ne le pouvaient plus, vu les conséquences affreuses et catastrophiques de la bombe atomique. La guerre du Golfe n’était pas une guerre nucléaire, mais la plupart des soldats américains qui y ont participé se plaignent d’une fatigue chronique, inappétence, de la perte de mémoire et d’autres symptômes particuliers qu’on appelle «syndrome de la guerre du Golfe». Dans son rapport publié en mars 1998, le «Centre pan-américain pour la compensation de la guerre du Golfe», organisation des militaires en retraite, a indiqué qu’il s’agissait probablement des effets de la radioactivité des bombes à uranium amoindri employées en grande quantité du côté américain pendant cette guerre, la première du genre où fût utilisée cette bombe fabriquée avec l’uranium naturel après extraction de l’uranium 235, ce en vue de détruire les chars et les positions de l’armée irakienne. Selon ce rapport, près de 400 000 hommes, soit 75% des participants de cette guerre, ont subi sous telle ou telle forme les effets radioactifs de l’uranium réduit pendant ou après les hostilités. Diverses autres hypothèses circulent à propos des causes du «syndrome de la guerre du Golfe», dont celle qui l’attribue à la destruction intentionnelle des ogives à gaz toxique par l’Irak, mais la thèse de la bombe à uranium amoindri passe pour la plus crédible, de si nombreux participants de cette guerre révélant des symptômes identiques." Comme mentionné ci-dessus, une guerre éventuelle, de nos jours, même sans être nucléaire, peut bien faire subir une forte radioactivité aux combattants et aux civils habitant dans la région. Inutile de parler des conséquences d’une guerre nucléaire. Si la Corée du Nord est attaquée, elle lancera sans tarder des missiles vers les bases militaires américaines et les centrales nucléaires situées en Corée du Sud et au Japon. Le propre de la tactique de guérilla est de prendre ses armes à l’ennemi pour s’équiper ou d’en tirer profit pour attaquer le talon d’Achille de l’adversaire. 69 L’explosion d’une centrale nucléaire peut, dit-on, produire le même désastre que le largage de 10 000 bombes nucléaires. On n’a qu’à lire la Centrale nucléaire à Tokyo!, livre de Hirose Takashi, pour constater que les conséquences de la destruction d’un réacteur dans une centrale atomique dépassent l’imagination. Sans aucun doute que le Japon ou la Corée du Sud se convertiraient en «mers de feu» ou en champs de cendres si un seul missile frappe juste une centrale atomique. D’autre part, le territoire américain subirait cruellement l’attaque de représailles lancée par des missiles balistiques à portée intercontinentale. Il en est de même pour les porte-avions américains quand ils seront attaqués par des missiles. La Corée du Nord n’a pas besoin d’équiper ses missiles balistiques d’ogives nucléaires. Cependant, la guerre se transformera inévitablement en une guerre nucléaire. Les Etats-Unis ne pourront entrer en guerre contre la Corée du Nord, à moins d’admettre les graves dégâts qu’ils subiraient sur leur propre territoire, en plus de l’extermination de leurs soldats stationnant en Corée du Sud et au Japon et de la destruction de la péninsule coréenne et du Japon. Ils ne peuvent prendre le parti de déclencher la guerre. Tertio, les Etats-Unis ne sont pas en état de mener à terme une guerre éventuelle contre la Corée du Nord. Ils ont déjà éprouvé l’amertume d’un échec en Corée et au Viêtnam. S’ils ont crié victoire à gorge déployée à l’issue de la guerre du Golfe, ils n’avaient pas atteint leur premier objectif: renverser ou éliminer le régime Hussein. Peut-on parler dès lors d’une victoire? Ils ont menacé militairement l’Irak à propos de l’inspection des armes de destruction massive et l’ont attaqué, en décembre, par missiles, avec la Grande-Bretagne. En quatre jours, apprend-on, un total de 415 missiles de croisière ont été lancés, contre 290 Tomahawk lancés pendant 45 jours de guerre du Golfe. D’après 1’«estimation des résultats de l’opération» faite par le département américain de la Défense, 30% seulement des cent et 70 quelques objectifs d’attaque furent «anéantis» ou «gravement endommagés», et «le développement de missiles par l’Irak a été retardé d’un an» (William S. Cohen, secrétaire à la Défense américain). Le régime Hussein subsiste. De plus, les autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ont blâmé l’attaque contre l’Irak. La Russie en particulier s’y est opposée énergiquement en rappelant ses ambassadeurs des EtatsUnis et de la Grande-Bretagne. La communauté internationale s’est refusée à l’approuver et à y apporter sa coopération. «La punition de l’Irak s’est soldée par un résultat équivoque ... "La communauté internationale" a éprouvé de l’aversion et de l’indignation devant l’emploi, par le supergrand unique (les EtatsUnis) et son allié exclusif (la Grande-Bretagne), selon leur logique, des plus puissantes forces armées au monde. C’est la réalité (Asahi Shimbun, le 21 décembre 1998).» La poursuite de l’inspection est devenue difficile. «Avec les bombardements aériens, l’inspection de l’ONU sera impossible», disait le président Clinton. Après l’attaque, Ramadan, vice-président de l’Irak, a déclaré que «l’UNSCOM (U.N. Spécial Commission), groupe d’espions, est du passé», laissant entendre son refus d’admettre désormais l’inspection. On prévoit par ailleurs une montée éventuelle de la sympathie des pays arabes avec l’Irak et de leur antiaméricanisme. En effet, des manifestations mobilisant des milliers ou des dizaines de milliers de personnes se sont succédé contre les EtatsUnis et la Grande-Bretagne en Egypte, en Syrie, au Yémen, en Jordanie, au Soudan, en Libye et ailleurs. Les observateurs occidentaux prévoient une situation plus difficile pour les Etats-Unis, auteur de l’attaque et des sanctions, que pour l’Irak qui en a été victime. Guardian, journal britannique, constatait: «Si cela se répète, les avions civils britanniques risqueront toujours plus d’être attaqués par les terroristes, la Grande-Bretagne s’attirera une antipathie croissante 71 du monde arabe et entamera l’orthodoxie de l’ONU et s’enlisera dans une plus grande impasse en Europe.» Il en est sans doute de même pour les Etats-Unis comme pour la Grande-Bretagne. Quant au gouvernement japonais, il s’est hâté à soutenir l’attaque aérienne contre l’Irak. De l’avis de certains, l’un des mobiles de cette attitude est l’espoir que les sanctions militaires appliquées contre l’Irak auraient pour effet de dissuader la Corée du Nord. Celle-ci n’est pourtant pas l’Irak. La situation politique et militaire dans la péninsule coréenne diffère de celle du Moyen-Orient. L’Irak était quasiment sans défense quand il fut attaqué par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Il a cherché à en profiter pour s’attirer la sympathie internationale, et il y a réussi dans une certaine mesure. Se laisser nuire, dirait-on, pour attendre qu’on puisse abattre l’adversaire. Par contre, la Corée du Nord, elle, a proclamé sans ambages que, si elle était attaquée, elle userait de rétorsion. Elle a démontré d’ailleurs cette capacité. Si les Américains l’attaquent avec des missiles de croisière, elle ne restera pas passive. Au reste, la Corée du Sud et le Japon, qui craignent de graves dégâts en cas de guerre, ne souhaitent pas une attaque de représailles pouvant provoquer une guerre. Si les EtatsUnis désirent attaquer la Corée du Nord avec des missiles, ils ne le peuvent pourtant pas. Le 18 décembre 1998, le ministère nord-coréen des Affaires étrangères a déclaré: «Rien ne peut justifier l’attaque militaire contre l’Irak, et il est intolérable de violer la souveraineté d’un pays sous quelque prétexte que ce soit.» Déclaration bien dissuasive pour les Etats-Unis. La Corée du Nord pense empêcher les Etats-Unis de recourir à la force. Démontrer une puissance militaire capable d’user de représailles et un fort esprit de résistance, voilà qui permettait, à ses yeux, de vaincre sans subir de dommages. En fin de compte, 72 l’attaque aérienne américaine et britannique contre l’Irak a eu pour résultat d’amener la Corée du Nord à durcir ses positions, loin de produire l’effet de dissuasion escompté par le gouvernement japonais. De plus, les Etats-Unis sont aussi économiquement en difficulté. Ils n’auraient pu assumer la guerre du Golfe s’ils n’avaient pas reçu 9 milliards de dollars du Japon et la contribution à la guerre de pays du Moyen-Orient. Un expert militaire américain a évalué à cinq cents millions les dépenses engagées pour les bombardements aériens sur l’Irak (en décembre 1998). Kenneth Bacon, porte-parole du département américain de la Défense, a reconnu qu’aucun des six missiles airair du dernier modèle lancés, le 5 janvier 1999, par les avions américains lors d’un combat avec des avions irakiens aux environs de la «zone d’exclusion aérienne», n’avait atteint sa cible. Un missile de ce modèle coûte plus de 300 000 dollars (près de 33 millions de yens), prix exorbitant. Les dépenses d’une guerre sont proportionnelles à sa durée. L’économie américaine, après le récent boom, donne d’ores et déjà des signes de déclin comme l’économie nippone. Les Etats-Unis sont d’ailleurs le plus grand débiteur du monde. Et ils ne sont plus en état de se permettre de faire la guerre à la seule fin d’engraisser leurs monopoles de l’industrie de guerre. Pis encore, la guerre moderne n’apporte pas seulement du profit au pays vainqueur. Combien la guerre du Golfe, appelée «guerre du pétrole», a-telle profité aux Etats-Unis victorieux? Ils sont le plus grand acheteur du pétrole irakien dont l’exportation a été autorisée, après cette guerre, pour des raisons humanitaires. C’est que le produit de ce pays est bon marché. Il entre pour 8 % dans leurs importations de pétrole. Aussi les sanctions économiques et militaires appliquées contre l’Irak causent-elles des difficultés à eux-mêmes. 73 Le président Clinton cherche à faire face simultanément à l’Irak et à la Corée du Nord, qu’il considère comme les plus grandes menaces. Cependant, on dirait à juste titre que les EtatsUnis, déjà en difficulté du fait de la crise irakienne qu’ils ont créée sans même parvenir à éliminer Hussein, sont incapables de faire face également à la «plus grande menace pour leur sécurité (au problème nord-coréen)» (Benjamin A. Gilman, président de la commission des relations internationales de la Chambre des représentants des Etats-Unis). Le fait est que, si les Etats-Unis osent proclamer: «Notre force se manifeste par des efforts diplomatiques et un appui militaire puissant» (le président Clinton) et recourent à la traditionnelle diplomatie de la canonnière, ils sont contredits et raillés partout dans le monde entier et de plus en plus hors d’état d’exercer leur puissance militaire et d’user de menaces efficaces. Quarto, les Etats-Unis n’ont aucune raison valable d’entrer en guerre contre la Corée du Nord. Les Américains se demandent: «Pourquoi nos jeunes devraient-ils mourir pour le compte d’autres pays?» Ils sont maintenant peu enclins à penser que les Etats-Unis doivent se conduire en «responsable de la sécurité» et en «gendarme» international. Naguère, ils devaient combattre le socialisme et le communisme, l’URSS étant une «puissance démoniaque». Aujourd’hui, le socialisme n’a plus de zone d’influence particulière, et il importe peu aux simples Américains qu’un petit pays de l’Extrême-Orient tienne au socialisme. Barry Blechman, président du Centre Henry L. Stimson, disait: «Plus on multiplie les menaces de sanction militaire, plus s’accroît le danger de mort pour les soldats américains et plus l’opinion publique réagit davantage contre. On ne comprend surtout pas pourquoi les Etats-Unis s’immiscent dans des litiges après la guerre froide. «Quand on se préoccupe du prix de revient constitué par des vies humaines et l’opinion mondiale, la menace ne peut atteindre l’objectif proposé, plutôt elle donne prise à la ruse de l’adversaire.» 74 Ceci dit, l’opinion américaine considère elle-même que la domination exclusive des Etats-Unis, déjà bourrée de contradictions, s’achemine vers l’échec. Telles sont les raisons pour lesquelles ni les Etats-Unis ni la Corée du Nord ne déclencheront une seconde guerre de Corée. En cas de guerre, si les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon ne seront pas vaincus, ils ne seront pas non plus les vainqueurs. Une guerre nucléaire causera des dégâts sans commune mesure, et personne n’y gagnera rien. Ce qui restera après, ce ne seront que des victimes sans nombre, que des territoires ravagés et pollués par la radioactivité. Les obstacles politiques à l’éclatement de la guerre L’examen de la conjoncture politique et diplomatique où se trouve la péninsule coréenne permet d’affirmer que la guerre n’éclatera pas, qu’elle ne pourra être déclenchée. En voici les raisons. Premièrement, les rapports nord-coréo-américains sont devenus, sous l’effet de l’accord historique intervenu en 1994, de rapports antagoniques, des rapports de confiance naissante, et ils tendent à l’établissement de relations diplomatiques par la voie du dialogue. Dans cet accord, les Etats-Unis ont donné, pour la première fois, à la Corée du Nord 1’«assurance officielle qu’ils n’emploieront pas l’arme nucléaire contre elle ni ne la menaceront avec elle», et les deux parties se sont engagées à «s’efforcer en commun pour la dénucléarisation, la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne». Tant que l’accord-cadre RPDC-USA sera en vigueur, les deux parties ne pourront déclencher la guerre l’une contre l’autre. Deuxièmement, diverses voies de dialogue relient les deux pays, et des structures diverses sont en place pour garantir la sécurité de la péninsule coréenne. 75 Dans de nombreux cas, la guerre provient d’une méconnaissance d’une partie par l’autre. Un dialogue ininterrompu peut faire toujours, ou presque, éviter la guerre même à des pays ennemis. Après l’adoption de l’accord-cadre RPDC-USA, ont vu le jour dans la péninsule coréenne des structures propres à assurer la sécurité, telles que la KEDO, le projet de construction de réacteurs à eau légère, les négociations sur les missiles, les pourparlers entre les généraux, le déterrement commun des cendres des soldats américains, la conférence quadripartite, structures qui fonctionnent effectivement. Elles sont devenues toutes des cartes diplomatiques à la disposition de la Corée du Nord. Tant que ce pays aspirera à la paix et à la sécurité de la péninsule, il ne cherchera pas à s’en servir pour déclencher la guerre. Au reste, il possède maintenant la puissante carte qu’est son satellite artificiel, et les Etats-Unis sont obligés d’en tenir compte. Troisièmement, de fortes évolutions tendant à la coexistence et à la coprospérité, axées sur des échanges économiques non gouvernementaux, ont lieu entre le Nord et le Sud de la Corée. Il est hors de doute que les deux tendront essentiellement à coexister, malgré d’éventuelles péripéties. Si la guerre éclate, le feu les submergera et la nation coréenne courra à sa perte. Les habitants des deux parties en sont conscients. En effet, la Corée du Sud serait exposée aux plus grands dégâts et désirerait donc ardemment éviter la guerre. Et les Etats-Unis ne pourraient l’ignorer ni déclencher la guerre à leur gré. Quatrièmement, la Corée du Nord et les Etats-Unis, parties intéressées dans le problème de la péninsule coréenne, sont appelés à mettre un terme à la structure de la guerre froide dans cette région. C’est une nécessité historique. L’Accord d’armistice de Corée stipule le remplacement de cet acte par un accord de paix. Et les Etats-Unis, qui ont toujours méconnu ce problème, ne peuvent plus, vu la fin de la guerre froide, éviter leur devoir et leur responsabilité de modifier leur politique vis-à-vis de la péninsule coréenne. Cela s’est concrétisé dans 76 l’accord-cadre RPDC-USA et la conférence quadripartite, engagée sur l’initiative des Etats-Unis et de la Corée du Sud. Lors du 3e tour de cette conférence, on est tombé d’accord sur la mise sur pied d’une sous-commission après que la Corée du Nord avait proposé de mettre à l’ordre du jour le problème de l’évacuation des troupes américaines stationnant en Corée du Sud et que les EtatsUnis et la Corée du Sud y avaient répondu en suggérant la possibilité de «discuter d’une nouvelle répartition des forces armées dans la péninsule coréenne». L’essentiel du problème de la péninsule coréenne, c’est la question des rapports militaires entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Il s’agit donc d’annuler et de neutraliser le rôle des troupes américaines stationnant en Corée du Sud. Les Etats-Unis sont obligés de prendre cette orientation. On apprend que la Corée du Nord a proposé en octobre que les pourparlers des généraux de l’Armée populaire de Corée et des «forces des Nations unies», qui ont démarré en juin 1998, soient élevés au rang de pourparlers tripartites des généraux de l’Armée populaire de Corée, des troupes américaines et de l’armée sud-coréenne pour mettre sur pied à Phanmunjom une «commission militaire conjointe» composée de généraux des trois parties. La Corée du Nord se propose de remplacer l’Accord d’armistice de Corée par un accord de paix et de mettre sur pied un nouveau système de paix, ce en vue d’annuler et de neutraliser le rôle des troupes américaines stationnant en Corée du Sud. Tout porte à croire que le problème de la sécurité de la péninsule coréenne évoluera dans cette direction. La Corée du Nord amène les Etats-Unis à modifier leur stratégie asiatique La guerre froide ayant pris fin, les Etats-Unis s’étaient proposé de réduire les effectifs américains en Asie (rapports sur la défense de 1990 et de 1992). Cependant, se heurtant au mécontentement et à 77 l’opposition énergiques de leurs alliés, ils se sont fait un revirement et ont opté pour une stratégie mondiale inspirée de la «proposition de Nye», ancien assistant au secrétaire à la Défense. Cette proposition consistait à renforcer les alliances des Etats-Unis et à mettre sous leur contrôle le «parapluie des renseignements» en "plus du «parapluie nucléaire» pour qu’ils s’acquittent comme toujours de leur responsabilité de supergrand. Elle s’est concrétisée dans la «stratégie américaine sur la sécurité en Asie de l’Est et dans le Pacifique» (rapport sur la stratégie est-asiatique), publiée par le département américain de la Défense en 1995. En substance, ce rapport préconise: (1) de charger les pays alliés des dépenses militaires en contrepartie du «parapluie nucléaire» fourni et du «rôle dirigeant» joué en leur faveur; (2) de faire stationner 100 000 soldats américains en Corée du Sud et au Japon. Pour sa part, Walter Slocombe, sous-secrétaire à la Défense, a affirmé au Congrès américain que la «stratégie asiatique des EtatsUnis dans l’après-guerre froide consistait, premièrement, à renforcer les relations avec les pays alliés, deuxièmement, à maintenir le déploiement militaire et, troisièmement, à promouvoir des relations stables et durables avec la Chine». De ce fait, la Corée du Sud et le Japon sont obligés d’accroître sans cesse leur «budget de charité» pour le maintien des troupes américaines. Par exemple, la première verse 399 millions de dollars pour le maintien de 36 000 soldats, ce qui pèse lourd sur elle, déjà prise dans l’état de la crise causée par l’intervention du Fonds monétaire international. Quant au Japon, les Américains l’apprécient comme un «bon élève» parce qu’«il est le plus généreux parmi leurs alliés, offrant annuellement cinq milliards de dollars aux pays ayant besoin d’une aide permanente» (rapport sur la stratégie estasiatique de 1998). Cependant, la Corée du Sud et le Japon sont, de toute évidence, assez bien placés pour se rendre compte que cette «stratégie» qui va à contre-courant de la détente, marquée par la fin de la guerre froide, l’accord-cadre RPDC-USA, etc., est en dérive comme l’est la 78 «stratégie de la double confrontation» (stratégie voulant faire face simultanément à une crise militaire dans la péninsule coréenne et au Moyen-Orient), déjà censée avoir échoué. Récemment, le Japon a ressenti douloureusement que les EtatsUnis ne lui fournissent pas tous les renseignements nécessaires même lorsqu’ils les trouvent «vitaux pour lui». Malgré le «parapluie nucléaire» qu’ils ont promis au Japon, les Américains n’ont pas fait appel à leurs forces de dissuasion nucléaires en sa faveur lorsqu’une crise mettant enjeu son destin était survenue. Il en est de même pour la Corée du Sud. Comment employer d’ailleurs les forces nucléaires pour leurs alliés alors qu’eux-mêmes n’ont pu le faire dans une guerre où il allait de leurs propres intérêts? Difficile de considérer comme des forces de dissuasion des forces nucléaires dont on ne peut faire usage. Cela, la Corée du Sud l’a compris il y a peu de temps seulement. Les Etats-Unis ont publié, en novembre, un nouveau «rapport sur la stratégie est-asiatique» dans l’espoir de remettre sur la voie l’alliance américano-nippo-sud-coréenne et d’apaiser la Corée du Sud et le Japon. Ils ont préconisé un renforcement de leur alliance avec eux et leur ont promis le maintien d’«un contingent américain de 100 000 hommes» en Asie. Auprès du Japon, en déclarant que l’«alliance américano-nippone est capitale dans leur stratégie asiatique», ils ont insisté sur la nécessité d’adopter un nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense. D’autre part, ils ont exprimé leur «compréhension» pour 1’«indignation» du Japon, en arguant que «le "lancement d’un missile" en août par la Corée du Nord prouve qu’elle est une menace pour la sécurité de la région». Pour apaiser la Corée du Sud, ils ont tenté de se montrer intransigeants, prêts à user de représailles militaires contre la Corée du Nord, en déclarant qu’«ils assureraient la sécurité par des moyens diplomatiques ou autres». Malgré cela, d’inévitables divergences dans la politique nordcoréenne divisent les Etats-Unis, toujours prêts à aggraver la tension sous différents prétextes, tels que ceux du satellite artificiel et du 79 «soupçon d’installations nucléaires souterraines», la Corée du Sud — dont la position tranche souvent avec la leur— qui ne le souhaite cependant pas et le Japon qui se retrouve plus d’une fois seul. Les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon ont multiplié entre eux les contacts bilatéraux au sommet pour réaffirmer leur alliance, mais le désaccord et l’antagonisme qui les divisent s’avèrent irréductibles. Dans son éditorial du 24 novembre, Mainichi Shimbun signalait: «Quand les Etats-Unis prennent le parti d’engager une action militaire, la Corée du Sud ne l’accepte jamais... La cause essentielle de leurs dissonances réside dans l’obstination de la Corée du Sud dans l’idée qu’"elle est seule capable de pénétrer les intentions de la Corée du Nord" et dans l’arrogance des Etats-Unis qui "se considèrent comme avoir obtenu, seuls, à force de négociations difficiles, des renseignements sur la Corée du Nord et avoir ainsi trouvé les contre-mesures qui s’imposaient".» Cette crise nerveuse est une expression de la distance entre les trois et de l’inquiétude que leur inspire l’instabilité de leur alliance. La stratégie de la Corée du Nord vis-à-vis des Etats-Unis vise à l’emporter sans user d’armes. La guerre chaude ne ferait que ravager la péninsule coréenne. De ce fait, la Corée du Nord fait de ses armes et de ses forces militaires une carte politique et diplomatique pour contraindre les Etats-Unis à s’engager dans la voie de la paix. Stratégie qui produit ses effets d’ores et déjà, les Etats-Unis étant pris dans un étau comme un éléphant tombé dans une fourmilière ou pris dans une toile d’araignée. Certes, les fourmis ou les araignées ne sont pas en état de tuer un éléphant. Cependant, elles sont capables de le conduire là où elles l’entendent. Ebata Kensuke constatait: «Si le monde considérait les missiles comme des armes militaires, il faut dire qu’ils les ont définis comme des armes politiques. "Ces armes destinées à menacer", il est déjà significatif d’en disposer.» La Corée du Nord n’a pas besoin d’en disposer. Il lui suffit de montrer seulement ses capacités dans ce domaine. 80 Le Président Kim Il Sung a dit: «Nous n’avons ni la volonté ni la capacité de développer d’armes nucléaires. Nous accepterons l’inspection nucléaire à condition qu’elle respecte l’équité.» Or, les Etats-Unis ont fait grand tapage autour du «soupçon nucléaire». La Corée du Nord ne doutait pas de l’effet que produirait le lancement d’un satellite artificiel, lequel lui attirerait certainement le soupçon de disposer de missiles balistiques intercontinentaux ou de satellites militaires. Et elle a cherché à en tirer le maximum de profit. Bien qu’au courant de cette tactique, les Etats-Unis ne peuvent que suivre le chemin de la paix voulu par la partie adverse. Telle est la vérité d’une guerre sans coups de feu. Si un petit pays veut faire face à un supergrand, il doit recourir, non pas à sa puissance militaire, mais à son art de parler, à son cerveau. Depuis tant d’années, la Corée du Nord et les Etats-Unis se livrent l’une contre les autres à une âpre «polémique». Des propos tièdes du genre «La menace témoigne d’une méchanceté sans nom» ne peuvent rien faire dans cette «guerre des paroles». La diplomatie internationale, c’est la guerre des supercheries. Les Etats-Unis ne reconnaissent que les forts, ils ne regardent pas les faibles. Pour l’emporter sur eux, il faut faire preuve d’une intelligence et d’un courage supérieurs aux leurs. Et le lancement d’un satellite artificiel par la Corée du Nord a produit sur les Etats-Unis un effet beaucoup plus fort, à la différence du |«soupçon de développement d’armes nucléaires», car ce lancement équivalait à celui d’un missile balistique intercontinental. A l’annonce officielle de la réussite du lancement d’un satellite artificiel par la Corée du Nord, les Etats-Unis ont proposé de conclure les négociations de haut niveau RPDC-USA qu’ils différaient depuis août et d’augmenter l’aide alimentaire à la Corée du Nord de 200 000 tonnes à 300 000, à condition qu’on reprenne premièrement la conférence quadripartite, deuxièmement, la consultation sur les missiles, troisièmement, la fourniture d’huile lourde, quatrièmement, qu’on entreprenne les travaux de construction de réacteurs à eau légère et, cinquièmement, qu’on 81 reprenne les négociations sur l’élimination de la Corée du Nord de la liste des «Etats terroristes». Les négociations visant à réexaminer les «Etats terroristes» devant préparer l’adoucissement des sanctions économiques, leur organisation pouvait être saluée par la Corée du Nord. Le département d’Etat américain a souligné que «le gel nucléaire s’avère important d’autant que la Corée du Nord a développé le missile». Cela veut dire que le lancement du satellite artificiel a accentué la conscience d’une crise des Américains et les a contraints à d’importantes concessions. Le Japon, se sentant «trahi», s’est plaint de ne savoir à quel saint se vouer et a réagi vivement, en accusant le Congrès américain dominé par le Parti républicain d’avoir offert du «miel» à la Corée du Nord. Or, l’administration Clinton n’avait pas d’autres moyens. Comme on l’a déjà signalé ci-dessus, il fallait, du point de vue de la Corée du Nord, pousser les Etats-Unis, qui tergiversaient, à respecter l’accord-cadre RPDC-USA. Tel était, sans doute, l’objectif visé par 1’«impact du missile balistique intercontinental». Mesures dures et toile d’araignée Les députés républicains enrageaient devant le lancement d’un satellite artificiel par la Corée du Nord. Staphe déclarait: «On a rénuméré de nouveau la Corée du Nord qui jette un défi», Randy Cunningham, membre de la commission des appropriations de la Chambre américaine des représentants: «L’administration Clinton donne à la Corée du Nord du sucre (au lieu de coups de matraque)», et Craig Thomas, président de la souscommission des affaires d’Asie de l’Est—Pacifique de la commission des relations extérieures du Sénat américain: «L’accord conclu avec la Corée du Nord n’a d’autre sens que celui d’une feuille de papier.» Le Congrès américain a forcé l’administration Clinton à approuver graduellement les dépenses nécessaires à la livraison 82 d’huile lourde, à condition qu’avant le premier mars 1999 le président, (1), nomme un nouvel envoyé spécial et réexamine la politique nord-coréenne et, (2), fasse progresser l’éclaircissement du problème des «installations nucléaires souterraines» et la réglementation des missiles balistiques; à approuver après mars la dépense de 15 millions de dollars, à condition qu’il assure, (1), de promouvoir le dialogue Nord-Sud et, (2), de collaborer au scellement des barres de combustible nucléaire; à approuver la dépense des 20 millions de dollars restants après le premier juin, à condition qu’il se porte garant, (1), d’engager des négociations sur l’application de la Déclaration conjointe sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, (2), de parvenir à un accord sur une solution satisfaisante du problème des «installations nucléaires souterraines», (3), de faire progresser considérablement la consultation sur les missiles balistiques. Le Congrès américain a ainsi fait tout son possible pour freiner l’application de l’accord-cadre RPDC-USA et modifier la politique nord-coréenne des Etats-Unis. Cependant, la Corée du Nord s’y attendait et ne pouvait donc que se féliciter d’avoir entraîné les Etats-Unis dans sa guerre sans coups de feu. On peut l’affirmer pour les raisons suivantes. Premièrement, le lancement d’un satellite artificiel et le développement de missiles balistiques ne vont pas à l’encontre de l’accord-cadre RPDC-USA. James Rubin, porte-parole du département d’Etat américain, disait: «Le développement de missiles n’est pas une violation directe de cet accord.» Retarder l’application de cet accord sous prétexte du satellite artificiel et de missiles, ce n’était donc que fournir à la Corée du Nord un argument ad hominem. Si les Etats-Unis retardaient sciemment ou non, la Corée du Nord leur annoncerait l’annulation de cet accord. Cela les mettrait dans un mauvais pas, les privant du moyen de bloquer son «développement d’armes nucléaires». Deuxièmement, le négociateur américain a été élevé à un rang supérieur. 83 Perry, ancien secrétaire à la Défense, a été nommé coordinateur de la politique nord-coréenne des Etats-Unis, ce qui veut dire que le dialogue s’est élargi et que son niveau s’est élevé, ce qui bénéficie à la Corée du Nord. Car une crise militaire sera exclue du moins pendant le dialogue. «On voit percer une intention de restructurer la politique nord-coréenne, de l’axer sur la Maison Blanche, et non plus sur le département d’Etat (Yomiuri Shimbun, le 14 novembre 1998).» On estime par ailleurs que l’influence du Congrès américain s’est accrue et ainsi de suite. Or, cela n’intéresse guère la Corée du Nord de savoir qui a été chargé du problème du côté américain. Car, quoi qu’il en soit, les Etats-Unis ne peuvent pas détruire l’accord-cadre RPDC-USA sur lequel ils doivent se guider obligatoirement dans leurs négociations. Le coordinateur de la politique est censé «avoir pour tâche de réexaminer sur tous les plans l’ensemble de la politique nord-coréenne des Etats-Unis». Pourtant, Perry ne peut pas le faire de façon à annuler cet accord. Plus la dispute s’aiguise entre l’administration et le Congrès américains, plus elle peut profiter à la Corée du Nord. Plus on se remue, plus on se fait serrer par la toile d’araignée, telle est la situation où se trouvent les Etats-Unis. Si l’accord-cadre reste non appliqué et est annulé finalement, la Corée du Nord renoncera au statut spécial qui lui fait différer son retrait du TNP, qu’elle quittera officiellement. Puis, elle proclamera que, «si elle n’a pas développé d’armes nucléaires à ce jour, elle le fera désormais». C’est la dernière carte dont elle dispose pour faire face aux Etats-Unis. D’ailleurs, les Américains disent: «Une fois l’accord nucléaire annulé, la Corée du Nord tentera de développer des armes nucléaires. Cet accord est le moyen le plus efficace de la faire renoncer à en développer (Charles Kartman, envoyé spécial américain chargé de négocier la paix en Corée).» Toujours est-il qu’ils ne souhaiteraient pas que la Corée du Nord agisse ainsi. La guerre éclatera-t-elle alors? On peut affirmer que non. Car l’administration et le Congrès américains chercheront à amadouer 84 la Corée du Nord pour qu’elle reprenne le dialogue, retourne au TNP et cesse son «développement nucléaire». Ils n’ont pas d’autre moyen. Qui sait qu’on en arrivera là, mais il est indéniable que l’opposition du Congrès américain ne pourra réduire à néant le cadre établi pour améliorer les relations entre les deux pays. A ce propos, si le Congrès américain dominé par le Parti républicain s’oppose à la politique nord-coréenne de l’administration, c’est parce qu’il ne détient pas l’initiative, il n’y a pas d’autres raisons. C’est le régime républicain Bush qui a inauguré la politique d’adoucissement à l’égard de la Corée du Nord, et c’est le régime démocrate Clinton qui s’en est tenu à son «soupçon nucléaire». Certains experts en problème coréen estiment: «Si le régime républicain avait subsisté, les relations nord-coréo-américaines se seraient améliorées plus rapidement. L’apparition du régime Clinton a imposé un long détour.» Tout le monde sait que deux partis conservateurs dirigent la politique aux Etats-Unis. Ils n’ont pas de différences sensibles dans leur politique fondamentale: Les différences, s’il y en a, viennent de ce qu’ils sont ou non au pouvoir. Lors de l’off-year election de novembre 1998, malgré le «scandale sexuel» du président Clinton, le Parti démocrate a accru le nombre de ses sièges. Est-ce que l’opposition du Congrès à la politique d’adoucissement s’en ressentira? C’est probable. 6. L’ECHEC DE LA TACTIQUE DILATOIRE ET LE NOUVEAU SOUPÇON NUCLEAIRE La politique de soft-landing vouée à l’échec Avant et après l’adoption de l’accord-cadre RPDC-USA, en 1994, les Etats-Unis ont remplacé leur politique de 85 durcissement—dont l’essentiel est le mépris et l’hostilité—à l’égard de la Corée du Nord par la politique d’adoucissement, politique de soft-landing, comme ils l’appellent. Elle a pour but d’éviter un conflit de front avec la Corée du Nord, lequel provoquerait des dégâts catastrophiques, en particulier, un grand désordre causé par une chute inattendue du régime: (1) émeute d’une armée livrée au désespoir ou éclatement soudain de la guerre; (2) apparition d’un grand nombre de réfugiés; (3) lourd fardeau que constituerait pour la Corée du Sud une «réunification par absorption»). Convaincus qu’il leur était impossible de soumettre la Corée du Nord par la guerre, moyen extrême, les Américains ont opté pour la séduction. Elle suppose l’adoption de l’économie de marché par la Corée du Nord et sa conversion au système capitaliste, en d’autres termes, la «réforme» et l’«ouverture». L’expression soft-landing est adorée des Etats-Unis «attachés à la paix». Au reste, elle est bien accueillie par la communauté internationale, dominée par la doctrine et les intérêts de l’Occident et où l’économie et le régime capitalistes sortis vainqueurs de la guerre froide passent pour des vérités absolues. Il n’y est pas question de prêter attention aux analyses du genre de celle de John Kenneth Galbraith, économiste américain: «Il est impossible de parler de l’échec du socialisme et du triomphe du capitalisme.» Oui, le capitalisme l’a emporté, pense-t-on en général. Or, il y a des pays qui échappent à ce mode de pensée. La Corée du Nord en est le meilleur exemple, disons. Jamais elle n’«atterrira en douceur» ni n’abandonnera son système économique socialiste. Car elle est déterminée à adhérer aux idées du Juche et à sauvegarder jusqu’au bout le socialisme à la coréenne. Vouloir lui faire modifier sa position, ce serait se permettre le despotisme propre à une grande puissance. Une interversion des rôles permettrait une meilleure compréhension. Supposons donc ce qui suit: la guerre froide s’est terminée par la victoire du socialisme, et la Corée du Nord veut 86 «imposer» comme condition pour leur existence l’économie et le régime socialistes aux Etats-Unis et au Japon, pays ennemis; s’ils n’acceptent pas la politique de soft-landing, la Corée du Nord met en branle la communauté internationale dominée par les pays socialistes pour les encercler, les isoler et leur imposer le blocus économique; s’ils s’opposent encore, elle les «menace» de les écraser manu militari. Les Etats-Unis et le Japon doivent choisir entre les trois possibilités: (1) accepter son exigence pour se transformer en pays socialistes; (2) refuser et lui faire la guerre; (3) recourir à la diplomatie pour la coexistence et la coprospérité. Cependant, le fait est qu’ils n’accepteraient pas la première solution, qu’ils chercheraient à éviter la deuxième et qu’ils préféreraient la troisième. La Corée du Nord a pour adversaire les Etats-Unis, supergrand qui détient tous les renseignements militaires, économiques et politiques du monde. Pourtant, ce pays ne s’est pas écroulé; au contraire, il parvient, selon toute apparence, à faire accepter par la partie adverse ses revendications l’une l’autre et cimente systématiquement les assises du régime Kim Jong Il. La diplomatie que poursuit avec acharnement la Corée du Nord pour sa survie contre les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, c’est une guerre sans coups de feu. Ni les «rayons de soleil» ni le «vent du nord» n’ont d’effet Le chef de l’exécutif sud-coréen, après sa prise de fonction, a proposé à plusieurs reprises une «politique de tolérance à l’égard du Nord», appelée «politique des rayons de soleil». Il estime que les «rayons de soleil» sont plus efficaces que le «vent du nord» pour enlever au Nord le gros manteau qu’est le socialisme et faire coexister le Sud avec le Nord. Or, la Corée du Nord les a rejetés. Pourquoi? Parce que la «politique des rayons de soleil» n’est qu’une variante de la politique de soft-landing des Etats-Unis. 87 Lors des pourparlers entre le président américain et le chef de l’exécutif sud-coréen, en novembre 1998, le «gouvernement» sudcoréen a substitué l’expression «politique de ralliement» à celle «politique des rayons de soleil». La «politique de ralliement» consistant à traiter comme compagnon ne diffère pas de la politique de soft-landing. Produit d’une coordination de la politique des Etats-Unis et de celle de la Corée du Sud, elle confirme que la «politique des rayons de soleil» relève de la politique de soft-landing. Pak Tong Won, secrétaire en chef chargé de la diplomatie et de la sécurité à la Maison Bleue, a défini l’essence de la «politique des rayons de soleil» comme suit: «Elle vise à ôter le manteau que porte le Nord, c’est-àdire celui d’une dure "société fermée", celui du système d’économie planifiée fonctionnant sur des "ordres", celui de 1’"affrontement militaire". Elle consiste à conduire le Nord à des changements et à le vaincre sans lui faire la guerre, tout en maintenant notre dispositif de sécurité.» Lors de sa visite aux Etats-Unis, le chef de l’exécutif sud-coréen a déclaré que «cette politique avait pour but d’exiger du Nord réforme et ouverture et d’encourager ses modérés». En fin de compte, la «politique des rayons de soleil», malgré son air de tolérance, vise essentiellement à modifier le régime du Nord, espoir qui ne peut se réaliser. De ce fait, la Corée du Nord la rejette, en la qualifiant de «politique de division». La «politique du vent du nord» ne peut pas non plus être le bon choix de la Corée du Sud. Le «régime» Kim Yong Sam, qui avait pourtant proclamé: «La nation est au-dessus de tout», s’est orienté, à l’occasion du décès du Président Kim Il Sung, vers une politique de durcissement vis-à-vis du Nord, c’est-à-dire vers la «politique du vent du nord», et a amené le gel des rapports Nord-Sud. Bévue que la Corée du Sud regrette fort. La thèse de la «réunification par absorption», basée sur une réussite économique, s’est évanouie spontanément quand la Corée du Sud a sombré dans une impasse économique. Elle contredit d’ailleurs la politique de soft-landing des Etats-Unis qui, voyant en ce «régime» un obstacle sur leur passage, lui ont témoigné leur méfiance, aggravant ainsi l’antagonisme qui les oppose 88 à la Corée du Sud. L’actuel chef de l’exécutif sud-coréen a jugé bon d’éviter l’erreur passée. Il n’aurait rien à gagner à exacerber la tension et à provoquer ainsi la guerre. L’actuel chef de l’exécutif sud-coréen invite le Nord à appliquer l’«accord sur la réconciliation, la non-agression, la collaboration et les échanges entre le Nord et le Sud» adopté en 1991. Le Nord doit certainement désirer voir cet accord réalisé. Or, cet accord ne pourra pas devenir réalité, tant que le Sud persévérera dans sa «politique des rayons de soleil» ayant pour but d’obtenir la «réforme» et l’«ouverture» du Nord et qu’il préconisera un stationnement à long terme des troupes américaines. Dans l’actuel contexte, le Nord et le Sud se trouvant tous les deux confrontés à des difficultés économiques, il s’avère de plus en plus nécessaire qu’ils coopèrent pour les surmonter, pour coexister et parvenir à une coprospérité, ce sur la base de l’identité nationale. L’heure n’est plus à une dispute sur la supériorité d’un idéal politique ou d’un système économique sur un autre. Le Nord n’acceptera pas la «politique des rayons de soleil», c’est certain, mais je trouve que toutes les conditions sont réunies pour que le dialogue Nord-Sud reprenne. La tactique dilatoire en difficulté La Corée du Nord est accusée parfois de temporiser. Le fait est que ce n’est pas elle, mais les Etats-Unis qui emploient cette tactique. Qu’est-ce qui a motivé les Etats-Unis à signer en 1994 l’accordcadre avec la Corée du Nord? C’est l’idée que la Corée du Nord s’effondrerait bientôt. Ils ont fixé même l’an 2003 comme délai de l’achèvement de la construction des réacteurs à eau légère promis, car ils jugeaient que la Corée du Nord aurait disparu entre temps et qu’il ne leur restait plus qu’à stopper son «développement d’armes nucléaires». Robert Gallucci, représentant américain lors de l’adoption de l’accord-cadre RPDC-USA, a avoué: «Si l’on n’a pas 89 pris en compte la thèse de l’écroulement de la Corée du Nord, on a cependant envisagé qu’avec le temps elle perdrait de sa force et n’aurait plus une puissance militaire suffisante pour menacer les pays voisins.» Stanley Roth, assistant au secrétaire d’Etat américain chargé des affaires d’Asie de l’Est—Pacifique, a reconnu: «L’accord-cadre fut adopté, en supposant que la Corée du Nord pourrait s’écrouler même le lendemain. Son essence, c’est la tactique dilatoire: attendre l’affaiblissement de la Corée du Nord.» Cette idée était partagée par la majeure partie des Américains. Et la thèse de l’«effondrement» du régime Kim Jong Il persiste. Il est vrai que la Corée du Nord se trouvait dans un mauvais pas du fait d’une crise alimentaire et de difficultés économiques, pourtant elle était politiquement stable. «Presque tous partagent maintenant l’idée que le régime Kim Jong Il ne s’effondrera pas immédiatement et que, pendant un certain temps, la communauté internationale devra traiter avec lui...Après le décès du Président Kim Il Sung, en juillet 1994, un grand nombre d’Américains ont pensé que "la Corée du Nord tomberait dans un ou deux ans". Cependant, les experts en sont venus à juger que le régime Kim Jong Il se maintiendrait pendant cinq ou dix ans encore», disait Izumi, ancien professeur à l’université de la préfecture de Shizuoka, pour mentionner les changements intervenus dans la conception américaine de la Corée du Nord. La Corée du Nord ne donne aucun signe de «ruine» ni de softlanding. Le régime Kim Jong Il est d’une solidité inattendue. Les Etats-Unis ont fait une erreur fatale. Leur déloyauté à l’égard de l’accord-cadre RPDC-USA tient au parti qu’ils ont pris d’attendre jusqu’à 1’«écroulement» de la Corée du Nord. Et s’ils n’ont pas encore annulé les sanctions économiques comme elle le souhaite, c’est qu’ils trouvent cela favorable à la «survie» du régime Kim Jong Il. La tactique dilatoire des Etats-Unis, loin d’amener la «fin» de la Corée du Nord, a permis à celle-ci de faire pression sur eux et même de faire allusion à une résiliation possible de l’accord-cadre. Déconcertés, les Etats-Unis ont mis en 90 cause l’exportation de missiles et invoqué le «soupçon d’installations nucléaires souterraines», carte pour exercer de nouvelles pressions sur la partie adverse, et ils sont retournés à leurs positions dures, admettant l’action militaire. Cela s’est prolongé par l’apparition de la thèse de la «suspension» et même de celle de 1’«annulation» de l’accord-cadre. A leur origine, il y a le regret qui s’exprime ainsi: «N’a-t-on pas permis à la Corée du Nord de prendre le temps de développer des armes nucléaires et des missiles qui renforceront la base de ses négociations?» (Robert Manning, collaborateur supérieur du Conseil des relations extérieures.) Il est évident que l’annulation de l’accord-cadre attirerait blâmes et reproches sur les Etats-Unis, qui l’auraient torpillé. Avec le temps, leur situation devient délicate. Ont-ils gagné du temps? Mais pour quoi faire? Les Etats-Unis sont embarrassés. Au contraire, la Corée du Nord n’a qu’à attendre jusqu’à ce qu’ils lâchent prise. Elle est prête à faire face à tout: la guerre ou le dialogue et l’application de l’accord-cadre. Les Etats-Unis lui ont fourni un prétexte—l’accord-cadre—et lui ont promis un délai—l’an 2003. Plus ils temporiseront, moins ils auront de temps pour appliquer l’accord-cadre. Si je ne me trompe, la Corée du Nord n’a guère intérêt à des réacteurs à eau légère dont l’achèvement est incertain et qui seraient tributaires de l’Occident pour l’uranium enrichi. Car son objectif stratégique est de mettre fin aux rapports hostiles avec les Etats-Unis, rapports engendrant une menace militaire, d’où l’importance, pour elle, de l’accord-cadre. Il semble que la Corée du Nord n’a plus guère la volonté et le temps d’attendre. Son indignation et son anxiété provenant de plus de cinq ans d’ajournement unilatéral de l’application de l’accord-cadre par la partie adverse ont atteint presque leurs limites. 91 Nouveau «soupçon nucléaire» En août 1998, les Etats-Unis se sont mis à faire grand bruit autour du «soupçon d’installations nucléaires souterraines». Le site dont il s’agit se trouve dans la commune de Kumchang, arrondissement de Taegwan dans la province du Phyong-an du Nord, à environ 40 km au nord-ouest de Nyongbyon, région qui s’était déjà attiré du «soupçon nucléaire». Aménagé depuis 1989, il a un espace intérieur d’environ 380 000 m2 pouvant en effet abriter à la fois une centrale atomique de 200 000 kW et des installations de retraitement du combustible usé. Non loin, on trouve un barrage presque prêt, appelé, dirait-on, à fournir de l’eau de refroidissement et des câbles de transport de 3 000 V. Selon des sources sud-coréennes, les Etats-Unis seraient parvenus à soutirer un échantillon de la terre et de l’eau de cette commune, dont l’analyse aurait montré que le site servait à extraire et à conserver du plutonium. Le gouvernement américain prétend que plusieurs expériences ont eu lieu à proximité avec un détonateur produisant la réaction en chaîne de fission nucléaire d’une substance telle que le plutonium. Selon les services spéciaux américains, un premier site aurait été détecté en 1996 parmi un total de sept. Les soupçons se multipliaient quand, en novembre 1998, Charles Kartman, envoyé spécial américain chargé de négocier la paix en Corée, a visité la Corée du Nord, visite à l’issue de laquelle il a soutenu l’absence de «preuves d’activité nucléaire tangibles», niant ainsi ce qu’il avait déclaré précédemment. Le 7 décembre 1998, lors d’un entretien avec Perry, coordinateur américain de la politique nord-coréenne, en visite en Corée du Sud, Kim Dae Jung a souligné: «Il n’y a pas de preuves convaincantes témoignant de l’existence d’installations nucléaires ni de la violation par la Corée du Nord de l’accord nucléaire conclu avec les Etats-Unis. Ce n’est pas le moment d’abandonner la "politique de ralliement" pour lui 92 appliquer des sanctions.» Il a suggéré une solution globale des litiges entre les Etats-Unis et la Corée du Nord. Il y a des «renseignements», mais pas de preuves. Ces renseignements sont de la même facture que les autres «soupçons» ayant pesé sur la Corée du Nord. Seulement, on suppose que la Corée du Nord ait tenté exprès, cette fois-ci, d’inspirer des soupçons. Il est bien connu que la Corée du Nord a construit des ouvrages souterrains, civils ou militaires. Le problème est de savoir si les installations situées dans la commune de Kumchang sont de nature nucléaire ou non. Un satellite militaire américain aurait découvert que des milliers d’ouvriers effectuaient des travaux en sous-sol. Mais il est étrange que la Corée du Nord ait construit des «ouvrages nucléaires» interdits par l’accord-cadre d’une manière à les laisser détecter par un satellite de reconnaissance. Car, si elle avait voulu en mettre en place, elle l’aurait fait en secret, et, à fortiori, elle n’a rien à gagner à développer des armes nucléaires. Jamais elle ne se permettrait la stupidité de donner aux Etats-Unis un prétexte pour annuler l’accord-cadre, se nuire ainsi et se jeter dans un nouveau danger de guerre. Le bruit court que la Corée du Nord a accepté la visite du site en question à condition qu’on paie l’indemnité correspondante si l’on n’y trouve pas d’installations nucléaires. A ce propos, son ministère des Affaires étrangères a déclaré: «Le "soupçon d’installations nucléaires souterraines" est dénué de fondement, il n’y a aucune autre installation nucléaire souterraine que celles, gelées, du secteur de Nyongbyon.» Le «soupçon» était cependant bienvenu pour les Etats-Unis qui pensaient remédier à l’échec subi dans leur tactique dilatoire et par la conclusion de l’accord-cadre. Ils ont fait allusion à une éventuelle annulation de l’accord-cadre, disant notamment: «Les rapports entre les Etats-Unis et la Corée du Nord se trouvent dans un mauvais pas (Madeleine Albright, secrétaire d’Etat américain) — Si la Corée du Nord ne parvient pas à nous débarrasser de notre "suspicion", les Etats-Unis se réservent le droit de ne pas exécuter les stipulations de l’accord de Genève (Rubin, porte-parole du département d’Etat 93 américain).» Le président Clinton a suggéré l’usage de la force militaire, en insistant sans cesse sur la nécessité de réexaminer la politique. C. Kenneth Quinones, représentant de la Fondation d’Asie et ancien analyste du problème coréen du département d’Etat américain, ayant participé de 1993 à 1994 aux négociations nord-coréoaméricaines, a dit: «Le "soupçon d’installations nucléaires souterraines" relève des efforts des pessimistes (américains) qui voulaient semer la terreur chez les Sud-Coréens et les Américains pour compliquer les négociations (Mall, revue mensuelle sudcoréenne, numéro de novembre 1998).» On en vient à se demander: la Corée du Nord n’a-t-elle pas voulu profiter du grand bruit que cela ferait aux Etats-Unis? — N’a-t-elle pas choisi ces «installations souterraines» comme un autre atout diplomatique contre eux pour aggraver la tension et les contraindre à observer l’accord-cadre? Comme la Corée du Nord s’est déclarée toujours prête à leur faire visiter le site en question dans les conditions requises, il y avait tout lieu de considérer ce «soupçon» comme un piège. Pourtant, les Etats-Unis n’ont pas le courage de le faire. Le nouveau «soupçon nucléaire» a causé un regain de tension entre les deux pays. On peut cependant d’ores et déjà affirmer ce qui suit: (1) les Etats-Unis peuvent visiter ce site; (2) cependant, ils n’y découvriront pas de preuves relatives au développement nucléaire; (3) ils se retrouveront alors dans une situation très défavorable; (4) le «soupçon nucléaire» sera résolu de façon globale, et les rapports entre les deux pays s’amélioreront d’emblée. Perry, ancien secrétaire à la Défense américain et actuel coordinateur de la politique nord-coréenne, disait: «Ces installations ne vont pas à l’encontre de l’accord-cadre USA-RPDC de 1994 qui stipule le gel de la construction d’installations de nature nucléaire à Nyongbyon. Cependant, on peut affirmer qu’il s’agit d’un sujet nouveau qui nuit à l’esprit de cet accord, qu’il déborde pourtant.» (Nihon Keizai Shimbun, le 16 octobre 1998.) Ainsi, en procédant au développement nucléaire, non 94 pas à Nyongbyon, mais ailleurs, la Corée du Nord n’enfreindrait pas ledit accord. C’est que cet accord-cadre ne définit que le site de Nyongbyon comme susceptible d’être inspecté par l’AIEA. Le ministère nord-coréen des Affaires étrangères a répliqué: «Si un "soupçon d’installations souterraines" pèse sur nous, nous n’avons pas pour autant l’obligation d’être inspecté. L’accord-cadre RPDC-USA ne la stipule pas.» Wu Dawei, ambassadeur chinois en Corée du Sud, disait, dans Korea Herald (journal sud-coréen en anglais), le 7 janvier 1999: «Aucun pays n’a le droit d’inspecter les installations souterraines de la Corée du Nord. Si celle-ci exige la compensation d’une telle inspection, je trouve cette position juste», et il exprimait son souhait de voir ce problème résolu par des négociations, conformément audit accord. Comme la Corée du Nord respecte invariablement l’accord qu’elle a conclu avec les Etats-Unis «désireux d’arrêter son développement d’armes nucléaires» et comme elle n’a pas besoin d’en développer, il est exclu de croire qu’elle dispose d’installations nucléaires souterraines. Si, malgré cela, les Américains se laissent aller à un second scandale de «soupçon nucléaire», ils en viendront forcément à adopter un second accord nucléaire avec la Corée du Nord au bout de démarches semblables à celles de 1994. C’est alors qu’on la verra jouer la puissante carte d’«installations nucléaires souterraines». Les négociations nord-coréo-américaines, en décembre 1998 à New York et à Washington, ne sont pas parvenues à un accord. Cependant, la Corée du Nord a exigé des Etats-Unis la compensation de l’inspection qu’elle leur aurait permise une seule fois, au cas où le site en question ne révélerait pas l’existence d’installations nucléaires. Quant aux Etats-Unis, ils ont préconisé l’admission d’une inspection continue et d’autres concessions en remarquant qu’«une solution satisfaisante du problème entre les deux parties mènerait au développement des relations américano-nord-coréennes et rendrait possibles l’annulation des sanctions, une aide alimentaire 95 importante». Cette évolution montre que les deux parties s’orientent vers une seconde solution globale. Certains voient dans les bombardements aériens américains et britanniques sur l’Irak un avertissement et une «leçon» donnés à la Corée du Nord refusant l’inspection, mais on dirait plutôt que cette attaque a produit l’effet contraire. L’AIEA a présenté en avril 1998, à Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies, sur le soupçon de développement d’armes nucléaires par l’Irak, un rapport où l’on mentionnait: «On n’a pas découvert de dispositifs, de matières premières ou d’opérations "destinés à développer des armes nucléaires". Rien qui éveille soupçon.» D’après l’Irak, l’UNSCOM, chargée des armes biochimiques, y opère depuis sept ans et a inspecté un total de plus de 2 300 sites sans pourtant parvenir à s’acquitter de son devoir. L’inspection est relativement facile quand il s’agit du développement nucléaire qui nécessite installations de grande taille, mais il est aisé d’élaborer des armes biochimiques n’importe où et avec un équipement simple, autant que de les cacher. Or, les fabriques pharmaceutiques, les usines de semi-conducteurs et les laboratoires d’université peuvent être soupçonnés. De plus, l’Irak a qualifié l’UNSCOM de «groupe d’espions» et a accusé son président exécutif Butler (Australien) d’avoir prolongé à dessein, selon les directives des Etats-Unis, l’inspection, d’avoir causé des ennuis et aggravé les antagonismes. La Russie a exigé la destitution de Butler, et la France a réclamé l’organisation d’une nouvelle UNSCOM et un réexamen de la politique irakienne des Nations unies. New York Times, le 7 janvier 1999, rapportait les propos de nombreux hauts fonctionnaires de l’administration américaine, disant que des espions américains faisaient partie de l’UNSCOM. Plus tard, Butler a reconnu lui-même que des appareils de fabrication américaine avaient été utilisés pour écouter en secret les autorités irakiennes. L’attaque aérienne américaine et britannique contre l’Irak montre que, même si un pays déterminé accepte l’inspection d’organisations internationales sous l’égide des Etats-Unis, 96 l’opposition s’aggravera et qu’il hésitera alors à accepter l’inspection nucléaire ou la destruction et l’inspection des armes biochimiques. La Corée du Nord a refusé et refusera toujours ce genre d’inspection, c’est certain. Cette tentative de pression et de harcèlement interminables, elle la considère comme l’expression de la volonté de la démoraliser, à laquelle elle prend garde au plus haut point. A preuve, elle n’a accepté qu’une seule inspection du site mis en cause. Si les Etats-Unis insistent pour multiplier des inspections pourtant non justifiées et aggravent la situation en contrepartie de son refus, ils se retrouveront dans une impasse beaucoup pire que lors de la crise irakienne. Cohen, secrétaire à la Défense américain, a averti: «Si l’inspection sur place du site est refusée, l’accord-cadre risque d’être annulé.» Mais, en 1999, il a jugé bon de dire: «On constate une nette évolution vers le changement—Les Etats-Unis ne pensent pas attaquer la Corée du Nord.» De plus, critiquant la «thèse de la crise» circulant au Japon, il a mentionné: «Pas question de crise de mars ni de crise d’avril. Ce ne sont pas les Etats-Unis qui en ont parlé.» Somme toute, les Etats-Unis cherchent à harceler la Corée du Nord pour lui causer de l’anxiété et prendre le dessus sur elle. Il en est de même pour la Corée du Nord. «Combat de coqs», dangereux à première vue, mais qui ne conduira pas au pire, les deux parties ne cherchant qu’une bonne chance pour l’emporter sur l’autre, tout en évitant la guerre. A preuve, Stanley Roth, assistant au secrétaire d’Etat américain, a dit: «Il est stupide de supposer que l’an 1999 décidera de l’"accord ou de la rupture" (Mainichi Shimbun, le 12 janvier 1999).» A n’en pas douter, la Corée du Nord et les Etats-Unis s’emploieront à trouver la solution nécessaire par la voie du dialogue. 97 7. GUERRE SANS VAINQUEUR NI VAINCU La voie de la coexistence et de la coprospérité Quelle sera l’issue de cette guerre entre la politique de softlanding et la cause du socialisme? Qui l’emportera? La stratégie fondamentale de la Corée du Nord est de gagner sans recourir à la force armée, sans tirer un seul coup de feu. Elle sait jouer ses diverses cartes, politique, diplomatique et militaire comme on l’a vu, et sa puissance ne se laisse pas démentir. Les Etats-Unis, cédant forcément à l’efficacité de ses atouts — «nucléaire», missiles, satellite artificiel et «installations nucléaires souterraines»—, se verront obligés d’aller vers l’établissement de relations diplomatiques qu’elle veut. Si les troupes américaines resteront quelque temps en Corée du Sud, ce ne sera qu’à titre de force appelée à contribuer à la sécurité maintenue par les deux pays, les Etats-Unis et la Corée du Nord, dans la péninsule coréenne. Ainsi la Corée du Nord sortira-t-elle finalement victorieuse de cette guerre sans coups de feu. Elle aura obtenu beaucoup. Les sanctions économiques seront abolies, et les capitaux et les techniques de pointe des Etats-Unis et autres pays de l’Occident seront mis à sa disposition, son économie se redressera. Et surtout la paix régnera dans la péninsule coréenne, de même que seront créées des conditions favorables à la réunification du Nord et du Sud par la voie de la fédération. Les Etats-Unis aussi en sortiront vainqueurs. Car ils n’auront rien perdu en se conciliant avec la Corée du Nord, conciliation qui mettra fin au danger de guerre dans la péninsule et facilitera ainsi 98 l’établissement de leur stratégie mondiale. Ils n’auront plus besoin de la «stratégie de la guerre simultanée dans .deux régions». Les deux parties se reconnaîtront l’une l’autre, établiront des relations diplomatiques et opteront pour la coexistence et la coprospérité. Il est vrai que la diplomatie de la parole peut mener à la paix, à la sécurité de la péninsule coréenne et lui bénéficier politiquement et économiquement. Après la guerre froide, la diplomatie .s’avère la principale forme de rapports internationaux. On peut l’affirmer malgré la guerre du Golfe, la première du genre depuis la fin de la guerre froide, si l’on tient compte de l’évolution de la situation qui l’a suivie. En août 1998, les Etats-Unis, après l’attentat à la bombe contre l’ambassade américaine à Nairobi, ont attaqué, par représailles, à coups de missiles, le Soudan et l’Afghanistan, mesure presque dénuée de fondement et d’une efficacité douteuse. Contrairement à leurs attentes, ils se sont attiré l’hostilité des pays musulmans, risquant ainsi de faire l’objet d’un terrorisme plus poussé à l’échelle mondiale. Ils savaient eux-mêmes que leur attaque à coups de missiles avait été inefficace pour combattre le terrorisme. Par exemple, se moquant de cette puissance qui ne fait appel qu’au missile de croisière pour attaquer ou menacer l’Irak, l’Afghanistan, le Soudan et la Bosnie, Washington Post a surnommé le président Clinton «Président au missile de croisière». La guerre régulière ne peut être une réponse à l’attaque terroriste. Les Etats-Unis, contraints de lutter contre les ennemis invisibles que sont les terroristes, s’enlisent dans un gouffre toujours plus profond, si j’ose dire. Au reste, la vue du cadavre d’un soldat américain mort en Somalie, traîné par terre par une foule, transmise par le petit écran, a effrayé les Américains, leur inspirant une vive horreur de la guerre. De même, ils furent prompts à réagir aux pertes peu importantes subies par les troupes américaines dans la guerre du Golfe. C’est qu’«il était maintenant interdit à l’armée américaine 99 de subir de pertes en hommes» (James R. Schlesinger, ancien secrétaire à la Défense américain). La «politique de force» des Etats-Unis a perdu rapidement de son efficacité. La guerre ne peut que lasser les Etats-Unis et les mettre en danger, eux qui sont contraints d’opter pour une diplomatie exempte de l’usage de la force. Le Japon voué à l’échec Si la Corée du Nord et les Etats-Unis établissent des relations diplomatiques, la Corée du Sud devra, bon gré mal gré, s’en accommoder. Elle n’aura plus d’autre moyen que de se réconcilier avec le Nord et d’opter pour la réunification par fédération supposant la coexistence et la coprospérité. Quel pays cela embarrassera-t-il le plus? C’est le Japon. Le premier ministre Obuchi a proposé au président Clinton une conférence entre six parties, qui réunirait le Japon et la Russie en plus de la Corée du Nord, des Etats-Unis, de la Corée du Sud et de la Chine, participants d’une conférence quadripartite déjà suggérée. Le chef de l’exécutif sud-coréen nourrit la même idée, et la Russie, de son côté, y fait souvent allusion dans un sens favorable. Pourtant, le Japon et la Russie auront des difficultés pour intervenir dans les affaires de la péninsule coréenne, qui ne les regardent pas. D’ailleurs, la Corée du Nord ne l’admettra pas. Surtout que le Japon n’est qu’un obstacle à l’établissement de la paix par la Corée du Nord et les Etats-Unis, au lieu d’y contribuer. La Corée du Nord a déclaré catégoriquement qu’elle refuserait un tête-à-tête avec lui dans la mesure où il s’acharne à se transformer en une puissance militaire, s’obstinant à faire passer un satellite artificiel pour un missile balistique. En effet, plus il se prépare à faire face immédiatement à un «cas d’urgence» en Corée, plus il se convertit en une puissance militaire. Cela ne fait qu’inspirer la méfiance de ses voisins qui 100 craignent tous cette éventualité. Quant aux Etats-Unis, ils admettent le renforcement de son potentiel militaire dans la mesure où cela profite à leurs monopoles de l’industrie de guerre, mais pas au-delà. C’est là l’essentiel de leur «doctrine du bouchon». Le Japon a lancé par lui-même plusieurs satellites artificiels. C’est la preuve qu’il est capable de développer à tout moment des missiles balistiques intercontinentaux. Il possède déjà d’ailleurs la technique de la rentrée atmosphérique. «Un missile balistique suppose la technique permettant de le faire rentrer de l’espace dans l’atmosphère. Si la fusée japonaise H-II, lancée en 1994, a suscité la suspicion des Etats-Unis et du reste du monde, c’est qu’elle était munie d’un appareil d’expérience de la rentrée dit "OREX" (Hangyorye 21, revue sud-coréenne, le 17 septembre 1998).» Le Japon est capable de fabriquer en tout temps des armes nucléaires parce qu’il possède la technique nécessaire et dispose d’un grand stock de plutonium. Son budget militaire, ayant passé le cap du millier de milliards de yens dans les années 70, a atteint, en 1998, 4 950 milliards de yens, se classant ainsi parmi les premiers au monde. Autrement dit, il pourrait, n’importe quand, entrer en possession d’armes nucléaires et devenir une puissance militaire. Mais, cela lui sera-t-il permis? Probablement non. C’est que non seulement les Etats-Unis, mais aussi la plupart des pays d’Asie ne le veulent pas, pas plus qu’ils ne le laisseront faire. La Corée n’est plus ce qu’elle était autrefois, pas plus que l’Asie. Ni les pays de cette région du monde ni les Etats-Unis ne resteront les bras croisés à voir le Japon représenter une menace militaire pour l’Extrême-Orient. Si les Etats-Unis veillent à une adoption rapide de la loi relative au nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense, c’est qu’ils veulent en faire un instrument, une base dans la réalisation de leur stratégie asiatique, et non pas le voir devenir une puissance militaire sortant du cadre de cette stratégie. 101 Lorsque la Corée du Nord aura établi des relations diplomatiques avec les Etats-Unis et ne sera plus, pour la région Asie-Pacifique, la «menace potentielle» qui «motive» la mise en place d’un système pour cas d’urgence par le Japon, celui-ci perdra son «ennemi». Le Japon n’aura plus rien à frapper comme ce fut le cas lors du «scandale du missile» quand il a levé son poing, dont il ne sut pourtant que faire dès qu’il avait été vérifié qu’il s’agissait d’un satellite artificiel. Finalement, le Japon sera le dernier, après les Etats-Unis et la Corée du Sud, à améliorer ses relations avec la Corée du Nord. Mais alors il se trouvera dans une position plus défavorable que jamais. La rupture des pourparlers nord-coréo-japonais pour l’établissement de leurs relations diplomatiques tient au refus du Japon d’accepter, comme le revendiquait la partie adverse, de lui faire ses excuses en due forme et de la dédommager suffisamment en dépassant le cadre du «traité sud-coréo-japonais». L’acceptation l’aurait oblige à réexaminer le traité conclu avec la Corée du Sud et aurait soulevé le problème du règlement de son passé avec les autres pays d’Asie. Tant que le Japon n’aura pas réglé son passé envers la Corée du Nord, ses problèmes de l’après-guerre ne trouveront pas une solution parfaite. Or, s’il a eu recours à des arrangements politiques pour régler son passé envers d’autres pays d’Asie, la Corée du Nord est là pour corriger les défauts ayant marqué ce règlement plein de subterfuges. Dans ces conditions, il n’est pas en état de normaliser sur le coup ses relations avec elle. «Ce pays qui n’est pas à la hauteur de la diplomatie courante dans le monde ne peut, de toute évidence, pénétrer les intentions et la façon d’agir de la Corée du Nord... Il est fort douteux qu’il puisse s’ouvrir une voie vers un pays aussi habile en diplomatie. A cet égard du moins, il doit régler correctement les problèmes de l’aprèsguerre s’il veut améliorer ses relations avec elle (Ogawa Kazuhisha, critique militaire, Sekai, novembre 1998).» Jugement qu’on ne peut 102 pourtant pas attendre pour le moment des actuelles autorités japonaises. Cela revient à dire que le Japon devra régler son passé après la réunification du Nord et du Sud par fédération, avec le gouvernement unifié ou le gouvernement régional du Nord. Il se verra encore présenter des revendications dépassant le cadre du «traité sudcoréo-japonais», et le gouvernement japonais n’aura pas moyen de repousser. Tout compte fait, le Japon subira de grands dégâts. Il sera exclu de la discussion sur le problème de la péninsule coréenne. Conséquence inévitable de sa diplomatie suiviste, de son abandon de sa carte diplomatique vis-à-vis de la Corée du Nord, de ses tentatives pour se transformer en une puissance militaire, en un mot, du choix qu’il a fait d’aller à contre-courant de la détente même après la guerre froide. La Corée du Nord lancera encore d’autres satellites artificiels. Le 9 décembre 1998, lors d’un entretien avec des membres du Congrès américain, Kim Kye Gwan, représentant nord-coréen aux négociations RPDC-USA, a dit: «Il est difficile de dire la date exacte, mais il est certain qu’on lancera un deuxième satellite. Nous pourrions en avertir nos alliés, mais pas besoin d’en faire autant à l’égard d’un pays avec lequel nous sommes, légalement, en état de guerre.» A ce propos au Japon, ont circulé successivement des informations invraisemblables du genre: «Le gouvernement japonais a, après avoir analysé les renseignements obtenus des Etats-Unis et ceux recueillis par son ministère des Affaires étrangères et son Agence de la défense, vérifié que la Corée du Nord a déployé le missile "Rodong" ou planifié son déploiement dans plus de dix bases, y compris celles en construction (Tokyo Shimbun, le 6 janvier 1999) —On procédera sous peu à l’essai d’un missile», de même que ces suppositions mal fondées: «Les Etats-Unis sont fermes dans leurs actes comme ils l’ont montré en faisant bombarder l’Irak par leur aviation. Le système de sécurité nippo-américain prévoit, croit-on, qu’ils lanceront l’assaut sans consulter le Japon 103 ou la Corée du Sud. Il se peut qu’il ne soit pas loin que la péninsule coréenne prenne feu (Sankei Shimbun, le 25 décembre) —Si la Corée du Nord lance d’autres missiles, l’accord-cadre RPDC-USA éclatera (Asahi Shimbun, le 31 décembre 1998).» Faut-il donner raison à l’analyse présentée dans ce livre ou aux hypothèses énumérées ci-dessus? Seulement, il ne faut pas ignorer ce que fait le gouvernement japonais: s’il analyse pertinemment la situation dans la péninsule coréenne et s’il disposera d’une carte diplomatique efficace à l’égard de la Corée du Nord. Norota, chef de l’Agence de la défense, a, lors de sa visite en Corée du Sud en janvier 1999, osé déclarer: «Si la Corée du Nord lance un nouveau missile, il est impensable de continuer de financer la KEDO.» Propos inspirant plutôt de la déception. Quelle erreur de prévision! La réalité démontre justement que le gel de ces fonds ne peut fournir un atout pour faire pression sur la Corée du Nord, pour la dissuader de «développer des armes nucléaires et des missiles» et de procéder à des «explosions». On peut se féliciter des tentatives que fait le gouvernement nippon pour adoucir ses positions, l’une d’elles étant le contact officieux qu’il a eu avec la Corée du Nord en décembre 1998, à New York, sur la demande de Kim Dae Jung qui l’invitait à «promouvoir le dialogue nippo-nord-coréen». Pourtant, il sera impossible de reprendre le dialogue avec le Japon tant qu’il cherchera à se transformer en une puissance militaire, par exemple à adopter la loi relative au nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense en faisant passer satellite de haute altitude pour un «missile». Le journal sud-coréen Tong-a Ilbo, le 5 janvier 1999, suggérait: «La Corée du Sud devra prendre garde dans sa diplomatie de se laisser tenter par l’extrémisme de certains éléments aux EtatsUnis et au Japon à l’égard de la Corée du Nord.» Le gouvernement japonais devrait retenir que c’était l’attitude principale des autorités sud-coréennes. 104 Le manque de précision et de prévision dans la diplomatie peut être gros de conséquences. Tant qu’il n’est pas trop tard, le Japon devrait oser pratiquer, vis-à-vis de la Corée du Nord, une diplomatie indépendante, conforme à ses intérêts authentiques, c’est-à-dire une «diplomatie sûre» à même d’aider à la normalisation des relations avec la Corée du Nord et de contribuer à la paix dans la péninsule coréenne. La Corée du Nord après l’établissement de relations diplomatiques avec les Etats-Unis L’établissement de relations diplomatiques avec les Etats-Unis entraînera des changements rapides dans la situation politique et militaire dans la péninsule coréenne. Vrai tournant, dirait-on. Quelle en sera l’incidence sur l’économie de la Corée du Nord? Primo, la fin de l’affrontement militaire et de la tension permettra de réduire sensiblement les dépenses militaires et de consacrer les fonds d’Etat à la reconstruction de l’économie. Si l’on affecte la part prélevée sur les dépenses militaires à la redynamisation de l’économie, son cycle s’améliorera en peu de temps. Si le rendement céréalier était bas du fait de calamités naturelles successives, du manque d’engrais, des difficultés de labourage et de transport causées par la pénurie d’énergie, il en sera autrement quand l’agriculture bénéficiera d’investissements suffisants: étant donné son infrastructure solide, elle sera facile à remettre à flot. Secundo, la levée des sanctions économiques appliquées par les Etats-Unis et autres pays occidentaux permettra d’introduire leurs capitaux et leurs techniques. Des entreprises américaines ont déjà commencé à intervenir dans l’économie de la Corée du Nord. En 1995, onze entreprises, dont General Motors, MCI (compagnie de communication interurbaine) et US Washington Bank, ont visité la Corée du Nord 105 avec l’autorisation du département des Finances et ont exprimé leur désir d’investissement. Stanton Group, société générale d’exploitation étroitement liée à Rockefeller Group, a conclu en 1996 un contrat de co-exploitation avec le Complexe chimique Sungri (appellation d’alors) situé dans la région Rajin-Sonbong. En 1997, NMA (National Minerals Association) est tombée d’accord avec la Corée du Nord sur l’exploitation du zinc, du plomb, du magnésite, des régions de Tanchon et de Komdok dans la province du Hamgyong du Sud et a conclu avec elle un contrat pour 500 millions de dollars. Les sanctions économiques ne permettaient pas les règlements par dollar, pourtant Minéral Technology Co. a importé d’importantes quantités de magnésite de la Corée du Nord. Quant au magnésite, matière première pour la fabrication de la brique réfractaire indispensable à la sidérurgie, la Corée du Nord en a une réserve de 3,2 milliards de tonnes, soit 56% de la réserve mondiale. Elle est riche aussi en métaux rares d’une importance stratégique, notamment nickel, cobalt, chrome, manganèse, titane, indispensables aux technologies de pointe et au développement des armes sophistiquées, ce qui peut intéresser beaucoup les industriels américains. Une fois les sanctions levées, le règlement par dollar rendu possible, les entreprises américaines pourront investir en Corée du Nord, et la circulation monétaire se faire dans le cadre du commerce entre les deux pays. Il est évident que des entreprises américaines et autres de l’Occident lui feront alors différentes propositions, notamment pour une extraction commune de minerais. L’Occident ne pouvait exiger avec énergie de l’Afrique du Sud qu’elle mette un terme à son apartheid, puisqu’elle est un grand réservoir de métaux rares. L’économie et la politique se définissent l’une l’autre. Si les litiges politiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis sont réglés, leurs relations économiques s’amélioreront d’emblée. Si des entreprises américaines, toujours promptes à investir dans des projets prometteurs, interviennent en Corée du Nord, c’est qu’elles y voient une aubaine et des avantages à long terme. 106 En août 1998, la Corée du Nord a aménagé une usine de magnésie lourde de haute qualité à Tanchon et publié les renseignements élémentaires sur ses champs pétrolifères. C’est un feu vert pour les capitaux de l’Occident, invités à y intervenir". Depuis longtemps visée par le COCOM, la Corée du Nord s’est vue empêchée d’introduire les technologies occidentales. Quand elle aura établi des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, elle verra affluer les techniques de pointe de l’Occident. Elle sera alors en mesure d’extraire du pétrole. La zone commerciale et économique Rajin-Sonbong, zone économique spéciale, où elle a admis, depuis 1991, l’introduction de capitaux étrangers, n’en est encore qu’à la construction de l’infrastructure, mais elle a tendance à servir (1) au transport intermédiaire de marchandises, (2) à la production de produits d’exportation, (3) au tourisme et aux opérations financières. Elle commence ainsi à fonctionner sans à-coup. Il est fort probable que des entreprises occidentales, notamment américaines, ainsi que sudcoréennes interviennent dans cette zone pour la développer sur une grande échelle. D’ores et déjà, les entreprises sud-coréennes opérant à Hunchun dans la province du Jilin en Chine exportent via Rajin, parce que cela leur permet un «transport bon marché et rapide». La région Rajin-Sonbong a l’avantage de se situer au beau milieu du delta d’or reliant la Russie, la Chine et la Corée du Nord et de pouvoir servir parfaitement de point de transit. Avec ses nombreux avantages, notamment l’étendue de son territoire et la qualité de son port accessible aux navires de fort tonnage, elle promet de devenir «Hong-Kong de l’Asie du Nord-Est». Au programme de développement du Tumangang qui prévoit 30 milliards de dollars d’investissements pendant 30 ans participent l’UNDP (Programme des Nations unies pour le développement)—dont la quote-part est essentielle—, la Corée du Nord, la Chine, la Russie, la Corée du Sud, la Mongolie et, comme observateur, le Japon. Si les entreprises des pays développés de l’Occident, celles des Etats-Unis en premier lieu, y viennent opérer, le «second Hong-Kong» ne restera pas un rêve. La 107 zone commerciale et économique Rajin-Sonbong jouera un rôle de pilote dans ce programme. Tertio, il sera possible de redynamiser davantage la coopération économique entre le Nord et le Sud. Hyundai Business Group, le plus grand groupe en Corée du Sud, est déjà convenu avec la Corée du Nord de coopérer dans de nombreux domaines, notamment pour l’exploitation des monts Kumgang. En décembre 1998, un accord est intervenu sur l’aménagement d’un secteur industriel sur 6 666 hectares sur la côte ouest. Daewoo Group a commencé à implanter des usines à Nampho et ailleurs en Corée du Nord. Samsung Group, second au Sud, se montre aussi actif que Hyundai Business Group. On apprend qu’il a entamé des négociations avec le Nord à Beijing. Ayant décidé d’élargir sa coopération, il a publié un projet prévoyant d’aménager au Nord un grand secteur de l’industrie électronique pour un milliard de dollars sur 166 h et de produire des appareils et machines pour la téléinformatique, des semi-conducteurs et des vidéo, pour 3 milliards de dollars par an. Il y a encore, dit-on, des échanges qui se font à titre officieux. Somme toute, on dirait sans exagération que le Nord et le Sud se sont déjà réunifiés. (La Corée du Sud est actuellement le 3e partenaire commercial de la Corée du Nord après le Japon et la Chine, son chiffre d’affaires à cet égard augmente rapidement.) Il est hors de doute que cette évolution s’accélérera dès l’établissement de relations diplomatiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. L’adoucissement des différentes restrictions permettra aux entrepreneurs coréens résidant à l’étranger, notamment au Japon et aux Etats-Unis, de renforcer leur intervention dans l’économie de la Corée du Nord. Qui se sera hâté à agir en ce sens, à se faire des connaissances et à déblayer le terrain aura certainement droit à des faveurs. Gagnera qui sera prompt, dirait-on. 108 CHAPITRE II LA CONCILIATION RPDC-USA AMORCEE PAR LE «SOUPÇON NUCLEAIRE» (Regard rétrospectif) «Evolution du problème nucléaire dans la péninsule coréenne» 1992 Le 22 janvier: Les premières négociations de haut rang ont lieu à New York entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Le 30 janvier: Un accord de garanties est conclu entre la Corée du Nord et l’AIEA. Le 25 mai: La première inspection non régulière a lieu (six inspections jusqu’à janvier 1993). 1993 Le 25 février: Le Conseil de l’AIEA adopte une résolution exigeant de la Corée du Nord qu’elle accepte son inspection spéciale. Le 12 mars: La Corée du Nord déclare son retrait du TNP. Le 11 mai: Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution demandant à la Corée du Nord de révoquer son retrait. Le 29 mai: La Corée du Nord lance un missile à titre d’essai. Le 2 juin: Ont lieu les premiers pourparlers entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Le 11 juin: Une déclaration conjointe RPDC-USA est publiée. 109 Le 14 juillet: Les seconds pourparlers entre les deux pays. Le 19 juillet: Un communiqué conjoint RPDC-USA est publié à l’issue de pourparlers. Le premier octobre: La conférence générale de l’AIEA adopte à la majorité de voix une résolution demandant à la Corée du Nord d’accepter une inspection, alléguant un non-respect de l’accord de garanties. Le 11 novembre: Kang Sok Ju, premier vice-ministre des Affaires étrangères de la RPDC, propose une solution globale du problème aux Etats-Unis. 1994 Le 15 février : La Corée du Nord et l’AIEA se mettent d’accord sur la reprise de l’inspection pour assurer la continuité de l’accord de garanties. Le 25 février: Un accord est publié à New York à l’issue d’une rencontre RPDC-USA. Une série de problèmes ont été abordés, dont l’arrêt des manœuvres militaires conjointes «Team Spirit». Le 31 mars: Le président du Conseil de sécurité de l’ONU publie une «déclaration» personnelle demandant à la Corée du Nord d’accepter une nouvelle «inspection» de l’AIEA. Le 4 avril: Le ministère des Affaires étrangères de la RPDC critique cette «déclaration». Le 28 avril: La Corée du Nord propose aux Etats-Unis un nouveau système de paix. Le 30 mai: Le président du Conseil de sécurité de l’ONU publie une «déclaration» personnelle à propos du renouvellement des barres de combustible en Corée du Nord. Le premier juin: Le ministère des Affaires étrangères de la RPDC repousse cette «déclaration». Le 10 juin: Le Conseil de l’AIEA adopte une résolution demandant à la Corée du Nord d’accepter une «inspection spéciale». 110 Le 13 juin: Le ministère des Affaires étrangères de la RPDC déclare son retrait de l’AIEA. Les 16 et 17 juin: Une entrevue a lieu entre Kim Il Sung et Jimmy Carter. Le 8 juillet: Décès du Président Kim Il Sung. Le 5 août: Le premier tour des troisièmes pourparlers RPDCUSA a lieu. Le 12 août: Publication d’une déclaration conjointe RPDC-USA. Le 23 septembre: Le second tour des troisièmes pourparlers a lieu. Le 21 octobre: Un accord-cadre est signé entre la RPDC et les USA à Genève. 1995 Le 9 janvier: Le ministère des Affaires étrangères de la RPDC lève les mesures de restriction sur l’introduction des marchandises américaines et celles d’interdiction de l’accès aux ports des navires de commerce américains. Le 20 janvier: Le département d’Etat américain publie l’adoucissement partiel des réglementations économiques à l’égard de la Corée du Nord, dont l’annulation du gel de ses avoirs et l’autorisation de l’importation de sa magnésite. Le 9 mars: La réunion constitutive de la KEDO (Organisation pour le développement de l’énergie dans la péninsule coréenne) a lieu. Le 20 avril: Les négociations entre experts de la Corée du Nord et ceux des Etats-Unis au sujet de la fourniture de réacteurs à eau légère sont rompues. Le 13 juin: Un communiqué conjoint est publié à l’issue des négociations RPDC-USA au sujet des réacteurs à eau légère, disant que les Etats-Unis assumeront toute la responsabilité de la construction de réacteurs et que les deux parties sont convenues de les baptiser réacteurs de «type rénové d’après les plans et la technologie américains». 111 Le 15 décembre: La Corée du Nord et la KEDO signent un contrat sur la fourniture de réacteurs à eau légère. 1996 Le 24 janvier: L’AIEA entreprend son inspection régulière et une inspection non régulière sur les installations nucléaires de la Corée du Nord. Le 22 février: La Corée du Nord propose aux Etats-Unis un traité temporaire avant le traité de paix. Le 7 avril: Le département du Commerce américain révoque ses mesures de restriction sur l’assistance humanitaire à la Corée du Nord. Le 16 avril: A l’issue d’une entrevue, le président américain et le chef de l’exécutif sud-coréen proposent une conférence quadripartite. Le 20 avril: Une consultation sur les missiles a lieu à Berlin entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Le 9 mai: Un accord sur la restitution des dépouilles de soldats américains est adopté à l’issue des négociations RPDC-USA consacrées à ce sujet. Le 12 juin: Le gouvernement américain applique une première mesure d’assistance aux sinistrés d’inondations en Corée du Nord. 1997 Le 19 août : La cérémonie de mise en chantier des travaux de construction de réacteurs à eau légère a lieu à Kumho en Corée du Nord. Le 9 décembre: Le premier tour de la conférence quadripartite a lieu à Genève. 1998 Le 31 août: La Corée du Nord lance son premier satellite artificiel. 112 Le 5 septembre: La Corée du Nord et les Etats-Unis conviennent de reprendre la construction de réacteurs à eau légère lors de pourparlers de haut rang. (J’ai tenu à insister sur la chronologie des années 1993-1995, et le titre des personnes et le nom des institutions sont ceux de l’époque concernée.) 1. L’OBJECTIF RECHERCHE PAR LA PUBLICATION DE LA DECLARATION DU RETRAIT DU TNP ET SON ARRIERE-FOND (De mars à avril 1993) Dernière tactique visant à sauvegarder sa souveraineté Le lendemain de la publication (le 12 mars 1993) de la déclaration par la Corée du Nord de son retrait du TNP, un expert en politique internationale a affirmé, l’air chagrin, que cela signifiait sa «défaite». Les médias l’ont commenté: «Grave provocation contre le TNP—Geste qui ne fera qu’accélérer l’isolement—Grave menace pour la sécurité en Asie du Nord-Est—Nouvelle tension entre le Nord et le Sud—Les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud envisagent des sanctions.» Ainsi ont-ils qualifié la «défaite» de la Corée du Nord. Ont-ils raison? L’injustice et l’arbitraire d’un supergrand ont donné naissance à des organisations internationales iniques et à un ordre international inéquitable. L’ordre international établi après la fin de la structure bipolaire de la guerre froide, suite à l’écroulement de l’URSS, est un «ordre» sous l’égide des Etats-Unis. Si l’on laisse faire ceux-ci, sans leur donner un coup de frein, ils se 113 conduiront de façon de plus en plus arbitraire, et la décision de la Corée du Nord est une tentative de riposte, selon certains, comparable à celle d’une fourmi à un éléphant, à celle d’une abeille qui pique, «prête à donner sa vie». Ce n’est pas là une idée juste. Après la déclaration de la Corée du Nord, on a vu cet éléphant en proie à un grand désarroi. Un porteparole de l’AIEA s’est écrié: «Mon étonnement a été si grand que j’étais littéralement "sidéré", il n’y a pas d’autres mots.» La plupart des hommes de l’AIEA avaient considéré comme une «forfanterie» l’avertissement réitéré de la Corée du Nord qui se disait prête à prendre des «mesures d’autodéfense» si on lui imposait l’«inspection spéciale». Ils n’ont cependant pu décider, lors de leur conseil extraordinaire tenu le 18 mars 1993, de soumettre le «problème» au Conseil de sécurité de l’ONU. Ainsi, ce fut plutôt l’AIEA qui se retrouva dans une situation délicate. Les Américains avaient estimé que, s’ils exerçaient une pression en cherchant à lui imposer 1’«inspection spéciale», la Corée du Nord céderait. Mais les voilà finalement qui proposent le dialogue à la Corée du Nord, tout en disant: «Il faut attendre et voir— Elle a encore l’obligation de respecter le traité.» Et des pourparlers au niveau de conseillers ont eu lieu à Beijing entre les deux pays les 17 et 19 mars 1993. Que les Américains aient proposé à la Corée du Nord de négocier par deux fois en un si court laps de temps est un fait exceptionnel. Bien plus, ils ont déclaré ne pas vouloir «réagir trop vivement» à la décision de la Corée du Nord, comme, par exemple, réclamer de lui appliquer des sanctions économiques au nom de l’ONU. Les Etats-Unis avaient menacé la Corée du Nord de prendre contre elle toutes les mesures de sanctions possibles, y compris le «procès» intenté au Conseil de sécurité de l’ONU et l’emploi de la force armée, si elle refusait l’«inspection spéciale» de l’AIEA. Et comment expliquer ce changement subit et profond de leur attitude face à la déclaration nord-coréenne? Celle-ci était légitime et conforme au règlement concernant le retrait du TNP (article 10). La Corée du Nord n’a pas envahi ni n’a 114 menacé aucun pays à la différence de l’Irak, et le Conseil de sécurité de l’ONU n’a aucun grief valable pour adopter une résolution de sanction. De surcroît, la Chine pouvait user de son droit de veto. Le «procès» au Conseil de sécurité de l’ONU n’était donc qu’un pur chantage, et les Etats-Unis se retrouvaient dans une impasse. Quant à la Corée du Nord, elle espérait et comptait, en déclarant son retrait du TNP, éluder le danger de procès contre elle au Conseil de sécurité, sauvegarder ainsi sa souveraineté et obliger les EtatsUnis à venir dialoguer avec elle. C’était donc, de sa part, une opération entre la vie et la mort. Or, comme on le voit, ce n’est pas la Corée du Nord, mais bien les Etats-Unis et l’AIEA que cette publication a mis dans une situation embarrassante. Arbitraire et inéquitable est le TNP Pour se faire une idée claire de 1’«inspection nucléaire» que certains demandent d’effectuer sur la Corée du Nord, il faut savoir ce que c’est que l’AIEA et le TNP. L’AIEA a été organisée en 1957. Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis et l’Union soviétique, ces deux supergrands de l’Ouest et de l’Est, ont rivalisé d’ardeur pour développer et déployer des armes nucléaires. Au cours de cette compétition acharnée, a été élaborée la technologie de production d’électricité d’origine nucléaire. Or, les centrales atomiques produisent du plutonium, qui est utilisé dans la fabrication des bombes nucléaires. Aussi des voix se sont-elles élevées pour l’«utilisation strictement pacifique de l’énergie atomique». Dans ce contexte, Eisenhower, alors président américain, a fait en 1953 une proposition dans ce sens. Ainsi est née l’AIEA, et son statut stipule qu’elle fournirait la technologie de la fabrication d’énergie atomique aux pays membres, les aiderait en ce domaine et, en même temps, les 115 obligerait à subir, aux termes de l’accord de garanties, des inspections pour parer à l’utilisation de cette technique à des fins militaires. Lors de sa naissance, il n’y avait que trois pays nucléaires dans le monde, —les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union soviétique—, et ensuite la France et la Chine les ont rejoints, ayant réussi leurs essais nucléaires respectivement en 1960 et en 1964. Et inquiets de voir ébranlés l’équilibre des forces nucléaires et le système de contrôle nucléaire axé sur les deux supergrands à cause de l’accroissement du nombre de pays nucléaires, les Etats-Unis ont élaboré un traité interdisant à tous les pays, sauf les cinq précités, de posséder des armes nucléaires. Voilà le TNP publié le 5 mars 1970. (En mars 1994,164 pays y avaient adhéré.) Le TNP a divisé les pays membres en pays nucléaires et en pays non nucléaires et a gelé le nombre des premiers et demandé aux seconds de conclure avec l’AIEA un accord de garanties aux termes duquel ils doivent subir des inspections, en vue de parer à l’utilisation des centrales atomiques à des fins militaires. Ainsi, dès le début, il s’est avéré un traité inégal libérant les pays nucléaires de l’obligation d’être inspectés. Certes, il y en a un article qui leur recommande de tendre au désarmement. Mais, le TNP n’a aucun pouvoir réel pour les y obliger. Et seuls les cinq pays nucléaires peuvent, détenant le monopole des armes nucléaires, s’en servir librement comme une carte politique puissante. Bien plus, le TNP n’a aucun moyen de contrôler les pays qui s’efforcent de développer des armes nucléaires par eux-mêmes, sans adhérer au TNP. Aussi, plus d’un pays rechigne à y adhérer. En effet, les critiques n’ont pas manqué de s’élever pour le qualifier de traité permettant aux cinq pays nucléaires de légitimer la possession d’armes nucléaires et d’imposer des conditions inégales aux pays non nucléaires. De surcroît, ce sont les Etats-Unis qui le mènent à la baguette, et l’AIEA aussi «est sous leur coupe» (Yoshida Yasuhiko, ancien chef du bureau d’information de l’AIEA). Les pays membres, en adhérant au TNP, ont espéré que les cinq pays réaliseront le désarmement et le démantèlement complet 116 des armes nucléaires. Mais, le désarmement n’était qu’une promesse vaine, et la menace nucléaire venant de ces cinq pays reste constante. De ce fait, bien des pays refusent actuellement d’y adhérer. Il est prévu de discuter de son prolongement en avril 1995, et les pays qui n’acceptent pas de voir le TNP sous l’égide des Etats-Unis ne désirent nullement son prolongement inconditionnel et indéfini. La Corée du Nord a adhéré à l’AIEA en 1976, et au TNP, en 1985. Pourquoi l’a-t-elle fait? Selon certaines rumeurs, elle aurait espéré bénéficier de la technologie soviétique. Mais, ce n’est qu’une supposition sans fondement. La Corée du Nord a entrepris ses recherches en ce domaine dès les années 50, et, bien qu’elle ait conclu un accord de coopération avec l’Union soviétique, c’est par elle-même essentiellement qu’elle a travaillé à l’exploitation de l’énergie atomique selon le principe d’indépendance économique. Elle a voulu, à mon avis, en adhérant au TNP, se libérer de la menace nucléaire des Etats-Unis. En effet, on lit dans la préface du traité un passage stipulant que «les pays membres sont tenus de respecter la Charte de l’ONU et, dans leurs relations réciproques et les rapports internationaux, de n’exercer de menaces militaires ni de recourir à la force ou à d’autres moyens incompatibles avec le but de l’ONU contre l’intégrité territoriale et l’indépendance politique d’aucun pays». Cependant, même après son adhésion au TNP, la menace nucléaire sur la Corée du Nord, loin de se dissiper, n’a cessé de s’accroître. C’est bien pourquoi, elle a attendu, pour conclure avec l’AIEA l’accord de garanties, jusqu’à ce que Bush, alors président américain, ait déclaré, en septembre 1991, sa volonté d’évacuer les forces nucléaires tactiques américaines de terre et de mer de Corée du Sud, que Ro Thae U, «président» sud-coréen, ait proclamé le 8 novembre de la même année la «nonpossession d’armes nucléaires» et que la décision fût prise d’arrêter les manœuvres militaires «Team Spirit» en janvier de l’année suivante. Cela montre que, si la Corée du Nord a décidé 117 d’accepter l’inspection de l’AIEA, c’est qu’elle avait estimé que la menace nucléaire avait diminué. Sa vision et sa prise de position en la matière ont été constantes et invariables. Elle a subi sans accroc six inspections non régulières. L’inspection non régulière vise à vérifier sur place l’exactitude du rapport présenté par le pays se prêtant à l’inspection. Si elles avaient été suivies par des inspections régulières (destinées à confirmer périodiquement le constat des inspections non régulières, à savoir que les installations et les matières nucléaires ne sont pas utilisées à des fins militaires), aucun problème ne se serait posé. Mais l’AIEA a demandé unilatéralement et de façon pressante à la Corée du Nord d’accepter ses «inspections spéciales» sur deux installations non déclarées au mépris des «rapports de confiance» entre elles. Quant à l’inspection spéciale, c’est une inspection coercitive sur des installations non déclarées à la différence des inspections régulières et non régulières qui n’examinent que les installations déclarées. Jusqu’ici, ce genre d’inspection contestable ne s’est effectué sur aucun pays, car il y a risque d’empiéter sur la souveraineté du pays qui la subit. La Corée du Nord l’a donc rejetée catégoriquement en affirmant que ce sont des installations militaires, et puis elle a déclaré son retrait du TNP lorsque les Américains l’ont menacée de «sanctions». Riposte à la carte nucléaire des Etats-Unis «Si la Corée du Nord tente de se servir de son retrait du TNP comme "carte diplomatique", c’est une erreur. Le problème nucléaire n’est pas une "carte" de poker (Tokyo Shimbun, éditorial, le 13 mars 1993).» «Il ne faut pas se servir du problème nucléaire comme atout», c’est vrai. Mais ce sont les Etats-Unis qui utilisent leurs forces de dissuasion nucléaires au profit de leur «politique de force» sur la 118 scène politique internationale. En télécommandant le TNP et l’AIEA, ils n’ont cessé de se servir des armes nucléaires comme moyen de pression diplomatique. Et ils ont tenté de jouer le même jeu avec la Corée du Nord. Mais leur thèse du «développement d’armes nucléaires» par celle-ci ne reposait que sur un soupçon nullement confirmé. C’est Blix, directeur général de l’AIEA, homme de main des Etats-Unis, qui y a joué le rôle de cheville ouvrière. Le «soupçon nucléaire» avait pour fondement des «photos» prises par des satellites de reconnaissance militaire américains. Or, il est absurde d’affirmer qu’on fabrique des armes nucléaires en se basant sur l’aspect d’un bâtiment et l’invisibilité du câble de transport. Pourtant, beaucoup de gens de par le monde vouent un culte aux EtatsUnis, et, pour eux, «juste et vrai est tout ce que font ou disent les Américains». Comme ceux-ci manipulent à leur guise 1’«ordre d’information» dans le monde, cette fausse nouvelle s’est répandue rapidement en Occident et, en s’amplifiant, a acquis de la «véracité». Les Etats-Unis se sont mis à brandir la carte de «soupçon nucléaire». Sato Katsumi, directeur de l’Institut de recherche sur la Corée contemporaine, a dit: «La Corée du Nord a toutes les justifications pour s’attacher à disposer d’armes nucléaires, désireuse de s’ériger en une puissance. Elle doit estimer que, si elle possède des armes nucléaires, la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis la craindront et qu’elle pourra alors sans grande difficulté sortir de son isolement et remédier à sa crise économique (Sankei Shimbun, le 15 mars 1993).» Pareilles idées ont été largement répandues en Occident: «Volonté évidente de développer des armes nucléaires—Attitude de durcissement—Opération de dissimulation—Jeu dangereux visant à maintenir son régime—Tentative de détenir une carte nucléaire.» Ainsi a-t-on mené un grand train de tapage comme si un OVNI (objet volant non identifié) venait attaquer notre planète. Mais on savait très bien que l’OVNI n’existait que dans ses fantasmes. 119 Pourtant, ces Occidentaux, aveuglés par leurs préjugés, comment pourront-ils répondre aux questions que voici: «Si la Corée du Nord avait vraiment l’intention de disposer d’armes nucléaires, pourquoi aurait-elle adhéré au TNP? —Pourquoi aurait-elle accepté les inspections de l’AIEA? —Pourquoi aurait-elle adopté la "Déclaration conjointe Nord-Sud sur la dénucléarisation" et préconisé la transformation de la péninsule coréenne en zone de paix et dénucléarisée?» Et quand bien même, si l’on considère ces gestes comme brandissement de la carte nucléaire, il faut reconnaître que la Corée du Nord, en se servant de cette carte, s’est opposée jusqu’ici au «développement d’armes nucléaires». En s’attachant à développer des armes nucléaires, la Corée du Nord n’aurait rien à gagner si ce n’est l’aggravation de la tension, son isolement, ainsi qu’une perte de confiance et de dignité sur le plan international. Le Président Kim Il Sung a affirmé: «Nous n’avons ni l’intention ni la capacité de développer des armes nucléaires.» L’ambassadeur nord-coréen à l’ONU a déclaré, le 17 mars 1993, que son pays pourrait revoir son retrait du TNP à condition que, premièrement, les Etats-Unis lèvent leur menace nucléaire contre lui; que, deuxièmement, ils arrêtent leurs manœuvres militaires conjointes «Team Spirit»; que, troisièmement, ils déclarent leurs bases militaires en Corée du Sud; et que, quatrièmement, l’AIEA fasse preuve d’impartialité et d’une neutralité absolue. C’était d’ailleurs dans l’espoir de réaliser ces revendications que la Corée du Nord avait adhéré au TNP et avait tardé à signer l’accord de garanties avec l’AIEA. Bref, elle voulait dissiper la menace des armes nucléaires américaines déployées en Corée du Sud en demandant leur retrait de la péninsule coréenne. Voilà le problème majeur pour la Corée du Nord. Elle ne veut nullement développer «secrètement» des armes nucléaires ni, non plus, laisser fouler aux pieds sa souveraineté nationale en subissant les inspections inéquitables de l’AIEA. 120 Si toutefois la déclaration de la Corée du Nord a joué un rôle de «carte nucléaire» en obligeant les Etats-Unis à accepter le dialogue, les responsables en sont justement les Etats-Unis eux-mêmes et l’AIEA qui est allée trop loin dans ses pressions exercées sur elle. Les Etats-Unis considèrent leur «carte nucléaire» comme moyen efficace du maintien de 1’«ordre international» sous leur contrôle et comme moyen de pression et d’ingérence à l’endroit des autres pays, tandis que la Corée du Nord travaille activement à dénucléariser la péninsule coréenne. Voilà la différence diamétrale qui distingue les positions des deux pays. La déclaration par la Corée du Nord de son retrait du TNP est un défi, une riposte aux Etats-Unis qui se plaisent toujours à brandir la «carte nucléaire» pour imposer leur volonté. Menaces de guerre nucléaire et d’«inspection coercitive» Les armes nucléaires constituent un moyen efficace de «pression» dont les Etats-Unis se servent couramment pour assurer leurs propres intérêts. Si sa souveraineté est menacée, le Japon n’hésitera pas à prendre des contre-mesures pour y faire face. Pourrait-on hésiter à se retirer d’une organisation internationale alors qu’il y a danger de voir mis à nu ses secrets militaires et qu’on sait bien que cette organisation est à la solde du pays adverse? Ainsi la Corée du Nord a-t-elle décidé son retrait du TNP comme une «mesure de défense de l’intérêt suprême du pays». Le paragraphe 1 de l’article 10 du TNP stipule: «Tous les pays membres ont le droit de se retirer du traité, usant de leur droit souverain, dans le cas où ils constatent qu’un état anormal, contraire à la définition des clauses du traité, met en danger leur intérêt national suprême.» Cet intérêt suprême est, 121 pour la Corée du Nord, son indépendance, sa souveraineté et son socialisme qu’elle a acquis au prix de lourds sacrifices. L’état anormal qui menaçait l’intérêt suprême de la Corée du Nord était la «résolution d’inspection spéciale» de l’AIEA, ainsi que la reprise, par les Etats-Unis et la Corée du Sud, de leurs manœuvres militaires conjointes «Team Spirit». En 1992, les Etats-Unis ont déclaré qu’ils évacueraient leurs forces nucléaires terrestres de Corée du Sud, arrêteraient leurs manœuvres militaires «Team Spirit» et retireraient leurs troupes de Corée du Sud, et Ro Thae U, de sa part, a proclamé la «non-possession d’armes nucléaires». Ainsi, la Corée du Nord a été amenée à juger que la menace des armes nucléaires américaines déployées en Corée du Sud avait été enfin dissipée et à conclure l’accord de garanties avec l’AIEA, puis à accepter son inspection. Cependant, la Corée du Sud et les Etats-Unis ont demandé à la Corée du Nord d’admettre des inspections réciproques entre le Nord et le Sud, tout en excluant les installations militaires américaines en place en Corée du Sud. Il va sans dire que la Corée du Nord a refusé, car elle estimait le déploiement d’armes nucléaires américaines en Corée du Sud comme origine du problème nucléaire dans la péninsule coréenne. Ainsi le problème de l’inspection s’est-il heurté à un récif. Les Etats-Unis et la Corée du Sud, en en prenant prétexte, ont suspendu les activités de la commission conjointe Nord-Sud de contrôle nucléaire et ont repris les manœuvres militaires conjointes «Team Spirit». Aussi longtemps que le retrait des armes nucléaires américaines de Corée du Sud ne sera pas vérifié, la dénucléarisation de la péninsule coréenne ne pourra être confirmée. Dans cette conjoncture, l’inspection était une «inspection nucléaire» unilatéralement imposée à la Corée du Nord. La Corée du Sud a fait savoir que les manœuvres «Team Spirit» poursuivaient un but «défensif». Mais personne ne peut en être dupe. La participation du porte-avions Independence, de chasseurs122 bombardiers «Stealth» et de bombardiers stratégiques nucléaires «B1B» constitue une grave menace nucléaire. De plus, tenter d’imposer une «inspection coercitive» sur des bases militaires nord-coréennes, juste au moment où les manœuvres conjointes battaient leur plein, n’était pas un fait fortuit. L’«inspection spéciale» n’était rien d’autre qu’un immonde chantage. «Les manœuvres n’auront pour effet que de pousser inutilement à bout la Corée du Nord et ne serviront pas à la sécurité sud-coréenne à laquelle les Etats-Unis tiennent tant (New York Times, éditorial, le 6 mars 1993).» Pareils avertissements se faisaient entendre depuis longtemps. Mais les Etats-Unis ont poursuivi obstinément leurs manœuvres et ont demandé 1’«inspection spéciale» pour créer ainsi une grave tension militaire dans la péninsule coréenne. La Corée du Nord a su y répondre par un stratagème ingénieux, son retrait du TNP. Hippel, expert en problème nucléaire et professeur à l’université de Princeton, a affirmé: «Les récentes manœuvres ressemblent à l’incident de la baie des Cochons, provoqué au début du mandat de Kennedy, en vue de renverser le régime révolutionnaire de Cuba, sans aucune considération de ses conséquences éventuelles.» Il a ajouté qu’il était souhaitable que l’on arrête ces manœuvres (Asahi Shimbun, le 19 mars 1993). Spector, associé supérieur et directeur du Non-Prolifération Project du Carnegie Endowment for International Peace, a dit que c’était une erreur que d’avoir poussé la Corée du Nord à déclarer son retrait du TNP. «L’AIEA devrait vérifier, par inspection spéciale, l’absence d’armes nucléaires sur les anciennes bases militaires américaines en Corée du Sud, et traiter sur un pied d’égalité les problèmes du Sud et du Nord afin de faire preuve de respect pour la Corée du Nord et de créer pour cette dernière une occasion propice de révoquer sa décision de retrait du TNP (Yomiuri Shimbun, le 18 mars 1993).» 123 Coup retentissant assené au TNP, symbole de l’exclusivisme et de l’arbitraire «De Klerk, président sud-africain, a déclaré avoir détruit en 1990 les six bombes nucléaires fabriquées par son pays jusqu’en 1989 (Plusieurs journaux, le 25 mars 1993).» La déclaration a bouleversé le monde entier, non moins sérieusement que celle de la Corée du Nord. Car il n’y a pas eu jusque-là de pays qui ait pris la décision de révéler le secret de son développement d’armes nucléaires, sauf les 5 pays officiellement déclarés nucléaires. Pourquoi l’Afrique du Sud a-t-elle dévoilé un secret jusqu’alors si bien gardé? Si elle avait déjà démonté ses armes nucléaires, pourquoi révéler le fait qu’elle les avait fabriquées, quitte à s’attirer un blâme international? Peut-être comptait-elle, en déclarant sa capacité à construire des armes nucléaires, tenir un atout dissuasif de guerre? Mais ce n’est guère convaincant. On détecte plutôt là une «pression» des Américains. Selon M. Hough, professeur à l’Institut de recherches de stratégie à l’université de Pretoria, «ce serait en tenant compte que les Etats-Unis, face au changement imminent de régime politique en Afrique du Sud, craignaient que sa technologie de la construction d’armes nucléaires ne fût transmise à des forces qui leur étaient hostiles» (Sankei Shimbun, le 26 mars 1993). Quant à ce changement, c’est l’accès au pouvoir de l’ANC (African National Congress), lequel entretient de bonnes relations avec la Corée du Nord. Aussi, disait-on, «si la Corée du Nord se retire du TNP, premièrement, on n’aura plus aucun moyen de contrôler sa technologie nucléaire; deuxièmement, on ne pourra bloquer la propagation de cette technologie sud-africaine vers les pays pouvant faire obstacle à l’établissement d’un nouvel ordre international; voilà pourquoi les Etats-Unis, inquiets, auront pris les devants». En insistant sur le fait 124 que l’AIEA n’avait pu découvrir la réalité de la production sudafricaine d’armes nucléaires, malgré ses 115 inspections non régulières effectuées aux termes de l’accord de garanties conclu en 1991, et que, tous pouvant ainsi fabriquer ces armes sans grande difficulté, il est difficile de parer à leur prolifération horizontale, les Etats-Unis ont dû probablement mobiliser l’opinion mondiale contre la Corée du Nord qui repoussait l’inspection de l’AIEA et avait déclaré son retrait du TNP. Pour réaliser leurs desseins, les EtatsUnis n’hésiteraient pas à sacrifier un pays comme l’Afrique du Sud. Quoi qu’il en soit, la vérité est que la déclaration de la Corée du Nord a été un coup foudroyant assené aux Etats-Unis, et qu’elle les a mis en plein désarroi. Bien des pays ont protesté contre le monopole des armes nucléaires par les cinq pays nucléaires et l’arbitraire des Etats-Unis, mais ces derniers y ont fait la sourde oreille: ils n’ont pas, par exemple, demandé l’inspection ni n’ont exercé de pression politique sur Israël qui collaborait avec l’Afrique du Sud à développer des armes nucléaires et qui devait déjà disposer d’environ 200 ogives nucléaires (Takaki Zinshaburo). D’autre part, ils ont exercé une forte pression sur l’Irak, hostile à Israël. Tout dépendait donc des relations que l’on entretient avec eux. Et ils ont eu du culot de passer outre à la critique de leur conduite injuste. D’après la Corée du Nord, «tenter d’imposer l’inspection unilatéralement à l’une des deux parties d’un pays divisé et menacée en permanence par l’autre partie qui possède des armes nucléaires n’est nullement raisonnable ni conforme au principe de l’impartialité». C’est donc une riposte fulgurante infligée aux auteurs du «soupçon nucléaire», une virulente critique des failles fondamentales du TNP. Le TNP arrive à son échéance en 1995. De nombreux pays, ceux du Tiers-Monde en tête, mécontents ou sceptiques, s’opposent à son prolongement. Car c’est un «système uniquement favorable aux pays nucléaires» et prêtant l’oreille seulement à la «voix des grandes puissances». 125 D’autre part, puisque les pays nucléaires ne font aucun geste pour démanteler leurs armes nucléaires, ce qui est un des objectifs du TNP, et que les Etats-Unis se servent des armes nucléaires comme «carte politique», le nombre des pays semi-nucléaires ne cesse de s’accroître au fil du temps. Aussi se demande-t-on à quoi bon le prolonger puisqu’il est incapable de parer à la prolifération nucléaire verticale ou horizontale. «Il faut réviser le traité si l’on veut parer à ses failles et démanteler les armes nucléaires (Inde).» Autrement dit, les pays nucléaires doivent travailler à démanteler complètement les armes nucléaires, tandis qu’«une sécurité parfaite doit être garantie à tous les pays non nucléaires» (Nigeria). Bref, il faut éliminer la menace venant des pays nucléaires. D’aucuns préconisent de modifier le contenu du traité et de restructurer son système à long terme. La Corée du Nord exige que le TNP fasse preuve d’impartialité et élimine la menace des pays nucléaires, et elle met ainsi au jour l’absence de fiabilité et les faiblesses du TNP et de l’AIEA. Ce n’est donc pas la Corée du Nord, mais bien le TNP et la «politique de force» des Etats-Unis, son patron, qui se trouvent aux abois. Les Etats-Unis dans une impasse Nihon Keizai Shimbun a écrit, le 19 avril 1993, sous le titre «Dernière carte pour le maintien de son régime actuel»: «Premièrement, la Corée du Nord renoncera au "développement d’armes nucléaires" pour maintenir son régime. Deuxièmement, le problème nucléaire piétinera et la Corée du Nord tombera dans une impasse. Troisièmement, un conflit armé éclatera et la Corée du Nord s’effondrera.» Il a ajouté que, de ces trois possibilités concernant le destin de la Corée du Nord, la deuxième avait à 50 pour cent la chance de devenir réalité et que la tentative de la Corée du Nord pour se retirer du TNP s’enfoncera dans un 126 bourbier. Cette prévision s’est avérée à moitié juste et à moitié fausse, car, si le problème nucléaire piétine, la Corée du Nord n’est aucunement aux «abois». Les résultats de la conférence de l’ONU pour le désarmement, tenue à Kyoto du 13 au 16 avril 1993, n’ont nullement satisfait les attentes des Américains, au point que le représentant américain s’est déclaré totalement déçu. Les experts en désarmement et les hommes de science de presque tous les pays se sont contentés d’exprimer leur «inquiétude» face à la déclaration par la Corée du Nord de son retrait du TNP, et ils ont proposé, (1), de mettre en garde contre des sanctions énergiques en guise de représailles; (2), de résoudre le problème par voie de négociations entre la Corée du Nord, les pays intéressés et les organisations concernées, sans regarder au délai, le 12 juin; (3), de rédiger une déclaration significative de non-emploi de la première frappe nucléaire sur les pays non nucléaires; et, (4), de conclure un traité d’arrêt global des essais nucléaires pour ensuite réaliser le démantèlement général des armes nucléaires. Qu’est-ce que cela signifie? Le cas de la Corée du Nord, qui subit toujours la menace nucléaire des Etats-Unis, ce supergrand nucléaire, a soulevé un problème commun à tous les pays non nucléaires et a montré que ceux-ci n’éprouvent que déception et mécontentement envers le TNP qui les somme d’exécuter leurs obligations tout en fermant les yeux sur la conduite des pays nucléaires qui, en dépit de l’article 6 du traité, ne cherchent nullement à réduire et à démanteler les armes nucléaires. D’autre part, cette réalité permettait d’envisager qu’un nombre toujours plus grand de pays s’opposeraient au prolongement du TNP qui devait être discuté en 1995. Plus la solution du problème nucléaire traînerait, plus le TNP se verrait dans 1’«impasse» et plus les Etats-Unis s’enfonceraient dans un «bourbier». 127 «Si l’on veut amener la Corée du Nord à changer d’attitude, il faudra modifier la politique des Etats-Unis, du Japon et de la Corée du Sud. En premier lieu, entamer un dialogue de haut rang et multiforme pour discuter de l’ensemble des problèmes: normalisation des relations politiques et économiques Nord-Sud, réduction et retrait des troupes américaines stationnées en Corée du Sud, désarmement, etc. Critiquer la seule Corée du Nord n’est pas équitable. Les Etats-Unis, en tant que pays nucléaire, devraient réviser leur politique.» Voilà ce qu’a dit Serig Harrison, associé supérieur au Carnegie Endowment for International Peace et ex-directeur du bureau de Tokyo du Washington Post, lors d’une récente conférence d’experts de Séoul. Pareilles idées sont aussi exprimées par d’autres Américains. Michael, associé supérieur au Centre d’études stratégiques et internationales, et Crowe, président du PFIAB (Président’s Foreign Intelligence Advisory Board), ont suggéré, presque à la même époque, d’arrêter une fois pour toutes les manœuvres militaires «Team Spirit» et de confirmer, au moyen d’inspections de l’AIEA, le retrait des armes nucléaires américaines de Corée du Sud. Ledit Centre est un organisme de cerveaux du Parti républicain, tandis que le PFIAB est un organe chargé d’élaborer et de recommander les orientations diplomatiques à long terme à l’administration Clinton. Ainsi les cerveaux des partis démocrate et républicain se sont-ils accordés à demander un revirement dans la politique nord-coréenne des Etats-Unis pour régler le problème nucléaire. «Nous envisageons d’élever le niveau des pourparlers américano-nord-coréens pour régler le problème nucléaire de la Corée du Nord», a dit, à Séoul, Tarnoff, sous-secrétaire d’Etat américain chargé des affaires politiques. Cette déclaration a pour arrière-fond la protestation de l’opinion de l’intérieur comme de l’extérieur et la prise de conscience de la nécessité du dialogue 128 RPDC-USA pour régler le problème nucléaire dans le cadre du TNP. Mais le gouvernement américain l’a désavoué en affirmant qu’il n’avait jamais décidé d’opter pour le dialogue. Les idées extrémistes ne manquent pas. Riskin, commandant des troupes américaines en Corée du Sud, par exemple, a dit: «Le danger d’"attaque" du Nord contre le Sud s’accroît... La Corée du Nord ment en traitant en réalité des quantités beaucoup plus importantes de "combustible nucléaire" que celles déclarées à l’AIEA.» Mais, les Etats-Unis sont conscients plus que quiconque du fait qu’il est pratiquement impossible de mobiliser l’ONU et les autres pays pour appliquer des sanctions à la Corée du Nord. Il n’y avait donc pas pour eux d’autre choix que d’accepter le dialogue pour discuter du problème entre les deux pays, en tenant compte essentiellement des quatre revendications de la Corée du Nord. 2. PREMIERS POURPARLERS RPDC-USA (De juin à juillet 1993) Point de jonction entre la «force» et la «riposte» «Aussi longtemps que les Etats-Unis et la Corée du Nord ne renonceront pas à la confrontation au profit de la promotion de la confiance mutuelle, on ne pourra résoudre, cela est évident, le problème nucléaire. Pour le régler, il faudra trouver un point de jonction entre la thèse américaine de la "force" et celle, nord-coréenne, de la "résistance" et de la "riposte" (Sonthaek, revue mensuelle, juin 1993).» 129 La Déclaration conjointe RPDC-USA, rendue publique en juin, exprime justement ce point de jonction, unique moyen de régler le problème nucléaire de la péninsule coréenne. Des idées intéressantes mais divergentes avaient été exprimées à ce sujet lors de la conférence des pays d’Asie de l’Est tenue à Tokyo, le 17 mai 1993, juste trois semaines avant la publication de ladite déclaration. A) Idées pessimistes et extrémistes «Impossible d’espérer que la Corée du Nord cédera tant soit peu— Du moment que les Etats-Unis ont accepté le dialogue, il faudra élaborer des stratégies à long terme. De toute façon, les perspectives s’annoncent sombres, puisque les revendications des deux parties divergent.» B) Idées optimistes et modérées «Le gouvernement américain devrait reconnaître son homologue nord-coréen sur le plan diplomatique—Pour régler à l’amiable les problèmes existant entre les deux pays, il faudrait, (1), admettre le régime actuel de Corée du Nord, (2), ouvrir une voie vers la paix et établir des relations normales d’Etat à Etat par la constitution des dispositifs requis et, (3), lancer une coopération dans le domaine économique, en révoquant la défense d’exportation vers la Corée du Nord.» A la conférence ont participé des experts et des diplomates américains, sud-coréens, japonais, chinois et russes, tous versés dans la question coréenne, et ce sont les Japonais qui ont exprimé les idées de la première catégorie, et les Américains, celles de la seconde. Trois semaines plus tard, on a pu voir qui avait raison. Les Américains, directement concernés par le problème, ont vu juste, tandis que les Japonais, malgré l’avantage de leur position de tierce 130 qui leurs permettait d’envisager les choses objectivement, ont mal jugé. Kogonoki Mashao, professeur à l’université de Keio, a alors affirmé: «Même si on entame un dialogue, on ne pourra espérer que la Corée du Nord annule son retrait du TNP, et les Etats-Unis ne voudront pas normaliser le dialogue américano-nord-coréen, qui n’a pas d’avenir.» Cette idée erronnée vient, premièrement, de la fausse image que le Japon a de la Corée du Nord. Il n’a pas voulu voir ou a négligé de voir le signal que celle-ci lui envoyait sans cesse. Il tenait le raisonnement suivant: «La Corée du Nord a besoin de développer des armes nucléaires et a l’intention de le faire pour remédier à sa crise économique et combler son infériorité militaire vis-à-vis de la Corée du Sud, d’une part, et, d’autre part, pour maintenir son régime en faisant face, étant petit pays, aux Etats-Unis, ce supergrand.» Ce raisonnement repose sur un parti pris de vieille date considérant la Corée du Nord comme un «pays très dangereux» s’opposant à 1’«ordre international» établi par l’Occident sous la houlette des Etats-Unis. Bien que la Corée du Nord ait depuis toujours préconisé la dénucléarisation de la péninsule coréenne, le Japon s’obstine à croire que la Corée du Nord cherche à trouver la voie de sa survie dans le développement d’armes nucléaires et, par conséquent, n’a pu juger correctement dès le début de l’évolution de la situation. Deuxièmement, il n’a pas remarqué ou n’a pas interprété correctement le revirement opéré dans la politique nord-coréenne des Etats-Unis et les changements intervenus dans les rapports internationaux. Même aux Etats-Unis, des voix se sont élevées pour l’amélioration des relations avec la Corée du Nord, et l’administration américaine, surtout le département d’Etat, s’apprêtait à modifier sa politique nord-coréenne. Autrement dit, les Etats-Unis ont pris conscience de la nécessité de mettre fin aux 131 relations d’hostilité actuelles avec la Corée du Nord et d’assouplir l’actuel état de choses ankylosé. Si les Etats-Unis s’orientent vers des sanctions sur la Corée du Nord, «ils se verront aliénés du reste du monde et répéteront le drame de la Bosnie» (Curtis, professeur à l’université de Columbia). Ainsi, comme l’application de sanctions pouvait mettre les Etats-Unis dans une situation peu désirable, ceux-ci avaient intérêt à ne pas y recourir à la légère. Le dialogue RPDC-USA constitue donc l’aboutissement logique de la situation des deux pays. Le premier vice-ministre des Affaires étrangères de la RPDC, Kang Sok Ju, a qualifié les pourparlers d’«historiques». Cependant, Izmigen, maître assistant à l’université de la préfecture de Shizuoka, a objecté que «ce n’est qu’un simple retour à la situation d’avant le 12 mars (avant le retrait du TNP)», en répétant ainsi l’idée américaine selon laquelle «aucun changement substantiel n’a marqué les relations américano-nord-coréennes». Mais, si l’on compare la situation d’avant le 12 mars et celle intervenue trois mois après la publication de la Déclaration conjointe RPDC-USA, on comprend bien que des changements profonds et fondamentaux ont été opérés. Premièrement, les deux pays adverses ont entamé un dialogue; deuxièmement, les Etats-Unis ont promis à la Corée du Nord de ne pas la menacer avec leurs armes nucléaires, et, sur cette base, les deux ont pu entreprendre une discussion des problèmes politiques relatifs à l’origine du «problème nucléaire» — il paraît que tous les problèmes politiques concernant la péninsule coréenne ont été abordés—; troisièmement, ils sont convenus, en principe, de dénucléariser la péninsule coréenne; quatrièmement, les deux parties se sont engagées à respecter mutuellement leur souveraineté et à ne pas intervenir dans les affaires intérieures l’une de l’autre; cinquièmement, elles sont convenues de poursuivre le dialogue sur un pied d’égalité et de manière équitable. 132 De tels accords entre les deux pays belligérants ne peuvent-ils pas être qualifiés d’«historiques»? Qui le nie ne peut avoir de vision correcte des perspectives du dialogue nord-coréo-américain. Pour éviter un second Panama, un second Irak En 1989, les Américains envahirent le Panama et «arrêtèrent» le général Noriega, commandant de la garde nationale. Peut-être, grâce à l’habileté de la campagne de propagande entreprise par les médias américains sous prétexte de «punir» en lui le «patron du trafic de drogue», l’opinion mondiale n’a pas élevé la voix pour condamner cet acte d’agression évident comme elle l’avait fait contre l’Irak lors de son invasion du Koweït. Or, la vérité en a été révélée, tout récemment, par une chaîne de télévision américaine. Elle a projeté un film documentaire pris sur les lieux: la capitale de ce pays a été réduite en cendres sous les bombardements aériens américains, un grand nombre de civils massacrés ou arrêtés. Les Américains ont ainsi perpétré des atrocités abominables sous couvert de châtier le «mal», et leur opération de désinformation a réussi magistralement. Le documentaire suggère cette conclusion: les Etats-Unis ont envahi le Panama, non pas pour arrêter le général Noriega, mais pour réduire à néant la garde nationale du Panama afin de conserver leur droit sur le canal du Panama. Le «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord semble une combine du même acabit. Les Etats-Unis voulaient attaquer la Corée du Nord par la voie «légitime», par le biais de l’AIEA, puisqu’ils n’avaient pu la frapper même après avoir répandu l’idée qu’elle était le «principal facteur d’instabilité en Asie de l’Est». S’ils réclamaient l’«inspection spéciale», c’était pour «désarmer» la Corée du Nord, «isoler, asphyxier et écraser le système socialiste nordcoréen». 133 Si la Corée du Nord n’avait pas pris de mesures aussi énergiques que la déclaration de son retrait du TNP, comment auraitelle pu éviter de se retrouver victime de la combine américaine comme le Panama et l’Irak? Les Etats-Unis avaient estimé, semble-t-il, que la Corée du Nord «céderait» s’ils la menaçaient de faire d’elle un second Irak en mobilisant l’ONU. Lorsque la Corée du Nord a déclaré son retrait du TNP, les médias occidentaux ont fait chorus en disant qu’«il ne ferait qu’accélérer son isolement» et que «les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud envisageraient des sanctions». Mais, à trois mois de là, on a assisté à une situation tout à fait contraire. Le «problème nucléaire» s’est avéré un simple prétexte visant à écraser la Corée du Nord. Les Etats-Unis ne se préoccupent de savoir s’il s’agit des droits de l’homme, de l’exportation de missiles ou de la production d’armes chimiques que dans la mesure où cela sert à réaliser leur dessein. Et le «soupçon de développement d’armes nucléaires» paraissait à leurs yeux le meilleur des prétextes. Si la Corée du Nord n’avait pas déclaré son retrait du TNP, les choses auraient tourné exactement selon le scénario américain. «Le plus important est le fait que la discussion a été concentrée, au cours des pourparlers, sur les problèmes politiques relatifs à la solution fondamentale du problème nucléaire dans la péninsule coréenne (Kang Sok Ju, premier vice-ministre des Affaires étrangères de la RPDC).» Ainsi, au lieu de minimiser la solution du «problème nucléaire» en la bornant à l’acceptation par la Corée du Nord d’«inspection spéciale» de l’AIEA, on a discuté des mesures à prendre pour apporter une solution globale au problème nucléaire, aggravé à l’extrême à cause des menaces nucléaires que les Américains exerçaient sans cesse sur la Corée du Nord depuis 1957, en déployant des armes nucléaires en Corée du Sud. Certains disaient cependant: «Il faut que la Corée du Nord reste membre du TNP, car cela constitue une condition préalable à la solution du problème, bien que nullement suffisante (Yomiuri 134 Shimbun, le 13 juin 1993).» Une telle estimation vient de ce qu’on n’a pas saisi l’essence du problème nucléaire ou qu’on voulait minimiser ou déformer la portée de la Déclaration conjointe RPDCUSA. La réintégration de la Corée du Nord au TNP n’est pas une condition indispensable à la solution du problème. L’est plutôt la dissipation de l’état de confrontation qui dure depuis plus de 40 ans entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Et voici les mesures précises qui s’imposent pour y parvenir: (1), s’engager à ne pas employer le premier les armes nucléaires et à ne pas les utiliser comme menace réciproque; (2), respecter mutuellement la souveraineté de chaque pays et ne pas se mêler des affaires intérieures l’un de l’autre; (3), dénucléariser la péninsule coréenne et y assurer la paix. Ces mesures proposées depuis longtemps par la Corée du Nord se trouvent traduites dans la Déclaration conjointe. Les Etats-Unis ont également consenti à ce qu’on précise dans la Déclaration qu’«ils soutiennent la réunification pacifique de la Corée». C’est un fait de portée remarquable, attestant un revirement profond opéré dans la politique nord-coréenne des Etats-Unis. Les Américains, tout en menaçant la Corée du Nord de la frappe nucléaire, avaient tenté de déclencher une guerre nucléaire contre elle. Et voilà qu’ils ont reconnu le régime de la Corée du Nord qui leur tenait si fermement front. Le président Clinton a qualifié les résultats des pourparlers de «réussite», et Robert Gallucci, assistant au secrétaire d’Etat, a affirmé que c’était «un pas positif vers la dénucléarisation de la péninsule coréenne». Ce sont autant de preuves montrant que les Etats-Unis ont fini par prendre conscience de la nécessité du dialogue, la seule voie pour la solution du «problème nucléaire». 135 Recherche d’un moyen de contrôle de la dénucléarisation «Au Conseil de sécurité, on a poussé un soupir de soulagement quand la motion de sanctions, ayant peu de chance d’être approuvée par les pays membres, a été écartée (Asahl Shimbun, le 12 juin 1993).» «Les hommes de l’AIEA ont lâché un soupir de soulagement en voyant rétablie la possibilité du dialogue avec la Corée du Nord (Tokyo Shimbun, le 13 juin 1993).» Voilà les commentaires de la réaction du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’AIEA aux résultats des pourparlers RPDC-USA, et ils laissent clairement entendre que ces deux organisations internationales étaient inaptes à régler le problème nucléaire de la péninsule coréenne. Inaptes, premièrement, parce que ce problème nucléaire est né de l’introduction, depuis 1957, d’armes nucléaires américaines en Corée du Sud et de la menace nucléaire que les Américains exercent constamment sur la Corée du Nord. En 1975, Schlesinger, alors secrétaire à la Défense américain, a dit: «Je crois que tout le monde le sait, nous avons déployé des forces nucléaires tactiques en Corée du Sud.» Si les Etats-Unis ont méconnu leur politique NCND (Neither Consent Nor Deny) dans la seule péninsule coréenne, c’était pour exercer une pression sur la Corée du Nord, en usant ouvertement du chantage nucléaire. Deuxièmement, parce que les Américains, bien que nettement conscients de la nécessité du dialogue pour la solution du problème, voulaient avoir raison de la Corée du Nord par le truchement des organisations internationales, tout comme ils l’ont fait avec l’Irak. Les Américains ont sommé Blix, directeur général de l’AIEA, de procéder à des «inspections spéciales» même lorsque cette organisation effectuait sans accroc ses inspections régulières en Corée du Nord et qu’il avait déclaré n’avoir «rien trouvé qui 136 puisse prouver qu’on développe des armes nucléaires». Ainsi, l’AIEA a dû changer d’attitude du jour au lendemain, et le problème s’est compliqué à l’extrême, au point que la Corée du Nord a déclaré son retrait du TNP. L’AIEA, ayant commis ainsi des iniquités en pratiquant deux poids, deux mesures, s’est révélée inapte à résoudre le problème nucléaire. Le Conseil de sécurité de l’ONU, se voyant contraint de réagir, face aux «plaintes» des pays occidentaux, dont les Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon, a publié une «déclaration» de son président et une «résolution» aux expressions pourtant assez modérées. La «résolution» demandait tout simplement à la Corée du Nord de respecter le TNP et l’accord de garanties, en ajoutant que, «au besoin, il envisagerait une autre mesure». Cela prouve que le Conseil de sécurité était parfaitement conscient de l’impossibilité de prendre toute autre «mesure» efficace. Le gouvernement chinois s’est opposé dès le début à la pression et à la sanction et a préconisé un dialogue et des négociations entre les pays concernés; il a affirmé en maintes occasions que, «en portant le problème au Conseil de sécurité, on ne ferait que compliquer les choses, loin de contribuer à la solution du problème». Bien des pays non nucléaires et des pays du Tiers-Monde expriment les mêmes idées. Le Conseil de sécurité a perdu ainsi toute marge de manœuvre. Et la «résolution», qu’il a adoptée malgré lui, manque de fondement. Quant au «soupçon nucléaire», ce n’est qu’un soupçon, et non une menace réelle contre tel ou tel pays. Et appliquer des sanctions en invoquant un tel soupçon serait violer la Charte de l’ONU et le droit international. Ainsi, cette «résolution» manque de fondement juridique. Telle est une des raisons pour lesquelles on a lâché un «soupir de soulagement». Et maintenant que la Corée du Nord et les Etats-Unis, les deux pays intéressés, ont publié une déclaration conjointe après avoir discuté des problèmes politiques liés à la solution fondamentale du problème nucléaire, quelles mesures concrètes peut-on envisager? 137 L’ambassadeur nord-coréen à Vienne a déclaré que son pays «étudiait le moyen de rendre transparentes ses activités nucléaires devant la communauté internationale, sans rejoindre le TNP» et a cité en exemples le Brésil et l’Argentine qui, sans avoir adhéré au TNP, ont admis des inspections réciproques. L’essentiel dans la solution du problème nucléaire est de contrôler correctement le processus de dénucléarisation de la péninsule coréenne. Que la Corée du Nord réintègre le TNP et subisse unilatéralement l’inspection de l’AIEA, cela ne contribue pas à libérer la péninsule coréenne des armes nucléaires. Avec des mesures coercitives comme 1’«inspection spéciale», on ne peut rien résoudre; du reste, la Corée du Nord ne l’admettra jamais. Aussi les Etats-Unis et l’AIEA tâchent-ils maintenant d’éviter d’y recourir, et les Etats-Unis et la Corée du Sud pensent, entre autres, à la participation de l’AIEA aux inspections réciproques entre le Nord et le Sud. La Corée du Nord pourrait réintégrer le TNP, si celui-ci opérait de manière équitable. Que les Etats-Unis et la France aient décidé de continuer de geler leurs essais nucléaires et aient entrepris des démarches pour l’adoption d’un traité d’interdiction globale des essais nucléaires est un geste appréciable. La Corée du Nord souhaite également, outre la dénucléarisation de la péninsule coréenne, le démantèlement complet des armes nucléaires dans le monde. Vision positive et vision négative «(Les Etats-Unis) souhaitent voir la Corée du Nord rester membre du TNP, et cela lui profitera également (président Clinton).» «Si la Corée du Nord dispose d’armes nucléaires et de vecteurs, ce sera, à cette distance, une menace directe pour le Japon. Bien qu’il n’ait pas la moindre intention de développer des armes nucléaires, le Japon ne pourra pas ne pas y penser sérieusement s’il se voit l’objet d’une telle menace (le premier ministre Miyazawa).» 138 Voilà ce qu’ils ont dit, lors d’une conférence de presse après le sommet nippo-américain. Quelle différence y a-t-il entre ces deux visions, «positive» et «négative»? Si le premier ministre japonais met l’accent sur les «armes nucléaires et les missiles» de la Corée du Nord en les décrivant comme une «menace», c’est qu’il poursuit deux objectifs. Premièrement, il veut se servir du «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord comme justification pour développer ses propres armes nucléaires. «Le Japon ne pourra pas ne pas y penser sérieusement» peut être interprété comme «il ne peut pas ne pas disposer d’armes nucléaires». Si le Japon a hésité à dire oui à ce qu’on précisât, dans la déclaration politique du G7 de Tokyo, l’idée de prolongement sans limitation de durée du TNP, c’est parce qu’il pensait: «Alors que la Corée du Nord développe des armes nucléaires, pourquoi le Japon devra-t-il s’engager toujours à ne pas en disposer?» Ainsi la «menace nord-coréenne» lui fournit-elle un prétexte pour la fabrication d’armes nucléaires. Avant, c’était la «menace soviétique» qui lui servait de prétexte pour l’accroissement des forces armées, et, maintenant qu’il est impossible de l’invoquer, il a trouvé à la place «la menace nord-coréenne». S’il l’a inventée à ces fins, hélas! il court un danger mortel. Deuxièmement, c’est en vue de continuer sa politique d’hostilité envers la Corée du Nord. Autrement dit, il refuse obstinément de la reconnaître et de nouer avec elle des relations d’amitié; il tend à poursuivre, comme au temps de la guerre froide, la voie de la tension qu’il croit propre à accélérer 1’«effondrement du régime nordcoréen», qu’il veut voir se produire au lieu de tâcher de contribuer à l’amélioration de la situation dans la péninsule coréenne. Des paroles similaires ont été prononcées par d’autres membres du gouvernement japonais. Muto, ministre japonais des Affaires étrangères, a déclaré: «Si le missile récemment construit venait s’abattre sur le Japon, les dégâts qui en résulteraient seraient incomparables à ceux causés par le séisme qui s’est produit récemment au large au sud-ouest de Hokkaido. Pareilles horreurs 139 sont à prohiber (Tokyo Shimbun, le 14 juillet 1993).» Et tout cela démontre la vision politique et l’approche diplomatique anachroniques des autorités japonaises, «vision et approche négatives». Il est à noter que, en répondant aux questions posées relativement au «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord, seul le chef du Parti communiste, parmi les chefs des neuf partis politiques japonais, a dit qu’«il trouvait impossible une solution adéquate du problème dans le cadre du TNP qui ne tend qu’à assurer le monopole américain des armes nucléaires, et qu’il faudrait, pour y arriver, détruire l’ensemble des armes nucléaires». Tous les autres partis «ont préconisé l’inspection spéciale de l’AIEA». Cela montre que la plupart des partis politiques nippons n’avaient pas une idée claire du problème nucléaire de la péninsule coréenne ni de sa solution fondamentale. Si vraiment le Japon tient à s’ériger en puissance politique, il devra exécuter une tâche importante avant d’espérer obtenir le statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Il devra, en effet, se départir de l’esprit de la guerre froide suranné et mettre fin à ses relations anormales—avec la Corée du Nord— qui constituent le dernier vestige de la guerre froide, pour réparer ainsi ses erreurs passées et exercer son influence en faveur de la solution du problème nucléaire dans la péninsule coréenne et de la réunification de la Corée. S’il continue sur sa lancée actuelle, le Japon finira par se retrouver à la traîne de l’évolution du courant mondial. 140 3. DEUXIEMES POURPARLERS RPDC-USA (De juillet à août 1993) Un tournant dans l’effort pour mettre fin aux relations d’hostilité «Les pourparlers ont fait des progrès et se sont avérés productifs (Kang Sok Ju, premier vice-ministre des Affaires étrangères de la RPDC).» «L’objectif visé a été atteint. On a fait un pas important, bien que modeste (Gallucci, assistant au secrétaire d’Etat américain).» «Un progrès notable a été fait vers la solution du "problème nucléaire" du Nord (porte-parole du ministère sud-coréen des Affaires étrangères).» Les pays intéressés comme les pays et les organisations internationales concernés par le problème nucléaire de la péninsule coréenne s’accordèrent à apprécier favorablement les résultats des deuxièmes pourparlers RPDC-USA. Tout le monde s’est déclaré satisfait des résultats et des perspectives, sauf le ministre japonais des Affaires étrangères, incapable de comprendre le courant de l’époque contemporaine. Il disait: «On ne peut y voir clair, et on ne peut en donner une appréciation globale.» En effet, certains prétendaient: «Les Etats-Unis avaient fait trop de concessions—Habile était la diplomatie nord-coréenne— L’opiniâtreté du Nord a gagné la partie—II fallait prendre garde au stratagème du Nord.» Pourtant, Gallucci a exprimé sa conviction qu’il n’y avait pas de recul dans le règlement du problème, et le département d’Etat américain regardait d’un œil optimiste la situation et les perspectives, 141 ce qui porte à croire que les Etats-Unis aussi y ont gagné beaucoup, loin d’avoir fait des concessions unilatérales. Le communiqué conjoint a indiqué, dans sa dernière partie, que les deux parties discuteraient prochainement des problèmes relatifs à l’établissement de fondations en faveur de l’amélioration globale de leurs relations. Si les Etats-Unis, qui avaient affirmé ne vouloir discuter que du problème nucléaire, ont consenti à discuter de l’amélioration des relations, c’est parce que, estime-t-on, les pourparlers leur ont été profitables. Le communiqué ne s’est point proposé de justifier tout ce qui avait été discuté et convenu entre les deux parties. «Si les pourparlers de New York ont été consacrés à élaborer les principes à respecter dans la solution du problème nucléaire et des autres problèmes d’actualité intéressant la Corée du Nord et les Etats-Unis, ceux de Genève ont servi à élaborer les mesures pratiques à prendre pour leur mise en application (ministère des Affaires étrangères de la RPDC).» C’est bien ce qui montre le caractère des derniers pourparlers qui se sont attachés à travailler à la solution substantielle du problème nucléaire et à l’amélioration des relations RPDC-USA et qui ne se sont pas arrêtés à des marchandages politiques. Et les deux parties, nettement conscientes de la nécessité de ce processus, gravissent maintenant pas à pas l’escalier menant à la réalisation de leurs objectifs communs. Commentant les pourparlers de New York, la Corée du Sud et le Japon blâmèrent les Etats-Unis: «Les Américains ont fait preuve de faiblesse.» Or, un officiel du département d’Etat américain a répliqué, disant: «Il ne faut pas prêter attention à de tels propos; nous, on n’est pas leur commis.» Si le président Clinton a proféré des menaces envers la Corée du Nord, sur la ligne de démarcation militaire dans la péninsule coréenne, lors de sa visite, c’était probablement pour calmer la Corée du Sud. Le New York Times a écrit, le 14 juillet 1993, que le président a témoigné d’un «grand talent dans sa diplomatie asiatique» 142 en ajoutant que, «en promettant de maintenir la présence militaire américaine en Corée du Sud, il a apaisé la Corée du Sud et gagné du temps pour multiplier les contacts diplomatiques (avec la Corée du Nord)». Les médias japonais dirent: «La Corée du Nord a gagné du temps.» Quoi qu’ils en disent, le fait est que les deux parties avaient besoin de temps pour élaborer une solution substantielle de multiples problèmes, à l’abri de l’ingérence d’un tiers. C’est dans cette «perspective» que les deux parties s’engagèrent à reprendre la discussion dans les deux mois qui suivraient la publication de leur communiqué conjoint. Ce serait, d’après le ministère des Affaires étrangères de la RPDC, «la continuation des pourparlers, pour l’élaboration de méthodes pertinentes». Le 27 juillet 1993, à l’occasion du 40e anniversaire de la victoire dans la guerre de Corée, ont eu lieu à Pyongyang un défilé militaire et une manifestation d’un million de citadins. Les médias japonais avaient annoncé qu’il y aurait «une parade militaire d’envergure dépassant même celle de l’année dernière, le 60e anniversaire de la fondation de l’Armée populaire de Corée, et que Kim Jong Il ferait par là même démonstration de son habileté». Mais rien de semblable ne s’est produit: les festivités affectèrent un caractère purement symbolique: sans doute s’est-on rendu compte de la nouvelle tournure que prenaient les relations RPDC-USA. Le premier ministre nord-coréen, Kang Song San, a déclaré, en commentant les résultats des pourparlers, dans son allocution prononcée lors d’un meeting au niveau central, à la veille de la fête, que les pourparlers avaient posé les «fondements de la mise d’un terme aux relations d’hostilité qui durent depuis plus de quarante ans et de la solution fondamentale du problème nucléaire» et que «c’était un événement historique contribuant à la paix en Asie et dans le reste du monde». Le communiqué conjoint a réaffirmé la validité de l’engagement américain de ne pas employer les armes nucléaires, et, bien qu’il ne l’ait pas indiqué explicitement, il était convenu de ne 143 pas déployer d’armes nucléaires et de ne pas réitérer les manœuvres militaires «Team Spirit» en Corée du Sud. Désormais, les Etats-Unis étaient un interlocuteur de la Corée du Nord avec qui elle devait normaliser les relations. C’est la raison pour laquelle la Corée du Nord appréciait les résultats des pourparlers comme faisant date et déclarait que les relations entre les Etats-Unis et elle abordaient un tournant. La livraison de réacteurs à eau légère contribuera à la non-prolifération des armes nucléaires Qu’est-ce qui était à l’origine du «soupçon nucléaire» qu’a l’Occident à l’égard de la Corée du Nord? 1) la Corée du Nord a repoussé l’inspection de l’AIEA certainement afin de gagner le temps de «développer des armes nucléaires». 2) une «pile atomique de taille» devait sûrement être installée à Nyongbyon, ainsi que des «installations de retraitement du combustible usé»; il devait y avoir aussi des «installations de traitement du combustible nucléaire» et un «terrain d’essai d’explosion nucléaire». 3) la quantité de plutonium signalée par la Corée du Nord ne coïncidait pas avec les estimations de l’AIEA, et le taux de formation de cette matière n’était pas au prorata exact du volume de l’eau usée, parce que le Nord devait sans doute en avoir «caché»une bonne partie. 4) on remarquait, en deux endroits à Nyongbyon, des bâtiments et des installations non déclarés qui semblent des «installations de retraitement et de conservation des déchets nucléaires». Voilà en grandes lignes les points censés éveiller le soupçon. Il y en a d’autres encore qui, cependant, ne sont que des suppositions arbitraires, ne méritant pas d’être examinés. Nous n’analyserons 144 donc que les quatres points susmentionnés. Quant au premier point, on doit le tenir pour éclairci, parce que la Corée du Nord a signé avec l’AIEA un accord de garanties aux termes duquel elle a subi six inspections non régulières. Quant au deuxième point, les inspections ont établi que les installations soupçonnées d’être destinées au «retraitement du combustible usé» n’étaient qu’en cours de construction, d’ailleurs, suspendues pour le moment, et qu’elles n’étaient qu’un laboratoire radiochimique. Le directeur général de l’AIEA, M. Blix, a affirmé lui-même que tout était destiné à une «exploitation pacifique de l’énergie atomique». Pour ce qui est du troisième point, la meilleure solution pour l’éclaircir était vérifier les calculs des deux parties, mais l’AIEA n’osait pas exposer ses chiffres. On pourrait très bien tirer au clair le problème du taux de formation en vérifiant les barres de combustible. Bien qu’il n’ait pas été indiqué dans le communiqué, il paraît que la Corée du Nord et les Etats-Unis sont convenus d’admettre la présence de l’AIEA au renouvellement du combustible nucléaire. Nous examinerons le quatrième point un peu plus tard. Si la Corée du Nord et les Etats-Unis sont tombés d’accord sur la livraison de réacteurs à eau légère, c’était pour dissiper complètement le soupçon découlant de ces trois points équivoques. Généralement, on distingue deux types ou deux filières de réacteurs atomiques: la filière uranium naturel-eau lourde ou graphite-gaz carbonique, appelée couramment réacteur à graphite, et la filière uranium 235 enrichi-eau ordinaire, appelée couramment réacteur à eau légère. Le réacteur à graphite est relativement simple et aisé à construire, et le réacteur expérimental de 5 MW installé à Nyongbyon en Corée du Nord relève de ce type. Or, le réacteur à graphite existe en plusieurs types, dont le type britannique Calder Hall et le type soviétique, et le réacteur de la Corée du Nord ressemblait au type britannique. Mais les techniciens nord-coréens, se référant principalement à la technologie russe, ont mis au point une technologie à leur mesure et construit une 145 pile atomique de leur propre cru. Il convient donc de dire plutôt que c’est un réacteur proprement coréen. La Corée du Nord s’est attachée jusqu’ici à élaborer des moyens d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques en installant des réacteurs à uranium naturel-graphite-gaz carbonique et en établissant un système de recyclage du combustible nucléaire. «Le choix était, disait le ministère de l’Energie atomique, le plus approprié qui soit à la réalité de notre pays, bien qu’il ne soit pas avantageux par rapport au réacteur à eau légère.» Premièrement, la filière à graphite permettait à la Corée du Nord de s’assurer l’indépendance et l’autonomie en matière d’énergie atomique; deuxièmement, la Corée du Nord pouvait tirer profit de ses abondants gisements d’uranium naturel; troisièmement, l’ex-Union soviétique qui lui avait fourni la technologie nucléaire développait essentiellement les réacteurs à graphite; quatrièmement, l’Occident monopolisait la technologie du réacteur à eau légère et de l’enrichissement de l’uranium, ce qui rendait difficile pour la Corée du Nord de l’obtenir. Puisque la Corée du Nord a opté pour la filière à graphite, «il est naturel qu’elle étudie et teste les procédés d’extraction du plutonium du combustible nucléaire usé» (Toyota Toshiyuk, professeur honoraire à l’université de Nagoya), et c’est bien ce qui a éveillé le «soupçon nucléaire». Quel que soit le type du réacteur, le combustible usé donne du plutonium, et le réacteur à graphite, plus facilement. Le premier réacteur apparu dans le monde fut celui construit par les Américains, pour fabriquer la bombe atomique, et il relevait aussi de la filière à graphite. C’est ce type de réacteur qu’on exploite encore pour produire le plutonium destiné à la fabrication des armes nucléaires. «Un pays de bonne foi peut très bien exploiter les réacteurs à graphite, mais un pays de mauvaise foi, non, car il peut s’en servir pour fabriquer des armes nucléaires.» Voilà un raisonnement absurde, mais qui a servi de fondement au «soupçon nucléaire» à l’égard de la Corée du Nord. 146 Le réacteur à eau légère peut être agrandi facilement, et il est, diton, d’un coût modéré et plus sûr. On comptait dans le monde 420 réacteurs atomiques en décembre 1993, et 331 d’entre eux sont de type à eau légère, soit environ 80 pour cent. Ainsi, il constitue le type le plus courant. Parce que ce type de réacteur est économiquement et technologiquement supérieur au type à graphite et plus sûr, la Corée du Nord a manifesté de bonne heure son intention de remplacer son réacteur à graphite par celui à eau légère. Elle a fait savoir, en 1992, aux Etats-Unis et à l’AIEA, sa volonté d’arrêter l’étude de la technique de retraitement du combustible usé si les Etats-Unis et le Japon lui fournissaient la technologie du réacteur à eau légère, et, en août de la même année, lors de sa visite en Corée du Sud, le vice-premier ministre nordcoréen, Kim Tal Hyon, en a informé officiellement les autorités du Sud. Les Etats-Unis et la Corée du Sud y ont alors fait la sourde oreille, mais, cette fois-ci, les Etats-Unis ont promis de lui venir en aide, et la Corée du Sud aussi a dit lui offrir sa coopération technologique. Cela parce qu’il est difficile de produire du plutonium dans les réacteurs à eau légère et que seulement un nombre restreint de pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France et l’URSS disposent de la technologie de l’enrichissement de l’uranium; les autres pays devant s’adresser à eux s’ils veulent utiliser de l’uranium enrichi, ce qui rend impossible, pour eux, de se soustraire au contrôle international et à l’inspection de l’AIEA. Gallucci a affirmé que «le réacteur à graphite favorise la prolifération des armes nucléaires, tandis que celui à eau légère en assure la non-prolifération». Sa remarque s’accorde avec celle de Kang Sok Ju: «C’était afin de prouver l’absence chez nous de volonté de développer des armes nucléaires.» En acceptant l’installation de réacteurs à eau légère, la Corée du Nord devra admettre l’arrivée «de matériaux, d’argent, de personnel et de technologie» américains et occidentaux sur son territoire. En d’autres termes, la construction de réacteurs accélérera le processus d’amélioration des relations entre la Corée du Nord et l’Occident. 147 Sans cela, il serait difficile d’installer ce type de réacteur en Corée du Nord. Ainsi le réacteur à eau légère symbolise-t-il des changements qui vont marquer les relations RPDC-USA L’inspection régulière constitue le meilleur moyen de dissiper le «soupçon» La Corée du Nord a déclaré, lors des pourparlers, qu’elle ne pouvait accepter l’«inspection spéciale», et Yakahata l’a commenté, écrivant, le 21 juillet 1993, que cela revenait à «remettre la solution du problème à plus tard», que le problème était que «la discussion était centrée principalement sur le TNP» et qu’«il en était ressorti clairement l’erreur d’avoir fait du problème de la dénucléarisation de la péninsule coréenne l’objet d’un marchandage au profit de l’amélioration des relations entre les deux pays». L’Akahata a-t-il raison? Premièrement, la Corée du Nord s’est opposée à l’«inspection spéciale», parce que c’était, pour elle, une inspection forcée sur ses installations militaires n’ayant rien à voir avec le problème nucléaire. Mais si l’AIEA tenait absolument à les voir, elle pourrait accepter une autre forme d’inspection qui respecte strictement sa souveraineté. Telle a été la position de la Corée du Nord qui rejetait catégoriquement l’«inspection spéciale», de crainte que l’AIEA n’exigeât qu’elle lui montre d’autres installations militaires encore. Deuxièmement, la Corée du Nord ne s’oppose pas au TNP luimême; c’est bien pourquoi elle y a adhéré. Ce qu’elle met en cause, ce sont l’iniquité et l’inégalité. Elle condamne le fait que les pays nucléaires ne remuent pas leur petit doigt pour démanteler les armes nucléaires. Elle s’est efforcée de respecter le TNP, puisqu’on n’en a pas encore trouvé de meilleur. Troisièmement, le problème nucléaire est apparu dans la péninsule coréenne par suite du déploiement des armes nucléaires américaines en Corée du Sud, et il est lié aux relations d’hostilité 148 entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Aussi la solution fondamentale du problème de la dénucléarisation suppose-t-elle l’amélioration de ces relations. Actuellement, on joue un jeu serré: une partie jette la carte de «soupçon nucléaire», tandis que l’autre partie lui riposte par la carte diplomatique qu’est l’amélioration des relations. C’est pourtant un jeu fréquent, voire habituel dans l’arène diplomatique. Or, la Corée du Nord et les Etats-Unis ont mené une lutte intense au sujet du «soupçon nucléaire», plutôt que de «marchander» autour du problème de la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Ils sont convenus cette fois-ci d’appliquer à la rigueur et avec équité l’accord de garanties, et la Corée du Nord a promis de rouvrir ses négociations avec l’AIEA. Ainsi un groupe d’inspecteurs de l’AIEA a-t-il fait un séjour d’une semaine en Corée du Nord à partir du 3 août pour passer en revue les dispositifs de test et renouveler la pellicule de sa caméra de surveillance. Ce fut un premier pas dans la collaboration officielle entre la Corée du Nord et l’AIEA. Peter Hayes, codirecteur de l’Institut Nautilus aux Etats-Unis, a fait remarquer: «L’important était d’inspecter régulièrement les installations signalées par la Corée du Nord. Quant à l’inspection spéciale, elle ne vaudrait que pour vérifier ce que la Corée du Nord a fait dans le passé et ce dont elle disposait en ce moment. Qu’elle rejette l’inspection spéciale ne signifie pas qu’elle veuille disposer de plus importantes quantités de matière nucléaire.» Bref, pour savoir si la Corée du Nord développe ou non des armes nucléaires, il faut effectuer des inspections non régulières, plutôt que spéciales. Certains disaient pourtant que c’était là une tentative pour «gagner du temps» ou une «tactique dilatoire visant à cacher les déchets nucléaires». Ce ne sont que des dénigrements dépourvus de fondement. Même à supposer qu’elle conserve des déchets nucléaires dans les «deux installations suspectes», elle ne pourrait les déplacer ailleurs puisque c’est une matière fortement radioactive. Du reste, elle 149 ne pourrait en obtenir des quantités suffisantes de plutonium pour la fabrication d’armes nucléaires. La Corée du Nord a déclaré qu’elle n’en possédait qu’une «infime quantité», sans pourtant la préciser, et l’Occident estimait qu’elle en disposait d’une quantité suffisante pour la fabrication de «quelques ogives nucléaires». Même si l’on admettait cette hypothèse, il serait téméraire, sinon absurde, de vouloir posséder quelques armes nucléaires, car, avec un aussi pauvre arsenal nucléaire, on ne pourrait frapper aucun pays ennemi. Si la Corée du Nord les employait, elle ne pourrait éviter les représailles nucléaires des Etats-Unis, ce qui la ruinerait totalement. Ainsi, son effort nucléaire n’aurait aucun sens sur le plan militaire et ne pourrait produire à peine qu’un effet éphémère sur le plan politique. L’important dans l’inspection de l’AIEA est de faire fonctionner en permanence les dispositifs de surveillance et de tirer au clair le «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord par des inspections non régulières, d’une part, et, d’autre part, d’analyser les barres de combustible usées pour en comparer les résultats au rapport présenté par les autorités de la Corée du Nord. De cette façon, on pourrait éclaircir sans difficulté tout ce qui est suspect, sans même recourir aux inspections spéciales. S’obstiner à les imposer envers et contre tout revient à vouloir retarder et empêcher la solution du problème nucléaire. 150 4. L’AMELIORATION DES RELATIONS EST L’IMPERATIF DES TEMPS, PASSE ET PRESENT (Février 1994) La «politique de force» sans issue Un an s’était écoulé depuis l’entrée en scène de l’administration Clinton qui se réclamait de «changements». Les opinions à son endroit varient, mais ce qui est clair, c’est que les Etats-Unis n’ont pas pu ne pas tenir compte des changements intervenus dans le monde depuis la fin de la guerre froide et que cela a eu des répercussions, entre autres, sur leur politique envers la péninsule coréenne, le seul et dernier théâtre de la guerre froide dans le monde, région menacée du plus grave danger de guerre. L’objectif stratégique suprême que l’administration Clinton s’est proposé est le désarmement (réduction du budget et des effectifs militaires) et la prévention de la prolifération des armes nucléaires. Il fallait absolument réduire le budget militaire si elle voulait combler l’énorme déficit budgétaire et commercial extérieur et redresser l’économie américaine. Cependant, le département américain de la Défense a publié en septembre 1993 sa «stratégie de riposte simultanée dans deux régions», un «nouveau projet stratégique», qui définissait la Corée du Nord et l’Irak comme de nouvelles menaces apparues après l’écroulement de l’Union soviétique et insistait sur la nécessité de se tenir prêt à leur riposter simultanément le cas échéant. Ainsi, il prétendait faire aller de pair la réduction et l’augmentation des dépenses militaires. Tout en parlant de désarmement général, les Etats-Unis tentaient d’accroître leurs dépenses militaires dans certaines régions du monde. Aussi même au sein du Congrès, du 151 département d’Etat et celui de la Défense, des critiques s’élevèrent en déclarant qu’il est «impossible d’intervenu simultanément dans deux conflits régionaux majeurs». La Corée du Sud aussi l’a décriée. Si les troupes américaines intervenaient dans un conflit coréen éventuel, les Etats-Unis sombreraient inévitablement dans un abîme profond, obligés qu’ils seraient de soutenir de lourdes charges de guerre et de remettre à plus tard le relancement de leur économie; de surcroît, leurs relations avec la Chine empireraient alors que ce pays comptant 1,2 milliard d’habitants constitue un vaste débouché et leur offre la seule et dernière chance de pallier leur déficit commercial extérieur. Ainsi, les Etats-Unis, à eux seuls, ne pourraient supporter les charges de guerre à moins d’y entraîner les pays occidentaux sous une quelconque justification comme lors de la guerre du Golfe. D’autre part, la prolifération nucléaire verticale a pris fin —les Etats-Unis et l’ex-Union soviétique rivalisaient de zèle pour développer les armes nucléaires et augmenter leurs dépenses en ce domaine—, et les Etats-Unis se heurtaient maintenant à la prolifération nucléaire horizontale, les pays non nucléaires cherchant à qui mieux mieux à s’en doter. Pour détruire les ogives nucléaires que l’ex-Union soviétique avait déployées en Ukraine, les Etats-Unis proposèrent à celle-ci leur aide sans conditions pour assurer la sûreté de l’opération et la compensation du coût. Ainsi s’évertuent-ils à arrêter à tout prix la prolifération nucléaire horizontale qui menace leur monopole des armes nucléaires. Le maintien du système du TNP constitue donc le pilier de la «politique de non-prolifération des armes nucléaires» de l’administration Clinton. Cependant, ce traité arriverait à échéance en avril 1995. Pourquoi les Etats-Unis portent-ils tant d’intérêt au «problème nucléaire» de la Corée du Nord et le considèrent-ils comme une grande menace à leur égard? 152 Parce que ce problème touche au sort du TNP et concerne directement la politique américaine en matière de sécurité. Si on laissait la Corée du Nord quitter le traité, ce serait accepter de voir se créer un précédent; d’autres pays, mécontents de l’iniquité du traité, pourraient suivre son exemple ou regimber. D’autre part, il deviendrait plus difficile de persuader les pays qui n’y ont pas encore adhéré comme l’Inde et le Pakistan. Dès lors, loin d’être prolongé sans limitation de durée, le traité aurait, du mal à survivre. Les EtatsUnis n’avaient qu’un an avant l’échéance du traité, et ils s’empressaient d’exercer une pression sur la Corée du Nord en l’accusant d’«user de la tactique dilatoire». Leur «patience a ses limites», disaient-ils. Est-ce qu’ils pouvaient réellement régler le «problème nucléaire» au moyen de sanctions économiques ou militaires? La Corée du Nord a déclaré qu’elle «prendrait des mesures d’autodéfense» contre toute sanction. La sanction finirait donc par la guerre et le retrait de la Corée du Nord du TNP. Alors, l’Occident n’aurait plus de moyen de vérifier si la Corée du Nord dispose ou non d’armes nucléaires. De plus, les Etats-Unis ne pourraient dissuader la Corée du Sud et le Japon qui, pris de peur devant l’épouvantail d’«armes nucléaires» de la Corée du Nord, s’élanceraient à corps perdu à développer leurs propres armes nucléaires. Rien ne garantissait un maintien éternel de l’alliance américano-japonaise et de l’alliance américaino-sud-coréenne. Pourquoi les Etats-Unis ne devraient-ils pas redouter le «potentiel nucléaire» du Japon, plutôt que celui de la Corée du Nord? On estime que les relations américano-nippones finiront par se dégrader, surtout à cause de leur compétition économique. Les Etats-Unis savent bien que le Japon dispose de la technologie et des matières nucléaires (plutonium) nécessaires au développement des armes nucléaires et qu’il veut bien y procéder. Si les Japonais développent des armes nucléaires, l’effort de contrôle nucléaire américain n’aura plus de sens, et la chimère d’avant 1945 ressuscitera. Les Etats-Unis devront changer de fond en comble leur politique nord-coréenne axée sur la 153 «force», ne serait-ce que pour réaliser les tâches qu’ils se sont proposées: le désarmement et la non-prolifération des armes nucléaires. C’est, d’ailleurs, l’impératif de la situation générale de nos jours. Les Etats-Unis doivent régler leur passé Le président Clinton a proclamé, le 3 février, la levée de l’embargo sur le Viêt-nam et annoncé que les deux pays établiraient chacun un office de liaison sur le territoire de l’autre pays. Ainsi les relations américano-vietnamiennes, gelées depuis environ deux décennies après la fin de la guerre du Viêt-nam, prirent-elles la voie de la normalisation. Les deux pays devaient avoir chacun ses arrièrepensées et objectifs. Quoi qu’il en soit, c’est une manifestation de la volonté d’adhésion aux changements intervenus à la suite de la fin de la guerre froide, et l’un des efforts pour l’établissement d’un «nouvel ordre». Cependant, où en sont les relations RPDC-USA, alors que deux fois plus de temps s’est écoulé depuis la fin de la guerre de Corée? «Il y a vingt deux millions d’habitants en Corée du Nord, et ils ne sont pas des "âmes mortes" ... Depuis quarante ans, les Etats-Unis les tiennent encerclés et menacent de les exterminer. N’est-il pas grand temps de se désister?» dit Bruce Cummings, professeur à l’université de Chicago. Non seulement le Japon, mais aussi les Etats-Unis devraient réparer leur passé. Les deux guerres apocalyptiques menées, après la Seconde Guerre mondiale, au temps de la guerre froide, restent une arête dans le gosier des Etats-Unis. Réparer ce passé ignominieux est un devoir majeur que l’histoire leur impose. L’«ombre du Viêt-nam» hante toujours les esprits aux EtatsUnis; la plaie reste béante dans les cœurs et les mémoires. Aucune force ne s’oppose à ce qu’ils se débarrassent une fois pour toutes de cette obsession. Les Etats-Unis peuvent très bien y parvenir pour 154 peu qu’ils le veuillent. Les gens du peuple souhaitent faire un retour sur le passé américain, bien que forte soit encore la tendance à se le justifier... Or, 1’«ombre de la Corée» sombre dans l’oubli au fil du temps, comme un fait appartenant à un lointain passé. De surcroît, un tiers, la Corée du Sud, regardant d’un œil hargneux la Corée du Nord, ne cesse d’implorer les Etats-Unis de ne pas se rapprocher de Corée du Nord. Ainsi les Américains étaient-ils amenés à négliger de dissiper 1’«ombre de la Corée». Or, paradoxalement, c’est un «passé» qui survit dans le présent car la Corée saigne toujours, alors que 1’«ombre du Viêt-nam» est reléguée à un passé à jamais révolu. Les Etats-Unis maintiennent leurs troupes en Corée du Sud, ne cessent d’y déployer leurs armes nucléaires en menaçant ainsi la Corée du Nord au mépris de la convention de paix de l’Accord d’armistice de Corée. C’est une violation flagrante de l’Accord d’armistice, et les Etats-Unis aussi en sont parfaitement conscients. Pourtant, l’important pour eux, dans le cadre de la structure de la guerre froide, était de faire face à l’autre supergrand, l’Union soviétique, et peu leur important le reste, y compris l’observation d’un accord conclu avec un petit pays. Ils n’avaient cure, avec leur mode de pensée arrogant, du sort d’un petit pays. Ce qui comptait pour eux, c’étaient seulement leurs intérêts et ceux du «monde libre» uni par l’anticommunisme. Or, l’Union soviétique s’est effondrée et la guerre froide a pris fin. Il est donc devenu difficile désormais d’user du raisonnement et de la thèse anachroniques d’hier pour se détourner de la question coréenne. Bien plus, à cause du problème nucléaire apparu dans la péninsule coréenne par suite du déploiement de leurs armes nucléaires en Corée du Sud et du «soupçon nucléaire» qu’ils nourrissaient à l’égard de la Corée du Nord, ils n’ont pu que venir s’asseoir à la table de négociations proposée à maintes reprises par la Corée du Nord. Ironie de l’histoire? De toute façon, il a fallu attendre quarante ans pour «discuter des problèmes», discussion que l’on aurait dû faire, aux termes de l’Accord d’armistice, «dans les trois mois» qui suivaient sa signature. Même si l’on admet que c’était l’espace de temps 155 nécessaire pour balayer les vestiges de la guerre froide, on ne peut pas ne pas y voir l’arrogance et la mauvaise volonté d’un supergrand. Le secrétaire général de l’ONU Boutros Ghali a dit, lors de sa visite en Corée du Nord à la fin de 1993, en soutenant l’idée de remplacer l’Accord d’armistice par un accord de paix: «Je suis sûr que le commandement des forces des Nations unies en Corée du Sud sera dissous.» Et tout porte à croire que cette affirmation se fonde sur les signes évidents de progrès des relations RPDC-USA. L’ONU s’est donc mise à travailler à la solution du problème coréen. C’est un fait de haute importance qui ne manquera pas de donner un vif impact aux Etats-Unis. D’ailleurs, même aux Etats-Unis des voix sensées s’élevèrent. Glenn Paige, professeur émérite à l’université d’Hawaii, a dit qu’il fallait aborder la Corée du Nord avec amitié et modestie et tâcher de la comprendre. Harrison, associé supérieur au Carnegie Endowment for International Peace, a dit que l’on devrait payer des rémunérations, des récompenses, dont la conclusion d’un traité de paix, pour assurer l’efficacité des inspections nucléaires. (Or, le changement de la politique américaine n’est pas une récompense, mais un devoir des Etats-Unis: c’est à eux de mettre fin à la structure de la guerre froide qui subsiste dans la péninsule coréenne.) Les deux hommes ont demandé à l’administration américaine d’abandonner le vieux mode de pensée propre au temps de la guerre froide et de changer sa politique nord-coréenne. Ce faisant, elle n’aurait, d’après eux, rien à perdre. Bien au contraire, les Etats-Unis et la Corée du Sud y gagneront beaucoup plus qu’ils ne le pensent. Le danger d’une nouvelle guerre dans la péninsule coréenne s’éclipsera et toute crainte s’effacera. Bien plus, on y découvrira un nouveau débouché. Par-dessus tout, les Etats-Unis pourront, en tant qu’artisan du drame de la division coréenne, expier leurs erreurs passées. Ils ne gagneront rien à accroître la tension en prenant à partie le socialisme de la Corée du Nord. Il est grand temps de mettre un terme à la guerre froide et de réparer toutes les erreurs passées. 156 Comment vaincre la peur? Les hauts fonctionnaires de l’administration américaine se mirent de nouveau à élever la voix pour préconiser les «sanctions» contre la Corée du Nord. L’ambassadeur américain à l’ONU a déclaré le 4 février devant ses homologues des autres pays membres permanents du Conseil de sécurité que les Etats-Unis examinaient une motion de sanctions économiques contre la Corée du Nord. D’autre part, il a prié la Chine de «persuader» la Corée du Nord d’accepter les inspections de l’AIEA avant le 21 courant, date prévue pour la tenue d’une scéance de son Conseil, en ajoutant que ce serait 1’«ultimatum». Mais jusqu’ici, bien qu’on eût parlé beaucoup de «sanctions» ou d’«ultimatum», rien de pareil ne s’était produit. Et cette fois-ci, serait-ce vrai? Les médias américains ont mené une campagne de propagande sans précédent au sujet du «problème nucléaire» de la Corée du Nord. Pourtant, malgré l’agitation fiévreuse de la presse, les durs restent peu actifs. Du reste, la vision extrémiste repose, non pas sur une thèse pertinente, susceptible d’apporter une quelconque solution au «problème nucléaire», mais sur la vieille «diplomatie de la canonnière» axée sur la suffisance: comment peut-on avaler des couleuvres face à un petit pays comme la Corée du Nord? Or, durs ou modérés, tous éprouvaient, malgré eux, une peur maladive face à elle, et pour cause. Les Etats-Unis, ce supergrand, n’ont pu, pour la première fois de leur histoire, sortir victorieux de la guerre de Corée. La Corée du Nord constitue donc pour eux un adversaire, non pas négligeable, mais bien redoutable. L’attitude de la Corée du Nord après sa déclaration de son retrait du TNP et la fermeté qu’elle avait manifestée aux pourparlers avec les Etats-Unis ont dû, sans doute, réveiller la peur ancienne des Américains: «Notre "politique de force" n’essuyerait157 elle pas un nouvel échec face à la "tactique de la guerre de guérilla"?» Tous les «simulacres de seconde guerre de Corée» effectués aux Etats-Unis établirent que les Etats-Unis y subiraient d’énormes pertes, et que ce serait une guerre éprouvante, incomparablement plus difficile que celle du Golfe. Ils ne pourraient employer les armes nucléaires parce que la Corée du Sud et le Japon en subiraient les retombées. Les cendres pourraient arriver jusqu’aux Etats-Unis, transportées par les vents. Même dans le cas d’une guerre à armes conventionnelles, la Corée du Nord, en ripostant, pourrait détruire les centrales atomiques sudcoréennes, qui ne manqueraient pas de répandre des matières radioactives. Qu’est-ce que les Américains pensent d’une guerre éventuelle en Corée? Voici les résultats du sondage d’un échantillon de mille électeurs pris à l’échelle nationale. 46 pour cent préconisaient de «poursuivre les démarches diplomatiques», 34 pour cent, de «demander à l’ONU d’appliquer des sanctions économiques», et 11 pour cent seulement, d’«entreprendre des opérations militaires». Ces pourcentages sont en vif contraste avec ceux notés lors de l’attaque américaine contre l’Irak. Quelles en sont les raisons? (1), la Corée du Nord ne peut en rien être accusée d’agression comme ce fut le cas de l’Irak contre le Koweït; (2), 1’«anticommunisme» affiché par les Etats-Unis comme objectif majeur de l’Etat n’a plus de sens; (3), les Américains se sentent maintenant las de leur rôle de «police internationale», et, après la fin de la guerre froide, ils n’en ressentent plus aucune nécessité ni n’ont la force de l’assumer; (4), ils ont peur de la Corée du Nord. Ayant essuyé des déboires amers en Bosnie, en Somalie, au Haïti, ils souhaitent un «revirement» dans la diplomatie américaine. Quelles sont alors les «mesures d’autodéfense» que veut prendre la Corée du Nord? Celle-ci et les Etats-Unis se trouvent dans l’état de suspension du conflit. C’est l’Accord d’armistice 158 qui empêche la guerre de se rallumer, mais les Etats-Unis se sont jusqu’ici conduits au mépris de l’Accord en le violant brutalement. Si dans cette circonstance on infligeait des sanctions économiques à la Corée du Nord, on ne pourrait plus respecter l’objectif de l’Accord qui est de «réaliser un cessez-le-feu complet garantissant la suspension de tout acte d’hostilité et de toute action militaire en Corée». La Corée du Nord pourrait alors dénoncer l’Accord d’armistice aux termes de la «convention de Vienne sur le droit de l’accord», et la situation se dégradera rapidement pour rétrograder au temps de la guerre de Corée. Ce ne serait alors plus un danger de guerre imminent, mais une guerre réelle. Les Américains eux-mêmes ont reconnu que «la peur constitue le facteur majeur de la politique nord-coréenne des Etats-Unis» (Washington Post). La prise de position pour la confrontation n’a fait que raviver la peur. L’unique moyen pour la vaincre est d’établir de bonnes relations entre les deux pays. 5. VERS LA CONFIANCE MUTUELLE —ACCORD-CADRE RPDC-USA— (D’octobre à novembre 1994) «Problème nucléaire» et problème nucléaire Kang Sok Ju, représentant de la RPDC qui avait signé le 21 octobre 1994 l’accord-cadre RPDC-USA, a répondu, un sourire éloquent aux lèvres, aux questions posées par des journalistes: «L’accord-cadre RPDC-USA constitue un document historique, indique l’itinéraire pour la solution du problème nucléaire dans la péninsule coréenne. Il précise les mesures concrètes à prendre pour apporter une solution fondamentale à ce problème, consécutif aux relations anormales entre notre pays et les Etats-Unis.» 159 La Corée du Nord distingue nettement le prétendu problème nucléaire du vrai problème nucléaire. En effet, c’est très important car l’un et l’autre diffèrent beaucoup par leur contenu. Le «problème nucléaire» est soulevé par l’Occident qui soupçonnait la Corée du Nord de «développer des armes nucléaires», et c’est en vertu de ce soupçon que les Etats-Unis et l’AIEA demandèrent à inspecter certaines installations en Corée du Nord. Mais la Corée du Nord leur a répliqué qu’elle n’avait rien à voir avec leur «problème nucléaire», car elle n’avait eu aucune intention ni la capacité de développer des armes nucléaires. Le vrai problème nucléaire est le fait des Etats-Unis qui ont déployé leurs armes nucléaires et se livrent à des manœuvres de guerre nucléaire en Corée du Sud, menaçant ainsi gravement la Corée du Nord. C’est donc un problème sérieux concernant l’ensemble de la péninsule coréenne, ayant pour genèse les rapports d’hostilité et de méfiance qui existent de longue date entre les deux pays. Le «problème nucléaire» est un dérivé du problème nucléaire, et il est fondé sur un soupçon totalement gratuit. Aussi, on ne peut jamais le résoudre à moins de résoudre le vrai problème nucléaire. Il faudrait donc, si l’on veut éclaircir le «soupçon nucléaire», mettre un terme aux rapports d’hostilité et promouvoir la confiance mutuelle entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Les autorités américaines ont déclaré qu’«elles en étaient venues à connaître la Corée du Nord au bout de seize mois de pourparlers». Cela signifie qu’elles ont reconnu enfin les différences existant entre le «problème nucléaire» et le problème nucléaire et leur corrélation. Même si le «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord était dissipé, celle-ci subirait toujours la menace nucléaire tant que ne sera pas résolu le problème nucléaire dans la péninsule coréenne. La source du danger nucléaire persistera et la tension se maintiendra dans cette partie du monde; la paix et la sécurité en Asie seront en cause. 160 Autrement dit, même si on effectuait 1’«inspection spéciale» réclamée par les Etats-Unis, ceux-ci ne pourraient nullement être en «sûreté». Cependant, la Corée du Sud et le Japon qui ne peuvent ni ne veulent comprendre ce mécanisme de l’évolution s’évertuent à entraver les pourparlers RPDC-USA, en réclamant l’«inspection spéciale» comme le préalable à l’amélioration des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. C’est le comble de l’absurdité. La Corée du Nord ne s’oppose pas à ce que soit tiré au clair le «problème nucléaire», mais elle ne peut en aucune façon admettre 1’«inspection spéciale», car c’est une inspection forcée et injuste de ses ouvrages militaires. On ne peut montrer le dessous de sa cuirasse à son adversaire. La mise d’un terme aux rapports d’hostilité et l’amélioration des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis sont le préalable à la solution du problème nucléaire, et de son prétendu homologue, voilà ce qu’entendait Kang Sok Ju par «solution fondamentale». La Corée du Nord a proposé, à cet effet, une solution permettant de régler simultanément les deux problèmes, acceptable aux deux parties: solution globale et actions simultanées. L’accord-cadre RPDC-USA les incarne, en indiquant les mesures à prendre pour la solution fondamentale du problème nucléaire et l’amélioration des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis, et précise le calendrier des actions simultanées des deux parties. Il n’y a eu aucune divergence là-dessus. Les chefs des deux Etats les ont entérinés, ont ordonné de signer l’accord et en ont donné les garanties. Il n’y avait pas d’autre choix. Aussi la Corée du Sud, le Japon et l’AIEA l’ont-ils approuvé bon gré mal gré. Ils ont dit oui pour le «présent» et le «futur», mais ils ont exprimé mécontentement du fait que la vérification du «passé» fut ajournée, ce qui montre qu’ils n’ont pas compris ce qu’est le problème nucléaire. Or, les Etats-Unis estimaient essentiel d’empêcher la Corée du Nord de «produire des armes nucléaires» «à présent» et «à l’avenir», la vérification de ce qui est du «passé» n’étant pas si 161 pressante à leurs yeux. Ce n’est donc pas sans raison si Gallucci, représentant américain, a déclaré avec conviction: «L’accord-cadre, par son contenu, pouvait faire face, à tous égards, au passé, au présent et au futur en ce qui concerne l’inquiétude concernant le programme de développement nucléaire de la RPDC, et il répond aussi aux intérêts de la Corée du Sud et du Japon.» Renonçant à insister sur la vérification du «passé», les Etats-Unis ont reçu la promesse formelle de la Corée du Nord de le rendre transparent en temps opportun. Ils ont compris, en tant que partie intéressée par la solution du problème nucléaire, que la solution fondamentale de ce problème est la seule voie du règlement pacifique du «problème nucléaire». Le «présent» et le «futur» priment le «passé» Les Etats-Unis ont décidé, lors d’une réunion conjointe des responsables des divers départements, convoquée en avril, de s’attacher en priorité à amener la Corée du Nord à «arrêter» son programme nucléaire et, après, de tirer au clair son «passé» au fur et à mesure de l’amélioration des relations RPDC-USA, plutôt que d’insister sur la vérification de sa quantité de plutonium et de son «utilisation» à des fins militaires, à la «fabrication d’armes nucléaires». Evidemment, pour dissiper totalement le «soupçon nucléaire», il faudrait mettre à jour toutes ses activités nucléaires «passées», «présentes» et «futures». Mais il est question de savoir quand y procéder. En vertu de son statut spécifique dû à ce qu’elle a cessé pour un moment d’exercer ses droits de pays membre du TNP après avoir déclaré son retrait, la Corée du Nord a déclaré ne pouvoir accepter 1’«inspection non régulière» qui sort du cadre de l’inspection régulière. C’est dire qu’elle pourrait rendre transparent son «passé», n’importe quand, dès qu’elle aurait quitté son statut spécifique 162 actuel. Les Etats-Unis, après de longues négociations, ont fini par rendre justice à la Corée du Nord. Du reste, l’AIEA a déjà entrepris de vérifier son «passé». Lors de sa troisième inspection, en mars, la Corée du Nord, tenant compte du fait que les Etats-Unis avaient retiré leur idée d’échange d’envoyés spéciaux entre le Nord et le Sud comme condition préalable à l’ouverture des troisièmes pourparlers, a admis, par exception, l’inspection de son laboratoire radiochimique, qu’elle avait refusée jusque-là. Commentant les résultats de cette inspection, les Etats-Unis ont déclaré «ne pouvoir dire qu’il était destiné à des fins militaires». Mais, peu de temps après, un autre problème s’est posé: la Corée du Nord devait renouveler les barres de combustible dans son réacteur atomique expérimental de 5 MW. Elle en a informé à plusieurs reprises l’AIEA tout en solicitant sa présence sur les lieux. La période de renouvellement du combustible étant révolue depuis longtemps, il était dangereux de continuer de faire travailler le réacteur dans cet état, et, de surcroît, son système de ventilation est tombé en panne. L’AIEA lui a demandé de l’informer de la façon dont elle trie et conserve les barres de combustible et de lui permettre d’en prélever un échantillon. Or, comme cela relève de l’inspection non régulière, la Corée du Nord a refusé net de s’y conformer. Il est convenu de renouveler le combustible en présence de l’AIEA et de sceller et conserver les barres de combustible usées sous sa surveillance de façon à en prélever un échantillon et à le tester le cas échéant. Pourtant, l’AIEA a insisté et son directeur général Blix a déclaré unilatéralement qu’«on n’a jamais eu l’occasion d’assister au triage et à la conservation de barres de combustible et qu’on ne peut assurer que la matière nucléaire ne soit pas utilisée à des fins militaires». Vinrent ensuite la «déclaration» du président du Conseil de sécurité de l’ONU, la «résolution de sanctions» de l’AIEA, la déclaration par la Corée du Nord de son retrait de celle-ci. Ainsi, la situation s’est rapidement dégradée. 163 A première vue, on a l’impression d’être en présence d’une affaire extrêmement complexe, mais, à y regarder de près, on comprend bien que, pour violente qu’elle soit, la polémique se ramène à la question de définir la période de l’inspection. En effet, c’est là que réside le fond du problème, bien qu’il puisse paraître secondaire aux yeux des non-initiés. Car ce problème concerne différentes visions et modes de vérification du «passé»: l’entreprendre dans la perspective de l’amélioration des relations (par la Corée du Nord et les Etats-Unis) ou pour s’en servir comme moyen de pression politique ou comme condition préalable à l’amélioration des relations RPDC-USA (par l’AIEA, la Corée du Sud et le Japon). Le but de l’examen des barres de combustible est, (1), d’empêcher de les utiliser à des fins militaires en les faisant conserver sous la surveillance de l’AIEA dans une cuve remplie d’eau de refroidissement (le problème de présent et d’avenir); (2), de préciser le processus d’opérations (passé) et de calculer la quantité de plutonium obtenue, au moyen du test de l’échantillon (le problème de passé). Quant au premier objectif, on pourrait dire qu’il a été réalisé puisque les barres sont conservées sous la surveillance de l’AIEA et qu’un de ses inspecteurs est présent sur les lieux. Seulement, comme on doit attendre que le combustible usé refroidisse suffisamment pour le manipuler, l’AIEA devrait indiquer comment il faudrait s’y prendre. Pour ce qui est du deuxième objectif, tout le processus de renouvellement du combustible se trouve enregistré par le menu, et «la circulation des barres de combustible dans la cuve et l’ordre de leur disposition peuvent, si nécessaire, être restaurés exactement comme ils l’étaient auparavant» (Direction générale de l’énergie atomique de la RPDC). Cela montre qu’on dispose de toutes les conditions et possibilités requises pour éclaircir le «passé». Ainsi, bien qu’on ait changé de barres de combustible, tous les éléments 164 sont disponibles pour vérifier comme il faut le «passé», le «présent» et le «futur». L’important est d’entamer des négociations pour discuter des moyens d’améliorer les relations entre la Corée du Nord et les EtatsUnis, en vue d’amener la Corée du Nord à réintégrer le TNP, de mettre au plus tôt un terme à son statut spécifique actuel et de réunir les conditions nécessaires à la vérification de son «passé». Un accord profitable aux deux parties «L’hypothèse même de votre question est erronnée», telle a été la réponse péremptoire du représentant américain Gallucci lors de sa conférence de presse du 18 octobre 1994, après l’adoption du projet d’accord-cadre RPDC-USA, à la question: «N’a-t-on pas commis une erreur de taille, en promettant l’aide, pris de peur devant la menace de la carte nucléaire?» L’opinion publique a approuvé et apprécié favorablement l’accord-cadre, cependant des critiques n’ont pas manqué: «Une résolution indigne de l’administration américaine (Washington Post)— Un simple retardement de la crise (un congressiste républicain)— La Corée du Nord a obtenu des avantages inespérés—Les Etats-Unis ont fait trop de concessions.» La critique invoque divers arguments, mais on peut les résumer en trois points: premièrement, on a ajourné de cinq ans la vérification du «passé»; deuxièmement, on a cédé à la Corée du Nord qui «a violé» le droit international; troisièmement, on a sauvé la Corée du Nord au bord de 1’«écroulement». Commençons par examiner le premier argument. La Corée du Nord a affirmé n’avoir jamais tenté de construire d’armes nucléaires. Autrement dit, il n’existe chez elle aucun problème du «passé». S’il y en a quand même, c’est le problème de la différence des quantités de plutonium, calculées respectivement par la Corée du Nord et l’AIEA. Si, toutefois, on tient à vérifier 165 son «passé», il faudra commencer par dissiper l’hostilité et la méfiance entre les deux pays, sous-jacentes à cette obstination. Or, la confiance demande un certain temps pour être installée. Ce ne doit certes pas être un temps pour «cacher» ou «produire» des «armes nucléaires». Quand on est décidé à promouvoir la confiance mutuelle, on n’est guère pressé, cela va de soi, de vérifier le «passé». Si la Corée du Nord refuse de se prêter à l’examen de son «passé» ou si elle tente de développer des armes nucléaires, les relations entre elle et les Etats-Unis empireront immédiatement, et tous les efforts consentis jusqu’ici par les deux parties seront vains. Or, la Corée du Nord qui, depuis longtemps, cherche à améliorer ses relations avec les Etats-Unis ne voudrait pas, pour sûr, laisser échapper l’occasion propice qui enfin se présente. Quant à sa déclaration du retrait du TNP, la Corée du Nord s’est conduite dans le cadre des normes du traité, et on ne peut rien lui reprocher. Bien plus, c’est l’AIEA et les Etats-Unis qui l’ont contrainte à agir ainsi. «Il n’y a pas de preuve sûre que la Corée du Nord possède des armes nucléaires. Cependant, les Etats-Unis ont dit qu’"elle devait en disposer", et ils doivent maintenant réparer leur faute. Le cas diffère de celui de l’Irak qui a encouru une sanction pour avoir envahi un autre pays», a dit Komaki Teruo, chef du bureau d’étude des mouvements de l’opinion publique à 1’«Institut des affaires économiques asiatiques» (Yomiuri Shimbun, le 29 octobre 1994). Contrairement à l’attente de l’Occident, aucune confusion, aucun bouleversement ne s’est produit en Corée du Nord, malgré l’effondrement de l’Union soviétique et autres pays socialistes d’Europe de l’Est, la fin de la guerre froide et le décès du Président Kim Il Sung. Le règlement des problèmes par voie de négociations répond aux intérêts de l’Occident également. La Corée du Nord et les Etats-Unis, en travaillant ensemble à éclaircir le «soupçon nucléaire» et à résoudre le problème nucléaire, se rapprochant l’un de l’autre, sont parvenus à se connaître l’un 166 l’autre. Si l’on blâme les Etats-Unis d’avoir fait trop de concessions, ceux-ci n’ont cependant rien perdu. Le New York Times a écrit que «le présent accord a posé des exigences plus importantes que celles du TNP, y compris l’arrêt de la construction de grands réacteurs atomiques à graphite». Ainsi, les EtatsUnis ont pu «se rassurer». Les deux parties ont discuté sérieusement des «problèmes politiques relatifs à la solution fondamentale du problème nucléaire dans la péninsule coréenne» (Kang Sok Ju, représentant de la RPDC) et ont ouvert des perspectives d’amélioration des relations RPDC-USA. C’est là l’aboutissement de l’effort de recherche des moyens les plus rationnels et pertinents pour résoudre les problèmes. C’est le plus important des succès obtenus par la Corée du Nord qui désire transformer la péninsule coréenne en zone de paix et dénucléarisée. L’équilibre politique et diplomatique délicat qui régnait dans cette région au temps de la guerre froide a été brisé par suite de l’établissement par la Corée du Sud des relations diplomatiques avec la Russie et la Chine, il en est résulté de nouveaux facteurs d’instabilité en Asie du Nord-Est. De surcroît, la menace nucléaire américaine permanente, le resserrement de l’encerclement militaire et politique par les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, l’invention du «soupçon nucléaire» et autres ont aggravé à l’extrême la tension militaire. La Corée du Nord a intérêt à mettre au plus tôt un terme à cette situation critique, tandis que les Etats-Unis, n’ayant plus aucun prétexte de faire durer la tension dans la péninsule coréenne après la fin de la guerre froide, se voient contraints de participer à l’effort d’établissement d’un «nouvel ordre international» et de réparer leurs erreurs passées envers la Corée du Nord. Les intérêts et les objectifs des deux pays coïncidaient donc pour l’essentiel, d’où l’adoption dudit accordcadre. 167 La guerre ou le dialogue? Les Etats-Unis ont remporté une «victoire historique» dans la guerre du Golfe, et le régime Bush a marqué un taux d’appui record, mais Hussein n’en reste pas moins président de l’Irak, et sa «menace», loin de disparaître, est devenue un casse-tête, un «fardeau» pénible pour les Etats-Unis. Quand les troupes irakiennes s’étaient massées sur la frontière koweïtienne, dans la première décade du mois d’octobre, la situation militaire s’est de nouveau aggravée dans le golfe Persique. Clinton y a expédié d’urgence des forces, un porte-avions, des fusiliers marins, des unités motorisées. L’Irak a alors retiré précipitamment ses troupes en arguant de «manœuvres de routine». L’Irak, en usant de cette «tactique d’incitation», cherche à s’attirer l’attention de l’Occident et des pays du Golfe, pour ensuite les pousser à demander la levée des sanctions économiques de l’ONU. La France s’oppose au projet américain d’«établissement d’une zone exclue de tout déploiement militaire» dans le sud de l’Irak, tandis que la Russie et la Chine préconisent la levée des sanctions. Cependant, les Etats-Unis n’ont pas approuvé la révocation des sanctions ni n’ont retiré leurs troupes, car ils estimaient que l’Irak pouvait à tout moment masser ses troupes sur la frontière koweïtienne. Scott Snyder, officier de l’Institut américain de paix, chargé du programme, a lancé cet avertissement: «L’expédition de troupes américaines dans la région du Golfe nous coûte des centaines de millions de dollars. Si l’Occident n’entame pas le dialogue avec l’Irak, Hussein poursuivra son jeu à sa manière ... Si l’on s’obstine à maintenir la présence militaire américaine outre-mer au niveau actuel, le "bateau d’America", surchargé de matériels de guerre, finira à coup sûr par sombrer.» 168 Actuellement, les Etats-Unis, donnant prise à la tactique de l’Irak, se trouvent dans une mauvaise passe et ne savent sur quel pied danser. Le Parti démocrate est battu par le Parti républicain à l’off-year élection, et il est devenu plus difficile pour Clinton de jouer son rôle de timonier. Snyder a poursuivi: «Les Etats-Unis ne doivent pas produire un second Irak sur notre planète.» Si la tension militaire s’aggrave à l’extrême dans la péninsule coréenne et amène une seconde guerre de Corée, le «bateau d’America», grevé de lourdes charges de guerre et de pertes incalculables en vies humaines, coulera inévitablement. On parlait à cor et à cri depuis une demi-année de sanctions économiques à appliquer contre la Corée du Nord à l’instigation américaine, mais celle-ci a déclaré d’un ton ferme qu’elle considérerait toute sanction comme une provocation militaire à son endroit et répondrait «à la guerre par la guerre», «au dialogue par le dialogue». Ainsi, si l’on avait renforcé les sanctions, la tension aurait pu dégénérer en un conflit militaire. Jon Wolfsthal, chercheur supérieur et analyste des problèmes de non-prolifération à l’Association de contrôle des armes, a apprécié l’accord-cadre en ces termes: «L’accord vaut beaucoup mieux que le désaccord pouvant entraîner un conflit militaire dans la péninsule coréenne.» L’accord-cadre RPDC-USA permet de parer au pire et de régler à l’amiable les problèmes litigieux, dont le problème nucléaire, par voie de négociations, par la voie pacifique. Voilà où réside le sens profond de cet accord. C’est un aboutissement logique de l’évolution de l’histoire ou, mieux encore, le beau fruit des efforts des deux parties interlocutrices. La Corée du Sud et le Japon aussi devraient s’en féliciter. Certains médias nippons disaient cependant tout en révélant leur myopie: «Pourquoi le Japon doit-il débourser?» Yoshida Yasuhiko, professeur à l’université de Saitama, a fait remarquer: «On estime environ à un milliard de dollars la charge financière du Japon, et le ministère des Affaires étrangères affirme que c’est un prêt, et non une aide gratuite. La somme est maigre comme 169 fonds à verser en vue d’assurer la sécurité.» En effet, si c’est une somme destinée à dissiper le «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord et à écarter les «facteurs d’instabilité» en Asie du Nord-Est, elle n’est nullement importante. Le Japon a versé neuf milliards de dollars pour la guerre du Golfe, sans pourtant recevoir aucun «remerciement» de l’Occident, et 1’«effort» nippon consenti pour la solution du problème de l’Irak est resté sans répercussion. Un expert américain en problème coréen a noté, envisageant la perspective de la solution du problème: «Bien qu’on dise que la livraison de réacteurs à eau légère est une récompense trop coûteuse, les Etats-Unis auront à y gagner beaucoup si la Corée du Nord s’exécute correctement.» L’accord-cadre RPDC-USA offre ainsi un gage sûr de la promotion des intérêts et de la sécurité de l’Occident. La guerre n’apporte rien de bon ni ne résoud aucun problème. Elle n’entraîne qu’une flambée de haine et d’hostilité, qui persistera indéfiniment. Comme le montre la guerre du Golfe, la victoire n’apporte pas de solution aux problèmes litigieux. Seul le dialogue, même pénible, peut donner des résultats positifs et permettre de régler à l’amiable les contentieux internationaux. Le dialogue RPDC-USA, qui a duré un peu plus d’un an, a démontré à l’évidence la validité des contacts pour résoudre les problèmes, promouvoir la confiance mutuelle par des moyens pacifiques, et non par la guerre. Vers la dénucléarisation de la péninsule coréenne, sa transformation en zone de paix «Il se peut que pas mal de gens ne le comprennent pas. La production d’importantes quantités de plutonium (par la Corée du Nord par exemple) n’est pas une violation des normes de l’AIEA et du TNP», a dit Gallucci pour insister sur la pertinence de l’accord de principe RPDC-USA, se permettant ainsi de prendre à partie même l’AIEA et le TNP. Qu’il le veuille ou non, il a reconnu par là même 170 l’impéritie de ceux-ci à traiter un problème aussi complexe que le problème nucléaire de la péninsule coréenne. Vu les limites des mesures prises par l’AIEA et la déclaration par la Corée du Nord de son retrait du TNP, la seule carte qui restait à la portée des deux parties était le dialogue. Le TNP a pour mission d’assurer la non-prolifération des armes nucléaires, mais il ferme les yeux sur l’extension des arsenaux nucléaires des cinq pays nucléaires et tend seulement à défendre aux pays non nucléaires de se doter d’armes nucléaires. Ce système souffre donc d’une série d’imperfections: (1), il est partial; (2), il fait deux poids et deux mesures; (3), il ne dispose ni du pouvoir ni du moyen de contrôler les non-membres et les pays qui le quittent; (4), il est incapable de réaliser le démantèlement complet des armes nucléaires et de dénucléariser notre planète. On s’en rendait compte depuis longtemps, mais c’est face à l’attitude énergique adoptée par la Corée du Nord pour la solution du problème nucléaire que se sont révélés ces défauts de façon plus évidente. Cependant, certains n’en critiquaient pas moins l’accord-cadre RPDC-USA: «A la différence de la solution d’Ukraine, 1’"accord" constitue "le pire exemple qui soit": en violant de façon flagrante le TNP et en refusant obstinément l’inspection de l’AIEA, on peut obtenir aisément des "cadeaux", tels que l’aide économique et technologique et l’amélioration des relations diplomatiques. Un tel mode de dialogue insolite a été admis pour la première fois sur la scène internationale (Yomiuri Shimbun, le 25 octobre 1994).» «Si un autre pays veut suivre l’exemple de la Corée du Nord, on ne pourra l’en empêcher—On a à craindre que certains d’entre les pays sollicitant une aide ne brandissent à leur tour la carte nucléaire—C’est une conciliation blâmable, un exemple répréhensible—Le TNP risque de devenir paperasse— C’est un autre exemple d’iniquité», les médisances, pleines de fiel, n’en finissaient pas. Evidemment, tous ces dénigrements prenaient, au fond, le parti des pays nucléaires et visaient à maintenir le TNP malgré ses défauts 171 évidents, tout en conservant tels quels les privilèges de ceux-là, soit à maintenir le vieux système inéquitable qui permet aux pays nucléaires de se conduire de façon arbitraire et impose des iniquités aux pays non nucléaires. Mais, de cette façon-là, on ne pourra jamais résoudre le problème nucléaire sur notre planète. Le dialogue et l’accord RPDC-USA ont dégagé un nouvel horizon pour la non-prolifération nucléaire et la solution du problème nucléaire; ils ont aussi précisé le moyen de remédier aux imperfections du TNP et proposé une nouvelle approche de la nonprolifération nucléaire. Et plus particulièrement, ils ont confirmé pour la première fois la vérité que les pays non nucléaires, les pays petits et faibles, constamment sous la menace nucléaire, peuvent bel et bien l’écarter s’ils luttent résolument, sans céder à la pression des supergrands. L’accord-cadre RPDC-USA constitue un premier document diplomatique relatif au «contrôle de l’armement nucléaire» en Asie, et un premier pas vers l’établissement dans cette région d’une première zone dénucléarisée, zone de paix. On ne peut dénucléariser le monde même si l’on se laisse inspecter par l’AIEA ou qu’on exécute loyalement les obligations découlant du TNP. D’autre part, à exécuter fidèlement les demandes partiales de ceux-ci, on ne fait que s’exposer sans défense à la menace nucléaire. D’où les nombreuses difficultés qu’a dû surmonter le dialogue entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, ces derniers ont promis à l’autre, pour la première fois de leur histoire, de ne pas le menacer avec leurs armes nucléaires. Ils doivent aussi avoir pensé à empêcher la Corée du Sud et le Japon de développer des armes nucléaires, mais l’essentiel est qu’ils ont consenti à dénucléariser la péninsule coréenne. Comme il a été confirmé lors de l’entretien Kim Il SungCarter, les pourparlers RPDC-USA se sont déroulés à la lumière de l’esprit de la Déclaration conjointe sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne et ont été couronnés de résultats excellents. 172 Carter aussi a exprimé satisfaction: «On peut dire qu’on a tenu parole.» Seulement, ledit accord vise non seulement à éclaircir le «problème nucléaire», mais aussi à résoudre à fond le problème nucléaire. Il est destiné à établir un nouveau système de nonprolifération nucléaire, y compris la dénucléarisation de la péninsule coréenne, et non à assurer l’observation unilatérale du TNP. L’application de l’accord et la promotion de la confiance mutuelle Pendant le mois qui s’est écoulé depuis la signature de l’accord-cadre RPDC-USA, la Corée du Nord s’est employée à s’exécuter fidèlement. Elle a décidé d’arrêter la construction de ses deux réacteurs à graphite, respectivement d’une puissance de 50 000 kW et d’une puissance de 200 000 kW, et a évacué les barres de combustible préparées pour remplacer celles qui étaient usées. D’autre part, elle a fait tout son possible pour assurer un déroulement édifiant et fructueux aux discussions entre les experts de la Corée du Nord et ceux des Etats-Unis au sujet de la conservation en sécurité et du traitement définitif du combustible usé; elle a permis, par exception, à la délégation américaine d’inspecter ses installations atomiques de Nyongbyon et a accepté, après dialogue, une délégation de l’AIEA. Elle a gelé ses réacteurs à graphite et scellé son laboratoire radiochimique, décrit par l’Occident comme équipement de retraitement du combustible usé, et les a tous mis sous la surveillance de l’AIEA. Ainsi a-t-elle rempli loyalement et ponctuellement toutes les obligations qu’elle avait à accomplir dans le mois qui suivait la signature de l’accord de garanties, et cela lui confère le droit de sommer les Etats-Unis de s’acquitter correctement des leurs. Aux termes du TNP, c’est un droit légitime que d’exploiter les réacteurs à graphite et de retraiter le combustible usé. Aussi ce qu’a fait la Corée du Nord dépasse-t-il de loin ses obligations liées à ce traité. 173 Par là même, elle s’est acquittée aussi de ses obligations découlant des clauses (1), (2) et (3) de la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, obligations consistant, (1), à ne pas essayer, ni construire, ni produire, ni acquérir, ni conserver, ni stocker, ni déployer, ni employer d’armes nucléaires; (2), à n’utiliser l’énergie nucléaire qu’à des fins pacifiques; (3), à ne pas mettre en place d’installations de retraitement du combustible usé et d’enrichissement de l’uranium; et (4), à permettre, afin de vérifier la dénucléarisation de la péninsule coréenne, à l’autre partie d’inspecter les installations désignées par elle et consenties par les deux parties, selon la procédure établie par la commission conjointe Nord-Sud de contrôle nucléaire (voir l’accord signé en 1991 et mis en vigueur en 1992). Lors d’une assemblée de l’APEC (Coopération économique en Asie-Pacifique), et après ses rencontres avec chacun des chefs d’Etat des pays membres de cette organisation, Clinton a affirmé: «L’accord conclu entre la Corée du Nord et les Etats-Unis a dégagé une voie vers une ère nouvelle, celle de la stabilité et de la prospérité en Asie de l’Est, et les chefs d’Etat des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon l’ont approuvé sans réserve.» Bien plus, ils ont promis de coopérer pour fournir des réacteurs à eau légère à la Corée du Nord. Cependant, à cause des divergences de vues révélées au sujet des problèmes concrets concernant la constitution du consortium international (la KEDO) qui doit réaliser le projet de livraison de réacteurs à eau légère, tels que le choix des pays membres, la répartition du fonds à verser, le fonctionnement, etc., les préparatifs piétinent. De surcroît, aux Etats-Unis, à la suite de l’off-year élection, le Parti républicain a occupé une majorité absolue dans les deux chambres, ce qui a créé bien des obstacles à l’application de l’accord. Le sénateur Helms, de la faction ultrafaucon, considéré comme candidat à la présidence de la commission des relations extérieures du Sénat, n’a pas hésité à déclarer qu’il ferait «adopter une résolution défendant aux Etats-Unis de débloquer des fonds pour 174 la Corée du Nord et invitant les pays alliés à ne pas lui accorder d’assistance». Si les forces dures et conservatrices occupent, dans le Sénat américain, des hauts postes investis du pouvoir de décision de la politique américaine en matière de diplomatie et de défense et qu’elles exercent une pression, l’administration Clinton aura bien du mal à appliquer l’accord. En tous cas, c’est un premier document officiel adopté en commun par la Corée du Nord et les Etats-Unis, dont Clinton a garanti l’exécution en tant que président. Bien plus, l’ONU, l’AIEA et de nombreux pays intéressés l’ayant salué et soutenu, on peut le considérer comme une convention internationale. Si les EtatsUnis le dénoncent maintenant, ils se couvriront d’opprobre et feront rétrograder les relations RPDC-USA jusqu’à l’hostilité et à la méfiance qui les caractérisaient avant le dialogue. 6. VIVE CONTROVERSE AU SUJET DES REACTEURS A EAU LEGERE DE «TYPE SUD-COREEN» ET ABOUTISSEMENT A UN ACCORD (D’avril à juillet 1995) Que signifie le «cheval de Troie»? «La Corée du Nord a comparé les réacteurs à eau légère de "type sud-coréen" au "cheval de Troie". Ce faisant, elle s’est démentie elle-même et reconnue comme agresseur. N’est-ce pas?» a dit un reporteur japonais. La guerre de Troie est, comme on le sait bien, une guerre entre la Grèce antique et Troie, décrite par le grand poète grec, Homère, dans sa célèbre épopée héroïque l’Iliade. Les troupes grecques alliées auraient fait le siège de Troie pendant dix ans pour la soumettre, sans pourtant obtenir aucun succès. Finalement, elles auraient recouru à une ruse en 175 offrant aux Troyens un gigantesque cheval en bois qui cachait dans ses flancs de nombreux guerriers, pour s’emparer de cette ville. Le poète décrivait la Grèce comme défenseur de la justice, mais à regarder les choses d’un œil impartial, on comprend bien qu’elle est l’agresseur ayant déclenché cette guerre. De même, à envisager la situation actuelle régnant autour de la péninsule coréenne du point de vue de la Corée du Nord, les EtatsUnis, la Corée du Sud et le Japon font penser aux troupes grecques, tandis que leur «système de coopération internationale» à un cordon d’encerclement autour de la Corée du Nord, et les réacteurs à eau légère de «type sud-coréen» à un autre cheval de Troie destiné à miner le régime socialiste nord-coréen de l’intérieur. Kong Ro Myong, ministre sud-coréen des Affaires étrangères, a affirmé que «les réacteurs de "type sud-coréen" ne peuvent nullement être un cheval de Troie». Les autorités sud-coréennes avaient soulevé à brûle-pourpoint la question des réacteurs de «type sud-coréen», qui n’avait jamais auparavant figuré à l’ordre du jour. Elles ont sollicité les Etats-Unis de les autoriser à financer l’entreprise à condition que des réacteurs de «type sud-coréen» soient fournis au Nord. Cette démarche inattendue a éveillé le soupçon de la Corée du Nord qui redoute une combine dans le genre du «cheval de Troie». Cependant, les Etats-Unis, à court de fonds, n’ont pu s’empêcher de s’intéresser à la proposition de la Corée du Sud. Depuis, le terme de «réacteur de type sud-coréen» s’est mis à circuler impunément. Pis encore, on n’a même pas hésité à dire ouvertement: «Bien qu’on ne l’ait pas indiqué dans l’accord nord-coréo-américain, on entendait par "réacteurs à eau légère d’une puissance totale de deux millions de kW" ceux de "type sud-coréen", les "Uljin" Nos 3 et 4, respectivement d’une puissance d’un million de kW» ou «La Corée du Sud est le seul pays financièrement et technologiquement capable de fournir des réacteurs à eau légère. Ce problème a été examiné en coulisse lors des négociations. Si l’on s’est cependant gardé de le spécifier dans l’accord, c’était "simplement par égard diplomatique" 176 pour le gouvernement nord-coréen (Gallucci, ambassadeur itinérant américain chargé du problème coréen).» De nos jours, on peut citer, comme réacteurs à eau légère sous pression, mondialement consacrés, le réacteur développé aux Etats-Unis par Westinghouse, le réacteur russe VER, le réacteur français CPI et le réacteur allemand Biblis. Et les réacteurs sudcoréens ne relèvent d’aucun de ces types. Les réacteurs de fabrication nippone, bien que le Japon dispose de nombreuses centrales atomiques, ne sont pas encore reconnus sur le plan international. Quant aux réacteurs «Uljin» Nos 3 et 4, ce sont les compagnies américaines qui veillent encore à leur fonctionnement. Combustion Engineering s’occupe des plans de base et du cœur, tandis que General Electric veille aux turboalternateurs, ce qui revient à dire que ce sont plutôt des réacteurs de «type américain». Aussi, lors d’une conférence d’experts américains, sud-coréens et japonais tenue à Washington du 30 juin au premier juillet 1994 pour discuter des problèmes concernant la fourniture de réacteurs à la Corée du Nord, les Etats-Unis s’opposèrent-ils à la livraison de réacteurs de «type sud-coréen» en relevant la multitude d’imperfections juridiques et technologiques. Or, par la suite, les Etats-Unis changèrent subitement d’avis pour proposer des réacteurs de «type sud-coréen» à la Corée du Nord, en tenant leur livraison comme une chose décidée. Il y a à cela plusieurs raisons: ils estimèrent, premièrement, que seule la Corée du Sud pourrait assumer le financement de l’entreprise; deuxièmement, qu’elle tenait à ce que ses propres,réacteurs soient livrés à la Corée du Nord; troisièmement, que les Etats-Unis souhaitaient eux aussi voir la Corée du Nord se désagréger de l’intérieur et espéraient que les réacteurs de «type sud-coréen» y joueraient le rôle de «cheval de Troie». L’accord-cadre RPDC-USA indique à grands traits la voie menant à la solution du problème nucléaire dans la péninsule coréenne et à l’amélioration des relations nord-coréo-américaines. 177 C’est un revirement profond opéré dans la politique nord-coréenne des Etats-Unis: ils ont compris qu’ils ne pouvaient soumettre la Corée du Nord par la «politique de force» et ont opté pour une «politique de séduction» destinée à obtenir son soft-landing. Et ils demandèrent à la Corée du Nord d’accepter les réacteurs de «type sud-coréen». Comme ils estimaient que cette livraison leur profiterait et que le «régime» Kim Yong Sam souhaitait réunifier la Corée par 1’«absorption» du Nord, les desseins inavoués des deux parties s’accordaient. Les Etats-Unis estimèrent également que la fourniture de réacteurs sud-coréens permettrait de créer un ascendant du Sud sur le Nord. L’installation d’un réacteur à eau légère prend normalement huit à dix ans. Et pendant ce temps, capital, technologie, matériel et surtout personnel technique sud-coréens devraient aller en force au Nord. Et des agents de l’«Agence de la planification de la sécurité nationale» pourraient en profiter pour s’y infiltrer. Pour la Corée du Sud, ce serait une occasion inespérée de pratiquer une brèche dans le système nord-coréen qui, pendant si longtemps, s’est opposé à elle avec tant de fermeté et de le mettre sous son contrôle. Elle pourrait dès lors menacer la Corée du Nord de suspendre la construction de réacteurs ou de rappeler le personnel constructeur, chaque fois qu’elle verrait ses relations avec elle empirer ou qu’elle se trouverait dans une situation délicate. Kondo Shungsuke, professeur suppléant de technologie à l’université technologique de Tokyo, a fait observer: «Dans le monde technologique, les réacteurs de "type sud-coréen" ne sont pas répertoriés. Cela signifie donc que la Corée du Sud se charge des problèmes de la programmation informatique dans la construction de réacteurs à eau légère. La centrale atomique concerne une branche industrielle très importante réclamant une haute technologie. Si la Corée du Sud fournit à la Corée du Nord ses propres réacteurs, un grand nombre de techniciens des entreprises sud-coréennes, dont celle exécutant des contrats forfaitaires, devront y aller travailler, et 178 cela lui permettrait d’accaparer le marché de l’énergie nucléaire dans la péninsule coréenne (Nihon Keizai Shimbun, le 17 avril 1995).» Lors des négociations nord-coréo-américaines sur les réacteurs à eau légère, la Corée du Nord a fait d’importantes concessions aux Etats-Unis. Bien que toute la vérité n’en soit pas encore officiellement révélée, on sait à peu près qu’il était convenu: premièrement, que ce seraient des réacteurs livrés à la Corée du Sud par la Russie en guise de remboursement de ses dettes; deuxièmement, que les Etats-Unis se chargeraient des plans des parties majeures des réacteurs, alors que le reste pourrait revenir pour l’essentiel à la Corée du Sud; troisièmement, que, si les EtatsUnis devenaient la principale partie contractante, la Corée du Nord accepterait la participation technique sud-coréenne; quatrièmement, que la partie contractante serait la KEDO (consortium international regroupant essentiellement les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon). Les Etats-Unis se sont intéressés à cette proposition nordcoréenne et ont même établi un projet selon lequel les Américains constitueraient la partie contractante principale. Aux Etats-Unis, des voix se sont élevées «contre les réacteurs de "type sud-coréen"», et Gallucci a déclaré: «Si ce sont réellement des réacteurs de "type sudcoréen", à quoi bon prêter tant d’importance à leur nom?» Le parti démocrate sud-coréen, parti d’opposition, a préconisé qu’«on ne se montre pas si sensible au terme "type sud-coréen"». Pourtant, les autorités sud-coréennes s’obstinèrent à avoir gain de cause. Kim Yong Sam menaça les Etats-Unis en disant: «Si ce ne sont pas des réacteurs de "type sud-coréen", nous ne débourserons pas un sou, et si nous bouclons notre bourse, la fourniture de réacteurs à eau légère ne sera qu’une parole en l’air, et l’accord de Genève, de la paperasse.» Le ministre sud-coréen des Affaires étrangères, Kong Ro Myong, a déclaré ostensiblement: «Si ce ne sont pas des réacteurs de "type sud-coréen" et si la Corée du Sud n’y 179 assume pas le rôle de protagoniste, nous ne participerons pas à l’entreprise.» Ainsi, les Etats-Unis et la Corée du Sud commencèrent à afficher des visions et des attitudes divergentes. Wall Street Journal a écrit, le 27 mars 1995, que des sons discordants ont commencé à se faire entendre entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. Celle-ci craignait que la Corée du Nord et les Etats-Unis ne s’accordent à rejeter les réacteurs de «type sud-coréen» et que les Etats-Unis ne tentent de s’emparer en entier du fruit, tout en lui faisant financer l’entreprise. De surcroît, la Corée du Nord et le Japon ont entrepris de nouvelles démarches pour normaliser leurs relations, ce qui a également renforcé le sentiment d’isolement de la Corée du Sud. Pourtant, elle a persisté dans son dessein de faire adopter le «type sud-coréen», car elle voulait tenir un «rôle de protagoniste». Autrement dit, en jetant l’appât—le réacteur à eau légère—à la Corée du Nord, elle voulait établir son contrôle et sa suprématie sur elle. C’est pourquoi elle s’est tant obstinée en déclarant qu’«elle ne pourrait signer le contrat tant que Korea Electric Power Corporation ne serait pas la principale partie contractante, chargée des plans, de la fabrication, de la mise en chantier et de la construction» (ministre sud-coréen des Affaires étrangères). Un expert sud-coréen en question des relations Sud-Nord a fait remarquer que, si la Corée du Sud fait preuve de tant de zèle, c’est pour faire passer le nom de «réacteur de type sud-coréen» (Mainichi Shimbun, le 28 mars 1995). Mais en réalité, le «réacteur de type sud-coréen» n’était rien d’autre qu’un terme politique inventé pour réaliser l’objectif que la Corée du Sud s’est proposé: saper la Corée du Nord de l’intérieur. Réacteur défectueux laissant à désirer quant à sa sûreté La vive controverse entre la Corée du Nord, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon au sujet des «réacteurs de type sud-coréen» 180 ne concernait pas, en fait, le type de réacteur. C’était un problème plutôt à caractère symbolique lié à la longue confrontation Nord-Sud, déterminant pour l’issue des relations Nord-Sud. C’est la raison pour laquelle la Corée du Nord a rejeté si catégoriquement l’idée de réacteurs de Corée du Sud, tandis que celle-ci ne voulut pas s’en départir. Puisque les réacteurs de «type sud-coréen» semblaient destinés à détruire de l’intérieur la Corée du Nord, celle-ci a refusé net de les accepter, mais il y avait à cela d’autres raisons encore. C’est que les réacteurs de «type sud-coréen» sont sujets à de fréquents accidents et ne peuvent assurer la sûreté. Les «Uljin» Nos 3 et 4 sont des constructions hybrides, réalisées d’après les plans d’un réacteur importé il y a vingt ans et rénové par la suite sur le modèle de plusieurs types de réacteur en cours de construction peutêtre; c’est pour cette raison que, (1), sa fréquence d’accidents (fusion du cœur-melt down) est quatre fois supérieure à la norme internationale; que, (2), sa durée de vie n’est que de 30 à 40 ans; que, (3), sa cuve et son turboalternateur n’en sont qu’au stade expérimental. Les premiers prototypes doivent être mis en service à partir de 1998, donc personne n’a aucune expérience pratique de leur fonctionnement et de leur exportation. Cependant, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon prétendirent que, en leur qualité de pays membres de la KEDO (consortium international), soit en tant que fournisseurs de réacteurs à eau légère, ils avaient le droit d’en choisir le type. Mais, en réalité, ce n’était pas exact. Ce qui provoquait le malentendu, c’était le terme de «fournir». Les réacteurs en question, la Corée du Nord les aquérait sous forme d’emprunt à long terme, et non gratuitement. Il n’était donc pas juste de lui faire accepter un produit dont elle ne voulait pas. Il est normal, dans ce cas, de se conformer à la volonté de l’acquéreur. «Ce n’est pas à titre gratuit qu’on nous fournit des réacteurs à eau légère, mais à condition que nous les payions à long terme. Aussi avons-nous le droit d’indiquer le type de réacteur que nous 181 souhaitons. Toute tentative de nous imposer les réacteurs de "type sud-coréen" équivaut à vouloir donner du gâteau à un client qui commande un plat de nouilles.» Comme l’a fait remarquer Han Song Ryol, ministre nord-coréen à l’ONU, le droit d’indiquer le type de réacteur appartenait exclusivement à l’acheteur. Qui conduira le projet? Les pourparlers nord-coréo-américains ouverts à Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie, se sont longtemps arrêtés sur la question de savoir si l’on mettrait ou non par écrit dans l’accord les termes de «réacteurs de type sud-coréen» et de «rôle de protagoniste de la Corée du Sud», avant de se conclure le 13 juin en publiant un communiqué conjoint. La vive controverse provoquée à ce sujet fait penser à un marathon particulièrement pénible. Le terme «sudcoréen» ne figure pas dans le communiqué, mais, en confrontant la version anglaise et la version coréenne, on remarque une légère différence d’expression entre elles. C’est avant tout la partie concernant le rôle du coordinateur du programme. La version coréenne dit; des entreprises américaines conduiront, en tant que coordinateur du programme, la réalisation du projet tout en aidant la KEDO, tandis que la version anglaise dit: des entreprises américaines coordonneront le programme pour aider le consortium international chargé de conduire l’ensemble de la construction de réacteurs à eau légère (Yomiuri Shimbun, le 14 juin 1995). Ainsi, d’après la version coréenne, ce sont des entreprises américaines, désignées comme coordinateur du programme, qui conduiront les travaux, tandis que, d’après le texte anglais, c’est le consortium international qui devra le faire. Etant donné que ce consortium regroupe essentiellement les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon et que la Corée du Sud assumera la quasi-totalité du poids de financement, si le consortium 182 devait conduire la réalisation du programme, la Corée du Sud aurait voix au chapitre. Mais si, au contraire, c’était le coordinateur du programme qui devrait le faire, la Corée du Sud ne l’aurait pas. Le consortium international compte désigner Korea Electric Power Corporation comme partie contractante principale, mais, même dans ce cas-là, elle ne serait qu’«entrepreneur» des entreprises américaines, si le coordinateur du programme devait conduire le projet. Le débat ayant été concentré sur la question de savoir si on attribuerait ou non le «rôle de protagoniste» à la Corée du Sud, la partie du texte le concernant est très importante. On s’attendait à de vives controverses à ce sujet, mais, à notre grande surprise, la Corée du Sud a gardé un silence complet. Comment l’expliquer? Après tout, le «rôle de protagoniste» de la Corée du Sud étant grevé de multiples charges, son projet de se servir des réacteurs à eau légère comme moyen de contrôle politique sur le Nord a avorté. Avant tout, il est clairement indiqué, dans le communiqué, que le type de réacteur à livrer sera un «type rénové d’après les plans et la technologie américains». Selon le communiqué, il serait du même type que les «Uljin Nos 3 et 4», mais on n’a pas dit qu’on s’y référerait. C’est-à-dire que des entreprises américaines pourront, en assumant le rôle de protagoniste, modifier, conformément aux conditions de la Corée du Nord, les plans du réacteur rénové de «type 80» construit par la compagnie américaine C.E. (actuellement compagnie ABB-CE). Ainsi, il s’agit, sans le moindre doute, de réacteurs de type américain, et non de «type sud-coréen». Premièrement, pour ce qui est du réacteur à eau légère de «type sud-coréen», il n’est pas reconnu, et quant aux «Uljin» Nos 3 et 4, ils ne sont rien d’autre que des variantes du réacteur américain de «type 80». Le réacteur proprement sud-coréen n’a jamais existé. Deuxièmement, il est stipulé dans le communiqué que le consortium international sera conduit par les Etats-Unis, que ces derniers seront les principaux partenaires de la Corée du Nord et que 183 les Américains conduiront les délégations ou les groupes d’experts du consortium international pour accomplir les tâches de celui-ci. Et même au sein de ce dernier, la Corée du Sud ne pourrait agir à sa guise. Ainsi, que ce soit le coordinateur du programme ou le consortium international qui conduise l’entreprise, la Corée du Sud ne pourrait y jouer un rôle important. L’unique interlocuteur pour la livraison de réacteurs à eau légère serait les Etats-Unis, voilà qui a été décidé lors des récentes négociations nord-coréo-américaines, et on a alors réaffirmé que les Etats-Unis y joueraient le rôle de protagoniste en assumant toute la responsabilité du projet. Ainsi la Corée du Nord pourrait-elle désormais protester auprès des Etats-Unis, responsables de l’entreprise, si la Corée du Sud tentait d’empêcher tant soit peu la fourniture de réacteurs, et les sommer de remplir loyalement le contrat si celui-ci n’est pas exécuté comme il faut. C’était à condition de conférer de tels choix à la Corée du Nord que les deux parties sont arrivées à conclure un accord. «L’accord est conclu parce qu’on a précisé les rôles respectifs du Nord et du Sud» (Tokyo Shimbun, éditorial, le 15 juin 1995), mais il faudrait dire plutôt que l’accord a été conclu parce que les Etats-Unis ont accepté les revendications de la Corée du Nord. Deux messages présidentiels Le président américain Clinton a envoyé deux messages au sujet de la fourniture de réacteurs à eau légère: un message de garantie adressé au Secrétaire général Kim Jong Il du Parti du Travail de Corée, en octobre 1994, lors de l’adoption de l’accord-cadre RPDC-USA, et l’autre à Kim Yong Sam après la publication du communiqué conjoint nord-coréo-américain. Deux messages sont foncièrement différents dans leur contenu, leur rôle et leur portée. Le message adressé à Kim Jong Il promettait au dirigeant nordcoréen de fournir à son pays, aux termes de l’accord-cadre, des 184 réacteurs à eau légère ainsi que du combustible (huile lourde) en compensation de l’énergie électrique, en usant de ses pouvoirs de président, et réaffirmait l’engagement des Etats-Unis à répondre de cette livraison. Pourquoi la Corée du Nord avait-elle besoin d’un tel message? Le message dit en clair que, «en cas de non-achèvement de la construction de réacteurs à eau légère, non par la faute de la Corée du Nord, mais pour d’autres raisons», et en cas de rupture de fourniture d’huile lourde, les Etats-Unis s’engagent directement à achever les travaux et à fournir le carburant comme prévu. Ainsi, il est défendu à un tiers (la Corée du Sud) de s’immiscer à sa guise. La Corée du Sud, qui se démenait fébrilement pour faire accepter ses réacteurs et son «rôle de protagoniste», a été ainsi fermement remise à sa place. L’accord a réaffirmé, dans son premier chapitre, la validité du message de garantie du président américain. Ce message et le communiqué conjoint qui précise que les réacteurs seront de type américain et que les Etats-Unis assumeront le rôle de protagoniste coïncident parfaitement l’un à l’autre par leur contenu. C’est la victoire de la diplomatie nord-coréenne, et la défaite de la Corée du Sud. Ce n’est nullement fortuit si Yomiuri Shimbun a écrit, sans cacher son étonnement, dans l’éditorial du 15 juin 1995: «Le président Clinton a fait l’éloge du Secrétaire Kim Jong Il à la veille de la signature de l’accord et lui a adressé un message personnel comme un vassal l’aurait fait à son suzerain.» L’autre message de Clinton ne ressemble pas au premier. Il y a là deux choses à relever. Premièrement, le message dit: «D’après le contrat commercial conclu entre le consortium international et le pays concerné, les réacteurs de référence seront les "Uljin Nos 3 et 4".» Ce passage ne coïncide pas avec ce qui est stipulé dans l’accord —«réacteurs d’un type rénové d’après les plans et la technologie américains»— ni avec le communiqué conjoint qui ne parle d’aucun réacteur de référence. Par ailleurs, le message dit: «Les entreprises américaines participent à l’installation de réacteurs, en qualité d’entrepreneur 185 pour la Corée du Sud, partie contractante principale.» C’est aussi différent du communiqué conjoint qui précise que les Etats-Unis assumeront toute la responsabilité de la construction de réacteurs à eau légère, qui que ce soit qui la conduise. Ainsi, ce message n’est rien d’autre qu’un expédient visant à apaiser le mécontentement de la Corée du Sud, causé par le communiqué conjoint qui ne fait aucune allusion au réacteur de «type sud-coréen» et au «rôle de protagoniste de la Corée du Sud», et à faire aboutir coûte que coûte le dialogue nord-coréo-américain. Ainsi, les Etats-Unis, en se démenant péniblement entre les deux parties de la Corée, ont commis une erreur en débitant des propos différents et contradictoires sur un même sujet. Ils prêtent ainsi le flanc à la critique des deux côtés. En tout cas, ce qui prime, c’est le document adopté par les deux parties concernées par le problème nucléaire et la livraison de réacteurs à eau légère, et non un message envoyé par une de ces parties à un tiers. Pour dire vrai, la Corée du Sud a dû se contenter d’un message présidentiel pour avaler les humiliations que les EtatsUnis lui avait infligées. Les récentes négociations ont opposé les deux parties de la Corée, et non la Corée du Nord et les Etats-Unis. Soit la Corée du Nord et les Etats-Unis, d’une part, et la Corée du Sud d’autre part. A l’approche du dernier jour fixé pour la conclusion de l’accord sur la livraison de réacteurs à eau légère, des voix se sont élevées aux EtatsUnis: «L’appellation n’a aucun sens —L’attitude radicale de la Corée du Sud est un facteur direct qui peut nous précipiter dans un abîme. Il faut l’exclure et recommencer à zéro— C’est une honte pour les Etats-Unis que d’admettre la Corée du Sud à conduire la fourniture de réacteurs.» L’administration américaine aussi a exercé, dit-on, une pression sur la Corée du Sud pour qu’elle renonce à sa lubie. Pourvu que le développement nucléaire soit gelé en Corée du Nord, peu importe le reste, ainsi pensaient les Américains. Le plus important est, pour la Corée du Nord et les Etats-Unis, de respecter 186 et d’exécuter loyalement leur accord-cadre. Il n’y a pas eu de profondes divergences de vues entre eux. La pierre d’achoppement était la Corée du Sud. Comment la ramener à la raison? Les trois semaines d’intenses négociations, semblables à une lutte entre deux coureurs de marathon, ont été nécessaires pour dissuader la Corée du Sud. Celle-ci n’a pas caché son mécontentement. Pleine de méfiance, elle a fait flèche de tout bois, mais en vain. Elle s’est vue écartée du jeu. Le message de Clinton, d’ailleurs plein d’ambiguïtés, n’a pu rien y faire. La Corée du Sud a dû se résigner à son sort. De désespoir, elle s’est écriée: «Ah, les Américains nous ont roulés!» Ainsi la Corée du Sud s’est-elle mise à considérer son maître d’un œil plein de méfiance, tandis que le «système de coopération sud-coréo-américaine.», couvert de mille fissures, a commencé à se craqueler. Vers l’établissement de relations diplomatiques Stephen W. Linton, associé chercheur au Centre de recherche coréenne de l’université de Columbia, qui est venu des dizaines de fois en visite en Corée du Nord, a dit qu’il fallait commencer par améliorer les rapports entre la Corée du Nord et les Etats-Unis si l’on voulait instaurer le dialogue Nord-Sud, car «les rapports Nord-Sud s’amélioreraient alors sans que la Corée du Sud y perde quoique ce soit». Cette remarque est à l’opposé de l’affirmation des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon selon laquelle les pourparlers Nord-Sud devraient précéder l’amélioration des relations nord-coréoaméricaines. Laquelle de ces deux idées est exacte? Après la publication de l’accord-cadre RPDC-USA en octobre 1994, les relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis ont 187 commencé à passer de l’hostilité à la confiance. «L’essence de l’accord-cadre consiste à avoir admis pour un temps le régime nordcoréen (Nihon Keizai Shimbun, le 16 juin 1995).» La Corée du Sud, qui ne le voulait pas, a mis tout en œuvre pour s’y opposer, et sa dernière tentative en fut ses démarches visant à faire accepter ses «propres réacteurs» et son «rôle de protagoniste». Cela revient à «vouloir établir sa suprématie et étendre son régime à toute la péninsule coréenne» (Yomiuri Shimbun, le 14 juin 1995). Une vive controverse s’était ainsi engagée, mais les négociations se sont soldées par la défaite de la Corée du Sud. «La Corée du Nord projette certainement, plutôt que de se faire livrer des réacteurs à eau légère dont la construction prendrait une dizaine d’années, d’améliorer ses relations avec le Japon et les Etats-Unis pour remédier avec leur aide à ses pénuries de vivres et de combustibles. Quant au problème des réacteurs à eau légère, elle compte en profiter pour maintenir son système en soulevant toujours des points ambigus dans ce problème», telle est l’interprétation de Ri Sang U, professeur à l’université Sogang de Corée du Sud, qui traduit tels quels les rapports actuels de méfiance et d’hostilité entre le Nord et le Sud. Or, l’essentiel pour la Corée du Nord est d’améliorer ses relations avec le Japon et les Etats-Unis, avant de le faire avec le Sud, et de réunifier le pays après avoir transformé la péninsule coréenne en zone dénucléarisée, en zone de paix. L’amélioration des relations avec le Japon et les Etats-Unis lui permettra de réaliser la réunification du pays sur un pied d’égalité avec le Sud. On pourrait croire pour le moment à la «mise à l’écart de la Corée du Sud», mais il fallait faire un détour et améliorer les relations avec les Etats-Unis et le Japon, car c’est, selon la Corée du Nord, le préalable à l’amélioration des rapports Nord-Sud et à la réunification pacifique du pays. Kim Yong Sam s’inquiétait de ne pouvoir contrôler le processus de réunification et de ne pouvoir «absorber» le Nord. L’accord sur la 188 fourniture de réacteurs à eau légère a corroboré le caractère chimérique de son rêve. Les Etats-Unis ont décidé de normaliser leurs relations avec le Viêt-nam, vingt ans après la fin des hostilités. Quelle longue période, mais ce n’est rien en regard de la division de la Corée qui perdure jusqu’à ce jour. Il ne sera donc pas si facile pour les Américains de normaliser leurs relations avec la Corée du Nord. Pourtant, nul ne peut barrer la route au courant de l’histoire qui a mis fin à la guerre froide. Aux Etats-Unis, les voix s’élèvent, toujours plus fortes, pour l’amélioration des relations nord-coréo-américaines, sans craindre les récriminations de la Corée du Sud. Et le règlement correct du problème de la fourniture de réacteurs à eau légère l’impulsera. La construction de réacteurs à eau légère prend une dizaine d’années, et, pendant ce temps, grâce au pont établi entre eux par celle entreprise, les deux pays pourront travailler à améliorer leurs relations. Ainsi, l’accord pourra servir de tremplin à l’instauration d’un nouvel ordre dans la péninsule coréenne. Celle-ci s’est d’ores et déjà mise à marcher vers une ère nouvelle. 189 CHAPITRE III LA POSSIBILITE DE REUNIFIER LA COREE PAR LA FEDERATION DU NORD ET DU SUD 1. SOLUTION MIRACULEUSE D’IRLANDE DU NORD Le XXe siècle, plein de vicissitudes et de guerres, touche à sa fin. Jamais aucun siècle n’a connu tant de conflits régionaux, tant de guerres mondiales, dus à des problèmes de territoire, de nationalité, de religion, d’idéologie, de richesses naturelles et d’intérêts étatiques, ni n’a enregistré un si grand nombre de victimes de guerre. Les progrès vertigineux de la civilisation et de la technologie ont apporté avec eux l’«aisance et le confort», mais aussi des armes d’une puissance de destruction redoutable, qui ont fait couler à flot le sang de l’humanité, en rendant les guerres incomparablement plus meurtrières que celles du passé. Ce siècle a vu des génocides et des massacres de civils. L’apparition d’armes, pouvant réduire, en un clin d’œil, toute une ville en un amas de décombres, l’apparition de la bombe atomique, de la bombe H et de la bombe à neutrons, l’élaboration des armes biologiques et chimiques menacent l’existence même de l’humanité. C’est la raison pour laquelle on dénomme le XXe siècle «siècle de sang», «siècle sans vainqueurs». Mais, au cours des guerres incessantes et de la course aux armements, l’humanité est parvenue à prendre conscience d’ellemême et à mettre en œuvre son intelligence, encore qu’insuffisamment, pour survivre, et, maintenant que le XXe siècle 190 s’achève, elle s’est mise à élever la voix pour condamner l’opposition et la haine, préconiser la conciliation, la coopération, la coexistence et la coprospérité: la fin de la guerre froide Est-Ouest, l’accession de nombreux Etats et nations à l’indépendance, le dialogue et l’effort pour le démantèlement des armes nucléaires et la réduction des armes d’extermination massive, la conciliation historique entre la Palestine et l’Etat d’Israël en sont autant de témoignages. Des choses jadis considérées comme «impossibles» deviennent réalité. L’homme n’est pas un être indolent et impuissant. Que le XXIe siècle soit un siècle de paix, de coexistence et de coprospérité, cela dépend de notre effort pour l’établissement d’un modèle de compréhension et d’entente dans le monde avant la fin du XXe siècle. Les pourparlers de paix en Irlande du Nord, qui ont abouti le 10 avril 1998 à un accord historique, en .sont une illustration. Puisque personne ne l’avait escompté, il faut dire que c’est là un miracle. Le miracle n’est donc pas impossible. Il survient à la suite du mûrissement des conditions, de l’avènement de l’occasion et d’un effort sincère et soutenu. La paix conclue en Irlande du Nord l’atteste. Le conflit en Irlande du Nord appartenant au Royaume-Uni remonte au XIIe siècle. L’Angleterre avait tenté de soumettre l’île, mais en vain. C’est donc plus tard, au temps de l’absolutisme monarchique, sous Henri II, qu’elle établit, par une guerre de conquête, sa domination sur l’île. Elle imposa aux insulaires le catholicisme, sa religion officielle, et proclama la région d’Ulster domaine royal et y installa un grand nombre d’Anglais. La résistance s’organisa immédiatement, conduite par les Celtes, tribu d’obédience catholique, qui avaient pris pied sur l’île avant notre ère. Pourtant les révoltes, très fréquentes, furent réprimées et l’Irlande devint colonie anglaise, et sa population se trouva en butte à l’oppression et à la misère. Au XVIIe siècle, l’Angleterre y organisa l’installation d’un grand nombre d’Anglais pour renforcer 191 sa domination, et ces colons devinrent les ancêtres des protestants de l’île. Dès le début du présent siècle, les habitants d’obédience catholique se soulevèrent contre la domination anglaise, à Dublin et ailleurs, et l’Angleterre divisa l’île en Nord et en Sud. Le Sud obtint l’indépendance en 1937 pour se proclamer République d’Irlande. Au Nord, les colons anglo-saxons en position prédominante formaient 60% de la population, et, à cause du conflit entre les catholiques et les protestants, le Nord ne réussit pas à accéder à l’indépendance et resta colonie anglaise. Le régime maintenait les inégalités et la ségrégation entre les protestants riches et les catholiques démunis, et ces derniers déclenchèrent en 1960 un mouvement pour les droits civiques et se dressèrent contre les classes dominantes et les protestants. En 1969, l’armée anglaise intervint et l’IRA (Irish Republican Army), organisation armée antianglaise, entreprit une résistance armée contre celle-ci. Ainsi, une guerre sanglante s’est engagée, qui dura environ 30 ans, faisant 3 200 victimes. Les catholiques préconisaient l’union du Nord à la République d’Irlande, tandis que les protestants souhaitaient maintenir le statu quo. Le conflit n’était pas d’ordre religieux, mais ethnique. C’était une lutte entre l’agresseur et l’agressé qui durait depuis 900 ans. Les Etats-Unis qui comptent environ 38 000 000 d’Américains d’origine irlandaise soutenaient les catholiques. Le conflit Est-Ouest à l’époque de la guerre froide stimulait les hostilités entre les deux forces. La lutte sanglante enflammait la haine et compliquait à l’extrême les rapports d’intérêts au point qu’on ne pouvait y escompter aucune issue. Pourtant, les pays intéressés et les deux parties belligérantes sont parvenus à conclure un accord de paix, en faisant ainsi un grand pas vers une conciliation de portée historique. Voici l’accord en substance: (1), on créera un parlement régional d’Irlande du Nord, on proclamera son autonomie et on exercera les pouvoirs législatif et administratif dans cette partie de l’île; (2), le nouveau 192 parlement constituera, avec le gouvernement d’Irlande, un «conseil du Sud et du Nord», par delà les frontières, et délibérera des problèmes d’intérêt de toute l’île; (3), on mettra sur pied un «conseil» avec les représentants de la Grande-Bretagne, de la République d’Irlande, de l’Irlande du Nord, de l’Ecosse et du pays de Wales; (4), la République d’Irlande modifiera sa Constitution stipulant sa compétence territoriale sur l’Irlande du Nord. Voilà une solution tenant du miracle, une mesure pertinente destinée à dissiper la haine née de la «conscience d’appartenance» en adoucissant la notion de «territoire» et de «frontière». On critique, c’est vrai, le fait qu’elle remet à plus tard la solution du problème de l’ «appartenance», principale cause de la haine et de l’hostilité, mais c’est seulement ainsi qu’on a pu parvenir à un accord, en surmontant la haine et l’hostilité durcies pendant de longs siècles. La paix a été établie à la suite des référendums effectués le 22 mai 1998 en Irlande du Nord et en République d’Irlande: 71,12% des votants se sont prononcés pour, et 28,88% seulement contre. Selon le sondage effectué par le quotidien britannique Gardian, avaient dit oui 73% de la population du Nord, 61% de la population du Sud et 80% de la population de la Grande-Bretagne. Ces chiffres traduisaient la réalité de l’opinion. Pourtant, la consultation a été suivie par des incendies et des violences perpétrées par les forces extrémistes des deux parties. Une manifestation des protestants a entraîné la recrudescence de l’hostilité. Ainsi, le premier août, une voiture dynamitée a fait 35 blessés à Banbridge en Irlande du Nord, et, le 15 août, une attaque à la bombe au centre d’Armagh a tué et blessé 250 personnes. La population en fut bouleversée, pleine d’indignation, et les terroristes extrémistes, de peur de s’isoler, ont annoncé un «cessez-le-feu sans limitation de durée». C’est un essai de solution de grande portée visant à établir la paix en transcendant la «conscience d’appartenance» et en adoucissant la notion de «territoire» et d’«Etat» considérés comme domaines absolus du droit inviolable du gouvernement. 193 La solution d’Irlande du Nord a marqué un jalon important puisqu’elle a indiqué la voie au règlement du conflit provoqué par les hostilités ethniques et historiques. Elle mérite éloges et félicitations pour avoir ouvert devant l’humanité des perspectives lumineuses à la fin du XXe siècle. 2. PREMIER ESSAI DE TRANSCENDER LES DIFFERENCES DE REGIME EN ACCORDANT LA PRIMAUTE A LA «NATION» La solution d’Irlande du Nord—paix réalisée par voie de négociations—est riche de sens pour résoudre le problème de la division de la Corée. Certes, la division de la Corée et l’opposition du Nord et du Sud diffèrent de celles de l’Irlande par leurs origines et leur contenu. L’opposition entre le Nord et le Sud de la Corée est due à la colonisation japonaise, et puis, depuis la restauration, à la division nationale par des forces étrangères. Il n’en est pas moins vrai que c’est un problème intérieur de la nation coréenne touchant à l’opposition d’idéologies et de régimes différents en son sein; la «conscience d’appartenance» dans le cas de la Corée vient, non pas de différences ethniques, mais de celles d’idéologie et d’idéal. Les grandes puissances et les pays voisins, tels que le Japon, les Etats-Unis et l’ex-Union soviétique, s’y trouvent impliqués. D’où la complexité et la difficulté du règlement de la question coréenne. La division de la Corée dure depuis un demi-siècle, et les Coréens ne sont pas restés témoins impuissants du drame national. Ils manifestaient une volonté de réunification irréductible, quand des «incidents» se sont produits, donnant prétexte aux grandes puissances d’intervenir et de raviver la méfiance entre les deux parties du pays pour empêcher la réunification. Or, il ne faut pas se désespérer. Le 194 fatalisme ne peut que faire perdurer la division. La Corée parviendra à coup sûr à retrouver son unité. Bien des facteurs intérieurs et extérieurs nous permettent de nous en convaincre. Commençons par examiner les facteurs intérieurs. Tout d’abord le Nord et le Sud ont d’ores et déjà accédé au terrain de la solution d’Irlande du Nord. Certains disent qu’ils ne sont pas parvenus à adopter des mesures effectives, mais il faut envisager correctement les choses, sans oublier les efforts entrepris en ce sens. A preuve, les accords historiques conclus entre le Nord et le Sud, à savoir la Déclaration conjointe Nord-Sud du 4 Juillet 1972 et 1’«accord sur la réconciliation, la non-agression, la collaboration et les échanges entre le Nord et le Sud» publié en 1991. La Déclaration conjointe Nord-Sud du 4 Juillet a formulé les Trois principes majeurs à respecter en matière de réunification du pays: indépendance, réunification pacifique et grande union nationale. Convenus entre les deux parties du pays, ces principes gardent toute leur validité aujourd’hui encore, un quart de siècle après leur publication, et il en sera ainsi à l’avenir aussi. Il s’agit, premièrement, de réunifier le pays par les Coréens eux-mêmes à l’abri de toute ingérence étrangère, parce que l’opposition entre le Nord et le Sud est le produit de la partition du pays par des forces étrangères; deuxièmement, de refaire l’unité nationale sans recourir à la guerre, et par voie de négociations, d’autant plus que la guerre de Corée, conflit fratricide, a aggravé la division nationale en ravivant la haine et l’hostilité; troisièmement, d’apporter une solution fondamentale au problème de la réunification par les forces unies de toute la nation. C’est sur cette vision commune aux deux parties du pays que reposent les Trois principes susmentionnés. L’accord Nord-Sud a défini, à la lumière de ces principes, l’approche et le processus de rétablissement de l’unité nationale: «mettre fin à la confrontation politique et militaire Nord-Sud en faveur de la réconciliation nationale, s’abstenir de tout acte d’hostilité armé pour la détente et la paix, réaliser une coopération 195 et des échanges multiformes pour la promotion des intérêts communs et de la prospérité de la nation, considérer les relations actuelles entre les deux parties comme des relations spéciales et provisoires avant la réunification, et non comme des relations d’Etat à Etat, et s’employer à restaurer l’unité nationale par la voie pacifique». La définition des «relations Nord-Sud comme relations spéciales et provisoires, et non comme celles d’Etat à Etat», revêt une extrême importance, puisque les deux parties ont jusqu’ici rivalisé de zèle pour se faire reconnaître chacune par la communauté internationale. Si elles persistent dans leurs démarches anciennes, la réunification ne pourra se réaliser que sur l’assujettissement ou l’absorption d’une partie par l’autre. Les deux accords historiques ont opté, pour ainsi dire, pour une solution non moins pertinente que la paix conclue entre la Palestine et Israël et celle d’Irlande du Nord. Il s’agit là du fruit du génie et de la volonté inébranlable de la nation coréenne qui désire ardemment la réunification pacifique du pays. Tout dépend désormais de la façon dont les deux parties exécuteront les clauses des accords. A noter surtout que le projet de création d’une République fédérale démocratique du Koryo, proposé en 1980 par le Nord, et le Programme en dix points pour la grande union de toute la nation en faveur de la réunification de la patrie, formulé en 1993, par le Président Kim Il Sung, revêtent une importance majeure dans cette perspective. Quant au premier, c’est un «projet de réunification basé sur la formule: une nation, un Etat, deux régimes et deux gouvernements». Il suppose deux gouvernements régionaux autonomes en place respectivement au Nord et au Sud et un gouvernement national unifié—organe suprême du pouvoir—constitué avec des représentants du Nord, du Sud et d’outre-mer, de même que l’Etat unifié serait un Etat neutre. Le Nord a proposé pour la première fois la coexistence en reconnaissant le Sud et en admettant son idéologie et son régime. Ce projet expose ainsi une idée beaucoup plus précise et concrète de 196 la forme d’Etat que la solution d’Irlande du Nord. Dans les circonstances actuelles, il ne peut y avoir d’autre choix. Certains pourraient le critiquer en estimant qu’il remet à plus tard la solution du problème de la «conscience d’appartenance» comme c’était le cas de la solution d’Irlande du Nord. Or, ce projet présente l’avantage incomparable de tendre à réaliser l’union nationale en reconnaissant les différentes idées: «conscience d’appartenance» et «appartenance», et surtout en faisant prévaloir l’identité nationale. Quant au programme de grande union nationale, il va plus loin en mettant l’accent sur 1’«amour de la nation et l’esprit d’indépendance nationale» et en préconisant la «coexistence, la coprospérité et la promotion des intérêts communs de la nation». Le Président Kim Il Sung a insisté sur la «nécessité de se débarrasser de la peur de l’agression du Nord ou du Sud, de celle de la victoire sur ou par le communisme, pour promouvoir la confiance et l’union». Le projet de réunification par fédération représente donc une mesure propre à mettre un terme à la division et à la confrontation nationales en faveur de la promotion de la confiance par-dessus les différences de régime politique et d’idéologie, socialisme ou capitalisme, au nom de l’amour et de l’union de la nation. 3. LES CHANGEMENTS DUS A LA FIN DE LA GUERRE FROIDE La structure de paix et de sécurité Pour étudier les facteurs extérieurs, il faudrait tenir compte du fait que la situation autour de la péninsule coréenne a changé foncièrement à la faveur de la détente intervenue dans le monde après la fin de la guerre froide Est-Ouest. Dans les années 1980 encore, on 197 ne voyait pas de possibilité de réaliser l’accord Nord-Sud et le projet de fédération, mais, dans les années 1990, depuis l’écroulement de la structure de la guerre froide, on a pu voir augmenter au fil des jours cette possibilité en se convertissant en une nécessité historique. L’accord de paix conclu en Irlande du Nord est aussi un produit logique du changement de la situation mondiale après la fin de la guerre froide: il n’y avait plus aucune intervention ni aucun soutien de l’Est et de l’Ouest aux anglicans et aux catholiques. Le monde s’orientait vers l’entente et la paix. L’opinion mondiale stigmatisait véhémentement le conflit armé et le terrorisme. Les populations, accablées de lassitude, se sont détournées de ce conflit sans issue. D’autre part, aux Etats-Unis où vivent un grand nombre d’Américains d’origine irlandaise, c’est un descendant d’Irlandais, Bill Clinton, qui a été élu président, et le régime démocrate qui, historiquement, entretient des relations étroites avec les populations d’origine irlandaise a défini comme une des tâches pressantes de sa diplomatie la solution du conflit irlandais. Chose qui a joué aussi un rôle. Le président Clinton a invité le chef du Sinn Féin, organisation politique en République d’Irlande, à Washington, pour l’exhorter à la paix, d’une part, et, de l’autre, il a visité l’Irlande du Nord et y a envoyé un coordinateur de la paix (Mitchel, ancien sénateur du Parti démocrate et président de la Roundtable Conférence). Surtout, la constitution du régime travailliste Blair, en GrandeBretagne, un des pays intéressés par le règlement du conflit, a donné une impulsion à la conclusion de la paix. Les régimes conservateurs successifs avaient refusé obstinément de dialoguer avec le Sinn Féin. Le premier ministre Margaret Thatcher avait déclaré: «Je ne parlerai pas avec les terroristes» et n’était pas revenu sur sa déclaration pendant son mandat. L’ancien premier ministre John Major, mal soutenu par le parlement, prenait appui sur la population d’obédience protestante et, indécis dans sa politique, n’avait pu y apporter de solution. Enfin, le premier ministre Blair qui entretient 198 des relations amicales avec le Parti démocrate américain et jouit de sa confiance a noué, dès le début de son mandat, des relations de confiance avec les deux parties belligérantes et obtenu la participation du Sinn Féin au dialogue, déclarant: «Les négociations n’auraient aucun sens sans la participation de l’IRA.» Y ont été aussi pour beaucoup l’ascension de la République d’Irlande sur la scène internationale, due à ses progrès économiques remarquables, d’une part, et, de l’autre, la recherche d’un nouveau mode d’existence en Europe reposant sur la fusion d’Etats et l’autonomie régionale et la prise de conscience de la nécessité de balayer les vestiges du colonialisme anachronique. Or, on ne peut pas dire que tout favorisait la paix d’Irlande du Nord ou que c’était un fait fortuit. C’était un produit logique et naturel de l’évolution de l’histoire, produit de la fin de la guerre froide. Et la démolition du mur de Berlin, reproduite sur le petit écran, a dû aussi exercé un certain impact sur les Irlandais et les Anglais. Cependant, que se passe-t-il dans la péninsule coréenne? Après la fin de la guerre froide, les Etats-Unis qui, obstinément, faisaient la sourde oreille à la proposition de dialogue de la Corée du Nord y ont enfin répondu par l’affirmative et entrepris de s’orienter vers l’amélioration des relations: ils ont conclu avec elle un accord-cadre de portée historique après l’avoir longtemps menacée en invoquant le «soupçon de développement nucléaire». Ainsi, ils ont pour l’essentiel admis la Corée du Nord, son système socialiste, qu’ils avaient tant exécré et lui ont promis de ne pas employer les armes nucléaires contre elle ni de la menacer avec et de normaliser les relations. Ils ont exprimé, au cours de négociations, le soutien à la réunification pacifique de la Corée. Cette politique de compromis marque, dans la politique nord-coréenne des Etats-Unis, un profond revirement dû à la fin de la guerre froide et au changement de la signification qu’avait la péninsule coréenne dans leur stratégie mondiale. Or, dans les relations nord-coréo-américaines, il n’y a guère eu de progrès notable jusqu’ici, à cause du maintien de sanctions 199 économiques par les Etats-Unis contre la Corée du Nord, tandis que la confiance s’est sensiblement promue entre les deux pays. Particulièrement, significatif est le fait qu’ils ont entrepris, aux termes de l’accord-cadre, de démanteler le dernier vestige de la structure de la guerre froide pour en établir une nouvelle, favorable à la paix. Pour la fourniture et l’installation de réacteurs à eau légère en Corée du Nord, la KEDO, consortium international, s’est constituée, qui servira de dispositif garantissant la paix en Corée et empêchant les rapports nord-coréo-américains de se dégrader de nouveau. Quant à la conférence quadripartite, elle est significative par sa tenue même, outre son ordre du jour et ses résultats, car elle offre une possibilité concrète de paix. Il ne faut pas se féliciter trop vite ou se désespérer de ses résultats. Le fait même qu’elle se déroule contribuera à la sécurité dans la péninsule coréenne. «Le débat sur la paix à quatre constitue une démarche éminemment favorable à la promotion de la confiance mutuelle», selon une déclaration américaine. Ainsi, grâce à l’accord-cadre RPDC-USA, la sécurité et la paix en Corée sont doublement garanties, et des conditions favorables au dialogue Nord-Sud et à la réunification mûrissent à partir de l’extérieur. Or, la conférence quadripartite ne peut nullement remplacer le dialogue Nord-Sud. La Corée du Sud souhaite un dialogue Nord-Sud avec la participation et sous la garantie des Etats-Unis et de la Chine. Cependant, tant que les rapports nord-coréo-américains ne se seront pas améliorés, les relations Nord-Sud ne pourront non plus en faire autant. Aussi le dialogue Nord-Sud devrait-il se dérouler en toute indépendance, aux termes des accords déjà conclus entre le Nord et le Sud. Dans la conférence quadripartite, les principaux partenaires sont la Corée du Nord et les Etats-Unis, et non la Corée du Nord et la Corée du Sud. La modification du statut des troupes américaines stationnées en Corée du Sud et la conclusion d’un accord de paix à la place de l’Accord d’armistice pour la mise en place d’un 200 nouveau dispositif de paix, tels sont les problèmes pressants à résoudre. Certes, leur solution permettra au dialogue Nord-Sud d’emprunter une forme incluant la participation et la garantie des Etats-Unis et de la Chine. Mais, en procédant par ordre de priorité inversé ou sens dessus dessous, on risque de tout gâcher, même s’il y a toute chance de réussir. Ce que la Corée du Nord souhaite, c’est dialoguer avec le Sud ailleurs que lors de la conférence quadripartite. C. Kenneth Quinones, chercheur à l’Institut américain de la paix, a affirmé: «La conférence quadripartite devrait indiquer à la Corée du Nord les conditions nécessaires au retrait des forces américaines stationnées en Corée du Sud et travailler à leur réalisation. Et elle devrait aussi donner une réponse favorable à la demande nordcoréenne de démanteler le commandement des forces de l’ONU et la commission militaire d’armistice qui n’existent que de nom comme vestiges de la guerre de Corée, sous réserve que la Corée du Nord prenne des mesures pour réduire sa menace militaire. Si l’on maintient le blocus et si l’on poursuit la politique de rétorsion, une paix durable sera impossible.» La Corée du Nord mène la barque La fin de la guerre froide a modifié les rapports d’alliance entre les pays occidentaux, amenant ceux-ci à réviser leur politique ou à opérer un revirement. Alliance à la dérive (par Huna-bashi Yoitzi, librairie Iwanami) retrace le processus de ces changements dramatiques: ceux qui, depuis longtemps, se tenaient confortablement installés, comme des pachas, au sein du système de la guerre froide ont subitement perdu leur place et se sont mis à soupçonner chacun ses alliés, puisqu’ils n’avaient plus devant eux aucun «ennemi» immédiat; ils ne savaient plus sur quel pied danser. 201 Une épreuve de force s’est engagée, ayant la péninsule coréenne pour enjeu, et chacun tâchait de sonder les autres. Ce qui est étonnant, c’est que la Corée du Nord y jouait un rôle principal. A preuve, elle et les Etats-Unis se sont pris d’amitié, tandis que la Corée du Sud, en proie à un accès de jalousie, se débattait, en s’évertuant à enjôler l’Amérique. Les rapports sud-coréo-américains se sont dégradés rapidement, surtout sous le régime Kim Yong Sam, et le Japon, prudent, se tenait dans l’expectative. Quelle scène comique! De quel œil considérer la Corée du Nord et quelles relations entretenir avec elle? voilà la question majeure déterminant la diplomatie des pays voisins et qui se répercute sur les rapports d’alliance entre les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud. Ainsi, les Etats-Unis ont commencé à reconnaître la Corée du Nord, ce qui ne manqua pas d’entamer leur conscience d’alliés de la Corée du Sud. En voici une preuve: «La Corée du Sud qui demande obstinément de durcir la politique envers la Corée du Nord constitue une pierre d’achoppement à la solution du problème de la péninsule coréenne (Larry A. Niksch, spécialiste des affaires asiatiques relevant du Service de recherche du Congrès américain).» L’attitude américaine envers la Corée du Nord aussi pourrait changer pour durcir, mais le mouvement entamé vers l’amélioration des relations RPDC-USA ne cessera de progresser, en spirale s’il faut, sans jamais rétrograder. Il est à noter surtout que les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie ne souhaitent pas de changements subits en Corée du Nord, mais désirent la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne. Aspirant à une solution pacifique, sans heurts, ils se sont mis à œuvrer pour assurer la paix en admettant le système nord-coréen, ce qui était inimaginable au temps de la guerre froide. Et d’ores et déjà, ces pays voisins, sauf le Japon, ont commencé à étudier leur stratégie diplomatique en prévision d’une Corée réunifiée. • Un haut fonctionnaire de l’administration américaine—«Le jour viendra où la Corée sera réunifiée et qu’une des tâches 202 majeures de notre infanterie de marine s’achèvera (Alliance à la dérive) .» • Un officier du département américain de la Défense—«La Corée peut restaurer son unité nationale dans un avenir très proche. Le contre-amiral Michael A. McDevitt, ancien chef du service de planification à l’état-major de l’armée du Pacifique, a constaté que, "si la péninsule coréenne parvient à un règlement pacifique ou recouvre son unité par la voie pacifique, la présence militaire américaine en Asie de l’Est se détachera du chiffre fabuleux, cent mille hommes" (Ibid).» • Un expert en alliance américano-sud-coréenne—«La réunification rendrait inutile l’objectif de l’alliance américano-sudcoréenne, qui est de contenir la Corée du Nord. Il faudrait redéfinir aussi l’objectif de l’alliance nippo-américaine visant à assurer la sécurité dans cette partie du monde, car le processus de paix avait d’ores et déjà débuté (Asahi Shimbun, le 13 février 1998).» De cette façon, depuis la fin de la guerre froide, la situation autour de la péninsule coréenne a rapidement changé et des conditions favorables à la mise en application de l’accord Nord-Sud ont été créées. La réunification pacifique de la Corée figure d’ores et déjà à l’ordre du jour. Tout s’oriente vers elle en provoquant dés réactions en chaîne et en en amplifiant l’impact. La situation évolue en ce sens à l’intérieur comme à l’extérieur, et on peut espérer assister à la réunification de la Corée plus tôt que prévu. Ce n’est pas un rêve, mais le corollaire naturel de la fin de la guerre froide: la situation politique et économique du Nord et celle du Sud nous en convainquent. 203 4. ISSUE AUX SITUATIONS ECONOMIQUES ACTUELLES DU NORD ET DU SUD La réalité économique en Corée du Nord Comme tout le monde le sait, la Corée du Nord comme la Corée du Sud traversent actuellement une des pires périodes de crise économique. La Corée du Nord souffre d’une pénurie chronique de vivres, due aux calamités naturelles successives. De plus, par manque de combustible et de devises étrangères, elle a même du mal à remonter son économie à son ancien niveau. Selon les statistiques fournies par la Corée du Nord à l’ONU, son produit intérieur brut est tombé à 50%, en trois ans depuis 1993. Cependant, on ne peut évaluer cette économie socialiste sur la mesure occidentale. Elle est encore, il est vrai, au niveau d’une économie de pays en développement et connaît, à la suite de la disparition du marché socialiste, de sérieuses difficultés, par manque de devises fortes et d’énergie (pétrole et électricité) et du fait d’un faible taux de fonctionnement de ses entreprises et de la récession de la production. Mais elle se tient toujours ferme sur ses pieds, à la grande surprise du monde entier, en s’efforçant de se suffire à elle-même pour tout, notamment les vivres. Pour ce qui est du pourcentage de l’autosuffïsance en vivres en 1986, le Japon s’approvisionnait par lui-même à 22%, la Corée du Sud à 55%, et la Corée du Nord à 99%. Evidemment, le chiffre de cette dernière doit avoir sensiblement baissé à cause des calamités naturelles, auxquelles venaient s’ajouter des difficultés d’importation. Mais, à sa place, le Japon et la Corée du Sud auraient connu des crises beaucoup plus dramatiques. 204 Han Ho Sok, directeur de l’Institut de la réunification (de la Corée) à New York, a écrit dans un de ses articles: (1), les étrangers ne peuvent guère appréhender les activités économiques de la Corée du Nord; (2), il ne s’agit donc pas là de la valeur globale de la production nationale, mais seulement de la valeur de la production de biens matériels n’incluant pas le secteur tertiaire qui occupe la plus importante place dans la société capitaliste; (3), il faut encore tenir compte des divers bienfaits sociaux découlant de la distribution secondaire du revenu national (approvisionnement en vivres et en combustible, offre de logements, instruction et soins médicaux gratuits, fourniture à prix modique d’articles de première nécessité). Ainsi a-t-il souligné la nécessité de changer de vision et d’approche pour évaluer l’économie socialiste de la Corée du Nord. Le Conseil des relations extérieures, qui joue un rôle important dans l’élaboration de la politique extérieure de l’administration américaine, a indiqué, dans son «rapport sur la politique à l’égard de la péninsule coréenne» publié en mai 1998, qu’«on n’a guère connu, dans l’histoire, de pays qui ait survécu à un déficit budgétaire chronique de huit ans, et que pourtant Pyongyang tient toujours». Comme se faisant l’écho de cette remarque, le «rapport d’étude de la réalité de la Corée du Nord» publié par le bureau d’aide extérieure du département d’Etat américain a fait remarquer: «La population nord-coréenne a vécu au long de l’histoire, en préconisant la confiance en soi. Il ne faut donc pas sous-estimer sa volonté et sa capacité de combattre les difficultés successives ... La population et le gouvernement nord-coréens, confrontés à des difficultés et à un isolement prolongés, ont fini par mettre en place un système polyvalent pour s’y adapter et survivre. Voilà ce dont nous devons tenir compte.» L’économie nord-coréenne ne se prête guère à la méthode d’analyse capitaliste. Si elle souffre de graves difficultés, le régime politique nordcoréen, élément essentiel pour sa conduite, fonctionne avec dynamisme, et la Corée du Nord pourra parfaitement se redresser si 205 l’Occident lève ses sanctions et ses pressions politiques, économiques et militaires sur elle. L’économie sud-coréenne Dès le second semestre de 1997, les activités de l’économie sudcoréenne se sont mises à marquer le plus bas niveau de leur cycle, suite à la faillite de nombreux trusts et groupes et au mauvais fonctionnement des entreprises. La dette extérieure de la Corée du Sud a atteint, dit-on, 150 milliards de dollars. Par suite d’une crise financière sans précédent, la Corée du Sud était, vers la fin de la même année, près d’arrêter le remboursement de la dette extérieure. Elle a pallié tant bien que mal la crise en faisant un emprunt de 57 milliards de dollars à des organisations financières internationales, dont le Fonds monétaire international, et au Japon, mais son économie n’a enregistré que stagnations et récessions, et le nombre de chômeurs n’a cessé de monter en flèche. Frappée aussi de plein fouet par le contrecoup de la crise monétaire et économique de l’Asie du Sud-Est, la Corée du Sud se débattait, en butte à une crise économique profonde, due en particulier aux défauts de sa structure économique et à l’incompétence du «régime» Kim Yong Sam qui a échoué complètement dans sa politique économique, telle est l’opinion généralement partagée. Son système économique axé sur les gros trusts est fragile. Bénéficiant des faveurs spéciales de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement sous son contrôle exclusif, et malgré ses ressources faibles, son économie s’était précipitée trop nativement vers une extension maximale et multiforme et en est sortie totalement épuisée. A la faveur de la collusion du politique et de l’économique, les grosses entreprises s’étaient mises à opérer chacune à sa guise, et les banques, sous le contrôle du «gouvernement», leur avaient prêté des capitaux sans même s’assurer de leur solvabilité ni de la transparence des 206 opérations financières. Si les fonds manquaient, elles faisaient appel aux banques étrangères. Par conséquent, les établissements financiers ont récolté des tas de bons d’emprunts insolvables et d’énormes dettes extérieures bien supérieures à leur capacité de paiement. Prêts et emprunts s’étaient faits de façon anarchique entre les grosses entreprises, le règlement des comptes, approximativement, et la gestion, de manière spéculative. Le temps est venu où l’on devait en payer le prix: l’économie sud-coréenne, faite de mousse, a éclaté. Cependant, ces temps derniers, elle s’est mise à se rétablir petit à petit. Disposant de conditions favorables, elle pourrait se redresser, espérons-le, si elle se restructurait en prenant des mesures énergiques comme la réorganisation des trusts. La coopération économique nécessaire entre le Nord et le Sud Comme on l’a vu, la crise économique qui sévit au Nord et au Sud pousse les deux parties à se diriger, bon gré mal gré, vers l’amélioration de leurs relations. Premièrement, parce qu’il s’est avéré impossible, dans les circonstances actuelles, de réaliser le rêve sud-coréen d’«absorber le Nord pour réunifier le pays». Le «régime» Kim Yong Sam parlait à tout bout de champ d’«effondrement imminent» du Nord et multipliait discours et actes provocateurs tout en laissant entendre qu’il unifierait le pays en «absorbant» le Nord et en prenant appui sur l’économie sud-coréenne. Lors du décès du Président Kim Il Sung, non seulement il a refusé d’exprimer ses condoléances, mais encore il a réprimé férocement ceux qui voulaient rendre le dernier hommage au défunt Président, en dégradant ainsi à l’extrême les rapports Nord-Sud. On disait que le «fonds d’unification» n’avait cessé d’augmenter pour atteindre un millier de milliards de dollars, somme fabuleuse dépassant de loin celle 207 dépensée pour la réunification de l’Allemagne. Mais la Corée du Sud, au bord d’une faillite financière totale, ne pouvait disposer d’une aussi énorme somme. Et spontanément, la «thèse de l’unification par absorption» dont la Corée du Sud parlait si bruyamment s’est envolée en fumée. Deuxièmement, parce que, après le décès du Président Kim Il Sung, la Corée du Nord a fait preuve d’une stabilité politique impressionnante alors que l’Occident et la Corée du Sud estimaient que son écroulement n’était qu’une «question de temps». On croyait que la chute du socialisme en Union soviétique et autres pays d’Europe de l’Est ne tarderait pas à se répercuter sur l’Asie. Mais rien de semblable ne s’est produit jusqu’ici, ce qui est dû aux processus distincts d’établissement des socialismes à la soviétique et à l’asiatique ainsi qu’aux caractères différents de leurs régimes. En particulier, le socialisme nord-coréen s’est révélé plus ferme qu’on ne le croyait, et la Corée du Sud a bien dû se rendre compte qu’elle ne pouvait espérer voir le Nord «tomber» de lui-même. D’autre part, elle a intérêt à éviter, dans sa situation actuelle, le danger d’écroulement immédiat du régime nord-coréen, ne fût-ce que pour se consacrer à redresser son économie. Elle ne peut que souhaiter la détente à la place de la confrontation, la réconciliation et la coexistence. Troisièmement, parce que la Corée du Sud a commencé à prendre conscience de la nécessité de la coopération économique Nord-Sud comme moyen obligé de leur survie au sein de la communauté internationale. Nécessité qui, soulignée depuis longtemps, a commencé à produire des effets concrets. A présent, le Sud constitue, pour le Nord, un partenaire commercial inestimable, mais, étant la proie du changement de la situation politique et à cause d’un contrôle rigoureux, il n’a pu procéder à des échanges comme il le fallait. Quoi qu’il en soit, les crises économiques du Nord et du Sud ne leur permettent pas de rester cramponnés aux polémiques théoriques. Comme l’a montré le monde financier, l’économie internationale s’est engagée dans une ère de féroce compétition 208 dominée par la loi de la jungle. C’est l’ère de la libéralisation, de l’économie de marché. Pour remédier à leurs crises et survivre à cette époque de violente concurrence, le Nord et le Sud doivent opter, bon gré mal gré, pour la coopération en constituant une communauté vouée à partager un même sort. Soit dit en passant, la population sud-coréenne a qualifié de «second opprobre national», de «tutelle économique», de «spoliation du pouvoir économique» le prêt accordé par le Fonds monétaire international à condition que la Corée du Sud l’utilise sous sa supervision, et elle s’y est fermement opposée. L’accroissement rapide du nombre de chômeurs, l’alourdissement des impôts, la hausse des prix ont éveillé chez elle un esprit «chauviniste» préconisant la primauté de la nation et l’unité de la forme et du fond. Les Sud-Coréens éprouvent actuellement envers les Etats-Unis un sentiment complexe, mêlé de «reconnaissance et d’animosité». «Reconnaissance» d’avoir tendu à la Corée du Sud une main secourâble, bien que trop faible, pour le rôle de «mur anticommuniste» qu’elle jouait, et «animosité» car on constatait trop de conciliation envers le Nord au mépris de l’alliance sud-coréo-américaine» et qu’on trouvait dures les conditions posées par le Fonds monétaire international pour l’ouverture de son marché. D’ailleurs, l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger a critiqué la politique du Fonds monétaire international, parce qu’«elle risque de susciter une flambée de nationalisme dans les pays au taux de chômage élevé (pays asiatiques), en leur serrant trop la vis». Ambiance politique favorable à la reprise du dialogue Nord-Sud Malgré la tension dans la péninsule coréenne et la complexité du climat politique régnant au Nord et au Sud, des conditions favorables à la reprise du dialogue ont commencé à se réunir. Premièrement, en Corée du Nord, les trois années de deuil après le décès du Président Kim Il Sung ont pris fin, Kim Jong Il a été élu Secrétaire général du 209 Parti du Travail de Corée, puis réélu, en 1998, Président du Comité de la défense nationale. Il a déclaré sa volonté de continuer la politique du défunt Président Kim Il Sung, même en matière de réunification. Le Nord a défini la Déclaration conjointe du 4 Juillet, le Projet de création d’une République fédérale démocratique du Koryo et le Programme en dix points pour la grande union de toute la nation en faveur de la réunification de la patrie comme Triple charte de la réunification et œuvre pour réunifier le pays selon le principe de la souveraineté nationale. Deuxièmement, un nouveau «régime» s’est instauré en Corée du Sud. L’actuel chef de l’exécutif sud-coréen a formulé, dans son discours d’investiture, trois principes, à savoir «s’abstenir de toute attaque armée, renoncer à l’idée d’"unification par absorption" et promouvoir réconciliation et coopération, là où c’est possible pour commencer». Il s’est aussi déclaré prêt à échanger des envoyés spéciaux, en vue de la mise en application de l’accord Nord-Sud et à appuyer le sommet Nord-Sud si le Nord le souhaite aussi. La renonciation à 1’«unification par absorption» représente un grand changement par rapport à la «politique d’unification» des «régimes» militaires successifs et du «régime civil» Kim Yong Sam: le Sud admet pour la première fois la coexistence avec le Nord. L’intérêt porté à l’accord Nord-Sud et l’engagement fait pour son application aussi diffèrent de ceux du «régime» Kim Yong Sam. Sur «cent tâches» exposées par la commission de passation du «pouvoir», à la veille de sa prise de fonction, le nouveau chef de l’exécutif a confirmé sept, à savoir préparation des bases de l’amélioration des relations Nord-Sud par l’application de l’accord Nord-Sud, promotion de la coopération économique selon le principe de la séparation du politique d’avec l’économique, organisation de rencontres entre membres de famille séparés, élaboration d’une politique populaire de réunification. Dans «séparation du politique d’avec l’économique», il est dit de promouvoir échanges et coopération dans les domaines économique et humanitaire même si le dialogue politique n’est pas repris, et, pour le tourisme, d’exploiter 210 conjointement les monts Kumgang et autres sites comme «zones touristiques libres»; et pour ce qui est de l’assistance humanitaire, de fournir, outre l’aide alimentaire qui se fait par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, diverses assistances comme l’amélioration des variétés, le matériel agricole, l’agrotechnique, etc. Cette expression du désir sans précédent d’améliorer concrètement les relations NordSud dans divers domaines mérite d’être retenue. Troisièmement, le Nord se montre favorable à la reprise du dialogue Nord-Sud. Le 6 avril 1998, Kim Yong Sun, secrétaire du Parti du Travail de Corée, a dit: «L’accord Nord-Sud doit être appliqué au plus tôt. Cela réclame une ouverture rapide du dialogue Nord-Sud.» Le 12 décembre de la même année, s’adressant à une délégation de parlementaires européens en visite en Corée du Nord, Kim Yong Nam, président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême de la RPDC, a déclaré: «Nous souhaitons ouvrir un nouveau dialogue politique avec le Sud. Le retrait des troupes américaines de Corée du Sud est un problème d’importance majeure, mais non le préalable à l’ouverture du dialogue.» Propos riches de sens. Par ailleurs, on remarque que la Corée du Nord, tout en critiquant la Corée du Sud, s’abstient soigneusement d’attaquer nommément le chef de l’exécutif sud-coréen, chose digne d’être retenue. En retour, dès 1999, le «gouvernement» sud-coréen a admis l’amélioration des relations nord-coréo-américaines antérieurement à celle des relations Nord-Sud, ce qui marque un grand changement par rapport à sa politique ancienne préconisant une amélioration «simultanée et parallèle», et cela favorisera le progrès du dialogue. Quatrièmement, les pays voisins saluent et soutiennent les démarches entreprises en faveur de l’amélioration des relations Nord-Sud et coordonnent leurs intérêts pour la première fois. «Les Etats-Unis et la Chine s’accordent à ne pas souhaiter conflit et confusion dans la péninsule coréenne (Le département américain de la Défense).» Le Japon ne semble pas encore avoir fixé sa stratégie fondamentale envers la péninsule coréenne, mais il tend à 211 s’intégrer au courant pacifique. Or, pour le gouvernement japonais, la réparation de son passé envers la Corée du Nord et la normalisation de ses relations avec elle restent une épine dans le pied. Quant à la Russie, elle ne guette que le moment propice pour assumer un rôle dans le processus de paix de la péninsule coréenne. Ainsi, tous les pays voisins et intéressés s’accordent, malgré la différence de leurs visions, à souhaiter l’application de l’accord Nord-Sud et la réunification du Nord et du Sud. Le projet de «déclaration des six pays pour la paix et la sécurité en Asie du Nord-Est» préparé par le chef de l’exécutif sud-coréen ne pourra se réaliser de si tôt, mais le temps ne tardera pas à venir où l’Asie du Nord-Est saluera l’ère de la promotion de la sécurité entre pays différents. Dans cette perspective, la réconciliation et la coexistence entre le Nord et le Sud s’imposent. Démarches effectives pour des échanges entre le Nord et le Sud Les changements survenus dans les attitudes du Nord et du Sud ont commencé à se traduire dans les paroles et les actes concrets. Examinons la chronologie de 1998. • Le 15 février—La Corée du Nord a déclaré qu’elle accepterait, à partir du premier mars, les requêtes des Sud-Coréens et des compatriotes d’outre-mer pour s’enquérir de l’adresse de leurs parents et proches résidant au Nord. • Le 20 février— Pak Yong Su, vice-président du Comité pour la réunification pacifique de la patrie de la RPDC, a exprimé, lors d’une «conférence pour la réunification des hommes de science du Nord, du Sud et d’outre-mer» tenue à Beijing, ses espoirs sur le nouveau «régime» sud-coréen. Il a dit que «ce changement de "régime" méritait d’être apprécié, car il offrait à la nation une occasion propice pour ouvrir une voie vers la souveraineté, la réconciliation et la détente en faisant table rase du passé et qu’on pouvait dire que la 212 chance n’avait toujours pas souri à notre nation». C’est là un signal évident pour la reprise du dialogue. Paek Yong Chol, président du forum sud-coréen au sujet de la réunification, a dit, à son tour, que «le Sud et le Nord devraient faire de leur crise économique actuelle l’occasion de promouvoir la coexistence et la coopération nationales». • Les partis et autres organisations du Nord, réunis le 18 février à Pyongyang en une conférence conjointe, une semaine avant le changement de «régime» en Corée du Sud, ont exprimé leur souhait de dialogue avec leurs homologues du Sud pour ouvrir la voie vers la réunification et ont adopté une lettre adressée au président de 1’«assemblée nationale pour une nouvelle politique». • Le 27 mars—Le cinquième tour des négociations entre les sociétés de la Croix-Rouge du Nord et du Sud, tenu à Beijing, est convenu que le Sud fournirait au Nord, jusqu’en mai, du blé, de l’huile de table et du sel équivalant, par leur valeur, à 50 000 tonnes de maïs, sous réserve que la Ligue des sociétés de la CroixRouge supervise leur distribution. • Le même jour, les autorités sud-coréennes ont déclaré qu’elles atténueraient sensiblement le contrôle sur les investissements des entreprises sud-coréennes au Nord, en simplifieraient la procédure et «respecteraient la liberté de décision des industriels selon le principe de la séparation du politique d’avec l’économique». • En avril, le «Conseil pour l’unification» de Corée du Sud a entériné le projet de création d’une ferme de coexploitation de 1 500 ha dans une ferme coopérative de la zone économique et commerciale Rajin-Sonbong, pour la production de céréales et l’élevage de porcs. C’est le premier pas de la coopération Nord-Sud dans le domaine agricole. 8 millions de dollars seront placés en vingt ans dans cette coexploitation. Le «Conseil pour l’unifïcation» a également autorisé la Fondation du bien-être de la nation coréenne à construire une fabrique de produits pharmaceutiques à Rajin et à y ouvrir un hôpital. 213 • Le 6 avril—Kim Yong Sun, secrétaire du Parti du Travail de Corée, a déclaré: «Le Sud propose la coopération et des échanges selon le principe de la séparation du politique d’avec l’économique. Si c’est réellement avec le désir de la réunification du pays, nous y répondrons par l’affirmative en faisant preuve de largeur d’esprit, quelle que soit la forme qu’ils puissent emprunter.» • Le 11 avril—A Beijing, s’est tenu le dialogue au niveau des vice-ministres après 3 ans et 9 mois de rupture, pour être suspendu de nouveau à cause des divergences de vues au sujet de la livraison d’engrais et de la rencontre de membres de famille séparés. «Rupture» différente de nature de celle de l’époque du «régime» Kim Yong Sam. Le représentant du Sud a fait remarquer: «Le Nord et le Sud ont reconnu la nécessité de poursuivre le dialogue. Le dialogue n’est pas rompu, mais il a été suspendu pour un moment comme une mi-temps dans un match.» Il ne faut donc pas se réjouir ou se désoler trop de l’actuel état de choses. On doit regarder loin dans la perspective du dialogue qui, bien que lentement, ne cesse de progresser comme sur un escalier en spirale. Et voici ce qu’a indiqué un bulletin d’informations: les délégués du Nord et du Sud, qui ont polémiqué âprement à longueur de journée, se réunissaient le soir pour boire à une même table et mêler leurs voix en chantant des chansons nationales, bras dessus bras dessous. N’est-ce pas là une preuve éloquente du bien-fondé de notre optimisme? (Le «Conseil pour l’unification» a déclaré au début de 1999 que le Sud «ferait preuve de souplesse en dialoguant avec le Nord, renoncerait au principe de la "réciprocité" qui demandait au Nord de fournir les garanties du remboursement à court terme et admettrait la "non-simultanéité", la "non-équivalence", et qu’il examinait actuellement l’inclusion d’engrais dans la liste des articles d’assistance humanitaire à offrir sans conditions au Nord».) • Le 13 avril—Le «gouvernement» et le parti au pouvoir en Corée du Sud ont décidé, lors d’une séance de réajustement de la politique, (1), «de multiplier les visites au Nord des hommes 214 d’affaires, y compris des patrons des groupes et conglomérats (magnats de l’industrie et de la finance); (2), d’autoriser le transfert et le don à bail au Nord des équipements industriels disponibles; (3), de lever la limitation d’un million de dollars imposée à chaque investissement; (4), de modifier l’actuel règlement limitant les investissements à certains secteurs déterminés pour ne les interdire que dans quelques secteurs déterminés» (Yonhap News Agency). • Le 25 avril— Une ligne aérienne internationale passant par l’espace aérien de la Corée du Nord et celui de la Corée du Sud a été ouverte. Pour la première fois, un avion de ligne régulière de Korea Air Lines Co., Ltd. a survolé la Corée du Nord. • Le 2 mai—La troupe artistique «Little Angels» de Corée du Sud a visité la Corée du Nord pour y donner des spectacles. • Le 8 juin—Les organisations sociales de Corée du Nord ont constitué un «conseil de réconciliation nationale». • Le même jour, Jang Yong Sik, directeur de Korea Electric Power Corporation, s’est déclaré prêt à fournir l’excédent d’énergie électrique au Nord en ajoutant qu’«on avait d’ores et déjà entrepris les travaux pour relier le câble de transport du courant, coupé depuis mai 1948». • Le 13 juin—La Corée du Sud a publié des mesures d’adoucissement de règlements supposant l’abolition du système d’autorisation des exportations de moyens de production et l’admission de l’importation de livres et d’autres articles de Corée du Nord sous des conditions déterminées. • Le 16 juin—Le directeur honoraire Jong Ju Yong de Hyundai Business Group a visité la Corée du Nord en apportant avec lui cinq cents vaches et conclu un accord sur le développement du tourisme dans les monts Kumgang et la construction d’une usine par Hyundai Motor Company. • Le 18 juin—La Corée du Sud a approuvé comme une mesure de coopération Nord-Sud le projet de la Fondation internationale de la production de maïs, qui prévoyait la culture expérimentale d’une variété de maïs à haut rendement dans le Nord. 215 • Le 8 juillet—La Corée du Nord a commencé l’émission radiophonique «Lettre» donnant des nouvelles des familles habitant au Nord à leurs membres résidant en Corée du Sud. • Le 15 août—Le chef de l’exécutif sud-coréen a proposé de faire fonctionner la comission conjointe Nord-Sud et de créer un dialogue permanent Nord-Sud au niveau des ministres ou des vice-ministres. • Le 18 août—Le «Conseil pour l’unification» a publié sa décision de simplifier les formalités à remplir pour visiter le Nord, pour les personnes âgées de 60 ans et plus, originaires du Nord, et d’appliquer, à partir du premier septembre, un système de requête à la place de l’ancien système d’autorisation. • Le 30 octobre—Le Secrétaire général Kim Jong Il a reçu en audience Jong Ju Yong, président honoraire de Hyundai Business Group en visite au Nord. • Le 3 novembre—Des musiciens de la Fondation de la culture pour l’unification Hangyore, organisation non gouvernementale sud-coréenne, a visité le Nord et donné des concerts conjointement avec leurs homologues nord-coréens. • Le 10 novembre—Samsung Group a décidé de promouvoir la coopération avec le Nord dans le domaine économique et publié son projet de créer au Nord une vaste «zone complexe électronique». • Le 18 novembre—Le premier voyage touristique de SudCoréens aux monts Kumgang a eu lieu. • Le 15 décembre—Jong Ju Yong, président honoraire de Hyundai Business Group, venu en visite au Nord, est convenu avec le Nord de créer une vaste zone industrielle sur la côte ouest de la Corée du Nord. • Le 30 décembre—Hyundai Business Group a annoncé que le nombre des touristes sud-coréens aux monts Kumgang avait dépassé dix mille. Ainsi, rien qu’à examiner les dates importantes, on comprend que les visites et les échanges entre le Nord et le Sud se sont multipliés. Selon le rapport présenté par le «centre d’éducation pour 216 l’unification» relevant du «Conseil pour l’unification» de Corée du Sud, le nombre des visiteurs au Nord a atteint 3 231 en 1998, à l’exclusion des touristes aux monts Kumgang, alors que, pendant 9 ans (de 1989 à 1997), il n’était que 2 408. Ce nombre ne fera que s’accroître. 5. LA REUNIFICATION PAR FEDERATION ASSURERA LA COEXISTENCE ET LA COPROSPERITE Les contacts et les dialogues qui se multiplient entre le Nord et le Sud ne peuvent qu’entraîner le dégel. Mais tout ne marche pas comme sur des roulettes. La méfiance, durcie au cours d’un demisiècle d’opposition et de haine, ne peut disparaître du jour au lendemain. De plus, la vision du Nord et celle du Sud en matière de dialogue et de réunification diffèrent sensiblement l’une de l’autre. Premièrement, pour ce qui est de la coopération dans le domaine économique, les différences de système économique et de mode de gestion y font obstacle, en refroidissant le zèle d’investissement des entreprises sud-coréennes. D’autre part, on craint que, si celles-ci investissent au Nord, le nombre des chômeurs ne s’accroisse dramatiquement au Sud et que l’économie sud-coréenne n’en pâtisse sérieusement, vidée de sa substance. Pourtant, malgré d’éventuelles régressions à certains moments, tout porte à croire qu’on ne manquera pas de trouver la voie menant à une relance de l’économie sud-coréenne et à la coprospérité Nord-Sud. Il est probable que la coopération Nord-Sud sera une injection de vitamines pour l’économie sud-coréenne malade. D’autre part, la Corée du Nord pourrait introduire la technologie et le capital du Sud, sans trop en craindre les conséquences, du moment qu’ils viennent de l’autre partie du pays. Ce sera un fortifiant pour son économie affaiblie. 217 Si le Nord fournit au Sud à prix modique et de manière régulière ses abondantes richesses du sous-sol, le Sud pourra en tirer d’énormes profits. Les produits sud-coréens, transportés en Chine, en Russie et en Asie du Sud-Est, par voie terrestre, c’est-à-dire par le territoire intérieur du Nord ou par la zone Rajin-Sonbong, pourraient revenir moins cher. Le Nord et le Sud pourraient lancer en coopération d’autres programmes encore. S’ils coexistent, puis s’unifient, ils formeront un pays comptant 1970 millions d’habitants, qui, par son potentiel économique, s’imposera en Asie du Nord-Est. Deuxièmement, la vision du Nord et celle du Sud en matière de réunification diffèrent foncièrement. En 1993, Kim Yong Sam a proposé sa «thèse de l’unification en trois étapes»: «la réconciliation et la coopération, la communauté Sud-Nord et leur reconstitution en une nation et en un Etat». L’actuel chef de l’exécutif sud-coréen, quant à lui, a préconisé dès les années 1970 1’«unification en trois étapes», supposant, (1), la coexistence et les échanges, (2), la confédération et, (3), l’unification. A première vue, leurs idées semblent identiques, mais elles accusent une différence substantielle: le premier préconisait la communauté, tandis que le second, la confédération. Or, il est à noter que celui-ci a fait par la suite un pas en arrière en déclarant, en 1999, qu’«il ne rejetterait pas la fédération». Certains l’expliquent par l’influence de l’idée répandue dans les milieux politiques d’opposition du Sud selon laquelle le Nord serait un «sinistré à secourir», et «non un partenaire avec lequel on peut collaborer sur un pied d’égalité», idée venant du profond sentiment de frustration et de déception causé par l’écroulement du socialisme en Union soviétique et en Europe de l’Est. C’est-à-dire qu’on peut admettre la communauté de «deux Corées», et non la fédération supposant une seule Corée. D’autre part, le Nord identifie la fédération à la réunification, tendis que le Sud considère la communauté et la confédération comme une étape vers celle-ci. C’est là que réside le fond de la divergence. Or, on peut dire, en anticipant la conclusion, que, si l’on considère pas la fédération comme une réunification, on ne pourra 218 jamais la réaliser. Préconiser une réunification totale et parfaite, y compris celle des régimes, revient à la saboter dans les circonstances actuelles. L’Etat fédéral devra mettre longtemps à réaliser la fusion intérieure, et le soin d’y parvenir appartient aux générations à venir. Quel statut faudra-t-il donner aux gouvernements autonomes régionaux? Qui devra exercer le droit diplomatique et le commandement des forces armées? Ce sont deux problèmes majeurs, posés pour définir le caractère de l’Etat unifié, et leurs solutions dépendent de la vision et de la notion que l’on a de la réunification. Par ailleurs, on peut s’inquiéter de savoir quelle somme devrait verser le Sud comme «fonds d’unification» dans le cas de la fédération. Mais, comme il s’agit d’une fédération de type coréen, différent de celui d’Allemagne basé sur la réunification complète de l’Est et de l’Ouest du pays, le Sud n’aurait pas, ou presque, à verser comme «fonds d’unification», tant qu’on ne cherchera pas à unifier les monnaies. Il faudra en toute priorité redresser les économies du Nord et du Sud grâce à une coopération efficace. Même après que le pays aura été réunifié sous forme fédérale, on devra poursuivre la coopération, pour aider le Nord à développer son économie. La fusion des économies des deux parties devra se faire après l’unification des territoires et des appareils d’Etat, et selon la volonté des populations. Le chef de l’exécutif sud-coréen a déclaré à maintes reprises qu’il «ne souhaitait pas une réunification immédiate» et voulait «qu’on procède d’abord à des échanges et à la coopération et puis aille progressivement vers l’unification». Mais, s’il le voulait pour remédier à la crise économique du Sud, il devrait mettre le cap en sens inverse. S’il pensait vraiment que, «si le Nord tombait, le Sud tomberait lui aussi, et s’il en dégageait, pour les deux, la nécessité de la coexistence» (un homme du proche entourage du chef de l’exécutif), il devrait étudier le projet de fédération du Nord et collaborer à en élaborer une forme acceptable aux deux parties et ne pouvant porter préjudice à aucune d’elles. 219 «L’unification sera difficile aussi longtemps que le Nord ne reconnaîtra pas la démocratie libérale du Sud, que le communisme ne cédera pas la place et que l’économie de marché ne sera pas établie au Nord. On n’a donc qu’à attendre. L’important pour le moment est de savoir comment gérer la division, avant l’unification (Ri Tong Bok, membre de la commission de passation du “pouvoir”).» Si le Sud s’en tient à cette position, les relations NordSud ne pourront connaître aucune amélioration. Le temps est au travail, et non à 1’«attente». Il faut travailler activement à mettre fin à la division, à établir une paix durable, au lieu de s’attacher à «gérer la division». Il faut s’employer à réaliser le fédéralisme qui garantit la coexistence et la coprospérité. Le geste du chef de l’exécutif sud-coréen qui a nommé Kang In Dok, réputé extrémiste conservateur, président du «Conseil pour l’unification» n’a pas tardé à produire un contrecoup lors des pourparlers Nord-Sud au niveau de vice-ministres. La méfiance et la rebuffade du Nord s’expliquent par son mécontentement de voir un tel homme se présenter comme son interlocuteur. Si le Nord réclame le démantèlement de l’«Agence de la planification de la sécurité nationale» et l’abolition de la «loi sur la sécurité nationale», laquelle définit le Nord comme «ennemi», ce serait plutôt pour voir ce que veut réellement faire le chef de l’exécutif sud-coréen en participant au dialogue. On ne peut, c’est évident, coprospérer ou coexister en paix si une partie considère l’autre partie comme ennemie. Le caractère que prendront les partis alliés au pouvoir, le traitement qu’ils réserveront à Kim Jong Phil, le remaniement constitutionnel pour la transformation du régime présidentiel en régime ministériel auront aussi leurs retombées sur la reprise du dialogue. Le chef de l’exécutif sud-coréen a fait observer: «Si les troupes américaines évacuent la Corée du Sud et le Japon, la sécurité et l’équilibre des forces actuels s’évanouiront en un instant. La présence militaire américaine en Corée du Sud est indispensable la sécurité et la paix en Asie du Nord-Est.» Or, si les relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis s’améliorent, si un accord de 220 paix intervient entre eux, cette présence n’aura plus aucun sens. Si pourtant les troupes américaines devaient continuer de stationner dans la péninsule coréenne pour un temps, ce serait sous le nom de «forces de maintien de la paix». Les Etats-Unis aussi l’ont reconnu pour l’essentiel. Autrement dit, si l’on insiste pour que les troupes américaines conservent leur statut actuel, le dialogue et l’effort de réunification ne pourront aboutir. Le chef de l’exécutif sud-coréen devrait aborder le problème de la réunification, décidé à modifier l’état de choses actuel et à accorder la primauté à l’indépendance nationale, au lieu de chercher à maintenir le statu quo, et devrait en discuter avec le Nord à cœur ouvert. Comme nous l’avons vu, il y a des difficultés, des problèmes épineux et des facteurs négatifs, mais la situation à l’intérieur comme à l’extérieur du pays évolue en faveur de la réunification. Si l’on laisse échapper l’occasion, on ne pourra jamais réaliser la réunification. C’est la dernière chance offerte au Nord et au Sud, et le monde entier suit attentivement leur conduite, désireux de voir la Corée se réunifier au début du XXIe siècle. Ce serait une honte pour la nation coréenne que de laisser perdurer sa division. La Corée doit et peut recouvrer son unité. Elle en possède toutes les forces et les capacités nécessaires. Le vœu ardent de réunification, la ferme résolution de ne pas laisser échapper cette dernière chance, la foi et la vive intelligence des Coréens sont là pour y réussir. La réunification de la Corée est une nécessité historique brûlante, et non une illusion ou un miracle. * * * Lors du scandale qui fut fait à propos du «soupçon de casinos» en 1989, les pires insultes et violences ont été perpétrées contre les élèves des écoles coréennes au Japon. Les élèves coréennes portent comme uniforme scolaire les traditionnels costumes des Coréennes, ce qui les distingue au premier regard de leurs condisciples. Et bon nombre 221 d’entre elles ont fait l’objet, pour cette seule raison, d’insultes et de violences des plus infamantes. Des inconnus se jetèrent sur elles pour lacérer leurs vêtements à coups de couteau. On a parlé de 1’«incident des traditionnels costumes des Coréennes». Non seulement les Coréens résidant au Japon, mais aussi des Japonais élevèrent la voix pour condamner cette provocation indigne. On a cru, ensuite, à une accalmie. Dix ans se sont écoulés depuis, mais les violences n’ont cessé de s’abattre sur les Coréens. Les plus importantes remontent aux époques du «soupçon de développement nucléaire» de 1994 et du «scandale du missile balistique» de 1998. «Nous avons versé du cyanure de potassium dans le château d’eau de votre école», disaiton dans un message de chantage téléphonique parmi d’autres du même genre téléphoniques ou écrits. Serait-ce le fantôme des attentats au poison qui sévissaient alors au Japon? Des élèves coréennes ont été attaquées en pleine rue, et les attaquants les ont blessées aux mains à coups de couteau. Des bouteilles incendiaires ont été jetées dans les édifices du comité central de l’Association générale des Coréens résidant au Japon (organisation de Coréens favorable à la RPDC) et de son comité de la préfecture de Kanagawa. C’est dans ce contexte que la salle de réunion du siège du comité de la préfecture de Chiba de cette organisation a été incendiée et que Ra Hun (42 ans) qui était alors de service de nuit est mort brûlé: son corps carbonisé était devenu inidentifïable. Il a été établi par la suite que l’homme avait été frappé à la nuque par une arme grossière et étranglé, son visage et son abdomen étant frappés à une quinzaine d’endroits de coups de couteau. La cruauté de cet assassinat et le tempérament paisible de la victime font penser à un forfait prémédité, dépassant de loin le banditisme ou le fait d’un incendiaire. On n’a pas encore mis la main sur le criminel. Mais, que le crime soit lié ou non au «scandale du missile balistique», l’horrible forfait a profondément traumatisé les Coréens vivant au Japon. 222 Cependant, les médias japonais ont gardé un silence complet làdessus, et la société japonaise n’a pas voulu l’accuser véhémentement. Qu’un missile balistique nord-coréen ait survolé l’archipel nippon, pourquoi les Coréens résidant au Japon devraient-ils faire l’objet de persécutions? Les violences n’ont cessé même après que la Corée du Nord avait déclaré avoir lancé un satellite artificiel. Le sentiment d’hostilité envers la Corée du Nord et les Coréens est-il ancré si profondément dans la conscience des Japonais? Le 17 décembre 1998, un individu, appartenant à une organisation de droite, a frappé Hirayama, maire de la préfecture de Niigata, à la joue avec un poinçon en criant: «Pourquoi diable as-tu permis de revenir au Mangyongbongho (paquebot mixte de la RPDC circulant entre la Corée du Nord et le Japon)?» Acte qui rappelle bien le dicton: «Celui qui déteste le moine prend en grippe sa soutane.» Faut-il croire que les Japonais refusent de faire la paix avec la Corée du Nord? Quelle attitude anachronique! L’inimitié ancrée depuis longtemps dans la conscience nippone par diverses suppositions plus ou moins gratuites s’est manifestée de façon plus virulente encore avec le «soupçon de kidnapping d’une Japonaise» et le «scandale du missile balistique». Bien que les auteurs des violences soient tous des individus liés à des organisations de droite ou des sympathisants de la droite, on est en droit de penser que l’antipathie envers la Corée du Nord affecte sérieusement la société japonaise. La confrontation et la guerre n’apportent rien de bon. Il n’en résulte que haine et tragédie. La guerre éclate, dans la plupart des cas, à cause des mésententes. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la fin de la guerre, et les rapports entre la Corée du Nord et le Japon, entre les Japonais et des Coréens du Japon resteront-ils ce qu’ils étaient jadis, des rapports d’attaquant à attaqué, d’opprimant à opprimé et de méprisant à méprisé? Mais non. Grâce aux efforts consentis par les deux pays, d’importants changements sont intervenus. Lors du grand tremblement de terre de Kanto, un nombre 223 incalculable de Coréens ont été massacrés par les Japonais, mais, quelque 70 ans plus tard, quand un séisme violent a ravagé HanshinAwaji, au lieu de pareille hécatombe, on a vu les deux pays coopérer à secourir les sinistrés. Pourtant, on ne peut s’empêcher d’avoir l’impression qu’une force invisible tend toujours à faire obstacle à l’amélioration des relations entre les deux pays. C’est donc désireux de mettre au jour cet écueil déplorable que j’ai décidé d’écrire ce livre. En fait, je ne peux que frémir d’indignation quand je pense à cette force (le pouvoir ou l’appareil d’Etat) qui tient si obstinément à dresser les Japonais contre les Nord-Coréens. Alors que j’écrivais ce livre, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont effectué des raids aériens sur l’Irak. Actuellement, l’Occident considère la Corée du Nord et l’Irak comme les plus graves «menaces» et comme des «ennemis» irrémédiables. A-t-il raison? Dennis Halliday, qui s’est occupé, en tant que coordinateur de l’ONU, de l’aide humanitaire en Irak, a donné sa démission en octobre 1998, en guise de protestation contre la sanction économique que l’ONU s’obstinait à appliquer sur l’Irak. Il a dit: «La communauté internationale se complaît à massacrer les Irakiens. Avant la guerre du Golfe, M. Hussein a fait beaucoup investir pour consolider les infrastructures de la société irakienne, les installations d’hygiène publique de l’Irak faisaient partie des meilleures du Moyen-Orient. Les communications et les transports étaient très bien organisés, les meilleurs des étudiants étaient envoyés à l’étranger poursuivre leurs études.» Je ne veux nullement prendre la défense du président Hussein qui a envahi le Koweït, mais, pour juger de l’Irak, nous devons prendre en compte également le fait que les Etats-Unis l’ont incité à l’attaque et que les photos d’oiseaux couverts de pétrole sont truquées. Les médias japonais ne restèrent pas indifférents aux raids aériens américano-britanniques sur l’Irak. Ils les commentèrent sans parti pris et critiquèrent les Etats-Unis. Cependant, quand il s’agit de la Corée du Nord, pays voisin, non seulement les autorités, mais 224 aussi les médias et le public japonais refusent de faire montre de l’impartialité dont ils sont pourtant parfois capables. Dès que l’on entend parler de la Corée du Nord, on fait la grimace. Depuis quand est-on devenu ainsi? Pourquoi les Japonais se refusent-ils à réfléchir au secret de la survie des Nord-Coréens? Ceux-ci en butte à la pénurie de vivres et à d’autres difficultés économiques multiples tiennent bon cependant et chérissent leur régime socialiste. Pourquoi les Japonais se plaisent-ils, pleins de suffisance, à se moquer? Est-ce peut-être parce qu’ils ont vu sur le petit écran le mur de Berlin se démolir? Ou que le socialisme s’est effondré en Union soviétique et en Europe de l’Est? Mais la fin de la guerre froide ne signifie pas le triomphe du capitalisme. Elle marque seulement l’avènement de l’ère de la coexistence de différents idéaux et notions de valeur, dont le socialisme. Aussi devrait-on s’efforcer de se connaître, de se comprendre et de se concilier au lieu de se laisser aller à des sentiments superficiels générés par l’idée fausse qu’on a l’un de l’autre. Il se peut que les Japonais soient mécontents de ce que la Corée du Nord ne fournisse pas d’informations sur elle à l’Occident et qu’ils aient du mal à la comprendre. Ils ne devraient pas pour autant se joindre aux campagnes de désinformation et au scandale provoqué par le «soupçon» sur la Corée, soupçon gratuit et plein de contradictions. Or, bien des Japonais font le jeu des combines malhonnêtes et des campagnes de désinformation grossières d’individus de mauvaise foi. L’homme recueille les informations, les vérifie et pèse le pour et le contre avant d’entreprendre une action. De fausses informations peuvent conduire même à des meurtres. On devrait les analyser pour s’assurer de leur exactitude, surtout quand elles paraissent trop belles ou équivoques ou unilatérales. D’autant plus que la société contemporaine est surinformée et que les rapports humains, les échanges commerciaux, les relations politiques et diplomatiques font souvent le jeu de la propagande, de la campagne de désinformation. 225 En effet, la péninsule coréenne fait l’objet d’une campagne fiévreuse de désinformation. Il ne faut pas oublier que la Corée est en état de guerre. C’est dans ce contexte que se produisent diverses sortes d’incidents et d’affaires réprouvant la plupart du temps la Corée du Nord, lesquels sont cependant d’une véracité douteuse. Vers la fin de 1998, dans les milieux de la presse, le bruit a couru selon lequel le chef de l’exécutif sud-coréen aurait dit que l’explosion d’une bombe dans un avion sud-coréen semblait être l’œuvre de 1’«Agence de la planification de la sécurité nationale». En effet, dans son numéro de novembre 1998, Mall, revue mensuelle sud-coréenne, a réclamé, dans un article intitulé «Mystère non éclairci, l’explosion dans le KAL 858», qu’on réexamine l’affaire en ouvrant une nouvelle enquête, car elle contenait de nombreux points obscurs et contradictoires. C’est une affaire depuis longtemps classée, et pourquoi vient-on à en reparler 10 ans après? Voici la réponse: la «thèse du crime» de la Corée du Nord, thèse estimée indubitable dans l’Occident, contient bien des points contradictoires, et aucun vestige de l’avion ni aucun corps de victime n’ont été découverts; c’est donc une affaire non résolue. On ne peut savoir si vraiment le chef de l’exécutif sud-coréen révélerait la vérité. De toute façon, si l’on établissait que c’était l’œuvre de l’Agence de la planification de la sécurité nationale (l’ancien KCIA, actuellement centre de renseignements d’Etat), on serait obligé de reconnaître que la plupart des soupçons sur la Corée du Nord étaient de pure invention. Et une part importante de la responsabilité en retombe sur les médias japonais qui ont répété comme des perroquets tout ce que disait l’Agence de la planification de la sécurité nationale, et sur le gouvernement japonais qui a rompu le dialogue nord-coréo-japonais pour la normalisation des relations, en invoquant le «soupçon de kidnapping d’une Japonaise». A quoi conduira ce comportement inintelligent? La diplomatie ne se fait pas sur des sentiments. La diplomatie contemporaine a pour mission majeure de réaliser la coopération, la coexistence et la coprospérité. Ses succès réels, ce sont les résultats 226 obtenus par voie de négociations. Cependant, très souvent on assiste à des luttes politiques violentes dans le monde diplomatique. Mais c’est toujours celui qui n’a pas su contrôler ses sentiments qui perd la partie. Si la situation empire à l’extrême et dégénère en conflit armé, c’est l’échec total de la diplomatie. Lors d’une réunion conjointe de la commission des affaires extérieures et de celle de la défense nationale du Parti libéraldémocrate tenue le premier septembre 1998, alors que le Japon faisait grand tapage à propos du «missile», on est allé jusqu’à demander de geler les avoirs des Coréens du Japon et de bloquer les mandats postaux vers la Corée du Nord. Voire, on a débité des propos incendiaires, tels que «la Chongryon est comme un otage». Heureusement, de telles mesures n’ont pu être prises aux termes des lois en vigueur, mais il en ressort clairement que le Japon ne se doute pas que, s’il appliquait des sanctions à la Corée du Nord, il en résulterait inévitablement une guerre. Il a appliqué des sanctions en gelant le fonds à fournir à la KEDO, mais en vain. Cependant il n’en a pas tiré de leçon et refuse d’amener l’opinion nippone à revenir sur son geste anachronique. «Que le peuple japonais se repentisse de cet "été 1998 anormal", ce serait "jouer de la musique après la procession". Un peuple stupide rend le gouvernement inepte. Avant que le peuple japonais ne comprenne qu’il ne peut avoir qu’un gouvernement à son niveau, on ne pourra trouver de terrain propice à la conciliation et à la symbiose du Japon et de la Corée», s’est lamenté Maeda Yashuhiro, professeur à l’université de Kitakyushu. Le gouvernement, les médias et le peuple japonais sont invités à user de sang-froid pour envisager et analyser correctement la situation prévalant dans la péninsule coréenne et préparer le terrain pour l’amélioration des relations nord-coréo-japonaises, avant qu’il ne soit trop tard. Je le souhaite vivement en tant que Coréen résidant au Japon et désirant sincèrement la conciliation et des relations de bon voisinage entre les deux pays. Je serais heureux si mon livre pouvait 227 aider tant soit peu à une meilleure connaissance de la situation dans la péninsule coréenne. Je tiens à remercier M. Sinko Hajime de la maison d’édition Shakai Hyoronsha qui m’a offert de nombreuses suggestions utiles dans la rédaction du présent livre. 228 CHAPITRE IV LA STRATEGIE ECONOMIQUE, DIPLOMATIQUE ET UNIFICATRICE DU PAYS DE LA RPDC 1. LA «REVOLUTION DANS LA CULTURE DE LA POMME DE TERRE» ET LES RAPPORTS RPDC-USA Une entreprise aussi bénéfique que la livraison de réacteurs à eau légère Le département d’Etat américain a publié, le 25 juin 1999, le rapport analytique final sur l’examen sur place des installations souterraines situées dans la commune de Kumchang en Corée du Nord. Il a alors conclu: «II n’y a rien qui puisse prouver que la Corée du Nord ait violé l’accord nucléaire USA-RPDC de 1994.» Le rapport indique: 1) le site en question n’était qu’une grotte rocheuse vide dont le creusement touchait à sa fin; 2) la grotte était trop étroite pour construire et abriter une pile atomique ou des installations de retraitement du combustible nucléaire usé; 3) on n’y trouvait pas de traces de l’introduction ou de l’installation de machines ou d’équipements. Ensuite, il conclut: «On ne peut pas exclure que la Corée du Nord ait cherché à s’en servir comme site nucléaire, mais, dans son état actuel, l’emplacement ne peut servir à abriter des installations nucléaires de grande taille.» Rubin, porteparole du département d’Etat américain, a affirmé: «La mission 229 d’enquête a examiné en détail l’intérieur du site, sans pourtant découvrir la moindre preuve d’une tentative de camouflage.» Somme toute, le «soupçon d’installations nucléaires souterraines» a été «démenti», comme on s’y attendait. D’où venait alors ce «soupçon» scandaleux, fondé sur des «preuves concrètes», remontant à août 1998? Je me contenterai de parler de la stratégie américaine de la Corée du Nord. Le «soupçon de la commune de Kumchang», c’est une invention des Etats-Unis qui cherchaient à «revoir», voire à résilier l’accordcadre RPDC-USA. C’est en supposant 1’«effondrement imminent» de la Corée du Nord qu’ils ont consenti à l’adoption de cet accord et ont ajourné son application. Or, la Corée du Nord étant loin de s’effondrer, les Etats-Unis se retrouvèrent dans une nouvelle impasse. Le prétexte dont ils avaient alors besoin pour faire de nouveau pression sur ce pays, ce fut le «soupçon de la commune de Kumchang». Le «scandale du missile» semblait contribuer aussi à cette tentative de pression. Quoi qu’il en soit, la Déclaration conjointe RPDC-USA du 16 mars indiquait: 1) les deux parties réaffirment l’accord-cadre RPDCUSA; 2) la Corée du Nord permet aux Etats-Unis de visiter à plusieurs reprises les installations souterraines de la commune de Kumchang; 3) les Etats-Unis arrêtent des mesures pour améliorer leurs relations politiques et économiques avec la Corée du Nord. Tout témoignait d’une victoire diplomatique totale de la Corée du Nord. Pourquoi? Primo, parce que les Etats-Unis, loin de parvenir à tenir en échec la partie adverse, même en la menaçant de résilier l’accord-cadre RPDC-USA, se sont vus contraints de réaffirmer leur attitude positive à l’égard des points convenus et leur volonté de les appliquer. Secundo, une mission d’enquête américaine a obtenu l’autorisation de visiter le site concerné sur invitation de la Corée du Nord, au lieu de l’inspecter comme ils l’auraient voulu au moyen de la pression diplomatique et militaire. En d’autres termes, les deux parties sont tombées d’accord, non pas en usant de la pression ou de l’affrontement, mais au moyen de la conciliation et de l’amitié, en 230 favorisant la compréhension mutuelle. Résultats tout à fait contraires à l’objectif visé par les Etats-Unis. Ils rappellent bien le cas du dialogue sur le premier «soupçon nucléaire», celui ayant pesé sur la région de «Nyongbyon», dialogue qui avait permis à la Corée du Nord, au mépris de leur tentative de pression, d’obliger les Etats-Unis à admettre son régime et à lui promettre de ne pas utiliser leurs armes nucléaires contre elle et de lui fournir des réacteurs à eau légère. Car, en combattant le second «soupçon nucléaire», la Corée du Nord a pu promouvoir en quelque sorte le rapprochement entre les deux pays. A cet égard, une attention particulière est à prêter à la coopération américaine à la «révolution dans la culture de la pomme de terre» en Corée du Nord, coopération qui s’inscrit dans l’aide alimentaire promise par les Etats-Unis. C’est l’aboutissement de la stratégie américaine de la Corée du Nord. Les Etats-Unis étant le responsable de la division de la Corée et son plus grand ennemi politique et militaire, la Corée du Nord se propose comme premier objectif diplomatique d’améliorer ses rapports et de se réconcilier avec eux. Car, sans cette réconciliation, son développement économique, la sécurité de la péninsule coréenne, voire la véritable réunification de la Corée sont impensables. Dès avant l’écroulement du système de la guerre froide, la Corée du Nord s’est attachée à améliorer ses rapports avec les EtatsUnis. Et, en ce moment, elle fait de son mieux pour intéresser les Etats-Unis au problème coréen, par exemple en tournant à son avantage, comme mentionné ci-dessus, leur tentative de pression politique et militaire inspirée du «soupçon nucléaire» et en exigeant qu’ils n’ajournent plus l’application de l’accord-cadre conclu. Elle les pousse ainsi, pour dire vrai, à participer à la solution du problème coréen. La fourniture de réacteurs à eau légère est un exemple typique. De même, lors des négociations sur le «soupçon de la commune de Kumchang», la Corée du Nord a proposé aux Etats-Unis d’employer les bâtiments «suspects» concernés comme installations civiles, par 231 exemple comme usines et bureaux d’une entreprise mixte nord-coréoaméricaine. Quelle est donc sa vraie intention? J’admettrais l’avis exprimé ainsi: «II faut compter avec la Corée du Nord, dont la tactique consiste non seulement à éviter l’inspection, mais aussi à établir une entreprise mixte pour faire lever les sanctions des Etats-Unis. Une fois une première entreprise mixte mise en place, elle pourrait suggérer l’amélioration de ses rapports avec les Etats-Unis, son plus grand objectif diplomatique (Tokyo Shimbun, le 5 février 1999).» Si cette proposition reste irréalisée, on peut supposer que les Etats-Unis ne s’y étaient pas attendus et qu’elle leur a suggéré un moyen à améliorer les relations avec la Corée du Nord. L’accord entre les deux pays sur la coopération à la «révolution dans la culture de la pomme de terre» peut avoir la même portée que la fourniture de réacteurs à eau légère. La solution simultanée des problèmes énergétique et alimentaire Les Etats-Unis ont annoncé, le 22 mars 1999, qu’ils fourniraient 200 000 tonnes de céréales à la Corée du Nord souffrant d’une crise alimentaire continue, dont 100 000 tonnes feraient partie de la coopération à la culture de la pomme de terre, leur première aide directe à ce pays. Un mois après, le 22 avril, l’USAID (US Agency for International Development) a fait savoir qu’elle était tombée tout à fait d’accord avec la Corée du Nord à Pyongyang sur un programme concret sur la fourniture de pomme de terre à titre de secours à ce pays en crise alimentaire. Selon cet accord, l’aide américaine se réaliserait sans l’entremise du WFP (Programme alimentaire mondial) et comporterait 1 000 tonnes de semences de pomme de terre et, jusqu’à la réalisation de ce plan concret, 100 000 tonnes de pomme de terre comme produit alimentaire d’entretien. 232 Procédé identique, dirait-on, à celui prévu lorsque les Etats-Unis ont promis de fournir avant la fin de 2003 des réacteurs à eau légère et jusque-là 500 000 tonnes d’huile lourde par an. L’aide en pomme de terre s’avère significative et intéressante pour la Corée du Nord, parce qu’elle lui fait espérer la solution de son problème alimentaire plus que celle du problème de l’énergie par une construction de réacteurs à eau légère (on ne sait quand elle prendra fin). Selon Hangyore Sinmun du 22 avril 1999, journal sud-coréen, à cette aide prendront part, outre le gouvernement américain, huit organisations non gouvernementales de travail commun, y compris le «mouvement américain pour l’aide nationale»; un «contingent—onze Américains, dont deux agrotechniciens et neuf coordinateurs de la répartition des céréales—visitera dans un proche avenir le Nord pour s’occuper de l’accroissement de la production de pomme de terre dans dix fermes coopératives de la province du Kangwon; les organisations non gouvernementales débourseront un million de dollars pour les 1 000 tonnes de semences de pomme de terre à fournir». Le journal précise: «C’est la première fois que des organisations non gouvernementales américaines prennent part au développement agricole du Nord. Jusqu’à présent, les organisations de secours non gouvernementales se sont bornées à fournir des produits alimentaires et des médicaments. Au programme participent directement des fonctionnaires du ministère de l’Agriculture et de l’Institut agronomique, ainsi que des gestionnaires de fermes et des paysans du Nord, ce qui permet d’envisager une large entreprise commune.» Il rapporte ce qu’a dit un intéressé à ce sujet: «Lorsqu’un ensemble de mesures d’aide sera élaboré avec le concours de la Banque asiatique pour la reconstruction et le développement et autres organisations internationales, les unités-modèles mentionnées se convertiront en "plan Marshall de petite dimension" et marqueront un tournant dans l’exploitation agricole et le développement économique du Nord.» 233 Il est certainement préférable pour les Etats-Unis d’aider la Corée du Nord à parvenir à l’autosuffisance alimentaire, plutôt que de lui fournir une aide alimentaire indéfinie. De son côté, la Corée du Nord doit y voir un avantage économique et surtout politique. Il est indéniable que les difficultés économiques et agricoles actuelles de la Corée du Nord tiennent dans une large mesure aux sanctions économiques appliquées par les Etats-Unis. Après la disparition du marché socialiste, le blocus économique imposé par l’Occident, les Etats-Unis en premier lieu, s’est fait sentir dans l’économie de la Corée du Nord. Sont venues s’y ajouter plusieurs années successives de calamités naturelles. Pour que la Corée du Nord puisse faire face à ses difficultés énergétiques et alimentaires, il faut que l’Occident lève son blocus (y compris les obstacles dressés à l’introduction des technologies de pointe et des équipements du dernier modèle et leur blocage), surtout les sanctions économiques appliquées par les Etats-Unis. La Corée du Nord voit dans la fourniture de réacteurs à eau légère et de combustible un moyen de venir à bout de sa pénurie d’énergie. Et le Secrétaire général Kim Jong Il veut que les Etats-Unis, le plus grand et le plus puissant ennemi de la Corée du Nord, en prennent la responsabilité légitime. Jack Downs, auteur du livre Over the line (édité par l’Institut américain Enterprise) dans lequel il analyse les procédés de négociation diplomatique de la Corée du Nord, remarque: «On aime employer les termes "irrationnel", "absurde", "imprévisible" pour qualifier les procédés de négociation de la Corée du Nord. Mais, en réalité, il est difficile de trouver des pays qui, comme la Corée du Nord, ont fait de la "négociation" la principale arme de leur diplomatie et ont remporté des résultats étonnants en usant de procédés si habituels.» Ce n’est pas le cas de dire «perfide». La diplomatie, n’est-ce pas une guerre mobilisant toute l’imagination pour l’emporter l’un sur l’autre? A fortiori, un petit pays peut-il s’en garder alors qu’il doit affronter un supergrand? Pourquoi les Etats-Unis donnent234 ils de temps en temps du «miel» à la Corée du Nord? Parce qu’elle les contraint, par ses procédés inattendus, à s’acquitter de leur devoir. C’est-à-dire que la justice milite pour ce petit pays. Pourquoi les Etats-Unis hésitent-ils de publier, après la visite de la Corée du Nord par Perry, coordinateur de leur politique, leur «rapport de révision» de la politique nord-coréenne? N’est-ce pas que Perry a compris à Pyongyang que l’«approche globale» combinant le «miel» et la «matraque» ne peut produire ses effets sur la Corée du Nord? Les Américains ne se voient-ils pas obligés de revoir leur projet de «réexamen»? L’accord-cadre RPDC-USA précise toutes les obligations de chacun des deux pays. Exiger du nouveau de la Corée du Nord va à son encontre. Le «miel» que Perry a proposé relève de la promesse déjà faite par les Etats-Unis, et la Corée du Nord n’est donc pas tenue de le reconnaître. Dans cette optique, le Perry Report n’aurait aucun effet tant qu’il n’intéresserait pas l’application de l’accord-cadre. Les Etats-Unis doivent exécuter au plus tôt leurs obligations stipulées dans l’accord-cadre, lever les sanctions économiques appliquées sur la Corée du Nord et améliorer les relations avec elle. Tel est le cadre où s’inscrit l’aide directe significative à la culture de la pomme de terre en Corée du Nord. Secours contre la disette et production alimentaire suffisante Il y a lieu de parler de la «révolution dans la culture de la pomme de terre» proposée par le Secrétaire général Kim Jong Il, de sa signification et de son avenir. Lors de sa visite en octobre 1998 dans l’arrondissement de Taehongdan dans la province du Ryanggang, Kim Jong Il a préconisé qu’on concentre les efforts sur cette culture. Suivant sa volonté, plusieurs journaux de la Corée du Nord ont lancé, dans leur éditorial commun du Nouvel An 1999, un appel à une révolution dans cette 235 culture. Ainsi, à l’heure actuelle, ce pays s’attache à produire de grandes quantités de pomme de terre pour en faire une composante essentielle de son alimentation à côté des céréales et parvenir à l’autosuffisance alimentaire. Les mesures choisies pour l’accroissement de la production de pomme de terre sont les suivantes: 1) choix de terrains propices et leur réaménagement; 2) obtention de variétés à haut rendement; 3) augmentation de la production d’engrais organiques; 4) double culture annuelle; 5) protection des semences contre les virus. La pomme de terre s’accommode d’un sol peu arrosé et peu fertile. On peut la cultiver deux fois par an car elle croît plus rapidement que le riz et le blé et qu’elle a besoin de moins d’engrais que le maïs. Son rendement est 3,04 fois celui du blé, 2,68 fois celui de l’orge et 1,12 fois celui du maïs. Elle retient beaucoup d’énergie solaire à l’unité de surface. La pomme de terre est riche en éléments nutritifs, tels que vitamines, calcium et minéraux, d’où cette appellation en français. Elle peut donc servir d’aliment essentiel à l’homme. En effet, nombreux sont les pays, en Europe et en Afrique, où on la considère comme un produit alimentaire principal. Au reste, la pomme de terre résiste au froid et autres changements climatiques. Sa culture est sûre. Aussi ce végétal a-t-il souvent servi à contrebalancer l’interruption de l’importation de vivres, à assurer l’approvisionnement alimentaire. On sait que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les Suisses encerclés par les Allemands nazis ont cultivé la pomme de terre dans leurs cours et sont parvenus ainsi à venir à bout de la disette causée par l’interruption du ravitaillement. De nombreux autres exemples encore illustrent comment l’accroissement de la production de pomme de terre a aidé un pays dans la disette à survivre. A ce compte-là, on peut dire que la Corée du Nord a eu raison de faire cette option-là pour faire face à une disette prolongée causée par des calamités naturelles successives, un climat défavorable, la baisse de la fertilité du sol et le manque d’engrais. D’ailleurs, le 236 Secrétaire général Kim Jong Il a dit: «Si l’on s’était attaché à cultiver la pomme de terre depuis dix ans, notre peuple n’aurait pas eu à souffrir de la disette. La pomme de terre vaut autant que le riz.» Si le programme concerné est promu sans à-coup, on peut prévoir que la Corée du Nord viendra à bout, pour l’essentiel, de la pénurie des récoltes. La culture de la pomme de terre est ancienne en Corée du Nord. Mais elle était localisée dans la province du Ryanggang et ailleurs dans la région de plateaux septentrionale. Et les plaines étaient consacrées essentiellement à la culture du maïs. Or, la culture répétée de cette plante entraîne une baisse considérable de la fertilité et du rendement du sol. Sont venues s’y ajouter les conditions climatiques défavorables successives qui ont entraîné une réduction sensible de l’ensemble de la production céréalière. La production de pomme de terre est restée basse aussi. Jong Jong Gil, docteur à l’institut d’économie rurale de Corée du Sud, spécialisé dans l’étude de l’agriculture de la Corée du Nord, a souligné: «La pomme de terre donne 20 tonnes à l’hectare, mais, si on cultive continuellement une même variété, l’infection virale et autres facteurs abaissent le rendement de 50 % la deuxième année et le réduit jusqu’à 10% (trois tonnes) la troisième année. En Corée du Nord, le rendement à l’hectare est de 11 tonnes, contre 39 tonnes aux Etats-Unis, différence due à l’absence de sélection.» Il me semble qu’il a raison. D’ailleurs, depuis quelque temps, en Corée du Nord, on insiste constamment sur la création de meilleures variétés et concentre les efforts sur les études et les essais visant à la sélection ainsi que sur la construction des installations nécessaires à cet effet. Dans l’arrondissement de Taehongdan dans la province du Ryanggang, on a cultivé à titre d’essai une variété provenant de Suisse et donnant 80 tonnes à l’hectare. Résultat: 71 tonnes. Des semences viennent aussi des Pays-Bas et d’Allemagne. L’arrivée des semences et de la technologie américaines contribuera certainement à augmenter la production de pomme de terre. 237 La perspective d’un revirement et la confiance en soi Kim Jong Il, Secrétaire général, préconise le maintien de l’agrotechnique Juche proposée par le Président Kim Il Sung et formant l’essentiel de la politique agricole en Corée du Nord. En Occident, on attribue la baisse de la production agricole et la disette dans ce pays à des défauts et à un échec de l’agrotechnique Juche. On affirme même qu’«on s’est mis à "restructurer" l’agriculture sous le mot d’ordre de "convertir l’agrotechnique Juche en une autre qui convienne aux masses paysannes"» (Yomiuri Shimbun, le 18 mars 1999). Constat mal fondé. Par agrotechnique Juche, on entend une méthode culturale scientifique, tenant compte des conditions climatiques et pédologiques du pays et des caractéristiques des plantes et supposant une culture appropriée à la nature du sol et à la saison. Kim Jong Il souligne la nécessité de respecter la volonté et le choix des paysans, tout en prônant l’adhésion à l’agrotechnique Juche et sa mise en œuvre. Il n’est donc pas question de l’abolir ou de la modifier. Comme moyens d’accroître la production céréalière, il a proposé la création de variétés à haut rendement, le réaménagement des terres pour utiliser au maximum les superficies cultivables, la double culture annuelle, l’appropriation de la culture à la nature du sol et à la saison, et, ce qui mérite une mention particulière, la polyculture et la production de quantités importantes d’engrais organiques. Dans les fermes coopératives, il faut employer la pomme de terre comme la principale nourriture pour les porcs et autres animaux d’élevage dont les déjections servent à produire les engrais organiques nécessaires pour fertiliser le sol et augmenter ainsi la production de pomme de terre. Cycle d’opérations encouragé en toute occasion: «Si on élève chaque année 16 porcs à l’hectare de 238 champs de pomme de terre, on obtient à la fois de la viande et quelque 70 tonnes d’engrais organiques qui serviront à bonifier ces champs (Rodong Sinmun, le 31 octobre 1998).» Parallèlement, on a recours à des engrais microbiens composés — engrais organiques liquides réunissant quelque 80 micro-organismes terreux, tels ferment, lactobacilles et bacilles à glucosynthèse —qui se sont déjà révélés efficaces dans la culture du riz. Il y a quelques années déjà qu’on a commencé à en produire avec la coopération des Coréens résidant au Japon. Ces engrais permettent de cultiver la terre sans recourir aux engrais et produits phytosanitaires chimiques, méthode d’ailleurs de plus en plus répandue dans le monde. De même, on fait des essais de produits phytosanitaires microbiens qui ont l’avantage de prévenir les maladies à virus sans nuire à l’environnement. Bref, l’agriculture en Corée du Nord adopte un système de fumure organique permettant de fertiliser la terre à peu de frais. D’ailleurs, par rapport aux autres pays, on a toujours épandu peu d’engrais chimiques. Et on cherche maintenant à en faire usage au minimum, convaincu que leur emploi est nuisible à maints égards. Le réaménagement des terres sert aussi à accroître la production de pomme de terre, de même qu’il est permis aux fermes coopératives de pratiquer la polyculture conformément à leur situation, cette politique visant à jeter les assises d’une agriculture qui assure l’autosuffisance alimentaire. La fertilisation des terres et l’accroissement de la production céréalière que promettent les mesures susmentionnées permettront d’atteindre l’objectif proposé par le Président Kim Il Sung: «offrir quotidiennement du riz blanc et du bouillon gras au peuple». Dans Pollutions multiples (édité par la maison Sinchosha), bestseller d’Ariyosi Sawako, femme écrivain japonaise, on trouve le dialogue suivant: «Si les paysans pratiquant la monoculture élèvent quelques porcs par foyer, les matières fécales que produiront les animaux pourront donner des engrais organiques mélangés à de la paille de riz. Ils n’auront alors plus aucun souci à se faire pour leurs dépenses. Quant à 239 ceux qui se consacrent exclusivement à l’élevage, il leur est recommandé de réduire le nombre de bétails et de se doter de terres cultivables, car ils peuvent alors se passer d’acheter toute la nourriture pour bétail dont ils ont besoin et mettre au pâturage les porcs, une fois la moisson terminée. Ces animaux se donneront du mouvement et brouteront des souches de riz en creusant le sol, lorsqu’ils avaleront de la terre, plus bénéfique qu’un digestif chimique. —A vous entendre, tout devient simple et clair. —Pourquoi préconiser l’agriculture organique? C’est pour permettre à chaque foyer paysan de tirer profit d’un petit nombre d’animaux domestiques pour produire lui-même le riz, l’orge, le soja, les légumes, etc. dont il a besoin, et de se suffire à lui-même en produits alimentaires. Culture de la terre accompagnée de l’élevage, voilà ce que c’est. —Exactement ce qu’on faisait au temps jadis.» Telle est, je pense, l’agriculture qu’on cherche à pratiquer en Corée du Nord: une agriculture organique permettant de se suffire à soi-même, méthode à la fois vieille et nouvelle. En d’autres termes, une agriculture fondée sur la confiance en soi. Comme on le sait, l’agriculture japonaise ne repose pas sur le principe de la confiance en soi. Après la Seconde Guerre mondiale, l’aide alimentaire (blé) et les consignes des Etats-Unis ont fait leur œuvre au Japon: application du système d’alimentation dans les locaux des écoles et «campagne pour l’amélioration des habitudes alimentaires», le pain remplaçant ainsi le riz cuit comme aliment principal; d’autre part, du fait de la stratégie mondiale des marchands de céréales américains, la consommation de viande a fait un bond. Qu’est-ce qui en est résulté? Dans les Conditions du Japon N° 6— époque de la dispute des céréales, écrit par le groupe de reportage de la NHK et édité par l’Association d’émission et de presse du Japon, on lit: «D’après les statistiques de 1980, le taux d’autosuffisance était de 87,8% pour le lait et les produits laitiers, de 93,7 % pour le poulet, de 87,4% pour le porc. Pour le bœuf, sujet de conflit économique et 240 de libéralisation du commerce, ce taux était de 71,6%. Taux élevé, mais trompeur. Car le Japon importe presque à 100% la nourriture céréalière de ses bœufs, de ses porcs et de ses poules. Il en est de même pour 96% de son soja qu’il transforme en pâte, sauce, fromage, fermenté et huile comestible. Aussi dirait-on que la table opulente des Japonais contemporains est remplie de produits provenant de partout dans le monde. Le Japon ne subvient lui-même à ses besoins céréaliers qu’à environ 33%, le plus bas taux parmi les pays développés. A l’exclusion du riz, son taux d’autosuffisance n’est que de 4%. Sans doute que le Japon est le premier importateur de céréales dans le monde. Il compte surtout sur les Etats-Unis, grand producteur de céréales.» Les Etats-Unis font 60% des exportations de céréales dans le monde. Le taux d’autosuffisance céréalière du Japon sous le «parapluie alimentaire» américain n’a fait que régresser, atteignant 22% en 1986. A la même époque, c’était 55% pour la Corée du Sud et 99% pour la Corée du Nord. Un pays doit recourir à l’importation s’il le faut pour subvenir à ses besoins, mais une autosuffisance trop faible en aliment principal et autres céréales peut l’exposer au danger d’être mené par le pays exportateur de céréales. C’est pourquoi les céréales font partie du matériel stratégique. En d’autres termes, plus on dépend de l’étranger pour les céréales, plus on subit son emprise sur le plan politique et diplomatique. Il est hors de doute que la Corée du Nord, bénéficiant de l’aide d’autres pays et d’organisations d’assistance internationales, a actuellement une autosuffisance céréalière peu élevée. Pourtant, quelles que soient les difficultés rencontrées, elle est décidée à honorer les principes d’autosuffisance et de confiance en soi, loin de devenir, comme le Japon, indéfiniment tributaire de l’étranger. En effet, elle tient plus qu’à toute autre chose à sa souveraineté et à sa dignité et n’abandonnerait pour rien son régime socialiste, en dépit de la «réforme» et de l’«ouverture» que l’Occident cherche sans cesse à lui imposer. 241 La «révolution dans la culture de la pomme de terre» est la concrétisation de la confiance en soi en agriculture. Le génie de Kim Jong Il se manifeste, à mon avis, dans sa capacité de changer le mal en bénédiction et sa fermeté d’esprit. «La révolution dans la culture de la pomme de terre mènera à la solution du problème alimentaire et jettera les assises économiques de la grande puissance prospère qu’on entend édifier. Et ce ne sera pas long à attendre (Rodong Sinmun, le 3 janvier 1999).» Faire d’une pierre deux coups, telle est cette entreprise qui vise deux objectifs à la fois et qui, grâce à la perspicacité et à l’audace de Kim Jong Il, promet beaucoup dans le domaine de l’agriculture et celui de la diplomatie. 2. LE DOLLAR VACILLANT ET LA STRATEGIE ECONOMIQUE DE LA COREE DU NORD Rapprochement de l’Union européenne A l’occasion de la session de septembre 1999 de l’Assemblée générale de l’ONU, la Corée du Nord s’est livrée à des démarches diplomatiques vis-à-vis des pays membres de l’Union européenne, ce qui a retenu particulièrement l’attention. L’actuel ministre des Affaires étrangères Paek Nam Sun a prononcé un discours à l’ONU sept ans après son prédécesseur, Kim Yong Nam, alors vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères (actuellement président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême). (C’étaient Song Won Ho, vice-ministre des Affaires étrangères, en 1993 et Choe Su Hon, vice-ministre des Affaires étrangères, de 1994 à 1998.) Les pays occidentaux ont suivi de près ce discours, étant donné le «problème nucléaire» et la crise alimentaire qui attiraient l’attention du monde entier sur son pays. 242 Dans son discours général, Paek Nam Sun a déclaré: «Nous interromprons nos lancements de missiles pendant les négociations de haut rang RPDC-USA.» Lors d’une interview, à la surprise générale, il a précisé: «Nous avons passé les moments les plus difficiles d’une crise économique qui dure depuis cinq ans, et nous nous trouvons maintenant au seuil d’un redressement. Certaines gens ont prédit que nous nous effondrerions tôt ou tard, mais, loin de là, les épreuves nous ont endurcis, décuplant nos forces.» Or, les démarches diplomatiques «tout à fait exceptionnelles» (terme employé par Yomiuri Shimbun) de Paek Nam Sun hors de la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU ont surpris encore davantage les délégations des puissances concernées. Il s’est entretenu successivement avec les ministres des Affaires étrangères de 18 pays: Italie, Suisse, Danemark, Autriche, Malaisie, Singapour, Cambodge, Philippines, Cuba, Chine et Australie, ainsi que de pays du Moyen-Orient et d’Afrique. On notait tout particulièrement l’effort de la Corée du Nord pour se rapprocher des pays membres de l’Union européenne. Des pourparlers au niveau de vice-ministres des Affaires étrangères ont eu lieu avec la Finlande, pays président de l’Union européenne, et la Norvège. Avec la Finlande, on est tombé d’accord pour l’essentiel pour poursuivre le dialogue. Le 29 septembre, s’inspirant sans doute de cet accord, le délégué de la Finlande a publié, au nom des 15 pays membres de l’Union, la «déclaration sur le problème de la péninsule coréenne», lançant un appel invitant les deux parties de la Corée à reprendre le dialogue sans conditions préalables. La délégation de la Corée du Nord s’est livrée à l’opération de rapprochement auprès de tous les pays membres de l’Union européenne. Avant l’ouverture de la session de l’Assemblée générale de l’ONU par exemple, elle avait proposé également à la Grande-Bretagne, à la France et à l’Allemagne des pourparlers bilatéraux au niveau de ministres des Affaires étrangères bien que cette proposition soit restée non réalisée. 243 Malgré leur réticence et leur étonnement, les médias du Japon se sont exprimés ainsi: «Ce rapprochement des pays européens vise à réunir un climat favorable à la promotion des négociations nord-coréoaméricaines, ce qui est signe que la Corée du Nord tente une diplomatie multilatérale (Nihon Keizai Shimbun, le 26 août 1999)— Des démarches pour sortir de son isolement datant de la fin de la guerre froide (Asahi Shimbun, le 27 septembre 1999).» Une telle analyse n’est pas sans fondement, mais je pense que la Corée du Nord vise plus haut. Cette évolution a commencé il y a quelques années déjà. Selon Hanguk Ilbo du 11 octobre 1999, la Corée du Nord et la GrandeBretagne ont eu six rencontres officieuses (au niveau de chefs de service et de direction) depuis octobre 1996, convenant ainsi de mettre en place des offices de liaison. En décembre 1998, les premiers pourparlers politiques d’experts du niveau de chefs de direction se sont tenus à Bruxelles. Quant à l’Union européenne, elle fournit à la Corée du Nord une aide humanitaire, y compris l’aide alimentaire, et a adhéré à la KEDO (Organisation pour le développement de l’énergie dans la péninsule coréenne). Tout cela a conditionné les entretiens avec les ministres des Affaires étrangères de pays membres de l’Union européenne, lors de la récente session de l’Assemblée générale de l’ONU. Il en ressort qu’il faut convenir que le rapprochement de l’Union européenne ne vise pas seulement à se dégager de 1’«isolement international» et des difficultés économiques du moment, mais relève d’une stratégie diplomatique à plus long terme. Je vais analyser cette stratégie du point de vue de sa stratégie économique (tendant au renforcement de l’indépendance économique et à la mise en place d’un nouvel ordre économique international). 244 Illusions communes sur le dollar Personne ne nierait le rôle dominant que joue le dollar dans l’économie mondiale, en tant que monnaie de référence servant à effectuer les opérations et règlements financiers internationaux. Le dollar entre pour 62% dans la réserve mondiale de devises étrangères et représente près de 50% des règlements commerciaux. Avec la fin de la guerre froide Est-Ouest, les Etats-Unis, restant l’unique supergrand, ont bénéficié d’un boom économique sans précédent, ce malgré la crise financière et le marasme économique mondiaux. Et le dollar, soutenu par leur puissance économique et militaire, demeure apparemment la monnaie de référence, avec une fiabilité immuable. Le dollar peut-il alors conserver indéfiniment son hégémonie? Comme on le sait, après les deux guerres mondiales qui ont ruiné l’économie européenne, le livre sterling de la Grande-Bretagne a été contraint de céder sa place de monnaie de référence au dollar. Il en sera éventuellement de même pour le dollar. Si les Etats-Unis perdent de leur puissance, la confiance en dollar diminuera automatiquement. Les Etats-Unis risqueront alors de perdre leur position de pivot de l’économie mondiale. Bref, leur position de supergrand est directement liée à la puissance du dollar. Dix ans après la fin de la guerre froide, la suprématie des EtatsUnis et du dollar apparaît constante, mais en réalité, elle se maintient à peine grâce à une pure illusion commune, comme c’est le cas de l’économie japonaise, bulle de savon. Les Etats-Unis ont fait prévaloir le «système de convertibilité en or», garantissant par l’or la valeur monétaire du dollar. Ainsi, disposer de dollars, c’était disposer d’or. Cependant, la course illimitée aux armements imposée par la guerre froide s’est répercutée gravement sur l’économie américaine. Le déficit des Etats-Unis dans la balance du commerce international a augmenté au point que ce 245 système ne pouvait plus tenir. Aussi, en 1971, le président Nixon a-til proclamé l’abolition de ce système. Pourtant, le dollar a conservé son rôle prépondérant. Pourquoi? C’est qu’il n’y avait pas une autre monnaie internationale capable de remplacer un dollar soutenu par la puissance militaire des Etats-Unis. «Rien ne pourra ébranler le dollar», telle était la confiance, pourtant sans fondement, qui a atténué dans une certaine mesure la peur générale de le voir dépourvu de toute valeur si les Etats-Unis perdaient de leur puissance. Les dettes extérieures des Etats-Unis dépassent 3 000 milliards de dollars. Les dettes d’Etat s’élevaient, à la fin de 1997, à quelque 5 400 milliards de dollars. De même, le montant de l’intérêt à payer par an est de 240 milliards de dollars, somme égale au budget de guerre américain. Les Etats-Unis sont le plus grand débiteur. Comment ont-ils pu alors faire jouer à ce jour un rôle prépondérant à leur monnaie? Leur procédé était aussi simple que perfide. Ils ont fait des surémissions de billets de dollar et d’emprunts nationaux, ce qui permettait aux Américains de vivre dans le luxe, et à leur Etat, de souscrire à un budget énorme pour les dépenses militaires. «Le Japon, appelé "abeille ouvrière" ou "lapinière", n’a cessé d’acheter des bons du Trésor des Etats-Unis. Si ces derniers ont pu sortir vainqueurs de la course aux armements, le mérite, pourtant méconnu, en revient aux Japonais qui ont fait de l’épargne. La sueur des Japonais a servi de base à la surconsommation des Américains. Pour rester une "puissance riche", les Etats-Unis se sont endettés, puis ont répandu des dollars à l’étranger. Les dollars ainsi infiltrés en Europe de l’Est et dans l’ancienne Union soviétique ont alimenté le marché noir. L’économie de marché contrôlé par le dollar s’est élargie en marché noir et a excité le désir de consommation, ce qui a démoli l’économie monétaire. Certains considèrent que l’effondrement du système communiste provient de l’économie déficitaire des Etats-Unis (Yamata Atsushi, rédacteur de Asahi Shimbun).» Or, il s’agit là d’un point faible du dollar. En 1997, Hashimoto, premier ministre du Japon, eut l’idée de dire qu’il était 246 tenté de vendre les emprunts nationaux américains. Du coup, la Bourse de New York réagit et le cours des actions a chuté. Exemple éloquent illustrant que la sortie d’immenses quantités de dollars (plus exactement, l’émission, la circulation et l’accumulation d’un excédent de dollars permises par une illusion commune) constitue le point le plus faible de l’économie américaine. Le jour arrivera où «le fort qui poursuit sa montée en dépit du marasme mondial» (Asahi Shimbun) devra s’arracher à sa griserie et boire le calice jusqu’à la lie. Symptômes de la fin d’un dollar omnipotent Depuis quelque temps, le dollar a commencé à vaciller. Le premier coup vint de la crise monétaire (financière) d’Asie. La plupart des pays d’Asie du Sud-Est avaient adopté le système leur permettant d’ajuster la valeur de leurs monnaies au cours du dollar et fait dépendre leurs économies de la monnaie américaine. Au début, ils ont connu une haute croissance grâce à des avantages comportant peu de risque en ce qui concerne le taux de change contre le dollar, mais leur dépendance poussée à l’égard du billet vert a sapé leurs assises économiques, et la baisse de leur compétitivité, déterminée par la dévaluation de la monnaie chinoise et l’augmentation des salaires, a précipité ces pays dans une crise monétaire. En 1997, le baht thaïlandais a abandonné le système du dollar, suivi par d’autres pays asiatiques, d’où une chute du dollar et une crise monétaire en chaîne dans le monde. Les pays frappés par cette crise se voyaient obligés de faire appel à l’aide du FMI (Fonds monétaire international) qui représente le système économique américain. Mais ils ont vivement contesté le FMI, en voyant dans son aide un moyen de renforcer la domination du dollar et leur propre dépendance. Datuk Seri Maha-thir Mohamad, premier ministre malais, disait: «A la fin de la domination coloniale, nous avons appris le capitalisme et introduit des capitaux étrangers pour enfin parvenir à 247 la prospérité. Or, il arrive que le capital en mouvement libre et fulgurant anéantisse en un jour les richesses accumulées par les pays en développement. Plutôt que de se voir colonisé par des maniaques de l’argent, il est préférable de faire dissidence.» Paradoxalement, George Soros, spéculateur international qu’on sait avoir opéré contre les monnaies thaïlandaise et malthusienne, abonde dans le sens du premier ministre malais: «Par essence, le marché financier est un système instable. Ce qui le maintient, c’est la fausse idée que la libre concurrence mène à l’équilibre. C’est très décevant de constater que l’économie de marché a dépassé les bornes. Le marché financier démolit l’économie d’un pays comme un bloc de fer servant à démolir un vieux bâtiment. Le système capitaliste a commencé à s’effondrer.» En 1995, le montant des opérations de change mondiales était de quelque 430 000 milliards de dollars, dont à peine 5 000 milliards seulement représentaient le montant des échanges commerciaux. C’est dire qu’un fonds de spéculation 80 fois plus gros que le fonds de commerce se jouait de l’économie mondiale par ses innombrables manœuvres fantasmagoriques. Peter Drucker, soi-disant théoricien N° 1 de l’exploitation, qui a appelé le phénomène virtual finance, a indiqué que l’Etat-nation et l’économie de marché ont commencé à perdre leurs fonctions. Comme le suggèrent ces témoignages d’inquiétude et d’hostilité, les risques du capitalisme de type américain, de l’économie de marché, émergent au grand jour au point que la voix s’élève partout dans le monde pour le réprouver. Le refus d’une dépendance trop élevée à l’égard du dollar qui inspire de la méfiance forme ainsi une forte tendance mondiale. Le deuxième coup est venu de l’événement du premier janvier 1999: l’apparition de l’euro, monnaie unique de l’Europe, représentant 11 des 15 pays membres de l’Union européenne. Future zone économique de la monnaie unique, presque à parité avec le dollar, l’Euroland dépasse les Etats-Unis avec sa population d’environ 290 millions d’habitants. En 1997, son produit intérieur 248 brut était évalué à 6 900 milliards de dollars, soit 1,5 fois celui du Japon et quasiment égal à celui des Etats-Unis. De plus, en 1998, si le déficit ordinaire des Etats-Unis se montait à environ 235 milliards de dollars, l’Euroland a enregistré un excédent ordinaire de près de 110 milliards. L’euro peut bien devenir une monnaie de référence. Les billets et les pièces de l’euro doivent circuler à partir de 2002, cependant d’ores et déjà le règlement des certificats de vente à crédit et des chèques se fait en euro. On prévoit que l’euro aura un cours stable et s’emploiera largement comme une monnaie d’échange internationale. Il est fort probable que l’euro menacera le dollar. On a prédit la formation d’un système monétaire tripolaire par le dollar, l’euro et le yen, projet sans avenir, car le gouvernement japonais craint 1’«internationalisation du yen», de peur de provoquer une réaction violente des Etats-Unis et des pays asiatiques, et que le yen se ressent encore de la longue récession de l’économie japonaise. Il s’ensuit que les espoirs convergent sur l’euro, nouveau rival du dollar. Soit qu’elle ait prévu cette évolution, soit qu’elle ait voulu contrecarrer l’hégémonisme des Etats-Unis, en octobre 1998, la Chine, deuxième pays pour le montant de la réserve de devises étrangères (environ 151 milliards 500 millions de dollars à la fin du septembre 1999), a exprimé sa volonté de «garder en euros une assez importante part de sa réserve de devises étrangères», à la consternation des Etats-Unis. Des bruits courent qu’elle entend garder en euros 40% de sa réserve de devises étrangères. Taïwan et Cuba sont aussi dans le coup. Soberon, directeur général de la Banque nationale de Cuba, a présidé, en novembre 1998, avec l’Union européenne, la conférence des banques des pays d’Amérique du Centre et du Sud, où il a souligné: «La crise financière mondiale est due au système financier axé sur les Etats-Unis, à la domination du dollar américain. A l’avenir, nous devrons employer l’euro, à la place du dollar, comme monnaie de réserve.» S’affranchir du joug du dollar est la plus urgente tâche pour Cuba, où le principe d’«égalité» du socialisme est gravement menacé 249 par la double économie du dollar et du peso, et pour les pays d’Amérique du Centre et du Sud, bastion du dollar. L’apparition de l’euro doit être, à leurs yeux, une aubaine qui contribuera à l’affaiblissement de la domination du dollar. Dans la réserve monétaire mondiale, le dollar atteint 62%, et les monnaies européennes, 20%. Si l’euro commence à circuler, ces chiffres changeront sensiblement, et une âpre concurrence se déchaînera, une vraie guerre monétaire. Le troisième coup,, c’était la manifestation de symptômes du désordre à l’intérieur même de l’économie américaine. Le déficit financier, un des «déficits jumeaux», s’est réduit peu à peu, mais le déficit commercial a atteint, en 1998, la valeur record de 168,5 milliards de dollars. Le président Clinton a prédit avec angoisse un déficit commercial de 300 milliards de dollars pour la fin de 1999. Les Etats-Unis étant le plus grand débiteur et leur monnaie n’ayant qu’une puissance fictive, leur économie est vouée au déclin. Tant que l’économie de marché se réclamera de la libre concurrence, il est exclu que l’économie d’un seul pays prospère. En octobre 1999, à New York, le cours des actions est tombé brusquement. Il s’est redressé après, pourtant il est difficile d’y retrouver l’exultation qu’il avait engendrée jadis en enregistrant son record, c’est une inquiétude d’origine vague qui règne aux Bourses des Etats-Unis. Le gouvernement américain affiche cependant de la sérénité pour son économie, mais l’anxiété inspirée par l’inflation dans le pays persiste. C’est légitime. Car l’économie de marché comporte le danger d’effondrement même lors de sa prospérité, chose notoire pour laquelle il est inutile de rappeler que «le cours des actions aux Etats-Unis a déraillé en se transformant en écume» (Paul Krugman, professeur à Massachusetts Institute of Technology). La baisse des actions du Coca-Cola, provoquée par l’affaire des impuretés du Coca-Cola en Belgique et en France et d’autres revers américains, symbolise le début de l’écroulement du mythe de la croissance des Etats-Unis. 250 Bien sûr que les Américains ne resteront pas les bras croisés, ils feront l’impossible pour maintenir le règne du dollar. Mais bon nombre de pays se coaliseront contre les défis communs, et l’économie américaine courra à sa ruine à telle enseigne qu’un terme sera mis à la domination exclusive du dollar et des Etats-Unis. La libération du joug du dollar et l’économie indépendante En Corée du Nord, le dollar est influent comme ailleurs. Comment un pays socialiste qui s’est toujours réclamé d’une économie indépendante en est-il arrivé là? La fin de la guerre froide y a été pour beaucoup. La Corée du Nord avait maintenu une économie indépendante reposant sur le système économique socialiste. La principale forme de commerce pratiquée avec les pays socialistes était le troc. Les règlements commerciaux n’impliquaient donc pas l’usage de devises étrangères. Après la fin de la guerre froide, le marché socialiste s’est spontanément disloqué, et la Russie et la Chine, ses principaux partenaires commerciaux, ont commencé à exiger de la Corée du Nord le règlement des comptes par le dollar. Or, elle ne disposait pas d’une réserve de dollars ou de yens importante. Le manque de devises l’empêchait de pratiquer un commerce régulier. Une grave pénurie d’énergie et de matériaux s’est déclarée, l’économie est tombée dans un cercle vicieux, et les usines ont commencé à mal fonctionner. Pour redresser l’économie, il était impérieux d’acquérir des devises. A la faveur de ces circonstances, les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud ont cherché à imposer à la Corée du Nord la politique de soft-landing dans le but de lui faire abandonner le régime socialiste, parce qu’elle ne pourrait se relever à moins d’opérer une «réforme» et une «ouverture». Tentative à laquelle elle s’est opposée en proclamant qu’elle sauvegarderait le système économique socialiste et n’accepterait pas l’économie de marché. 251 Elle tire parti cependant de certains aspects de l’économie de marché: elle a ainsi établi la zone économique et commerciale Rajin-Sonbong et met en exploitation un centre industriel, une sorte de zone économique spéciale, sur la côte ouest, aux termes d’un accord conclu il y a quelque peu avec Hyundai Business Group. Il est probable qu’elle procédera ainsi pour un temps et dans des cas particuliers. Ce qui est certain pourtant, c’est qu’elle n’adoptera jamais en entier l’économie de marché. Comment pourra-t-elle alors sortir du mauvais pas actuel? Le renforcement de l’économie indépendante, telle est, contrairement à 1’«usage international», la solution qu’il faut, à ses yeux. Option qui, compte tenu des affirmations du premier ministre malais et du spéculateur américain cités ci-dessus, convient au bon sens. En effet, l’économie de marché n’est pas immuable, elle court dès maintenant le danger permanent de s’effondrer. On peut supposer que la Corée du Nord a établi une nouvelle stratégie économique en se concentrant sur la question de savoir comment faire face à l’influence des devises étrangères, et surtout du dollar. Soit dit entre parenthèses pour parer à tout malentendu, par économie indépendante, on entend une économie destinée essentiellement à l’autosuffïsance et qui ne se laisse pas influencer par les fluctuations économiques extérieures. Pas une économie isolationniste qui exclue le commerce et les échanges avec l’étranger. Au contraire, cette économie implique des échanges conformes aux principes de l’égalité et des avantages réciproques. Plus que personne, la Corée du Nord a été mise à rudes épreuves par le tourbillon de l’économie de marché, avec la concurrence impitoyable qu’elle implique inéluctablement, lequel a remplacé la zone économique socialiste. Si, malgré cela, ce pays continue d’adhérer à une économie indépendante, c’est que Kim Jong Il y voit la meilleure solution qui soit. Selon la Corée du Nord, il se peut que certains pays choisissent l’économie de marché, et d’autres, l’économie 252 socialiste. Aussi recherche-t-elle un moyen, pour les deux, de coexister et de coprospérer. Et, quelle que soit son option, un pays doit édifier une économie indépendante et la renforcer. L’idée de l’établissement d’un nouvel ordre économique international En matière de restructuration de l’économie mondiale, la Corée du Nord préconise invariablement l’établissement d’un nouvel ordre économique international. Par nouvel ordre économique international, on entend un ordre économique servant à éliminer les disparités économiques entre, d’une part, les pays développés, axés sur les pays impérialistes, et, de l’autre, les pays en développement, ayant souffert de la domination coloniale, et la discrimination économique exercée par les premiers sur les derniers, et à aider ceux-ci à combler leur retard, à mettre fin à leur pauvreté, à leur famine, etc. Les problèmes économiques, les problèmes territoriaux et les litiges ethniques relevés dans le monde sont, pour la plupart, à attribuer à la domination coloniale des puissances impérialistes ou aux guerres. Les exemples à cet égard sont légion: la Corée, la Palestine, le Kosovo, le Timor-Oriental, etc. etc. Il en est de même pour le «problème du Nord et du Sud», l’hémisphère nord étant riche et l’hémisphère sud pauvre. Le Nord a prospéré en accaparant les richesses du Sud et en lui vendant leurs produits manufacturés. La loi de la jungle de l’économie de marché ne fait qu’approfondir le fossé économique entre le Sud et le Nord. «Au début de notre siècle, la différence de revenu entre le pays le plus riche et le pays le plus pauvre était d’environ 10 à 1. Elle s’est accrue à un rythme accéléré, marquant en 1960 une proportion de 30:1, en 1990, de 60:1, et en 1997, de 74:1 (Asahi Shimbun, éditorial du 6 septembre 1999).» 253 C’est là la dure réalité indéniable que révèle le problème du Nord et du Sud. Viennent s’y ajouter les inégalités d’ordre mondial, dont la destruction de la nature, la pollution, qui augmentent chaque année la gravité et la complexité du problème. C’est pour le résoudre que les pays non-alignés et autres ont préconisé un nouvel ordre économique international. Comme moyens pour l’établir, on peut citer la «coopération Sud-Sud», supposant l’aide des pays non-alignés relativement aisés aux pays non-alignés moins aisés, l’édification d’une économie nationale indépendante, etc. Le Président Kim Il Sung a dit: «La coopération Sud-Sud est une œuvre noble car une étroite coopération économique et technique entre les pays en développement peut leur permettre d’accéder à l’indépendance économique et est un aspect important de la lutte pour instaurer un nouvel ordre économique international. Réaliser l’indépendance économique grâce à l’édification d’une économie nationale indépendante est une tâche primordiale des pays en développement.» Mais cette noble idée tarde à devenir réalité du fait des obstacles dressés par les pays développés et des différences d’opinions et de situations concrètes des pays en développement, en particulier, en raison de la dépendance poussée qu’on montre à l’égard du vieil ordre économique contrôlé par le dollar. Notons surtout qu’après la fin de la guerre froide l’économie de marché et la domination du dollar se sont renforcées, étendant spontanément leur influence aux pays non-alignés. Il n’est pas chose facile d’éliminer la source d’endettement des pays en développement, déjà débiteurs de 1 300 milliards de dollars. Après la fin de la guerre froide, il s’est avéré encore plus difficile d’instaurer un nouvel ordre économique international, certains pays non-alignés allant jusqu’à douter de la valeur de leur mouvement. Et pourtant, la Corée du Nord, toujours confiante en l’avenir, travaille à construire une économie indépendante pour atteindre son noble objectif. Pour y parvenir, elle a besoin de secouer le joug du 254 dollar. On comprend ainsi pourquoi elle tourne son regard vers l’euro, monnaie pouvant faire face au dollar. C’est ce que je crois trouver à la base de sa politique de rapprochement de l’Union européenne. Le régime Kim Jong Il est marqué par un réalisme et une recherche de l’utilité poussés. J’ai idée que, dans la stratégie du Secrétaire général Kim Jong Il, il faut d’abord qu’une concurrence de l’euro ébranle le vieil ordre économique dominé par le dollar, puis qu’une monnaie unique des pays non-alignés soit hissée au rang de monnaie de référence au même titre que le dollar ou l’euro. Bien sûr, pour le moment, ce n’est qu’un rêve. Mais un rêve qui, à long terme, peut intégrer la réalité, compte tenu de la démolition inévitable du règne du dollar et du manque d’avenir du système de l’économie de marché. Par ailleurs, la Corée du Nord accentue depuis longtemps sa politique de rapprochement de l’ASEAN (Association of South East Asia Nations). C’est qu’elle envisage sans doute d’adhérer à la «zone économique d’Asie orientale» projetée par cette organisation. Que l’ASEAN cherche un «cadre pouvant lui permettre de se doter d’une monnaie commune pour une future zone de libre échange» (Siazon, ministre des A.E. des Philippines) n’est rien d’autre qu’un défi à la domination du dollar et qu’une première tentative pour l’édification d’une économie indépendante. L’apparition d’une monnaie commune puissante en Asie, continent où vit une partie importante de la population du monde, modifierait totalement l’aspect de l’économie mondiale. Au XXIe siècle, la notion de monnaie de référence deviendra probablement ambiguë. L’établissement d’une ou plusieurs monnaies de référence dans le monde et l’instauration d’un nouveau système monétaire accéléreront spontanément la mise en place d’un nouvel ordre économique international. La Corée du Nord se propose comme tâche suprême l’amélioration des rapports avec les Etats-Unis. Le jour n’est pas loin où les deux pays établiront des relations diplomatiques. Certains avancent l’hypothèse que «la Corée du Nord deviendrait pro255 américaine», mais elle ne le sera jamais: elle traitera amicalement les Etats-Unis s’ils en font autant envers elle, c’est tout. En particulier, comme elle tient à son indépendance politique, il est légitime qu’elle défende son indépendance économique, garant de l’indépendance politique. Cela signifie qu’elle ne laissera jamais son économie devenir l’apanage du dollar. Il en ressort que la stratégie économique et la diplomatie de la Corée du Nord évoluent vers le renforcement de son indépendance économique et de celle des autres pour accélérer l’effondrement de la domination exclusive du dollar et instaurer un nouvel ordre économique international. 3. LA COREE DU NORD FACE AU FACTEUR PRINCIPAL DE LA PERPETUATION DE LA DIVISION DU PAYS Pour mettre fin à la politique hostile des Etats-Unis et éliminer leur domination La prolongation de la division de la Corée qui dure depuis plus d’un demi-siècle est à attribuer à autre chose que la différence de régimes politique et économique, d’idéologie et de croyance entre le Nord et le Sud, et leur antagonisme, qui ne sont à cet égard que des facteurs secondaires. L’accord sur la réconciliation, la non-agression, la collaboration et les échanges entre le Nord et le Sud reste lettre morte, ou presque, et les échanges non gouvernementaux, notamment économiques, pourtant assez importants, entre les deux parties font peu pour la réunification du pays. Le fait est qu’il s’agit de simples contingences. Certes, les efforts des forces favorables à la réunification au Nord, au Sud et outre-mer visant à mettre fin à la division ont avivé l’aspiration du peuple à l’unité nationale et freiné la 256 consécration de la division. Mais certains ont cherché à tort à attribuer la prolongation de la division à la faiblesse des forces de la réunification. Le facteur principal et la responsabilité de la réunification de la Corée appartiennent indéniablement à la nation coréenne. L’essentiel à cet égard est d’accroître ces forces nationales. Mais, indifféremment de ces forces, la division du pays s’est éternisée. Comme chacun le sait, la division de la Corée a commencé à se consacrer après la guerre de Corée. Les Etats-Unis, une des parties belligérantes, ont manqué à ses obligations stipulées par l’Accord d’armistice qu’ils avaient signé eux-mêmes, ont formé un étau d’encerclement autour de la Corée du Nord et se sont livrés à de fréquentes provocations belliqueuses contre elle, en méprisant son existence, en prenant à partie et en menaçant son régime. D’autre part, ils ont fait de la Corée du Sud une néocolonie sur les plans politique, militaire et économique. Ils ont ainsi provoqué l’antagonisme au sein de la nation coréenne, puis l’ont maintenu. Autrement dit, la persistance de leur politique hostile à la Corée du Nord et le maintien de leur contrôle sur la Corée du Sud ont aggravé sans discontinuer l’antagonisme et le danger de guerre dans la péninsule coréenne et ont fait obstacle à la réunification. Dans l’espoir de mettre fin à l’immixtion des Etats-Unis, la Corée du Nord les a donc invités à plusieurs occasions à observer l’Accord d’armistice, c’est-à-dire à retirer leurs troupes et à accepter un dialogue appelé à régler pacifiquement le problème coréen. Son appel a été pourtant complètement méconnu, alors qu’elle ne pouvait plus tolérer la division nationale. Dans ces conditions, pour créer un cadre approprié, elle a obtenu, en 1972, que les autorités du Nord et du Sud publient la Déclaration conjointe du 4 Juillet, proclamant leur volonté de réunifier le pays selon les principes de l’indépendance, de la réunification pacifique et d’une grande union nationale. La Déclaration conjointe a joui du soutien enthousiaste de la nation coréenne et a fait ressentir à tout le monde l’approche du jour de la réunification. Mais pourtant, sans la 257 participation des Etats-Unis, il ne pouvait être question d’une solution suffisante, à la déception générale. Il en a été de même de l’accord Nord-Sud. Les Etats-Unis sont coupables d’avoir méconnu et entravé le droit de la nation coréenne de disposer d’elle-même et son ardente aspiration à la réunification. Pour les faire s’acquitter de leurs responsabilités, il fallait les amener à la table de négociations. Et la Corée du Nord y a réussi: ce furent les négociations sur le problème nucléaire occasionné par le «soupçon nucléaire pesant sur la Corée du Nord» et les divers cycles de pourparlers qui se sont succédé par la suite. Au cours du dialogue, la Corée du Nord a obtenu des Etats-Unis la garantie, premièrement, qu’ils n’employeraient pas la force, y compris les armes nucléaires, ni ne menaceraient la Corée du Nord, deuxièmement, qu’ils assureraient la dénucléarisation, la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne, respecteraient la souveraineté de la Corée du Nord et ne s’ingéreraient dans ses affaires intérieures et, troisièmement, qu’ils soutenaient la réunification pacifique de la Corée (Déclaration conjointe RPDC-USA publiée le 11 juin 1993). L’auteur de la division a ainsi reconnu au dialogue le régime de la Corée du Nord et a soutenu la réunification du Nord et du Sud. La réunification était à l’ordre du jour, c’était une possibilité réelle. Les événements du dernier demi-siècle de la péninsule coréenne démontrent incontestablement que le Nord et le Sud ne peuvent pas se réunifier tant que la RPDC et les Etats-Unis, parties adverses dans la guerre de Corée, ne mettent pas un terme à leurs rapports hostiles. La Corée du Nord, sortie victorieuse du combat diplomatique Je ferai abstraction des détails des négociations RPDC-USA qui ont près de 10 ans. Ce dialogue qui mobilisait cerveaux et stratèges de 258 part et d’autre, c’était une vraie guerre sans coups de feu, que la Corée du Nord a déjà gagnée. Les Etats-Unis ont d’abord fait des concessions l’une après l’autre selon la circonstance sur la base de l’illusion de la «chute de la Corée du Nord», puis, après la publication d’un accord-cadre RPDC-USA en 1994, ils l’ont torpillé et ont attendu, en usant de la tactique dilatoire, la fin du régime Kim Jong Il. Leur «espoir» s’est pourtant envolé en fumée lorsqu’on 1998 la Corée du Nord avait lancé avec succès le «Kwangmyongsong 1», satellite artificiel. Lancement à des fins pacifiques qui donnait cependant la mesure de la capacité de la Corée du Nord de disposer des ICBM (Intercontinental Ballistic Missile) pouvant atteindre le territoire américain. Un petit pays ennemi devenait ainsi, en se dotant de la capacité de représailles et de destruction massive, la terreur des EtatsUnis. Impact profond, comme en témoigne l’obstination qu’ils mettent, malgré les échecs répétés, à poursuivre leurs essais d’antimissiles dans le cadre du programme NMD (National Missile Defence) ayant pour but «la défense contre l’attaque de missiles nucléaires de Corée du Nord et autres». Ainsi s’explique comment les Etats-Unis se sont vus obligés de se mettre à s’acquitter des obligations convenues qu’ils avaient pourtant éludées: il fallait empêcher la Corée du Nord de procéder au lancement de son deuxième satellite artificiel comme elle l’avait suggéré. La première étape de l’entreprise, c’est le Perry Report sur la révision de la politique nord-coréenne des Etats-Unis. Le rapport, dont le texte intégral n’a pas été publié, est présenté comme un ensemble de propositions de négociations et de mesures déraisonnables. Pour tout dire, une «déclaration de défaite» des EtatsUnis, à n’en pas douter. Han Ho Sok, directeur de l’Institut de réunification (de la Corée) à New York, a précisé: «Le rapport est un document esquissant la politique du XXIe siècle, les Etats-Unis se proposant de normaliser les relations avec la Corée du Nord et s’engageant à ne pas 259 s’immiscer dans la réunification pacifique de la péninsule coréenne ni à l’entraver, en contrepartie de la promesse de la Corée du Nord de pratiquer une politique de non-prolifération des armes nucléaires et de ne pas menacer l’alliance américano-nippone.» La deuxième étape, c’est la promesse faite par les Etats-Unis, lors des pourparlers de haut niveau avec la Corée du Nord en septembre 1999 à Berlin, d’améliorer les relations avec elle. En contrepartie de l’interruption temporaire des lancements de missiles par la Corée du Nord, les Etats-Unis ont annoncé d’amples mesures d’atténuation des sanctions économiques, à la surprise de l’Occident. Surprise dénuée de fondement, car l’issue de la guerre sans coups de feu s’est décidée dès le moment du lancement réussi du «Kwangmyongsong 1» et que les Etats-Unis ne peuvent que s’acquitter des obligations stipulées dans l’accord-cadre conclu. Cette année marque le 50e anniversaire de l’éclatement de la guerre de Corée. Pendant la dernière décennie, les situations de la Corée du Nord et des Etats-Unis ont radicalement changé. Ces derniers avaient affiché du mépris pour son adversaire qu’ils n’avaient pu vaincre lors de la guerre de Corée et qu’ils redoutaient depuis. Mais le «soupçon nucléaire» les avait entraînés dans une guerre diplomatique où ils ont essuyé une nouvelle défaite. La troisième étape, c’est le débat nord-coréo-américain qui a suivi le 2e tour des pourparlers de Berlin. Avant l’ouverture des négociations, dit-on, Kartman, envoyé spécial américain chargé de négocier la paix en Corée, a déclaré à Kim Kye Gwan, vice-ministre nord-coréen des Affaires étrangères, que «les Etats-Unis étaient prêts à exprimer officiellement leur projet de renoncer à la volonté d’hostilité envers la Corée du Nord» (de source «gouvernementale» sud-coréenne). Cela va au-delà de la garantie de non-usage de la force. Si leur politique d’hostilité est abandonnée, il ne restera qu’à établir des relations diplomatiques. Somme toute, les deux parties appliqueront les stipulations de l’accord-cadre de 1994 en se basant sur les trois principes convenus en 1993 et suivant le principe de l’action simultanée, 260 concluront ainsi un accord de paix, puis, au début du XXIe siècle, établiront des relations diplomatiques. De ce point de vue, la réunification du Nord et du Sud se révèle une tâche immédiate, et non plus une tâche à long terme. Le retrait des troupes américaines et la situation de la Corée du Sud La conclusion d’un accord de paix et l’établissement de relations diplomatiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis poseraient essentiellement le problème du traitement et de la position des troupes américaines stationnées en Corée du Sud. La présence militaire américaine indéfinie en Corée du Sud est exclue lorsqu’on veut conclure cet accord de paix et établir ces relations diplomatiques. Car la conciliation entre la Corée du Nord et les Etats-Unis et la réunification du Nord et du Sud de la Corée présupposent la fin de la structure de la guerre froide et la coexistence pacifique dans la péninsule coréenne. En Corée du Sud, les autorités comme l’opinion en général se croient à tort protégées par les troupes américaines. Aussi la perspective d’un retrait de ces troupes en une seule fois risque-t-elle de les inquiéter et de les pousser à accroître leurs armements (y compris le développement d’armes nucléaires et des ICBM) dans l’idée de s’équiper autant que nécessaire pour affronter le Nord. Or, cela nuirait à la cause de la réunification et ferait même courir le risque de perdre les avantages d’une amélioration de relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. C’est ce que les Etats-Unis euxmêmes ne souhaitent pas. On peut en conclure que les autorités de la Corée du Nord et des Etats-Unis chercheront probablement à obtenir, primo, que les troupes américaines stationnées en Corée du Sud ne soient plus hostiles à la Corée du Nord (désarmement); secundo, qu’elles jouent, comme l’Armée populaire de Corée, le rôle de force de 261 maintien de la paix et de la sécurité dans la péninsule coréenne (neutralisation); et, enfin, qu’elles se retirent progressivement (temporalité). Les troupes américaines stationnées en Corée du Sud changeront ainsi dans leur caractère et leur mission, restant en place jusqu’au moment où le Nord et le Sud auront évolué de façon concrète vers leur réunification. Je pense que la Corée du Nord admet dans une certaine mesure cette perspective. On peut se demander si les Etats-Unis accepteront de retirer leurs troupes et de renoncer à leur contrôle sur la Corée du Sud. Question compréhensible eu égard au demi-siècle de division de la Corée. Pourtant on y répondra par l’affirmative car «c’est la force des choses». On a constaté un cas de ce genre il y a 30 ans. En février 1972, les Etats-Unis se sont conciliés, et cela a fait sensation, avec la Chine, grande puissance ennemie dans la guerre froide. Dans la déclaration conjointe adoptée à Shanghai, les deux pays sont convenus des cinq principes de la paix et ont établi un cadre nouveau pour leurs relations. Les troupes américaines se sont retirées de Taïwan, où leurs bases ont été démantelées. La guerre froide entre les deux pays a ainsi pris fin. Le président Nixon a effectué, en Chine, une visite qualifiée de «diplomatie du drapeau blanc» par le Président Kim Il Sung. Sur le prolongement de cette politique, les Etats-Unis ont abandonné leur contrôle militaire sur Taïwan, s’avouant ainsi vaincus dans leur diplomatie. Echec qui leur a pourtant fait gagner plus qu’il ne leur a fait perdre, qui leur a offert des avantages matériels en contrepartie de l’honneur. Sept ans plus tard, en janvier 1979, les Etats-Unis établissaient des relations diplomatiques avec la Chine et, du même coup, rompaient celles qu’ils avaient avec Taïwan. Le cas de l’amélioration des relations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord rappelle celui de l’amélioration des relations entre les Etats-Unis et la Chine. Il y a, en effet, les trois principes de la Déclaration conjointe RPDC-USA et l’accord-cadre qui les 262 concrétise, à la place des cinq principes de la paix. Et, si les relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis suivent une évolution plus complexe, c’est que, à la différence de la Chine qui était déjà une grande puissance dotée d’armes nucléaires et d’ICBM, la Corée du Nord est un petit pays censé ne pas en posséder. La Chine pouvait se contenter d’attendre la visite du vaincu. Attitude identique, dirait-on, à celle de Tokugawa leyashu: «Attendons jusqu’à ce que l’autre pleure.» Par contre, la Corée du Nord devait faire flèche de tout bois pour contraindre les Etats-Unis à pleurer. Il est certain que la Corée du Nord et les Etats-Unis concluront un accord de paix, établiront des relations diplomatiques et se concilieront après le retrait des troupes américaines de Corée du Sud. Est-ce que la Corée du Sud rompra-t-elle alors avec les EtatsUnis comme ce fut le cas de Taïwan? Non, il n’en sera pas ainsi. La Chine et Taïwan, séparées l’une de l’autre, étaient incomparables quant à leurs territoires, populations, puissances militaires et potentiels économiques d’ensemble. D’autre part, la Chine préconisait «un pays et deux régimes», autrement dit la réunification, tandis que Taïwan s’en tenait à la formule: «un pays et deux gouvernements». Admettant la partition pour suivre une autre voie que la Chine, Taïwan ne pouvait pas tolérer que les Etats-Unis soutiennent la politique de réunification de celleci. D’où sa rupture inévitable avec les Etats-Unis. Quant au Nord et au Sud de la Corée, leur différence de puissance n’est pas aussi frappante. Les deux aspirent apparemment à la coexistence. Kim Dae Jung admet la normalisation des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis et déclare même qu’il mettrait un terme, pendant son mandat, à la structure de la guerre froide dans la péninsule coréenne. L’établissement de relations diplomatiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis et le retrait des troupes américaines de Corée du Sud, malgré leur grave impact sur celle-ci, relèvent d’une tendance irrésistible de l’évolution de l’histoire. 263 Jadis, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon préconisaient la reconnaissance croisée du Sud et du Nord. Après la fin de la guerre froide, cette thèse s’est réalisée mais, malheureusement, d’un seul côté, la Corée du Sud établissant des relations diplomatiques avec la Russie et la Chine. D’où la rupture de l’équilibre militaire et politique et l’aggravation de la tension militaire dans la péninsule coréenne. Par conséquent, le rétablissement de l’équilibre est une priorité dans la péninsule coréenne. En Corée, à la différence de la Chine et de Taïwan, la réunification du Nord et du Sud s’impose parallèlement à l’établissement de relations diplomatiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Cela ne suppose pas la rupture de la Corée du Sud avec les Etats-Unis. La question est de savoir si le régime sudcoréen, pourtant si accoutumé au contrôle des Etats-Unis et à la dépendance envers les forces extérieures, sera politiquement capable de faire face à l’ère nouvelle, celle de la souveraineté nationale, et à la tâche de réunification. «Un pays et deux régimes», programme réaliste Alors que les conditions préalables à la réunification sont réunies, on se demande naturellement quelle sera la forme la plus réaliste à adopter? Pour résumer les idées en cours, je citerai deux formes essentielles: la réunification par fédération (un pays et deux régimes) et la communauté des Etats (une confédération et deux gouvernements indépendants). Des idéologies et des régimes différents existent actuellement au Nord et au Sud. Chacune des deux parties ne peut abandonner les siens ni les imposer à l’autre. Un certain temps, on a fait, en Corée du Sud, beaucoup de bruit d’un «effondrement de la Corée du Nord» et d’une «réunification par absorption», thèses qui se sont envolées en fumée à mesure qu’on s’est aperçu que le régime Kim Jong Il 264 tenait. Il n’est pas réaliste d’attendre que l’autre partie périsse. Par ailleurs, la réunification selon le principe: «un pays, un régime et un gouvernement» supposerait la guerre, car elle exclurait la réunification pacifique. Les deux parties doivent admettre chacune l’idéologie et le régime de l’autre et coexister pacifiquement, voilà la seule voie qui mènera à la réunification. Comment développer l’Etat national unifié, c’est une tâche à confier au soin des générations futures. D’ailleurs, Kim Dae Jung déclarait: «Ce que j’ai à faire pendant la durée de mon mandat, c’est de mettre un terme à la guerre froide dans la péninsule coréenne et d’obtenir la coexistence du Nord et du Sud et des échanges pacifiques entre eux. Je laisse aux générations à venir le soin d’accomplir la réunification (Asahi Shimbun, le premier janvier 2000).» Idées qui, apparemment identiques à celles du Nord, s’en distinguent au fond. La différence concerne l’étape à laquelle on situe la réunification. Kim Dae Jung, toujours partisan d’une unification par une communauté des Etats (du Nord et du Sud), a, dans le temps, proposé l’«initiative de trois étapes». A la première étape, celle de la coexistence pacifique, ce serait la mise en œuvre du principe: «un pays et deux gouvernements indépendants» qui suppose que le Nord et le Sud gardent respectivement leurs gouvernements actuels et se réservent chacun à part l’exercice des compétences en matière de politique extérieure et de défense. A la deuxième étape, un gouvernement confédéral exercerait les compétences en matière de politique extérieure et de défense, tandis que des gouvernements locaux du Nord et du Sud s’occuperaient des affaires intérieures. La troisième étape serait celle d’une unification complète selon le principe: «une nation, un Etat et un gouvernement». La première étape est, par nature, identique à la «thèse de deux Etats» de Taïwan. Et 1’«unification» n’interviendrait qu’à la troisième étape. On en vient alors à s’interroger quand cet événement se produira effectivement. En définitive, il est difficile de considérer que ce projet envisage la réunification. 265 A l’opposé, la réunification par fédération préconisée par la Corée du Nord considère comme la réunification du pays la création, selon la formule: «une nation, un Etat, deux régimes et deux gouvernements», d’un Etat fédéral qui serait neutre. C’est-àdire qu’un Etat unifié naîtrait quand il y aurait «un pays, deux régimes et deux gouvernements régionaux». Projet qui peut devenir réalité dès que le facteur principal de la persistance de la division sera éliminé. Là est le caractère réaliste et rationnel de l’initiative de réunification par fédération, programme concret qui inspire des espoirs à une nation qui endure depuis plus d’un demi-siècle le martyre de la division. La «réunification n’est pas à laisser au soin de nos successeurs», c’est plutôt une question d’actualité et nous devons léguer à la génération suivante un Etat unifié. Voici une référence fournie à cet égard par la Chine. En décembre 1999, au bout de 442 ans, Macao est retourné à la Chine, après Hong Kong. Cela marque la fin de la domination (coloniale) de l’Europe et des Etats-Unis sur l’Asie. Macao, de même que Hong Kong, maintiendra pendant 50 ans une haute autonomie, excepté dans les domaines des affaires extérieures et de la défense, en vertu du principe: «un pays et deux régimes». Le retour de Hong Kong et de Macao, leur haute autonomie et leur développement économique continu démontrent à l’évidence la pertinence de la politique chinoise: «un pays et deux régimes». Lors de la cérémonie de rétrocession de Macao, le président Jiang Zemin a souligné que c’était «un modèle pour résoudre définitivement le problème de Taïwan». Il est important à cet égard de remarquer que les Etats-Unis ont soutenu le système fédéral dit «un pays et deux régimes», préconisé par le Chine. Pour sa part, la Corée du Nord l’a salué, en signalant que «le retour de Macao à la Chine après Hong Kong selon le principe: "un pays et deux régimes" a confirmé clairement la pertinence et le réalisme de notre projet de réunification par fédération» (Rodong Sinmun, le 20 décembre 1999). Cela fait sous266 entendre que les Etats-Unis doivent soutenir également le principe: «un pays et deux régimes» dans la péninsule coréenne. L’amélioration radicale des relations entre les Etats-Unis, principal facteur de la persistance de la division, et la Corée du Nord, force déterminante de la réunification, convertira réunification par fédération en possibilité réelle. Rien ne pourra plus empêcher les Etats-Unis, après l’établissement de relations diplomatiques avec la Corée du Nord, de soutenir le projet: «un pays et deux régimes», pour la Corée, eux qui l’ont fait sans réserve pour la Chine. S’ils ne le font pas, leurs relations avec la Corée du Nord risquent de retourner au point de départ. Ils seront obligés de le faire. En conclusion, la thèse de l’actuel chef de l’exécutif sudcoréen: «un pays et deux gouvernements indépendants» ne peut qu’aggraver l’antagonisme entre le Nord et le Sud et qu’empêcher leur coexistence pacifique. Il faut mettre en œuvre le principe: «un pays et deux gouvernements autonomes régionaux» à condition que chacune des deux parties reconnaisse le régime de l’autre si l’on veut que la paix et la stabilité régnent dans la péninsule coréenne et que le Nord et le Sud coexistent et coprospèrent. Remarque: le rétablissement de la Corée du Sud dans la souveraineté nationale est une condition préalable à la réunification par fédération. Si la Corée du Sud reste sous la coupe des forces étrangères, la fédération ne sera plus qu’une chimère. Tant que cela ne portera pas atteinte à leurs intérêts, les Etats-Unis admettront l’idée d’instauration d’un gouvernement souverain en Corée du Sud, dans l’optique du maintien de bonnes relations avec la future Corée réunifiée. Si l’actuel régime donne peu d’espoir à cet égard, tout dépendra cependant de l’attitude qu’il prendra surtout vis-à-vis de la «loi sur la sécurité nationale» qu’il devrait abolir aussi rapidement que possible, cet acte étant un obstacle à la réunification combattu à l’intérieur comme à l’extérieur. 267 La Corée du Nord aplanit les obstacles auxiliaires à la réunification Après avoir marqué un tournant dans ses relations avec les EtatsUnis, principal facteur de la persistance de la partition, la Corée du Nord a entrepris d’aplanir les obstacles secondaires à la réunification. Il s’agit, premièrement, de la poursuite, jusqu’au bout, de l’offensive diplomatique active pour raffermir la victoire diplomatique sur les Etats-Unis. Quand seront établies des relations diplomatiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis? Le chiffre «2003» en dit long à ce sujet. Les Etats-Unis ont conclu un accord-cadre avec la Corée du Nord à la lumière de la thèse de son «effondrement». Ils ont alors consenti sans grand-peine à lui offrir des réacteurs à eau légère jusqu’en 2003. Quelle conséquence cela peut-il avoir de promettre une chose prévue à 10 ans plus tard à une partie adverse condamnée à s’écrouler sous peu, se disaient-ils sans doute. Or, la fourniture de réacteurs à eau légère sous l’égide de la KEDO n’a fait que traîner en longueur si bien qu’il est clair maintenant qu’il est tout à fait impossible de la réaliser dans trois ans. Ils se sont hâtés à rédiger le Perry Report pour réviser leur politique nord-coréenne, mais il était trop tard. Si la promesse pour 2003 n’est pas tenue, il faudra une compensation. Si le régime Clinton n’y parvient pas, la tâche passera à son successeur, le régime démocrate ou républicain, pour lequel ce sera un handicap indéniable. Par «compensation», il faut entendre l’établissement de relations diplomatiques et le soutien à la réunification du Nord et du Sud par fédération. L’aide économique n’est qu’un élément secondaire. Pour autant que «2003» est considéré comme une condition absolue, on peut situer l’établissement de relations diplomatiques avant ce délai. 268 En d’autres termes, il ne reste que trois ans aux Etats-Unis pour user d’atermoiements. Jusque-là, la Corée du Nord négociera avec les Américains pour gagner ce qu’elle peut ainsi et tentera de réunir les meilleures conditions pour la réunification par fédération. Deuxièmement, il s’agit de promouvoir des relations avec les autres pays occidentaux. A la fin de l’an dernier, la Corée du Nord et le Japon sont convenus de reprendre les pourparlers sur la normalisation de leurs relations. On suppose l’amélioration de ces relations extrêmement difficile et demandant beaucoup de temps du fait de la question de haute importance qu’est le règlement du passé. Toujours est-il que la poursuite du dialogue avec le Japon aidera à la sécurité d’Asie du Nord-Est et contribuera à aplanir les obstacles secondaires à la réunification par fédération. Que le Japon désire le dialogue et l’amitié, la Corée du Nord ne peut qu’y applaudir. D’autre part, depuis quelque temps, la Corée du Nord a multiplié les contacts avec les pays occidentaux, notamment ceux avec les pays membres de l’Union européenne. Au début de cette année, on a annoncé la normalisation des relations entre la Corée du Nord et l’Italie, le premier des pays membres du G7 à y parvenir. L’événement exerce une influence politique considérable sur les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon. Cela a fait échouer leur projet d’«introduire dans la communauté internationale la Corée du Nord, pays "paria", pour assurer la sécurité d’Asie du Nord-Est». La Corée du Nord ne voudrait-elle pas améliorer ses relations avec les pays membres du G7 afin d’affaiblir l’étau formé par les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, voire de les encercler à son tour? Quoi qu’il en soit, il va sans dire que l’établissement de relations diplomatiques avec l’Italie contribuera à la promotion des rapports RPDC-USA. En se liant avec l’Italie, la Corée du Nord a porté sa performance à 135 pays, réduisant la distance qu’elle avait par rapport à la Corée 269 du Sud (183 pays). Il est très probable qu’elle établisse dans un proche avenir des relations diplomatiques avec l’Australie et les Philippines. On annonce par ailleurs qu’une délégation du ministère des Affaires étrangères de France visiterait la Corée du Nord en février prochain. Le rapprochement des pays d’Europe promet beaucoup du point de vue économique aussi. Il y a peu de temps, le groupe Fiat, grande entreprise de fabrication d’automobiles d’Italie, a annoncé qu’il construirait en Corée du Nord une usine de montage d’une capacité annuelle de 10 000 unités, en recourant à la production de licence de «Tempura», station wagon, à bas prix (mode de production supposant l’importation et le montage des pièces sur place). Le plan de développement adopté entre Pyonghwa Motor Company de Corée du Sud et la société de cogestion nord-coréenne prévoit d’inaugurer cette production en juin 2001 avec un montant d’investissement de 300 millions de dollars. Les produits seraient exportés vers la Russie et l’Asie du Sud-Est. C’est la preuve que rétablissement de relations diplomatiques se répercute sur les relations économiques. Sans doute que les rapports politiques et économiques nord-coréo-américains suivront cet exemple. Le récent rapprochement entre la Corée du Nord et l’Italie montre un aspect de la politique extérieure de Kim Jong Il, qui tente d’établir de nouvelles relations avec l’Occident, tout en resserrant les liens noués avec les pays non-alignés, afin de créer un cadre favorable à la réunification sans s’arrêter aux profits économiques et politiques que cela peut apporter. Troisièmement, il s’agit de redynamiser l’économie nordcoréenne. Depuis le milieu des années 1990, pour plusieurs raisons, l’économie socialiste nord-coréenne a stagné,, accompagnée d’une grave crise alimentaire. C’est à cela que tient, en grande partie, la thèse de 1’«effondrement de la Corée du Nord» qui a circulé aux Etats-Unis, en Corée du Sud et au Japon. Néanmoins, grâce à sa solide unité politique et à sa fermeté de volonté, la 270 Corée du Nord a su inaugurer une relance économique il y a deux ans. Selon son projet d’édifier une grande puissance prospère, Kim Jong Il consacre de gros efforts aux affaires militaires de même qu’à l’économie. Il envisage ainsi la réunification par fédération, il y eut un temps où l’on a parlé, en Corée du Sud, de «frais d’unification», ce qui perd tout son sens dans le cadre de la réunification par fédération. Cependant, le principe: «un pays et deux régimes» suppose, pour la Corée du Nord, la consolidation et la reprise de son économie socialiste indépendante. Car la réunification par fédération serait difficile quand les rapports entre le Nord et le Sud sont inégaux. Comme mentionné ci-dessus, la Corée du Nord tente de supprimer peu à peu les obstacles secondaires à la réunification par fédération qu’elle envisage de réaliser dans un proche avenir. Cela donne d’ores et déjà des résultats concrets, faisant espérer que la réunification sera bientôt à l’ordre du jour. La nation coréenne mettra un terme à sa division et vivra, unifiée, au siècle prochain. 271 DOCUMENTS DE REFERENCE L’ACCORD SUR LA RECONCILIATION, LA NON-AGRESSION, LA COLLABORATION ET LES ECHANGES ENTRE LE NORD ET LE SUD (Signé à Séoul le 13 décembre 1991 par Yon Hyong Muk, premier ministre et chef de la délégation du Nord, et par Jong Won Sik, premier ministre et chef de la délégation du Sud.) Selon la volonté unanime de la nation coréenne tout entière aspirant à la réunification pacifique de la patrie, réaffirmant les Trois principes à respecter en matière de réunification formulés dans la Déclaration conjointe Nord-Sud du 4 Juillet et s’engageant à mettre fin à l’état de confrontation politique et militaire au profit de la réconciliation, à s’abstenir de toute attaque et de tout conflit armés pour la détente et la paix, à effectuer coopération et échanges dans divers domaines en vue de promouvoir les intérêts communs et la prospérité de la nation, à œuvrer conjointement pour réunifier le pays pacifiquement tout en considérant les rapports actuels des deux parties comme des relations spéciales et provisoires avant la réunification, et non comme des relations d’Etat à Etat, le Nord et le Sud sont convenus de ce qui suit. Chapitre I. La réconciliation entre le Nord et le Sud Article 1. Le Nord et le Sud reconnaîtront et respecteront le régime l’un de l’autre. Article 2. Le Nord et le Sud s’abstiendront d’intervenir dans les affaires intérieures l’un de l’autre. Article 3. Le Nord et le Sud s’abstiendront de se critiquer et de s’attaquer l’un l’autre. 272 Article 4. Le Nord et le Sud s’abstiendront de tout acte de sabotage et de subversion l’un contre l’autre. Article 5. Le Nord et le Sud travailleront ensemble à transformer l’actuel armistice en paix durable et respecteront l’actuel Accord d’armistice militaire avant l’instauration de la paix. Article 6. Le Nord et le Sud ne se livreront pas à la confrontation et à la compétition entre eux sur la scène internationale et coopéreront pour assurer la dignité et les intérêts de la nation. Article 7. Le Nord et le Sud établiront un office de liaison Nord-Sud à Phanmunjom dans les trois mois qui suivront la mise en vigueur du présent accord, pour faciliter une liaison étroite et la discussion entre eux. Article 8. Le Nord et le Sud constitueront une souscommission politique Nord-Sud, dans le cadre des présents pourparlers, dans le mois qui suivra l’entrée en vigueur du présent accord, pour élaborer les mesures concrètes à prendre afin de respecter et de réaliser les clauses concernant la réconciliation Nord-Sud. Chapitre II. La non-agression entre le Nord et le Sud Article 9. Le Nord et le Sud ne recourront pas à la force armée l’un contre l’autre ni ne s’attaqueront manu militari. Article 10. Le Nord et le Sud régleront les divergences et les problèmes litigieux par la voie pacifique, par dialogue et négociations. Article 11. Le Nord et le Sud adopteront comme ligne de démarcation et zones inviolables la ligne de démarcation militaire établie aux termes de l’Accord d’armistice militaire en date du 27 juillet 1953 et les zones contrôlées actuellement par les deux parties. Article 12. Le Nord et le Sud constitueront, pour la nonagression, une commission militaire conjointe Nord-Sud dans les trois mois qui suivront la mise en vigueur du présent accord. La 273 commission discutera et réglera les problèmes relatifs à l’établissement de la confiance dans le domaine militaire et au désarmement, notamment la communication et le contrôle des déplacements et des manœuvres d’importantes troupes militaires, l’utilisation de la zone démilitarisée à des fins pacifiques, les visites mutuelles de personnes et les échanges d’informations, le désarmement par étapes, à commencer par le démantèlement des armes de destruction massive et la réduction du potentiel d’attaque, et leur vérification. Article 13. Le Nord et le Sud installeront une ligne téléphonique directe entre leurs autorités militaires afin de prévenir tout conflit armé et son extension. Article 14. Le Nord et le Sud organiseront, dans le mois qui suivra la mise en vigueur du présent accord et dans le cadre des présents pourparlers, une sous-commission militaire conjointe NordSud pour discuter des mesures concrètes à prendre pour respecter et exécuter l’accord sur la non-agression et dissiper l’état de confrontation militaire. Chapitre III. La coopération et les échanges entre le Nord et le Sud Article 15. Le Nord et le Sud procéderont à la coopération et à des échanges dans le domaine économique, notamment l’exploitation commune de richesses naturelles, l’échange de marchandises, les investissements mixtes, etc., en vue de réaliser un développement unifié et équilibré de l’économie nationale et de contribuer à l’amélioration du bien-être de la nation tout entière. Article 16. Le Nord et le Sud effectueront coopération et échanges dans divers autres domaines, tels que les sciences, la technologie, l’éducation, la littérature, l’art, la santé publique, les sports, l’environnement, les médias (la presse écrite et audiovisuelle), etc. Article 17. Le Nord et le Sud permettront une circulation et des contacts libres des membres de la nation. Article 18. Le Nord et le Sud prendront des mesures destinées à résoudre les problèmes humanitaires, à savoir 274 correspondances, voyages, visites et rencontres libres entre proches parents séparés, reconstitutions familiales selon leur libre volonté, etc. Article 19. Le Nord et le Sud relieront les lignes de chemin de fer et les routes coupées et ouvriront des voies de navigation et des lignes aériennes. Article 20. Le Nord et le Sud relieront les installations des P.T.T. ou en établiront de nouvelles et assureront la confidentialité de la correspondance et des communications télégraphiques. Article 21. Le Nord et le Sud coopéreront dans divers domaines, notamment économique et culturel, et se présenteront conjointement sur la scène internationale. Article 22. Le Nord et le Sud constitueront, dans les trois mois qui suivront l’entrée en vigueur du présent accord, des commissions conjointes sectorielles, dont la commission conjointe de coopération et d’échanges économiques, pour exécuter l’accord sur la coopération et les échanges dans divers domaines, notamment économique et culturel. Article 23. Le Nord et le Sud constitueront, dans le mois qui suivra l’entrée en vigueur du présent accord et dans le cadre des présents pourparlers, une sous-commission conjointe de coopération et d’échanges pour discuter des mesures précises à prendre pour respecter et exécuter l’accord sur la coopération et les échanges. Chapitre IV. Amendement et mise en vigueur Article 24. Le présent accord peut être amendé et remanié sur l’approbation des deux parties. Article 25. Le présent accord entrera en vigueur à partir du jour où les deux parties en auront échangé un exemplaire, après avoir suivi la procédure requise. Le 13 décembre 1991 275 DECLARATION CONJOINTE SUR LA DENUCLEARISATION DE LA PENINSULE COREENNE (Signée à Phanmunjom, le 20 janvier 1992, par les premiers ministres du Nord et du Sud.) Désireux de dénucléariser la péninsule coréenne pour en écarter le danger de guerre nucléaire, créer un climat et des conditions favorables à la paix et à la réunification pacifique du pays et contribuer à la paix et à la sécurité en Asie et dans le reste du monde, le Nord et le Sud déclarent ce qui suit: 1. Le Nord et le Sud s’abstiendront de tout essai, de construction, de production, d’acquisition, de possession, de stockage, de déploiement et d’utilisation d’armes nucléaires. 2. Le Nord et le Sud n’exploiteront l’énergie nucléaire qu’à des fins pacifiques. 3. Le Nord et le Sud ne disposeront pas d’installations de retraitement de matières nucléaires et d’enrichissement de l’uranium. 4. Le Nord et le Sud inspecteront, pour vérifier l’état de dénucléarisation de la péninsule coréenne, les sites d’une partie selon le choix fait par l’autre et approuvé par les deux, suivant la procédure et la méthode établies par la commission conjointe de contrôle nucléaire. 5. Le Nord et le Sud constitueront, dans le mois qui suivra la publication de la présente Déclaration conjointe, une commission conjointe de contrôle nucléaire pour l’exécuter. 6. La présente Déclaration entrera en vigueur à partir du jour où les deux parties en auront échangé un exemplaire, après avoir suivi la procédure requise. Le 20 janvier 1992 276 DECLARATION CONJOINTE RPDC-USA (Adoptée lors des premiers pourparlers RPDC-USA et publiée le 11 juin 1993 à New York.) Des pourparlers au niveau gouvernemental ont eu lieu du 2 au 11 juin 1993 à New York, y ont participé la délégation du gouvernement de la RPDC conduite par Kang Sok Ju, premier vice-ministre des Affaires étrangères, et celle du gouvernement des USA conduite par Robert L. Gallucci, assistant au secrétaire d’Etat. La RPDC et les USA ont discuté, au cours des présents pour parlers, des problèmes politiques posés par la solution fondamentale du problème nucléaire dans la péninsule coréenne et ont exprimé leur soutien à la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne conformément à l’objectif de la non-prolifération des armes nucléaires. La RPDC et les USA sont convenus des principes suivants: —De ne pas employer la force, y compris les armes nucléaires, et de ne pas l’utiliser comme menace; —D’assurer la dénucléarisation, la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne, ainsi que l’équité dans l’application de l’ensemble des garanties, de respecter mutuellement leur souveraineté et de ne jamais s’ingérer dans les affaires intérieures l’une des autres; —De soutenir la réunification pacifique de la Corée. Suivant ces principes, les gouvernements des deux pays sont convenus de poursuivre les pourparlers sur un pied d’égalité et avec équité. Partant, le gouvernement de la RPDC a décidé unilatéralement de suspendre provisoirement, pour un temps considéré nécessaire, la validité de sa décision de retrait du TNP. Le 11 juin 1993, à New York 277 COMMUNIQUE SUR LES POURPARLERS RPDC-USA (Adopté lors des deuxièmes pourparlers RPDC-USA et publié par chacune des deux parties le 19 juillet 1993 à Genève.) Communiqué de la délégation de la RPDC Du 14 au 19 juillet 1993 à Genève, la délégation de la RPDC et celle des USA ont procédé aux deuxièmes pourparlers destinés à résoudre le problème nucléaire. Les deux parties ont réaffirmé les principes formulés dans la Déclaration conjointe RPDC-USA du 11 juin 1993. Les USA ont renouvelé en particulier leur engagement à respecter le principe de ne pas employer la force, dont les armes nucléaires, et de ne pas s’en servir comme menace. Les deux parties ont estimé souhaitable que la RPDC remplace ses réacteurs à filière graphite actuels et les installations nucléaires annexes par des réacteurs à eau légère. Les USA soutiennent l’introduction de réacteurs à eau légère par la RPDC en la supposant réalisable comme un maillon de la solution définitive du problème nucléaire et se sont déclarés prêts à rechercher, conjointement avec la RPDC, le moyen d’y parvenir. Les deux parties se sont accordées à juger indispensable l’application parfaite et équitable de la garantie de l’AIEA pour le renforcement du système international de non-prolifération des armes nucléaires. Partant, la RPDC s’est déclarée disposée à entamer dans le délai le plus court possible des négociations avec l’AIEA pour discuter de la garantie et autres problèmes pressants. 278 La RPDC et les USA ont réaffirmé l’importance de l’application de la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. La RPDC s’est déclarée, une fois de plus, prête à engager le dialogue Nord-Sud le plus tôt possible pour discuter des problèmes existant entre le Nord et le Sud, en particulier du problème nucléaire. La RPDC et les USA sont convenus de reprendre les pourparlers avant deux mois pour discuter des problèmes pressants posés par le règlement du problème nucléaire, y compris des problèmes techniques de l’introduction de réacteurs à eau légère, et pour jeter les bases de l’amélioration des relations d’ensemble entre eux. Le 19 juillet 1993, à Genève DECLARATION SUR L’ACCORD ENTRE LA RPDC ET LES USA (Adoptée au premier tour des troisièmes pourparlers RPDC-USA et publiée le 12 août 1994 à Genève.) Du 5 au 12 août 1994 à Genève, les délégations de la RPDC et des USA ont repris les troisièmes pourparlers. Les deux parties ont réaffirmé les principes formulés dans la Déclaration conjointe RPDC-USA du 11 juin 1993 et se sont accordées à estimer que les points suivants constituent un maillon de la solution définitive du problème nucléaire. 1. La RPDC s’est déclarée disposée à remplacer ses réacteurs à filière graphite et les installations annexes par des réacteurs à eau légère, et les USA ont décidé de fournir à la RPDC, dans le délai le plus court possible, des réacteurs à eau 279 légère d’une puissance totale de 2 millions de kW et de lui fournir, pendant leur construction, du combustible en compensation de la perte d’énergie causée par ce remplacement. La RPDC, dès qu’elle aura reçu des USA la garantie de la fourniture de réacteurs à eau légère et du combustible en compensation de la perte d’énergie, gèlera la construction de ses réacteurs à filière graphite respectivement d’une puissance de 50 000 et de 200 000 kW, renoncera à retraiter le combustible usé et scellera son laboratoire radiochimique pour le mettre ensuite sous la surveillance de l’AIEA. 2. La RPDC et les USA sont convenus d’établir chacun des représentations diplomatiques dans la capitale de l’autre partie comme une mesure destinée à la normalisation complète de leurs relations politiques et économiques et d’adoucir la barrière en matière de commerce et d’investissement. 3. Dans le but de dénucléariser la péninsule coréenne et d’y assurer la paix et la sécurité, les USA se sont déclarés prêts à s’engager à ne pas employer les armes nucléaires contre la RPDC et à ne pas la menacer avec, et la RPDC a exprimé sa volonté invariable d’appliquer la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. 4. La RPDC s’est déclarée disposée à rester Etat membre du TNP et à respecter l’accord de garanties établi par le TNP. Cependant, il reste des problèmes importants à résoudre parmi ceux qui ont été abordés au cours des présents pourparlers. Les deux parties se sont accordées à estimer nécessaires des négociations entre experts pour le remplacement de réacteurs à filière graphite de la RPDC par des réacteurs à eau légère, la conservation en sûreté et la liquidation du combustible usé, la livraison de combustible en compensation de la perte d’énergie et l’établissement des offices de liaison. Les négociations entre experts se tiendront en RPDC, aux USA ou ailleurs selon l’accord des deux parties. 280 La RPDC et les USA sont convenus de suspendre les présents pourparlers pour les reprendre le 23 septembre 1994 à Genève. Dans ce délai, les USA prendront des mesures destinées à offrir à la RPDC la garantie de la fourniture de réacteurs à eau légère comme un maillon de la solution définitive du problème nucléaire, et la RPDC maintiendra le gel de ses activités nucléaires et assurera la continuité de l’accord de garanties, comme convenu dans les messages échangés le 20 et le 22 juin 1994 entre Kang Sok Ju, premier vice-ministre des Affaires étrangères de la RPDC, et Robert L. Gallucci, assistant au secrétaire d’Etat américain. Le 12 août 1994, à Genève ACCORD-CADRE RPDC-USA (Accord final conclu entre la RPDC et les USA à l’issue des troisièmes pourparlers et publié le 21 octobre 1994, à Genève.) La délégation gouvernementale de la RPDC et celle des USA ont tenu des pourparlers du 23 septembre au 21 octobre 1994 à Genève, pour décider de la solution globale du problème nucléaire dans la péninsule coréenne. Les deux parties ont réaffirmé l’importance que revêtent la réalisation des objectifs précisés dans la Déclaration sur l’accord RPDC-USA du 12 août 1994 et le maintien des principes formulés dans la Déclaration conjointe RPDC-USA du 11 juin 1993 afin de dénucléariser la péninsule coréenne et d’y assurer la paix et la sécurité. La RPDC et les USA sont convenus d’entreprendre, pour résoudre le problème nucléaire, les actions suivantes. 281 1. Les deux parties coopéreront à remplacer les réacteurs à filière graphite de la RPDC et les installations annexes par des réacteurs à eau légère. 1). Les USA prendront sous leur propre responsabilité, comme indiqué dans la lettre de garantie du président américain en date du 20 octobre 1994, les mesures nécessaires pour livrer avant la fin de 2003 à la RPDC des réacteurs à eau légère d’une puissance totale de 2 millions de kW. —Les USA organiseront un consortium international sous leur conduite, chargé de fournir les fonds et les installations nécessaires au projet de réacteurs à eau légère destinés à la RPDC. Représentant ce consortium, ils constitueront le partenaire principal de la RPDC dans la fourniture de réacteurs à eau légère. —Les USA feront tout ce qui est en leur pouvoir pour conclure, au nom du consortium, un contrat de fourniture de réacteurs à eau légère avec la RPDC dans les six mois qui suivront la signature du présent accord-cadre. Les négociations pour la conclusion dudit contrat s’engageront au plus tôt après la signature de cet accordcadre. —La RPDC et les USA concluront, si nécessaire, un accord de coopération bilatérale dans le domaine de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. 2). Les USA prendront, comme indiqué dans la lettre de garantie du 20 octobre 1994 du président américain, au nom du consortium, les mesures nécessaires pour dédommager, jusqu’à l’achèvement du premier des réacteurs à eau légère prévus, la RPDC de la perte d’énergie causée par le gel de ses réacteurs à filière graphite et des installations annexes. —L’énergie fournie sera constituée par l’huile lourde servant à produire de la chaleur ou de l’électricité. —La livraison de l’huile lourde commencera dans les trois mois qui suivront la signature du présent accord-cadre, et la quantité de livraison sera annuellement de l’ordre de 500 000 tonnes selon le plan convenu. 282 3). Sitôt après que la RPDC aura reçu des USA la garantie de la fourniture de réacteurs à eau légère et d’énergie de remplacement, elle gèlera ses réacteurs à filière graphite et les installations annexes et, finalement, les démantèlera. —La RPDC gèlera complètement ses réacteurs à filière graphite et les installations annexes dans le mois qui suivra la signature du présent accord-cadre. Au cours de ce mois et ensuite, la RPDC permettra à l’AIEA de surveiller l’état du gel et lui accordera, à cet effet, un concours suffisant. —Quand le projet de réacteurs à eau légère se sera parfaitement réalisé, la RPDC démontera complètement ses réacteurs à filière graphite et les installations annexes. —Au cours de la réalisation du projet de réacteurs à eau légère, la RPDC et les USA coopéreront à élaborer des moyens de conserver en sûreté le combustible usé du réacteur expérimental de 5 MW et de le liquider en sûreté sans le retraiter en RPDC. 4). Après la signature du présent accord-cadre, la RPDC et les USA procéderont au plus tôt à deux séries de négociations entre experts. —Une série de négociations porteront sur les problèmes concernant la livraison de l’énergie de remplacement et le remplacement de réacteurs à filière graphite par des réacteurs à eau légère. —L’autre série de négociations porteront sur les mesures concrètes à prendre pour l’emmagasinage et la liquidation finale du combustible usé. 2. Les deux parties s’orienteront vers la normalisation complète de leurs relations politiques et économiques. 1). Dans les trois mois qui suivront la signature du présent accord-cadre, les deux parties adouciront les barrières existant en matière de commerce et d’investissements et procéderont à la levée des mesures de restriction sur les communications et sur le règlement des comptes bancaires. 283 2). Chacune des deux parties établira un office de liaison dans la capitale de l’autre partie au fur et à mesure que le problème consulaire et autres problèmes techniques seront résolus dans les négociations entre experts. 3). Au fur et à mesure des progrès réalisés dans la solution des problèmes d’intérêt commun, la RPDC et les USA porteront leurs relations au rang d’ambassadeurs. 3. Les deux parties œuvreront ensemble à la dénucléarisation, à la paix et à la sécurité dans la péninsule coréenne. 1). Les USA donnent à la RPDC la garantie formelle de ne pas employer les armes nucléaires contre elle et de ne pas en user pour la menacer. 2). La RPDC prendra, faisant preuve d’esprit de suite, des mesures pour appliquer la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. 3). La RPDC engagera le dialogue Nord-Sud au fur et à mesure que le présent accord-cadre aura créé un climat favorable à un tel dialogue. 4. Les deux parties œuvreront en commun pour consolider le système international de non-prolifération des armes nucléaires. 1). La RPDC accepte de rester membre du TNP et d’appliquer l’accord de garanties qu’il comporte. 2). Suite à la conclusion du contrat de fourniture de réacteurs à eau légère, les inspections régulières et non régulières sur les installations non gelées reprendront suivant l’accord de garanties conclu entre la RPDC et l’AIEA. Avant la conclusion dudit contrat, l’AIEA continuera ses inspections sur lesdites installations pour assurer la continuité de la garantie. 3). Après la réalisation d’une bonne partie du projet de réacteurs à eau légère et avant la livraison des principaux composants des réacteurs, la RPDC négociera avec l’AIEA au sujet de la vérification de l’exactitude et de l’intégralité de son rapport initial sur ses matières nucléaires et, sur ce, appliquera 284 entièrement l’accord de garanties (INFCIRC 403), y compris la prise de toutes les mesures estimées nécessaires par l’Agence. Kang Sok Ju, premier vice-ministre des affaires étrangères de la RPDC, chef de la délégation Robert L. Gallucci, ambassadeur itinérant des USA, chef de la délégation des USA Le 21 octobre 1994, à Genève COMMUNIQUE CONJOINT RPDC-USA (Un accord sur la fourniture de réacteurs à eau légère a été publié le 3 juin 1995 à Kuala Lumpur. Il sert de base à l’accord sur la fourniture de réacteurs à eau légère conclu le 15 décembre entre la RPDC et la KEDO.) La délégation de la RPDC et celle des USA ont négocié, du 19 mai au 12 juin 1995 à Kuala Lumpur, au sujet de l’application de l’accord-cadre RPDC-USA du 21 octobre 1994. Les deux parties ont réaffirmé leur engagement politique à réaliser l’accord-cadre RPDC-USA, et, surtout, pour promouvoir, conformément audit accord, le projet de réacteurs à eau légère, ont décidé ce qui suit: I Les USA ont réaffirmé la validité de la lettre de garantie du président américain en date du 20 octobre 1994, concernant la 285 fourniture de réacteurs à eau légère et la livraison d’énergie de remplacement. L’Organisation pour le développement de l’énergie dans la péninsule coréenne (la KEDO) sous la conduite des Etats-Unis fournira les fonds et les installations nécessaires au projet de réacteurs à eau légère destinés à la RPDC aux termes de l’accordcadre conclu. Les USA seront, comme indiqué dans l’accord-cadre, le partenaire principal de la RPDC dans la fourniture de réacteurs à eau légère. Aussi, pour qu’ils soient en mesure de jouer le rôle de partenaire principal, des citoyens des USA conduiront les délégations et les groupes d’experts de la KEDO. II Le projet de réacteurs à eau légère sera constitué de deux réacteurs à eau légère sous pression d’une puissance d’un million de kW, pourvus de deux circuits de refroidissement en forme de mailles. Le type de réacteur choisi par la KEDO est un type rénové d’après les plans et la technologie américains actuellement en service dans la production. III Le Comité des affaires économiques extérieures, représentant de la RPDC, et la KEDO concluront au plus tôt un accord sur la fourniture, clés en main, de réacteurs à eau légère. A la lumière du présent communiqué, la RPDC discutera, dans le délai le plus court possible, avec la KEDO des problèmes restés en suspens dans l’accord sur la fourniture de réacteurs à eau légère. La KEDO procédera à l’étude du terrain pour déterminer le coût de la construction et de la mise en service des réacteurs à eau 286 légère. Le coût de l’étude et de la mise en ordre de l’emplacement relèvera du cadre de la fourniture de réacteurs à eau légère. La KEDO choisira les principales parties contractantes qui devront réaliser le projet de réacteurs à eau légère. Une compagnie américaine veillera, pour aider la KEDO, en tant que coordinateur du programme, à l’ensemble de la réalisation du projet de réacteurs à eau légère, et c’est la KEDO qui désignera ce coordinateur du programme. Une compagnie de la RPDC participera à l’organisation de la mise à exécution du projet de réacteurs à eau légère. IV Les deux parties sont convenues de prendre les mesures suivantes, pour appliquer l’accord-cadre, outre le projet de réacteurs à eau légère. Les experts des deux parties négocieront au plus tôt au courant du mois de juin en RPDC pour déterminer, aux termes de l’accordcadre, le calendrier de la livraison d’huile lourde et les mesures de coopération à prendre à cette fin. La KEDO prendra immédiatement les mesures nécessaires pour effectuer la première livraison d’huile lourde dès que ce calendrier et ces mesures auront été décidés. Le «procès-verbal des négociations entre les experts de la RPDC et des USA» du 20 janvier 1995 au sujet de la conservation en sûreté du combustible nucléaire usé sera mis à exécution au plus vite. Une délégation d’experts des USA visitera la RPDC à ces fins, au plus tôt, au courant du mois de juin et procédera au travail requis. Le 13 juin 1995, à Kuala Lumpur 287 NOTE DE LA REDACTION C’est en février dernier que l’auteur a écrit la préface et le Chapitre IV pour l’édition en langues étrangères de ce livre. La traduction a pris quelques mois encore. Cette période a été témoin de la pertinence de l’analyse faite par l’auteur des événements. On peut citer en exemples typiques la rencontre et les entretiens au sommet Nord-Sud, premiers du genre depuis la division de la Corée, ainsi que l’adoption d’une déclaration commune Nord-Sud. La rédaction des Editions en langues étrangères laisse au lecteur le soin d’apprécier l’évolution de la situation, tout en jugeant nécessaire de reproduire, pour l’aider dans cette tâche, le texte intégral de la Déclaration commune Nord-Sud à titre de référence. DECLARATION COMMUNE NORD-SUD Conformément à la noble volonté de tous les Coréens aspirant à la réunification pacifique de la patrie, Kim Jong Il, Président du Comité de la défense nationale de la RPD de Corée, et Kim Dae Jung, Président de la République de Corée, ont eu à Pyongyang, du 13 au 15 juin 2000, une rencontre historique et des pourparlers au niveau suprême. Estimant que cette rencontre et ces pourparlers, premiers du genre depuis la division de la nation, sont d’une importance faisant date pour promouvoir la compréhension mutuelle, développer les rapports Nord-Sud et réaliser une réunification 288 pacifique, les dirigeants suprêmes du Nord et du Sud déclarent ce qui suit: 1. Le Nord et le Sud ont décidé de résoudre en toute indépendance le problème de la réunification du pays grâce à l’union de notre nation qui en est responsable. 2. Ils ont reconnu qu’il y a des points communs entre le projet de fédération dans son étape inférieure présenté par le premier et le projet de communauté avancé par le second et décidé d’orienter dans ce sens la réunification. 3. Ils ont décidé, à l’occasion du 15 août prochain, d’échanger des groupes de visite de familles et de proches dispersés et de régler au plus tôt l’affaire des anciens prisonniers non convertis et autres problèmes humanitaires. 4. Ils sont convenus de développer de façon équilibrée l’économie nationale par la coopération économique et de promouvoir la collaboration et les échanges dans différents domaines, notamment social, culturel, sportif, sanitaire et environnemental, en vue d’approfondir la confiance mutuelle. 5. Pour appliquer dans les meilleurs délais ces points d’accord, ils ont décidé d’ouvrir au plus tôt un dialogue entre autorités. Le Président Kim Dae Jung a invité courtoisement Kim Jong Il, Président du Comité de la défense nationale, à effectuer une visite à Séoul, et celui-ci a répondu qu’il le ferait à un moment opportun. Le 15 juin 2000 Kim Jong Il Président du CDN de la RPD de Corée Kim Dae Jung Président de la République de Corée 289