coree-etats-unis le duel de la raison

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coree-etats-unis le duel de la raison
COREE-ETATS-UNIS
LE DUEL DE LA RAISON
(NUCLEAIRE, MISSILES, SATELLITE ARTIFICIEL)
Jon Chol Nam
Editions en Langues Etrangères
Pyongyang, Corée
89 du Juche (2000)
Avant-propos
La Corée du Nord (la République Populaire Démocratique de
Corée) est considérée comme le «pays des énigmes».
L’incident de Rangoon, en octobre 1983, la disparition, en
octobre 1987, d’un avion sud-coréen, le «développement
d’armes nucléaires» dont le problème s’est aiguisé depuis 1992, le
lancement d’un «missile» et la construction d’«installations
nucléaires souterraines» en 1998, enfin la «question des casinos»,
le «kidnapping d’une Japonaise» et ainsi de suite, tous ces méfaits
ont été attribués sans aucune preuve patente et avec parti pris à la
Corée du Nord.
Or, plus d’une fois, les soupçons sont le résultat de montages
sans fondements. Ceux qui parlent de tel ou tel soupçon pesant sur
la Corée du Nord, ce sont les Etats-Unis, la Corée du Sud et le
Japon, ceux-là mêmes qui lui sont opposés.
Le plus souvent, ils tirent profit de la confusion créée. Maîtres
des «sources de renseignements», ils échangent entre eux des
«informations» préjudiciables à la Corée du Nord, les exagèrent,
leur donnent une apparence crédible, puis les publient. Et ils
n’hésitent pas pour cela à entraîner avec eux l’ONU et autres
institutions internationales.
Et on n’entend presque jamais en Occident la voix de la Corée
du Nord. Pour plus d’équité, il faudrait admettre préalablement la
différence qu’il y a entre l’efficacité de la diffusion de ces
renseignements inventés ou reçus et le peu d’influence qu’a la
Corée du Nord.
N’est-ce pas à cause de cela que la Corée du Nord n’apparaît
pas sous son vrai aspect et que son image de pays «paria» reste
inchangée?
1
Le présent livre se propose d’aborder les différentes approches
de ce problème et de faire ressortir les trails essentiels de la
situation prévalant dans la péninsule coréenne.
Le Chapitre I essaie d’analyser à fond le «scandale du missile»
pour prouver le changement fondamental qu’imprime au rapport
des forces politiques et militaires dans la péninsule coréenne le
lancement d’un satellite artificiel par la Corée du Nord.
Le Chapitre II analyse les négociations RPDC-USA
consécutives au «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord,
arrange les écrits publiés dans des journaux et revues, les
retouchant parfois. J’assure, non sans fierté, avoir prévu presque
exactement l’évolution des événements, alors que des experts en
renom en problème de la péninsule coréenne et des observateurs de
la question coréenne faisaient circuler un flot de conjectures
gratuites, telles que «Nous voilà au jour J de 1’"éclatement d’une
deuxième guerre de Corée"», «Dislocation de la Corée du Nord»,
etc. J’estime nécessaire de revenir une fois encore sur le
problème nucléaire nord-coréen et l’accord nucléaire RPDCUSA et d’apporter des précisions, afin de faire comprendre la
situation dans la péninsule et ses perspectives d’avenir.
Les fonctions des personnes, les noms des services, etc.
mentionnés correspondent aux époques concernées.
Le Chapitre III traite des possibilités de réunification du Nord
et du Sud de la Corée et des voies censées conduire à cette
réunification.
Pour anticiper la conclusion à laquelle entend aboutir le
présent livre, je dirais, premièrement, que l’éclatement ou le softlanding (atterrissage en douceur) de la Corée du Nord sont exclus,
deuxièmement, que celle-ci établira très probablement d’ici
quelques années des relations diplomatiques avec les Etats-Unis,
et ce tout en maintenant son régime socialiste, troisièmement,
qu’une détente militaire permettra à son économie de prendre une
bonne tournure, quatrièmement, que les deux parties de la Corée
s’orienteront vers une réunification par fédération et enfin,
2
cinquièmement, que l’amélioration des relations entre la Corée du
Nord et le Japon restera la dernière question à régler.
Après la fin de la guerre froide, la situation dans la péninsule
coréenne a foncièrement changé. Je pense que le processus de
dissolution de la structure de la guerre froide restant en place dans
cette partie du monde est une nécessité historique qui, sans aucun
doute, s’accomplira. Seulement, les rapports RPDC-USA ont
encore divers obstacles à surmonter. Une tension extrême est à
prévoir dans le premier semestre de 1999, en raison du problème
des missiles, du «soupçon d’installations nucléaires souterraines»,
de la négligence américaine dans l’application des accords RPDCUSA, etc. Crise qui pourrait finalement se convertir en un
catalyseur de l’instauration de la paix.
Pour résumer la situation dans la péninsule après la guerre
froide, on peut parler d’une guerre sans coups de feu, d’une guerre
diplomatique, d’une guerre psychologique. Qui gagnera?
Jon Chol Nam
Le 25 janvier 1999
3
Avant-propos de l’édition en langues étrangères
Je suis heureux de voir les Editions en langues étrangères de
Pyongyang, en RPDC, assumer la tâche de publier la traduction en
plusieurs langues de mon modeste livre intitulé Corée—Etats-Unis,
le duel de la raison—nucléaire, missiles et satellite artificiel paru en
mars 1999 à la maison d’édition Shakai Hyoronsha du Japon.
Le livre décrit le «soupçon nucléaire pesant sur la Corée du
Nord», les différentes démarches tendant à améliorer les relations
RPDC-USA inaugurées par ce soupçon, ainsi que l’impact décisif
qu’a eu, sur les rapports entre la RPDC et les Etats-Unis et la
situation dans la péninsule coréenne, le lancement réussi, en 1998, en
RPDC, du satellite artificiel «Kwangmyongsong 1». L’évolution de
la situation après la parution du livre a démontré que je ne me suis pas
trompé dans mes prévisions.
Dans la présente édition, comme me l’ont demandé les Editions
en langues étrangères, j’ai décidé de traiter, dans un nouveau chapitre
IV, les nouveaux événements importants intervenus pendant l’année
qui s’est écoulée depuis, du point de vue de la stratégie économique,
diplomatique et unificatrice du Secrétaire général Kim Jong Il.
Maintenant que j’ai fini d’écrire le nouveau chapitre, je peux
conclure que la «guerre sans coups de feu RPDC-USA» s’est
terminée par la victoire de la Corée du Nord avec le lancement réussi
du «Kwangmyongsong 1». Le vaincu, les Etats-Unis, n’a qu’une
seule issue: mettre la dernière main sur le dossier de l’amélioration
des relations RPDC-USA et éliminer définitivement la structure de la
guerre froide dans la péninsule coréenne.
En d’autres termes, les Etats-Unis doivent renoncer à la
politique d’hostilité envers la Corée du Nord et à la domination sur la
Corée du Sud, conclure un accord de paix, établir des relations
diplomatiques avec la Corée du Nord et retirer par étapes leurs
4
troupes de Corée du Sud selon un calendrier fixé d’avance. Quand les
tâches seront réalisées, la péninsule coréenne pourra bénéficier de la
sécurité. Et cela ne se fera pas attendre.
La nation coréenne recouvrera alors, par ses propres moyens, sa
souveraineté et parviendra, selon les Trois principes—indépendance,
paix et grande union nationale—, à la réunification du Nord et du
Sud, son aspiration vieille de plus d’un demi-siècle et condition
préalable à la paix et à la stabilité en Asie du Nord-Est. Cette
réunification se fera par voie de fédération vers le début du XXIe
siècle. La Corée réunifiée deviendra un Etat neutre conformément au
«Projet de création d’une République fédérale démocratique du
Koryo» et au «Programme en dix points pour la grande union de
toute la nation en faveur de la réunification de la patrie» proposés par
le Président Kim Il Sung, et la péninsule coréenne deviendra une zone
de paix et dénucléarisée.
C’est l’évolution légitime de l’histoire de la péninsule coréenne.
Si le présent livre pouvait aider tant soit peu à la compréhension de
la nécessité et de la réalité de cette évolution, je m’en féliciterais
incomparablement. Je prierais de tout cœur les amis de tous les pays
de lutter ensemble pour créer un siècle nouveau de paix et transformer
la péninsule coréenne en zone de coexistence et de coprospérité.
Jon Chol Nam
Le 2 février 2000
5
TABLE DES MATIERES
Avant-propos ....................................................................... 1
Avant-propos de l’édition en langues étrangères .............. 4
Chapitre I. LE «SCANDALE DU MISSILE» ET LES
PERSPECTIVES D’AVENIR DE LA «GUERRE
PSYCHOLOGIQUE»
RPDC-USA .................................................................... 13
1. Missile balistique ou satellite artificiel?........................ 13
L’objet volant, satellite artificiel ............................................... 13
Réussite ou échec? ................................................................... 15
Le chagrin et l’embarras perçant dans le rapport final
de l’Agence de la défense.........................................................18
Les raisons du lancement d’un satellite artificiel........................21
2. Les effets de la «carte de la rancune»
du Japon........................................................................ 24
Contresens et rancune ...............................................................24
«Le monde entier se trompe, sauf le Japon » ...............................25
L’absence d’un préavis est-elle intolérable? ..............................28
Les raisons du retard dans l’annonce du lancement.................... 31
L’abandon ou la perte de sa carte diplomatique à l’égard
de la Corée du Nord ...............................................................33
6
3. La puissance de la carte du satellite
artificiel............................................................................ 36
Le satellite artificiel, est-ce une menace militaire?........................36
Le vrai impact du lancement d’essai de missiles de 1993 ............ 39
La Corée du Nord, est-elle une menace militaire? ....................... 41
La diplomatie de la parole contre la politique de force..................44
Apparition d’un puissant atout diplomatique .............................. 48
4. Produit de la surréaction du Japon ................................. 51
Effet négatif du «scandale du missile» ......................................51
La TMD contraire aux intérêts du Japon ....................................54
Des satellites de reconnaissance bons à rien ..............................57
Les forces d’autodéfense japonaises incapables
d’attaquer les bases de missiles ................................................. 60
Le danger de la loi relative au nouveau guide
de collaboration nippo-américaine pour la défense ............... 63
5. Le jour J arrivera-t-il ? ...................................................... 65
Les raisons militaires empêchant l’éclatement de la guerre ............ 65
Les obstacles politiques à l’éclatement de la guerre......................75
La Corée du Nord amène les Etats-Unis à modifier
leur stratégie asiatique.................................................................. 77
Mesures dures et toile d’araignée..................................................82
6. L’échec de la tactique dilatoire et le nouveau
soupçon nucléaire ............................................................ 85
La politique de soft-landing vouée à l’échec..............................85
Ni les «rayons de soleil» ni le «vent du nord» n’ont d’effet ...... 87
La tactique dilatoire en difficulté...............................................89
7
Nouveau «soupçon nucléaire» ...................................................92
7. Guerre sans vainqueur ni vaincu..................................... 98
La voie de la coexistence et de la coprospérité............................ 98
Le Japon voué à l’échec........................................................... 100
La Corée du Nord après l’établissement
de relations diplomatiques avec les Etats-Unis ......................... 105
Chapitre II. LA CONCILIATION RPDC-USA AMORCEE
PAR LE «SOUPÇON NUCLEAIRE» (Regard
rétrospectif)........................................................ 109
«Evolution du problème nucléaire dans
la péninsule coréenne»............................................................ 109
1. L’objectif recherché par la publication de la
déclaration du retrait du TNP et son arrièrefond (De mars à avril 1993) ......................................... 113
Dernière tactique visant à sauvegarder sa
souveraineté ................................................................113
Arbitraire et inéquitable est le TNP ............................... 115
Riposte à la carte nucléaire des Etats-Unis..................... 118
Menaces de guerre nucléaire et d’«inspection
coercitive» ....................................................................... 121
Coup retentissant assené au TNP, symbole
de l’exclusivisme et de l’arbitraire.......................... 124
Les Etats-Unis dans une impasse............................ 126
8
2. Premiers pourparlers RPDC-USA
(De juin à juillet 1993) ........................................................ 129
Point de jonction entre la «force» et la «riposte».................. 129
Pour éviter un second Panama, un second Irak ............................... 133
Recherche d’un moyen de contrôle de la dénucléarisation ........ 136
Vision positive et vision négative ............................................... 138
3. Deuxièmes pourparlers RPDC-USA
(De juillet à août 1993) ...................................................... 141
Un tournant dans l’effort pour mettre fin aux relations
d’hostilité ..................................................................................141
La livraison de réacteurs à eau légère contribuera
à la non-prolifération des armes nucléaires .................. 144
L’inspection régulière constitue le meilleur
moyen de dissiper le «soupçon».........................................148
4.L’amélioration des relations est l’impératif
des temps, passé et présent (Février 1994).....................151
La «politique de force» sans issue ........................................... 151
Les Etats-Unis doivent régler leur passé ................................... 154
Comment vaincre la peur ? ........................................................ 157
5. Vers la confiance mutuelle—accord-cadre
RPDC-USA (D’octobre à novembre 1994) ...................159
«Problème nucléaire» et problème nucléaire ......................... 159
Le «présent» et le «futur» priment le «passé» .............................. 162
Un accord profitable aux deux parties ................................... 165
9
La guerre ou le dialogue? .......................................................168
Vers la dénucléarisation de la péninsule coréenne,
sa transformation en zone de paix .......................................... 170
L’application de l’accord et la promotion de la
confiance mutuelle ..................................................................173
6. Vive controverse au sujet des réacteurs à eau
légère de «type sud-coréen» et aboutissement à
un accord (D’avril à juillet 1995).................................. 175
Que signifie le «cheval de Troie»?.........................................175
Réacteur défectueux laissant à désirer quant à sa sûreté ............... 180
Qui conduira le projet? ...........................................................182
Deux messages présidentiels .................................................. 184
Vers l’établissement de relations diplomatiques ...........................187
Chapitre III. LA POSSIBILITE DE REUNIFIER LA COREE
PAR LA FEDERATION DU NORD ET DU SUD ... 190
1. Solution miraculeuse d’Irlande du Nord .................... 190
2. Premier essai de transcender les différences de
régime en accordant la primauté à la «nation»........ 194
3. Les changements dus à la fin de la guerre froide ......197
La structure de paix et de sécurité ..........................................197
La Corée du Nord mène la barque..........................................201
4. Issue aux situations économiques actuelles
du Nord et du Sud .........................................................204
La réalité économique en Corée du Nord ..............................204
10
L’économie sud-coréenne......................................................... 206
La coopération économique nécessaire entre le Nord et le Sud .. 207
Ambiance politique favorable à la reprise du dialogue
Nord-Sud ................................................................................. 209
Démarches effectives pour des échanges entre le Nord et
le Sud ..................................................................................... 212
5. La réunification par fédération assurera
la coexistence et la coprospérité ................................... 217
Chapitre IV. LA STRATEGIE ECONOMIQUE,
DIPLOMATIQUE ET UNIFICATRICE DU
PAYS DE LA RPDC................................................ 229
1. La «révolution dans la culture de la pomme
de terre» et les rapports RPDC-USA ....................... 229
Une entreprise aussi bénéfique que la livraison de
réacteurs à eau légère.............................................................. 229
La solution simultanée des problèmes énergétique
et alimentaire....................................................................... 232
Secours contre la disette et production
alimentaire suffisante ........................................................... 235
La perspective d’un revirement et la confiance en soi ............... 238
2. Le dollar vacillant et la stratégie économique de
la Corée du Nord ........................................................... 242
Rapprochement de l’Union européenne ................................... 242
Illusions communes sur le dollar.............................................. 245
Symptômes de la fin d’un dollar omnipotent............................ 247
11
La libération du joug du dollar et l’économie indépendante .....251
L’idée de l’établissement d’un nouvel ordre
économique international .........................................................253
3. La Corée du Nord face au facteur principal de
la perpétuation de la division du pays......................... 256
Pour mettre fin à la politique hostile des Etats-Unis
et éliminer leur domination ................................................... 256
La Corée du Nord, sortie victorieuse du combat
diplomatique ............................................................................. 258
Le retrait des troupes américaines et la situation
de la Corée du Sud......................................................................261
«Un pays et deux régimes», programme réaliste................... 264
La Corée du Nord aplanit les obstacles auxiliaires
à la réunification ............................................................................. 268
DOCUMENTS DE REFERENCE ................................................. 272
NOTE DE LA REDACTION ........................................................ 288
12
CHAPITRE I
LE «SCANDALE DU MISSILE» ET LES
PERSPECTIVES D’AVENIR DE LA
«GUERRE PSYCHOLOGIQUE»
RPDC-USA
1. MISSILE BALISTIQUE OU SATELLITE ARTIFICIEL?
L’objet volant, satellite artificiel
Qu’est-ce que la Corée du Nord a lancé le 31 août 1998? C’est
un missile balistique, selon les informations fournies aux autorités
japonaises par l’armée américaine stationnée au Japon. «Missile
balistique» qui, après confirmation de la chute de cet objet volant
dans le Pacifique par-dessus l’archipel du Japon, a provoqué un
scandale dans ce pays: «Attaque de missiles nord-coréens?—
Menace militaire? C’est absolument impardonnable», s’écriait-on.
Or, le 4 septembre, l’Agence télégraphique centrale de Corée
annonçait le lancement réussi d’un satellite artificiel. Peu à peu, la
confirmation du lancement d’un satellite artificiel a pris le pas sur la
suspicion initiale. Voici les informations qui ont conduit à cette
mutation des opinions:
• Le 4 septembre, le responsable du Centre de poursuite des
satellites de Russie a déclaré:
«Nous avons vérifié le placement en orbite du premier
satellite artificiel nord-coréen. Il décrit une orbite elliptique dont
le périgée est de 218, 82 km, l’apogée, de 6 978, 2 km et la
13
période de révolution, de 165 minutes 6 secondes. » Milov, chef
adjoint de l’Association cosmique de Russie, a remarqué: «La
fusée est d’une haute et étonnante technologie (L’agence ITARTASS). »
• Le 4 septembre, l’agence Xinhua annonçait: "Un satellite
a été lancé avec succès et placé en orbite (Radio Beijing).»
• Le 4 septembre, des hauts fonctionnaires du
gouvernement américain ont affirmé qu’il était possible que la
Corée du Nord ait placé un objet en orbite autour de la Terre.
• Le 10 septembre, dans une conférence de presse, Hong
Sun Yong, ministre sud-coréen des Affaires étrangères et du
Commerce, en visite aux Etats-Unis, a déclaré: «Ils ont en effet
essayé de lancer un satellite artificiel au moyen d’une fusée
balistique d’un modèle récent. Selon toute apparence, ils y ont
échoué. »
• Le 11 septembre, Craig Thomas, président de la souscommission des affaires d’Asie de l’Est—Pacifique de la
commission des relations extérieures du Sénat américain, a
expliqué lors d’une audience publique: «Selon l’appréciation de
la NASA (National Aeronautics and Space Administration), la
Corée du Nord a lancé un satellite et l’a placé en orbite, mais il
ne remplit pas ses fonctions.» Un haut fonctionnaire du
gouvernement américain a déclaré: «Des renseignements attestent
la différence que marque ce lancement, dès le début, par rapport
à un essai de missile balistique, ce qui correspond aux
affirmations nord-coréennes.» La CIA a rendu le même
jugement sur la nature de la trajectoire (Washington Times).
• Le 14 septembre, le gouvernement américain a déclaré
officiellement: «Le satellite artificiel dont la fusée était munie n’a
pas réussi à être placé en orbite.»
• Le 15 septembre, une consultation non officielle du Conseil
de sécurité de l’ONU a publié une déclaration réclamant de la
«retenue» à la Corée du Nord, mais reconnaissant pourtant que
14
«tout pays se réserve le droit légitime de promouvoir un
programme spatial à des fins pacifiques».
• Le 17 septembre, les autorités sud-coréennes ont
convoqué une réunion de sécurité où elles ont donné leur
conclusion définitive: «Ils ont essayé de placer en orbite un
satellite artificiel de petite dimension au moyen d’une fusée à
trois étages, mais ils y ont échoué.»
Ces données prouvent qu’il a été reconnu sur le plan
international que la Corée du Nord avail lancé, non pas un
missile balistique, mais un satellite artificiel.
Réussite ou échec?
La Corée du Nord a-t-elle réussi ou non à lancer un satellite
artificiel? La question n’a certes plus d’importance, le fait ayant
été reconnu, sur le plan international, qu’il s’agissait bien d’un
satellite artificiel. Pourtant, il n’est pas inutile de le vérifier.
Le 4 septembre 1998, l’Agence télégraphique centrale de
Corée, établissement d’Etat, affirmant que «le lancement a été
une réussite», a annoncé en substance:
(1) Le 31 août, une fusée porteuse a été lancée à 12 h 07 mn
à 86° depuis le site de lancement situé dans la commune de Musudan, arrondissement de Hwadae, province du Hamgyong du
Nord, et a placé, à 12 h 11 mn 53s, un satellite en orbite;
(2) La fusée porteuse est formée de trois étages. Le
premier étage a été largué 95s après lancement de la fusée et
est tombé dans les eaux internationales de la mer de l’Est de
Corée, à 40° 51' de latitude nord et à 132° 40' de longitude est.
144s après, le deuxième étage a ouvert le corps caréné de sa
partie supérieure, puis, 266s après, s’est détaché du reste et est
tombé en haute mer du Pacifique à 40° 13' de latitude nord et à
149° 07' de longitude est. 27s après la séparation du deuxième
étage, le troisième étage a placé le satellite en orbite;
15
(3) Le satellite gravite sur une orbite elliptique, à 218, 82 km
de périgée et à 6 978, 2 km d’apogée. Sa période de révolution est
de 165mn 6s;
(4) Le satellite émet vers la Terre, par signaux en morse, sur
une fréquence de 27 MHz, les mélodies du Chant du Général
Kim Il Sung et du Chant du Général Kim Jong Il et l’appellation de
«Corée du Juche».
Selon des sources nord-coréennes, le satellite, appelé «Kwangmyongsong 1», a effectué, le 13 septembre, sa 100e rotation autour de
la Terre et, les 3 et 4 octobre, a pu être observé à l’œil nu, à l’aube,
au-dessus de la Corée. Si c’est vrai, cette réussite, qu’a obtenue la
Corée du Nord par ses propres moyens, se classe 9e après celles
d’ex-Union soviétique, des Etats-Unis, de la France, du Japon, de la
Chine, de la Grande-Bretagne, de l’Inde et d’Israël.
Or, il ne manque pas de pays et d’experts qui doutent du fait. Ils
avancent en substance les trois arguments suivants:
1. La fréquence de l’émission annoncée par la Corée du Nord
n’a pas été confirmée;
2. La première vitesse cosmique, celle qu’il faut pour placer le
satellite en orbite, n’a pas été atteinte;
3. Le satellite lui-même n’a pas été détecté.
Pour reprendre le premier point, il n’est pas étrange que les
ondes émises par le «Kwangmyongsong 1» sont difficiles à détecter.
Jadis, même les radio-amateurs pouvaient capter les ondes émises par
des satellites, car elles étaient en morse. Mais, dans les pays
développés, on n’emploie plus de signaux en morse, on n’y trouve
donc plus de récepteurs ad hoc. «Pis encore, leur fréquence
correspondant à celle employée au Japon par les cibistes, leur
détection est difficile pour tout autre appareil, vu les parasites et la
faiblesse des signaux» (Nogi Keiitsi, commentateur militaire), et «Il
est difficile de les saisir à cause de la faiblesse de la fréquence de 27
MHz» (Fukumuro Yashuyuki, chef du service de l’information de la
NASDA—National Space Development Agency of Japan).
16
Pour parler du deuxième point, si le département américain de la
Défense a allégué, pour démontrer un échec, que la fusée n’avait
atteint qu’environ 7 km à la seconde, vitesse inférieure à la première
vitesse cosmique (7,9 km/s), il avait omis le troisième étage (ce qui
lui a fait sans doute croire à un missile) et n’avait pu remarquer, à
cause de sa haute vitesse, que la courbe décrite. Le manque de
précision de ses observations est cause de la déduction de ce chiffre
inexact. Sa déclaration n’est qu’un argument ad hominem et prouve
que la fusée a atteint la première vitesse cosmique.
Enfin, le troisième point. Il est difficile de prouver le placement
en orbite du satellite, les Etats-Unis et la Russie étant les seuls pays
à disposer d’un réseau de détection des satellites. Pourquoi? Autour
de la Terre tournent actuellement—fin 1998—2 528 satellites et 6 204
éclats de fusées et divers. Les vérifier imposerait un travail énorme. La
Russie, prévenue par la Corée du Nord, n’a pas dû éprouver cette
nécessité, et les Etats-Unis, eux, croit-on, n’ont pu y parvenir malgré
leur tentative. N’ont-ils pas fait état au Japon du lancement d’un
missile balistique? Il leur fallait parler d’un «échec», même après
avoir vérifié le lancement du «Kwangmyongsong 1 », pour sauver la
face.
Il y a plus. On avance l’hypothèse que la Corée du Nord a
prévenu les Etats-Unis du «lancement d’un satellite artificiel». Dans
ce cas, ils auraient sous-estimé la Corée du Nord: comment ce pays
en butte à une crise alimentaire et économique en serait-il capable? Ils
ont ainsi conclu, avec parti pris, tout en scrutant l’objet volant.
«"Baliverne", a réagi froidement (à l’annonce du lancement d’un
satellite artificiel) le département américain de la Défense.
"Comment y croire?" a-t-il calmement nié les faits au début. Or, le
responsable qui avait —le matin— promis de "publier une
déclaration sans tarder" a dit, d’un air gêné, — le soir— qu’"il est
impossible de confirmer ou de nier." Certains scientifiques ont
commencé à signaler l’étrangeté de ce premier essai de missile
("La vérification et l’impact du missile", Asahi Shimbun, le 22
17
septembre 1998). » L’embarras décrit témoigne du choix fait par
les Etats-Unis.
Le 6 octobre 1998, à la commission des relations
extérieures du Sénat, Donald Rumsfeld, président de la
commission américaine d’évaluation des menaces de missiles
balistiques et ancien secrétaire à la Défense, a reconnu le mépris
et la sous-estimation dont étaient l’objet la capacité et la
technique de la Corée du Nord en déclarant: «Au début, compte
tenu de la complexité de la technique du lancement d’une fusée à
trois étages, les Etats-Unis ont estimé difficile pour la Corée du
Nord de la posséder. Ils ignoraient que le troisième étage de la
fusée nord-coréenne employait un combustible solide,
nécessitant une haute technique, et, de plus, était muni d’un
satellite artificiel.»
Est-ce que le lancement a réussi? En Occident, il est
probable que des raisons politiques aient empêché de
l’affirmer. Quoi qu’il en soit, le fait émerge au grand jour: ce
que la Corée du Nord a lancé, c’était bien un satellite artificiel.
Le chagrin et l’embarras perçant dans le
rapport final de l’Agence de la défense
Le gouvernement japonais persistait seul à considérer
comme un missile balistique ce qui a été lancé quand il a conclu,
dans son rapport final du 30 octobre, à un «missile». Or, un
examen attentif de ce rapport prouve qu’il s’agit, non pas d’un
missile, mais d’un satellite artificiel.
«Juste avant que le corps ne perde son impulsion, une petite
partie s’en est détachée pour voler pendant un bref instant
sans parvenir à prendre la vitesse nécessaire pour se placer en
orbite. On peut estimer que l’objet volant était parti du missile
1.» Sans ombre de doute, cela veut dire que c’était un satellite
qu’on avait voulu placer en orbite.
18
Les expressions du genre: «... Bien qu’on ne puisse nier
absolument, sur le plan théorique, que le vol du genre pratiqué
dans le cas de ce lancement puisse placer un corps en orbite»,
«Bien que, dans l’ensemble, ne soit pas totalement exclue la
possibilité théorique de placer en orbite un corps minuscule»,
etc. ne nient pas que l’objet volant en question était un satellite
artificiel.
Certes, le rapport final énumère des arguments pour conduire
à un missile balistique comme suit: l’insuffisance de la vitesse
de l’objet volant, la non-confirmation des signaux, censés être
émis, la trop petite dimension du troisième étage pour porter un
satellite, l’absence de traces du placement du corps en orbite
autour de la Terre, l’insuffisance du niveau scientifique et
technique de la Corée du Nord, etc.
«Un cadre de l’Agence de la défense qui avait précisé avec
assurance ses vues préétablies a déclaré que les renseignements
recueillis par les satellites militaires et l’appareil d’observation
d’engins balistiques de l’armée américaine et ceux collectés
indépendamment par l’Agence de la défense et les forces
d’autodéfense du Japon "se correspondaient" (Sankei Shimbun,
le 30 octobre 1998).» Or, le Japon est dépourvu d’un système
permettant d’observer et de poursuivre en toute indépendance
des missiles balistiques ou des satellites. L’«assurance» de
l’Agence de la défense ne peut donc être interprétée que comme
de commande.
Les arguments énumérés dans le rapport final concernent
l’échec du lancement d’un satellite et ne conduisent pas à
l’identification d’un quelconque missile balistique.
Dans ce rapport, on reconnaît que l’objet volant avait une
altitude plus basse qu’un missile balistique et poursuivait un vol
horizontal comme une fusée porteuse d’un satellite artificiel.
Un missile à longue portée est lancé à la verticale pour voler loin
et, après avoir traversé l’atmosphère, maintient un angle de 45°.
Une fusée porteuse d’un satellite maintient une trajectoire
19
parallèle à la surface de la Terre, tandis qu’un missile balistique
se tient à un angle de 40 à 45° par rapport à la surface de la
Terre au moment de rentrer dans l’atmosphère et retombe sur
terre sous cet angle. C’est-à-dire qu’il a une trajectoire
rappelant une montagne très haute et pointue. Un vol horizontal
à basse altitude ne peut «attester techniquement le vol à longue
distance d’un missile balistique» (le rapport final). Selon les
vues pleines d’assurance de l’Agence de la défense, la Corée
du Nord doit avoir procédé à l’essai de lancement d’un missile
balistique dont la vérification technique est impossible,
autrement dit à un lancement dépourvu de sens.
Il semble que l’Agence de la défense a projeté, au début, de
publier un rapport final admettant la «thèse du satellite
artificiel». «Le 21, l’Agence de la défense a recueilli des avis en
faveur de l’admission de l’échec éventuel d’un essai de
lancement d’un satellite artificiel. Cela figurera dans le rapport
final qui sera publié dans le courant de ce mois» (Tokyo
Shimbun, le 22 octobre 1998). Information que donnaient
également d’autres journaux. Pourtant, au cours de la dizaine de
jours qui ont précédé la publication du rapport final, la
conclusion prévue a changé. Comment admettre le lancement
d’un satellite après avoir affirmé l’essai d’un missile balistique
et avoir appliqué des sanctions immédiates à la Corée du Nord?
Rien de plus ignoble. C’est, selon toute éventualité, ce jugement
politique qui a conduit à conclure au «lancement d’essai d’un
missile».
Le Mainichi Shimbun, le 31 octobre, a, sous le titre de «La
couleur politique», annoncé: «Un cadre de l’Agence de la
défense a fait remarquer l’identité de vues entre l’Agence de la
défense et les Etats-Unis en ce qui concerne la constatation des
faits et leur analyse et a émis l’idée de "définition" (du
satellite)... Affirmer ou nier un "satellite", c’est se prononcer
sur l’intention pacifiste ou non de l’acte de Corée du Nord,
c’est, par conséquent, montrer quelle est l’altitude diplomatique
20
prise vis-à-vis de ce pays.» Autrement dit, l’Agence de la
défense a défini un satellite comme «ayant la fonction de
communication, d’observation de la Terre ou une quelconque
fonction importante permettant la vérification et la poursuite
d’un corps». Ayant arrêté, sans avoir identifié le corps, le
jugement politique que la Corée du Nord avait eu une intention
non pacifique en procédant au lancement, on était finalement
amené à ne pas lever le voile sur cette affaire.
En d’autres termes, on peut dire que le rapport final, la
conclusion finale du Japon se ramène à la «reconnaissance, pour
la première fois, du fait qu’un corps propulsé a volé, quoique
pendant un bref instant à la dernière étape» (Asahi Shimbun, le
30 octobre 1998). Il est indéniable que l’attitude équivoque du
Japon, aboutissement de la volonté de sauver la face, —lui qui
avait affirmé le lancement d’un missile balistique—, tout en
respectant les prises de position des Etats-Unis et de la Corée du
Sud, se résume en une conclusion bourrée de contradictions.
Les raisons du lancement d’un satellite artificiel
Pourquoi la Corée du Nord a-t-elle lancé un satellite
artificiel, qui exige d’énormes fonds et une haute technique, en
dépit de sa grave crise alimentaire et économique?
«Rien ne se fait sans but. Même un acte dépourvu de sens à
première vue cache un sens. Si l’on oublie que cela caractérise
les communistes, on ne saurait prévoir leur conduite (Fujie
Hisashi, commentateur militaire).» C’est cet esprit qui fait
gravement défaut en Occident quand il s’agit d’apprécier la
Corée du Nord.
Dans son numéro du 17 septembre 1998, le Rodong Sinmun,
organe du Parti du Travail de Corée, a publié le rapport de
la conference de presse des hommes de science ayant collaboré
21
à la construction du satellite artificiel. Faisons appel à cette
conférence pour examiner l’enjeu du lancement.
«Le "Kwangmyongsong 1" et la fusée porteuse à plusieurs
étages récemment lancés ont été construits il y a six ans déjà. On
aurait pu les lancer dès lors, mais on a atermoyé compte tenu de
l’impact que cela exercerait sur la situation mondiale
complexe. Le lancement a été retardé d’autant que les trois
années qui allaient suivre la disparition du Président
Kim Il Sung étaient une période de deuil national."
En 1992, le Président Kim Il Sung était en vie, la Corée du
Nord n’était pas encore touchée par la crise alimentaire causée
par des calamités naturelles et était économiquement à l’aise. La
fusée à plusieurs étages, dit-on, était au point dans les années
80 déjà. Rien d’étrange à ce que la Corée du Nord ait commencé
dans les années 90 à construire un satellite artificiel.
D’ailleurs, en 1992, se situe le début du «soupçon de
développement d’armes nucléaires», la Corée du Nord était
gravement confrontée militairement aux Etats-Unis, et un danger
de guerre imminent régnait dans la péninsule coréenne.
Tout risquait de faire prendre par les Etats-Unis un
lancement de satellite pour un lancement de missile balistique,
comme ce fut le cas récemment, ce qui pouvait être à l’origine
de l’aggravation de la tension militaire. L’expression «compte
tenu de l’impact que cela exercerait sur la situation mondiale
complexe» en dit long sur la volonté d’éviter un tel malentendu.
D’autre part, il faut remarquer qu’un lancement de satellite
pouvait être un événement national heureux, à même de
rehausser le prestige du pays. Y procéder pendant que le pays
était en deuil du Président Kim Il Sung dépassait l’imagination,
vu la nature du système d’Etat de la Corée du Nord.
«C’est à l’occasion de la première session de la 10e
législature de l’Assemblée populaire suprême et du jubilé de la
République Populaire Démocratique de Corée qu’on a lancé
récemment un premier et significatif satellite artificiel.»
22
Le deuil avait pris fin. Kim Jong Il, successeur du Président
Kim Il Sung, avait été élu en 1997 Secrétaire général du Parti du
Travail de Corée et réélu, le 5 septembre 1998, Président du
Comité de la défense nationale. De plus, en 1998, la RPDC fêtait
le cinquantenaire de sa fondation et prenait un nouveau départ
à l’issue de sa «Dure marche», choses dignes d’être célébrées.
Et c’était l’occasion ou jamais.
Autre chose à ne pas oublier, l’accord-cadre RPDC-USA
de 1994 fait que les deux pays s’acheminent vers la
réconciliation et la confiance. Actuellement, la péninsule
coréenne est pourvue de divers systèmes de sécurité au point
qu’elle est au moins à l’abri d’un danger de guerre imminent.
Voilà, selon toute apparence, l’appréciation de la situation
et l’enjeu qui étayaient le lancement d’un satellite. Il n’est pas
difficile de s’imaginer que son effet politique était pour la
Corée du Nord plus grand qu’on ne le pensait en Occident. Ce
n’était certainement pas du gâchis ni une simple démonstration
de force.
Les satellites artificiels peuvent avoir une grande utilité
économique pour la Corée du Nord. Ils se divisent en satellites
scientifiques, satellites utilitaires, satellites militaires et autres.
La Corée du Nord, elle, compte sur des satellites de
télécommunication, vu sa topographie montagneuse, sur des
satellites météorologiques pouvant servir à l’agriculture, sur des
satellites de prospection capables de détecter et de permettre
d’exploiter efficacement les abondantes richesses de son soussol. Et des satellites commerciaux pourraient lui servir à
acquérir des devises fortes.
La Corée du Nord semble projeter pour de bon de
multiplier des essais de lancement de satellites à des fins
utilitaires. Compte tenu des échecs répétés qu’ont dû subir les
pays avancés avant de réussir, la Corée du Nord qui a réussi à
son premier lancement n’est nullement en retard quant à sa
technique. «Symbole de la résurrection, celui de la
23
transformation du malheur en bénédiction après la crise en
Corée du Nord», ainsi peut-on qualifier le lancement de ce
satellite artificiel.
2. LES EFFETS DE LA «CARTE DE LA
RANCUNE» DU JAPON
Contresens et rancune
Le «lancement du missile» a produit sur le Japon un choc
incommensurable. Certains le qualifient par ironie de «bateau
noir de Perry», et il est probable que ce pays qui chantait la
«paix» depuis plus d’un demi-siècle que la guerre avait pris fin
ait éprouvé, à la nouvelle du survol de son territoire par un objet
volant lancé par le pays ennemi, une menace comparable à celle
ressentie par les contemporains d’Edo pour le «bateau noir».
Une menace d’origine vague conduit à la terreur, puis au
boycottage. S’il est souhaitable qu’une hostilité aux barbares
telle que celle de la fin du shogunat qui se résume par
l’expression «vénérer l’empereur et expulser les barbares» ne
renaisse pas après plus d’un siècle, on se demande si le
«missile» était un «bateau noir».
Comme on le verra dans les lignes suivantes, le Japon a
pratiqué pendant longtemps une politique d’hostilité à l’égard
de la Corée du Nord en considérant la Corée du Sud comme
l’unique gouvernement légitime dans la péninsule coréenne et en
accordant une importance essentielle aux relations d’alliance
avec elle et les Etats-Unis, ces deux derniers étant en opposition
militaire avec la Corée du Nord. L’aide alimentaire ou autre
«politique d’amitié» auxquelles il fait allusion n’est en fin de
compte qu’un acte d’humanitarisme, mais non pas la preuve
24
d’un changement radical de politique à l’égard de la Corée du
Nord.
Le Japon n’est pas non plus resté indifférent à la tension
régnant dans la péninsule coréenne. Il a de sa propre initiative
orienté sa politique vers une opposition aiguë à l’Union
soviétique, à la Chine et, de nos jours, à la Corée du Nord, qu’il
considère comme des pays ennemis, comme des menaces
virtuelles. La «paix» à laquelle veille le Japon, c’est la sécurité
conçue selon la stratégie mondiale et asiatique des Etats-Unis. Du
point de vue de la Corée du Nord, le Japon n’est qu’une «terrible
menace», et nullement un «pays pacifique». L’innocence et
l’attachement à la paix que s’attribue le Japon ne peuvent être du
point de vue de la Corée du Nord qu’une fausse idée de la réalité.
Les conservateurs, les éléments de droite qui se plaignent et
s’indignent du manque de conscience de la défense chez leurs
compatriotes, de la crise et de sa gestion «se félicitent» du
«missile». Pourquoi? Parce qu’heureusement le «missile» a, à
leurs yeux, ranimé le chauvinisme corrompu et en léthargie des
Japonais. Or, ce serait, à n’en pas douter, un symptôme très
dangereux si de nombreux Japonais, pourtant hostiles à la guerre,
se laissaient aisément gagner par l’esprit borné représenté par ce
chauvinisme et cette rancune.
«Le monde entier se trompe, sauf le Japon»
Dès le lendemain de la réception du commandement des forces
américaines stationnées au Japon de la nouvelle du «lancement
d’un missile balistique par la Corée du Nord», le gouvernement
japonais a réuni, avec une hâte inhabituelle, le cabinet pour
prendre des sanctions, à savoir suspendre la négociation de la
normalisation des relations diplomatiques, l’aide humanitaire,
notamment alimentaire, et renoncer à sa collaboration à la KEDO
25
(Organisation pour le développement de l’énergie dans la
péninsule coréenne—NDLR).
Ensuite, il a suspendu la ligne aérienne directe Nagoya—
Pyongyang. Enfin, le 3 septembre 1998, la Chambre des
conseillers et la Chambre des représentants ont voté à
l’unanimité la décision de «protester contre le lancement du
missile».
Riposte prompte dont on se demande l’origine: la critique
fréquente du manque de conscience de la crise, de
l’imperfection du système de riposte ou la certitude des faits
acquise grâce à la surveillance exercée par l’envoi au large de la
côte ouest du Japon du Myoko, navire doté du système Aegis, et
d’un «EP 3», avion collecteur électronique de renseignements à
longue durée de vol?
Or, le lendemain de ce vote, la Corée du Nord a annoncé la
«réussite du lancement d’un satellite artificiel». Parler du
lancement d’un satellite, parler du lancement d’un missile
balistique sont deux discours divergents du point de vue
politique et militaire. La riposte du gouvernement japonais
aurait été sensiblement autre s’il avail pris son temps pour
analyser les faits et les juger, notamment pour se renseigner
auprès de la Corée du Nord.
En l’ait, les Etats-Unis et la Corée du Sud ont réagi avec
sangfroid, l’attitude américaine «contrastant avec celle du Japon
qui a crié au loup alors qu’ils méditaient» (Samuel Jameson,
ancien chef du bureau de Tokyo de Los Angeles Times). Le
Japon s’est indigné de l’attitude des deux pays, leur exprimant
sa vive inquiétude, sans pourtant parvenir à obtenir leur
coopération, juste à peine quelques témoignages de sympathie.
Force était au Japon de se plaindre auprès du Conseil de
sécurité de l’ONU auquel il n’a pu pourtant arracher qu’une
déclaration exprimant de 1’«inquiétude», sous forme de
communiqué oral du président sans procès verbal officiel.
26
«Je me déclare préoccupé par l’"objet" lancé par la fusée
nord-coréenne qui est tombé dans la mer de l’Est de Corée.
J’exprime mon regret que le lancement ait eu lieu sans prévenir
les pays des alentours», lit-on dans la déclaration qui ajoute
néanmoins: «J’affirme que c’est un droit légitime pour tout
pays d’exploiter l’espace à des fins pacifiques tant que cela
répond au règlement de sécurité du droit international et
respecte le principe de transparence.» Autant que pouvait faire
le Conseil de sécurité dans la mesure où la communauté
internationale, excepté le Japon, reconnaissait un satellite
artificiel. Or, Takamura, ministre japonais des Affaires
étrangères, s’est vanté: «Avec quelque exagération, on y voit la
victoire de la diplomatie japonaise à l’égard de l’ONU. Bonne
chose que l’avis du Japon ait eu, comme c’est légitime, la
compréhension de tous les membres du Conseil de sécurité.»
Expression du contentement de soi.
Une autre faute du Japon, c’est le coup d’arrêt donné à sa
collaboration à la KKDO. Une sanction est destinée à nuire à un
pays donné, c’est un moyen efficace en politique extérieure,
comme le monde entier le sait.
Et la KLDO est un corps international, né de l’initiative des
Etats-Unis, pour livrer des réacteurs à eau légère à la Corée du
Nord en vertu de l’accord-cadre RPDC-USA. Le retard dans leur
construction portera préjudice aux Etats-Unis et à la Corée du
Sud, pays membres du conseil de la KEDO, et restera presque
sans effet sur la Corée du Nord. Bien plus, ce sera
éventuellement un atout à jouer contre les Etats-Unis. Il
s’avère donc légitime aussi que les Etats-Unis et la Corée du
Sud critiquent le Japon, lui réclamant d’annuler son gel. Malgré
une certaine réticence initiale, force lui a été d’y procéder,
sans pourtant en préciser le motif. Ce n’est pas pour rien si
Charles Kartman, envoyé spécial américain chargé de négocier
la paix en Corée, s’est plaint: «Le Japon est dépourvu de toute
27
tactique. "Je ne veux pas de toi", voilà tout ce qu’il sait dire
(Nihon Keizai Shimbun, le 16 septembre 1998).»
D’autres sanctions n’ont pas eu non plus d’effet sur la
Corée du Nord. On présumait que la suspension de la ligne
aérienne directe porterait préjudice à l’exportation du
champignon de la Corée du Nord. Or, on apprend qu’en 1998
la mauvaise récolte de champignons en Corée du Sud, due à des
pluies diluviennes, a obligé les Sud-Coréens à importer de Corée du
Nord, via Chine, de grosses quantités de champignons, dont la part
du lion a été achetée par les touristes japonais. La Corée du Nord ne
s’est donc pas, ou presque, ressentie de la suspension de la ligne
directe.
Il y a longtemps déjà que, pour la Corée du Nord qui a été
pendant de longues années l’objet des sanctions politiques et
économiques du Japon, et même de sanctions ayant valeur
d’ultimatum pour un pays ordinaire, ce genre de menaces a perdu son
sens. La Corée du Nord déclare qu’elle a vécu et saura vivre encore
sans avoir normalisé ses relations avec le Japon. Loin d’être du bluff,
cela résume les rapports qu’ont eus les deux pays.
Si Takamura a affirmé que «le monde entier sait que la Corée du
Nord est responsable», la communauté internationale pense cependant
que c’est un satellite qui a été lancé. Il s’avère que le gouvernement
japonais manque de bon sens. On entend souvent les Japonais se
moquer d’eux-mêmes à propos de la politique économique: «Le
monde entier se trompe, sauf le Japon.» C’est le cas aussi, faut-il le
dire, dans l’attitude adoptée à l’égard de la péninsule coréenne.
L’absence d’un préavis est-elle intolérable?
Le gouvernement japonais a allégué, pour prendre ses
sanctions contre la Corée du Nord, premièrement, l’absence d’un
préavis, donc infraction du droit international, et deuxièmement,
la violation de l’espace aérien, donc celle de la souveraineté.
28
Arguments trop fragiles pour étayer des sanctions susceptibles
d’entraîner l’éclatement d’une guerre avec un pays ennemi.
La Corée du Nord a répliqué: «Premièrement, depuis 1975 le
Japon a lancé plusieurs dizaines de satellites, et il n’a jamais
prévenu la Corée du Nord, deuxièmement, il est d’usage sur le plan
international de lancer un satellite sans préavis, troisièmement, on a
fait tomber le corps dans les eaux internationales après avoir survolé le
détroit de Tsugaru.» Du coup, le gouvernement japonais est resté
muet.
Quant au préavis en cas de lancement de satellite artificiel, le
traité de l’espace, le traité du droit maritime international, etc. ne le
stipulent dans aucune clause. L’Union soviétique, les Etats-Unis, la
Chine et autres pays n’ont publié l’annonce du lancement de leur
premier satellite qu’après avoir eu confirmation de la réussite.
Comme de raison, ils n’ont donné aucun préavis aux autres pays. Le
Japon non plus, «si ce n’est qu’il a prévenu en anglais, un mois avant
de procéder au lancement, les agences aéronautiques et les ports des
différents pays étrangers pour qu’ils veillent à ce que les avions ou les
navires ne pénètrent pas dans la zone où tomberait le propulseur»
(l’ISAS—Institute of Space and Astronautical Science). Certes,
aucun problème ne se poserait au Japon qui procède au lancement
vers l’est depuis les sites de l’île de Tanega ou de la péninsule
d’Osumi si bien que les corps lancés n’aient pas à survoler d’autres
pays.
En général, les satellites sont lancés vers l’est pour tenir
compte de la direction de la révolution de la Terre, ce qui oblige la
Corée du Nord à «survoler» le Japon.
Au reste, si le droit international ne spécifie pas l’altitude de
l’espace aérien des pays, on considère d’habitude qu’elle va
jusqu’à 100 km, au-delà s’étendant l’atmosphère—l’espace
cosmique. Dans le cas du lancement par la Corée du Nord, la
deuxième séparation a eu lieu à 204 km d’altitude, et le satellite a été
placé en orbite à 239,2 km au-dessus de la mer de l’Est de Corée. Il
n’est donc pas question de violation de la souveraineté du Japon. Ce
29
qui a amené Takamura, pourtant si entêté, à répondre évasivement:
«On ne peut affirmer si l’espace aérien a été violé ou non, c’est
douteux (Interview du 30 octobre 1998).»
«La direction idéale du lancement pour obtenir la vitesse
maximale est l’est exact (l’angle azimutal de 90°), mais elle
passe au-dessus du territoire japonais. Aussi avons-nous modifié
la direction du lancement du satellite, soucieux de respecter la
souveraineté du voisin au prix même du sacrifice de la direction
idéale. Nous avons adopté la direction de 86° d’angle azimutal
(au-dessus du détroit de Tsugaru, entre Hokkaïdo et Honshu),
malgré les désavantages que cela comportait pour nous. Du
reste, nous aurions pu atteindre une plus haute altitude, mais
nous avons pris sérieusement en compte l’éventualité d’une
chute du deuxième étage près des eaux territoriales du Japon. A
nos dépens et dans le respect de la souveraineté du pays
étranger, nous avons adopté une moindre altitude. Il est fort
regrettable que certaines personnes au Japon ne comprennent
pas notre attitude équitable et réfléchie.»
A ces explications des scientifiques nord-coréens, constructeurs
de satellite, le Japon aurait dû prendre le temps de prêter oreille. Car
l’objet volant qu’il a qualifié de «missile balistique» a laissé les
traces de son vol en direction et à l’altitude indiquées ci-dessus.
Seulement jamais jusqu’à présent, il n’avait été question de
«violation de l’espace territorial» par un satellite artificiel, et les
pays ayant procédé au lancement sans préavis n’ont été l’objet
d’aucune critique internationale.
D’ailleurs, l’objet volant, annonce-t-on, a survolé les îles du
Japon et est tombé au large de Sanriku. Plus exactement, le
propulseur est tombé à 330 milles marins du Japon, à 12 milles
marins de ses eaux territoriales, dans les eaux internationales, loin
des eaux économiques de nature exclusiviste de 200 milles marins.
«Au large de Sanriku» pourrait passer pour une expression
politique extrémiste de nature à susciter inutilement la terreur de la
population du Japon.
30
Les raisons du retard dans l’annonce du lancement
«C’est une bonne chose si c’est un satellite artificiel, et non une
arme, qui fut lancé. (Il aurait fallu alors le dire sans trop tarder.)»
(Asahi Shimbun, le 5 septembre 1998, la rubrique «Particules
fondamentales».)
«Je me souviens du "gauchisme, maladie infantile" de Lénine.
Serait-ce le lancement d’un "missile"? Si on l’avait lancé sans tenir
compte du milieu environnant, ce serait un acte infantile, et, si l’on
l’avait lancé en en tenant compte, ce serait une "maladie infantile".
De "gauche" ou autre, je ne sais pas. Mais, si, à l’annonce à l’étranger
de la "crise en Corée du Sud", de la "confusion au Japon", du
"désordre en Russie", etc., on avait mal apprécié les faits et qu’on se
fût écrié: "Quelle aubaine", ce serait une salve coûteuse (Le premier
septembre).» Ainsi ironisait et tournait en ridicule la Corée du Nord,
dans l’hypothèse du lancement d’un missile, l’auteur d’un article tout
en exprimant un avis certainement partagé par la plus grande partie
des Japonais. Sans doute qu’il n’aurait pu que manifester son dépit à
l’annonce, quatre jours plus tard, de cette réussite.
Pourquoi alors l’annonce a-t-elle pris quelques jours?
Je suppose deux raisons.
D’abord, comme je viens de le mentionner, il a fallu vérifier
non seulement un lancement réussi, mais aussi une évolution régulière
du satellite suivant son orbite. Il en allait du prestige du pays, et un
échec ne devait pas passer pour une réussite. «Dès le début, précise le
responsable de la construction de l’engin, nous avons pensé publier
le résultat du lancement, mais avec le souci de le faire avec sérieux,
après avoir déterminé l’issue du lancement et recueilli et synthétisé
les différentes données mesurées.» J’ai sous la main des informations
selon lesquelles la Corée du Nord avait préparé deux satellites
artificiels à lancer et, dans le cas d’un échec du premier lancement,
projetait d’en tenter un deuxième. Cela correspond d’ailleurs aux
31
informations faisant état des «préparatifs de lancement d’un autre
satellite». Décidément, la Corée du Nord était déterminée à faire un
succès du lancement d’un satellite afin de célébrer le 50e anniversaire
de la fondation de son Etat.
L’autre raison est purement technique: l’absence d’un système
de poursuite capable de vérifier le placement sur orbite du satellite,
lacune qui a obligé la Corée du Nord à mettre plusieurs jours pour
effectuer cette opération.
Dans la déclaration publiée deux jours après le lancement, la
Corée du Nord a dénoncé le «grand bruit» du Japon et les
«sanctions » qu’il a prises en méconnaissant la «conjoncture» et les
«dessous» de l’entreprise. On peut se demander si l’annonce était
alors impossible. Tout porte à croire que la vérification était encore
insuffisante. Un observateur en conclut cependant que 1e Japon a été
«dupe de la Corée du Nord».
L’hebdomadaire Asahi, le 18 septembre 1998, a publié un article
intéressant intitulé «Les fondements de la thèse d’un "accord secret
RPDC-USA" sur les missiles». L’auteur dit en substance: les EtatsUnis, qui avaient lancé des avertissements énergiques contre les
essais de lancement de missile de la Corée du Nord, avaient gardé le
silence sur le lancement prévu de celle-ci, dont ils étaient pourtant
tenus au courant, puis avaient annoncé au Japon un «lancement de
missile». C’est, dit-il, une supercherie menée de complicité avec la
Corée du Nord pour faire adhérer le Japon à leur programme TMD
(Theater Missile Defence). On a constaté d’autres commentaires
encore, notamment du genre: «Le récent scandale du missile n’est-il
pas le fait de l’"intrigue" des Etats-Unis?» (un haut fonctionnaire de
la Direction de l’intérieur de l’Agence de la défense), «Leur dessein
est de soutirer de l’argent au Japon pour ranimer leur industrie de
guerre» (Kamiura Motoaki, commentateur militaire).
La politique internationale est sévère. La diplomatie équivaut à un
combat pour la survie. Les Japonais se doutent de plus en plus que les
Etats-Unis sont prêts à donner le change au Japon, leur allié, pour
32
leurs intérêts. Sentiment justifiable eu égard au rapprochement RPDCUSA qu’ils constatent depuis quelque temps.
Or, il est trop tôt pour parler de relations de confiance suffisantes
entre la Corée du Nord et les Etats-Unis et pour conclure un «accord
secret». Une quinzaine de jours après le lancement du satellite, j’étais
en visite en Corée du Nord, et je m’en suis enquis auprès de
plusieurs responsables du Parti du Travail de Corée. «C’est
formellement exclu, ont-ils affirmé unanimement. Seulement, cela
pourrait éventuellement arriver par la force des choses.» Propos
bien significatifs.
S’il est énigmatique que les Etats-Unis, bien que prévenus par la
Corée du Nord, n’aient pas empêché le lancement du satellite, cela
n’a rien à voir avec cette dernière. Il n’est pas exclu qu’ils aient
berné le Japon pour lui imposer leur TMD et promouvoir le nouveau
guide de collaboration nippo-américaine pour la défense. La vérité, il
faut la chercher dans leurs rapports, et non ailleurs. Que le Japon, ce
«bonhomme», fût mystifié par les Etats-Unis, ce «diplomate rusé»,
n’est rien d’autre qu’une défaite diplomatique. Contre qui le Japon
devrait-il dès lors protester, sinon contre les Etats-Unis?
L’abandon ou la perte de sa carte diplomatique
à l’égard de la Corée du Nord
Le Japon se plaint de ne pas avoir été prévenu par la Corée du
Nord, comme l’avaient été la Russie et les Etats-Unis, du lancement
d’un objet qui devait, sinon violer son espace territorial, du moins
survoler l’archipel. Plainte apparemment fondée.
Or, qu’est-ce que c’est que le Japon aux yeux de la Corée du
Nord? Rien d’autre qu’un pays immoral persistant dans son
refus de régler son passé de domination coloniale, un pays
dangereux, hostile, si impertinent qu’il fait fi de l’éthique
internationale, appendice américain incapable d’une politique
extérieure indépendante. La politesse n’est pas d’usage entre
33
pays hostiles. A fortiori, il était inutile, sans doute, de le
prévenir, car c’était un satellite à usage pacifique, et non un
missile à usage militaire.
Pourquoi ne pas relever aussi l’absence apparente de toute
voie de dialogue politique entre les deux pays? Cet état de
choses est imputable au Japon. Depuis longtemps déjà, la Corée
du Nord a proposé l’amélioration de leurs relations au Japon.
Celui-ci pourtant n’a cessé de la méconnaître, fidèle à sa
politique favorable à la Corée du Sud. Les partis au pouvoir
dans les deux pays sont parvenus plusieurs fois à des accords,
et, en mars 1995, le Parti du Travail de Corée d’un côté et les
partis formant la coalition au pouvoir au Japon —le Parti
libéral-démocrate, le Parti socialiste et le Sakigake— de l’autre
se sont engagés à reprendre les négociations sans conditions.
Pourtant, le gouvernement japonais n’est toujours pas prêt à les
reprendre, alléguant principalement un «soupçon de kidnapping
d’une Japonaise». Poussée à bout par la déloyauté du Japon, la
Corée du Nord semble avoir décidé, il y a quelques années, de
ne plus traiter avec lui. Ainsi s’est bloquée la voie de dialogue
entre eux.
On reproche fréquemment au Japon de manquer de jugement
politique et de stratégie diplomatique à l’égard de la Corée du
Nord, absence imputable avant tout, à mes yeux, à la
méconnaissance de ce pays et au refus de le connaître. On ne
peut se combattre ou se concilier si l’on méconnaît son ennemi,
c’est une règle de la diplomatie. Et pourtant le Japon s’est
accommodé d’un jugement qui, dans sa politique nordcoréenne, le mettait à la remorque des Etats-Unis et de la Corée
du Sud. Gros piège auquel il s’est fait lui-même prendre, dirait-on.
Ce qui est grave, c’est que le Japon s’est trouvé dépourvu
d’une carte politique et diplomatique à l’égard de la Corée du
Nord dans un «état d’urgence» tel que celui survenu récemment. Il n’a
que la «carte de la rancune» qui s’exprime: «Quelle insolence de la
part de la Corée du Nord! Elle est impardonnable.» C’est le malheur
34
de la diplomatie nord-coréenne du Japon. La «carte de la rancune» en
aucun cas ne peut être un joker.
«Le gel de notre collaboration à la KEDO était significatif, car
il devait exprimer à la Corée du Nord l’indignation que ressentait
notre pays à l’égard de son lancement de missile, considéré comme
un forfait. Les Etats-Unis et la Corée du Sud ont témoigné de leur
compréhension (Takamura, ministre japonais des Affaires
étrangères).» «La "carte diplomatique" dite gel a certainement
exprimé amplement la volonté du Japon à la Corée du Nord. On peut
juger que nous avons usé de la "carte diplomatique" pour riposter
au sujet du missile (Editorial du Mainichi Shimbun, le 20 octobre
1998).» Vaine autosatisfaction, à n’en pas douter.
«Laisser exploser sa rancune, c’est faire le jeu de la Corée du
Nord. Celle-ci veut fâcher le Japon, puis voir un désaccord se créer
entre lui, les Etats-Unis et la Corée du Sud. Il faut faire appel à la
raison (Asahi Shimbun, le 24 septembre 1998).»
«Le Nord vise à diviser le Japon, les Etats-Unis et la Corée du
Sud, et il y a réussi amplement avec un seul missile. Or, la récente
évolution des événements fait craindre que non seulement la
Corée du Nord, mais aussi les Etats-Unis et la Corée du Sud ne
méprisent le Japon (Editorial du Sankei Shimbun, le 16 septembre
1998).»
Même les médias qui, les premiers, faisaient circuler la «thèse de
la menace du missile» ont commencé, une quinzaine de jours après, à
réclamer au gouvernement japonais une diplomatie stratégique
rigoureuse. Pourtant, il s’avère, tragiquement, que le Japon n’a
aucune carte diplomatique ou politique efficace vis-à-vis du pays
ennemi. Abandonner ou perdre une cane équivaut à courir un gros
danger. A la longue, le Japon risque de se voir abandonné par ses
alliés et isolé dans la gestion internationale du problème de la
péninsule coréenne.
35
3. LA PUISSANCE DE LA CARTE DU SATELLITE
ARTIFICIEL
Le satellite artificiel, est-ce une menace militaire?q
La communauté internationale admettait l’idée d’un satellite
artificiel lorsque le gouvernement japonais a commencé à rétorquer:
«Missile balistique ou satellite artificiel, cela fait peser la même
menace sur la sécurité du Japon et de la région Asie-Pacifique.»
«Ce qui a été lancé, c’est un missile à plusieurs étages,
techniquement avancé. Il est de peu d’importance de savoir si l’on
a lancé un satellite artificiel. C’est fort inquiétant (Kurt M. Campbell,
assistant délégué au secrétaire à la Défense américain, chargé des
affaires d’Asie-Pacifique).»
«Les services spéciaux américains évaluent une distance de
4 000 à 6 000 km, ce qui correspond à celle d’un ICBM
(Intercontinental Ballistic Missile) (Rumsfeld, président de la
commission américaine d’évaluation des menaces de missiles
balistiques).»
Telle est, en gros, l’idée que se sont faite les Etats-Unis du
lancement du satellite artificiel par la Corée du Nord. Somme toute,
ils pensent que du point de vue militaire un satellite artificiel est
beaucoup plus impressionnant qu’un missile et exerce un impact
international considérable. Idée qui contraste subtilement mais de
façon fondamentale avec celle du Japon qui crie à la menace
militaire, en admettant l’idée de missile balistique.
Comme chacun le sait, une même technique sert à une fusée
porteuse d’un satellite et à un missile balistique. Et, de nos jours, la
technique du missile balistique est appliquée à la plupart des fusées
porteuses de satellite dans le monde. Les satellites américains « Atlas36
Centaur», «Titan», «Delta», les satellites russes «Soyouz», «Cosmos»,
les satellites chinois «Longue-Marche», etc. ont tous utilisé la
technique de l’ICBM ou de PIRBM (Intermediate Range Ballistic
Missile). Les fusées japonaises N-I, N-H et H-I ont emprunté les
techniques du «Delta» ou du «Thor» (IRBM). La fusée nordcoréenne a été, elle aussi, le sous-produit du développement de
missile balistique, comme le reconnaît la Corée du Nord elle-même.
Le satellite «Kwangmyongsong 1» a été lancé par une fusée à trois
étages, dont le troisième a employé un combustible solide de haute
fiabilité (découvert par la Corée du Nord elle-même). Et la
séparation du propulseur a été une réussite. La portée d’un ICBM
réclame l’emploi du missile à multiples étages, chose qui devient
facile dès que l’on possède la technique de la séparation. Que la
Corée du Nord soit en possession de cette technique témoigne de sa
capacité (et de la possibilité réelle) de développer l’ICBM, arme
capable d’atteindre le territoire américain. La défense antimissiles
américaine présupposait l’absence momentanée de l’ICBM chez les
pays autres que la Russie et la Chine, aussi la réussite du lancement
d’un satellite par la Corée du Nord imposait-elle une révision de la
stratégie américaine de la défense antimissiles.
Lors de la consultation RPDC-USA sur les missiles, au début
d’octobre 1998, la Corée du Nord a déclaré: «Nous exploitons
l’espace à des fins pacifiques, et nous poursuivrons nos lancements
de satellite artificiel.» Et, aux Etats-Unis qui lui demandaient la
suspension du développement et du lancement de missiles, elle a
répliqué: «Développer et déployer des missiles relève du droit d’un
Etat souverain et se révèle nécessaire à la Corée du Nord compte
tenu du contexte spécial où elle se trouve.» Aucune objection efficace
n’a pu y être formulée.
En juin 1998, la Corée du Nord a, pour la première fois,
annoncé officiellement son programme de développement et
d’exportation de missiles, déclarant qu’il s’agissait de sa
souveraineté et de son droit à la survie quand elle développe et
déploie des engins. Puis, elle a présenté comme une importante
37
source de devises l’exportation de missiles dont l’arrêt, voulu par
les Etats-Unis, nécessiterait la compensation correspondante de leur
part. Le MTCR (Missile Technology Control Régime) patronné par
les Etats-Unis ne réunit que 16 pays signataires, parmi lesquels la
Corée du Nord ne figure pas. Les Etats-Unis sont les plus avancés
dans le domaine du missile, ce sont le plus grand exportateur
d’armes. De quel droit critiqueraient-ils donc unilatéralement l’exportation de missiles par la Corée du Nord? Au reste, celle-ci est
juridiquement indemne, aucune législation internationale
n’interdisant l’exportation de missiles.
Avec la possession évidente de la technique de l’ICBM par la
Corée du Nord, l’appréhension américaine au sujet de la prolifération
des missiles s’est aiguisée. «Si des missiles étaient exportés vers des
pays du Moyen-Orient par exemple, les pays dotés de missiles à
portée de plus de 2 000 km se multiplieraient d’emblée.
L’interdiction de la prolifération des missiles balistiques est devenue
plus urgente que jamais. On dirait qu’on voit s’ouvrir d’un coup
devant soi la porte de l’enfer (Ehata Gensuke, commentateur militaire
japonais).» Impression qui est loin d’être exagérée.
Pour les Etats-Unis, le lancement d’un satellite par la Corée du
Nord a un autre aspect menaçant: celle-ci est à même de se doter de
satellites militaires.
La Corée du Nord a été de tout temps l’objet d’une menace
nucléaire permanente et unilatérale de la part des Etats-Unis. Si elle
disposait de moyens et installations de défense en cas d’attaque
nucléaire par surprise, elle manquait de capacités de ripostes.
Venaient s’y ajouter la reconnaissance et la surveillance permanentes
effectuées par les satellites militaires et les appareils de
reconnaissance à haute altitude des Etats-Unis. Pour tout moyen d’y
parer, elle n’avait que le camouflage, la construction d’usines
d’armements et de bases militaires et la conservation des armes en
sous-sol. Certes, pour autant, si les Etats-Unis pouvaient exercer une
menace militaire sur la Corée du Nord, il ne leur était pas facile de
l’attaquer en premiers. Avec le lancement du satellite, la Corée du
38
Nord s’équipait d’un moyen de riposte à l’attaque américaine et
faisait voir ses possibilités à long terme de reconnaître et de
surveiller les pays ennemis que sont les Etats-Unis, la Corée du Sud
et le Japon. On peut en déduire un changement fondamental du
rapport des forces, autrement dit des forces militaires, entre la
Corée du Nord et les Etats-Unis.
Le vrai impact du lancement d’essai de
missiles de 1993
Si, en 1993, le lancement d’essai de missiles par la Corée du
Nord vers sa mer de l’Est a suscité beaucoup de bruit au Japon, le
récent lancement y a provoqué une réaction du gouvernement et une
indignation de la population incomparables.
«(1), on a ressenti la première menace de proximité depuis la fin
de la guerre (depuis le 15 août 1945). (2), aux Etats-Unis et en Corée
du Sud, on a relevé pour la première fois des manifestations de
conscience de l’état de crise, suivies d’actions concertées. (3), la
crise intérieure, qu’on pourrait qualifier de dysfonctionnement de
l’âme du gouvernement, s’est extériorisée. Tel était l’essentiel dans
l’"impact du missile" (Asahi Shimbun, le 22 septembre).»
A quoi se ramenait en fait le récent «scandale»?
Voici des faits dramatiques de nature à le priver de tout sens.
«Le 29 mai 1993, la Corée du Nord a réussi dans le lancement
d’essai de missiles à plusieurs étages. D’après un personnage
compétent de l’armée nord-coréenne, on avait prévenu les Etats-Unis
de ces essais au nombre de trois. L’un des missiles, ayant une
portée de 500 km, est tombée au large de la péninsule de Noto. Les
deux autres ont parcouru plus de 3 000 km, chacun tombant dans les
eaux internationales, respectivement au large d’Hawaii et de Guam.
On présume que ces réussites ont donné plus d’assurance à la Corée
du Nord qui allait réussir en 1996 à développer l’ICBM qu’il a
déployé.»
39
C’est un extrait de Kim Jong Il, le jour de la réunification de la
Corée—la Corée du Nord, mise en scène de la guerre et de la paix—,
ouvrage de M. Kim Myong Chol (édité par la maison Gojinsha).
Depuis des années, des informations de source américaine
mentionnaient fréquemment que «le pays qui, après les Etats-Unis,
la Russie et la Chine, est en mesure de développer l’ICBM dans les
meilleurs délais, c’est la Corée du Nord». Peu de Japonais y prêtaient
alors attention. Pourtant, concurremment au «scandale du missile», le
journal sud-coréen Joson Ilbo, le 23 octobre 1998, a annoncé qu’«une
analyse des services spéciaux américains a fait ressortir que le missile
a survolé l’archipel japonais et est tombé sur le Pacifique à 1 300 km
du point de lancement», et, le même jour, Nukataga, chef de
l’Agence de la défense, a déclaré qu’il avait «reçu les mêmes
informations des Etats-Unis au printemps dernier». En fait, à la fin de
l’avant-dernière année, le premier ministre Hashimoto avait interdit
leur publication.
Deux questions en découlent. Premièrement, pourquoi, en
1993, les Etats-Unis n’ont fourni au Japon que des informations
partielles, relatives à «la chute dans la mer de l’Est de Corée»?
Deuxièmement, pourquoi le Japon a-t-il fait grand bruit cette fois,
contrairement à la fois précédente, après avoir reçu des
renseignements similaires des Etats-Unis? A fortiori, quand il
s’agissait cette fois d’un satellite artificiel, et non d’un missile
balistique comme précédemment?
Peut-être qu’en 1993, étant donné la gravité de la tension
militaire provoquée par le «soupçon nucléaire», les Etats-Unis avaient
prévu un choc trop violent pour le Japon? Ou bien qu’eux-mêmes
n’en revenaient pas? C’eût été certainement honteux pour le Japon de
parler de renseignements vieux de cinq ans. Aussi a-t-il préféré
doubler la force de sa riposte à la mesure de son ancienne rancune.
Evidemment, la conduite des Etats-Unis et du Japon n’est pas
facile à comprendre. Toutefois, on peut vérifier, entre autres
choses, que les Etats-Unis ne sont pas prêts à fournir au Japon tous
leurs renseignements militaires, que la Corée du Nord a réussi en
40
1993 dans l’essai de lancement de missiles, proches à l’ICBM, qui
ont survolé sans à-coup l’archipel du Japon, et que cette réussite a
décidé les Etats-Unis à parvenir à un accord nucléaire avec la Corée
du Nord.
Les médias ont présenté la consultation RPDC-USA sur les
missiles comme destinée à traiter du problème de la cessation du
développement et de l’exportation de missiles par la Corée du
Nord, tandis qu’en réalité, selon toute apparence, elle se centrait sur
le développement et le déploiement de l’ICBM par ce pays, donnant
ainsi lieu à d’âpres marchandages diplomatiques.
La Corée du Nord, est-elle une menace militaire?
Il est vrai que la Corée du Nord accroît actuellement son potentiel
militaire sous la direction de Kim Jong Il, Président du Comité de la
défense nationale et Commandant suprême de l’Armée populaire de
Corée. La Corée du Nord, avec la capacité qu’elle a démontrée à
développer l’ICBM et des satellites militaires, est-elle prête à
attaquer en premier les ennemis comme les Etats-Unis, la Corée du
Sud et le Japon, c’est-à-dire à déclencher la guerre? En somme estelle une si grave menace militaire pour la sécurité de la région AsiePacifique?
Quant aux Coréens, ils ont fait une amère expérience de
l’esclavage lors de la colonisation du pays par le Japon. Beaucoup
d’entre eux ont été tués, six millions ont été contraints de travailler
comme des bêtes de somme, un million d’hommes ont été
intégrés de force dans l’armée japonaise, et près de 200 000
femmes ont dû servir au plaisir sexuel de ses soldats. Un peuple
qu’on a privé de toutes ses richesses, de sa culture, de ses patronymes, de sa langue. Colonisés, les Coréens avaient perdu leur
statut d’hommes. Là est le ressentiment de la Corée du Nord,
l’origine des principes de son développement. La Corée du Nord
est décidée à se défendre, sans plus tolérer l’agression étrangère.
41
Pourtant, la péninsule coréenne a été divisée en Nord et Sud par
des forces étrangères qui lui ont ensuite imposé la guerre. La
guerre de Corée a inspiré aux Coréens, au Nord et au Sud, une
vive aversion d’une nouvelle guerre, d’une réédition de la tragédie
nationale. L’Accord d’armistice de Corée, conclu en 1953, stipule
que dans les trois mois qui suivront son entrée en vigueur toutes les
troupes étrangères doivent se retirer de Corée, et les pays intéressés
(la Corée du Nord, la Chine et les Etats-Unis) se réunir en
consultation politique pour résoudre pacifiquement le problème
coréen. Mais les Etats-Unis, eux, ont conclu, après la guerre de
Corée, en août 1953, l’«accord sur la défense et l’assistance
mutuelles» avec la Corée du Sud, qu’ils ont ensuite renforcé de
même que le pacte de sécurité signé en 1951 avec le Japon. Ils ont
formé une alliance militaire américano-sud-coréenne, une alliance
militaire américano-japonaise, puis une alliance militaire tripartite
américano-sud-coréo-japonaise. En flagrante violation de l’Accord
d’armistice, les Etats-Unis ont assujetti la Corée du Sud et le Japon
sur les plans politique, militaire et économique, choisissant ainsi
de former un étau autour de la Corée du Nord et d’entrer dans une
opposition militaire critique avec elle.
Pour y faire face, la Corée du Nord s’est vue contrainte
d’investir force fonds et main-d’œuvre dans la défense, ce qui a
pesé sur elle dans son développement économique. Par-dessus le
marché, en 1962, lors de la crise de Cuba, l’Union soviétique,
cédant à la menace nucléaire américaine, a retiré ses missiles de ce
pays, ce qui ne laissait pas la Corée du Nord indifférente. Celle-ci
ressentait vivement que l’Union soviétique, malgré sa position de
supergrand socialiste, n’osait pas faire front aux Etats-Unis dans le
système de guerre froide, que les Etats-Unis pouvaient
éventuellement vaincre un à un les pays socialistes sans pour
autant entrer en conflit direct (en guerre) avec l’Union
soviétique, autant de faits qui témoignaient de la dureté de la
politique internationale.
42
Comme on s’y attendait, les Etats-Unis n’ont pas tardé à
intervenir en grand dans la guerre du Viêt-nam et ont multiplié
pressions et opérations de séduction vis-à-vis des pays socialistes
d’Europe de l’Est. Pour y faire face, force était à la Corée du Nord de
renforcer sa défense et d’établir un système qui resterait invulnérable
aux pressions militaires américaines. Il s’agissait en l’occurrence de
sa ligne militaire en quatre points, définie au milieu des années 60:
armement du peuple tout entier, fortification de tout le territoire,
transformation de toute l’armée en armée de cadres et sa
modernisation.
Les Etats-Unis, qui n’ont cessé de renforcer l’alliance militaire
tripartite américano-nippo-sud-coréenne, ont, depuis le milieu des
années 70, hâté en grand le déploiement d’armes nucléaires en
Corée du Sud et organisé à large échelle «Team Spirit», manœuvres
militaires conjointes américano-sud-coréennes. Ainsi, plus d’un
millier d’armes nucléaires tactiques sont réparties en Corée du Sud,
parmi lesquelles figurent Tomahawk, missile de croisière à sol, la
bombe atomique de lancement à l’usage des fantassins et des bombes
à larguer d’avion. Menace militaire incontestable pour la Corée du
Nord. La Corée du Sud ou le Japon ne pourraient imaginer la terreur
où maintenait la Corée du Nord depuis des dizaines d’années
l’imminent danger d’attaque nucléaire qui pesait sur elle.
Au début des années 90, si la guerre froide a pris fin ailleurs, elle
est demeurée avec toute sa structure dans la péninsule coréenne. Le
délicat équilibre politique et militaire qui maintenait la péninsule hors
de la guerre a été rompu. La Corée du Nord, pour y faire contrepoids,
a utilisé la «carte nucléaire» qui lui a offert l’accord-cadre RPDCUSA.
Or, les Etats-Unis ne respectent toujours pas avec toute la
loyauté voulue cet accord qu’ils ont conclu en prévision de la
«chute» de la Corée du Nord. Celle-ci, quant à elle, l’a respecté,
notamment bloquant ses installations atomiques, acceptant
l’inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique
(AIEA) et atténuant les restrictions économiques à l’égard des
43
Etats-Unis. L’essentiel dans le règlement global, c’est le principe
de l’action simultanée, qui suppose le respect simultané de
l’engagement par les deux parties. Si ce principe est enfreint,
l’accord sera frappé de dysfonctionnement. Or, les Etats-Unis, loin
de le respecter loyalement, ont adopté la politique de soft-landing
ayant pour but d’imposer à la Corée du Nord l’économie de
marché et le capitalisme. Ils cherchent à faire bonne impression
avec leur politique d’adoucissement sans pour autant renoncer à la
menace militaire, leur moyen habituel. Force est donc à la Corée du
Nord de renforcer toujours son potentiel militaire, c’est-à-dire ses
capacités défensives. Telle a été grosso modo l’évolution de la
situation politique et militaire dans la péninsule coréenne.
Comme on a pu le constater, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le
Japon ont, les premiers, exercé une menace militaire à laquelle la
Corée du Nord n’a fait que s’opposer. Par menace militaire, on
entend ici, non pas une menace latente d’attaque d’une partie,
mais bien la démonstration et l’exercice d’une force militaire
réelle. Somme toute, si les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon
considèrent la Corée du Nord comme une menace militaire, le fait est
qu’ils en font une menace et la menacent pour la contraindre à
renforcer son potentiel militaire.
La diplomatie de la parole contre la politique
de force
En politique et diplomatie internationales, on définit la partie
adverse avec laquelle on est en rapport d’hostilité comme une
«menace pour la sécurité de son pays ou de la région». Ainsi la
Corée du Nord n’a-t-elle cessé de se plaindre à l’adresse de la
communauté internationale sans pourtant obtenir une écoute assez
importante. Les échos se ramènent à des témoignages d’«inquiétude»
ou de «soutien». Témoignages de sympathie, mais sans effets
concrets. Et aucun pays étranger ne s’offre à combattre les puissants
44
Etats-Unis pour le compte du petit pays qu’est la Corée du Nord.
Tous les pays sont absorbés par leurs affaires intérieures et
extérieures. Jadis, les pays socialistes avaient au moins pour cause
de défendre le socialisme, qui est tombé depuis en Europe de l’Est.
De puissants pays occidentaux investissent la Corée du Nord, lui
imposant l’isolement, ce pays qui tient tant à son régime socialiste.
Pour faire face à la puissante coalition militaire des Etats-Unis, de
la Corée du Sud et du Japon, la Corée du Nord avait besoin de
pénétrer la stratégie et les procédés diplomatiques des Etats-Unis,
«métropole» de la Corée du Sud et du Japon. La diplomatie
américaine est appelée souvent «diplomatie de la canonnière», ce qui
n’est qu’un de ses aspects. Elle comprend trois composantes
quand il s’agit des pays ennemis et s’appelle «politique de force».
Voici l’analyse que je me propose d’en faire:
A. La diplomatie de la parole—Les Etats-Unis commencent par
faire part de leur analyse, de leurs remarques, de leur position, ils
cherchent à les imposer, puis brandissent la menace de sanction
économique et d’attaque militaire;
B. La diplomatie de la sanction économique—Ils font appel à
leur puissance économique et à l’«ordre économique» mondial
qu’ils contrôlent pour exercer le blocus économique sur le pays
ennemi;
C. La diplomatie de la canonnière—Ils font des
démonstrations de force, font référence à l’attaque militaire et
adressent un ultimatum pour exiger compromis et soumission.
Les Etats-Unis sont habiles à combiner ces trois éléments pour
l’emporter sur les pays adverses. Leur action s’accomplit par les
cinq étapes suivantes.
La première étape—C’est l’étape de la diplomatie de la parole,
où les Etats-Unis passent pour maîtres, donnant toute la mesure d’un
supergrand. Dans la quasi-totalité des cas, ils ont eu gain de cause à
cette étape.
La deuxième étape—La sanction économique intervient à côté de
la diplomatie de la parole. Au cours des cinq dernières années, les
45
Etats-Unis y ont eu recours, dit-on, à une soixantaine de reprises à
l’égard de plus de 70 pays ou régions du monde.
La troisième étape—C’est l’étape de la combinaison de la
parole, de la sanction économique et de la canonnière. On envoie des
forces américaines sur place, on fait même allusion à une attaque
nucléaire éventuelle. La 7e flotte américaine, l’infanterie de marine,
envoyées, exercent des pressions.
La quatrième étape—Interviennent à la fois la parole, la sanction
économique et la canonnière, entre autres. Si les opérations de la
troisième étape ne produisent pas leur effet, on lance l’attaque,
autrement dit on déclenche la guerre, puis, après la guerre, on
continue le chantage, la sanction économique ou militaire. C’est le
cas de la politique pratiquée vis-à-vis de l’Irak et des
bombardements dont il fait l’objet. Si ces mesures restent sans effet,
on recourt au mépris et à l’isolement. Dans leur politique nordcoréenne, les Etats-Unis ont, pendant de longues années, appliqué
tous les moyens possibles, notamment le mépris, le chantage, le
blocus économique et l’encerclement.
La cinquième étape—La conciliation et l’établissement de
relations diplomatiques. Si la parole, la sanction économique, la
canonnière et la guerre s’avèrent inefficaces, on passe à la
diplomatie du dialogue. C’est le cas du Viêt-nam par exemple et,
pour le moment, de la Corée du Nord. Le 5 janvier 1999, le
département d’Etat américain a annoncé des orientations portant sur
l’adoucissement des sanctions économiques exercées sur Cuba et
l’extension des échanges non gouvernementaux entre les deux
pays, symptômes d’une politique qui atteint probablement cette
cinquième étape.
Quant à la Corée du Nord, elle a, depuis de longues années,
désiré conclure un accord de paix avec les Etats-Unis, signataire de
l’Accord d’armistice de Corée, et a appelé au dialogue dans cette
perspective. Elle a même proposé des pourparlers tripartites, incluant
la Corée du Sud. Or, les Etats-Unis y ont opposé constamment le
46
mépris. Voilà qui a éternisé l’«état de guerre» et la division du pays
en Nord et Sud pendant près d’une cinquantaine d’années.
En 1988, l’administration Bush, changeant de politique à
l’égard de la Corée du Nord, a entamé le contact avec elle à Beijing
au niveau de conseiller. La fin de la guerre froide a accéléré le
processus de dégel entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Mais,
vers 1992, le «soupçon nucléaire» a surgi, provoquant une extension
progressive de la tension. C’était, malgré tout, l’occasion ou jamais
pour la Corée du Nord d’améliorer ses relations avec les Etats-Unis.
Celle-ci est entrée en compétition, en guerre diplomatique avec
les Etats-Unis. Elle devait faire appel à toute son intelligence, à
toutes ses forces pour faire face au supergrand unique, pour le
vaincre. Tantôt, c’est la «diplomatie dure»: «Nous répondrons à la
guerre totale par la guerre totale, au dialogue par le dialogue», tantôt
la «diplomatie du chantage»: «Nous userons sans faute de
représailles», tantôt la «diplomatie du sourire»: serrement de main,
tantôt la «diplomatie de la guérilla»: opération de perturbation,
exploitation des doutes de l’adversaire et des faiblesses de son
système militaire, tantôt la «diplomatie décisive»: recours à des
actions inattendues, par déclaration de son retrait du TNP (traité de
non-prolifération des armes nucléaires), déclaration du retrait de
l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), lancement
d’un satellite artificiel, etc. Autant d’appellations utilisées par les
médias occidentaux pour la Corée du Nord, contrainte, comme c’est
habituel, de déployer toute la panoplie de ses moyens pour l’emporter
sur l’arène diplomatique internationale par la guerre des
informations, la guerre psychologique et la guerre des nerfs.
Le propre de la diplomatie nord-coréenne, «diplomatie de la
parole», c’est l’usage de la force maximale de la parole. Ses
déclarations concernant le pays ennemi sont véhémentes et pourtant
ne manquent pas de mentionner les conditions qu’elle lui pose et qui
lui ouvrent une échappatoire. Il faut bien connaître l’ennemi pour le
vaincre, disent les Nord-Coréens dont la stratégie vise à tirer profit
de la stratégie diplomatique des Etats-Unis pour les combattre.
47
Apparition d’un puissant atout diplomatique
La «diplomatie de la parole» ne se suffit pas à elle seule, elle
nécessite un appui. Cet appui, c’est le potentiel militaire, autrement
dit les capacités de défense nationale. En l’occurrence, la diplomatie
internationale s’exerçant autour de la péninsule coréenne est une
«diplomatie militaire».
Pendant de longues années, la Corée du Nord a construit des
usines et bases souterraines et s’est munie de capacités défensives à
toute épreuve, convertissant tout son territoire en un véritable
hérisson avec ses piquants ou en une tortue avec sa carapace dure.
Malgré leur puissance, les Etats-Unis ne se sentent pas en état d’y
intervenir impunément. La Corée du Nord, à toute menace, se déclare
prête à «répondre à la guerre par la guerre», ce loin de donner le
moindre signe de faiblesse. Décidément, c’est un enfant intraitable.
Les Etats-Unis, sortis non vainqueurs (autrement dit vaincus) de
la guerre de Corée, ont expédié, lors de l’affaire du Pueblo, en 1968,
et de celle de l’avion «EC-121», l’année suivante, des unités mobiles
de porte-avions et concentré en Corée du Sud des escadrilles de
bombardiers stratégiques «B-52»—capables de porter des bombes à
hydrogène—et de chasseurs-bombardiers, etc. pour se disposer à
l’attaque. Pourtant, ils ont toujours fini par présenter leurs excuses
pour remédier à la situation. Expérience qui les a persuadés que la
Corée du Nord ne fanfaronne pas, mais qu’elle a la volonté réelle de
se battre contre eux. Et la déclaration par la Corée du Nord de son
retrait du TNP les a amenés à passer à la diplomatie de la 5e étape,
celle du dialogue, seule qui restait à leur disposition avec la 4e étape,
celle du mépris. Car, si la Corée du Nord s’en retirait, rien ne
pourrait plus l’empêcher de poursuivre le développement et le
déploiement d’armes nucléaires. En concluant l’accord-cadre
RPDC-USA, les Etats-Unis ont «réussi» avec peine à empêcher ce
retrait.
48
Si l’on affirme que les Etats-Unis ont fourni «miel» et
«rémunération» à la Corée du Nord, on ne peut croire pour autant
qu’ils n’aient fait que lui obéir. Dialogue et conciliation étaient les
seuls moyens à leur portée pour parvenir à leur fin.
Pourquoi maintenant le lancement du satellite par la Corée du
Nord a-t-il impressionné les Etats-Unis plus que sa déclaration de
retrait du TNP? C’est que plus que jamais la guerre est devenue
inenvisageable. Si des hostilités éclataient en Corée, elles
dégénéreraient forcément en une guerre nucléaire, comme on en
parlera plus loin. Des commentateurs militaires comparent souvent à
cet égard la puissance militaire de la Corée du Nord à celles des EtatsUnis, de la Corée du Sud et du Japon, comparaison qui ne vaut pas
grand-chose, pas plus qu’un simulacre de guerre. Certains sousestiment la puissance militaire de la Corée du Nord, l’Armée
populaire de Corée manquant de carburant, de produits alimentaires
et ne disposant que de maigres quantités d’armements, d’ailleurs très
souvent démodés. Analyse que je trouve de peu de valeur, la
péninsule coréenne devant éventuellement voir éclater, non pas une
guerre ordinaire, mais une guerre nucléaire. La surestimation
comme la sous-estimation ne conduiront qu’à des erreurs dans
l’analyse de la situation militaire de la péninsule.
«Illusion que la "force de dissuasion nucléaire", la "force de
dissuasion de la guerre"», dit-on, critique qui me semble pertinente
dans la mesure où elle fait ressortir le danger et la stupidité de la
course au développement, au déploiement d’armes nucléaires, ceux
de l’extension des armements. Pourtant, si l’équilibre militaire est
rompu, les faibles sont condamnés à être attaqués par les forts et à se
soumettre à eux. Chose à laquelle ne se résignent pas les pays qui
vivent dans une tension militaire extrême qui les place devant
l’alternative: ou survivre ou mourir. C’est un aspect de la politique
internationale.
C’est à la lumière de ce fait essentiel qu’il faudrait interpréter
l’avertissement donné, le 4 septembre, par le ministère des Affaires
étrangères de la Corée du Nord aux Etats-Unis et au Japon.
49
«... Que nous soyons possesseur de satellites relève de l’exercice
de notre droit souverain légitime, et il dépend entièrement de
l’attitude des forces ennemies que nos capacités servent ou non à des
fins militaires. Les Etats-Unis devront réfléchir à leurs pressions
militaires et à leur attaque surprise, et le Japon, s’aviser que les
tentatives de législation en faveur de son intervention dans une guerre
nord-coréo-américaine sont un acte fort dangereux, équivalant à une
déclaration de guerre à notre endroit.»
Il suffit à la Corée du Nord de poursuivre ses lancements de
satellites à des fins pacifiques, admis par tous les pays, sans avoir
besoin d’essayer ou de déployer l’ICBM ni de développer des
satellites militaires, pour faire éprouver aux Etats-Unis une «menace
percutante» et leur donner la «peur de subir des représailles en cas
d’attaque». Voilà pourquoi c’est «beaucoup plus frappant qu’un
missile balistique». La Corée du Nord s’est dotée ainsi du nouvel et
efficace atout politique, militaire et diplomatique qu’est un satellite
artificiel.
Le 2 décembre, le porte-parole de l’état-major général de
l’Armée populaire de Corée a déclaré: «L’attaque "chirurgicale" ou
l’attaque "surprise" ne relèvent pas du choix exclusif des Etats-Unis, la
manière d’attaque n’étant pas leur apanage. Il doit être clair que les
coups de notre Armée populaire ne sont pas limités et qu’aucun
endroit sur notre planète n’est à l’abri.» «La Corée du Sud et le
Japon, a-t-il averti, peuvent eux aussi leur servir de cibles.» Si c’est la
première fois que la Corée du Nord a usé d’expressions aussi
menaçantes, il est clair que cet avertissement avait pour prémisse la
carte du satellite artificiel, c’est-à-dire celle de l’ICBM.
50
4. PRODUIT DE LA SURREACTION DU JAPON
Effet négatif du «scandale du missile»
Après l’annonce officielle du lancement du satellite artificiel par
la Corée du Nord, le «scandale du missile» au Japon, loin de
s’apaiser, s’est amplifié de plus belle. La participation à la TMD, le
lancement d’un satellite de reconnaissance, la promotion du projet
de loi relative au nouveau guide de collaboration nippo-américaine
pour la défense, autant de sujets qui n’avaient pas jusque-là le
soutien de l’opinion publique, mais qui à force de débats ont
commencé à s’imposer considérablement. Et l’opinion publique
japonaise paraît favorable.
En voici un exemple typique: «Le lancement d’un missile ou
même d’un satellite artificiel sans préavis mérite une critique dans la
mesure où il a encouragé les durs du Parti républicain des Etats-Unis
hostiles à la politique nord-coréenne de l’administration Clinton et a
fourni un prétexte au gouvernement japonais pour participer à la
TMD (Sekai, post-scriptum du numéro de décembre, 1998).» Or,
c’est aux Japonais de décider s’ils admettront ou non la participation
à la TMD. En fait, ce n’est pas la Corée du Nord qui ait donné un
prétexte, mais les autorités américaines et japonaises utilisent ce
lancement de satellite pour en tirer profit sur le plan militaire. Si
l’on admettait que le lancement d’un satellite approfondit la tension
militaire, il faudrait dire que le lancement d’un satellite pour la
construction d’une station spatiale représente une menace militaire.
C’est sans doute la raison pour laquelle les fréquentes
persécutions ignominieuses perpétrées contre la Chongryon
(Association générale des Coréens résidant au Japon—NDLR)
favorable à la Corée du Nord et les Coréens du Japon n’ont pas
51
encore provoqué une large indignation semblable à celle qui s’est
manifestée contre la «persécution des traditionnels costumes des
Coréennes» lors du «soupçon des casinos» de 1989 ou du «soupçon
nucléaire» de 1994.
A écouter les informations concernant le «soupçon du kidnapping
d’une Japonaise», la «crise alimentaire», la «suspension de la visite
de leur pays natal par des Japonaises (résidant en Corée du Nord)»,
on en vient à se rendre compte que le sentiment des Japonais à
l’égard de la Corée du Nord a empiré, leur hostilité à ce pays
s’étant renforcée d’ailleurs au fil des années, et même à affirmer,
sans crainte d’exagération, qu’il a atteint à son paroxysme à l’issue
du «scandale du missile».
Mais les Japonais sont invités à réfléchir à la réalité: se laisser
emporter par leur sentiment d’hostilité à l’égard de la Corée du
Nord pour promouvoir l’établissement d’un projet de loi relative au
«cas d’urgence» ou laisser persécuter les résidents coréens pour
aggraver l’antagonisme entre les deux pays ne profitent nullement au
Japon, mais mettent en péril son avenir. Comme mentionné ci-dessus,
la Corée du Nord ne prend pour cible que les Etats-Unis dans son
activité diplomatique. Sur le plan diplomatique, on peut considérer
que le lancement du satellite visait les Etats-Unis. Pour le moment, la
Corée du Nord ne pense pas au Japon, et elle a lancé son satellite sans
songer à lui. Il en a été de même pour le lancement d’essai de
missiles en 1993.
«La Corée du Nord ne pense guère au Japon. Mieux, on dirait
qu’elle le méconnaît. Je conviens moi aussi que c’était un satellite
artificiel. De toute façon, le récent "missile" n’avait pas le Japon en
vue, c’était sans doute l’expression d’une attitude qui ignore un pays
comme le Japon. Je crois que l’essentiel n’était pas d’envoyer un
message au Japon (Gomaki Teruo, Institut des affaires économiques
asiatiques, Sekai, numéro de novembre 1998).» Quoi qu’il en soit,
comme l’affirme Takamura, ministre japonais des Affaires
étrangères, aux yeux duquel ce lancement «a donné au Japon le plus
vif choc depuis la fin de la guerre» et «a représenté une menace
52
directe, plutôt qu’une inquiétude, pour le Japon», il est vrai que le
Japon a pour la première fois ressenti directement la «menace» de la
Corée du Nord et pris conscience d’une crise. Même aujourd’hui,
alors que le satellite artificiel a été identifié, ce sentiment, loin de
s’évanouir, ne cesse de s’exacerber.
Raison pour laquelle, le 15 septembre, le ministère des Affaires
étrangères de la Corée du Nord a déclaré que, «premièrement, la
RPDC ne tentera pas de normaliser ses relations avec le Japon tant
qu’il continuera ses actes d’hostilité à son égard; que,
deuxièmement, si le Japon continue à chercher à esquiver son
obligation de faire amende honorable pour ses forfaits passés et de les
réparer, il devra endosser toute la responsabilité des conséquences
qui en découleront; et que, troisièmement, la RPDC ripostera
résolument, par des mesures de légitime défense globales et
efficaces, aux actes hostiles du Japon».
En septembre, à Pyongyang, le sentiment antijaponais
s’exacerbait, tandis que l’antiaméricanisme ne se faisait nullement
remarquer. La tension monte, peut-on dire, entre la Corée du Nord
et le Japon, guerre des nerfs qui nuit énormément au Japon. Car rien
ne justifie la critique japonaise, le monde entier ayant admis que
l’objet volant lancé par la Corée du Nord est un satellite artificiel et le
fait ayant émergé au grand jour qu’il n’avait pas été lancé pour
intimider ou provoquer le Japon. La riposte du Japon n’a pour effet
que de s’engager formellement envers la Corée du Nord et de
s’attirer sa critique. Le vrai impact grave n’est pas celui du
«missile», c’est celui de l’énorme perte diplomatique que subirait le
Japon en poursuivant son effort pour se transformer en une puissance
militaire et en exacerbant son hostilité à la Corée du Nord
53
La TMD contraire aux intérêts du Japon
La TMD, programme promu par les Etats-Unis à partir de
1993, reste à l’étape de conception, soulevant de nombreuses
questions. En voici les quatre raisons:
Premièrement, le programme manque de perspectives claires et
son efficacité est douteuse.
La TMD suppose la détection, l’identification et la poursuite des
missiles balistiques (à portées inférieures à 3 000 km) descendant de
haute altitude, par des satellites de reconnaissance, des AWACS, un
réseau de radars au sol, etc., puis leur interception par des missiles
installés au sol ou à bord de bâtiments dotés du système Aegis,
opérations qui, techniquement, sont irréalisables dans l’immédiat.
«Il faut, disons, abattre un missile balistique d’environ un
mètre de diamètre, venant à 4 km à la seconde de 150 km de
distance, avec un antimissile plus rapide. Le fusil des soldats a une
portée efficace de 500 m et une vitesse initiale de 1,8 km à la
seconde. D est donc beaucoup plus difficile techniquement
d’atteindre un missile balistique avec un antimissile qu’une balle de
fusil avec une autre balle de fusil (Sankei Shimbun, le 24 octobre
1998).»
Les Etats-Unis eux-mêmes ne sont pas sûrs des possibilités
techniques qu’on attend de la TMD. En effet, malgré la dépense
annuelle de quelque 3,6 milliards de dollars, ils ont essuyé cinq
échecs consécutifs dans l’essai de développement de la THAAD
(Theater High Altitude Area Defence), le programme du sixième
essai restant indéterminé. Le journal militaire américain Defence
News , le 14 décembre 1998, a annoncé que le département américain
de la Défense évolue vers une renonciation au programme de
développement de la THAAD du fait des difficultés techniques. La
suspension de la THAAD, appelée pilier de la TMD, pourrait très
probablement entraîner l’annulation de ce programme TMD.
54
Deuxièmement, le développement du programme demande trop
de temps.
Même dans l’hypothèse d’un développement régulier, son
déploiement exigerait 20 ans au bas mot. En ce moment, le Japon
voit dans la Corée du Nord la plus grande menace pour lui, mais qui
sait si les deux pays resteront ennemis d’ici 20 ans? Certes, on
compte actuellement (la fin de 1998) 36 pays possesseurs de missiles
balistiques, nombre qui, dans 20 ans, peut augmenter encore et
comprendre de nouveaux pays ennemis. On pourrait donc soutenir
l’utilité de l’entreprise. Néanmoins, l’heure dans le monde étant à
la détente, au désarmement, à l’abolition des armes nucléaires et
des missiles, nul ne peut l’affirmer. Il est même plus probable
qu’elle s’avère dépourvue de tout sens et s’arrête à mi-chemin.
Troisièmement, d’immenses dépenses sont nécessitées.
Un calcul élémentaire montre un budget de 1 000 à 2 000
milliards de yens ou plus, budget qui montera de façon inimaginable,
dans dix ou vingt ans, eu égard à la hausse des prix et du coût de la
vie. En 1998, les dépenses d’équipement des forces d’autodéfense
japonaises étaient de 940 milliards de yens. Le déploiement exigé par
la TMD sera impossible à moins d’y consacrer chaque année plus de
10 % de ces dépenses.
Or, on trouve ces dépenses mêmes insuffisantes pour l’heure. Un
personnage compétent se lamente même: «Les forces d’autodéfense
sont comme un tigre en papier avec leur équipement. Un équipement
aussi imparfait et défectueux ne sert à rien. Si l’on prélève sur les
dépenses d’équipement en faveur de la TMD, les autres unités
perdront de leur force. Aussi le programme est-il irréalisable.» Et
l’augmentation des dépenses de défense aura ses limites. La
participation à la TMD risque d’avoir pour effet de réduire la
puissance militaire d’ensemble du Japon.
Quatrièmement, tous les missiles balistiques ne pourront pas être
interceptés.
Si certains experts militaires trouvent la TMD peu chère pour
la défense de la paix du Japon, une analyse sensée montre qu’il est
55
impossible d’intercepter tous les missiles balistiques qui viennent par
dizaines ou centaines à la fois. Vu que l’explosion d’un seul missile à
tête nucléaire ou le largage d’un seul missile ordinaire sur une
centrale atomique peuvent causer un désastre, cela manque de sens, ou
presque, de développer le programme à grands frais à moins de lui
assurer une parfaite précision. Ajoutons que ce n’est plus un secret
que l’antimissile Patriote réputé «hyperperformant» lors de la
guerre du Golfe n’a alors presque jamais touché sa cible.
«La TMD est un cadeau du Secrétaire général Kim Jong Il»
(Campbell, assistant délégué au secrétaire à la Défense
américain), «Le Secrétaire général Kim Jong Il fait cadeau de la
TMD et de satellites de reconnaissance» (un haut fonctionnaire du
ministère japonais des Affaires étrangères), ainsi commence un article
de l’Asahi Shimbun du 28 septembre qui conclut qu’«il s’agit d’une
fine mouche». Cadeau pour les Etats-Unis peut-être. Car le Japon est
censé devoir partager des dépenses qu’ils ne sont pas à même
d’assumer seuls, sans parler de la possibilité offerte à leurs
conglomérats de l’industrie de guerre de rouler pour longtemps sur
l’or.
Mais cadeau pour le Japon? Certains énumèrent les avantages
que comporterait la TMD pour le Japon, avançant notamment
qu’elle consoliderait sa sécurité, lui servirait de force de dissuasion
et lui apporterait des innovations techniques. Pourtant il n’en sera
pas ainsi. Et, même si elle est installée au Japon, elle ne pourra
dissuader un ennemi déterminé à l’attaquer avec des missiles
balistiques et qui s’emploiera donc à trouver le moyen d’esquiver les
antimissiles. Lors d’une conférence organisée le 12 janvier 1999 à
Washington, Sha Zukang, directeur chinois du désarmement, a lancé
une verte critique, disant notamment: «Le programme TMD a un
impact négatif sur la région d’Asie et le monde entier. Il poussera
les autres pays à entreprendre de développer des missiles plus
performants, elle ne sera utile à personne.» Comme il l’a remarqué,
le Japon s’engouffrera dans la course au développement de missiles.
56
On apprend que, selon le sondage d’opinion mené le 10
septembre par la chaîne Fuji Télévision, 64,4% des personnes
abordées ont répondu par l’affirmative à la question: «Est-ce que le
Japon doit se doter d’une défense autonome, notamment en acceptant
le programme TMD et en introduisant des satellites de
reconnaissance?» On se demande si cette réponse a été donnée en
connaissance de cause. Que, malgré les énormes gâchis que cela
entraînerait, les Japonais choisissent à large majorité d’adopter ce
système, c’est leur affaire. Seulement, on peut dès maintenant
affirmer que cette option leur est tout à fait perdante. Dépenses trop
coûteuses «pour les relations nippo-américaines» (un haut
fonctionnaire de l’Agence de la défense).
Des satellites de reconnaissance bons à rien
Le 6 novembre 1998, le gouvernement japonais a décidé, lors
d’une séance du cabinet, d’introduire des satellites de
reconnaissance. Ce système de satellites de reconnaissance
(militaires) doit comprendre, dit-on, par exemple, deux satellites
optiques, équipés d’une caméra à très haute résolution (1m), et deux
satellites porteurs de radars. Leur construction et leur lancement
nécessitent 190 à 300 milliards de yens. De plus, ces satellites dont
chacun coûte 20 milliards de yens au moins sont censés ne servir
que 5 ans, puisqu’ils doivent suivre des orbites basses. Il faudrait
donc les renouveler tous les cinq ans. L’exploitation et le
déploiement de ce système coûteraient quelques milliers de milliards
de yens.
Le satellite du Early Waming System servant à la TMD nécessite
une technologie encore plus haute et des dépenses beaucoup plus
importantes. Raison pour laquelle la Russie et la Chine ont
pratiquement renoncé à lancer de tels satellites de reconnaissance. Les
Etats-Unis et l’Allemagne fédérale, avec leur «Helios» à résolution de
1m, sont les seuls à en posséder.
57
De plus, pour parvenir à la résolution des satellites militaires
américains, le Japon aurait besoin de beaucoup de temps.
De même le pouvoir d’analyse obtenu par le Japon pour sa
technique spatiale est faible. «Alos», satellite météorologique que la
NASDA (National Space Development Agency) du Japon prévoit de
lancer en 2003, serait équipé d’une caméra à résolution de 2,5 m et
aurait presque le niveau technique du satellite de reconnaissance
américain lancé il y a environ 30 ans. Il est nécessaire d’ajouter que
les satellites militaires américains ont une résolution de moins de 15
cm. Cela dit, le Japon ne pourrait pas éviter pour le moment de
recourir comme avant aux renseignements américains.
Un satellite de reconnaissance (à révolution périodique), destiné
à obtenir des renseignements sur les armements, le développement de
nouvelles armes, les calamités, les cultures ou l’environnement, et un
satellite stationnaire du Early Waming System appelé à détecter
rapidement le lancement de missiles balistiques sont deux genres
différents, le dernier étant indispensable à la TMD.
Même s’il disposait de satellites de reconnaissance, le Japon ne
serait pas en mesure de faire face à la «menace de missiles balistiques
nord-coréens» dont il parle.
On sait que le Japon cherchait à fabriquer lui-même le chasseur
d’appui «FS-X» et que les Etats-Unis ont fait pression sur lui jusqu’à
le contraindre à accepter de le faire en coopération avec eux.
Certains Japonais craignent qu’une telle chose ne se reproduise. Car
les Etats-Unis fourrent leur nez dans tout ce qui peut leur apporter
du profit.
Le Japon risque de s’enliser dans une impasse. Ainsi, le Sankei
Shimbun, le 7 novembre 1998, écrivait dans son éditorial:
«Si le Japon introduit le produit américain ou coopère avec les
Etats-Unis pour construire les satellites prévus, ces derniers pourront
user de l’arbitraire dans la fourniture de leurs renseignements. Au
contraire, si le Japon tente de les fabriquer lui-même, les Américains
s’y opposeront fermement.
58
«La plus grande difficulté du Japon pour s’équiper de satellites
est de persuader les Etats-Unis.»
Mitsubishi Electric Corporation, le plus grand constructeur de
satellites du Japon, a un plan identique à celui du gouvernement pour
l’introduction de satellites collecteurs de renseignements. Ceux qui
gagneront de l’argent, ce sont toujours les fabricants d’armements
japonais si le Japon choisit d’en construire au pays, et, s’il accepte
d’introduire le produit américain, ce sont des groupes américains
de l’industrie de guerre. Ce sont eux qui se félicitent le plus de
l’extension des dépenses militaires imposée par le «choc du missile».
Le 2 janvier 1999, au Congrès, le président Clinton a proposé
un budget de guerre supplémentaire de 12 milliards de dollars et, pour
six ans, une extension totale de 100 milliards de dollars. La plus
grosse somme supplémentaire depuis le milieu des années 1980,
époque de la guerre froide. Certes, cela suppose une relance de
l’économie américaine, mais l’argument invoqué avec le plus
d’insistance, c’est les «menaces militaires» que les Etats-Unis
prétendent combattre, celles de l’Irak et de la Corée du Nord par
exemple.
Le refus irakien de l’inspection et le «missile» de la Corée du
Nord ont été une bénédiction pour les groupes de l’industrie de
guerre américains et japonais qui déclinaient du fait du désarmement
et de la réduction des dépenses militaires.
Seulement, le lancement de satellites à des fins militaires va à
rencontre de la proposition de la diète japonaise de 1969 —la loi
adoptée par la NASDA du Japon dit la même chose— selon laquelle
l’exploitation et l’utilisation de l’espace doivent se limiter à des «fins
pacifiques», et «fins pacifiques» veut dire «fins non agressives» et
«non militaires».
C’est du «scandale du missile» que le Japon a profité pour
cacher son vrai dessein sous le voile de la «collecte de renseignements à multiples objectifs». La critique paraît donc fondée quand
elle a trouvé ce procédé tout à fait puéril.
59
La TMD supposant l’utilisation de satellites américains du
Early Warning System, il faut forcément faire appel aux Etats-Unis
pour assurer son fonctionnement technique. De plus, certaines gens
soutiennent le non-sens des satellites de reconnaissance, qui ne
serviraient à rien.
La Corée du Nord, elle, doit certainement penser qu’elle n’a
rien à, craindre, que le Japon s’équipe ou non de satellites de
reconnaissance, puisqu’elle a toujours été l’objet de la surveillance
des satellites militaires américains, à la plus haute précision.
Rêver d’user de satellites de reconnaissance pour faire face aux
missiles balistiques nord-coréens ne peut servir peut-être qu’à
consoler le Japon lui-même.
Les forces d’autodéfense japonaises incapables
d’attaquer les bases de missiles
«Mieux vaut lancer une attaque surprise que d’attendre
passivement la mort», voilà un avis musclé émis, le 8 septembre 1998,
lors d’une réunion d’enquête sur la sécurité du Parti libéraldémocrate du Japon. Okazaki Hishahiko, commentateur diplomatique,
disait: «Détruire les bases de missiles prend beaucoup moins de temps
que de mettre en œuvre la TMD. La contre-attaque relève de
l’exercice du droit d’autodéfense.» Matsushima Yusha, ancien chef
des forces d’autodéfense de terre de la partie centrale, préconisait:
«Le Japon est ignoré. S’il est un Etat souverain, il doit jouir, dans le
cadre du droit international, du droit de choisir d’attaquer du
moment qu’il est visé par des missiles prêts à être lancés.»
Toutes ces affirmations s’inspirent de l’avis unanime du
gouvernement émis en 1956 à la diète et qui s’exprime ainsi: «On ne
peut pas admettre que la Constitution exige qu’on reste, les bras
croisés, à attendre la mort. Tant qu’on n’a pas d’autres moyens, il
faut voir dans l’attaque des bases de missiles et autres l’exercice du
droit d’autodéfense.»
60
Avant de discuter de la conformité de cette opinion à la
Constitution, voyons si l’attitude intransigeante qui veut qu’on
«use de représailles en cas d’attaque», en d’autres termes que les
forces d’autodéfense japonaises attaquent les bases de missiles de
Corée du Nord, est réaliste.
Le Gunji Kenkyu (Etude militaire) de novembre 1998 a nié cette
possibilité, en avançant les éléments suivants concernant les forces
d’autodéfense: (1) l’absence de moyens de reconnaissance ad hoc;
(2) l’absence de missiles air-sol capables de détruire les radars de
l’adversaire; (3) l’absence de bombes téléguidées par laser, par
conséquent l’imprécision de leur attaque; (4) l’absence d’avions
porteurs et d’avions d’attaque, par conséquent l’impossibilité de
bombarder avec précision de haute altitude en grande formation; (5)
l’attaque par missiles de croisière Tomahawk lancés par les
bâtiments de la marine est impossible car la riposte (de la Corée du
Nord) sera foudroyante.
Avant de parler de la capacité d’attaque du Japon, il faut dire que
celui-ci n’a aucune raison valable pour parler d’attaquer une Corée
du Nord qui reste inoffensive et que le choix de l’attaque contrevient
à la Constitution, favorable à une autodéfense exclusive.
La communauté internationale n’admettra ni ne soutiendra une
telle conduite. L’attaque japonaise risque de provoquer la guerre
totale entre les deux pays. Le Japon, est-il alors prêt moralement et
matériellement à y faire face?
Ushio, ancien officier d’état-major du corps d’aviation général
des forces d’autodéfense de l’air, et actuellement journaliste, a
procédé à un simulacre de guerre, dont le résultat s’est avéré plus
dramatique encore. Dans SAPIO du 11 novembre 1998, il a exposé
ainsi le résultat de l’analyse qu’il a faite d’un simulacre de riposte
japonaise à une attaque supposée des missiles balistiques nordcoréens: (1) les avions de combat du gros des forces d’autodéfense
ne pourront intervenir car incapables d’attaquer des bases de missiles;
(2) les missiles japonais existants ne sont pas à même d’assumer cette
61
tâche; (3) l’unique moyen disponible, c’est d’expédier des
«commandos».
Il a conclu à la nécessité de renforcer l’alliance nippoaméricaine, d’adopter au plus tôt le projet de loi relative au
nouveau guide de collaboration nippo-américaine pour la défense, de
réinterpréter la Constitution sur le droit d’autodéfense collective.
D’autres commentateurs militaires abondent presque dans son
sens.
Or, la révision de la Constitution, l’extension de la notion de
droit d’autodéfense collective et l’abandon de la prémisse majeure
constituée par une autodéfense exclusive réclament de longues
formalités et démarches. De même, les pays voisins y réagiront avec
plus de force que prévu, et le Japon risquera d’être isolé sur le plan
international.
En outre, pour doter les forces d’autodéfense d’un équipement
de nature offensive, il faudra énormément de temps et d’argent.
Comme l’affirment certains hommes politiques et
commentateurs politiques et militaires, le Japon n’est pas en situation
d’appliquer facilement le slogan «Usez de représailles en cas
d’attaque».
Un autre point non moins sérieux, c’est que, même dans
l’hypothèse que ces obstacles aient été surmontés, et tous les
préparatifs nécessaires finis, les forces d’autodéfense (appelées alors
éventuellement armée) ne seront pas à même de détruire les bases de
missiles de Corée du Nord. C’est qu’elles ne pourront pas découvrir
ni détruire les missiles gardés en sous-sol. Pendant qu’elles s’y
emploieront, un grand nombre de missiles balistiques s’abattront sur
le territoire japonais. La guerre totale, serait-elle alors la bonne
option pour le Japon?
D’aucuns peuvent voir dans l’exercice du droit d’autodéfense
collective et la capacité de prendre l’initiative de l’attaque une force
de dissuasion. Or, la Corée du Nord a déclaré qu’elle userait de
représailles si elle était attaquée. Il en résultera donc une guerre totale.
62
La Corée du Nord n’est pas aussi loin du Japon que les EtatsUnis de l’Irak. Ce sont des voisins. De plus, elle a à sa disposition
des missiles balistiques pouvant atteindre l’archipel japonais. Tout le
monde peut s’imaginer que, une fois la guerre déclenchée, le
Japon ne resterait pas indemne.
Somme toute, l’attaque contre l’adversaire ne produira pas
son effet si les autorités n’ont pas la détermination—la vraie force
de dissuasion— de «répondre à la guerre totale par la guerre
totale» et que le peuple ne la soutienne pas.
Le danger de la loi relative au nouveau guide de
collaboration nippo-américaine pour la défense
Pourquoi le Japon, «Etat pacifique», devrait-il opter pour sa
militarisation? La formule qui l’y conduit est simple: la Corée du
Nord est en opposition avec la Corée du Sud, ainsi qu’avec les
Etats-Unis auxquels une alliance militaire le lie; il ne veut pas lier
amitié avec la Corée du Nord; avec le récent «scandale du
missile», il a vu en elle, non pas une «menace virtuelle», mais une
«menace réelle».
Tout compte fait, la «menace» qu’il éprouve prend sa source
dans le pacte de sécurité nippo-américain.
C’est pourquoi, si la Corée du Nord et les Etats-Unis faisaient
la paix ou que le Japon en fasse autant avec elle, en toute
indépendance, la «menace militaire» qu’il voit venir d’elle
disparaîtrait spontanément.
Or, il a renforcé son alliance avec les Etats-Unis. Cela s’est
concrétisé dans le «guide de collaboration nippo-américaine pour
la défense (New Guideline)», décidé en septembre 1997, qui
suppose l’intervention automatique du Japon (envoi de troupes à
l’étranger) lors d’un «cas d’urgence» dans la péninsule coréenne,
ainsi que dans l’institution de la loi sur le cas d’urgence, loi visant
à le mettre en pratique.
63
Les Américains ont exigé, en toute occasion, que ce guide soit
adopté au plus tôt. Aussi le régime Obuchi, issu de la coalition du
Parti libéral-démocrate et du Parti libéral, tente-t-il de profiter du
«scandale du missile» pour y parvenir lors d’une session régulière
de la diète qui s’ouvrira le 19 janvier 1999.
Le Japon fait face, pour sa part, à la tension militaire dans la
péninsule coréenne, rôle qu’il veut spécifier maintenant dans ce
guide. Et, pour pouvoir l’exercer sans à-coups, il sera obligé
d’annuler tôt ou tard le paragraphe interdisant la guerre de
l’article 9 de sa Constitution.
On verra alors apparaître, en première ligne de la guerre froide
(pouvant se transformer éventuellement en une guerre chaude)
dans la péninsule coréenne, la puissance militaire que sera le
Japon, qui exercera une terrible menace réelle.
En fin de compte, quand un «cas d’urgence» se présente en
Corée du Nord, le Japon deviendra spontanément une puissance
belligérante et donc offrira une cible à l’attaque de la Corée du
Nord, de quel côté qu’on ait pris l’initiative de la guerre.
Malgré cela, les autorités japonaises ont choisi ce chemin et
accélèrent davantage la militarisation du pays sous couvert du «scandale
du missile». Il est douteux que les Japonais en aient une idée claire.
Le débat sur le problème du «cas d’urgence» est si complexe
qu’on se demande si c’est un rideau de fumée pour voiler la vérité.
Il ne faut pas oublier que le Japon ne gagnera rien à faire la
guerre à la Corée du Nord ou à participer à une guerre que feraient
les Etats-Unis à celle-ci
La meilleure sécurité pour un Etat, c’est lorsqu’il reste hors de
toute guerre.
Le Japon et la Corée du Nord ne sont pas divisés par des litiges
territoriaux, tels que le problème du territoire septentrional et celui
de l’île de Tok qui opposent le premier respectivement à la Russie
et à la Corée du Sud, ni par une véhémente opposition d’idées ou
d’intérêts. Le seul problème à résoudre dans leurs rapports, c’est
celui du règlement de son passé par le Japon. Et la guerre n’est pas
64
la solution adéquate, le Japon devant se voir défavorisé pour avoir
déjà commis des méfaits contre la Corée.
La guerre ne ferait qu’aggraver le problème du règlement de
son passé et l’antagonisme entre les deux.
Pis encore, le Japon n’a aucune chance de gagner une
éventuelle guerre qui ne lui apporterait que de nombreux sinistrés
et un territoire pollué par la radioactivité. Pourquoi donc intervenir
dans une guerre contre la Corée du Nord?
Le lancement d’un satellite artificiel par la Corée du Nord
n’allant pas à rencontre du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte
des Nations unies qui défend la menace armée, il est
déraisonnable de l’invoquer pour se transformer en une
puissance militaire.
Certains se félicitent du «scandale du missile», catalyseur, à
leurs yeux, pour la conversion du Japon en une puissance
militaire. Ainsi, le «scandale» a servi à révéler la stupidité de la
militarisation comme leurs desseins secrets.
Catalyseur peut-être, mais pas pour longtemps, car le choc
passera, l’opinion reprendra ses esprits, et le Japon se repentira
d’un acte qui risquait de le mettre lui-même en péril.
5. LE JOUR J ARRIVERA-T-IL?
Les raisons militaires empêchant l’éclatement
de la Guerre
Il y a longtemps déjà que l’on a commencé à parler
ouvertement du jour J, jour de l’éclatement d’une éventuelle
seconde guerre de Corée.
65
Les experts en problème coréen ont prédit, à la première
occasion, la date de l’éclatement de la guerre en Corée, mais ils se
sont toujours trompés.
Est-ce que le danger de guerre s’est aggravé avec le lancement
d’un satellite artificiel par la Corée du Nord? Non. C’est-à-dire
que le risque s’est amoindri et est parvenu, disons, à un stade tel
que la guerre s’avère impossible.
Voici pourquoi, sur le plan militaire.
Primo, la Corée du Nord est dotée d’une capacité de défense
inimaginable. Sa puissance militaire réside dans la priorité absolue
accordée à la défense. L’essentiel en est constitué par la ligne
militaire en quatre points que voici.
(1) Armement du peuple tout entier: tous les citoyens font
l’exercice et sont armés en vue d’encercler et d’anéantir les forces
alliées américano-sud-coréo-japonaise; si la guerre éclate, on verra
se lever une armée forte de quelque dix millions d’hommes; si
les combats s’engagent sur terre, les Nord-Coréens écraseront
l’agresseur, forts de leurs avantages topographiques.
Les Etats-Unis ont déjà expérimenté l’efficacité et la terreur de
telles opérations en Corée.
(2) Fortification de tout le territoire: construire en sous-sol des
bases d’aviation, de missiles, d’artillerie et de navires et des usines
d’armements et répartir des pièces d’artillerie antiaérienne sur
chaque mont; les ouvrages de défense offriront une protection à
toute épreuve contre l’attaque nucléaire; au reste, provisions de
bouche et de carburant sont stockées pour faire face à une guerre
prolongée.
On apprend que la fortification du pays a été achevée.
(3) Transformation de toute l’armée en armée de cadres: des
cadres militaires en puissance sont formés régulièrement, en
premier lieu au sein de l’armée régulière; si la guerre éclate,
des troupes aussi nombreuses que celles de l’armée régulière
seront organisées autour d’eux.
66
(4) Modernisation de toute l’armée: équiper l’armée régulière
d’armes du dernier modèle dont on produit l’essentiel au pays.
On pourra ainsi mener la guerre sans l’aide ou le soutien
extérieurs. Il est bien connu que pendant la guerre du Viêt-nam, lors
de la chute de Saigon, les Américains et les Sud-Vietnamiens ont été
frappés de stupeur à la vue de l’équipement moderne et puissant de
l’armée régulière du Viêt-nam du Nord.
Il est certes vrai que les équipements dont dispose la Corée du
Nord, notamment les armes, sont moins sophistiqués que ceux des
Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon, et pourtant la Corée du
Nord les trouve suffisants pour se défendre.
13 000 pièces d’artillerie à longue portée et lance-roquettes
multiples (selon une évaluation américaine) ont été déployés en
sous-sol. «65% des effectifs et 80% des pièces d’artillerie de
campagne et des missiles se trouvent concentrés à 96 km ou
moins du 38e parallèle (Military Balance de 1998-1999 de l’Institut
britannique des affaires stratégiques internationales).» Kang In
Dok, président du Conseil sud-coréen pour l’unification, a dit: «La
Corée du Sud est, depuis déjà les années 80, à la portée des
missiles du Nord. Le Nord a déjà déployé des missiles à portée de
600 km, donc à même d’atteindre tout le territoire sud-coréen,
tandis que la Corée du Sud ne construisait qu’un missile à portée de
80 km.» Si la Corée du Nord est attaquée par les Etats-Unis, la
Corée du Sud et le Japon, tous ces canons ouvriront le feu
simultanément.
De plus, des missiles balistiques et des ICBM frapperont, par
mesure de représailles, les territoires des Etats-Unis, de la Corée du
Sud et du Japon. Le 19 décembre 1998, le Rodong Sinmun a publié
une affiche illustrée où trois missiles marqués des lettres «Corée du
Juche» visent des avions portant les noms de Washington, de Séoul
et de Tokyo, image au-dessous de laquelle on lit: «La cible de
l’attaque est claire.» On dirait un avertissement sévère à l’adresse
des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon.
67
Secundo, les Etats-Unis ne sont pas décidés à faire la guerre à la
Corée du Nord.
Le «plan d’opérations 5 027», scénario d’une guerre éventuelle
en cas d’urgence dans la péninsule coréenne, élaboré par le Comité
américain des chefs d’état-major, remonte aux années 60, et il a été
modifié tous les dix ans. Ayant pris sa fonction, le président Clinton
l’a fait revoir. Puis, en 1993, examinant le rapport présenté, il a
renoncé au projet de guerre contre la Corée du Nord.
D’après le résultat d’un simulacre de guerre, (1) 540 000
hommes, soit la moitié des effectifs américains, devraient être
mobilisés inévitablement pour cette guerre qui connaîtrait une bataille
âpre de 120 jours au moins, (2) des millions de victimes seraient
dénombrées parmi les civils, (3) le nombre des soldats américains
tués équivaudrait à celui des soldats américains tués pendant trois ans
de guerre de Corée ou dix ans de guerre du Viêt-nam (52 000), et (4)
la péninsule coréenne et les pays voisins se ressentiraient gravement
de la radioactivité émanant des centrales atomiques bombardées. La
guerre du Golfe avait fait 1 000 morts parmi les soldats américains,
et les gens aux Etats-Unis, tout exaltés qu’ils fussent par la victoire
obtenue dans une guerre ayant mobilisé des techniques de pointe,
n’avaient pu cacher leur stupeur devant ces pertes humaines qui leur
inspiraient toujours davantage l’horreur de la guerre.
Comment accepter la perspective d’un nombre de morts
équivalant à celui déploré par eux pendant la guerre de Corée ou celle
du Viêt-nam? De ce point de vue, il n’est certainement pas dans les
intentions des Etats-Unis de faire la guerre à la Corée du Nord.
De plus, les Etats-Unis ne sont plus seuls à posséder l’arme
nucléaire, et leurs alliés ne sont plus dépourvus de centrales
atomiques comme naguère. Désormais, si la guerre éclatait, les
centrales atomiques seraient l’objet de l’attaque qui la transformerait
inévitablement en une guerre nucléaire. Les Etats-Unis, qui
avaient largué deux bombes atomiques sur le territoire japonais,
n’ont plus recouru depuis à ce genre d’attaque bien qu’ils aient eu
68
de nombreuses guerres à mener. Ils ne le pouvaient plus, vu les
conséquences affreuses et catastrophiques de la bombe atomique.
La guerre du Golfe n’était pas une guerre nucléaire, mais la
plupart des soldats américains qui y ont participé se plaignent
d’une fatigue chronique, inappétence, de la perte de mémoire et
d’autres symptômes particuliers qu’on appelle «syndrome de la
guerre du Golfe». Dans son rapport publié en mars 1998, le
«Centre pan-américain pour la compensation de la guerre du
Golfe», organisation des militaires en retraite, a indiqué qu’il
s’agissait probablement des effets de la radioactivité des bombes à
uranium amoindri employées en grande quantité du côté américain
pendant cette guerre, la première du genre où fût utilisée cette
bombe fabriquée avec l’uranium naturel après extraction de
l’uranium 235, ce en vue de détruire les chars et les positions
de l’armée irakienne.
Selon ce rapport, près de 400 000 hommes, soit 75% des
participants de cette guerre, ont subi sous telle ou telle forme les
effets radioactifs de l’uranium réduit pendant ou après les hostilités.
Diverses autres hypothèses circulent à propos des causes du
«syndrome de la guerre du Golfe», dont celle qui l’attribue à la
destruction intentionnelle des ogives à gaz toxique par l’Irak, mais la
thèse de la bombe à uranium amoindri passe pour la plus crédible, de
si nombreux participants de cette guerre révélant des symptômes
identiques."
Comme mentionné ci-dessus, une guerre éventuelle, de nos
jours, même sans être nucléaire, peut bien faire subir une forte
radioactivité aux combattants et aux civils habitant dans la région.
Inutile de parler des conséquences d’une guerre nucléaire.
Si la Corée du Nord est attaquée, elle lancera sans tarder des
missiles vers les bases militaires américaines et les centrales
nucléaires situées en Corée du Sud et au Japon. Le propre de la
tactique de guérilla est de prendre ses armes à l’ennemi pour
s’équiper ou d’en tirer profit pour attaquer le talon d’Achille de
l’adversaire.
69
L’explosion d’une centrale nucléaire peut, dit-on, produire le
même désastre que le largage de 10 000 bombes nucléaires. On n’a
qu’à lire la Centrale nucléaire à Tokyo!, livre de Hirose Takashi,
pour constater que les conséquences de la destruction d’un réacteur
dans une centrale atomique dépassent l’imagination. Sans aucun
doute que le Japon ou la Corée du Sud se convertiraient en «mers de
feu» ou en champs de cendres si un seul missile frappe juste une
centrale atomique. D’autre part, le territoire américain subirait
cruellement l’attaque de représailles lancée par des missiles
balistiques à portée intercontinentale. Il en est de même pour les
porte-avions américains quand ils seront attaqués par des missiles.
La Corée du Nord n’a pas besoin d’équiper ses missiles
balistiques d’ogives nucléaires.
Cependant, la guerre se transformera inévitablement en une
guerre nucléaire.
Les Etats-Unis ne pourront entrer en guerre contre la Corée du Nord, à
moins d’admettre les graves dégâts qu’ils subiraient sur leur propre
territoire, en plus de l’extermination de leurs soldats stationnant en Corée
du Sud et au Japon et de la destruction de la péninsule coréenne et du
Japon. Ils ne peuvent prendre le parti de déclencher la guerre.
Tertio, les Etats-Unis ne sont pas en état de mener à terme une
guerre éventuelle contre la Corée du Nord.
Ils ont déjà éprouvé l’amertume d’un échec en Corée et au Viêtnam. S’ils ont crié victoire à gorge déployée à l’issue de la guerre du
Golfe, ils n’avaient pas atteint leur premier objectif: renverser ou
éliminer le régime Hussein. Peut-on parler dès lors d’une victoire?
Ils ont menacé militairement l’Irak à propos de l’inspection
des armes de destruction massive et l’ont attaqué, en décembre, par
missiles, avec la Grande-Bretagne.
En quatre jours, apprend-on, un total de 415 missiles de croisière
ont été lancés, contre 290 Tomahawk lancés pendant 45 jours de
guerre du Golfe.
D’après 1’«estimation des résultats de l’opération» faite par le
département américain de la Défense, 30% seulement des cent et
70
quelques objectifs d’attaque furent «anéantis» ou «gravement
endommagés», et «le développement de missiles par l’Irak a été
retardé d’un an» (William S. Cohen, secrétaire à la Défense
américain).
Le régime Hussein subsiste.
De plus, les autres membres permanents du Conseil de sécurité de
l’ONU ont blâmé l’attaque contre l’Irak. La Russie en particulier s’y
est opposée énergiquement en rappelant ses ambassadeurs des EtatsUnis et de la Grande-Bretagne. La communauté internationale s’est
refusée à l’approuver et à y apporter sa coopération.
«La punition de l’Irak s’est soldée par un résultat équivoque ...
"La communauté internationale" a éprouvé de l’aversion et de
l’indignation devant l’emploi, par le supergrand unique (les EtatsUnis) et son allié exclusif (la Grande-Bretagne), selon leur logique,
des plus puissantes forces armées au monde. C’est la réalité (Asahi
Shimbun, le 21 décembre 1998).»
La poursuite de l’inspection est devenue difficile. «Avec les
bombardements aériens, l’inspection de l’ONU sera impossible»,
disait le président Clinton. Après l’attaque, Ramadan, vice-président
de l’Irak, a déclaré que «l’UNSCOM (U.N. Spécial Commission),
groupe d’espions, est du passé», laissant entendre son refus
d’admettre désormais l’inspection.
On prévoit par ailleurs une montée éventuelle de la sympathie des
pays arabes avec l’Irak et de leur antiaméricanisme.
En effet, des manifestations mobilisant des milliers ou des
dizaines de milliers de personnes se sont succédé contre les EtatsUnis et la Grande-Bretagne en Egypte, en Syrie, au Yémen, en
Jordanie, au Soudan, en Libye et ailleurs. Les observateurs
occidentaux prévoient une situation plus difficile pour les Etats-Unis,
auteur de l’attaque et des sanctions, que pour l’Irak qui en a été
victime.
Guardian, journal britannique, constatait: «Si cela se répète, les
avions civils britanniques risqueront toujours plus d’être attaqués par
les terroristes, la Grande-Bretagne s’attirera une antipathie croissante
71
du monde arabe et entamera l’orthodoxie de l’ONU et s’enlisera dans
une plus grande impasse en Europe.»
Il en est sans doute de même pour les Etats-Unis comme pour la
Grande-Bretagne. Quant au gouvernement japonais, il s’est hâté à
soutenir l’attaque aérienne contre l’Irak. De l’avis de certains, l’un
des mobiles de cette attitude est l’espoir que les sanctions militaires
appliquées contre l’Irak auraient pour effet de dissuader la Corée du
Nord. Celle-ci n’est pourtant pas l’Irak.
La situation politique et militaire dans la péninsule coréenne
diffère de celle du Moyen-Orient.
L’Irak était quasiment sans défense quand il fut attaqué par les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Il a cherché à en profiter pour
s’attirer la sympathie internationale, et il y a réussi dans une certaine
mesure. Se laisser nuire, dirait-on, pour attendre qu’on puisse
abattre l’adversaire.
Par contre, la Corée du Nord, elle, a proclamé sans ambages que,
si elle était attaquée, elle userait de rétorsion. Elle a démontré
d’ailleurs cette capacité.
Si les Américains l’attaquent avec des missiles de croisière,
elle ne restera pas passive. Au reste, la Corée du Sud et le Japon, qui
craignent de graves dégâts en cas de guerre, ne souhaitent pas une
attaque de représailles pouvant provoquer une guerre. Si les EtatsUnis désirent attaquer la Corée du Nord avec des missiles, ils ne le
peuvent pourtant pas.
Le 18 décembre 1998, le ministère nord-coréen des Affaires
étrangères a déclaré: «Rien ne peut justifier l’attaque militaire
contre l’Irak, et il est intolérable de violer la souveraineté d’un
pays sous quelque prétexte que ce soit.» Déclaration bien
dissuasive pour les Etats-Unis.
La Corée du Nord pense empêcher les Etats-Unis de recourir à
la force.
Démontrer une puissance militaire capable d’user de
représailles et un fort esprit de résistance, voilà qui permettait, à
ses yeux, de vaincre sans subir de dommages. En fin de compte,
72
l’attaque aérienne américaine et britannique contre l’Irak a eu
pour résultat d’amener la Corée du Nord à durcir ses positions,
loin de produire l’effet de dissuasion escompté par le
gouvernement japonais.
De plus, les Etats-Unis sont aussi économiquement en
difficulté. Ils n’auraient pu assumer la guerre du Golfe s’ils
n’avaient pas reçu 9 milliards de dollars du Japon et la
contribution à la guerre de pays du Moyen-Orient.
Un expert militaire américain a évalué à cinq cents millions les
dépenses engagées pour les bombardements aériens sur l’Irak (en
décembre 1998). Kenneth Bacon, porte-parole du département
américain de la Défense, a reconnu qu’aucun des six missiles airair du dernier modèle lancés, le 5 janvier 1999, par les avions
américains lors d’un combat avec des avions irakiens aux environs
de la «zone d’exclusion aérienne», n’avait atteint sa cible. Un
missile de ce modèle coûte plus de 300 000 dollars (près de 33
millions de yens), prix exorbitant. Les dépenses d’une guerre sont
proportionnelles à sa durée. L’économie américaine, après le
récent boom, donne d’ores et déjà des signes de déclin comme
l’économie nippone.
Les Etats-Unis sont d’ailleurs le plus grand débiteur du
monde.
Et ils ne sont plus en état de se permettre de faire la guerre à la
seule fin d’engraisser leurs monopoles de l’industrie de guerre.
Pis encore, la guerre moderne n’apporte pas seulement du
profit au pays vainqueur.
Combien la guerre du Golfe, appelée «guerre du pétrole», a-telle profité aux Etats-Unis victorieux? Ils sont le plus grand
acheteur du pétrole irakien dont l’exportation a été autorisée,
après cette guerre, pour des raisons humanitaires. C’est que le
produit de ce pays est bon marché. Il entre pour 8 % dans leurs
importations de pétrole.
Aussi les sanctions économiques et militaires appliquées
contre l’Irak causent-elles des difficultés à eux-mêmes.
73
Le président Clinton cherche à faire face simultanément à
l’Irak et à la Corée du Nord, qu’il considère comme les plus
grandes menaces. Cependant, on dirait à juste titre que les EtatsUnis, déjà en difficulté du fait de la crise irakienne qu’ils ont créée
sans même parvenir à éliminer Hussein, sont incapables de faire face
également à la «plus grande menace pour leur sécurité (au problème
nord-coréen)» (Benjamin A. Gilman, président de la commission
des relations internationales de la Chambre des représentants des
Etats-Unis). Le fait est que, si les Etats-Unis osent proclamer:
«Notre force se manifeste par des efforts diplomatiques et un appui
militaire puissant» (le président Clinton) et recourent à la
traditionnelle diplomatie de la canonnière, ils sont contredits et
raillés partout dans le monde entier et de plus en plus hors d’état
d’exercer leur puissance militaire et d’user de menaces efficaces.
Quarto, les Etats-Unis n’ont aucune raison valable d’entrer en
guerre contre la Corée du Nord.
Les Américains se demandent: «Pourquoi nos jeunes
devraient-ils mourir pour le compte d’autres pays?» Ils sont
maintenant peu enclins à penser que les Etats-Unis doivent se
conduire en «responsable de la sécurité» et en «gendarme»
international.
Naguère, ils devaient combattre le socialisme et le
communisme, l’URSS étant une «puissance démoniaque».
Aujourd’hui, le socialisme n’a plus de zone d’influence
particulière, et il importe peu aux simples Américains qu’un petit
pays de l’Extrême-Orient tienne au socialisme.
Barry Blechman, président du Centre Henry L. Stimson, disait:
«Plus on multiplie les menaces de sanction militaire, plus s’accroît le
danger de mort pour les soldats américains et plus l’opinion publique
réagit davantage contre. On ne comprend surtout pas pourquoi les
Etats-Unis s’immiscent dans des litiges après la guerre froide.
«Quand on se préoccupe du prix de revient constitué par des vies
humaines et l’opinion mondiale, la menace ne peut atteindre
l’objectif proposé, plutôt elle donne prise à la ruse de l’adversaire.»
74
Ceci dit, l’opinion américaine considère elle-même que la
domination exclusive des Etats-Unis, déjà bourrée de contradictions,
s’achemine vers l’échec.
Telles sont les raisons pour lesquelles ni les Etats-Unis ni la
Corée du Nord ne déclencheront une seconde guerre de Corée.
En cas de guerre, si les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon ne
seront pas vaincus, ils ne seront pas non plus les vainqueurs.
Une guerre nucléaire causera des dégâts sans commune mesure,
et personne n’y gagnera rien.
Ce qui restera après, ce ne seront que des victimes sans
nombre, que des territoires ravagés et pollués par la radioactivité.
Les obstacles politiques à l’éclatement de la guerre
L’examen de la conjoncture politique et diplomatique où se
trouve la péninsule coréenne permet d’affirmer que la guerre
n’éclatera pas, qu’elle ne pourra être déclenchée. En voici les
raisons.
Premièrement, les rapports nord-coréo-américains sont devenus,
sous l’effet de l’accord historique intervenu en 1994, de rapports
antagoniques, des rapports de confiance naissante, et ils tendent à
l’établissement de relations diplomatiques par la voie du dialogue.
Dans cet accord, les Etats-Unis ont donné, pour la première fois,
à la Corée du Nord 1’«assurance officielle qu’ils n’emploieront pas
l’arme nucléaire contre elle ni ne la menaceront avec elle», et les
deux parties se sont engagées à «s’efforcer en commun pour la
dénucléarisation, la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne».
Tant que l’accord-cadre RPDC-USA sera en vigueur, les deux
parties ne pourront déclencher la guerre l’une contre l’autre.
Deuxièmement, diverses voies de dialogue relient les deux
pays, et des structures diverses sont en place pour garantir la sécurité
de la péninsule coréenne.
75
Dans de nombreux cas, la guerre provient d’une méconnaissance
d’une partie par l’autre. Un dialogue ininterrompu peut faire toujours,
ou presque, éviter la guerre même à des pays ennemis.
Après l’adoption de l’accord-cadre RPDC-USA, ont vu le jour
dans la péninsule coréenne des structures propres à assurer la
sécurité, telles que la KEDO, le projet de construction de réacteurs à
eau légère, les négociations sur les missiles, les pourparlers entre les
généraux, le déterrement commun des cendres des soldats américains,
la conférence quadripartite, structures qui fonctionnent effectivement.
Elles sont devenues toutes des cartes diplomatiques à la
disposition de la Corée du Nord. Tant que ce pays aspirera à la paix et
à la sécurité de la péninsule, il ne cherchera pas à s’en servir pour
déclencher la guerre. Au reste, il possède maintenant la puissante
carte qu’est son satellite artificiel, et les Etats-Unis sont obligés d’en
tenir compte.
Troisièmement, de fortes évolutions tendant à la coexistence et à
la coprospérité, axées sur des échanges économiques non
gouvernementaux, ont lieu entre le Nord et le Sud de la Corée.
Il est hors de doute que les deux tendront essentiellement à
coexister, malgré d’éventuelles péripéties. Si la guerre éclate, le feu
les submergera et la nation coréenne courra à sa perte.
Les habitants des deux parties en sont conscients. En effet, la
Corée du Sud serait exposée aux plus grands dégâts et désirerait
donc ardemment éviter la guerre. Et les Etats-Unis ne pourraient
l’ignorer ni déclencher la guerre à leur gré.
Quatrièmement, la Corée du Nord et les Etats-Unis, parties
intéressées dans le problème de la péninsule coréenne, sont appelés à
mettre un terme à la structure de la guerre froide dans cette région.
C’est une nécessité historique.
L’Accord d’armistice de Corée stipule le remplacement de cet
acte par un accord de paix. Et les Etats-Unis, qui ont toujours
méconnu ce problème, ne peuvent plus, vu la fin de la guerre froide,
éviter leur devoir et leur responsabilité de modifier leur politique
vis-à-vis de la péninsule coréenne. Cela s’est concrétisé dans
76
l’accord-cadre RPDC-USA et la conférence quadripartite, engagée
sur l’initiative des Etats-Unis et de la Corée du Sud. Lors du 3e tour
de cette conférence, on est tombé d’accord sur la mise sur pied
d’une sous-commission après que la Corée du Nord avait proposé
de mettre à l’ordre du jour le problème de l’évacuation des
troupes américaines stationnant en Corée du Sud et que les EtatsUnis et la Corée du Sud y avaient répondu en suggérant la
possibilité de «discuter d’une nouvelle répartition des forces armées
dans la péninsule coréenne». L’essentiel du problème de la
péninsule coréenne, c’est la question des rapports militaires entre la
Corée du Nord et les Etats-Unis. Il s’agit donc d’annuler et de
neutraliser le rôle des troupes américaines stationnant en Corée du
Sud. Les Etats-Unis sont obligés de prendre cette orientation.
On apprend que la Corée du Nord a proposé en octobre que les
pourparlers des généraux de l’Armée populaire de Corée et des
«forces des Nations unies», qui ont démarré en juin 1998, soient
élevés au rang de pourparlers tripartites des généraux de l’Armée
populaire de Corée, des troupes américaines et de l’armée sud-coréenne pour mettre sur pied à Phanmunjom une «commission
militaire conjointe» composée de généraux des trois parties. La
Corée du Nord se propose de remplacer l’Accord d’armistice de
Corée par un accord de paix et de mettre sur pied un nouveau
système de paix, ce en vue d’annuler et de neutraliser le rôle
des troupes américaines stationnant en Corée du Sud. Tout porte à
croire que le problème de la sécurité de la péninsule coréenne évoluera
dans cette direction.
La Corée du Nord amène les Etats-Unis à modifier
leur stratégie asiatique
La guerre froide ayant pris fin, les Etats-Unis s’étaient proposé
de réduire les effectifs américains en Asie (rapports sur la défense de
1990 et de 1992). Cependant, se heurtant au mécontentement et à
77
l’opposition énergiques de leurs alliés, ils se sont fait un revirement
et ont opté pour une stratégie mondiale inspirée de la «proposition de
Nye», ancien assistant au secrétaire à la Défense. Cette proposition
consistait à renforcer les alliances des Etats-Unis et à mettre sous
leur contrôle le «parapluie des renseignements» en "plus du
«parapluie nucléaire» pour qu’ils s’acquittent comme toujours de
leur responsabilité de supergrand. Elle s’est concrétisée dans la
«stratégie américaine sur la sécurité en Asie de l’Est et dans le
Pacifique» (rapport sur la stratégie est-asiatique), publiée par le
département américain de la Défense en 1995.
En substance, ce rapport préconise: (1) de charger les pays alliés
des dépenses militaires en contrepartie du «parapluie nucléaire»
fourni et du «rôle dirigeant» joué en leur faveur; (2) de faire
stationner 100 000 soldats américains en Corée du Sud et au Japon.
Pour sa part, Walter Slocombe, sous-secrétaire à la Défense, a
affirmé au Congrès américain que la «stratégie asiatique des EtatsUnis dans l’après-guerre froide consistait, premièrement, à renforcer
les relations avec les pays alliés, deuxièmement, à maintenir le
déploiement militaire et, troisièmement, à promouvoir des relations
stables et durables avec la Chine».
De ce fait, la Corée du Sud et le Japon sont obligés d’accroître
sans cesse leur «budget de charité» pour le maintien des troupes
américaines. Par exemple, la première verse 399 millions de dollars
pour le maintien de 36 000 soldats, ce qui pèse lourd sur elle, déjà
prise dans l’état de la crise causée par l’intervention du Fonds
monétaire international. Quant au Japon, les Américains l’apprécient
comme un «bon élève» parce qu’«il est le plus généreux parmi
leurs alliés, offrant annuellement cinq milliards de dollars aux pays
ayant besoin d’une aide permanente» (rapport sur la stratégie estasiatique de 1998).
Cependant, la Corée du Sud et le Japon sont, de toute évidence,
assez bien placés pour se rendre compte que cette «stratégie» qui va
à contre-courant de la détente, marquée par la fin de la guerre froide,
l’accord-cadre RPDC-USA, etc., est en dérive comme l’est la
78
«stratégie de la double confrontation» (stratégie voulant faire face
simultanément à une crise militaire dans la péninsule coréenne et au
Moyen-Orient), déjà censée avoir échoué.
Récemment, le Japon a ressenti douloureusement que les EtatsUnis ne lui fournissent pas tous les renseignements nécessaires
même lorsqu’ils les trouvent «vitaux pour lui». Malgré le «parapluie
nucléaire» qu’ils ont promis au Japon, les Américains n’ont pas fait
appel à leurs forces de dissuasion nucléaires en sa faveur lorsqu’une
crise mettant enjeu son destin était survenue. Il en est de même pour
la Corée du Sud. Comment employer d’ailleurs les forces
nucléaires pour leurs alliés alors qu’eux-mêmes n’ont pu le faire
dans une guerre où il allait de leurs propres intérêts? Difficile de
considérer comme des forces de dissuasion des forces nucléaires dont
on ne peut faire usage. Cela, la Corée du Sud l’a compris il y a peu de
temps seulement.
Les Etats-Unis ont publié, en novembre, un nouveau «rapport sur
la stratégie est-asiatique» dans l’espoir de remettre sur la voie
l’alliance américano-nippo-sud-coréenne et d’apaiser la Corée du
Sud et le Japon. Ils ont préconisé un renforcement de leur alliance
avec eux et leur ont promis le maintien d’«un contingent américain
de 100 000 hommes» en Asie. Auprès du Japon, en déclarant que
l’«alliance américano-nippone est capitale dans leur stratégie
asiatique», ils ont insisté sur la nécessité d’adopter un nouveau
guide de collaboration nippo-américaine pour la défense. D’autre
part, ils ont exprimé leur «compréhension» pour 1’«indignation» du
Japon, en arguant que «le "lancement d’un missile" en août par la
Corée du Nord prouve qu’elle est une menace pour la sécurité de la
région». Pour apaiser la Corée du Sud, ils ont tenté de se montrer
intransigeants, prêts à user de représailles militaires contre la
Corée du Nord, en déclarant qu’«ils assureraient la sécurité par des
moyens diplomatiques ou autres».
Malgré cela, d’inévitables divergences dans la politique nordcoréenne divisent les Etats-Unis, toujours prêts à aggraver la tension
sous différents prétextes, tels que ceux du satellite artificiel et du
79
«soupçon d’installations nucléaires souterraines», la Corée du Sud
— dont la position tranche souvent avec la leur— qui ne le souhaite
cependant pas et le Japon qui se retrouve plus d’une fois seul.
Les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon ont multiplié entre
eux les contacts bilatéraux au sommet pour réaffirmer leur alliance,
mais le désaccord et l’antagonisme qui les divisent s’avèrent
irréductibles. Dans son éditorial du 24 novembre, Mainichi Shimbun
signalait: «Quand les Etats-Unis prennent le parti d’engager une
action militaire, la Corée du Sud ne l’accepte jamais... La cause
essentielle de leurs dissonances réside dans l’obstination de la Corée
du Sud dans l’idée qu’"elle est seule capable de pénétrer les
intentions de la Corée du Nord" et dans l’arrogance des Etats-Unis
qui "se considèrent comme avoir obtenu, seuls, à force de
négociations difficiles, des renseignements sur la Corée du Nord
et avoir ainsi trouvé les contre-mesures qui s’imposaient".» Cette
crise nerveuse est une expression de la distance entre les trois et
de l’inquiétude que leur inspire l’instabilité de leur alliance.
La stratégie de la Corée du Nord vis-à-vis des Etats-Unis vise à
l’emporter sans user d’armes. La guerre chaude ne ferait que ravager
la péninsule coréenne. De ce fait, la Corée du Nord fait de ses armes
et de ses forces militaires une carte politique et diplomatique pour
contraindre les Etats-Unis à s’engager dans la voie de la paix.
Stratégie qui produit ses effets d’ores et déjà, les Etats-Unis étant pris
dans un étau comme un éléphant tombé dans une fourmilière ou pris
dans une toile d’araignée. Certes, les fourmis ou les araignées ne
sont pas en état de tuer un éléphant. Cependant, elles sont capables
de le conduire là où elles l’entendent.
Ebata Kensuke constatait: «Si le monde considérait les missiles
comme des armes militaires, il faut dire qu’ils les ont définis comme
des armes politiques. "Ces armes destinées à menacer", il est déjà
significatif d’en disposer.»
La Corée du Nord n’a pas besoin d’en disposer. Il lui suffit de
montrer seulement ses capacités dans ce domaine.
80
Le Président Kim Il Sung a dit: «Nous n’avons ni la volonté ni la
capacité de développer d’armes nucléaires. Nous accepterons
l’inspection nucléaire à condition qu’elle respecte l’équité.» Or, les
Etats-Unis ont fait grand tapage autour du «soupçon nucléaire». La
Corée du Nord ne doutait pas de l’effet que produirait le lancement
d’un satellite artificiel, lequel lui attirerait certainement le soupçon
de disposer de missiles balistiques intercontinentaux ou de satellites
militaires. Et elle a cherché à en tirer le maximum de profit. Bien
qu’au courant de cette tactique, les Etats-Unis ne peuvent que suivre
le chemin de la paix voulu par la partie adverse. Telle est la vérité
d’une guerre sans coups de feu.
Si un petit pays veut faire face à un supergrand, il doit recourir,
non pas à sa puissance militaire, mais à son art de parler, à son
cerveau. Depuis tant d’années, la Corée du Nord et les Etats-Unis se
livrent l’une contre les autres à une âpre «polémique». Des propos
tièdes du genre «La menace témoigne d’une méchanceté sans nom»
ne peuvent rien faire dans cette «guerre des paroles». La diplomatie
internationale, c’est la guerre des supercheries. Les Etats-Unis ne
reconnaissent que les forts, ils ne regardent pas les faibles. Pour
l’emporter sur eux, il faut faire preuve d’une intelligence et d’un
courage supérieurs aux leurs. Et le lancement d’un satellite artificiel
par la Corée du Nord a produit sur les Etats-Unis un effet beaucoup
plus fort, à la différence du |«soupçon de développement d’armes
nucléaires», car ce lancement équivalait à celui d’un missile
balistique intercontinental.
A l’annonce officielle de la réussite du lancement d’un satellite
artificiel par la Corée du Nord, les Etats-Unis ont proposé de
conclure les négociations de haut niveau RPDC-USA qu’ils
différaient depuis août et d’augmenter l’aide alimentaire à la Corée
du Nord de 200 000 tonnes à 300 000, à condition qu’on reprenne
premièrement la conférence quadripartite, deuxièmement, la
consultation sur les missiles, troisièmement, la fourniture d’huile
lourde, quatrièmement, qu’on entreprenne les travaux de
construction de réacteurs à eau légère et, cinquièmement, qu’on
81
reprenne les négociations sur l’élimination de la Corée du Nord de la
liste des «Etats terroristes». Les négociations visant à réexaminer
les «Etats terroristes» devant préparer l’adoucissement des sanctions
économiques, leur organisation pouvait être saluée par la Corée du
Nord. Le département d’Etat américain a souligné que «le gel
nucléaire s’avère important d’autant que la Corée du Nord a
développé le missile». Cela veut dire que le lancement du satellite
artificiel a accentué la conscience d’une crise des Américains et les a
contraints à d’importantes concessions.
Le Japon, se sentant «trahi», s’est plaint de ne savoir à quel saint
se vouer et a réagi vivement, en accusant le Congrès américain
dominé par le Parti républicain d’avoir offert du «miel» à la Corée du
Nord. Or, l’administration Clinton n’avait pas d’autres moyens.
Comme on l’a déjà signalé ci-dessus, il fallait, du point de vue de la
Corée du Nord, pousser les Etats-Unis, qui tergiversaient, à respecter
l’accord-cadre RPDC-USA. Tel était, sans doute, l’objectif visé par
1’«impact du missile balistique intercontinental».
Mesures dures et toile d’araignée
Les députés républicains enrageaient devant le lancement d’un
satellite artificiel par la Corée du Nord.
Staphe déclarait: «On a rénuméré de nouveau la Corée du Nord
qui jette un défi», Randy Cunningham, membre de la commission des
appropriations de la Chambre américaine des représentants:
«L’administration Clinton donne à la Corée du Nord du sucre (au
lieu de coups de matraque)», et Craig Thomas, président de la souscommission des affaires d’Asie de l’Est—Pacifique de la
commission des relations extérieures du Sénat américain: «L’accord
conclu avec la Corée du Nord n’a d’autre sens que celui d’une
feuille de papier.»
Le Congrès américain a forcé l’administration Clinton à
approuver graduellement les dépenses nécessaires à la livraison
82
d’huile lourde, à condition qu’avant le premier mars 1999 le
président, (1), nomme un nouvel envoyé spécial et réexamine la
politique nord-coréenne et, (2), fasse progresser l’éclaircissement du
problème des «installations nucléaires souterraines» et la
réglementation des missiles balistiques; à approuver après mars la
dépense de 15 millions de dollars, à condition qu’il assure, (1), de
promouvoir le dialogue Nord-Sud et, (2), de collaborer au scellement
des barres de combustible nucléaire; à approuver la dépense des 20
millions de dollars restants après le premier juin, à condition qu’il se
porte garant, (1), d’engager des négociations sur l’application de la
Déclaration conjointe sur la dénucléarisation de la péninsule
coréenne, (2), de parvenir à un accord sur une solution satisfaisante
du problème des «installations nucléaires souterraines», (3), de
faire progresser considérablement la consultation sur les missiles
balistiques. Le Congrès américain a ainsi fait tout son possible pour
freiner l’application de l’accord-cadre RPDC-USA et modifier la
politique nord-coréenne des Etats-Unis.
Cependant, la Corée du Nord s’y attendait et ne pouvait donc
que se féliciter d’avoir entraîné les Etats-Unis dans sa guerre sans
coups de feu.
On peut l’affirmer pour les raisons suivantes.
Premièrement, le lancement d’un satellite artificiel et le
développement de missiles balistiques ne vont pas à l’encontre de
l’accord-cadre RPDC-USA. James Rubin, porte-parole du
département d’Etat américain, disait: «Le développement de
missiles n’est pas une violation directe de cet accord.» Retarder
l’application de cet accord sous prétexte du satellite artificiel et de
missiles, ce n’était donc que fournir à la Corée du Nord un argument
ad hominem. Si les Etats-Unis retardaient sciemment ou non, la
Corée du Nord leur annoncerait l’annulation de cet accord. Cela les
mettrait dans un mauvais pas, les privant du moyen de bloquer son
«développement d’armes nucléaires».
Deuxièmement, le négociateur américain a été élevé à un rang
supérieur.
83
Perry, ancien secrétaire à la Défense, a été nommé coordinateur
de la politique nord-coréenne des Etats-Unis, ce qui veut dire que le
dialogue s’est élargi et que son niveau s’est élevé, ce qui bénéficie
à la Corée du Nord. Car une crise militaire sera exclue du moins
pendant le dialogue. «On voit percer une intention de restructurer la
politique nord-coréenne, de l’axer sur la Maison Blanche, et non
plus sur le département d’Etat (Yomiuri Shimbun, le 14 novembre
1998).» On estime par ailleurs que l’influence du Congrès
américain s’est accrue et ainsi de suite. Or, cela n’intéresse guère la
Corée du Nord de savoir qui a été chargé du problème du côté
américain. Car, quoi qu’il en soit, les Etats-Unis ne peuvent pas
détruire l’accord-cadre RPDC-USA sur lequel ils doivent se guider
obligatoirement dans leurs négociations. Le coordinateur de la
politique est censé «avoir pour tâche de réexaminer sur tous les
plans l’ensemble de la politique nord-coréenne des Etats-Unis».
Pourtant, Perry ne peut pas le faire de façon à annuler cet accord.
Plus la dispute s’aiguise entre l’administration et le Congrès
américains, plus elle peut profiter à la Corée du Nord. Plus on se
remue, plus on se fait serrer par la toile d’araignée, telle est la
situation où se trouvent les Etats-Unis. Si l’accord-cadre reste
non appliqué et est annulé finalement, la Corée du Nord
renoncera au statut spécial qui lui fait différer son retrait du
TNP, qu’elle quittera officiellement. Puis, elle proclamera que,
«si elle n’a pas développé d’armes nucléaires à ce jour, elle le
fera désormais». C’est la dernière carte dont elle dispose pour
faire face aux Etats-Unis. D’ailleurs, les Américains disent:
«Une fois l’accord nucléaire annulé, la Corée du Nord tentera de
développer des armes nucléaires. Cet accord est le moyen le plus
efficace de la faire renoncer à en développer (Charles Kartman,
envoyé spécial américain chargé de négocier la paix en Corée).»
Toujours est-il qu’ils ne souhaiteraient pas que la Corée du Nord
agisse ainsi.
La guerre éclatera-t-elle alors? On peut affirmer que non. Car
l’administration et le Congrès américains chercheront à amadouer
84
la Corée du Nord pour qu’elle reprenne le dialogue, retourne au
TNP et cesse son «développement nucléaire». Ils n’ont pas d’autre
moyen. Qui sait qu’on en arrivera là, mais il est indéniable que
l’opposition du Congrès américain ne pourra réduire à néant le
cadre établi pour améliorer les relations entre les deux pays.
A ce propos, si le Congrès américain dominé par le Parti
républicain s’oppose à la politique nord-coréenne de
l’administration, c’est parce qu’il ne détient pas l’initiative, il n’y
a pas d’autres raisons. C’est le régime républicain Bush qui a
inauguré la politique d’adoucissement à l’égard de la Corée du
Nord, et c’est le régime démocrate Clinton qui s’en est tenu à
son «soupçon nucléaire». Certains experts en problème coréen
estiment: «Si le régime républicain avait subsisté, les relations
nord-coréo-américaines se seraient améliorées plus rapidement.
L’apparition du régime Clinton a imposé un long détour.»
Tout le monde sait que deux partis conservateurs dirigent la
politique aux Etats-Unis. Ils n’ont pas de différences sensibles
dans leur politique fondamentale: Les différences, s’il y en a,
viennent de ce qu’ils sont ou non au pouvoir. Lors de l’off-year
election de novembre 1998, malgré le «scandale sexuel» du
président Clinton, le Parti démocrate a accru le nombre de ses
sièges. Est-ce que l’opposition du Congrès à la politique
d’adoucissement s’en ressentira? C’est probable.
6. L’ECHEC DE LA TACTIQUE DILATOIRE ET LE
NOUVEAU SOUPÇON NUCLEAIRE
La politique de soft-landing vouée à l’échec
Avant et après l’adoption de l’accord-cadre RPDC-USA, en
1994, les Etats-Unis ont remplacé leur politique de
85
durcissement—dont l’essentiel est le mépris et l’hostilité—à
l’égard de la Corée du Nord par la politique d’adoucissement,
politique de soft-landing, comme ils l’appellent.
Elle a pour but d’éviter un conflit de front avec la Corée du
Nord, lequel provoquerait des dégâts catastrophiques, en
particulier, un grand désordre causé par une chute inattendue du
régime: (1) émeute d’une armée livrée au désespoir ou éclatement
soudain de la guerre; (2) apparition d’un grand nombre de
réfugiés; (3) lourd fardeau que constituerait pour la Corée du Sud
une «réunification par absorption»).
Convaincus qu’il leur était impossible de soumettre la Corée du
Nord par la guerre, moyen extrême, les Américains ont opté pour la
séduction. Elle suppose l’adoption de l’économie de marché par la
Corée du Nord et sa conversion au système capitaliste, en d’autres
termes, la «réforme» et l’«ouverture». L’expression soft-landing est
adorée des Etats-Unis «attachés à la paix». Au reste, elle est bien
accueillie par la communauté internationale, dominée par la doctrine
et les intérêts de l’Occident et où l’économie et le régime
capitalistes sortis vainqueurs de la guerre froide passent pour des
vérités absolues. Il n’y est pas question de prêter attention aux
analyses du genre de celle de John Kenneth Galbraith, économiste
américain: «Il est impossible de parler de l’échec du socialisme et du
triomphe du capitalisme.» Oui, le capitalisme l’a emporté, pense-t-on
en général.
Or, il y a des pays qui échappent à ce mode de pensée. La
Corée du Nord en est le meilleur exemple, disons. Jamais elle
n’«atterrira en douceur» ni n’abandonnera son système économique
socialiste. Car elle est déterminée à adhérer aux idées du Juche et à
sauvegarder jusqu’au bout le socialisme à la coréenne. Vouloir lui
faire modifier sa position, ce serait se permettre le despotisme propre à
une grande puissance.
Une interversion des rôles permettrait une meilleure
compréhension. Supposons donc ce qui suit: la guerre froide s’est
terminée par la victoire du socialisme, et la Corée du Nord veut
86
«imposer» comme condition pour leur existence l’économie et le
régime socialistes aux Etats-Unis et au Japon, pays ennemis; s’ils
n’acceptent pas la politique de soft-landing, la Corée du Nord met en
branle la communauté internationale dominée par les pays socialistes
pour les encercler, les isoler et leur imposer le blocus économique;
s’ils s’opposent encore, elle les «menace» de les écraser manu
militari. Les Etats-Unis et le Japon doivent choisir entre les trois
possibilités: (1) accepter son exigence pour se transformer en pays
socialistes; (2) refuser et lui faire la guerre; (3) recourir à la
diplomatie pour la coexistence et la coprospérité. Cependant, le fait
est qu’ils n’accepteraient pas la première solution, qu’ils
chercheraient à éviter la deuxième et qu’ils préféreraient la troisième.
La Corée du Nord a pour adversaire les Etats-Unis, supergrand
qui détient tous les renseignements militaires, économiques et
politiques du monde.
Pourtant, ce pays ne s’est pas écroulé; au contraire, il parvient,
selon toute apparence, à faire accepter par la partie adverse ses revendications l’une l’autre et cimente systématiquement les assises du
régime Kim Jong Il. La diplomatie que poursuit avec acharnement la
Corée du Nord pour sa survie contre les Etats-Unis, la Corée du Sud
et le Japon, c’est une guerre sans coups de feu.
Ni les «rayons de soleil» ni le «vent
du nord» n’ont d’effet
Le chef de l’exécutif sud-coréen, après sa prise de fonction, a
proposé à plusieurs reprises une «politique de tolérance à l’égard du
Nord», appelée «politique des rayons de soleil». Il estime que les
«rayons de soleil» sont plus efficaces que le «vent du nord» pour
enlever au Nord le gros manteau qu’est le socialisme et faire
coexister le Sud avec le Nord. Or, la Corée du Nord les a rejetés.
Pourquoi? Parce que la «politique des rayons de soleil» n’est
qu’une variante de la politique de soft-landing des Etats-Unis.
87
Lors des pourparlers entre le président américain et le chef de
l’exécutif sud-coréen, en novembre 1998, le «gouvernement» sudcoréen a substitué l’expression «politique de ralliement» à celle
«politique des rayons de soleil». La «politique de ralliement»
consistant à traiter comme compagnon ne diffère pas de la politique de
soft-landing. Produit d’une coordination de la politique des Etats-Unis
et de celle de la Corée du Sud, elle confirme que la «politique des
rayons de soleil» relève de la politique de soft-landing. Pak Tong
Won, secrétaire en chef chargé de la diplomatie et de la sécurité à la
Maison Bleue, a défini l’essence de la «politique des rayons de soleil»
comme suit: «Elle vise à ôter le manteau que porte le Nord, c’est-àdire celui d’une dure "société fermée", celui du système d’économie
planifiée fonctionnant sur des "ordres", celui de 1’"affrontement
militaire". Elle consiste à conduire le Nord à des changements et à
le vaincre sans lui faire la guerre, tout en maintenant notre dispositif
de sécurité.» Lors de sa visite aux Etats-Unis, le chef de l’exécutif
sud-coréen a déclaré que «cette politique avait pour but d’exiger du
Nord réforme et ouverture et d’encourager ses modérés».
En fin de compte, la «politique des rayons de soleil», malgré son
air de tolérance, vise essentiellement à modifier le régime du Nord,
espoir qui ne peut se réaliser. De ce fait, la Corée du Nord la rejette,
en la qualifiant de «politique de division».
La «politique du vent du nord» ne peut pas non plus être le bon
choix de la Corée du Sud. Le «régime» Kim Yong Sam, qui avait
pourtant proclamé: «La nation est au-dessus de tout», s’est orienté, à
l’occasion du décès du Président Kim Il Sung, vers une politique de
durcissement vis-à-vis du Nord, c’est-à-dire vers la «politique du vent
du nord», et a amené le gel des rapports Nord-Sud. Bévue que la Corée
du Sud regrette fort. La thèse de la «réunification par absorption»,
basée sur une réussite économique, s’est évanouie spontanément
quand la Corée du Sud a sombré dans une impasse économique. Elle
contredit d’ailleurs la politique de soft-landing des Etats-Unis qui,
voyant en ce «régime» un obstacle sur leur passage, lui ont
témoigné leur méfiance, aggravant ainsi l’antagonisme qui les oppose
88
à la Corée du Sud. L’actuel chef de l’exécutif sud-coréen a jugé
bon d’éviter l’erreur passée. Il n’aurait rien à gagner à exacerber la
tension et à provoquer ainsi la guerre.
L’actuel chef de l’exécutif sud-coréen invite le Nord à appliquer
l’«accord sur la réconciliation, la non-agression, la collaboration et les
échanges entre le Nord et le Sud» adopté en 1991. Le Nord doit
certainement désirer voir cet accord réalisé. Or, cet accord ne pourra
pas devenir réalité, tant que le Sud persévérera dans sa «politique
des rayons de soleil» ayant pour but d’obtenir la «réforme» et
l’«ouverture» du Nord et qu’il préconisera un stationnement à long
terme des troupes américaines.
Dans l’actuel contexte, le Nord et le Sud se trouvant tous les
deux confrontés à des difficultés économiques, il s’avère de plus en
plus nécessaire qu’ils coopèrent pour les surmonter, pour coexister
et parvenir à une coprospérité, ce sur la base de l’identité nationale.
L’heure n’est plus à une dispute sur la supériorité d’un idéal
politique ou d’un système économique sur un autre. Le Nord
n’acceptera pas la «politique des rayons de soleil», c’est certain,
mais je trouve que toutes les conditions sont réunies pour que le
dialogue Nord-Sud reprenne.
La tactique dilatoire en difficulté
La Corée du Nord est accusée parfois de temporiser. Le fait est
que ce n’est pas elle, mais les Etats-Unis qui emploient cette tactique.
Qu’est-ce qui a motivé les Etats-Unis à signer en 1994 l’accordcadre avec la Corée du Nord? C’est l’idée que la Corée du Nord
s’effondrerait bientôt. Ils ont fixé même l’an 2003 comme délai de
l’achèvement de la construction des réacteurs à eau légère promis, car
ils jugeaient que la Corée du Nord aurait disparu entre temps et qu’il
ne leur restait plus qu’à stopper son «développement d’armes
nucléaires». Robert Gallucci, représentant américain lors de
l’adoption de l’accord-cadre RPDC-USA, a avoué: «Si l’on n’a pas
89
pris en compte la thèse de l’écroulement de la Corée du Nord, on a
cependant envisagé qu’avec le temps elle perdrait de sa force et
n’aurait plus une puissance militaire suffisante pour menacer les
pays voisins.» Stanley Roth, assistant au secrétaire d’Etat
américain chargé des affaires d’Asie de l’Est—Pacifique, a reconnu:
«L’accord-cadre fut adopté, en supposant que la Corée du Nord
pourrait s’écrouler même le lendemain. Son essence, c’est la
tactique dilatoire: attendre l’affaiblissement de la Corée du Nord.»
Cette idée était partagée par la majeure partie des Américains.
Et la thèse de l’«effondrement» du régime Kim Jong Il persiste.
Il est vrai que la Corée du Nord se trouvait dans un mauvais pas du
fait d’une crise alimentaire et de difficultés économiques, pourtant
elle était politiquement stable.
«Presque tous partagent maintenant l’idée que le régime
Kim Jong Il ne s’effondrera pas immédiatement et que, pendant un
certain temps, la communauté internationale devra traiter avec
lui...Après le décès du Président Kim Il Sung, en juillet 1994, un
grand nombre d’Américains ont pensé que "la Corée du Nord
tomberait dans un ou deux ans". Cependant, les experts en sont
venus à juger que le régime Kim Jong Il se maintiendrait pendant
cinq ou dix ans encore», disait Izumi, ancien professeur à l’université
de la préfecture de Shizuoka, pour mentionner les changements
intervenus dans la conception américaine de la Corée du Nord.
La Corée du Nord ne donne aucun signe de «ruine» ni de softlanding. Le régime Kim Jong Il est d’une solidité inattendue. Les
Etats-Unis ont fait une erreur fatale.
Leur déloyauté à l’égard de l’accord-cadre RPDC-USA tient au
parti qu’ils ont pris d’attendre jusqu’à 1’«écroulement» de la Corée
du Nord. Et s’ils n’ont pas encore annulé les sanctions économiques
comme elle le souhaite, c’est qu’ils trouvent cela favorable à la
«survie» du régime Kim Jong Il. La tactique dilatoire des Etats-Unis,
loin d’amener la «fin» de la Corée du Nord, a permis à celle-ci de
faire pression sur eux et même de faire allusion à une résiliation
possible de l’accord-cadre. Déconcertés, les Etats-Unis ont mis en
90
cause l’exportation de missiles et invoqué le «soupçon
d’installations nucléaires souterraines», carte pour exercer de
nouvelles pressions sur la partie adverse, et ils sont retournés à
leurs positions dures, admettant l’action militaire.
Cela s’est prolongé par l’apparition de la thèse de la
«suspension» et même de celle de 1’«annulation» de l’accord-cadre.
A leur origine, il y a le regret qui s’exprime ainsi: «N’a-t-on pas
permis à la Corée du Nord de prendre le temps de développer des
armes nucléaires et des missiles qui renforceront la base de ses
négociations?» (Robert Manning, collaborateur supérieur du Conseil
des relations extérieures.)
Il est évident que l’annulation de l’accord-cadre attirerait
blâmes et reproches sur les Etats-Unis, qui l’auraient torpillé.
Avec le temps, leur situation devient délicate. Ont-ils gagné du
temps? Mais pour quoi faire? Les Etats-Unis sont embarrassés.
Au contraire, la Corée du Nord n’a qu’à attendre jusqu’à ce
qu’ils lâchent prise. Elle est prête à faire face à tout: la guerre
ou le dialogue et l’application de l’accord-cadre.
Les Etats-Unis lui ont fourni un prétexte—l’accord-cadre—et lui
ont promis un délai—l’an 2003. Plus ils temporiseront, moins ils
auront de temps pour appliquer l’accord-cadre. Si je ne me trompe,
la Corée du Nord n’a guère intérêt à des réacteurs à eau légère dont
l’achèvement est incertain et qui seraient tributaires de l’Occident
pour l’uranium enrichi. Car son objectif stratégique est de mettre fin
aux rapports hostiles avec les Etats-Unis, rapports engendrant une
menace militaire, d’où l’importance, pour elle, de l’accord-cadre.
Il semble que la Corée du Nord n’a plus guère la volonté et le
temps d’attendre. Son indignation et son anxiété provenant de
plus de cinq ans d’ajournement unilatéral de l’application de
l’accord-cadre par la partie adverse ont atteint presque leurs
limites.
91
Nouveau «soupçon nucléaire»
En août 1998, les Etats-Unis se sont mis à faire grand bruit autour
du «soupçon d’installations nucléaires souterraines». Le site dont il
s’agit se trouve dans la commune de Kumchang, arrondissement de
Taegwan dans la province du Phyong-an du Nord, à environ 40 km au
nord-ouest de Nyongbyon, région qui s’était déjà attiré du «soupçon
nucléaire». Aménagé depuis 1989, il a un espace intérieur d’environ
380 000 m2 pouvant en effet abriter à la fois une centrale atomique
de 200 000 kW et des installations de retraitement du combustible
usé. Non loin, on trouve un barrage presque prêt, appelé, dirait-on, à
fournir de l’eau de refroidissement et des câbles de transport de 3
000 V. Selon des sources sud-coréennes, les Etats-Unis seraient
parvenus à soutirer un échantillon de la terre et de l’eau de cette
commune, dont l’analyse aurait montré que le site servait à extraire
et à conserver du plutonium. Le gouvernement américain prétend
que plusieurs expériences ont eu lieu à proximité avec un détonateur
produisant la réaction en chaîne de fission nucléaire d’une substance
telle que le plutonium. Selon les services spéciaux américains, un
premier site aurait été détecté en 1996 parmi un total de sept.
Les soupçons se multipliaient quand, en novembre 1998,
Charles Kartman, envoyé spécial américain chargé de négocier la
paix en Corée, a visité la Corée du Nord, visite à l’issue de laquelle
il a soutenu l’absence de «preuves d’activité nucléaire tangibles»,
niant ainsi ce qu’il avait déclaré précédemment. Le 7 décembre
1998, lors d’un entretien avec Perry, coordinateur américain de la
politique nord-coréenne, en visite en Corée du Sud, Kim Dae Jung a
souligné: «Il n’y a pas de preuves convaincantes témoignant de
l’existence d’installations nucléaires ni de la violation par la Corée
du Nord de l’accord nucléaire conclu avec les Etats-Unis. Ce n’est
pas le moment d’abandonner la "politique de ralliement" pour lui
92
appliquer des sanctions.» Il a suggéré une solution globale des litiges
entre les Etats-Unis et la Corée du Nord.
Il y a des «renseignements», mais pas de preuves. Ces
renseignements sont de la même facture que les autres «soupçons»
ayant pesé sur la Corée du Nord. Seulement, on suppose que la Corée
du Nord ait tenté exprès, cette fois-ci, d’inspirer des soupçons.
Il est bien connu que la Corée du Nord a construit des ouvrages
souterrains, civils ou militaires. Le problème est de savoir si les
installations situées dans la commune de Kumchang sont de nature
nucléaire ou non. Un satellite militaire américain aurait découvert que
des milliers d’ouvriers effectuaient des travaux en sous-sol. Mais il
est étrange que la Corée du Nord ait construit des «ouvrages
nucléaires» interdits par l’accord-cadre d’une manière à les laisser
détecter par un satellite de reconnaissance. Car, si elle avait voulu en
mettre en place, elle l’aurait fait en secret, et, à fortiori, elle n’a rien à
gagner à développer des armes nucléaires. Jamais elle ne se
permettrait la stupidité de donner aux Etats-Unis un prétexte pour
annuler l’accord-cadre, se nuire ainsi et se jeter dans un nouveau
danger de guerre. Le bruit court que la Corée du Nord a accepté la
visite du site en question à condition qu’on paie l’indemnité
correspondante si l’on n’y trouve pas d’installations nucléaires. A
ce propos, son ministère des Affaires étrangères a déclaré: «Le
"soupçon d’installations nucléaires souterraines" est dénué de
fondement, il n’y a aucune autre installation nucléaire souterraine
que celles, gelées, du secteur de Nyongbyon.»
Le «soupçon» était cependant bienvenu pour les Etats-Unis qui
pensaient remédier à l’échec subi dans leur tactique dilatoire et par la
conclusion de l’accord-cadre. Ils ont fait allusion à une éventuelle
annulation de l’accord-cadre, disant notamment: «Les rapports entre
les Etats-Unis et la Corée du Nord se trouvent dans un mauvais pas
(Madeleine Albright, secrétaire d’Etat américain) — Si la Corée du
Nord ne parvient pas à nous débarrasser de notre "suspicion", les
Etats-Unis se réservent le droit de ne pas exécuter les stipulations de
l’accord de Genève (Rubin, porte-parole du département d’Etat
93
américain).» Le président Clinton a suggéré l’usage de la force
militaire, en insistant sans cesse sur la nécessité de réexaminer la
politique.
C. Kenneth Quinones, représentant de la Fondation d’Asie et
ancien analyste du problème coréen du département d’Etat américain,
ayant participé de 1993 à 1994 aux négociations nord-coréoaméricaines, a dit: «Le "soupçon d’installations nucléaires
souterraines" relève des efforts des pessimistes (américains) qui
voulaient semer la terreur chez les Sud-Coréens et les Américains
pour compliquer les négociations (Mall, revue mensuelle sudcoréenne, numéro de novembre 1998).»
On en vient à se demander: la Corée du Nord n’a-t-elle pas
voulu profiter du grand bruit que cela ferait aux Etats-Unis? —
N’a-t-elle pas choisi ces «installations souterraines» comme un
autre atout diplomatique contre eux pour aggraver la tension et les
contraindre à observer l’accord-cadre? Comme la Corée du Nord
s’est déclarée toujours prête à leur faire visiter le site en question
dans les conditions requises, il y avait tout lieu de considérer ce
«soupçon» comme un piège. Pourtant, les Etats-Unis n’ont pas le
courage de le faire. Le nouveau «soupçon nucléaire» a causé un
regain de tension entre les deux pays. On peut cependant d’ores et
déjà affirmer ce qui suit: (1) les Etats-Unis peuvent visiter ce site;
(2) cependant, ils n’y découvriront pas de preuves relatives au
développement nucléaire; (3) ils se retrouveront alors dans une
situation très défavorable; (4) le «soupçon nucléaire» sera résolu
de façon globale, et les rapports entre les deux pays
s’amélioreront d’emblée. Perry, ancien secrétaire à la Défense
américain et actuel coordinateur de la politique nord-coréenne,
disait: «Ces installations ne vont pas à l’encontre de l’accord-cadre
USA-RPDC de 1994 qui stipule le gel de la construction
d’installations de nature nucléaire à Nyongbyon. Cependant, on
peut affirmer qu’il s’agit d’un sujet nouveau qui nuit à l’esprit de
cet accord, qu’il déborde pourtant.» (Nihon Keizai Shimbun, le 16
octobre 1998.) Ainsi, en procédant au développement nucléaire, non
94
pas à Nyongbyon, mais ailleurs, la Corée du Nord n’enfreindrait
pas ledit accord. C’est que cet accord-cadre ne définit que le site de
Nyongbyon comme susceptible d’être inspecté par l’AIEA. Le
ministère nord-coréen des Affaires étrangères a répliqué: «Si un
"soupçon d’installations souterraines" pèse sur nous, nous n’avons
pas pour autant l’obligation d’être inspecté. L’accord-cadre
RPDC-USA ne la stipule pas.» Wu Dawei, ambassadeur chinois en
Corée du Sud, disait, dans Korea Herald (journal sud-coréen en
anglais), le 7 janvier 1999: «Aucun pays n’a le droit d’inspecter les
installations souterraines de la Corée du Nord. Si celle-ci exige la
compensation d’une telle inspection, je trouve cette position
juste», et il exprimait son souhait de voir ce problème résolu par
des négociations, conformément audit accord.
Comme la Corée du Nord respecte invariablement l’accord
qu’elle a conclu avec les Etats-Unis «désireux d’arrêter son
développement d’armes nucléaires» et comme elle n’a pas besoin
d’en développer, il est exclu de croire qu’elle dispose
d’installations nucléaires souterraines. Si, malgré cela, les
Américains se laissent aller à un second scandale de «soupçon
nucléaire», ils en viendront forcément à adopter un second accord
nucléaire avec la Corée du Nord au bout de démarches semblables à
celles de 1994. C’est alors qu’on la verra jouer la puissante carte
d’«installations nucléaires souterraines».
Les négociations nord-coréo-américaines, en décembre 1998 à
New York et à Washington, ne sont pas parvenues à un accord.
Cependant, la Corée du Nord a exigé des Etats-Unis la compensation
de l’inspection qu’elle leur aurait permise une seule fois, au cas où
le site en question ne révélerait pas l’existence d’installations
nucléaires. Quant aux Etats-Unis, ils ont préconisé l’admission
d’une inspection continue et d’autres concessions en remarquant
qu’«une solution satisfaisante du problème entre les deux parties
mènerait au développement des relations américano-nord-coréennes
et rendrait possibles l’annulation des sanctions, une aide alimentaire
95
importante». Cette évolution montre que les deux parties s’orientent
vers une seconde solution globale.
Certains voient dans les bombardements aériens américains et
britanniques sur l’Irak un avertissement et une «leçon» donnés à la
Corée du Nord refusant l’inspection, mais on dirait plutôt que cette
attaque a produit l’effet contraire.
L’AIEA a présenté en avril 1998, à Kofi Annan, Secrétaire
général des Nations unies, sur le soupçon de développement d’armes
nucléaires par l’Irak, un rapport où l’on mentionnait: «On n’a pas
découvert de dispositifs, de matières premières ou d’opérations
"destinés à développer des armes nucléaires". Rien qui éveille
soupçon.» D’après l’Irak, l’UNSCOM, chargée des armes
biochimiques, y opère depuis sept ans et a inspecté un total de plus
de 2 300 sites sans pourtant parvenir à s’acquitter de son devoir.
L’inspection est relativement facile quand il s’agit du développement
nucléaire qui nécessite installations de grande taille, mais il est aisé
d’élaborer des armes biochimiques n’importe où et avec un
équipement simple, autant que de les cacher. Or, les fabriques
pharmaceutiques, les usines de semi-conducteurs et les laboratoires
d’université peuvent être soupçonnés. De plus, l’Irak a qualifié
l’UNSCOM de «groupe d’espions» et a accusé son président exécutif
Butler (Australien) d’avoir prolongé à dessein, selon les directives
des Etats-Unis, l’inspection, d’avoir causé des ennuis et aggravé les
antagonismes. La Russie a exigé la destitution de Butler, et la
France a réclamé l’organisation d’une nouvelle UNSCOM et un
réexamen de la politique irakienne des Nations unies. New York
Times, le 7 janvier 1999, rapportait les propos de nombreux hauts
fonctionnaires de l’administration américaine, disant que des espions
américains faisaient partie de l’UNSCOM. Plus tard, Butler a
reconnu lui-même que des appareils de fabrication américaine avaient
été utilisés pour écouter en secret les autorités irakiennes.
L’attaque aérienne américaine et britannique contre l’Irak
montre que, même si un pays déterminé accepte l’inspection
d’organisations internationales sous l’égide des Etats-Unis,
96
l’opposition s’aggravera et qu’il hésitera alors à accepter
l’inspection nucléaire ou la destruction et l’inspection des armes
biochimiques.
La Corée du Nord a refusé et refusera toujours ce genre
d’inspection, c’est certain. Cette tentative de pression et de
harcèlement interminables, elle la considère comme l’expression de
la volonté de la démoraliser, à laquelle elle prend garde au plus haut
point. A preuve, elle n’a accepté qu’une seule inspection du site mis
en cause. Si les Etats-Unis insistent pour multiplier des inspections
pourtant non justifiées et aggravent la situation en contrepartie de son
refus, ils se retrouveront dans une impasse beaucoup pire que lors de
la crise irakienne.
Cohen, secrétaire à la Défense américain, a averti: «Si l’inspection
sur place du site est refusée, l’accord-cadre risque d’être annulé.»
Mais, en 1999, il a jugé bon de dire: «On constate une nette évolution
vers le changement—Les Etats-Unis ne pensent pas attaquer la Corée
du Nord.» De plus, critiquant la «thèse de la crise» circulant au Japon, il
a mentionné: «Pas question de crise de mars ni de crise d’avril. Ce ne
sont pas les Etats-Unis qui en ont parlé.» Somme toute, les Etats-Unis
cherchent à harceler la Corée du Nord pour lui causer de l’anxiété et
prendre le dessus sur elle. Il en est de même pour la Corée du Nord.
«Combat de coqs», dangereux à première vue, mais qui ne conduira
pas au pire, les deux parties ne cherchant qu’une bonne chance pour
l’emporter sur l’autre, tout en évitant la guerre. A preuve, Stanley
Roth, assistant au secrétaire d’Etat américain, a dit: «Il est stupide de
supposer que l’an 1999 décidera de l’"accord ou de la rupture"
(Mainichi Shimbun, le 12 janvier 1999).» A n’en pas douter, la Corée
du Nord et les Etats-Unis s’emploieront à trouver la solution nécessaire
par la voie du dialogue.
97
7. GUERRE SANS VAINQUEUR NI VAINCU
La voie de la coexistence et de la coprospérité
Quelle sera l’issue de cette guerre entre la politique de softlanding et la cause du socialisme? Qui l’emportera?
La stratégie fondamentale de la Corée du Nord est de gagner
sans recourir à la force armée, sans tirer un seul coup de feu. Elle
sait jouer ses diverses cartes, politique, diplomatique et militaire
comme on l’a vu, et sa puissance ne se laisse pas démentir.
Les Etats-Unis, cédant forcément à l’efficacité de ses atouts —
«nucléaire», missiles, satellite artificiel et «installations nucléaires
souterraines»—, se verront obligés d’aller vers l’établissement de
relations diplomatiques qu’elle veut. Si les troupes américaines
resteront quelque temps en Corée du Sud, ce ne sera qu’à titre de
force appelée à contribuer à la sécurité maintenue par les deux
pays, les Etats-Unis et la Corée du Nord, dans la péninsule
coréenne.
Ainsi la Corée du Nord sortira-t-elle finalement victorieuse de
cette guerre sans coups de feu. Elle aura obtenu beaucoup. Les
sanctions économiques seront abolies, et les capitaux et les
techniques de pointe des Etats-Unis et autres pays de l’Occident
seront mis à sa disposition, son économie se redressera. Et surtout la
paix régnera dans la péninsule coréenne, de même que seront créées
des conditions favorables à la réunification du Nord et du Sud par la
voie de la fédération.
Les Etats-Unis aussi en sortiront vainqueurs. Car ils n’auront
rien perdu en se conciliant avec la Corée du Nord, conciliation qui
mettra fin au danger de guerre dans la péninsule et facilitera ainsi
98
l’établissement de leur stratégie mondiale. Ils n’auront plus besoin de
la «stratégie de la guerre simultanée dans .deux régions».
Les deux parties se reconnaîtront l’une l’autre, établiront des
relations diplomatiques et opteront pour la coexistence et la
coprospérité.
Il est vrai que la diplomatie de la parole peut mener à la paix, à la
sécurité de la péninsule coréenne et lui bénéficier politiquement et
économiquement.
Après la guerre froide, la diplomatie .s’avère la principale
forme de rapports internationaux. On peut l’affirmer malgré la
guerre du Golfe, la première du genre depuis la fin de la guerre
froide, si l’on tient compte de l’évolution de la situation qui l’a
suivie.
En août 1998, les Etats-Unis, après l’attentat à la bombe contre
l’ambassade américaine à Nairobi, ont attaqué, par représailles, à
coups de missiles, le Soudan et l’Afghanistan, mesure presque
dénuée de fondement et d’une efficacité douteuse. Contrairement à
leurs attentes, ils se sont attiré l’hostilité des pays musulmans,
risquant ainsi de faire l’objet d’un terrorisme plus poussé à
l’échelle mondiale. Ils savaient eux-mêmes que leur attaque à coups
de missiles avait été inefficace pour combattre le terrorisme. Par
exemple, se moquant de cette puissance qui ne fait appel qu’au
missile de croisière pour attaquer ou menacer l’Irak, l’Afghanistan,
le Soudan et la Bosnie, Washington Post a surnommé le président
Clinton «Président au missile de croisière». La guerre régulière ne
peut être une réponse à l’attaque terroriste. Les Etats-Unis, contraints
de lutter contre les ennemis invisibles que sont les terroristes,
s’enlisent dans un gouffre toujours plus profond, si j’ose dire.
Au reste, la vue du cadavre d’un soldat américain mort en
Somalie, traîné par terre par une foule, transmise par le petit écran, a
effrayé les Américains, leur inspirant une vive horreur de la
guerre. De même, ils furent prompts à réagir aux pertes peu
importantes subies par les troupes américaines dans la guerre du
Golfe. C’est qu’«il était maintenant interdit à l’armée américaine
99
de subir de pertes en hommes» (James R. Schlesinger, ancien secrétaire à la Défense américain).
La «politique de force» des Etats-Unis a perdu rapidement de son
efficacité. La guerre ne peut que lasser les Etats-Unis et les mettre en
danger, eux qui sont contraints d’opter pour une diplomatie exempte
de l’usage de la force.
Le Japon voué à l’échec
Si la Corée du Nord et les Etats-Unis établissent des relations
diplomatiques, la Corée du Sud devra, bon gré mal gré, s’en
accommoder. Elle n’aura plus d’autre moyen que de se réconcilier
avec le Nord et d’opter pour la réunification par fédération supposant
la coexistence et la coprospérité.
Quel pays cela embarrassera-t-il le plus? C’est le Japon.
Le premier ministre Obuchi a proposé au président Clinton une
conférence entre six parties, qui réunirait le Japon et la Russie en
plus de la Corée du Nord, des Etats-Unis, de la Corée du Sud et de la
Chine, participants d’une conférence quadripartite déjà suggérée.
Le chef de l’exécutif sud-coréen nourrit la même idée, et la Russie, de
son côté, y fait souvent allusion dans un sens favorable. Pourtant, le
Japon et la Russie auront des difficultés pour intervenir dans les
affaires de la péninsule coréenne, qui ne les regardent pas. D’ailleurs,
la Corée du Nord ne l’admettra pas.
Surtout que le Japon n’est qu’un obstacle à l’établissement de
la paix par la Corée du Nord et les Etats-Unis, au lieu d’y contribuer.
La Corée du Nord a déclaré catégoriquement qu’elle refuserait un
tête-à-tête avec lui dans la mesure où il s’acharne à se transformer en
une puissance militaire, s’obstinant à faire passer un satellite
artificiel pour un missile balistique.
En effet, plus il se prépare à faire face immédiatement à un
«cas d’urgence» en Corée, plus il se convertit en une puissance
militaire. Cela ne fait qu’inspirer la méfiance de ses voisins qui
100
craignent tous cette éventualité. Quant aux Etats-Unis, ils admettent
le renforcement de son potentiel militaire dans la mesure où cela
profite à leurs monopoles de l’industrie de guerre, mais pas au-delà.
C’est là l’essentiel de leur «doctrine du bouchon».
Le Japon a lancé par lui-même plusieurs satellites artificiels.
C’est la preuve qu’il est capable de développer à tout moment des
missiles balistiques intercontinentaux. Il possède déjà d’ailleurs la
technique de la rentrée atmosphérique.
«Un missile balistique suppose la technique permettant de le
faire rentrer de l’espace dans l’atmosphère. Si la fusée japonaise
H-II, lancée en 1994, a suscité la suspicion des Etats-Unis et du reste
du monde, c’est qu’elle était munie d’un appareil d’expérience de
la rentrée dit "OREX" (Hangyorye 21, revue sud-coréenne, le 17
septembre 1998).»
Le Japon est capable de fabriquer en tout temps des armes
nucléaires parce qu’il possède la technique nécessaire et dispose
d’un grand stock de plutonium. Son budget militaire, ayant passé
le cap du millier de milliards de yens dans les années 70, a atteint, en
1998, 4 950 milliards de yens, se classant ainsi parmi les premiers au
monde. Autrement dit, il pourrait, n’importe quand, entrer en
possession d’armes nucléaires et devenir une puissance militaire.
Mais, cela lui sera-t-il permis? Probablement non.
C’est que non seulement les Etats-Unis, mais aussi la plupart des
pays d’Asie ne le veulent pas, pas plus qu’ils ne le laisseront faire.
La Corée n’est plus ce qu’elle était autrefois, pas plus que
l’Asie. Ni les pays de cette région du monde ni les Etats-Unis ne
resteront les bras croisés à voir le Japon représenter une menace
militaire pour l’Extrême-Orient. Si les Etats-Unis veillent à une
adoption rapide de la loi relative au nouveau guide de collaboration
nippo-américaine pour la défense, c’est qu’ils veulent en faire un
instrument, une base dans la réalisation de leur stratégie asiatique, et
non pas le voir devenir une puissance militaire sortant du cadre de
cette stratégie.
101
Lorsque la Corée du Nord aura établi des relations diplomatiques
avec les Etats-Unis et ne sera plus, pour la région Asie-Pacifique, la
«menace potentielle» qui «motive» la mise en place d’un système
pour cas d’urgence par le Japon, celui-ci perdra son «ennemi». Le
Japon n’aura plus rien à frapper comme ce fut le cas lors du «scandale
du missile» quand il a levé son poing, dont il ne sut pourtant que
faire dès qu’il avait été vérifié qu’il s’agissait d’un satellite
artificiel.
Finalement, le Japon sera le dernier, après les Etats-Unis et la
Corée du Sud, à améliorer ses relations avec la Corée du Nord.
Mais alors il se trouvera dans une position plus défavorable que
jamais.
La rupture des pourparlers nord-coréo-japonais pour
l’établissement de leurs relations diplomatiques tient au refus du
Japon d’accepter, comme le revendiquait la partie adverse, de lui
faire ses excuses en due forme et de la dédommager suffisamment en
dépassant le cadre du «traité sud-coréo-japonais». L’acceptation
l’aurait oblige à réexaminer le traité conclu avec la Corée du Sud
et aurait soulevé le problème du règlement de son passé avec les
autres pays d’Asie.
Tant que le Japon n’aura pas réglé son passé envers la Corée du
Nord, ses problèmes de l’après-guerre ne trouveront pas une
solution parfaite. Or, s’il a eu recours à des arrangements
politiques pour régler son passé envers d’autres pays d’Asie, la
Corée du Nord est là pour corriger les défauts ayant marqué ce
règlement plein de subterfuges. Dans ces conditions, il n’est pas en
état de normaliser sur le coup ses relations avec elle.
«Ce pays qui n’est pas à la hauteur de la diplomatie courante
dans le monde ne peut, de toute évidence, pénétrer les intentions et
la façon d’agir de la Corée du Nord... Il est fort douteux qu’il puisse
s’ouvrir une voie vers un pays aussi habile en diplomatie. A cet égard
du moins, il doit régler correctement les problèmes de l’aprèsguerre s’il veut améliorer ses relations avec elle (Ogawa Kazuhisha,
critique militaire, Sekai, novembre 1998).» Jugement qu’on ne peut
102
pourtant pas attendre pour le moment des actuelles autorités
japonaises.
Cela revient à dire que le Japon devra régler son passé après la
réunification du Nord et du Sud par fédération, avec le gouvernement
unifié ou le gouvernement régional du Nord. Il se verra encore
présenter des revendications dépassant le cadre du «traité sudcoréo-japonais», et le gouvernement japonais n’aura pas moyen de
repousser.
Tout compte fait, le Japon subira de grands dégâts. Il sera
exclu de la discussion sur le problème de la péninsule coréenne.
Conséquence inévitable de sa diplomatie suiviste, de son abandon de
sa carte diplomatique vis-à-vis de la Corée du Nord, de ses tentatives
pour se transformer en une puissance militaire, en un mot, du choix
qu’il a fait d’aller à contre-courant de la détente même après la
guerre froide.
La Corée du Nord lancera encore d’autres satellites artificiels.
Le 9 décembre 1998, lors d’un entretien avec des membres du
Congrès américain, Kim Kye Gwan, représentant nord-coréen aux
négociations RPDC-USA, a dit: «Il est difficile de dire la date
exacte, mais il est certain qu’on lancera un deuxième satellite. Nous
pourrions en avertir nos alliés, mais pas besoin d’en faire autant à
l’égard d’un pays avec lequel nous sommes, légalement, en état de
guerre.» A ce propos au Japon, ont circulé successivement des
informations invraisemblables du genre: «Le gouvernement japonais
a, après avoir analysé les renseignements obtenus des Etats-Unis et
ceux recueillis par son ministère des Affaires étrangères et son
Agence de la défense, vérifié que la Corée du Nord a déployé le
missile "Rodong" ou planifié son déploiement dans plus de dix
bases, y compris celles en construction (Tokyo Shimbun, le 6
janvier 1999) —On procédera sous peu à l’essai d’un missile», de
même que ces suppositions mal fondées: «Les Etats-Unis sont
fermes dans leurs actes comme ils l’ont montré en faisant bombarder
l’Irak par leur aviation. Le système de sécurité nippo-américain
prévoit, croit-on, qu’ils lanceront l’assaut sans consulter le Japon
103
ou la Corée du Sud. Il se peut qu’il ne soit pas loin que la péninsule
coréenne prenne feu (Sankei Shimbun, le 25 décembre) —Si la
Corée du Nord lance d’autres missiles, l’accord-cadre RPDC-USA
éclatera (Asahi Shimbun, le 31 décembre 1998).» Faut-il donner
raison à l’analyse présentée dans ce livre ou aux hypothèses
énumérées ci-dessus?
Seulement, il ne faut pas ignorer ce que fait le gouvernement
japonais: s’il analyse pertinemment la situation dans la péninsule
coréenne et s’il disposera d’une carte diplomatique efficace à
l’égard de la Corée du Nord. Norota, chef de l’Agence de la
défense, a, lors de sa visite en Corée du Sud en janvier 1999, osé
déclarer: «Si la Corée du Nord lance un nouveau missile, il est
impensable de continuer de financer la KEDO.» Propos inspirant
plutôt de la déception. Quelle erreur de prévision! La réalité
démontre justement que le gel de ces fonds ne peut fournir un atout
pour faire pression sur la Corée du Nord, pour la dissuader de
«développer des armes nucléaires et des missiles» et de procéder à
des «explosions».
On peut se féliciter des tentatives que fait le gouvernement
nippon pour adoucir ses positions, l’une d’elles étant le contact
officieux qu’il a eu avec la Corée du Nord en décembre 1998, à New
York, sur la demande de Kim Dae Jung qui l’invitait à «promouvoir
le dialogue nippo-nord-coréen». Pourtant, il sera impossible de
reprendre le dialogue avec le Japon tant qu’il cherchera à se
transformer en une puissance militaire, par exemple à adopter la
loi relative au nouveau guide de collaboration nippo-américaine
pour la défense en faisant passer satellite de haute altitude pour un
«missile». Le journal sud-coréen Tong-a Ilbo, le 5 janvier 1999,
suggérait: «La Corée du Sud devra prendre garde dans sa diplomatie
de se laisser tenter par l’extrémisme de certains éléments aux EtatsUnis et au Japon à l’égard de la Corée du Nord.» Le gouvernement
japonais devrait retenir que c’était l’attitude principale des autorités
sud-coréennes.
104
Le manque de précision et de prévision dans la diplomatie peut
être gros de conséquences. Tant qu’il n’est pas trop tard, le Japon
devrait oser pratiquer, vis-à-vis de la Corée du Nord, une diplomatie
indépendante, conforme à ses intérêts authentiques, c’est-à-dire une
«diplomatie sûre» à même d’aider à la normalisation des relations
avec la Corée du Nord et de contribuer à la paix dans la péninsule
coréenne.
La Corée du Nord après l’établissement de relations
diplomatiques avec les Etats-Unis
L’établissement de relations diplomatiques avec les Etats-Unis
entraînera des changements rapides dans la situation politique et
militaire dans la péninsule coréenne. Vrai tournant, dirait-on.
Quelle en sera l’incidence sur l’économie de la Corée du Nord?
Primo, la fin de l’affrontement militaire et de la tension
permettra de réduire sensiblement les dépenses militaires et de
consacrer les fonds d’Etat à la reconstruction de l’économie. Si l’on
affecte la part prélevée sur les dépenses militaires à la
redynamisation de l’économie, son cycle s’améliorera en peu de
temps. Si le rendement céréalier était bas du fait de calamités
naturelles successives, du manque d’engrais, des difficultés de
labourage et de transport causées par la pénurie d’énergie, il en sera
autrement quand l’agriculture bénéficiera d’investissements
suffisants: étant donné son infrastructure solide, elle sera facile à
remettre à flot.
Secundo, la levée des sanctions économiques appliquées par
les Etats-Unis et autres pays occidentaux permettra d’introduire leurs
capitaux et leurs techniques.
Des entreprises américaines ont déjà commencé à intervenir
dans l’économie de la Corée du Nord. En 1995, onze entreprises,
dont General Motors, MCI (compagnie de communication
interurbaine) et US Washington Bank, ont visité la Corée du Nord
105
avec l’autorisation du département des Finances et ont exprimé leur
désir d’investissement. Stanton Group, société générale
d’exploitation étroitement liée à Rockefeller Group, a conclu en
1996 un contrat de co-exploitation avec le Complexe chimique
Sungri (appellation d’alors) situé dans la région Rajin-Sonbong. En
1997, NMA (National Minerals Association) est tombée d’accord
avec la Corée du Nord sur l’exploitation du zinc, du plomb, du
magnésite, des régions de Tanchon et de Komdok dans la province
du Hamgyong du Sud et a conclu avec elle un contrat pour 500
millions de dollars. Les sanctions économiques ne permettaient pas
les règlements par dollar, pourtant Minéral Technology Co. a importé
d’importantes quantités de magnésite de la Corée du Nord.
Quant au magnésite, matière première pour la fabrication de la
brique réfractaire indispensable à la sidérurgie, la Corée du Nord en a
une réserve de 3,2 milliards de tonnes, soit 56% de la réserve
mondiale. Elle est riche aussi en métaux rares d’une importance
stratégique, notamment nickel, cobalt, chrome, manganèse, titane,
indispensables aux technologies de pointe et au développement des
armes sophistiquées, ce qui peut intéresser beaucoup les industriels
américains. Une fois les sanctions levées, le règlement par dollar
rendu possible, les entreprises américaines pourront investir en Corée
du Nord, et la circulation monétaire se faire dans le cadre du
commerce entre les deux pays. Il est évident que des entreprises
américaines et autres de l’Occident lui feront alors différentes
propositions, notamment pour une extraction commune de
minerais. L’Occident ne pouvait exiger avec énergie de
l’Afrique du Sud qu’elle mette un terme à son apartheid,
puisqu’elle est un grand réservoir de métaux rares.
L’économie et la politique se définissent l’une l’autre. Si les
litiges politiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis sont réglés,
leurs relations économiques s’amélioreront d’emblée. Si des
entreprises américaines, toujours promptes à investir dans des projets
prometteurs, interviennent en Corée du Nord, c’est qu’elles y voient
une aubaine et des avantages à long terme.
106
En août 1998, la Corée du Nord a aménagé une usine de
magnésie lourde de haute qualité à Tanchon et publié les
renseignements élémentaires sur ses champs pétrolifères. C’est un
feu vert pour les capitaux de l’Occident, invités à y intervenir".
Depuis longtemps visée par le COCOM, la Corée du Nord s’est
vue empêchée d’introduire les technologies occidentales. Quand
elle aura établi des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, elle
verra affluer les techniques de pointe de l’Occident. Elle sera alors en
mesure d’extraire du pétrole.
La zone commerciale et économique Rajin-Sonbong, zone
économique spéciale, où elle a admis, depuis 1991, l’introduction de
capitaux étrangers, n’en est encore qu’à la construction de
l’infrastructure, mais elle a tendance à servir (1) au transport
intermédiaire de marchandises, (2) à la production de produits
d’exportation, (3) au tourisme et aux opérations financières. Elle
commence ainsi à fonctionner sans à-coup. Il est fort probable que
des entreprises occidentales, notamment américaines, ainsi que sudcoréennes interviennent dans cette zone pour la développer sur une
grande échelle. D’ores et déjà, les entreprises sud-coréennes opérant
à Hunchun dans la province du Jilin en Chine exportent via Rajin,
parce que cela leur permet un «transport bon marché et rapide».
La région Rajin-Sonbong a l’avantage de se situer au beau milieu
du delta d’or reliant la Russie, la Chine et la Corée du Nord et de
pouvoir servir parfaitement de point de transit. Avec ses nombreux
avantages, notamment l’étendue de son territoire et la qualité de son
port accessible aux navires de fort tonnage, elle promet de devenir
«Hong-Kong de l’Asie du Nord-Est». Au programme de
développement du Tumangang qui prévoit 30 milliards de dollars
d’investissements pendant 30 ans participent l’UNDP (Programme
des Nations unies pour le développement)—dont la quote-part est
essentielle—, la Corée du Nord, la Chine, la Russie, la Corée du Sud,
la Mongolie et, comme observateur, le Japon. Si les entreprises des
pays développés de l’Occident, celles des Etats-Unis en premier lieu,
y viennent opérer, le «second Hong-Kong» ne restera pas un rêve. La
107
zone commerciale et économique Rajin-Sonbong jouera un rôle de
pilote dans ce programme.
Tertio, il sera possible de redynamiser davantage la coopération
économique entre le Nord et le Sud.
Hyundai Business Group, le plus grand groupe en Corée du
Sud, est déjà convenu avec la Corée du Nord de coopérer dans de
nombreux domaines, notamment pour l’exploitation des monts
Kumgang. En décembre 1998, un accord est intervenu sur
l’aménagement d’un secteur industriel sur 6 666 hectares sur la côte
ouest. Daewoo Group a commencé à implanter des usines à
Nampho et ailleurs en Corée du Nord. Samsung Group, second au
Sud, se montre aussi actif que Hyundai Business Group. On apprend
qu’il a entamé des négociations avec le Nord à Beijing. Ayant
décidé d’élargir sa coopération, il a publié un projet prévoyant
d’aménager au Nord un grand secteur de l’industrie électronique
pour un milliard de dollars sur 166 h et de produire des appareils et
machines pour la téléinformatique, des semi-conducteurs et des
vidéo, pour 3 milliards de dollars par an.
Il y a encore, dit-on, des échanges qui se font à titre officieux.
Somme toute, on dirait sans exagération que le Nord et le Sud se sont
déjà réunifiés. (La Corée du Sud est actuellement le 3e partenaire
commercial de la Corée du Nord après le Japon et la Chine, son
chiffre d’affaires à cet égard augmente rapidement.) Il est hors de
doute que cette évolution s’accélérera dès l’établissement de
relations diplomatiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis.
L’adoucissement des différentes restrictions permettra aux
entrepreneurs coréens résidant à l’étranger, notamment au Japon et
aux Etats-Unis, de renforcer leur intervention dans l’économie de la
Corée du Nord. Qui se sera hâté à agir en ce sens, à se faire des
connaissances et à déblayer le terrain aura certainement droit à des
faveurs. Gagnera qui sera prompt, dirait-on.
108
CHAPITRE II
LA CONCILIATION RPDC-USA AMORCEE
PAR LE «SOUPÇON NUCLEAIRE»
(Regard rétrospectif)
«Evolution du problème nucléaire dans la
péninsule coréenne»
1992
Le 22 janvier: Les premières négociations de haut rang ont
lieu à New York entre la Corée du Nord et les Etats-Unis.
Le 30 janvier: Un accord de garanties est conclu entre la
Corée du Nord et l’AIEA.
Le 25 mai: La première inspection non régulière a lieu (six
inspections jusqu’à janvier 1993).
1993
Le 25 février: Le Conseil de l’AIEA adopte une résolution
exigeant de la Corée du Nord qu’elle accepte son inspection
spéciale.
Le 12 mars: La Corée du Nord déclare son retrait du TNP.
Le 11 mai: Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une
résolution demandant à la Corée du Nord de révoquer son retrait.
Le 29 mai: La Corée du Nord lance un missile à titre d’essai.
Le 2 juin: Ont lieu les premiers pourparlers entre la Corée du
Nord et les Etats-Unis.
Le 11 juin: Une déclaration conjointe RPDC-USA est publiée.
109
Le 14 juillet: Les seconds pourparlers entre les deux pays. Le
19 juillet: Un communiqué conjoint RPDC-USA est publié à
l’issue de pourparlers.
Le premier octobre: La conférence générale de l’AIEA adopte à la
majorité de voix une résolution demandant à la Corée du Nord
d’accepter une inspection, alléguant un non-respect de l’accord de
garanties.
Le 11 novembre: Kang Sok Ju, premier vice-ministre des
Affaires étrangères de la RPDC, propose une solution globale du
problème aux Etats-Unis.
1994
Le 15 février : La Corée du Nord et l’AIEA se mettent d’accord sur
la reprise de l’inspection pour assurer la continuité de l’accord de
garanties.
Le 25 février: Un accord est publié à New York à l’issue
d’une rencontre RPDC-USA. Une série de problèmes ont été
abordés, dont l’arrêt des manœuvres militaires conjointes
«Team Spirit».
Le 31 mars: Le président du Conseil de sécurité de l’ONU
publie une «déclaration» personnelle demandant à la Corée du
Nord d’accepter une nouvelle «inspection» de l’AIEA.
Le 4 avril: Le ministère des Affaires étrangères de la RPDC
critique cette «déclaration».
Le 28 avril: La Corée du Nord propose aux Etats-Unis un
nouveau système de paix.
Le 30 mai: Le président du Conseil de sécurité de l’ONU
publie une «déclaration» personnelle à propos du renouvellement
des barres de combustible en Corée du Nord.
Le premier juin: Le ministère des Affaires étrangères de la
RPDC repousse cette «déclaration».
Le 10 juin: Le Conseil de l’AIEA adopte une résolution
demandant à la Corée du Nord d’accepter une «inspection spéciale».
110
Le 13 juin: Le ministère des Affaires étrangères de la RPDC
déclare son retrait de l’AIEA.
Les 16 et 17 juin: Une entrevue a lieu entre Kim Il Sung et
Jimmy Carter.
Le 8 juillet: Décès du Président Kim Il Sung.
Le 5 août: Le premier tour des troisièmes pourparlers RPDCUSA a lieu.
Le 12 août: Publication d’une déclaration conjointe RPDC-USA.
Le 23 septembre: Le second tour des troisièmes pourparlers a
lieu.
Le 21 octobre: Un accord-cadre est signé entre la RPDC et les
USA à Genève.
1995
Le 9 janvier: Le ministère des Affaires étrangères de la
RPDC lève les mesures de restriction sur l’introduction des
marchandises américaines et celles d’interdiction de l’accès aux
ports des navires de commerce américains.
Le 20 janvier: Le département d’Etat américain publie
l’adoucissement partiel des réglementations économiques à
l’égard de la Corée du Nord, dont l’annulation du gel de ses
avoirs et l’autorisation de l’importation de sa magnésite.
Le 9 mars: La réunion constitutive de la KEDO (Organisation
pour le développement de l’énergie dans la péninsule coréenne) a
lieu.
Le 20 avril: Les négociations entre experts de la Corée du
Nord et ceux des Etats-Unis au sujet de la fourniture de réacteurs
à eau légère sont rompues.
Le 13 juin: Un communiqué conjoint est publié à l’issue des
négociations RPDC-USA au sujet des réacteurs à eau légère, disant
que les Etats-Unis assumeront toute la responsabilité de la
construction de réacteurs et que les deux parties sont convenues de
les baptiser réacteurs de «type rénové d’après les plans et la
technologie américains».
111
Le 15 décembre: La Corée du Nord et la KEDO signent un
contrat sur la fourniture de réacteurs à eau légère.
1996
Le 24 janvier: L’AIEA entreprend son inspection régulière et
une inspection non régulière sur les installations nucléaires de la
Corée du Nord.
Le 22 février: La Corée du Nord propose aux Etats-Unis un
traité temporaire avant le traité de paix.
Le 7 avril: Le département du Commerce américain révoque
ses mesures de restriction sur l’assistance humanitaire à la
Corée du Nord.
Le 16 avril: A l’issue d’une entrevue, le président américain et
le chef de l’exécutif sud-coréen proposent une conférence
quadripartite.
Le 20 avril: Une consultation sur les missiles a lieu à Berlin
entre la Corée du Nord et les Etats-Unis.
Le 9 mai: Un accord sur la restitution des dépouilles de soldats
américains est adopté à l’issue des négociations RPDC-USA
consacrées à ce sujet.
Le 12 juin: Le gouvernement américain applique une
première mesure d’assistance aux sinistrés d’inondations en Corée
du Nord.
1997
Le 19 août : La cérémonie de mise en chantier des travaux de
construction de réacteurs à eau légère a lieu à Kumho en Corée du
Nord.
Le 9 décembre: Le premier tour de la conférence quadripartite
a lieu à Genève.
1998
Le 31 août: La Corée du Nord lance son premier satellite artificiel.
112
Le 5 septembre: La Corée du Nord et les Etats-Unis
conviennent de reprendre la construction de réacteurs à eau légère
lors de pourparlers de haut rang.
(J’ai tenu à insister sur la chronologie des années 1993-1995,
et le titre des personnes et le nom des institutions sont ceux de
l’époque concernée.)
1. L’OBJECTIF RECHERCHE PAR LA PUBLICATION DE LA
DECLARATION DU RETRAIT DU TNP ET
SON ARRIERE-FOND
(De mars à avril 1993)
Dernière tactique visant à sauvegarder
sa souveraineté
Le lendemain de la publication (le 12 mars 1993) de la
déclaration par la Corée du Nord de son retrait du TNP, un expert en
politique internationale a affirmé, l’air chagrin, que cela signifiait sa
«défaite».
Les médias l’ont commenté: «Grave provocation contre le
TNP—Geste qui ne fera qu’accélérer l’isolement—Grave menace
pour la sécurité en Asie du Nord-Est—Nouvelle tension entre le
Nord et le Sud—Les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud
envisagent des sanctions.» Ainsi ont-ils qualifié la «défaite» de la
Corée du Nord.
Ont-ils raison? L’injustice et l’arbitraire d’un supergrand ont
donné naissance à des organisations internationales iniques et à un
ordre international inéquitable. L’ordre international établi après la
fin de la structure bipolaire de la guerre froide, suite à l’écroulement
de l’URSS, est un «ordre» sous l’égide des Etats-Unis. Si l’on
laisse faire ceux-ci, sans leur donner un coup de frein, ils se
113
conduiront de façon de plus en plus arbitraire, et la décision de la
Corée du Nord est une tentative de riposte, selon certains, comparable
à celle d’une fourmi à un éléphant, à celle d’une abeille qui pique,
«prête à donner sa vie».
Ce n’est pas là une idée juste. Après la déclaration de la Corée
du Nord, on a vu cet éléphant en proie à un grand désarroi. Un porteparole de l’AIEA s’est écrié: «Mon étonnement a été si grand que
j’étais littéralement "sidéré", il n’y a pas d’autres mots.» La
plupart des hommes de l’AIEA avaient considéré comme une
«forfanterie» l’avertissement réitéré de la Corée du Nord qui se
disait prête à prendre des «mesures d’autodéfense» si on lui imposait
l’«inspection spéciale». Ils n’ont cependant pu décider, lors de leur
conseil extraordinaire tenu le 18 mars 1993, de soumettre le
«problème» au Conseil de sécurité de l’ONU. Ainsi, ce fut plutôt
l’AIEA qui se retrouva dans une situation délicate. Les Américains
avaient estimé que, s’ils exerçaient une pression en cherchant à lui
imposer 1’«inspection spéciale», la Corée du Nord céderait. Mais les
voilà finalement qui proposent le dialogue à la Corée du Nord, tout
en disant: «Il faut attendre et voir— Elle a encore l’obligation de
respecter le traité.» Et des pourparlers au niveau de conseillers ont eu
lieu à Beijing entre les deux pays les 17 et 19 mars 1993. Que les
Américains aient proposé à la Corée du Nord de négocier par deux
fois en un si court laps de temps est un fait exceptionnel. Bien plus,
ils ont déclaré ne pas vouloir «réagir trop vivement» à la décision de
la Corée du Nord, comme, par exemple, réclamer de lui appliquer des
sanctions économiques au nom de l’ONU. Les Etats-Unis avaient
menacé la Corée du Nord de prendre contre elle toutes les mesures de
sanctions possibles, y compris le «procès» intenté au Conseil de
sécurité de l’ONU et l’emploi de la force armée, si elle refusait
l’«inspection spéciale» de l’AIEA. Et comment expliquer ce
changement subit et profond de leur attitude face à la déclaration
nord-coréenne?
Celle-ci était légitime et conforme au règlement concernant le
retrait du TNP (article 10). La Corée du Nord n’a pas envahi ni n’a
114
menacé aucun pays à la différence de l’Irak, et le Conseil de
sécurité de l’ONU n’a aucun grief valable pour adopter une
résolution de sanction. De surcroît, la Chine pouvait user de son droit
de veto. Le «procès» au Conseil de sécurité de l’ONU n’était donc
qu’un pur chantage, et les Etats-Unis se retrouvaient dans une
impasse.
Quant à la Corée du Nord, elle espérait et comptait, en déclarant
son retrait du TNP, éluder le danger de procès contre elle au Conseil
de sécurité, sauvegarder ainsi sa souveraineté et obliger les EtatsUnis à venir dialoguer avec elle. C’était donc, de sa part, une
opération entre la vie et la mort. Or, comme on le voit, ce n’est pas
la Corée du Nord, mais bien les Etats-Unis et l’AIEA que cette
publication a mis dans une situation embarrassante.
Arbitraire et inéquitable est le TNP
Pour se faire une idée claire de 1’«inspection nucléaire» que
certains demandent d’effectuer sur la Corée du Nord, il faut savoir ce
que c’est que l’AIEA et le TNP.
L’AIEA a été organisée en 1957. Après la Seconde Guerre
mondiale, les Etats-Unis et l’Union soviétique, ces deux
supergrands de l’Ouest et de l’Est, ont rivalisé d’ardeur pour
développer et déployer des armes nucléaires. Au cours de cette
compétition acharnée, a été élaborée la technologie de production
d’électricité d’origine nucléaire. Or, les centrales atomiques
produisent du plutonium, qui est utilisé dans la fabrication des
bombes nucléaires. Aussi des voix se sont-elles élevées pour
l’«utilisation strictement pacifique de l’énergie atomique». Dans ce
contexte, Eisenhower, alors président américain, a fait en 1953 une
proposition dans ce sens.
Ainsi est née l’AIEA, et son statut stipule qu’elle fournirait la
technologie de la fabrication d’énergie atomique aux pays
membres, les aiderait en ce domaine et, en même temps, les
115
obligerait à subir, aux termes de l’accord de garanties, des inspections
pour parer à l’utilisation de cette technique à des fins militaires.
Lors de sa naissance, il n’y avait que trois pays nucléaires dans le
monde, —les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union
soviétique—, et ensuite la France et la Chine les ont rejoints, ayant
réussi leurs essais nucléaires respectivement en 1960 et en 1964. Et
inquiets de voir ébranlés l’équilibre des forces nucléaires et le
système de contrôle nucléaire axé sur les deux supergrands à cause
de l’accroissement du nombre de pays nucléaires, les Etats-Unis ont
élaboré un traité interdisant à tous les pays, sauf les cinq précités, de
posséder des armes nucléaires. Voilà le TNP publié le 5 mars 1970.
(En mars 1994,164 pays y avaient adhéré.)
Le TNP a divisé les pays membres en pays nucléaires et en
pays non nucléaires et a gelé le nombre des premiers et demandé aux
seconds de conclure avec l’AIEA un accord de garanties aux termes
duquel ils doivent subir des inspections, en vue de parer à
l’utilisation des centrales atomiques à des fins militaires.
Ainsi, dès le début, il s’est avéré un traité inégal libérant les
pays nucléaires de l’obligation d’être inspectés. Certes, il y en a un
article qui leur recommande de tendre au désarmement. Mais, le
TNP n’a aucun pouvoir réel pour les y obliger. Et seuls les cinq pays
nucléaires peuvent, détenant le monopole des armes nucléaires, s’en
servir librement comme une carte politique puissante. Bien plus, le
TNP n’a aucun moyen de contrôler les pays qui s’efforcent de
développer des armes nucléaires par eux-mêmes, sans adhérer au
TNP. Aussi, plus d’un pays rechigne à y adhérer. En effet, les
critiques n’ont pas manqué de s’élever pour le qualifier de traité
permettant aux cinq pays nucléaires de légitimer la possession
d’armes nucléaires et d’imposer des conditions inégales aux pays
non nucléaires. De surcroît, ce sont les Etats-Unis qui le mènent à
la baguette, et l’AIEA aussi «est sous leur coupe» (Yoshida
Yasuhiko, ancien chef du bureau d’information de l’AIEA).
Les pays membres, en adhérant au TNP, ont espéré que les
cinq pays réaliseront le désarmement et le démantèlement complet
116
des armes nucléaires. Mais, le désarmement n’était qu’une
promesse vaine, et la menace nucléaire venant de ces cinq pays
reste constante. De ce fait, bien des pays refusent actuellement d’y
adhérer. Il est prévu de discuter de son prolongement en avril
1995, et les pays qui n’acceptent pas de voir le TNP sous l’égide
des Etats-Unis ne désirent nullement son prolongement
inconditionnel et indéfini.
La Corée du Nord a adhéré à l’AIEA en 1976, et au TNP, en
1985. Pourquoi l’a-t-elle fait? Selon certaines rumeurs, elle aurait
espéré bénéficier de la technologie soviétique. Mais, ce n’est
qu’une supposition sans fondement. La Corée du Nord a entrepris
ses recherches en ce domaine dès les années 50, et, bien qu’elle ait
conclu un accord de coopération avec l’Union soviétique, c’est par
elle-même essentiellement qu’elle a travaillé à l’exploitation de
l’énergie atomique selon le principe d’indépendance économique.
Elle a voulu, à mon avis, en adhérant au TNP, se libérer de la
menace nucléaire des Etats-Unis. En effet, on lit dans la préface
du traité un passage stipulant que «les pays membres sont tenus de
respecter la Charte de l’ONU et, dans leurs relations réciproques
et les rapports internationaux, de n’exercer de menaces militaires
ni de recourir à la force ou à d’autres moyens incompatibles avec
le but de l’ONU contre l’intégrité territoriale et l’indépendance
politique d’aucun pays».
Cependant, même après son adhésion au TNP, la menace
nucléaire sur la Corée du Nord, loin de se dissiper, n’a cessé de
s’accroître. C’est bien pourquoi, elle a attendu, pour conclure
avec l’AIEA l’accord de garanties, jusqu’à ce que Bush, alors
président américain, ait déclaré, en septembre 1991, sa volonté
d’évacuer les forces nucléaires tactiques américaines de terre et
de mer de Corée du Sud, que Ro Thae U, «président» sud-coréen,
ait proclamé le 8 novembre de la même année la «nonpossession d’armes nucléaires» et que la décision fût prise
d’arrêter les manœuvres militaires «Team Spirit» en janvier de
l’année suivante. Cela montre que, si la Corée du Nord a décidé
117
d’accepter l’inspection de l’AIEA, c’est qu’elle avait estimé que
la menace nucléaire avait diminué. Sa vision et sa prise de
position en la matière ont été constantes et invariables.
Elle a subi sans accroc six inspections non régulières.
L’inspection non régulière vise à vérifier sur place l’exactitude du
rapport présenté par le pays se prêtant à l’inspection. Si elles
avaient été suivies par des inspections régulières (destinées à
confirmer périodiquement le constat des inspections non
régulières, à savoir que les installations et les matières nucléaires
ne sont pas utilisées à des fins militaires), aucun problème ne se
serait posé. Mais l’AIEA a demandé unilatéralement et de façon
pressante à la Corée du Nord d’accepter ses «inspections
spéciales» sur deux installations non déclarées au mépris des
«rapports de confiance» entre elles.
Quant à l’inspection spéciale, c’est une inspection coercitive
sur des installations non déclarées à la différence des inspections
régulières et non régulières qui n’examinent que les installations
déclarées. Jusqu’ici, ce genre d’inspection contestable ne s’est
effectué sur aucun pays, car il y a risque d’empiéter sur la
souveraineté du pays qui la subit. La Corée du Nord l’a donc
rejetée catégoriquement en affirmant que ce sont des installations
militaires, et puis elle a déclaré son retrait du TNP lorsque les
Américains l’ont menacée de «sanctions».
Riposte à la carte nucléaire des Etats-Unis
«Si la Corée du Nord tente de se servir de son retrait du TNP
comme "carte diplomatique", c’est une erreur. Le problème nucléaire
n’est pas une "carte" de poker (Tokyo Shimbun, éditorial, le 13 mars
1993).»
«Il ne faut pas se servir du problème nucléaire comme atout»,
c’est vrai. Mais ce sont les Etats-Unis qui utilisent leurs forces de
dissuasion nucléaires au profit de leur «politique de force» sur la
118
scène politique internationale. En télécommandant le TNP et
l’AIEA, ils n’ont cessé de se servir des armes nucléaires comme
moyen de pression diplomatique.
Et ils ont tenté de jouer le même jeu avec la Corée du Nord.
Mais leur thèse du «développement d’armes nucléaires» par celle-ci
ne reposait que sur un soupçon nullement confirmé. C’est Blix,
directeur général de l’AIEA, homme de main des Etats-Unis, qui y a
joué le rôle de cheville ouvrière.
Le «soupçon nucléaire» avait pour fondement des «photos»
prises par des satellites de reconnaissance militaire américains. Or, il est
absurde d’affirmer qu’on fabrique des armes nucléaires en se basant
sur l’aspect d’un bâtiment et l’invisibilité du câble de transport.
Pourtant, beaucoup de gens de par le monde vouent un culte aux EtatsUnis, et, pour eux, «juste et vrai est tout ce que font ou disent les
Américains». Comme ceux-ci manipulent à leur guise 1’«ordre
d’information» dans le monde, cette fausse nouvelle s’est répandue
rapidement en Occident et, en s’amplifiant, a acquis de la «véracité».
Les Etats-Unis se sont mis à brandir la carte de «soupçon nucléaire».
Sato Katsumi, directeur de l’Institut de recherche sur la Corée
contemporaine, a dit: «La Corée du Nord a toutes les justifications
pour s’attacher à disposer d’armes nucléaires, désireuse de
s’ériger en une puissance. Elle doit estimer que, si elle possède des
armes nucléaires, la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis la
craindront et qu’elle pourra alors sans grande difficulté sortir de son
isolement et remédier à sa crise économique (Sankei Shimbun, le 15
mars 1993).»
Pareilles idées ont été largement répandues en Occident: «Volonté
évidente de développer des armes nucléaires—Attitude de
durcissement—Opération de dissimulation—Jeu dangereux visant à
maintenir son régime—Tentative de détenir une carte nucléaire.»
Ainsi a-t-on mené un grand train de tapage comme si un OVNI (objet
volant non identifié) venait attaquer notre planète. Mais on savait très
bien que l’OVNI n’existait que dans ses fantasmes.
119
Pourtant, ces Occidentaux, aveuglés par leurs préjugés, comment
pourront-ils répondre aux questions que voici: «Si la Corée du Nord
avait vraiment l’intention de disposer d’armes nucléaires, pourquoi
aurait-elle adhéré au TNP? —Pourquoi aurait-elle accepté les
inspections de l’AIEA? —Pourquoi aurait-elle adopté la "Déclaration
conjointe Nord-Sud sur la dénucléarisation" et préconisé la
transformation de la péninsule coréenne en zone de paix et
dénucléarisée?» Et quand bien même, si l’on considère ces gestes
comme brandissement de la carte nucléaire, il faut reconnaître que la
Corée du Nord, en se servant de cette carte, s’est opposée jusqu’ici au
«développement d’armes nucléaires».
En s’attachant à développer des armes nucléaires, la Corée du
Nord n’aurait rien à gagner si ce n’est l’aggravation de la tension,
son isolement, ainsi qu’une perte de confiance et de dignité sur le
plan international.
Le Président Kim Il Sung a affirmé: «Nous n’avons ni l’intention
ni la capacité de développer des armes nucléaires.»
L’ambassadeur nord-coréen à l’ONU a déclaré, le 17 mars
1993, que son pays pourrait revoir son retrait du TNP à condition que,
premièrement, les Etats-Unis lèvent leur menace nucléaire contre lui;
que, deuxièmement, ils arrêtent leurs manœuvres militaires
conjointes «Team Spirit»; que, troisièmement, ils déclarent leurs
bases militaires en Corée du Sud; et que, quatrièmement, l’AIEA
fasse preuve d’impartialité et d’une neutralité absolue. C’était
d’ailleurs dans l’espoir de réaliser ces revendications que la Corée
du Nord avait adhéré au TNP et avait tardé à signer l’accord de
garanties avec l’AIEA. Bref, elle voulait dissiper la menace des
armes nucléaires américaines déployées en Corée du Sud en
demandant leur retrait de la péninsule coréenne. Voilà le problème
majeur pour la Corée du Nord. Elle ne veut nullement développer
«secrètement» des armes nucléaires ni, non plus, laisser fouler aux
pieds sa souveraineté nationale en subissant les inspections
inéquitables de l’AIEA.
120
Si toutefois la déclaration de la Corée du Nord a joué un rôle de
«carte nucléaire» en obligeant les Etats-Unis à accepter le dialogue,
les responsables en sont justement les Etats-Unis eux-mêmes et
l’AIEA qui est allée trop loin dans ses pressions exercées sur elle.
Les Etats-Unis considèrent leur «carte nucléaire» comme
moyen efficace du maintien de 1’«ordre international» sous leur
contrôle et comme moyen de pression et d’ingérence à l’endroit des
autres pays, tandis que la Corée du Nord travaille activement à
dénucléariser la péninsule coréenne. Voilà la différence diamétrale qui
distingue les positions des deux pays. La déclaration par la Corée du
Nord de son retrait du TNP est un défi, une riposte aux Etats-Unis
qui se plaisent toujours à brandir la «carte nucléaire» pour imposer
leur volonté.
Menaces de guerre nucléaire et d’«inspection
coercitive»
Les armes nucléaires constituent un moyen efficace de
«pression» dont les Etats-Unis se servent couramment pour assurer
leurs propres intérêts.
Si sa souveraineté est menacée, le Japon n’hésitera pas à
prendre des contre-mesures pour y faire face. Pourrait-on hésiter à se
retirer d’une organisation internationale alors qu’il y a danger de
voir mis à nu ses secrets militaires et qu’on sait bien que cette
organisation est à la solde du pays adverse?
Ainsi la Corée du Nord a-t-elle décidé son retrait du TNP
comme une «mesure de défense de l’intérêt suprême du
pays». Le paragraphe 1 de l’article 10 du TNP stipule: «Tous
les pays membres ont le droit de se retirer du traité, usant de
leur droit souverain, dans le cas où ils constatent qu’un état
anormal, contraire à la définition des clauses du traité, met en
danger leur intérêt national suprême.» Cet intérêt suprême est,
121
pour la Corée du Nord, son indépendance, sa souveraineté et son
socialisme qu’elle a acquis au prix de lourds sacrifices.
L’état anormal qui menaçait l’intérêt suprême de la Corée du
Nord était la «résolution d’inspection spéciale» de l’AIEA, ainsi que
la reprise, par les Etats-Unis et la Corée du Sud, de leurs manœuvres
militaires conjointes «Team Spirit».
En 1992, les Etats-Unis ont déclaré qu’ils évacueraient
leurs forces nucléaires terrestres de Corée du Sud, arrêteraient
leurs manœuvres militaires «Team Spirit» et retireraient leurs
troupes de Corée du Sud, et Ro Thae U, de sa part, a proclamé la
«non-possession d’armes nucléaires». Ainsi, la Corée du Nord a
été amenée à juger que la menace des armes nucléaires
américaines déployées en Corée du Sud avait été enfin dissipée
et à conclure l’accord de garanties avec l’AIEA, puis à accepter
son inspection.
Cependant, la Corée du Sud et les Etats-Unis ont demandé à la
Corée du Nord d’admettre des inspections réciproques entre le
Nord et le Sud, tout en excluant les installations militaires
américaines en place en Corée du Sud.
Il va sans dire que la Corée du Nord a refusé, car elle estimait le
déploiement d’armes nucléaires américaines en Corée du Sud
comme origine du problème nucléaire dans la péninsule coréenne.
Ainsi le problème de l’inspection s’est-il heurté à un récif. Les
Etats-Unis et la Corée du Sud, en en prenant prétexte, ont suspendu
les activités de la commission conjointe Nord-Sud de contrôle
nucléaire et ont repris les manœuvres militaires conjointes
«Team Spirit». Aussi longtemps que le retrait des armes nucléaires
américaines de Corée du Sud ne sera pas vérifié, la dénucléarisation
de la péninsule coréenne ne pourra être confirmée. Dans cette
conjoncture, l’inspection était une «inspection nucléaire»
unilatéralement imposée à la Corée du Nord.
La Corée du Sud a fait savoir que les manœuvres «Team
Spirit» poursuivaient un but «défensif». Mais personne ne peut en être
dupe. La participation du porte-avions Independence, de chasseurs122
bombardiers «Stealth» et de bombardiers stratégiques nucléaires «B1B» constitue une grave menace nucléaire. De plus, tenter d’imposer
une «inspection coercitive» sur des bases militaires nord-coréennes,
juste au moment où les manœuvres conjointes battaient leur plein,
n’était pas un fait fortuit. L’«inspection spéciale» n’était rien d’autre
qu’un immonde chantage.
«Les manœuvres n’auront pour effet que de pousser inutilement
à bout la Corée du Nord et ne serviront pas à la sécurité sud-coréenne
à laquelle les Etats-Unis tiennent tant (New York Times, éditorial, le 6
mars 1993).» Pareils avertissements se faisaient entendre depuis
longtemps. Mais les Etats-Unis ont poursuivi obstinément leurs
manœuvres et ont demandé 1’«inspection spéciale» pour créer ainsi
une grave tension militaire dans la péninsule coréenne. La Corée du
Nord a su y répondre par un stratagème ingénieux, son retrait du
TNP.
Hippel, expert en problème nucléaire et professeur à l’université
de Princeton, a affirmé: «Les récentes manœuvres ressemblent à
l’incident de la baie des Cochons, provoqué au début du mandat de
Kennedy, en vue de renverser le régime révolutionnaire de Cuba,
sans aucune considération de ses conséquences éventuelles.» Il a
ajouté qu’il était souhaitable que l’on arrête ces manœuvres (Asahi
Shimbun, le 19 mars 1993).
Spector, associé supérieur et directeur du Non-Prolifération
Project du Carnegie Endowment for International Peace, a dit que
c’était une erreur que d’avoir poussé la Corée du Nord à déclarer
son retrait du TNP. «L’AIEA devrait vérifier, par inspection
spéciale, l’absence d’armes nucléaires sur les anciennes bases
militaires américaines en Corée du Sud, et traiter sur un pied d’égalité
les problèmes du Sud et du Nord afin de faire preuve de respect pour
la Corée du Nord et de créer pour cette dernière une occasion propice
de révoquer sa décision de retrait du TNP (Yomiuri Shimbun, le 18
mars 1993).»
123
Coup retentissant assené au TNP, symbole de
l’exclusivisme et de l’arbitraire
«De Klerk, président sud-africain, a déclaré avoir détruit en
1990 les six bombes nucléaires fabriquées par son pays jusqu’en
1989 (Plusieurs journaux, le 25 mars 1993).»
La déclaration a bouleversé le monde entier, non moins
sérieusement que celle de la Corée du Nord. Car il n’y a pas eu
jusque-là de pays qui ait pris la décision de révéler le secret de son
développement d’armes nucléaires, sauf les 5 pays officiellement
déclarés nucléaires.
Pourquoi l’Afrique du Sud a-t-elle dévoilé un secret
jusqu’alors si bien gardé? Si elle avait déjà démonté ses armes
nucléaires, pourquoi révéler le fait qu’elle les avait fabriquées, quitte
à s’attirer un blâme international?
Peut-être comptait-elle, en déclarant sa capacité à construire des
armes nucléaires, tenir un atout dissuasif de guerre? Mais ce n’est guère
convaincant. On détecte plutôt là une «pression» des Américains.
Selon M. Hough, professeur à l’Institut de recherches de
stratégie à l’université de Pretoria, «ce serait en tenant compte que les
Etats-Unis, face au changement imminent de régime politique en
Afrique du Sud, craignaient que sa technologie de la construction
d’armes nucléaires ne fût transmise à des forces qui leur étaient
hostiles» (Sankei Shimbun, le 26 mars 1993). Quant à ce changement,
c’est l’accès au pouvoir de l’ANC (African National Congress),
lequel entretient de bonnes relations avec la Corée du Nord. Aussi,
disait-on, «si la Corée du Nord se retire du TNP, premièrement, on
n’aura plus aucun moyen de contrôler sa technologie nucléaire;
deuxièmement, on ne pourra bloquer la propagation de cette
technologie sud-africaine vers les pays pouvant faire obstacle à
l’établissement d’un nouvel ordre international; voilà pourquoi les
Etats-Unis, inquiets, auront pris les devants». En insistant sur le fait
124
que l’AIEA n’avait pu découvrir la réalité de la production sudafricaine d’armes nucléaires, malgré ses 115 inspections non
régulières effectuées aux termes de l’accord de garanties conclu en
1991, et que, tous pouvant ainsi fabriquer ces armes sans grande
difficulté, il est difficile de parer à leur prolifération horizontale, les
Etats-Unis ont dû probablement mobiliser l’opinion mondiale contre
la Corée du Nord qui repoussait l’inspection de l’AIEA et avait
déclaré son retrait du TNP. Pour réaliser leurs desseins, les EtatsUnis n’hésiteraient pas à sacrifier un pays comme l’Afrique du Sud.
Quoi qu’il en soit, la vérité est que la déclaration de la Corée du
Nord a été un coup foudroyant assené aux Etats-Unis, et qu’elle les a
mis en plein désarroi.
Bien des pays ont protesté contre le monopole des armes
nucléaires par les cinq pays nucléaires et l’arbitraire des Etats-Unis,
mais ces derniers y ont fait la sourde oreille: ils n’ont pas, par
exemple, demandé l’inspection ni n’ont exercé de pression politique
sur Israël qui collaborait avec l’Afrique du Sud à développer des
armes nucléaires et qui devait déjà disposer d’environ 200 ogives
nucléaires (Takaki Zinshaburo). D’autre part, ils ont exercé une forte
pression sur l’Irak, hostile à Israël. Tout dépendait donc des relations
que l’on entretient avec eux. Et ils ont eu du culot de passer outre à la
critique de leur conduite injuste.
D’après la Corée du Nord, «tenter d’imposer l’inspection
unilatéralement à l’une des deux parties d’un pays divisé et menacée
en permanence par l’autre partie qui possède des armes nucléaires
n’est nullement raisonnable ni conforme au principe de
l’impartialité». C’est donc une riposte fulgurante infligée aux
auteurs du «soupçon nucléaire», une virulente critique des failles
fondamentales du TNP.
Le TNP arrive à son échéance en 1995. De nombreux pays,
ceux du Tiers-Monde en tête, mécontents ou sceptiques, s’opposent à
son prolongement. Car c’est un «système uniquement favorable aux
pays nucléaires» et prêtant l’oreille seulement à la «voix des grandes
puissances».
125
D’autre part, puisque les pays nucléaires ne font aucun geste
pour démanteler leurs armes nucléaires, ce qui est un des objectifs du
TNP, et que les Etats-Unis se servent des armes nucléaires comme
«carte politique», le nombre des pays semi-nucléaires ne cesse de
s’accroître au fil du temps. Aussi se demande-t-on à quoi bon le
prolonger puisqu’il est incapable de parer à la prolifération nucléaire
verticale ou horizontale.
«Il faut réviser le traité si l’on veut parer à ses failles et
démanteler les armes nucléaires (Inde).» Autrement dit, les pays
nucléaires doivent travailler à démanteler complètement les armes
nucléaires, tandis qu’«une sécurité parfaite doit être garantie à tous
les pays non nucléaires» (Nigeria). Bref, il faut éliminer la menace
venant des pays nucléaires.
D’aucuns préconisent de modifier le contenu du traité et de
restructurer son système à long terme. La Corée du Nord exige que
le TNP fasse preuve d’impartialité et élimine la menace des pays
nucléaires, et elle met ainsi au jour l’absence de fiabilité et les
faiblesses du TNP et de l’AIEA. Ce n’est donc pas la Corée du Nord,
mais bien le TNP et la «politique de force» des Etats-Unis, son
patron, qui se trouvent aux abois.
Les Etats-Unis dans une impasse
Nihon Keizai Shimbun a écrit, le 19 avril 1993, sous le titre
«Dernière carte pour le maintien de son régime actuel»:
«Premièrement, la Corée du Nord renoncera au "développement
d’armes nucléaires" pour maintenir son régime. Deuxièmement, le
problème nucléaire piétinera et la Corée du Nord tombera dans
une impasse. Troisièmement, un conflit armé éclatera et la Corée
du Nord s’effondrera.» Il a ajouté que, de ces trois possibilités
concernant le destin de la Corée du Nord, la deuxième avait à 50
pour cent la chance de devenir réalité et que la tentative de la
Corée du Nord pour se retirer du TNP s’enfoncera dans un
126
bourbier. Cette prévision s’est avérée à moitié juste et à moitié
fausse, car, si le problème nucléaire piétine, la Corée du Nord
n’est aucunement aux «abois».
Les résultats de la conférence de l’ONU pour le désarmement,
tenue à Kyoto du 13 au 16 avril 1993, n’ont nullement satisfait les
attentes des Américains, au point que le représentant américain
s’est déclaré totalement déçu.
Les experts en désarmement et les hommes de science de
presque tous les pays se sont contentés d’exprimer leur
«inquiétude» face à la déclaration par la Corée du Nord de son
retrait du TNP, et ils ont proposé, (1), de mettre en garde contre
des sanctions énergiques en guise de représailles; (2), de résoudre
le problème par voie de négociations entre la Corée du Nord, les
pays intéressés et les organisations concernées, sans regarder au
délai, le 12 juin; (3), de rédiger une déclaration significative de
non-emploi de la première frappe nucléaire sur les pays non
nucléaires; et, (4), de conclure un traité d’arrêt global des essais
nucléaires pour ensuite réaliser le démantèlement général des
armes nucléaires.
Qu’est-ce que cela signifie? Le cas de la Corée du Nord, qui
subit toujours la menace nucléaire des Etats-Unis, ce supergrand
nucléaire, a soulevé un problème commun à tous les pays non
nucléaires et a montré que ceux-ci n’éprouvent que déception et
mécontentement envers le TNP qui les somme d’exécuter leurs
obligations tout en fermant les yeux sur la conduite des pays
nucléaires qui, en dépit de l’article 6 du traité, ne cherchent
nullement à réduire et à démanteler les armes nucléaires.
D’autre part, cette réalité permettait d’envisager qu’un
nombre toujours plus grand de pays s’opposeraient au
prolongement du TNP qui devait être discuté en 1995. Plus la
solution du problème nucléaire traînerait, plus le TNP se
verrait dans 1’«impasse» et plus les Etats-Unis s’enfonceraient
dans un «bourbier».
127
«Si l’on veut amener la Corée du Nord à changer
d’attitude, il faudra modifier la politique des Etats-Unis, du
Japon et de la Corée du Sud. En premier lieu, entamer un
dialogue de haut rang et multiforme pour discuter de
l’ensemble des problèmes: normalisation des relations
politiques et économiques Nord-Sud, réduction et retrait des
troupes américaines stationnées en Corée du Sud,
désarmement, etc. Critiquer la seule Corée du Nord n’est pas
équitable. Les Etats-Unis, en tant que pays nucléaire, devraient
réviser leur politique.» Voilà ce qu’a dit Serig Harrison, associé
supérieur au Carnegie Endowment for International Peace et
ex-directeur du bureau de Tokyo du Washington Post, lors
d’une récente conférence d’experts de Séoul. Pareilles idées
sont aussi exprimées par d’autres Américains.
Michael, associé supérieur au Centre d’études stratégiques et
internationales, et Crowe, président du PFIAB (Président’s
Foreign Intelligence Advisory Board), ont suggéré, presque à
la même époque, d’arrêter une fois pour toutes les manœuvres
militaires «Team Spirit» et de confirmer, au moyen d’inspections de
l’AIEA, le retrait des armes nucléaires américaines de Corée du Sud.
Ledit Centre est un organisme de cerveaux du Parti républicain,
tandis que le PFIAB est un organe chargé d’élaborer et de
recommander les orientations diplomatiques à long terme à
l’administration Clinton. Ainsi les cerveaux des partis démocrate et
républicain se sont-ils accordés à demander un revirement dans la
politique nord-coréenne des Etats-Unis pour régler le problème
nucléaire.
«Nous envisageons d’élever le niveau des pourparlers
américano-nord-coréens pour régler le problème nucléaire de la
Corée du Nord», a dit, à Séoul, Tarnoff, sous-secrétaire d’Etat
américain chargé des affaires politiques. Cette déclaration a pour
arrière-fond la protestation de l’opinion de l’intérieur comme de
l’extérieur et la prise de conscience de la nécessité du dialogue
128
RPDC-USA pour régler le problème nucléaire dans le cadre du
TNP.
Mais le gouvernement américain l’a désavoué en affirmant
qu’il n’avait jamais décidé d’opter pour le dialogue. Les idées
extrémistes ne manquent pas. Riskin, commandant des troupes
américaines en Corée du Sud, par exemple, a dit: «Le danger
d’"attaque" du Nord contre le Sud s’accroît... La Corée du
Nord ment en traitant en réalité des quantités beaucoup plus
importantes de "combustible nucléaire" que celles déclarées à
l’AIEA.»
Mais, les Etats-Unis sont conscients plus que quiconque du
fait qu’il est pratiquement impossible de mobiliser l’ONU et les
autres pays pour appliquer des sanctions à la Corée du Nord. Il n’y
avait donc pas pour eux d’autre choix que d’accepter le dialogue
pour discuter du problème entre les deux pays, en tenant compte
essentiellement des quatre revendications de la Corée du Nord.
2. PREMIERS POURPARLERS RPDC-USA
(De juin à juillet 1993)
Point de jonction entre la «force» et la «riposte»
«Aussi longtemps que les Etats-Unis et la Corée du Nord ne
renonceront pas à la confrontation au profit de la promotion de la
confiance mutuelle, on ne pourra résoudre, cela est évident, le
problème nucléaire. Pour le régler, il faudra trouver un point de
jonction entre la thèse américaine de la "force" et celle, nord-coréenne,
de la "résistance" et de la "riposte" (Sonthaek, revue mensuelle, juin
1993).»
129
La Déclaration conjointe RPDC-USA, rendue publique en
juin, exprime justement ce point de jonction, unique moyen de régler
le problème nucléaire de la péninsule coréenne.
Des idées intéressantes mais divergentes avaient été exprimées à
ce sujet lors de la conférence des pays d’Asie de l’Est tenue à
Tokyo, le 17 mai 1993, juste trois semaines avant la publication de
ladite déclaration.
A) Idées pessimistes et extrémistes
«Impossible d’espérer que la Corée du Nord cédera tant soit
peu— Du moment que les Etats-Unis ont accepté le dialogue, il
faudra élaborer des stratégies à long terme. De toute façon, les
perspectives s’annoncent sombres, puisque les revendications des
deux parties divergent.»
B) Idées optimistes et modérées
«Le gouvernement américain devrait reconnaître son homologue
nord-coréen sur le plan diplomatique—Pour régler à l’amiable les
problèmes existant entre les deux pays, il faudrait, (1), admettre le
régime actuel de Corée du Nord, (2), ouvrir une voie vers la paix et
établir des relations normales d’Etat à Etat par la constitution des
dispositifs requis et, (3), lancer une coopération dans le domaine
économique, en révoquant la défense d’exportation vers la Corée du
Nord.»
A la conférence ont participé des experts et des diplomates
américains, sud-coréens, japonais, chinois et russes, tous versés dans
la question coréenne, et ce sont les Japonais qui ont exprimé les
idées de la première catégorie, et les Américains, celles de la
seconde. Trois semaines plus tard, on a pu voir qui avait raison. Les
Américains, directement concernés par le problème, ont vu juste,
tandis que les Japonais, malgré l’avantage de leur position de tierce
130
qui leurs permettait d’envisager les choses objectivement, ont mal
jugé.
Kogonoki Mashao, professeur à l’université de Keio, a alors
affirmé: «Même si on entame un dialogue, on ne pourra espérer que
la Corée du Nord annule son retrait du TNP, et les Etats-Unis ne
voudront pas normaliser le dialogue américano-nord-coréen, qui n’a
pas d’avenir.»
Cette idée erronnée vient, premièrement, de la fausse image que
le Japon a de la Corée du Nord. Il n’a pas voulu voir ou a négligé de
voir le signal que celle-ci lui envoyait sans cesse.
Il tenait le raisonnement suivant: «La Corée du Nord a besoin de
développer des armes nucléaires et a l’intention de le faire pour
remédier à sa crise économique et combler son infériorité militaire
vis-à-vis de la Corée du Sud, d’une part, et, d’autre part, pour
maintenir son régime en faisant face, étant petit pays, aux Etats-Unis,
ce supergrand.» Ce raisonnement repose sur un parti pris de vieille
date considérant la Corée du Nord comme un «pays très
dangereux» s’opposant à 1’«ordre international» établi par
l’Occident sous la houlette des Etats-Unis. Bien que la Corée du
Nord ait depuis toujours préconisé la dénucléarisation de la
péninsule coréenne, le Japon s’obstine à croire que la Corée du
Nord cherche à trouver la voie de sa survie dans le développement
d’armes nucléaires et, par conséquent, n’a pu juger correctement dès
le début de l’évolution de la situation.
Deuxièmement, il n’a pas remarqué ou n’a pas interprété
correctement le revirement opéré dans la politique nord-coréenne des
Etats-Unis et les changements intervenus dans les rapports
internationaux.
Même aux Etats-Unis, des voix se sont élevées pour
l’amélioration des relations avec la Corée du Nord, et
l’administration américaine, surtout le département d’Etat,
s’apprêtait à modifier sa politique nord-coréenne. Autrement dit, les
Etats-Unis ont pris conscience de la nécessité de mettre fin aux
131
relations d’hostilité actuelles avec la Corée du Nord et d’assouplir
l’actuel état de choses ankylosé.
Si les Etats-Unis s’orientent vers des sanctions sur la Corée du
Nord, «ils se verront aliénés du reste du monde et répéteront le
drame de la Bosnie» (Curtis, professeur à l’université de
Columbia). Ainsi, comme l’application de sanctions pouvait mettre
les Etats-Unis dans une situation peu désirable, ceux-ci avaient intérêt
à ne pas y recourir à la légère.
Le dialogue RPDC-USA constitue donc l’aboutissement logique
de la situation des deux pays.
Le premier vice-ministre des Affaires étrangères de la RPDC,
Kang Sok Ju, a qualifié les pourparlers d’«historiques». Cependant,
Izmigen, maître assistant à l’université de la préfecture de Shizuoka,
a objecté que «ce n’est qu’un simple retour à la situation d’avant le
12 mars (avant le retrait du TNP)», en répétant ainsi l’idée
américaine selon laquelle «aucun changement substantiel n’a marqué
les relations américano-nord-coréennes». Mais, si l’on compare la
situation d’avant le 12 mars et celle intervenue trois mois après la
publication de la Déclaration conjointe RPDC-USA, on comprend
bien que des changements profonds et fondamentaux ont été opérés.
Premièrement, les deux pays adverses ont entamé un dialogue;
deuxièmement, les Etats-Unis ont promis à la Corée du Nord de ne
pas la menacer avec leurs armes nucléaires, et, sur cette base, les
deux ont pu entreprendre une discussion des problèmes politiques
relatifs à l’origine du «problème nucléaire» — il paraît que tous les
problèmes politiques concernant la péninsule coréenne ont été
abordés—; troisièmement, ils sont convenus, en principe, de
dénucléariser la péninsule coréenne; quatrièmement, les deux parties
se sont engagées à respecter mutuellement leur souveraineté et à ne
pas intervenir dans les affaires intérieures l’une de l’autre;
cinquièmement, elles sont convenues de poursuivre le dialogue sur
un pied d’égalité et de manière équitable.
132
De tels accords entre les deux pays belligérants ne peuvent-ils
pas être qualifiés d’«historiques»? Qui le nie ne peut avoir de vision
correcte des perspectives du dialogue nord-coréo-américain.
Pour éviter un second Panama, un second Irak
En 1989, les Américains envahirent le Panama et «arrêtèrent» le
général Noriega, commandant de la garde nationale. Peut-être, grâce
à l’habileté de la campagne de propagande entreprise par les médias
américains sous prétexte de «punir» en lui le «patron du trafic de
drogue», l’opinion mondiale n’a pas élevé la voix pour condamner
cet acte d’agression évident comme elle l’avait fait contre l’Irak lors
de son invasion du Koweït.
Or, la vérité en a été révélée, tout récemment, par une chaîne de
télévision américaine. Elle a projeté un film documentaire pris sur
les lieux: la capitale de ce pays a été réduite en cendres sous les
bombardements aériens américains, un grand nombre de civils
massacrés ou arrêtés. Les Américains ont ainsi perpétré des
atrocités abominables sous couvert de châtier le «mal», et leur
opération de désinformation a réussi magistralement.
Le documentaire suggère cette conclusion: les Etats-Unis ont
envahi le Panama, non pas pour arrêter le général Noriega, mais pour
réduire à néant la garde nationale du Panama afin de conserver
leur droit sur le canal du Panama.
Le «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord semble une
combine du même acabit. Les Etats-Unis voulaient attaquer la Corée
du Nord par la voie «légitime», par le biais de l’AIEA, puisqu’ils
n’avaient pu la frapper même après avoir répandu l’idée qu’elle était
le «principal facteur d’instabilité en Asie de l’Est». S’ils
réclamaient l’«inspection spéciale», c’était pour «désarmer» la Corée
du Nord, «isoler, asphyxier et écraser le système socialiste nordcoréen».
133
Si la Corée du Nord n’avait pas pris de mesures aussi
énergiques que la déclaration de son retrait du TNP, comment auraitelle pu éviter de se retrouver victime de la combine américaine
comme le Panama et l’Irak?
Les Etats-Unis avaient estimé, semble-t-il, que la Corée du
Nord «céderait» s’ils la menaçaient de faire d’elle un second Irak en
mobilisant l’ONU.
Lorsque la Corée du Nord a déclaré son retrait du TNP, les
médias occidentaux ont fait chorus en disant qu’«il ne ferait
qu’accélérer son isolement» et que «les Etats-Unis, le Japon et la
Corée du Sud envisageraient des sanctions». Mais, à trois mois de là,
on a assisté à une situation tout à fait contraire.
Le «problème nucléaire» s’est avéré un simple prétexte visant à
écraser la Corée du Nord. Les Etats-Unis ne se préoccupent de savoir
s’il s’agit des droits de l’homme, de l’exportation de missiles ou de
la production d’armes chimiques que dans la mesure où cela sert à
réaliser leur dessein. Et le «soupçon de développement d’armes
nucléaires» paraissait à leurs yeux le meilleur des prétextes. Si la
Corée du Nord n’avait pas déclaré son retrait du TNP, les choses
auraient tourné exactement selon le scénario américain.
«Le plus important est le fait que la discussion a été concentrée,
au cours des pourparlers, sur les problèmes politiques relatifs à la
solution fondamentale du problème nucléaire dans la péninsule
coréenne (Kang Sok Ju, premier vice-ministre des Affaires
étrangères de la RPDC).» Ainsi, au lieu de minimiser la solution du
«problème nucléaire» en la bornant à l’acceptation par la Corée du
Nord d’«inspection spéciale» de l’AIEA, on a discuté des mesures à
prendre pour apporter une solution globale au problème nucléaire,
aggravé à l’extrême à cause des menaces nucléaires que les
Américains exerçaient sans cesse sur la Corée du Nord depuis 1957,
en déployant des armes nucléaires en Corée du Sud.
Certains disaient cependant: «Il faut que la Corée du Nord reste
membre du TNP, car cela constitue une condition préalable à la
solution du problème, bien que nullement suffisante (Yomiuri
134
Shimbun, le 13 juin 1993).» Une telle estimation vient de ce qu’on
n’a pas saisi l’essence du problème nucléaire ou qu’on voulait
minimiser ou déformer la portée de la Déclaration conjointe RPDCUSA.
La réintégration de la Corée du Nord au TNP n’est pas une
condition indispensable à la solution du problème. L’est plutôt la
dissipation de l’état de confrontation qui dure depuis plus de 40 ans
entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Et voici les mesures
précises qui s’imposent pour y parvenir: (1), s’engager à ne pas
employer le premier les armes nucléaires et à ne pas les utiliser
comme menace réciproque; (2), respecter mutuellement la
souveraineté de chaque pays et ne pas se mêler des affaires
intérieures l’un de l’autre; (3), dénucléariser la péninsule coréenne
et y assurer la paix. Ces mesures proposées depuis longtemps par
la Corée du Nord se trouvent traduites dans la Déclaration conjointe.
Les Etats-Unis ont également consenti à ce qu’on précise dans la
Déclaration qu’«ils soutiennent la réunification pacifique de la
Corée».
C’est un fait de portée remarquable, attestant un revirement
profond opéré dans la politique nord-coréenne des Etats-Unis. Les
Américains, tout en menaçant la Corée du Nord de la frappe
nucléaire, avaient tenté de déclencher une guerre nucléaire contre
elle. Et voilà qu’ils ont reconnu le régime de la Corée du Nord qui
leur tenait si fermement front.
Le président Clinton a qualifié les résultats des pourparlers de
«réussite», et Robert Gallucci, assistant au secrétaire d’Etat, a
affirmé que c’était «un pas positif vers la dénucléarisation de la
péninsule coréenne». Ce sont autant de preuves montrant que les
Etats-Unis ont fini par prendre conscience de la nécessité du dialogue,
la seule voie pour la solution du «problème nucléaire».
135
Recherche d’un moyen de contrôle de la
dénucléarisation
«Au Conseil de sécurité, on a poussé un soupir de soulagement
quand la motion de sanctions, ayant peu de chance d’être approuvée par
les pays membres, a été écartée (Asahl Shimbun, le 12 juin 1993).»
«Les hommes de l’AIEA ont lâché un soupir de soulagement en
voyant rétablie la possibilité du dialogue avec la Corée du Nord
(Tokyo Shimbun, le 13 juin 1993).»
Voilà les commentaires de la réaction du Conseil de sécurité de
l’ONU et de l’AIEA aux résultats des pourparlers RPDC-USA, et ils
laissent clairement entendre que ces deux organisations
internationales étaient inaptes à régler le problème nucléaire de la
péninsule coréenne.
Inaptes, premièrement, parce que ce problème nucléaire est né de
l’introduction, depuis 1957, d’armes nucléaires américaines en Corée
du Sud et de la menace nucléaire que les Américains exercent
constamment sur la Corée du Nord.
En 1975, Schlesinger, alors secrétaire à la Défense américain, a
dit: «Je crois que tout le monde le sait, nous avons déployé des
forces nucléaires tactiques en Corée du Sud.» Si les Etats-Unis ont
méconnu leur politique NCND (Neither Consent Nor Deny) dans la
seule péninsule coréenne, c’était pour exercer une pression sur la
Corée du Nord, en usant ouvertement du chantage nucléaire.
Deuxièmement, parce que les Américains, bien que nettement
conscients de la nécessité du dialogue pour la solution du problème,
voulaient avoir raison de la Corée du Nord par le truchement des
organisations internationales, tout comme ils l’ont fait avec l’Irak.
Les Américains ont sommé Blix, directeur général de l’AIEA,
de procéder à des «inspections spéciales» même lorsque cette
organisation effectuait sans accroc ses inspections régulières en
Corée du Nord et qu’il avait déclaré n’avoir «rien trouvé qui
136
puisse prouver qu’on développe des armes nucléaires». Ainsi,
l’AIEA a dû changer d’attitude du jour au lendemain, et le
problème s’est compliqué à l’extrême, au point que la Corée du Nord
a déclaré son retrait du TNP. L’AIEA, ayant commis ainsi des
iniquités en pratiquant deux poids, deux mesures, s’est révélée inapte
à résoudre le problème nucléaire.
Le Conseil de sécurité de l’ONU, se voyant contraint de réagir,
face aux «plaintes» des pays occidentaux, dont les Etats-Unis, de la
Corée du Sud et du Japon, a publié une «déclaration» de son
président et une «résolution» aux expressions pourtant assez
modérées. La «résolution» demandait tout simplement à la Corée du
Nord de respecter le TNP et l’accord de garanties, en ajoutant que,
«au besoin, il envisagerait une autre mesure». Cela prouve que le
Conseil de sécurité était parfaitement conscient de l’impossibilité de
prendre toute autre «mesure» efficace.
Le gouvernement chinois s’est opposé dès le début à la pression
et à la sanction et a préconisé un dialogue et des négociations entre
les pays concernés; il a affirmé en maintes occasions que, «en
portant le problème au Conseil de sécurité, on ne ferait que
compliquer les choses, loin de contribuer à la solution du
problème». Bien des pays non nucléaires et des pays du Tiers-Monde
expriment les mêmes idées. Le Conseil de sécurité a perdu ainsi
toute marge de manœuvre. Et la «résolution», qu’il a adoptée
malgré lui, manque de fondement. Quant au «soupçon nucléaire», ce
n’est qu’un soupçon, et non une menace réelle contre tel ou tel pays.
Et appliquer des sanctions en invoquant un tel soupçon serait violer
la Charte de l’ONU et le droit international. Ainsi, cette «résolution»
manque de fondement juridique. Telle est une des raisons pour
lesquelles on a lâché un «soupir de soulagement».
Et maintenant que la Corée du Nord et les Etats-Unis, les deux
pays intéressés, ont publié une déclaration conjointe après avoir discuté
des problèmes politiques liés à la solution fondamentale du problème
nucléaire, quelles mesures concrètes peut-on envisager?
137
L’ambassadeur nord-coréen à Vienne a déclaré que son pays
«étudiait le moyen de rendre transparentes ses activités nucléaires
devant la communauté internationale, sans rejoindre le TNP» et a
cité en exemples le Brésil et l’Argentine qui, sans avoir adhéré au
TNP, ont admis des inspections réciproques.
L’essentiel dans la solution du problème nucléaire est de
contrôler correctement le processus de dénucléarisation de la
péninsule coréenne. Que la Corée du Nord réintègre le TNP et
subisse unilatéralement l’inspection de l’AIEA, cela ne contribue
pas à libérer la péninsule coréenne des armes nucléaires. Avec des
mesures coercitives comme 1’«inspection spéciale», on ne peut rien
résoudre; du reste, la Corée du Nord ne l’admettra jamais. Aussi les
Etats-Unis et l’AIEA tâchent-ils maintenant d’éviter d’y recourir, et
les Etats-Unis et la Corée du Sud pensent, entre autres, à la
participation de l’AIEA aux inspections réciproques entre le Nord
et le Sud.
La Corée du Nord pourrait réintégrer le TNP, si celui-ci opérait de
manière équitable. Que les Etats-Unis et la France aient décidé de
continuer de geler leurs essais nucléaires et aient entrepris des
démarches pour l’adoption d’un traité d’interdiction globale des essais
nucléaires est un geste appréciable. La Corée du Nord souhaite
également, outre la dénucléarisation de la péninsule coréenne, le
démantèlement complet des armes nucléaires dans le monde.
Vision positive et vision négative
«(Les Etats-Unis) souhaitent voir la Corée du Nord rester
membre du TNP, et cela lui profitera également (président Clinton).»
«Si la Corée du Nord dispose d’armes nucléaires et de vecteurs,
ce sera, à cette distance, une menace directe pour le Japon. Bien qu’il
n’ait pas la moindre intention de développer des armes nucléaires, le
Japon ne pourra pas ne pas y penser sérieusement s’il se voit l’objet
d’une telle menace (le premier ministre Miyazawa).»
138
Voilà ce qu’ils ont dit, lors d’une conférence de presse après le
sommet nippo-américain. Quelle différence y a-t-il entre ces deux
visions, «positive» et «négative»?
Si le premier ministre japonais met l’accent sur les «armes
nucléaires et les missiles» de la Corée du Nord en les décrivant
comme une «menace», c’est qu’il poursuit deux objectifs.
Premièrement, il veut se servir du «soupçon nucléaire» pesant sur
la Corée du Nord comme justification pour développer ses propres
armes nucléaires. «Le Japon ne pourra pas ne pas y penser
sérieusement» peut être interprété comme «il ne peut pas ne pas
disposer d’armes nucléaires». Si le Japon a hésité à dire oui à ce
qu’on précisât, dans la déclaration politique du G7 de Tokyo,
l’idée de prolongement sans limitation de durée du TNP, c’est
parce qu’il pensait: «Alors que la Corée du Nord développe des
armes nucléaires, pourquoi le Japon devra-t-il s’engager toujours à ne
pas en disposer?» Ainsi la «menace nord-coréenne» lui fournit-elle un
prétexte pour la fabrication d’armes nucléaires. Avant, c’était la
«menace soviétique» qui lui servait de prétexte pour l’accroissement
des forces armées, et, maintenant qu’il est impossible de l’invoquer,
il a trouvé à la place «la menace nord-coréenne». S’il l’a inventée à
ces fins, hélas! il court un danger mortel.
Deuxièmement, c’est en vue de continuer sa politique d’hostilité
envers la Corée du Nord. Autrement dit, il refuse obstinément de la
reconnaître et de nouer avec elle des relations d’amitié; il tend à
poursuivre, comme au temps de la guerre froide, la voie de la tension
qu’il croit propre à accélérer 1’«effondrement du régime nordcoréen», qu’il veut voir se produire au lieu de tâcher de contribuer à
l’amélioration de la situation dans la péninsule coréenne.
Des paroles similaires ont été prononcées par d’autres
membres du gouvernement japonais. Muto, ministre japonais des
Affaires étrangères, a déclaré: «Si le missile récemment construit
venait s’abattre sur le Japon, les dégâts qui en résulteraient seraient
incomparables à ceux causés par le séisme qui s’est produit
récemment au large au sud-ouest de Hokkaido. Pareilles horreurs
139
sont à prohiber (Tokyo Shimbun, le 14 juillet 1993).» Et tout cela
démontre la vision politique et l’approche diplomatique
anachroniques des autorités japonaises, «vision et approche
négatives». Il est à noter que, en répondant aux questions posées
relativement au «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord,
seul le chef du Parti communiste, parmi les chefs des neuf partis
politiques japonais, a dit qu’«il trouvait impossible une solution
adéquate du problème dans le cadre du TNP qui ne tend qu’à
assurer le monopole américain des armes nucléaires, et qu’il
faudrait, pour y arriver, détruire l’ensemble des armes
nucléaires». Tous les autres partis «ont préconisé l’inspection
spéciale de l’AIEA». Cela montre que la plupart des partis
politiques nippons n’avaient pas une idée claire du problème
nucléaire de la péninsule coréenne ni de sa solution fondamentale.
Si vraiment le Japon tient à s’ériger en puissance politique, il
devra exécuter une tâche importante avant d’espérer obtenir le statut de
membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Il devra, en effet,
se départir de l’esprit de la guerre froide suranné et mettre fin à ses
relations anormales—avec la Corée du Nord— qui constituent le dernier
vestige de la guerre froide, pour réparer ainsi ses erreurs passées et
exercer son influence en faveur de la solution du problème nucléaire
dans la péninsule coréenne et de la réunification de la Corée. S’il
continue sur sa lancée actuelle, le Japon finira par se retrouver à la
traîne de l’évolution du courant mondial.
140
3. DEUXIEMES POURPARLERS RPDC-USA
(De juillet à août 1993)
Un tournant dans l’effort pour mettre fin
aux relations d’hostilité
«Les pourparlers ont fait des progrès et se sont avérés productifs
(Kang Sok Ju, premier vice-ministre des Affaires étrangères de la
RPDC).»
«L’objectif visé a été atteint. On a fait un pas important, bien que
modeste (Gallucci, assistant au secrétaire d’Etat américain).»
«Un progrès notable a été fait vers la solution du "problème
nucléaire" du Nord (porte-parole du ministère sud-coréen des Affaires
étrangères).»
Les pays intéressés comme les pays et les organisations
internationales concernés par le problème nucléaire de la péninsule
coréenne s’accordèrent à apprécier favorablement les résultats des
deuxièmes pourparlers RPDC-USA. Tout le monde s’est déclaré
satisfait des résultats et des perspectives, sauf le ministre japonais des
Affaires étrangères, incapable de comprendre le courant de l’époque
contemporaine. Il disait: «On ne peut y voir clair, et on ne peut en
donner une appréciation globale.»
En effet, certains prétendaient: «Les Etats-Unis avaient fait trop
de concessions—Habile était la diplomatie nord-coréenne—
L’opiniâtreté du Nord a gagné la partie—II fallait prendre garde au
stratagème du Nord.»
Pourtant, Gallucci a exprimé sa conviction qu’il n’y avait pas de
recul dans le règlement du problème, et le département d’Etat
américain regardait d’un œil optimiste la situation et les perspectives,
141
ce qui porte à croire que les Etats-Unis aussi y ont gagné beaucoup,
loin d’avoir fait des concessions unilatérales.
Le communiqué conjoint a indiqué, dans sa dernière partie, que
les deux parties discuteraient prochainement des problèmes relatifs à
l’établissement de fondations en faveur de l’amélioration globale de
leurs relations. Si les Etats-Unis, qui avaient affirmé ne vouloir
discuter que du problème nucléaire, ont consenti à discuter de
l’amélioration des relations, c’est parce que, estime-t-on, les
pourparlers leur ont été profitables. Le communiqué ne s’est point
proposé de justifier tout ce qui avait été discuté et convenu entre les
deux parties.
«Si les pourparlers de New York ont été consacrés à élaborer les
principes à respecter dans la solution du problème nucléaire et des
autres problèmes d’actualité intéressant la Corée du Nord et les
Etats-Unis, ceux de Genève ont servi à élaborer les mesures
pratiques à prendre pour leur mise en application (ministère des
Affaires étrangères de la RPDC).»
C’est bien ce qui montre le caractère des derniers pourparlers
qui se sont attachés à travailler à la solution substantielle du
problème nucléaire et à l’amélioration des relations RPDC-USA et
qui ne se sont pas arrêtés à des marchandages politiques. Et les
deux parties, nettement conscientes de la nécessité de ce processus,
gravissent maintenant pas à pas l’escalier menant à la réalisation de
leurs objectifs communs.
Commentant les pourparlers de New York, la Corée du Sud et le
Japon blâmèrent les Etats-Unis: «Les Américains ont fait preuve
de faiblesse.» Or, un officiel du département d’Etat américain a
répliqué, disant: «Il ne faut pas prêter attention à de tels propos;
nous, on n’est pas leur commis.»
Si le président Clinton a proféré des menaces envers la Corée du
Nord, sur la ligne de démarcation militaire dans la péninsule
coréenne, lors de sa visite, c’était probablement pour calmer la
Corée du Sud. Le New York Times a écrit, le 14 juillet 1993, que le
président a témoigné d’un «grand talent dans sa diplomatie asiatique»
142
en ajoutant que, «en promettant de maintenir la présence militaire
américaine en Corée du Sud, il a apaisé la Corée du Sud et gagné du
temps pour multiplier les contacts diplomatiques (avec la Corée du
Nord)».
Les médias japonais dirent: «La Corée du Nord a gagné du
temps.» Quoi qu’ils en disent, le fait est que les deux parties
avaient besoin de temps pour élaborer une solution substantielle de
multiples problèmes, à l’abri de l’ingérence d’un tiers. C’est dans
cette «perspective» que les deux parties s’engagèrent à reprendre la
discussion dans les deux mois qui suivraient la publication de leur
communiqué conjoint. Ce serait, d’après le ministère des Affaires
étrangères de la RPDC, «la continuation des pourparlers, pour
l’élaboration de méthodes pertinentes».
Le 27 juillet 1993, à l’occasion du 40e anniversaire de la
victoire dans la guerre de Corée, ont eu lieu à Pyongyang un défilé
militaire et une manifestation d’un million de citadins. Les médias
japonais avaient annoncé qu’il y aurait «une parade militaire
d’envergure dépassant même celle de l’année dernière, le 60e
anniversaire de la fondation de l’Armée populaire de Corée, et
que Kim Jong Il ferait par là même démonstration de son habileté».
Mais rien de semblable ne s’est produit: les festivités affectèrent un
caractère purement symbolique: sans doute s’est-on rendu compte de la
nouvelle tournure que prenaient les relations RPDC-USA.
Le premier ministre nord-coréen, Kang Song San, a déclaré, en
commentant les résultats des pourparlers, dans son allocution
prononcée lors d’un meeting au niveau central, à la veille de la fête,
que les pourparlers avaient posé les «fondements de la mise d’un
terme aux relations d’hostilité qui durent depuis plus de quarante
ans et de la solution fondamentale du problème nucléaire» et que
«c’était un événement historique contribuant à la paix en Asie et
dans le reste du monde».
Le communiqué conjoint a réaffirmé la validité de
l’engagement américain de ne pas employer les armes nucléaires, et,
bien qu’il ne l’ait pas indiqué explicitement, il était convenu de ne
143
pas déployer d’armes nucléaires et de ne pas réitérer les manœuvres
militaires «Team Spirit» en Corée du Sud. Désormais, les Etats-Unis
étaient un interlocuteur de la Corée du Nord avec qui elle devait
normaliser les relations. C’est la raison pour laquelle la Corée du
Nord appréciait les résultats des pourparlers comme faisant date et
déclarait que les relations entre les Etats-Unis et elle abordaient un
tournant.
La livraison de réacteurs à eau légère contribuera à
la non-prolifération des armes nucléaires
Qu’est-ce qui était à l’origine du «soupçon nucléaire» qu’a
l’Occident à l’égard de la Corée du Nord?
1) la Corée du Nord a repoussé l’inspection de l’AIEA
certainement afin de gagner le temps de «développer des armes
nucléaires».
2) une «pile atomique de taille» devait sûrement être installée à
Nyongbyon, ainsi que des «installations de retraitement du
combustible usé»; il devait y avoir aussi des «installations de
traitement du combustible nucléaire» et un «terrain d’essai
d’explosion nucléaire».
3) la quantité de plutonium signalée par la Corée du Nord ne
coïncidait pas avec les estimations de l’AIEA, et le taux de formation
de cette matière n’était pas au prorata exact du volume de l’eau
usée, parce que le Nord devait sans doute en avoir «caché»une
bonne partie.
4) on remarquait, en deux endroits à Nyongbyon, des
bâtiments et des installations non déclarés qui semblent des
«installations de retraitement et de conservation des déchets
nucléaires».
Voilà en grandes lignes les points censés éveiller le soupçon. Il y
en a d’autres encore qui, cependant, ne sont que des suppositions
arbitraires, ne méritant pas d’être examinés. Nous n’analyserons
144
donc que les quatres points susmentionnés. Quant au premier point, on
doit le tenir pour éclairci, parce que la Corée du Nord a signé avec
l’AIEA un accord de garanties aux termes duquel elle a subi six
inspections non régulières.
Quant au deuxième point, les inspections ont établi que les
installations soupçonnées d’être destinées au «retraitement du
combustible usé» n’étaient qu’en cours de construction, d’ailleurs,
suspendues pour le moment, et qu’elles n’étaient qu’un laboratoire
radiochimique. Le directeur général de l’AIEA, M. Blix, a affirmé
lui-même que tout était destiné à une «exploitation pacifique de
l’énergie atomique».
Pour ce qui est du troisième point, la meilleure solution pour
l’éclaircir était vérifier les calculs des deux parties, mais l’AIEA
n’osait pas exposer ses chiffres. On pourrait très bien tirer au clair le
problème du taux de formation en vérifiant les barres de
combustible. Bien qu’il n’ait pas été indiqué dans le communiqué,
il paraît que la Corée du Nord et les Etats-Unis sont convenus
d’admettre la présence de l’AIEA au renouvellement du combustible
nucléaire. Nous examinerons le quatrième point un peu plus tard.
Si la Corée du Nord et les Etats-Unis sont tombés d’accord sur la
livraison de réacteurs à eau légère, c’était pour dissiper complètement
le soupçon découlant de ces trois points équivoques.
Généralement, on distingue deux types ou deux filières de
réacteurs atomiques: la filière uranium naturel-eau lourde ou
graphite-gaz carbonique, appelée couramment réacteur à graphite, et
la filière uranium 235 enrichi-eau ordinaire, appelée couramment
réacteur à eau légère.
Le réacteur à graphite est relativement simple et aisé à construire, et
le réacteur expérimental de 5 MW installé à Nyongbyon en Corée du
Nord relève de ce type. Or, le réacteur à graphite existe en plusieurs
types, dont le type britannique Calder Hall et le type soviétique, et le
réacteur de la Corée du Nord ressemblait au type britannique. Mais les
techniciens nord-coréens, se référant principalement à la technologie
russe, ont mis au point une technologie à leur mesure et construit une
145
pile atomique de leur propre cru. Il convient donc de dire plutôt que
c’est un réacteur proprement coréen.
La Corée du Nord s’est attachée jusqu’ici à élaborer des
moyens d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques en
installant des réacteurs à uranium naturel-graphite-gaz carbonique et
en établissant un système de recyclage du combustible nucléaire. «Le
choix était, disait le ministère de l’Energie atomique, le plus
approprié qui soit à la réalité de notre pays, bien qu’il ne soit pas
avantageux par rapport au réacteur à eau légère.»
Premièrement, la filière à graphite permettait à la Corée du
Nord de s’assurer l’indépendance et l’autonomie en matière
d’énergie atomique; deuxièmement, la Corée du Nord pouvait tirer
profit de ses abondants gisements d’uranium naturel; troisièmement,
l’ex-Union soviétique qui lui avait fourni la technologie nucléaire
développait essentiellement les réacteurs à graphite; quatrièmement,
l’Occident monopolisait la technologie du réacteur à eau légère et
de l’enrichissement de l’uranium, ce qui rendait difficile pour la
Corée du Nord de l’obtenir.
Puisque la Corée du Nord a opté pour la filière à graphite, «il est
naturel qu’elle étudie et teste les procédés d’extraction du plutonium
du combustible nucléaire usé» (Toyota Toshiyuk, professeur
honoraire à l’université de Nagoya), et c’est bien ce qui a éveillé le
«soupçon nucléaire».
Quel que soit le type du réacteur, le combustible usé donne du
plutonium, et le réacteur à graphite, plus facilement. Le premier
réacteur apparu dans le monde fut celui construit par les
Américains, pour fabriquer la bombe atomique, et il relevait aussi
de la filière à graphite. C’est ce type de réacteur qu’on exploite
encore pour produire le plutonium destiné à la fabrication des
armes nucléaires. «Un pays de bonne foi peut très bien exploiter
les réacteurs à graphite, mais un pays de mauvaise foi, non, car il
peut s’en servir pour fabriquer des armes nucléaires.» Voilà un
raisonnement absurde, mais qui a servi de fondement au
«soupçon nucléaire» à l’égard de la Corée du Nord.
146
Le réacteur à eau légère peut être agrandi facilement, et il est, diton, d’un coût modéré et plus sûr. On comptait dans le monde 420
réacteurs atomiques en décembre 1993, et 331 d’entre eux sont de
type à eau légère, soit environ 80 pour cent. Ainsi, il constitue le
type le plus courant. Parce que ce type de réacteur est
économiquement et technologiquement supérieur au type à graphite
et plus sûr, la Corée du Nord a manifesté de bonne heure son intention
de remplacer son réacteur à graphite par celui à eau légère.
Elle a fait savoir, en 1992, aux Etats-Unis et à l’AIEA, sa
volonté d’arrêter l’étude de la technique de retraitement du
combustible usé si les Etats-Unis et le Japon lui fournissaient la
technologie du réacteur à eau légère, et, en août de la même année,
lors de sa visite en Corée du Sud, le vice-premier ministre nordcoréen, Kim Tal Hyon, en a informé officiellement les autorités du
Sud. Les Etats-Unis et la Corée du Sud y ont alors fait la sourde
oreille, mais, cette fois-ci, les Etats-Unis ont promis de lui venir en
aide, et la Corée du Sud aussi a dit lui offrir sa coopération
technologique. Cela parce qu’il est difficile de produire du plutonium
dans les réacteurs à eau légère et que seulement un nombre restreint
de pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la
France et l’URSS disposent de la technologie de l’enrichissement de
l’uranium; les autres pays devant s’adresser à eux s’ils veulent utiliser
de l’uranium enrichi, ce qui rend impossible, pour eux, de se
soustraire au contrôle international et à l’inspection de l’AIEA.
Gallucci a affirmé que «le réacteur à graphite favorise la
prolifération des armes nucléaires, tandis que celui à eau légère en
assure la non-prolifération». Sa remarque s’accorde avec celle de
Kang Sok Ju: «C’était afin de prouver l’absence chez nous de
volonté de développer des armes nucléaires.»
En acceptant l’installation de réacteurs à eau légère, la Corée du
Nord devra admettre l’arrivée «de matériaux, d’argent, de personnel
et de technologie» américains et occidentaux sur son territoire. En
d’autres termes, la construction de réacteurs accélérera le processus
d’amélioration des relations entre la Corée du Nord et l’Occident.
147
Sans cela, il serait difficile d’installer ce type de réacteur en Corée du
Nord. Ainsi le réacteur à eau légère symbolise-t-il des changements
qui vont marquer les relations RPDC-USA
L’inspection régulière constitue le meilleur moyen
de dissiper le «soupçon»
La Corée du Nord a déclaré, lors des pourparlers, qu’elle ne
pouvait accepter l’«inspection spéciale», et Yakahata l’a commenté,
écrivant, le 21 juillet 1993, que cela revenait à «remettre la solution
du problème à plus tard», que le problème était que «la discussion
était centrée principalement sur le TNP» et qu’«il en était ressorti
clairement l’erreur d’avoir fait du problème de la dénucléarisation de
la péninsule coréenne l’objet d’un marchandage au profit de
l’amélioration des relations entre les deux pays».
L’Akahata a-t-il raison?
Premièrement, la Corée du Nord s’est opposée à l’«inspection
spéciale», parce que c’était, pour elle, une inspection forcée sur ses
installations militaires n’ayant rien à voir avec le problème nucléaire.
Mais si l’AIEA tenait absolument à les voir, elle pourrait accepter
une autre forme d’inspection qui respecte strictement sa souveraineté.
Telle a été la position de la Corée du Nord qui rejetait
catégoriquement l’«inspection spéciale», de crainte que l’AIEA
n’exigeât qu’elle lui montre d’autres installations militaires encore.
Deuxièmement, la Corée du Nord ne s’oppose pas au TNP luimême; c’est bien pourquoi elle y a adhéré. Ce qu’elle met en
cause, ce sont l’iniquité et l’inégalité. Elle condamne le fait que les
pays nucléaires ne remuent pas leur petit doigt pour démanteler les
armes nucléaires. Elle s’est efforcée de respecter le TNP, puisqu’on
n’en a pas encore trouvé de meilleur.
Troisièmement, le problème nucléaire est apparu dans la
péninsule coréenne par suite du déploiement des armes nucléaires
américaines en Corée du Sud, et il est lié aux relations d’hostilité
148
entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Aussi la solution
fondamentale du problème de la dénucléarisation suppose-t-elle
l’amélioration de ces relations. Actuellement, on joue un jeu serré:
une partie jette la carte de «soupçon nucléaire», tandis que l’autre
partie lui riposte par la carte diplomatique qu’est l’amélioration des
relations. C’est pourtant un jeu fréquent, voire habituel dans l’arène
diplomatique. Or, la Corée du Nord et les Etats-Unis ont mené une
lutte intense au sujet du «soupçon nucléaire», plutôt que de
«marchander» autour du problème de la dénucléarisation de la
péninsule coréenne.
Ils sont convenus cette fois-ci d’appliquer à la rigueur et avec
équité l’accord de garanties, et la Corée du Nord a promis de rouvrir
ses négociations avec l’AIEA. Ainsi un groupe d’inspecteurs de
l’AIEA a-t-il fait un séjour d’une semaine en Corée du Nord à partir
du 3 août pour passer en revue les dispositifs de test et renouveler la
pellicule de sa caméra de surveillance. Ce fut un premier pas dans la
collaboration officielle entre la Corée du Nord et l’AIEA.
Peter Hayes, codirecteur de l’Institut Nautilus aux Etats-Unis, a
fait remarquer: «L’important était d’inspecter régulièrement les
installations signalées par la Corée du Nord. Quant à l’inspection
spéciale, elle ne vaudrait que pour vérifier ce que la Corée du Nord
a fait dans le passé et ce dont elle disposait en ce moment. Qu’elle
rejette l’inspection spéciale ne signifie pas qu’elle veuille disposer de
plus importantes quantités de matière nucléaire.»
Bref, pour savoir si la Corée du Nord développe ou non des
armes nucléaires, il faut effectuer des inspections non régulières,
plutôt que spéciales. Certains disaient pourtant que c’était là une
tentative pour «gagner du temps» ou une «tactique dilatoire visant à
cacher les déchets nucléaires». Ce ne sont que des dénigrements
dépourvus de fondement.
Même à supposer qu’elle conserve des déchets nucléaires dans
les «deux installations suspectes», elle ne pourrait les déplacer
ailleurs puisque c’est une matière fortement radioactive. Du reste, elle
149
ne pourrait en obtenir des quantités suffisantes de plutonium pour la
fabrication d’armes nucléaires.
La Corée du Nord a déclaré qu’elle n’en possédait qu’une
«infime quantité», sans pourtant la préciser, et l’Occident estimait
qu’elle en disposait d’une quantité suffisante pour la fabrication de
«quelques ogives nucléaires».
Même si l’on admettait cette hypothèse, il serait téméraire,
sinon absurde, de vouloir posséder quelques armes nucléaires, car,
avec un aussi pauvre arsenal nucléaire, on ne pourrait frapper aucun
pays ennemi. Si la Corée du Nord les employait, elle ne pourrait
éviter les représailles nucléaires des Etats-Unis, ce qui la ruinerait
totalement. Ainsi, son effort nucléaire n’aurait aucun sens sur le
plan militaire et ne pourrait produire à peine qu’un effet éphémère
sur le plan politique.
L’important dans l’inspection de l’AIEA est de faire
fonctionner en permanence les dispositifs de surveillance et de tirer
au clair le «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord par des
inspections non régulières, d’une part, et, d’autre part, d’analyser les
barres de combustible usées pour en comparer les résultats au rapport
présenté par les autorités de la Corée du Nord. De cette façon, on
pourrait éclaircir sans difficulté tout ce qui est suspect, sans même
recourir aux inspections spéciales. S’obstiner à les imposer envers et
contre tout revient à vouloir retarder et empêcher la solution du
problème nucléaire.
150
4. L’AMELIORATION DES RELATIONS EST
L’IMPERATIF DES TEMPS, PASSE ET PRESENT
(Février 1994)
La «politique de force» sans issue
Un an s’était écoulé depuis l’entrée en scène de l’administration
Clinton qui se réclamait de «changements». Les opinions à son
endroit varient, mais ce qui est clair, c’est que les Etats-Unis n’ont
pas pu ne pas tenir compte des changements intervenus dans le
monde depuis la fin de la guerre froide et que cela a eu des
répercussions, entre autres, sur leur politique envers la péninsule
coréenne, le seul et dernier théâtre de la guerre froide dans le monde,
région menacée du plus grave danger de guerre.
L’objectif stratégique suprême que l’administration Clinton
s’est proposé est le désarmement (réduction du budget et des
effectifs militaires) et la prévention de la prolifération des armes
nucléaires. Il fallait absolument réduire le budget militaire si elle
voulait combler l’énorme déficit budgétaire et commercial extérieur
et redresser l’économie américaine.
Cependant, le département américain de la Défense a publié en
septembre 1993 sa «stratégie de riposte simultanée dans deux
régions», un «nouveau projet stratégique», qui définissait la Corée
du Nord et l’Irak comme de nouvelles menaces apparues après
l’écroulement de l’Union soviétique et insistait sur la nécessité de se
tenir prêt à leur riposter simultanément le cas échéant. Ainsi, il
prétendait faire aller de pair la réduction et l’augmentation des
dépenses militaires. Tout en parlant de désarmement général, les
Etats-Unis tentaient d’accroître leurs dépenses militaires dans
certaines régions du monde. Aussi même au sein du Congrès, du
151
département d’Etat et celui de la Défense, des critiques s’élevèrent
en déclarant qu’il est «impossible d’intervenu simultanément dans
deux conflits régionaux majeurs». La Corée du Sud aussi l’a décriée.
Si les troupes américaines intervenaient dans un conflit coréen
éventuel, les Etats-Unis sombreraient inévitablement dans un
abîme profond, obligés qu’ils seraient de soutenir de lourdes
charges de guerre et de remettre à plus tard le relancement de leur
économie; de surcroît, leurs relations avec la Chine empireraient
alors que ce pays comptant 1,2 milliard d’habitants constitue un
vaste débouché et leur offre la seule et dernière chance de pallier leur
déficit commercial extérieur.
Ainsi, les Etats-Unis, à eux seuls, ne pourraient supporter les
charges de guerre à moins d’y entraîner les pays occidentaux sous
une quelconque justification comme lors de la guerre du Golfe.
D’autre part, la prolifération nucléaire verticale a pris fin —les
Etats-Unis et l’ex-Union soviétique rivalisaient de zèle pour
développer les armes nucléaires et augmenter leurs dépenses en ce
domaine—, et les Etats-Unis se heurtaient maintenant à la
prolifération nucléaire horizontale, les pays non nucléaires cherchant
à qui mieux mieux à s’en doter.
Pour détruire les ogives nucléaires que l’ex-Union soviétique
avait déployées en Ukraine, les Etats-Unis proposèrent à celle-ci leur
aide sans conditions pour assurer la sûreté de l’opération et la
compensation du coût. Ainsi s’évertuent-ils à arrêter à tout prix la
prolifération nucléaire horizontale qui menace leur monopole des
armes nucléaires.
Le maintien du système du TNP constitue donc le pilier de la
«politique de non-prolifération des armes nucléaires» de
l’administration Clinton. Cependant, ce traité arriverait à échéance
en avril 1995.
Pourquoi les Etats-Unis portent-ils tant d’intérêt au «problème
nucléaire» de la Corée du Nord et le considèrent-ils comme une
grande menace à leur égard?
152
Parce que ce problème touche au sort du TNP et concerne
directement la politique américaine en matière de sécurité. Si on
laissait la Corée du Nord quitter le traité, ce serait accepter de voir se
créer un précédent; d’autres pays, mécontents de l’iniquité du traité,
pourraient suivre son exemple ou regimber. D’autre part, il
deviendrait plus difficile de persuader les pays qui n’y ont pas encore
adhéré comme l’Inde et le Pakistan. Dès lors, loin d’être prolongé
sans limitation de durée, le traité aurait, du mal à survivre. Les EtatsUnis n’avaient qu’un an avant l’échéance du traité, et ils
s’empressaient d’exercer une pression sur la Corée du Nord en
l’accusant d’«user de la tactique dilatoire». Leur «patience a ses
limites», disaient-ils.
Est-ce qu’ils pouvaient réellement régler le «problème
nucléaire» au moyen de sanctions économiques ou militaires?
La Corée du Nord a déclaré qu’elle «prendrait des mesures
d’autodéfense» contre toute sanction. La sanction finirait donc par la
guerre et le retrait de la Corée du Nord du TNP. Alors, l’Occident
n’aurait plus de moyen de vérifier si la Corée du Nord dispose ou
non d’armes nucléaires. De plus, les Etats-Unis ne pourraient
dissuader la Corée du Sud et le Japon qui, pris de peur devant
l’épouvantail d’«armes nucléaires» de la Corée du Nord,
s’élanceraient à corps perdu à développer leurs propres armes
nucléaires. Rien ne garantissait un maintien éternel de l’alliance
américano-japonaise et de l’alliance américaino-sud-coréenne.
Pourquoi les Etats-Unis ne devraient-ils pas redouter le «potentiel
nucléaire» du Japon, plutôt que celui de la Corée du Nord? On estime
que les relations américano-nippones finiront par se dégrader,
surtout à cause de leur compétition économique. Les Etats-Unis savent
bien que le Japon dispose de la technologie et des matières nucléaires
(plutonium) nécessaires au développement des armes nucléaires et
qu’il veut bien y procéder. Si les Japonais développent des armes
nucléaires, l’effort de contrôle nucléaire américain n’aura plus de
sens, et la chimère d’avant 1945 ressuscitera. Les Etats-Unis devront
changer de fond en comble leur politique nord-coréenne axée sur la
153
«force», ne serait-ce que pour réaliser les tâches qu’ils se sont
proposées: le désarmement et la non-prolifération des armes
nucléaires. C’est, d’ailleurs, l’impératif de la situation générale de
nos jours.
Les Etats-Unis doivent régler leur passé
Le président Clinton a proclamé, le 3 février, la levée de
l’embargo sur le Viêt-nam et annoncé que les deux pays établiraient
chacun un office de liaison sur le territoire de l’autre pays. Ainsi les
relations américano-vietnamiennes, gelées depuis environ deux
décennies après la fin de la guerre du Viêt-nam, prirent-elles la voie
de la normalisation. Les deux pays devaient avoir chacun ses arrièrepensées et objectifs. Quoi qu’il en soit, c’est une manifestation de la
volonté d’adhésion aux changements intervenus à la suite de la fin de
la guerre froide, et l’un des efforts pour l’établissement d’un «nouvel
ordre».
Cependant, où en sont les relations RPDC-USA, alors que
deux fois plus de temps s’est écoulé depuis la fin de la guerre de
Corée?
«Il y a vingt deux millions d’habitants en Corée du Nord, et ils ne
sont pas des "âmes mortes" ... Depuis quarante ans, les Etats-Unis les
tiennent encerclés et menacent de les exterminer. N’est-il pas grand
temps de se désister?» dit Bruce Cummings, professeur à l’université
de Chicago. Non seulement le Japon, mais aussi les Etats-Unis
devraient réparer leur passé. Les deux guerres apocalyptiques
menées, après la Seconde Guerre mondiale, au temps de la guerre
froide, restent une arête dans le gosier des Etats-Unis. Réparer ce
passé ignominieux est un devoir majeur que l’histoire leur impose.
L’«ombre du Viêt-nam» hante toujours les esprits aux EtatsUnis; la plaie reste béante dans les cœurs et les mémoires. Aucune
force ne s’oppose à ce qu’ils se débarrassent une fois pour toutes de
cette obsession. Les Etats-Unis peuvent très bien y parvenir pour
154
peu qu’ils le veuillent. Les gens du peuple souhaitent faire un retour
sur le passé américain, bien que forte soit encore la tendance à se le
justifier... Or, 1’«ombre de la Corée» sombre dans l’oubli au fil du
temps, comme un fait appartenant à un lointain passé. De surcroît, un
tiers, la Corée du Sud, regardant d’un œil hargneux la Corée du
Nord, ne cesse d’implorer les Etats-Unis de ne pas se rapprocher de
Corée du Nord. Ainsi les Américains étaient-ils amenés à négliger
de dissiper 1’«ombre de la Corée». Or, paradoxalement, c’est un
«passé» qui survit dans le présent car la Corée saigne toujours, alors
que 1’«ombre du Viêt-nam» est reléguée à un passé à jamais révolu.
Les Etats-Unis maintiennent leurs troupes en Corée du Sud, ne
cessent d’y déployer leurs armes nucléaires en menaçant ainsi la
Corée du Nord au mépris de la convention de paix de l’Accord
d’armistice de Corée. C’est une violation flagrante de l’Accord
d’armistice, et les Etats-Unis aussi en sont parfaitement
conscients. Pourtant, l’important pour eux, dans le cadre de la
structure de la guerre froide, était de faire face à l’autre supergrand,
l’Union soviétique, et peu leur important le reste, y compris
l’observation d’un accord conclu avec un petit pays. Ils n’avaient
cure, avec leur mode de pensée arrogant, du sort d’un petit pays. Ce
qui comptait pour eux, c’étaient seulement leurs intérêts et ceux du
«monde libre» uni par l’anticommunisme. Or, l’Union soviétique
s’est effondrée et la guerre froide a pris fin. Il est donc devenu
difficile désormais d’user du raisonnement et de la thèse
anachroniques d’hier pour se détourner de la question coréenne. Bien
plus, à cause du problème nucléaire apparu dans la péninsule coréenne
par suite du déploiement de leurs armes nucléaires en Corée du Sud
et du «soupçon nucléaire» qu’ils nourrissaient à l’égard de la Corée
du Nord, ils n’ont pu que venir s’asseoir à la table de négociations
proposée à maintes reprises par la Corée du Nord. Ironie de
l’histoire? De toute façon, il a fallu attendre quarante ans pour
«discuter des problèmes», discussion que l’on aurait dû faire, aux
termes de l’Accord d’armistice, «dans les trois mois» qui suivaient sa
signature. Même si l’on admet que c’était l’espace de temps
155
nécessaire pour balayer les vestiges de la guerre froide, on ne peut pas
ne pas y voir l’arrogance et la mauvaise volonté d’un supergrand.
Le secrétaire général de l’ONU Boutros Ghali a dit, lors de sa
visite en Corée du Nord à la fin de 1993, en soutenant l’idée de
remplacer l’Accord d’armistice par un accord de paix: «Je suis sûr
que le commandement des forces des Nations unies en Corée du Sud
sera dissous.» Et tout porte à croire que cette affirmation se fonde sur
les signes évidents de progrès des relations RPDC-USA. L’ONU s’est
donc mise à travailler à la solution du problème coréen. C’est un
fait de haute importance qui ne manquera pas de donner un vif
impact aux Etats-Unis.
D’ailleurs, même aux Etats-Unis des voix sensées s’élevèrent.
Glenn Paige, professeur émérite à l’université d’Hawaii, a dit qu’il
fallait aborder la Corée du Nord avec amitié et modestie et tâcher de la
comprendre. Harrison, associé supérieur au Carnegie Endowment for
International Peace, a dit que l’on devrait payer des rémunérations, des
récompenses, dont la conclusion d’un traité de paix, pour assurer
l’efficacité des inspections nucléaires. (Or, le changement de la
politique américaine n’est pas une récompense, mais un devoir des
Etats-Unis: c’est à eux de mettre fin à la structure de la guerre froide
qui subsiste dans la péninsule coréenne.) Les deux hommes ont
demandé à l’administration américaine d’abandonner le vieux mode de
pensée propre au temps de la guerre froide et de changer sa politique
nord-coréenne. Ce faisant, elle n’aurait, d’après eux, rien à perdre. Bien
au contraire, les Etats-Unis et la Corée du Sud y gagneront beaucoup
plus qu’ils ne le pensent. Le danger d’une nouvelle guerre dans la
péninsule coréenne s’éclipsera et toute crainte s’effacera. Bien plus, on
y découvrira un nouveau débouché. Par-dessus tout, les Etats-Unis
pourront, en tant qu’artisan du drame de la division coréenne, expier
leurs erreurs passées. Ils ne gagneront rien à accroître la tension en
prenant à partie le socialisme de la Corée du Nord.
Il est grand temps de mettre un terme à la guerre froide et de
réparer toutes les erreurs passées.
156
Comment vaincre la peur?
Les hauts fonctionnaires de l’administration américaine se mirent de
nouveau à élever la voix pour préconiser les «sanctions» contre la Corée
du Nord. L’ambassadeur américain à l’ONU a déclaré le 4 février devant
ses homologues des autres pays membres permanents du Conseil de
sécurité que les Etats-Unis examinaient une motion de sanctions
économiques contre la Corée du Nord. D’autre part, il a prié la Chine de
«persuader» la Corée du Nord d’accepter les inspections de l’AIEA
avant le 21 courant, date prévue pour la tenue d’une scéance de son
Conseil, en ajoutant que ce serait 1’«ultimatum». Mais jusqu’ici, bien
qu’on eût parlé beaucoup de «sanctions» ou d’«ultimatum», rien de
pareil ne s’était produit. Et cette fois-ci, serait-ce vrai?
Les médias américains ont mené une campagne de propagande
sans précédent au sujet du «problème nucléaire» de la Corée du Nord.
Pourtant, malgré l’agitation fiévreuse de la presse, les durs restent
peu actifs.
Du reste, la vision extrémiste repose, non pas sur une thèse
pertinente, susceptible d’apporter une quelconque solution au
«problème nucléaire», mais sur la vieille «diplomatie de la
canonnière» axée sur la suffisance: comment peut-on avaler des
couleuvres face à un petit pays comme la Corée du Nord?
Or, durs ou modérés, tous éprouvaient, malgré eux, une peur
maladive face à elle, et pour cause. Les Etats-Unis, ce supergrand,
n’ont pu, pour la première fois de leur histoire, sortir victorieux de
la guerre de Corée. La Corée du Nord constitue donc pour eux un
adversaire, non pas négligeable, mais bien redoutable.
L’attitude de la Corée du Nord après sa déclaration de son
retrait du TNP et la fermeté qu’elle avait manifestée aux
pourparlers avec les Etats-Unis ont dû, sans doute, réveiller la peur
ancienne des Américains: «Notre "politique de force" n’essuyerait157
elle pas un nouvel échec face à la "tactique de la guerre de
guérilla"?»
Tous les «simulacres de seconde guerre de Corée» effectués
aux Etats-Unis établirent que les Etats-Unis y subiraient
d’énormes pertes, et que ce serait une guerre éprouvante,
incomparablement plus difficile que celle du Golfe.
Ils ne pourraient employer les armes nucléaires parce que la
Corée du Sud et le Japon en subiraient les retombées. Les cendres
pourraient arriver jusqu’aux Etats-Unis, transportées par les vents.
Même dans le cas d’une guerre à armes conventionnelles, la Corée du
Nord, en ripostant, pourrait détruire les centrales atomiques sudcoréennes, qui ne manqueraient pas de répandre des matières
radioactives.
Qu’est-ce que les Américains pensent d’une guerre éventuelle
en Corée? Voici les résultats du sondage d’un échantillon de mille
électeurs pris à l’échelle nationale. 46 pour cent préconisaient de
«poursuivre les démarches diplomatiques», 34 pour cent, de
«demander à l’ONU d’appliquer des sanctions économiques», et 11
pour cent seulement, d’«entreprendre des opérations militaires». Ces
pourcentages sont en vif contraste avec ceux notés lors de l’attaque
américaine contre l’Irak.
Quelles en sont les raisons?
(1), la Corée du Nord ne peut en rien être accusée d’agression
comme ce fut le cas de l’Irak contre le Koweït; (2),
1’«anticommunisme» affiché par les Etats-Unis comme objectif
majeur de l’Etat n’a plus de sens; (3), les Américains se sentent
maintenant las de leur rôle de «police internationale», et, après la
fin de la guerre froide, ils n’en ressentent plus aucune nécessité ni
n’ont la force de l’assumer; (4), ils ont peur de la Corée du
Nord. Ayant essuyé des déboires amers en Bosnie, en Somalie, au
Haïti, ils souhaitent un «revirement» dans la diplomatie américaine.
Quelles sont alors les «mesures d’autodéfense» que veut
prendre la Corée du Nord? Celle-ci et les Etats-Unis se trouvent
dans l’état de suspension du conflit. C’est l’Accord d’armistice
158
qui empêche la guerre de se rallumer, mais les Etats-Unis se sont
jusqu’ici conduits au mépris de l’Accord en le violant brutalement.
Si dans cette circonstance on infligeait des sanctions économiques
à la Corée du Nord, on ne pourrait plus respecter l’objectif de
l’Accord qui est de «réaliser un cessez-le-feu complet garantissant
la suspension de tout acte d’hostilité et de toute action militaire en
Corée». La Corée du Nord pourrait alors dénoncer l’Accord
d’armistice aux termes de la «convention de Vienne sur le droit de
l’accord», et la situation se dégradera rapidement pour rétrograder
au temps de la guerre de Corée. Ce ne serait alors plus un danger
de guerre imminent, mais une guerre réelle.
Les Américains eux-mêmes ont reconnu que «la peur constitue le
facteur majeur de la politique nord-coréenne des Etats-Unis»
(Washington Post). La prise de position pour la confrontation n’a fait
que raviver la peur. L’unique moyen pour la vaincre est d’établir de
bonnes relations entre les deux pays.
5. VERS LA CONFIANCE MUTUELLE
—ACCORD-CADRE RPDC-USA—
(D’octobre à novembre 1994)
«Problème nucléaire» et problème nucléaire
Kang Sok Ju, représentant de la RPDC qui avait signé le 21
octobre 1994 l’accord-cadre RPDC-USA, a répondu, un sourire
éloquent aux lèvres, aux questions posées par des journalistes:
«L’accord-cadre RPDC-USA constitue un document historique,
indique l’itinéraire pour la solution du problème nucléaire dans la
péninsule coréenne. Il précise les mesures concrètes à prendre pour
apporter une solution fondamentale à ce problème, consécutif aux
relations anormales entre notre pays et les Etats-Unis.»
159
La Corée du Nord distingue nettement le prétendu problème
nucléaire du vrai problème nucléaire. En effet, c’est très important car
l’un et l’autre diffèrent beaucoup par leur contenu.
Le «problème nucléaire» est soulevé par l’Occident qui
soupçonnait la Corée du Nord de «développer des armes
nucléaires», et c’est en vertu de ce soupçon que les Etats-Unis et
l’AIEA demandèrent à inspecter certaines installations en Corée du
Nord. Mais la Corée du Nord leur a répliqué qu’elle n’avait rien à
voir avec leur «problème nucléaire», car elle n’avait eu aucune
intention ni la capacité de développer des armes nucléaires.
Le vrai problème nucléaire est le fait des Etats-Unis qui ont
déployé leurs armes nucléaires et se livrent à des manœuvres de
guerre nucléaire en Corée du Sud, menaçant ainsi gravement la
Corée du Nord. C’est donc un problème sérieux concernant
l’ensemble de la péninsule coréenne, ayant pour genèse les rapports
d’hostilité et de méfiance qui existent de longue date entre les deux
pays.
Le «problème nucléaire» est un dérivé du problème nucléaire, et il
est fondé sur un soupçon totalement gratuit. Aussi, on ne peut jamais le
résoudre à moins de résoudre le vrai problème nucléaire. Il faudrait
donc, si l’on veut éclaircir le «soupçon nucléaire», mettre un terme
aux rapports d’hostilité et promouvoir la confiance mutuelle entre la
Corée du Nord et les Etats-Unis. Les autorités américaines ont déclaré
qu’«elles en étaient venues à connaître la Corée du Nord au bout de
seize mois de pourparlers». Cela signifie qu’elles ont reconnu enfin
les différences existant entre le «problème nucléaire» et le problème
nucléaire et leur corrélation.
Même si le «soupçon nucléaire» pesant sur la Corée du Nord
était dissipé, celle-ci subirait toujours la menace nucléaire tant que ne
sera pas résolu le problème nucléaire dans la péninsule coréenne.
La source du danger nucléaire persistera et la tension se
maintiendra dans cette partie du monde; la paix et la sécurité en Asie
seront en cause.
160
Autrement dit, même si on effectuait 1’«inspection spéciale»
réclamée par les Etats-Unis, ceux-ci ne pourraient nullement être en
«sûreté». Cependant, la Corée du Sud et le Japon qui ne peuvent ni
ne veulent comprendre ce mécanisme de l’évolution s’évertuent à
entraver les pourparlers RPDC-USA, en réclamant l’«inspection
spéciale» comme le préalable à l’amélioration des relations entre la
Corée du Nord et les Etats-Unis. C’est le comble de l’absurdité.
La Corée du Nord ne s’oppose pas à ce que soit tiré au clair le
«problème nucléaire», mais elle ne peut en aucune façon admettre
1’«inspection spéciale», car c’est une inspection forcée et injuste de
ses ouvrages militaires. On ne peut montrer le dessous de sa cuirasse
à son adversaire.
La mise d’un terme aux rapports d’hostilité et l’amélioration
des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis sont le préalable
à la solution du problème nucléaire, et de son prétendu homologue,
voilà ce qu’entendait Kang Sok Ju par «solution fondamentale». La
Corée du Nord a proposé, à cet effet, une solution permettant de
régler simultanément les deux problèmes, acceptable aux deux
parties: solution globale et actions simultanées.
L’accord-cadre RPDC-USA les incarne, en indiquant les
mesures à prendre pour la solution fondamentale du problème
nucléaire et l’amélioration des relations entre la Corée du Nord et les
Etats-Unis, et précise le calendrier des actions simultanées des deux
parties. Il n’y a eu aucune divergence là-dessus. Les chefs des deux
Etats les ont entérinés, ont ordonné de signer l’accord et en ont
donné les garanties. Il n’y avait pas d’autre choix. Aussi la Corée du
Sud, le Japon et l’AIEA l’ont-ils approuvé bon gré mal gré. Ils ont
dit oui pour le «présent» et le «futur», mais ils ont exprimé
mécontentement du fait que la vérification du «passé» fut ajournée,
ce qui montre qu’ils n’ont pas compris ce qu’est le problème
nucléaire.
Or, les Etats-Unis estimaient essentiel d’empêcher la Corée du
Nord de «produire des armes nucléaires» «à présent» et «à
l’avenir», la vérification de ce qui est du «passé» n’étant pas si
161
pressante à leurs yeux. Ce n’est donc pas sans raison si Gallucci,
représentant américain, a déclaré avec conviction: «L’accord-cadre,
par son contenu, pouvait faire face, à tous égards, au passé, au présent
et au futur en ce qui concerne l’inquiétude concernant le programme
de développement nucléaire de la RPDC, et il répond aussi aux
intérêts de la Corée du Sud et du Japon.»
Renonçant à insister sur la vérification du «passé», les Etats-Unis
ont reçu la promesse formelle de la Corée du Nord de le rendre
transparent en temps opportun. Ils ont compris, en tant que partie
intéressée par la solution du problème nucléaire, que la solution
fondamentale de ce problème est la seule voie du règlement pacifique
du «problème nucléaire».
Le «présent» et le «futur» priment le «passé»
Les Etats-Unis ont décidé, lors d’une réunion conjointe des
responsables des divers départements, convoquée en avril, de
s’attacher en priorité à amener la Corée du Nord à «arrêter» son
programme nucléaire et, après, de tirer au clair son «passé» au fur et à
mesure de l’amélioration des relations RPDC-USA, plutôt que
d’insister sur la vérification de sa quantité de plutonium et de son
«utilisation» à des fins militaires, à la «fabrication d’armes
nucléaires».
Evidemment, pour dissiper totalement le «soupçon nucléaire», il
faudrait mettre à jour toutes ses activités nucléaires «passées»,
«présentes» et «futures». Mais il est question de savoir quand y
procéder. En vertu de son statut spécifique dû à ce qu’elle a cessé
pour un moment d’exercer ses droits de pays membre du TNP après
avoir déclaré son retrait, la Corée du Nord a déclaré ne pouvoir
accepter 1’«inspection non régulière» qui sort du cadre de
l’inspection régulière.
C’est dire qu’elle pourrait rendre transparent son «passé»,
n’importe quand, dès qu’elle aurait quitté son statut spécifique
162
actuel. Les Etats-Unis, après de longues négociations, ont fini par
rendre justice à la Corée du Nord.
Du reste, l’AIEA a déjà entrepris de vérifier son «passé». Lors de
sa troisième inspection, en mars, la Corée du Nord, tenant compte
du fait que les Etats-Unis avaient retiré leur idée d’échange
d’envoyés spéciaux entre le Nord et le Sud comme condition
préalable à l’ouverture des troisièmes pourparlers, a admis, par
exception, l’inspection de son laboratoire radiochimique, qu’elle
avait refusée jusque-là. Commentant les résultats de cette
inspection, les Etats-Unis ont déclaré «ne pouvoir dire qu’il était
destiné à des fins militaires».
Mais, peu de temps après, un autre problème s’est posé: la
Corée du Nord devait renouveler les barres de combustible dans son
réacteur atomique expérimental de 5 MW.
Elle en a informé à plusieurs reprises l’AIEA tout en solicitant
sa présence sur les lieux. La période de renouvellement du
combustible étant révolue depuis longtemps, il était dangereux de
continuer de faire travailler le réacteur dans cet état, et, de
surcroît, son système de ventilation est tombé en panne.
L’AIEA lui a demandé de l’informer de la façon dont elle trie et
conserve les barres de combustible et de lui permettre d’en prélever
un échantillon. Or, comme cela relève de l’inspection non
régulière, la Corée du Nord a refusé net de s’y conformer. Il est
convenu de renouveler le combustible en présence de l’AIEA et de
sceller et conserver les barres de combustible usées sous sa
surveillance de façon à en prélever un échantillon et à le tester le
cas échéant. Pourtant, l’AIEA a insisté et son directeur général
Blix a déclaré unilatéralement qu’«on n’a jamais eu l’occasion
d’assister au triage et à la conservation de barres de combustible et
qu’on ne peut assurer que la matière nucléaire ne soit pas utilisée à
des fins militaires». Vinrent ensuite la «déclaration» du président
du Conseil de sécurité de l’ONU, la «résolution de sanctions» de
l’AIEA, la déclaration par la Corée du Nord de son retrait de
celle-ci. Ainsi, la situation s’est rapidement dégradée.
163
A première vue, on a l’impression d’être en présence d’une
affaire extrêmement complexe, mais, à y regarder de près, on
comprend bien que, pour violente qu’elle soit, la polémique se
ramène à la question de définir la période de l’inspection. En
effet, c’est là que réside le fond du problème, bien qu’il puisse
paraître secondaire aux yeux des non-initiés. Car ce problème
concerne différentes visions et modes de vérification du
«passé»: l’entreprendre dans la perspective de l’amélioration des
relations (par la Corée du Nord et les Etats-Unis) ou pour s’en
servir comme moyen de pression politique ou comme condition
préalable à l’amélioration des relations RPDC-USA (par l’AIEA,
la Corée du Sud et le Japon).
Le but de l’examen des barres de combustible est, (1),
d’empêcher de les utiliser à des fins militaires en les faisant
conserver sous la surveillance de l’AIEA dans une cuve remplie
d’eau de refroidissement (le problème de présent et d’avenir); (2), de
préciser le processus d’opérations (passé) et de calculer la quantité de
plutonium obtenue, au moyen du test de l’échantillon (le problème de
passé).
Quant au premier objectif, on pourrait dire qu’il a été réalisé
puisque les barres sont conservées sous la surveillance de l’AIEA et
qu’un de ses inspecteurs est présent sur les lieux. Seulement, comme
on doit attendre que le combustible usé refroidisse suffisamment
pour le manipuler, l’AIEA devrait indiquer comment il faudrait s’y
prendre.
Pour ce qui est du deuxième objectif, tout le processus de
renouvellement du combustible se trouve enregistré par le menu, et
«la circulation des barres de combustible dans la cuve et l’ordre de
leur disposition peuvent, si nécessaire, être restaurés exactement
comme ils l’étaient auparavant» (Direction générale de l’énergie
atomique de la RPDC). Cela montre qu’on dispose de toutes les
conditions et possibilités requises pour éclaircir le «passé». Ainsi,
bien qu’on ait changé de barres de combustible, tous les éléments
164
sont disponibles pour vérifier comme il faut le «passé», le «présent»
et le «futur».
L’important est d’entamer des négociations pour discuter des
moyens d’améliorer les relations entre la Corée du Nord et les EtatsUnis, en vue d’amener la Corée du Nord à réintégrer le TNP, de
mettre au plus tôt un terme à son statut spécifique actuel et de réunir
les conditions nécessaires à la vérification de son «passé».
Un accord profitable aux deux parties
«L’hypothèse même de votre question est erronnée», telle a été la
réponse péremptoire du représentant américain Gallucci lors de sa
conférence de presse du 18 octobre 1994, après l’adoption du projet
d’accord-cadre RPDC-USA, à la question: «N’a-t-on pas commis
une erreur de taille, en promettant l’aide, pris de peur devant la
menace de la carte nucléaire?»
L’opinion publique a approuvé et apprécié favorablement
l’accord-cadre, cependant des critiques n’ont pas manqué: «Une
résolution indigne de l’administration américaine (Washington Post)—
Un simple retardement de la crise (un congressiste républicain)— La
Corée du Nord a obtenu des avantages inespérés—Les Etats-Unis
ont fait trop de concessions.»
La critique invoque divers arguments, mais on peut les
résumer en trois points: premièrement, on a ajourné de cinq ans
la vérification du «passé»; deuxièmement, on a cédé à la
Corée du Nord qui «a violé» le droit international; troisièmement,
on a sauvé la Corée du Nord au bord de 1’«écroulement».
Commençons par examiner le premier argument. La Corée du
Nord a affirmé n’avoir jamais tenté de construire d’armes
nucléaires. Autrement dit, il n’existe chez elle aucun problème du
«passé». S’il y en a quand même, c’est le problème de la
différence des quantités de plutonium, calculées respectivement
par la Corée du Nord et l’AIEA. Si, toutefois, on tient à vérifier
165
son «passé», il faudra commencer par dissiper l’hostilité et la
méfiance entre les deux pays, sous-jacentes à cette obstination.
Or, la confiance demande un certain temps pour être installée.
Ce ne doit certes pas être un temps pour «cacher» ou «produire»
des «armes nucléaires». Quand on est décidé à promouvoir la
confiance mutuelle, on n’est guère pressé, cela va de soi, de vérifier
le «passé». Si la Corée du Nord refuse de se prêter à l’examen de
son «passé» ou si elle tente de développer des armes nucléaires, les
relations entre elle et les Etats-Unis empireront immédiatement, et
tous les efforts consentis jusqu’ici par les deux parties seront vains.
Or, la Corée du Nord qui, depuis longtemps, cherche à améliorer ses
relations avec les Etats-Unis ne voudrait pas, pour sûr, laisser
échapper l’occasion propice qui enfin se présente.
Quant à sa déclaration du retrait du TNP, la Corée du Nord
s’est conduite dans le cadre des normes du traité, et on ne peut rien
lui reprocher. Bien plus, c’est l’AIEA et les Etats-Unis qui l’ont
contrainte à agir ainsi.
«Il n’y a pas de preuve sûre que la Corée du Nord possède des
armes nucléaires. Cependant, les Etats-Unis ont dit qu’"elle devait en
disposer", et ils doivent maintenant réparer leur faute. Le cas diffère
de celui de l’Irak qui a encouru une sanction pour avoir envahi un
autre pays», a dit Komaki Teruo, chef du bureau d’étude des
mouvements de l’opinion publique à 1’«Institut des affaires
économiques asiatiques» (Yomiuri Shimbun, le 29 octobre 1994).
Contrairement à l’attente de l’Occident, aucune confusion,
aucun bouleversement ne s’est produit en Corée du Nord, malgré
l’effondrement de l’Union soviétique et autres pays socialistes
d’Europe de l’Est, la fin de la guerre froide et le décès du
Président Kim Il Sung. Le règlement des problèmes par voie de
négociations répond aux intérêts de l’Occident également.
La Corée du Nord et les Etats-Unis, en travaillant ensemble à
éclaircir le «soupçon nucléaire» et à résoudre le problème nucléaire,
se rapprochant l’un de l’autre, sont parvenus à se connaître l’un
166
l’autre. Si l’on blâme les Etats-Unis d’avoir fait trop de
concessions, ceux-ci n’ont cependant rien perdu.
Le New York Times a écrit que «le présent accord a posé des
exigences plus importantes que celles du TNP, y compris l’arrêt de la
construction de grands réacteurs atomiques à graphite». Ainsi, les EtatsUnis ont pu «se rassurer». Les deux parties ont discuté sérieusement des
«problèmes politiques relatifs à la solution fondamentale du problème
nucléaire dans la péninsule coréenne» (Kang Sok Ju, représentant de la
RPDC) et ont ouvert des perspectives d’amélioration des relations
RPDC-USA. C’est là l’aboutissement de l’effort de recherche des
moyens les plus rationnels et pertinents pour résoudre les problèmes.
C’est le plus important des succès obtenus par la Corée du Nord qui
désire transformer la péninsule coréenne en zone de paix et
dénucléarisée.
L’équilibre politique et diplomatique délicat qui régnait dans
cette région au temps de la guerre froide a été brisé par suite de
l’établissement par la Corée du Sud des relations diplomatiques
avec la Russie et la Chine, il en est résulté de nouveaux facteurs
d’instabilité en Asie du Nord-Est. De surcroît, la menace nucléaire
américaine permanente, le resserrement de l’encerclement militaire
et politique par les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon,
l’invention du «soupçon nucléaire» et autres ont aggravé à
l’extrême la tension militaire. La Corée du Nord a intérêt à mettre au
plus tôt un terme à cette situation critique, tandis que les Etats-Unis,
n’ayant plus aucun prétexte de faire durer la tension dans la
péninsule coréenne après la fin de la guerre froide, se voient
contraints de participer à l’effort d’établissement d’un «nouvel
ordre international» et de réparer leurs erreurs passées envers la
Corée du Nord. Les intérêts et les objectifs des deux pays
coïncidaient donc pour l’essentiel, d’où l’adoption dudit accordcadre.
167
La guerre ou le dialogue?
Les Etats-Unis ont remporté une «victoire historique» dans la
guerre du Golfe, et le régime Bush a marqué un taux d’appui record,
mais Hussein n’en reste pas moins président de l’Irak, et sa
«menace», loin de disparaître, est devenue un casse-tête, un
«fardeau» pénible pour les Etats-Unis. Quand les troupes irakiennes
s’étaient massées sur la frontière koweïtienne, dans la première
décade du mois d’octobre, la situation militaire s’est de nouveau
aggravée dans le golfe Persique. Clinton y a expédié d’urgence des
forces, un porte-avions, des fusiliers marins, des unités motorisées.
L’Irak a alors retiré précipitamment ses troupes en arguant de
«manœuvres de routine».
L’Irak, en usant de cette «tactique d’incitation», cherche à
s’attirer l’attention de l’Occident et des pays du Golfe, pour ensuite
les pousser à demander la levée des sanctions économiques de
l’ONU. La France s’oppose au projet américain d’«établissement
d’une zone exclue de tout déploiement militaire» dans le sud de
l’Irak, tandis que la Russie et la Chine préconisent la levée des
sanctions.
Cependant, les Etats-Unis n’ont pas approuvé la révocation des
sanctions ni n’ont retiré leurs troupes, car ils estimaient que l’Irak
pouvait à tout moment masser ses troupes sur la frontière
koweïtienne. Scott Snyder, officier de l’Institut américain de paix,
chargé du programme, a lancé cet avertissement: «L’expédition de
troupes américaines dans la région du Golfe nous coûte des centaines
de millions de dollars. Si l’Occident n’entame pas le dialogue avec
l’Irak, Hussein poursuivra son jeu à sa manière ... Si l’on s’obstine à
maintenir la présence militaire américaine outre-mer au niveau
actuel, le "bateau d’America", surchargé de matériels de guerre, finira
à coup sûr par sombrer.»
168
Actuellement, les Etats-Unis, donnant prise à la tactique de l’Irak, se
trouvent dans une mauvaise passe et ne savent sur quel pied danser.
Le Parti démocrate est battu par le Parti républicain à l’off-year
élection, et il est devenu plus difficile pour Clinton de jouer son rôle
de timonier.
Snyder a poursuivi: «Les Etats-Unis ne doivent pas produire un
second Irak sur notre planète.» Si la tension militaire s’aggrave à
l’extrême dans la péninsule coréenne et amène une seconde guerre de
Corée, le «bateau d’America», grevé de lourdes charges de guerre et de
pertes incalculables en vies humaines, coulera inévitablement.
On parlait à cor et à cri depuis une demi-année de sanctions
économiques à appliquer contre la Corée du Nord à l’instigation
américaine, mais celle-ci a déclaré d’un ton ferme qu’elle
considérerait toute sanction comme une provocation militaire à son
endroit et répondrait «à la guerre par la guerre», «au dialogue par le
dialogue». Ainsi, si l’on avait renforcé les sanctions, la tension aurait
pu dégénérer en un conflit militaire.
Jon Wolfsthal, chercheur supérieur et analyste des problèmes de
non-prolifération à l’Association de contrôle des armes, a apprécié
l’accord-cadre en ces termes: «L’accord vaut beaucoup mieux que
le désaccord pouvant entraîner un conflit militaire dans la péninsule
coréenne.» L’accord-cadre RPDC-USA permet de parer au pire et
de régler à l’amiable les problèmes litigieux, dont le problème
nucléaire, par voie de négociations, par la voie pacifique. Voilà où
réside le sens profond de cet accord. C’est un aboutissement
logique de l’évolution de l’histoire ou, mieux encore, le beau fruit
des efforts des deux parties interlocutrices.
La Corée du Sud et le Japon aussi devraient s’en féliciter.
Certains médias nippons disaient cependant tout en révélant leur
myopie: «Pourquoi le Japon doit-il débourser?»
Yoshida Yasuhiko, professeur à l’université de Saitama, a fait
remarquer: «On estime environ à un milliard de dollars la charge
financière du Japon, et le ministère des Affaires étrangères affirme que
c’est un prêt, et non une aide gratuite. La somme est maigre comme
169
fonds à verser en vue d’assurer la sécurité.» En effet, si c’est une
somme destinée à dissiper le «soupçon nucléaire» pesant sur la
Corée du Nord et à écarter les «facteurs d’instabilité» en Asie du
Nord-Est, elle n’est nullement importante. Le Japon a versé neuf
milliards de dollars pour la guerre du Golfe, sans pourtant recevoir
aucun «remerciement» de l’Occident, et 1’«effort» nippon consenti
pour la solution du problème de l’Irak est resté sans répercussion.
Un expert américain en problème coréen a noté, envisageant la
perspective de la solution du problème: «Bien qu’on dise que la
livraison de réacteurs à eau légère est une récompense trop coûteuse,
les Etats-Unis auront à y gagner beaucoup si la Corée du Nord
s’exécute correctement.» L’accord-cadre RPDC-USA offre ainsi un
gage sûr de la promotion des intérêts et de la sécurité de l’Occident.
La guerre n’apporte rien de bon ni ne résoud aucun problème.
Elle n’entraîne qu’une flambée de haine et d’hostilité, qui persistera
indéfiniment. Comme le montre la guerre du Golfe, la victoire
n’apporte pas de solution aux problèmes litigieux. Seul le dialogue,
même pénible, peut donner des résultats positifs et permettre de
régler à l’amiable les contentieux internationaux.
Le dialogue RPDC-USA, qui a duré un peu plus d’un an, a
démontré à l’évidence la validité des contacts pour résoudre les
problèmes, promouvoir la confiance mutuelle par des moyens
pacifiques, et non par la guerre.
Vers la dénucléarisation de la péninsule coréenne,
sa transformation en zone de paix
«Il se peut que pas mal de gens ne le comprennent pas. La
production d’importantes quantités de plutonium (par la Corée du
Nord par exemple) n’est pas une violation des normes de l’AIEA et
du TNP», a dit Gallucci pour insister sur la pertinence de l’accord de
principe RPDC-USA, se permettant ainsi de prendre à partie même
l’AIEA et le TNP. Qu’il le veuille ou non, il a reconnu par là même
170
l’impéritie de ceux-ci à traiter un problème aussi complexe que le
problème nucléaire de la péninsule coréenne.
Vu les limites des mesures prises par l’AIEA et la déclaration
par la Corée du Nord de son retrait du TNP, la seule carte qui restait à
la portée des deux parties était le dialogue.
Le TNP a pour mission d’assurer la non-prolifération des
armes nucléaires, mais il ferme les yeux sur l’extension des arsenaux
nucléaires des cinq pays nucléaires et tend seulement à défendre aux
pays non nucléaires de se doter d’armes nucléaires. Ce système
souffre donc d’une série d’imperfections: (1), il est partial; (2), il fait
deux poids et deux mesures; (3), il ne dispose ni du pouvoir ni du
moyen de contrôler les non-membres et les pays qui le quittent; (4), il
est incapable de réaliser le démantèlement complet des armes
nucléaires et de dénucléariser notre planète.
On s’en rendait compte depuis longtemps, mais c’est face à
l’attitude énergique adoptée par la Corée du Nord pour la solution du
problème nucléaire que se sont révélés ces défauts de façon plus
évidente. Cependant, certains n’en critiquaient pas moins
l’accord-cadre RPDC-USA: «A la différence de la solution
d’Ukraine, 1’"accord" constitue "le pire exemple qui soit": en violant
de façon flagrante le TNP et en refusant obstinément l’inspection de
l’AIEA, on peut obtenir aisément des "cadeaux", tels que l’aide
économique et technologique et l’amélioration des relations
diplomatiques. Un tel mode de dialogue insolite a été admis pour la
première fois sur la scène internationale (Yomiuri Shimbun, le 25
octobre 1994).» «Si un autre pays veut suivre l’exemple de la Corée
du Nord, on ne pourra l’en empêcher—On a à craindre que certains
d’entre les pays sollicitant une aide ne brandissent à leur tour la carte
nucléaire—C’est une conciliation blâmable, un exemple
répréhensible—Le TNP risque de devenir paperasse— C’est un autre
exemple d’iniquité», les médisances, pleines de fiel, n’en finissaient
pas.
Evidemment, tous ces dénigrements prenaient, au fond, le parti
des pays nucléaires et visaient à maintenir le TNP malgré ses défauts
171
évidents, tout en conservant tels quels les privilèges de ceux-là, soit à
maintenir le vieux système inéquitable qui permet aux pays
nucléaires de se conduire de façon arbitraire et impose des iniquités
aux pays non nucléaires. Mais, de cette façon-là, on ne pourra jamais
résoudre le problème nucléaire sur notre planète.
Le dialogue et l’accord RPDC-USA ont dégagé un nouvel
horizon pour la non-prolifération nucléaire et la solution du
problème nucléaire; ils ont aussi précisé le moyen de remédier aux
imperfections du TNP et proposé une nouvelle approche de la nonprolifération nucléaire. Et plus particulièrement, ils ont confirmé
pour la première fois la vérité que les pays non nucléaires, les pays
petits et faibles, constamment sous la menace nucléaire, peuvent bel
et bien l’écarter s’ils luttent résolument, sans céder à la pression des
supergrands.
L’accord-cadre RPDC-USA constitue un premier document
diplomatique relatif au «contrôle de l’armement nucléaire» en Asie,
et un premier pas vers l’établissement dans cette région d’une
première zone dénucléarisée, zone de paix.
On ne peut dénucléariser le monde même si l’on se laisse
inspecter par l’AIEA ou qu’on exécute loyalement les obligations
découlant du TNP. D’autre part, à exécuter fidèlement les demandes
partiales de ceux-ci, on ne fait que s’exposer sans défense à la menace
nucléaire. D’où les nombreuses difficultés qu’a dû surmonter le
dialogue entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Quoi qu’il en soit,
ces derniers ont promis à l’autre, pour la première fois de leur
histoire, de ne pas le menacer avec leurs armes nucléaires. Ils doivent
aussi avoir pensé à empêcher la Corée du Sud et le Japon de
développer des armes nucléaires, mais l’essentiel est qu’ils ont
consenti à dénucléariser la péninsule coréenne.
Comme il a été confirmé lors de l’entretien Kim Il SungCarter, les pourparlers RPDC-USA se sont déroulés à la lumière de
l’esprit de la Déclaration conjointe sur la dénucléarisation de la
péninsule coréenne et ont été couronnés de résultats excellents.
172
Carter aussi a exprimé satisfaction: «On peut dire qu’on a tenu
parole.» Seulement, ledit accord vise non seulement à éclaircir le
«problème nucléaire», mais aussi à résoudre à fond le problème
nucléaire. Il est destiné à établir un nouveau système de nonprolifération nucléaire, y compris la dénucléarisation de la péninsule
coréenne, et non à assurer l’observation unilatérale du TNP.
L’application de l’accord et la promotion de
la confiance mutuelle
Pendant le mois qui s’est écoulé depuis la signature de
l’accord-cadre RPDC-USA, la Corée du Nord s’est employée à
s’exécuter fidèlement.
Elle a décidé d’arrêter la construction de ses deux réacteurs à
graphite, respectivement d’une puissance de 50 000 kW et d’une
puissance de 200 000 kW, et a évacué les barres de combustible
préparées pour remplacer celles qui étaient usées. D’autre part, elle
a fait tout son possible pour assurer un déroulement édifiant et
fructueux aux discussions entre les experts de la Corée du Nord et
ceux des Etats-Unis au sujet de la conservation en sécurité et du
traitement définitif du combustible usé; elle a permis, par exception,
à la délégation américaine d’inspecter ses installations atomiques de
Nyongbyon et a accepté, après dialogue, une délégation de l’AIEA.
Elle a gelé ses réacteurs à graphite et scellé son laboratoire
radiochimique, décrit par l’Occident comme équipement de
retraitement du combustible usé, et les a tous mis sous la surveillance
de l’AIEA. Ainsi a-t-elle rempli loyalement et ponctuellement toutes
les obligations qu’elle avait à accomplir dans le mois qui suivait la
signature de l’accord de garanties, et cela lui confère le droit de
sommer les Etats-Unis de s’acquitter correctement des leurs.
Aux termes du TNP, c’est un droit légitime que d’exploiter les
réacteurs à graphite et de retraiter le combustible usé. Aussi ce qu’a fait
la Corée du Nord dépasse-t-il de loin ses obligations liées à ce traité.
173
Par là même, elle s’est acquittée aussi de ses obligations découlant des
clauses (1), (2) et (3) de la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la
dénucléarisation de la péninsule coréenne, obligations consistant, (1), à
ne pas essayer, ni construire, ni produire, ni acquérir, ni conserver, ni
stocker, ni déployer, ni employer d’armes nucléaires; (2), à n’utiliser
l’énergie nucléaire qu’à des fins pacifiques; (3), à ne pas mettre en
place d’installations de retraitement du combustible usé et
d’enrichissement de l’uranium; et (4), à permettre, afin de vérifier la
dénucléarisation de la péninsule coréenne, à l’autre partie d’inspecter les
installations désignées par elle et consenties par les deux parties, selon
la procédure établie par la commission conjointe Nord-Sud de
contrôle nucléaire (voir l’accord signé en 1991 et mis en vigueur en
1992).
Lors d’une assemblée de l’APEC (Coopération économique en
Asie-Pacifique), et après ses rencontres avec chacun des chefs d’Etat
des pays membres de cette organisation, Clinton a affirmé: «L’accord
conclu entre la Corée du Nord et les Etats-Unis a dégagé une voie
vers une ère nouvelle, celle de la stabilité et de la prospérité en Asie
de l’Est, et les chefs d’Etat des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du
Japon l’ont approuvé sans réserve.» Bien plus, ils ont promis de
coopérer pour fournir des réacteurs à eau légère à la Corée du Nord.
Cependant, à cause des divergences de vues révélées au sujet des
problèmes concrets concernant la constitution du consortium
international (la KEDO) qui doit réaliser le projet de livraison de
réacteurs à eau légère, tels que le choix des pays membres, la
répartition du fonds à verser, le fonctionnement, etc., les préparatifs
piétinent.
De surcroît, aux Etats-Unis, à la suite de l’off-year élection, le
Parti républicain a occupé une majorité absolue dans les deux
chambres, ce qui a créé bien des obstacles à l’application de
l’accord. Le sénateur Helms, de la faction ultrafaucon, considéré
comme candidat à la présidence de la commission des relations
extérieures du Sénat, n’a pas hésité à déclarer qu’il ferait «adopter
une résolution défendant aux Etats-Unis de débloquer des fonds pour
174
la Corée du Nord et invitant les pays alliés à ne pas lui accorder
d’assistance». Si les forces dures et conservatrices occupent, dans le
Sénat américain, des hauts postes investis du pouvoir de décision de
la politique américaine en matière de diplomatie et de défense et
qu’elles exercent une pression, l’administration Clinton aura bien
du mal à appliquer l’accord.
En tous cas, c’est un premier document officiel adopté en
commun par la Corée du Nord et les Etats-Unis, dont Clinton a
garanti l’exécution en tant que président. Bien plus, l’ONU,
l’AIEA et de nombreux pays intéressés l’ayant salué et soutenu, on
peut le considérer comme une convention internationale. Si les EtatsUnis le dénoncent maintenant, ils se couvriront d’opprobre et feront
rétrograder les relations RPDC-USA jusqu’à l’hostilité et à la
méfiance qui les caractérisaient avant le dialogue.
6. VIVE CONTROVERSE AU SUJET DES REACTEURS
A EAU LEGERE DE «TYPE SUD-COREEN» ET
ABOUTISSEMENT A UN ACCORD
(D’avril à juillet 1995)
Que signifie le «cheval de Troie»?
«La Corée du Nord a comparé les réacteurs à eau légère de
"type sud-coréen" au "cheval de Troie". Ce faisant, elle s’est
démentie elle-même et reconnue comme agresseur. N’est-ce pas?» a
dit un reporteur japonais.
La guerre de Troie est, comme on le sait bien, une guerre entre la
Grèce antique et Troie, décrite par le grand poète grec, Homère, dans sa
célèbre épopée héroïque l’Iliade. Les troupes grecques alliées auraient
fait le siège de Troie pendant dix ans pour la soumettre, sans pourtant
obtenir aucun succès. Finalement, elles auraient recouru à une ruse en
175
offrant aux Troyens un gigantesque cheval en bois qui cachait dans ses
flancs de nombreux guerriers, pour s’emparer de cette ville. Le poète
décrivait la Grèce comme défenseur de la justice, mais à regarder les
choses d’un œil impartial, on comprend bien qu’elle est l’agresseur
ayant déclenché cette guerre.
De même, à envisager la situation actuelle régnant autour de la
péninsule coréenne du point de vue de la Corée du Nord, les EtatsUnis, la Corée du Sud et le Japon font penser aux troupes
grecques, tandis que leur «système de coopération internationale» à
un cordon d’encerclement autour de la Corée du Nord, et les
réacteurs à eau légère de «type sud-coréen» à un autre cheval de
Troie destiné à miner le régime socialiste nord-coréen de l’intérieur.
Kong Ro Myong, ministre sud-coréen des Affaires étrangères, a
affirmé que «les réacteurs de "type sud-coréen" ne peuvent
nullement être un cheval de Troie». Les autorités sud-coréennes
avaient soulevé à brûle-pourpoint la question des réacteurs de «type
sud-coréen», qui n’avait jamais auparavant figuré à l’ordre du jour.
Elles ont sollicité les Etats-Unis de les autoriser à financer l’entreprise
à condition que des réacteurs de «type sud-coréen» soient fournis au
Nord. Cette démarche inattendue a éveillé le soupçon de la Corée du
Nord qui redoute une combine dans le genre du «cheval de Troie».
Cependant, les Etats-Unis, à court de fonds, n’ont pu s’empêcher de
s’intéresser à la proposition de la Corée du Sud. Depuis, le terme de
«réacteur de type sud-coréen» s’est mis à circuler impunément. Pis
encore, on n’a même pas hésité à dire ouvertement: «Bien qu’on ne
l’ait pas indiqué dans l’accord nord-coréo-américain, on entendait par
"réacteurs à eau légère d’une puissance totale de deux millions de
kW" ceux de "type sud-coréen", les "Uljin" Nos 3 et 4,
respectivement d’une puissance d’un million de kW» ou «La Corée
du Sud est le seul pays financièrement et technologiquement capable
de fournir des réacteurs à eau légère. Ce problème a été examiné en
coulisse lors des négociations. Si l’on s’est cependant gardé de le
spécifier dans l’accord, c’était "simplement par égard diplomatique"
176
pour le gouvernement nord-coréen (Gallucci, ambassadeur itinérant
américain chargé du problème coréen).»
De nos jours, on peut citer, comme réacteurs à eau légère sous
pression, mondialement consacrés, le réacteur développé aux
Etats-Unis par Westinghouse, le réacteur russe VER, le réacteur
français CPI et le réacteur allemand Biblis. Et les réacteurs sudcoréens ne relèvent d’aucun de ces types. Les réacteurs de
fabrication nippone, bien que le Japon dispose de nombreuses
centrales atomiques, ne sont pas encore reconnus sur le plan
international.
Quant aux réacteurs «Uljin» Nos 3 et 4, ce sont les compagnies
américaines qui veillent encore à leur fonctionnement. Combustion
Engineering s’occupe des plans de base et du cœur, tandis que General
Electric veille aux turboalternateurs, ce qui revient à dire que ce sont
plutôt des réacteurs de «type américain». Aussi, lors d’une
conférence d’experts américains, sud-coréens et japonais tenue à
Washington du 30 juin au premier juillet 1994 pour discuter des
problèmes concernant la fourniture de réacteurs à la Corée du Nord,
les Etats-Unis s’opposèrent-ils à la livraison de réacteurs de «type
sud-coréen» en relevant la multitude d’imperfections juridiques et
technologiques.
Or, par la suite, les Etats-Unis changèrent subitement d’avis
pour proposer des réacteurs de «type sud-coréen» à la Corée du
Nord, en tenant leur livraison comme une chose décidée. Il y a à cela
plusieurs raisons: ils estimèrent, premièrement, que seule la Corée du
Sud pourrait assumer le financement de l’entreprise; deuxièmement,
qu’elle tenait à ce que ses propres,réacteurs soient livrés à la Corée du
Nord; troisièmement, que les Etats-Unis souhaitaient eux aussi voir la
Corée du Nord se désagréger de l’intérieur et espéraient que les
réacteurs de «type sud-coréen» y joueraient le rôle de «cheval de
Troie».
L’accord-cadre RPDC-USA indique à grands traits la voie
menant à la solution du problème nucléaire dans la péninsule
coréenne et à l’amélioration des relations nord-coréo-américaines.
177
C’est un revirement profond opéré dans la politique nord-coréenne des
Etats-Unis: ils ont compris qu’ils ne pouvaient soumettre la Corée
du Nord par la «politique de force» et ont opté pour une «politique de
séduction» destinée à obtenir son soft-landing. Et ils demandèrent à la
Corée du Nord d’accepter les réacteurs de «type sud-coréen».
Comme ils estimaient que cette livraison leur profiterait et que le
«régime» Kim Yong Sam souhaitait réunifier la Corée par
1’«absorption» du Nord, les desseins inavoués des deux parties
s’accordaient.
Les Etats-Unis estimèrent également que la fourniture de
réacteurs sud-coréens permettrait de créer un ascendant du Sud sur le
Nord.
L’installation d’un réacteur à eau légère prend normalement
huit à dix ans. Et pendant ce temps, capital, technologie, matériel et
surtout personnel technique sud-coréens devraient aller en force au
Nord. Et des agents de l’«Agence de la planification de la sécurité
nationale» pourraient en profiter pour s’y infiltrer. Pour la Corée du
Sud, ce serait une occasion inespérée de pratiquer une brèche dans
le système nord-coréen qui, pendant si longtemps, s’est opposé à
elle avec tant de fermeté et de le mettre sous son contrôle. Elle
pourrait dès lors menacer la Corée du Nord de suspendre la
construction de réacteurs ou de rappeler le personnel constructeur,
chaque fois qu’elle verrait ses relations avec elle empirer ou qu’elle se
trouverait dans une situation délicate.
Kondo Shungsuke, professeur suppléant de technologie à
l’université technologique de Tokyo, a fait observer: «Dans le
monde technologique, les réacteurs de "type sud-coréen" ne sont pas
répertoriés. Cela signifie donc que la Corée du Sud se charge des
problèmes de la programmation informatique dans la construction
de réacteurs à eau légère. La centrale atomique concerne une
branche industrielle très importante réclamant une haute technologie.
Si la Corée du Sud fournit à la Corée du Nord ses propres réacteurs,
un grand nombre de techniciens des entreprises sud-coréennes, dont
celle exécutant des contrats forfaitaires, devront y aller travailler, et
178
cela lui permettrait d’accaparer le marché de l’énergie nucléaire
dans la péninsule coréenne (Nihon Keizai Shimbun, le 17 avril
1995).»
Lors des négociations nord-coréo-américaines sur les réacteurs à
eau légère, la Corée du Nord a fait d’importantes concessions aux
Etats-Unis. Bien que toute la vérité n’en soit pas encore
officiellement révélée, on sait à peu près qu’il était convenu:
premièrement, que ce seraient des réacteurs livrés à la Corée du Sud
par la Russie en guise de remboursement de ses dettes;
deuxièmement, que les Etats-Unis se chargeraient des plans des
parties majeures des réacteurs, alors que le reste pourrait revenir
pour l’essentiel à la Corée du Sud; troisièmement, que, si les EtatsUnis devenaient la principale partie contractante, la Corée du Nord
accepterait la participation technique sud-coréenne; quatrièmement,
que la partie contractante serait la KEDO (consortium international
regroupant essentiellement les Etats-Unis, la Corée du Sud et le
Japon).
Les Etats-Unis se sont intéressés à cette proposition nordcoréenne et ont même établi un projet selon lequel les Américains
constitueraient la partie contractante principale. Aux Etats-Unis, des
voix se sont élevées «contre les réacteurs de "type sud-coréen"», et
Gallucci a déclaré: «Si ce sont réellement des réacteurs de "type sudcoréen", à quoi bon prêter tant d’importance à leur nom?» Le parti
démocrate sud-coréen, parti d’opposition, a préconisé qu’«on ne se
montre pas si sensible au terme "type sud-coréen"».
Pourtant, les autorités sud-coréennes s’obstinèrent à avoir gain de
cause. Kim Yong Sam menaça les Etats-Unis en disant: «Si ce ne
sont pas des réacteurs de "type sud-coréen", nous ne débourserons
pas un sou, et si nous bouclons notre bourse, la fourniture de
réacteurs à eau légère ne sera qu’une parole en l’air, et l’accord de
Genève, de la paperasse.» Le ministre sud-coréen des Affaires
étrangères, Kong Ro Myong, a déclaré ostensiblement: «Si ce ne sont
pas des réacteurs de "type sud-coréen" et si la Corée du Sud n’y
179
assume pas le rôle de protagoniste, nous ne participerons pas à
l’entreprise.»
Ainsi, les Etats-Unis et la Corée du Sud commencèrent à afficher
des visions et des attitudes divergentes. Wall Street Journal a écrit, le
27 mars 1995, que des sons discordants ont commencé à se faire
entendre entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. Celle-ci craignait
que la Corée du Nord et les Etats-Unis ne s’accordent à rejeter les
réacteurs de «type sud-coréen» et que les Etats-Unis ne tentent de
s’emparer en entier du fruit, tout en lui faisant financer l’entreprise.
De surcroît, la Corée du Nord et le Japon ont entrepris de nouvelles
démarches pour normaliser leurs relations, ce qui a également renforcé
le sentiment d’isolement de la Corée du Sud.
Pourtant, elle a persisté dans son dessein de faire adopter le
«type sud-coréen», car elle voulait tenir un «rôle de protagoniste».
Autrement dit, en jetant l’appât—le réacteur à eau légère—à la
Corée du Nord, elle voulait établir son contrôle et sa suprématie sur
elle. C’est pourquoi elle s’est tant obstinée en déclarant qu’«elle
ne pourrait signer le contrat tant que Korea Electric Power
Corporation ne serait pas la principale partie contractante, chargée des
plans, de la fabrication, de la mise en chantier et de la construction»
(ministre sud-coréen des Affaires étrangères).
Un expert sud-coréen en question des relations Sud-Nord a fait
remarquer que, si la Corée du Sud fait preuve de tant de zèle, c’est
pour faire passer le nom de «réacteur de type sud-coréen» (Mainichi Shimbun, le 28 mars 1995). Mais en réalité, le «réacteur de type
sud-coréen» n’était rien d’autre qu’un terme politique inventé pour
réaliser l’objectif que la Corée du Sud s’est proposé: saper la Corée
du Nord de l’intérieur.
Réacteur défectueux laissant à désirer quant à sa sûreté
La vive controverse entre la Corée du Nord, les Etats-Unis, la
Corée du Sud et le Japon au sujet des «réacteurs de type sud-coréen»
180
ne concernait pas, en fait, le type de réacteur. C’était un problème
plutôt à caractère symbolique lié à la longue confrontation Nord-Sud,
déterminant pour l’issue des relations Nord-Sud. C’est la raison pour
laquelle la Corée du Nord a rejeté si catégoriquement l’idée de
réacteurs de Corée du Sud, tandis que celle-ci ne voulut pas s’en
départir.
Puisque les réacteurs de «type sud-coréen» semblaient destinés à
détruire de l’intérieur la Corée du Nord, celle-ci a refusé net de les
accepter, mais il y avait à cela d’autres raisons encore.
C’est que les réacteurs de «type sud-coréen» sont sujets à de
fréquents accidents et ne peuvent assurer la sûreté. Les «Uljin» Nos
3 et 4 sont des constructions hybrides, réalisées d’après les plans
d’un réacteur importé il y a vingt ans et rénové par la suite sur le
modèle de plusieurs types de réacteur en cours de construction peutêtre; c’est pour cette raison que, (1), sa fréquence d’accidents (fusion
du cœur-melt down) est quatre fois supérieure à la norme
internationale; que, (2), sa durée de vie n’est que de 30 à 40 ans; que,
(3), sa cuve et son turboalternateur n’en sont qu’au stade
expérimental. Les premiers prototypes doivent être mis en service à
partir de 1998, donc personne n’a aucune expérience pratique de leur
fonctionnement et de leur exportation.
Cependant, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon
prétendirent que, en leur qualité de pays membres de la KEDO
(consortium international), soit en tant que fournisseurs de réacteurs à
eau légère, ils avaient le droit d’en choisir le type. Mais, en réalité, ce
n’était pas exact. Ce qui provoquait le malentendu, c’était le terme de
«fournir». Les réacteurs en question, la Corée du Nord les aquérait
sous forme d’emprunt à long terme, et non gratuitement. Il n’était
donc pas juste de lui faire accepter un produit dont elle ne voulait
pas. Il est normal, dans ce cas, de se conformer à la volonté de
l’acquéreur.
«Ce n’est pas à titre gratuit qu’on nous fournit des réacteurs à
eau légère, mais à condition que nous les payions à long terme. Aussi
avons-nous le droit d’indiquer le type de réacteur que nous
181
souhaitons. Toute tentative de nous imposer les réacteurs de "type
sud-coréen" équivaut à vouloir donner du gâteau à un client qui
commande un plat de nouilles.» Comme l’a fait remarquer Han
Song Ryol, ministre nord-coréen à l’ONU, le droit d’indiquer le type
de réacteur appartenait exclusivement à l’acheteur.
Qui conduira le projet?
Les pourparlers nord-coréo-américains ouverts à Kuala
Lumpur, capitale de la Malaisie, se sont longtemps arrêtés sur la
question de savoir si l’on mettrait ou non par écrit dans l’accord les
termes de «réacteurs de type sud-coréen» et de «rôle de protagoniste
de la Corée du Sud», avant de se conclure le 13 juin en publiant un
communiqué conjoint. La vive controverse provoquée à ce sujet fait
penser à un marathon particulièrement pénible. Le terme «sudcoréen» ne figure pas dans le communiqué, mais, en confrontant la
version anglaise et la version coréenne, on remarque une légère
différence d’expression entre elles.
C’est avant tout la partie concernant le rôle du coordinateur du
programme.
La version coréenne dit; des entreprises américaines conduiront,
en tant que coordinateur du programme, la réalisation du projet tout
en aidant la KEDO, tandis que la version anglaise dit: des entreprises
américaines coordonneront le programme pour aider le consortium
international chargé de conduire l’ensemble de la construction de
réacteurs à eau légère (Yomiuri Shimbun, le 14 juin 1995). Ainsi,
d’après la version coréenne, ce sont des entreprises américaines,
désignées comme coordinateur du programme, qui conduiront les
travaux, tandis que, d’après le texte anglais, c’est le consortium
international qui devra le faire.
Etant donné que ce consortium regroupe essentiellement les
Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon et que la Corée du Sud
assumera la quasi-totalité du poids de financement, si le consortium
182
devait conduire la réalisation du programme, la Corée du Sud aurait
voix au chapitre.
Mais si, au contraire, c’était le coordinateur du programme qui
devrait le faire, la Corée du Sud ne l’aurait pas. Le consortium
international compte désigner Korea Electric Power Corporation
comme partie contractante principale, mais, même dans ce cas-là, elle
ne serait qu’«entrepreneur» des entreprises américaines, si le
coordinateur du programme devait conduire le projet.
Le débat ayant été concentré sur la question de savoir si on
attribuerait ou non le «rôle de protagoniste» à la Corée du Sud, la
partie du texte le concernant est très importante. On s’attendait à de
vives controverses à ce sujet, mais, à notre grande surprise, la Corée
du Sud a gardé un silence complet. Comment l’expliquer? Après
tout, le «rôle de protagoniste» de la Corée du Sud étant grevé de
multiples charges, son projet de se servir des réacteurs à eau légère
comme moyen de contrôle politique sur le Nord a avorté.
Avant tout, il est clairement indiqué, dans le communiqué, que le
type de réacteur à livrer sera un «type rénové d’après les plans et la
technologie américains». Selon le communiqué, il serait du même type
que les «Uljin Nos 3 et 4», mais on n’a pas dit qu’on s’y référerait.
C’est-à-dire que des entreprises américaines pourront, en assumant le
rôle de protagoniste, modifier, conformément aux conditions de la
Corée du Nord, les plans du réacteur rénové de «type 80» construit par
la compagnie américaine C.E. (actuellement compagnie ABB-CE).
Ainsi, il s’agit, sans le moindre doute, de réacteurs de type américain,
et non de «type sud-coréen».
Premièrement, pour ce qui est du réacteur à eau légère de
«type sud-coréen», il n’est pas reconnu, et quant aux «Uljin» Nos 3 et
4, ils ne sont rien d’autre que des variantes du réacteur américain de
«type 80». Le réacteur proprement sud-coréen n’a jamais existé.
Deuxièmement, il est stipulé dans le communiqué que le
consortium international sera conduit par les Etats-Unis, que ces
derniers seront les principaux partenaires de la Corée du Nord et que
183
les Américains conduiront les délégations ou les groupes d’experts du
consortium international pour accomplir les tâches de celui-ci.
Et même au sein de ce dernier, la Corée du Sud ne pourrait
agir à sa guise. Ainsi, que ce soit le coordinateur du programme ou
le consortium international qui conduise l’entreprise, la Corée du
Sud ne pourrait y jouer un rôle important.
L’unique interlocuteur pour la livraison de réacteurs à eau légère
serait les Etats-Unis, voilà qui a été décidé lors des récentes
négociations nord-coréo-américaines, et on a alors réaffirmé que les
Etats-Unis y joueraient le rôle de protagoniste en assumant toute la
responsabilité du projet. Ainsi la Corée du Nord pourrait-elle
désormais protester auprès des Etats-Unis, responsables de
l’entreprise, si la Corée du Sud tentait d’empêcher tant soit peu la
fourniture de réacteurs, et les sommer de remplir loyalement le
contrat si celui-ci n’est pas exécuté comme il faut. C’était à condition
de conférer de tels choix à la Corée du Nord que les deux parties sont
arrivées à conclure un accord. «L’accord est conclu parce qu’on a
précisé les rôles respectifs du Nord et du Sud» (Tokyo Shimbun,
éditorial, le 15 juin 1995), mais il faudrait dire plutôt que l’accord a
été conclu parce que les Etats-Unis ont accepté les revendications de
la Corée du Nord.
Deux messages présidentiels
Le président américain Clinton a envoyé deux messages au sujet
de la fourniture de réacteurs à eau légère: un message de garantie
adressé au Secrétaire général Kim Jong Il du Parti du Travail de
Corée, en octobre 1994, lors de l’adoption de l’accord-cadre
RPDC-USA, et l’autre à Kim Yong Sam après la publication du
communiqué conjoint nord-coréo-américain. Deux messages sont
foncièrement différents dans leur contenu, leur rôle et leur portée.
Le message adressé à Kim Jong Il promettait au dirigeant nordcoréen de fournir à son pays, aux termes de l’accord-cadre, des
184
réacteurs à eau légère ainsi que du combustible (huile lourde) en
compensation de l’énergie électrique, en usant de ses pouvoirs de
président, et réaffirmait l’engagement des Etats-Unis à répondre de
cette livraison.
Pourquoi la Corée du Nord avait-elle besoin d’un tel message?
Le message dit en clair que, «en cas de non-achèvement de la
construction de réacteurs à eau légère, non par la faute de la Corée du
Nord, mais pour d’autres raisons», et en cas de rupture de fourniture
d’huile lourde, les Etats-Unis s’engagent directement à achever les
travaux et à fournir le carburant comme prévu. Ainsi, il est défendu
à un tiers (la Corée du Sud) de s’immiscer à sa guise. La Corée du
Sud, qui se démenait fébrilement pour faire accepter ses réacteurs et
son «rôle de protagoniste», a été ainsi fermement remise à sa place.
L’accord a réaffirmé, dans son premier chapitre, la validité du
message de garantie du président américain. Ce message et le
communiqué conjoint qui précise que les réacteurs seront de type
américain et que les Etats-Unis assumeront le rôle de protagoniste
coïncident parfaitement l’un à l’autre par leur contenu.
C’est la victoire de la diplomatie nord-coréenne, et la défaite de la
Corée du Sud. Ce n’est nullement fortuit si Yomiuri Shimbun a écrit,
sans cacher son étonnement, dans l’éditorial du 15 juin 1995: «Le
président Clinton a fait l’éloge du Secrétaire Kim Jong Il à la
veille de la signature de l’accord et lui a adressé un message
personnel comme un vassal l’aurait fait à son suzerain.»
L’autre message de Clinton ne ressemble pas au premier. Il y a là
deux choses à relever.
Premièrement, le message dit: «D’après le contrat commercial
conclu entre le consortium international et le pays concerné, les
réacteurs de référence seront les "Uljin Nos 3 et 4".» Ce passage ne
coïncide pas avec ce qui est stipulé dans l’accord —«réacteurs d’un
type rénové d’après les plans et la technologie américains»— ni avec
le communiqué conjoint qui ne parle d’aucun réacteur de référence.
Par ailleurs, le message dit: «Les entreprises américaines
participent à l’installation de réacteurs, en qualité d’entrepreneur
185
pour la Corée du Sud, partie contractante principale.» C’est aussi
différent du communiqué conjoint qui précise que les Etats-Unis
assumeront toute la responsabilité de la construction de réacteurs à eau
légère, qui que ce soit qui la conduise.
Ainsi, ce message n’est rien d’autre qu’un expédient visant à
apaiser le mécontentement de la Corée du Sud, causé par le
communiqué conjoint qui ne fait aucune allusion au réacteur de «type
sud-coréen» et au «rôle de protagoniste de la Corée du Sud», et à
faire aboutir coûte que coûte le dialogue nord-coréo-américain.
Ainsi, les Etats-Unis, en se démenant péniblement entre les deux
parties de la Corée, ont commis une erreur en débitant des propos
différents et contradictoires sur un même sujet. Ils prêtent ainsi le
flanc à la critique des deux côtés.
En tout cas, ce qui prime, c’est le document adopté par les
deux parties concernées par le problème nucléaire et la livraison de
réacteurs à eau légère, et non un message envoyé par une de ces
parties à un tiers. Pour dire vrai, la Corée du Sud a dû se contenter
d’un message présidentiel pour avaler les humiliations que les EtatsUnis lui avait infligées.
Les récentes négociations ont opposé les deux parties de la
Corée, et non la Corée du Nord et les Etats-Unis. Soit la Corée du
Nord et les Etats-Unis, d’une part, et la Corée du Sud d’autre part. A
l’approche du dernier jour fixé pour la conclusion de l’accord sur la
livraison de réacteurs à eau légère, des voix se sont élevées aux EtatsUnis: «L’appellation n’a aucun sens —L’attitude radicale de la
Corée du Sud est un facteur direct qui peut nous précipiter dans un
abîme. Il faut l’exclure et recommencer à zéro— C’est une honte
pour les Etats-Unis que d’admettre la Corée du Sud à conduire la
fourniture de réacteurs.» L’administration américaine aussi a exercé,
dit-on, une pression sur la Corée du Sud pour qu’elle renonce à sa
lubie.
Pourvu que le développement nucléaire soit gelé en Corée du
Nord, peu importe le reste, ainsi pensaient les Américains. Le plus
important est, pour la Corée du Nord et les Etats-Unis, de respecter
186
et d’exécuter loyalement leur accord-cadre. Il n’y a pas eu de
profondes divergences de vues entre eux. La pierre d’achoppement
était la Corée du Sud. Comment la ramener à la raison? Les trois
semaines d’intenses négociations, semblables à une lutte entre
deux coureurs de marathon, ont été nécessaires pour dissuader la
Corée du Sud.
Celle-ci n’a pas caché son mécontentement. Pleine de
méfiance, elle a fait flèche de tout bois, mais en vain. Elle s’est vue
écartée du jeu. Le message de Clinton, d’ailleurs plein
d’ambiguïtés, n’a pu rien y faire. La Corée du Sud a dû se résigner à
son sort.
De désespoir, elle s’est écriée: «Ah, les Américains nous ont
roulés!»
Ainsi la Corée du Sud s’est-elle mise à considérer son maître
d’un œil plein de méfiance, tandis que le «système de coopération
sud-coréo-américaine.», couvert de mille fissures, a commencé à se
craqueler.
Vers l’établissement de relations diplomatiques
Stephen W. Linton, associé chercheur au Centre de recherche
coréenne de l’université de Columbia, qui est venu des dizaines de
fois en visite en Corée du Nord, a dit qu’il fallait commencer par
améliorer les rapports entre la Corée du Nord et les Etats-Unis si l’on
voulait instaurer le dialogue Nord-Sud, car «les rapports Nord-Sud
s’amélioreraient alors sans que la Corée du Sud y perde quoique ce
soit».
Cette remarque est à l’opposé de l’affirmation des Etats-Unis,
de la Corée du Sud et du Japon selon laquelle les pourparlers
Nord-Sud devraient précéder l’amélioration des relations nord-coréoaméricaines. Laquelle de ces deux idées est exacte?
Après la publication de l’accord-cadre RPDC-USA en octobre
1994, les relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis ont
187
commencé à passer de l’hostilité à la confiance. «L’essence de
l’accord-cadre consiste à avoir admis pour un temps le régime nordcoréen (Nihon Keizai Shimbun, le 16 juin 1995).»
La Corée du Sud, qui ne le voulait pas, a mis tout en œuvre pour
s’y opposer, et sa dernière tentative en fut ses démarches visant à faire
accepter ses «propres réacteurs» et son «rôle de protagoniste». Cela
revient à «vouloir établir sa suprématie et étendre son régime à toute
la péninsule coréenne» (Yomiuri Shimbun, le 14 juin 1995). Une
vive controverse s’était ainsi engagée, mais les négociations se sont
soldées par la défaite de la Corée du Sud.
«La Corée du Nord projette certainement, plutôt que de se
faire livrer des réacteurs à eau légère dont la construction prendrait
une dizaine d’années, d’améliorer ses relations avec le Japon et les
Etats-Unis pour remédier avec leur aide à ses pénuries de vivres et de
combustibles. Quant au problème des réacteurs à eau légère, elle
compte en profiter pour maintenir son système en soulevant toujours
des points ambigus dans ce problème», telle est l’interprétation de Ri
Sang U, professeur à l’université Sogang de Corée du Sud, qui
traduit tels quels les rapports actuels de méfiance et d’hostilité entre
le Nord et le Sud. Or, l’essentiel pour la Corée du Nord est
d’améliorer ses relations avec le Japon et les Etats-Unis, avant de le
faire avec le Sud, et de réunifier le pays après avoir transformé la
péninsule coréenne en zone dénucléarisée, en zone de paix.
L’amélioration des relations avec le Japon et les Etats-Unis lui
permettra de réaliser la réunification du pays sur un pied d’égalité
avec le Sud.
On pourrait croire pour le moment à la «mise à l’écart de la
Corée du Sud», mais il fallait faire un détour et améliorer les relations
avec les Etats-Unis et le Japon, car c’est, selon la Corée du Nord, le
préalable à l’amélioration des rapports Nord-Sud et à la réunification
pacifique du pays.
Kim Yong Sam s’inquiétait de ne pouvoir contrôler le processus
de réunification et de ne pouvoir «absorber» le Nord. L’accord sur la
188
fourniture de réacteurs à eau légère a corroboré le caractère
chimérique de son rêve.
Les Etats-Unis ont décidé de normaliser leurs relations avec le
Viêt-nam, vingt ans après la fin des hostilités. Quelle longue période,
mais ce n’est rien en regard de la division de la Corée qui perdure
jusqu’à ce jour. Il ne sera donc pas si facile pour les Américains de
normaliser leurs relations avec la Corée du Nord. Pourtant, nul ne
peut barrer la route au courant de l’histoire qui a mis fin à la guerre
froide.
Aux Etats-Unis, les voix s’élèvent, toujours plus fortes, pour
l’amélioration des relations nord-coréo-américaines, sans craindre les
récriminations de la Corée du Sud. Et le règlement correct du
problème de la fourniture de réacteurs à eau légère l’impulsera.
La construction de réacteurs à eau légère prend une dizaine
d’années, et, pendant ce temps, grâce au pont établi entre eux par
celle entreprise, les deux pays pourront travailler à améliorer leurs
relations. Ainsi, l’accord pourra servir de tremplin à l’instauration
d’un nouvel ordre dans la péninsule coréenne. Celle-ci s’est d’ores et
déjà mise à marcher vers une ère nouvelle.
189
CHAPITRE III
LA POSSIBILITE DE REUNIFIER LA
COREE PAR LA FEDERATION
DU NORD ET DU SUD
1. SOLUTION MIRACULEUSE D’IRLANDE DU NORD
Le XXe siècle, plein de vicissitudes et de guerres, touche à sa fin.
Jamais aucun siècle n’a connu tant de conflits régionaux, tant de
guerres mondiales, dus à des problèmes de territoire, de nationalité, de
religion, d’idéologie, de richesses naturelles et d’intérêts étatiques, ni
n’a enregistré un si grand nombre de victimes de guerre. Les progrès
vertigineux de la civilisation et de la technologie ont apporté avec eux
l’«aisance et le confort», mais aussi des armes d’une puissance de
destruction redoutable, qui ont fait couler à flot le sang de l’humanité,
en rendant les guerres incomparablement plus meurtrières que celles du
passé. Ce siècle a vu des génocides et des massacres de civils.
L’apparition d’armes, pouvant réduire, en un clin d’œil, toute une
ville en un amas de décombres, l’apparition de la bombe atomique, de
la bombe H et de la bombe à neutrons, l’élaboration des armes
biologiques et chimiques menacent l’existence même de l’humanité.
C’est la raison pour laquelle on dénomme le XXe siècle «siècle de
sang», «siècle sans vainqueurs».
Mais, au cours des guerres incessantes et de la course aux
armements, l’humanité est parvenue à prendre conscience d’ellemême et à mettre en œuvre son intelligence, encore
qu’insuffisamment, pour survivre, et, maintenant que le XXe siècle
190
s’achève, elle s’est mise à élever la voix pour condamner
l’opposition et la haine, préconiser la conciliation, la coopération, la
coexistence et la coprospérité: la fin de la guerre froide Est-Ouest,
l’accession de nombreux Etats et nations à l’indépendance, le
dialogue et l’effort pour le démantèlement des armes nucléaires et
la réduction des armes d’extermination massive, la conciliation
historique entre la Palestine et l’Etat d’Israël en sont autant de
témoignages.
Des choses jadis considérées comme «impossibles» deviennent
réalité. L’homme n’est pas un être indolent et impuissant. Que le
XXIe siècle soit un siècle de paix, de coexistence et de coprospérité,
cela dépend de notre effort pour l’établissement d’un modèle de
compréhension et d’entente dans le monde avant la fin du XXe siècle.
Les pourparlers de paix en Irlande du Nord, qui ont abouti le 10
avril 1998 à un accord historique, en .sont une illustration. Puisque
personne ne l’avait escompté, il faut dire que c’est là un miracle. Le
miracle n’est donc pas impossible. Il survient à la suite du
mûrissement des conditions, de l’avènement de l’occasion et d’un
effort sincère et soutenu. La paix conclue en Irlande du Nord
l’atteste.
Le conflit en Irlande du Nord appartenant au Royaume-Uni
remonte au XIIe siècle. L’Angleterre avait tenté de soumettre l’île,
mais en vain. C’est donc plus tard, au temps de l’absolutisme
monarchique, sous Henri II, qu’elle établit, par une guerre de
conquête, sa domination sur l’île. Elle imposa aux insulaires le
catholicisme, sa religion officielle, et proclama la région d’Ulster
domaine royal et y installa un grand nombre d’Anglais.
La résistance s’organisa immédiatement, conduite par les
Celtes, tribu d’obédience catholique, qui avaient pris pied sur l’île
avant notre ère. Pourtant les révoltes, très fréquentes, furent réprimées
et l’Irlande devint colonie anglaise, et sa population se trouva en
butte à l’oppression et à la misère. Au XVIIe siècle, l’Angleterre y
organisa l’installation d’un grand nombre d’Anglais pour renforcer
191
sa domination, et ces colons devinrent les ancêtres des protestants de
l’île.
Dès le début du présent siècle, les habitants d’obédience
catholique se soulevèrent contre la domination anglaise, à Dublin et
ailleurs, et l’Angleterre divisa l’île en Nord et en Sud. Le Sud obtint
l’indépendance en 1937 pour se proclamer République d’Irlande. Au
Nord, les colons anglo-saxons en position prédominante formaient
60% de la population, et, à cause du conflit entre les catholiques et les
protestants, le Nord ne réussit pas à accéder à l’indépendance et resta
colonie anglaise.
Le régime maintenait les inégalités et la ségrégation entre les
protestants riches et les catholiques démunis, et ces derniers
déclenchèrent en 1960 un mouvement pour les droits civiques et se
dressèrent contre les classes dominantes et les protestants. En
1969, l’armée anglaise intervint et l’IRA (Irish Republican Army),
organisation armée antianglaise, entreprit une résistance armée
contre celle-ci. Ainsi, une guerre sanglante s’est engagée, qui dura
environ 30 ans, faisant 3 200 victimes.
Les catholiques préconisaient l’union du Nord à la République
d’Irlande, tandis que les protestants souhaitaient maintenir le statu
quo. Le conflit n’était pas d’ordre religieux, mais ethnique. C’était
une lutte entre l’agresseur et l’agressé qui durait depuis 900 ans. Les
Etats-Unis qui comptent environ 38 000 000 d’Américains d’origine
irlandaise soutenaient les catholiques. Le conflit Est-Ouest à
l’époque de la guerre froide stimulait les hostilités entre les deux
forces. La lutte sanglante enflammait la haine et compliquait à
l’extrême les rapports d’intérêts au point qu’on ne pouvait y
escompter aucune issue.
Pourtant, les pays intéressés et les deux parties belligérantes
sont parvenus à conclure un accord de paix, en faisant ainsi un
grand pas vers une conciliation de portée historique. Voici l’accord
en substance: (1), on créera un parlement régional d’Irlande du
Nord, on proclamera son autonomie et on exercera les pouvoirs
législatif et administratif dans cette partie de l’île; (2), le nouveau
192
parlement constituera, avec le gouvernement d’Irlande, un
«conseil du Sud et du Nord», par delà les frontières, et délibérera des
problèmes d’intérêt de toute l’île; (3), on mettra sur pied un
«conseil» avec les représentants de la Grande-Bretagne, de la
République d’Irlande, de l’Irlande du Nord, de l’Ecosse et du pays de
Wales; (4), la République d’Irlande modifiera sa Constitution
stipulant sa compétence territoriale sur l’Irlande du Nord.
Voilà une solution tenant du miracle, une mesure pertinente
destinée à dissiper la haine née de la «conscience d’appartenance» en
adoucissant la notion de «territoire» et de «frontière». On critique,
c’est vrai, le fait qu’elle remet à plus tard la solution du problème de
l’ «appartenance», principale cause de la haine et de l’hostilité, mais
c’est seulement ainsi qu’on a pu parvenir à un accord, en surmontant
la haine et l’hostilité durcies pendant de longs siècles.
La paix a été établie à la suite des référendums effectués le 22
mai 1998 en Irlande du Nord et en République d’Irlande: 71,12% des
votants se sont prononcés pour, et 28,88% seulement contre. Selon le
sondage effectué par le quotidien britannique Gardian, avaient dit
oui 73% de la population du Nord, 61% de la population du Sud et
80% de la population de la Grande-Bretagne. Ces chiffres
traduisaient la réalité de l’opinion.
Pourtant, la consultation a été suivie par des incendies et des
violences perpétrées par les forces extrémistes des deux parties. Une
manifestation des protestants a entraîné la recrudescence de
l’hostilité. Ainsi, le premier août, une voiture dynamitée a fait 35
blessés à Banbridge en Irlande du Nord, et, le 15 août, une attaque à
la bombe au centre d’Armagh a tué et blessé 250 personnes. La
population en fut bouleversée, pleine d’indignation, et les terroristes
extrémistes, de peur de s’isoler, ont annoncé un «cessez-le-feu sans
limitation de durée».
C’est un essai de solution de grande portée visant à établir la
paix en transcendant la «conscience d’appartenance» et en
adoucissant la notion de «territoire» et d’«Etat» considérés comme
domaines absolus du droit inviolable du gouvernement.
193
La solution d’Irlande du Nord a marqué un jalon important
puisqu’elle a indiqué la voie au règlement du conflit provoqué par les
hostilités ethniques et historiques. Elle mérite éloges et félicitations
pour avoir ouvert devant l’humanité des perspectives lumineuses à la
fin du XXe siècle.
2. PREMIER ESSAI DE TRANSCENDER LES
DIFFERENCES DE REGIME EN ACCORDANT
LA PRIMAUTE A LA «NATION»
La solution d’Irlande du Nord—paix réalisée par voie de
négociations—est riche de sens pour résoudre le problème de la
division de la Corée.
Certes, la division de la Corée et l’opposition du Nord et du
Sud diffèrent de celles de l’Irlande par leurs origines et leur
contenu. L’opposition entre le Nord et le Sud de la Corée est due à la
colonisation japonaise, et puis, depuis la restauration, à la division
nationale par des forces étrangères. Il n’en est pas moins vrai que
c’est un problème intérieur de la nation coréenne touchant à
l’opposition d’idéologies et de régimes différents en son sein; la
«conscience d’appartenance» dans le cas de la Corée vient, non pas
de différences ethniques, mais de celles d’idéologie et d’idéal.
Les grandes puissances et les pays voisins, tels que le Japon, les
Etats-Unis et l’ex-Union soviétique, s’y trouvent impliqués. D’où la
complexité et la difficulté du règlement de la question coréenne.
La division de la Corée dure depuis un demi-siècle, et les
Coréens ne sont pas restés témoins impuissants du drame national. Ils
manifestaient une volonté de réunification irréductible, quand des
«incidents» se sont produits, donnant prétexte aux grandes puissances
d’intervenir et de raviver la méfiance entre les deux parties du pays
pour empêcher la réunification. Or, il ne faut pas se désespérer. Le
194
fatalisme ne peut que faire perdurer la division. La Corée
parviendra à coup sûr à retrouver son unité. Bien des facteurs
intérieurs et extérieurs nous permettent de nous en convaincre.
Commençons par examiner les facteurs intérieurs.
Tout d’abord le Nord et le Sud ont d’ores et déjà accédé au
terrain de la solution d’Irlande du Nord. Certains disent qu’ils ne
sont pas parvenus à adopter des mesures effectives, mais il faut
envisager correctement les choses, sans oublier les efforts entrepris
en ce sens.
A preuve, les accords historiques conclus entre le Nord et le Sud,
à savoir la Déclaration conjointe Nord-Sud du 4 Juillet 1972 et
1’«accord sur la réconciliation, la non-agression, la collaboration et
les échanges entre le Nord et le Sud» publié en 1991.
La Déclaration conjointe Nord-Sud du 4 Juillet a formulé les
Trois principes majeurs à respecter en matière de réunification du
pays: indépendance, réunification pacifique et grande union nationale.
Convenus entre les deux parties du pays, ces principes gardent toute
leur validité aujourd’hui encore, un quart de siècle après leur
publication, et il en sera ainsi à l’avenir aussi. Il s’agit, premièrement,
de réunifier le pays par les Coréens eux-mêmes à l’abri de toute
ingérence étrangère, parce que l’opposition entre le Nord et le Sud
est le produit de la partition du pays par des forces étrangères;
deuxièmement, de refaire l’unité nationale sans recourir à la guerre,
et par voie de négociations, d’autant plus que la guerre de Corée,
conflit fratricide, a aggravé la division nationale en ravivant la haine
et l’hostilité; troisièmement, d’apporter une solution fondamentale
au problème de la réunification par les forces unies de toute la
nation. C’est sur cette vision commune aux deux parties du pays que
reposent les Trois principes susmentionnés.
L’accord Nord-Sud a défini, à la lumière de ces principes,
l’approche et le processus de rétablissement de l’unité nationale:
«mettre fin à la confrontation politique et militaire Nord-Sud en
faveur de la réconciliation nationale, s’abstenir de tout acte
d’hostilité armé pour la détente et la paix, réaliser une coopération
195
et des échanges multiformes pour la promotion des intérêts
communs et de la prospérité de la nation, considérer les relations
actuelles entre les deux parties comme des relations spéciales et
provisoires avant la réunification, et non comme des relations d’Etat à
Etat, et s’employer à restaurer l’unité nationale par la voie
pacifique».
La définition des «relations Nord-Sud comme relations spéciales
et provisoires, et non comme celles d’Etat à Etat», revêt une extrême
importance, puisque les deux parties ont jusqu’ici rivalisé de zèle
pour se faire reconnaître chacune par la communauté internationale. Si
elles persistent dans leurs démarches anciennes, la réunification ne
pourra se réaliser que sur l’assujettissement ou l’absorption d’une
partie par l’autre.
Les deux accords historiques ont opté, pour ainsi dire, pour une
solution non moins pertinente que la paix conclue entre la Palestine et
Israël et celle d’Irlande du Nord. Il s’agit là du fruit du génie et de la
volonté inébranlable de la nation coréenne qui désire ardemment la
réunification pacifique du pays. Tout dépend désormais de la façon
dont les deux parties exécuteront les clauses des accords.
A noter surtout que le projet de création d’une République
fédérale démocratique du Koryo, proposé en 1980 par le Nord, et le
Programme en dix points pour la grande union de toute la nation en
faveur de la réunification de la patrie, formulé en 1993, par le
Président Kim Il Sung, revêtent une importance majeure dans cette
perspective.
Quant au premier, c’est un «projet de réunification basé sur la
formule: une nation, un Etat, deux régimes et deux gouvernements».
Il suppose deux gouvernements régionaux autonomes en place
respectivement au Nord et au Sud et un gouvernement national
unifié—organe suprême du pouvoir—constitué avec des représentants
du Nord, du Sud et d’outre-mer, de même que l’Etat unifié serait un
Etat neutre. Le Nord a proposé pour la première fois la coexistence
en reconnaissant le Sud et en admettant son idéologie et son régime.
Ce projet expose ainsi une idée beaucoup plus précise et concrète de
196
la forme d’Etat que la solution d’Irlande du Nord. Dans les
circonstances actuelles, il ne peut y avoir d’autre choix.
Certains pourraient le critiquer en estimant qu’il remet à plus
tard la solution du problème de la «conscience d’appartenance»
comme c’était le cas de la solution d’Irlande du Nord. Or, ce projet
présente l’avantage incomparable de tendre à réaliser l’union nationale
en reconnaissant les différentes idées: «conscience d’appartenance» et
«appartenance», et surtout en faisant prévaloir l’identité nationale.
Quant au programme de grande union nationale, il va plus
loin en mettant l’accent sur 1’«amour de la nation et l’esprit
d’indépendance nationale» et en préconisant la «coexistence, la
coprospérité et la promotion des intérêts communs de la nation».
Le Président Kim Il Sung a insisté sur la «nécessité de se
débarrasser de la peur de l’agression du Nord ou du Sud, de
celle de la victoire sur ou par le communisme, pour promouvoir
la confiance et l’union». Le projet de réunification par
fédération représente donc une mesure propre à mettre un terme
à la division et à la confrontation nationales en faveur de la
promotion de la confiance par-dessus les différences de régime
politique et d’idéologie, socialisme ou capitalisme, au nom de
l’amour et de l’union de la nation.
3. LES CHANGEMENTS DUS A LA FIN DE LA
GUERRE FROIDE
La structure de paix et de sécurité
Pour étudier les facteurs extérieurs, il faudrait tenir compte du fait
que la situation autour de la péninsule coréenne a changé
foncièrement à la faveur de la détente intervenue dans le monde après
la fin de la guerre froide Est-Ouest. Dans les années 1980 encore, on
197
ne voyait pas de possibilité de réaliser l’accord Nord-Sud et le
projet de fédération, mais, dans les années 1990, depuis
l’écroulement de la structure de la guerre froide, on a pu voir
augmenter au fil des jours cette possibilité en se convertissant en une
nécessité historique.
L’accord de paix conclu en Irlande du Nord est aussi un produit
logique du changement de la situation mondiale après la fin de la
guerre froide: il n’y avait plus aucune intervention ni aucun soutien
de l’Est et de l’Ouest aux anglicans et aux catholiques. Le monde
s’orientait vers l’entente et la paix. L’opinion mondiale stigmatisait
véhémentement le conflit armé et le terrorisme. Les populations,
accablées de lassitude, se sont détournées de ce conflit sans issue.
D’autre part, aux Etats-Unis où vivent un grand nombre
d’Américains d’origine irlandaise, c’est un descendant d’Irlandais,
Bill Clinton, qui a été élu président, et le régime démocrate qui,
historiquement, entretient des relations étroites avec les populations
d’origine irlandaise a défini comme une des tâches pressantes de sa
diplomatie la solution du conflit irlandais. Chose qui a joué aussi un
rôle. Le président Clinton a invité le chef du Sinn Féin,
organisation politique en République d’Irlande, à Washington,
pour l’exhorter à la paix, d’une part, et, de l’autre, il a visité
l’Irlande du Nord et y a envoyé un coordinateur de la paix (Mitchel,
ancien sénateur du Parti démocrate et président de la Roundtable
Conférence).
Surtout, la constitution du régime travailliste Blair, en GrandeBretagne, un des pays intéressés par le règlement du conflit, a
donné une impulsion à la conclusion de la paix. Les régimes
conservateurs successifs avaient refusé obstinément de dialoguer avec
le Sinn Féin. Le premier ministre Margaret Thatcher avait déclaré:
«Je ne parlerai pas avec les terroristes» et n’était pas revenu sur sa
déclaration pendant son mandat. L’ancien premier ministre John
Major, mal soutenu par le parlement, prenait appui sur la population
d’obédience protestante et, indécis dans sa politique, n’avait pu y
apporter de solution. Enfin, le premier ministre Blair qui entretient
198
des relations amicales avec le Parti démocrate américain et jouit de sa
confiance a noué, dès le début de son mandat, des relations de
confiance avec les deux parties belligérantes et obtenu la
participation du Sinn Féin au dialogue, déclarant: «Les négociations
n’auraient aucun sens sans la participation de l’IRA.»
Y ont été aussi pour beaucoup l’ascension de la République
d’Irlande sur la scène internationale, due à ses progrès économiques
remarquables, d’une part, et, de l’autre, la recherche d’un nouveau
mode d’existence en Europe reposant sur la fusion d’Etats et
l’autonomie régionale et la prise de conscience de la nécessité de
balayer les vestiges du colonialisme anachronique.
Or, on ne peut pas dire que tout favorisait la paix d’Irlande du
Nord ou que c’était un fait fortuit. C’était un produit logique et
naturel de l’évolution de l’histoire, produit de la fin de la guerre
froide. Et la démolition du mur de Berlin, reproduite sur le petit
écran, a dû aussi exercé un certain impact sur les Irlandais et les
Anglais.
Cependant, que se passe-t-il dans la péninsule coréenne? Après la
fin de la guerre froide, les Etats-Unis qui, obstinément, faisaient la
sourde oreille à la proposition de dialogue de la Corée du Nord y ont
enfin répondu par l’affirmative et entrepris de s’orienter vers
l’amélioration des relations: ils ont conclu avec elle un accord-cadre
de portée historique après l’avoir longtemps menacée en invoquant le
«soupçon de développement nucléaire». Ainsi, ils ont pour l’essentiel
admis la Corée du Nord, son système socialiste, qu’ils avaient tant
exécré et lui ont promis de ne pas employer les armes nucléaires
contre elle ni de la menacer avec et de normaliser les relations. Ils
ont exprimé, au cours de négociations, le soutien à la réunification
pacifique de la Corée. Cette politique de compromis marque, dans la
politique nord-coréenne des Etats-Unis, un profond revirement dû à
la fin de la guerre froide et au changement de la signification
qu’avait la péninsule coréenne dans leur stratégie mondiale.
Or, dans les relations nord-coréo-américaines, il n’y a guère eu de
progrès notable jusqu’ici, à cause du maintien de sanctions
199
économiques par les Etats-Unis contre la Corée du Nord, tandis que la
confiance s’est sensiblement promue entre les deux pays.
Particulièrement, significatif est le fait qu’ils ont entrepris, aux
termes de l’accord-cadre, de démanteler le dernier vestige de la
structure de la guerre froide pour en établir une nouvelle, favorable à
la paix.
Pour la fourniture et l’installation de réacteurs à eau légère en
Corée du Nord, la KEDO, consortium international, s’est constituée,
qui servira de dispositif garantissant la paix en Corée et empêchant les
rapports nord-coréo-américains de se dégrader de nouveau.
Quant à la conférence quadripartite, elle est significative par sa
tenue même, outre son ordre du jour et ses résultats, car elle offre une
possibilité concrète de paix. Il ne faut pas se féliciter trop vite ou se
désespérer de ses résultats. Le fait même qu’elle se déroule
contribuera à la sécurité dans la péninsule coréenne. «Le débat sur la
paix à quatre constitue une démarche éminemment favorable à la
promotion de la confiance mutuelle», selon une déclaration
américaine.
Ainsi, grâce à l’accord-cadre RPDC-USA, la sécurité et la paix
en Corée sont doublement garanties, et des conditions favorables au
dialogue Nord-Sud et à la réunification mûrissent à partir de
l’extérieur.
Or, la conférence quadripartite ne peut nullement remplacer le
dialogue Nord-Sud. La Corée du Sud souhaite un dialogue Nord-Sud
avec la participation et sous la garantie des Etats-Unis et de la Chine.
Cependant, tant que les rapports nord-coréo-américains ne se seront
pas améliorés, les relations Nord-Sud ne pourront non plus en faire
autant. Aussi le dialogue Nord-Sud devrait-il se dérouler en toute
indépendance, aux termes des accords déjà conclus entre le Nord et le
Sud. Dans la conférence quadripartite, les principaux partenaires sont
la Corée du Nord et les Etats-Unis, et non la Corée du Nord et la
Corée du Sud. La modification du statut des troupes américaines
stationnées en Corée du Sud et la conclusion d’un accord de paix à
la place de l’Accord d’armistice pour la mise en place d’un
200
nouveau dispositif de paix, tels sont les problèmes pressants à
résoudre.
Certes, leur solution permettra au dialogue Nord-Sud
d’emprunter une forme incluant la participation et la garantie des
Etats-Unis et de la Chine. Mais, en procédant par ordre de priorité
inversé ou sens dessus dessous, on risque de tout gâcher, même s’il
y a toute chance de réussir. Ce que la Corée du Nord souhaite, c’est
dialoguer avec le Sud ailleurs que lors de la conférence quadripartite.
C. Kenneth Quinones, chercheur à l’Institut américain de la paix, a
affirmé: «La conférence quadripartite devrait indiquer à la Corée du
Nord les conditions nécessaires au retrait des forces américaines
stationnées en Corée du Sud et travailler à leur réalisation. Et elle
devrait aussi donner une réponse favorable à la demande nordcoréenne de démanteler le commandement des forces de l’ONU et la
commission militaire d’armistice qui n’existent que de nom comme
vestiges de la guerre de Corée, sous réserve que la Corée du Nord
prenne des mesures pour réduire sa menace militaire. Si l’on
maintient le blocus et si l’on poursuit la politique de rétorsion, une
paix durable sera impossible.»
La Corée du Nord mène la barque
La fin de la guerre froide a modifié les rapports d’alliance
entre les pays occidentaux, amenant ceux-ci à réviser leur politique
ou à opérer un revirement. Alliance à la dérive (par Huna-bashi
Yoitzi, librairie Iwanami) retrace le processus de ces changements
dramatiques: ceux qui, depuis longtemps, se tenaient
confortablement installés, comme des pachas, au sein du système de
la guerre froide ont subitement perdu leur place et se sont mis à
soupçonner chacun ses alliés, puisqu’ils n’avaient plus devant eux
aucun «ennemi» immédiat; ils ne savaient plus sur quel pied
danser.
201
Une épreuve de force s’est engagée, ayant la péninsule coréenne
pour enjeu, et chacun tâchait de sonder les autres. Ce qui est
étonnant, c’est que la Corée du Nord y jouait un rôle principal. A
preuve, elle et les Etats-Unis se sont pris d’amitié, tandis que la Corée
du Sud, en proie à un accès de jalousie, se débattait, en s’évertuant à
enjôler l’Amérique. Les rapports sud-coréo-américains se sont
dégradés rapidement, surtout sous le régime Kim Yong Sam, et le
Japon, prudent, se tenait dans l’expectative. Quelle scène comique!
De quel œil considérer la Corée du Nord et quelles relations entretenir
avec elle? voilà la question majeure déterminant la diplomatie des
pays voisins et qui se répercute sur les rapports d’alliance entre les
Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud.
Ainsi, les Etats-Unis ont commencé à reconnaître la Corée du
Nord, ce qui ne manqua pas d’entamer leur conscience d’alliés de la
Corée du Sud. En voici une preuve: «La Corée du Sud qui demande
obstinément de durcir la politique envers la Corée du Nord constitue
une pierre d’achoppement à la solution du problème de la péninsule
coréenne (Larry A. Niksch, spécialiste des affaires asiatiques
relevant du Service de recherche du Congrès américain).» L’attitude
américaine envers la Corée du Nord aussi pourrait changer pour
durcir, mais le mouvement entamé vers l’amélioration des relations
RPDC-USA ne cessera de progresser, en spirale s’il faut, sans jamais
rétrograder.
Il est à noter surtout que les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la
Russie ne souhaitent pas de changements subits en Corée du Nord,
mais désirent la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne.
Aspirant à une solution pacifique, sans heurts, ils se sont mis à
œuvrer pour assurer la paix en admettant le système nord-coréen, ce
qui était inimaginable au temps de la guerre froide. Et d’ores et déjà,
ces pays voisins, sauf le Japon, ont commencé à étudier leur stratégie
diplomatique en prévision d’une Corée réunifiée.
• Un haut fonctionnaire de l’administration américaine—«Le
jour viendra où la Corée sera réunifiée et qu’une des tâches
202
majeures de notre infanterie de marine s’achèvera (Alliance à la
dérive) .»
• Un officier du département américain de la Défense—«La
Corée peut restaurer son unité nationale dans un avenir très
proche. Le contre-amiral Michael A. McDevitt, ancien chef du
service de planification à l’état-major de l’armée du Pacifique, a
constaté que, "si la péninsule coréenne parvient à un règlement
pacifique ou recouvre son unité par la voie pacifique, la présence
militaire américaine en Asie de l’Est se détachera du chiffre
fabuleux, cent mille hommes" (Ibid).»
• Un expert en alliance américano-sud-coréenne—«La
réunification rendrait inutile l’objectif de l’alliance américano-sudcoréenne, qui est de contenir la Corée du Nord. Il faudrait redéfinir
aussi l’objectif de l’alliance nippo-américaine visant à assurer la
sécurité dans cette partie du monde, car le processus de paix avait
d’ores et déjà débuté (Asahi Shimbun, le 13 février 1998).»
De cette façon, depuis la fin de la guerre froide, la situation autour
de la péninsule coréenne a rapidement changé et des conditions
favorables à la mise en application de l’accord Nord-Sud ont été
créées. La réunification pacifique de la Corée figure d’ores et déjà à
l’ordre du jour. Tout s’oriente vers elle en provoquant dés réactions
en chaîne et en en amplifiant l’impact. La situation évolue en ce
sens à l’intérieur comme à l’extérieur, et on peut espérer assister à la
réunification de la Corée plus tôt que prévu. Ce n’est pas un rêve,
mais le corollaire naturel de la fin de la guerre froide: la situation
politique et économique du Nord et celle du Sud nous en
convainquent.
203
4. ISSUE AUX SITUATIONS ECONOMIQUES
ACTUELLES DU NORD ET DU SUD
La réalité économique en Corée du Nord
Comme tout le monde le sait, la Corée du Nord comme la
Corée du Sud traversent actuellement une des pires périodes de crise
économique.
La Corée du Nord souffre d’une pénurie chronique de vivres,
due aux calamités naturelles successives. De plus, par manque de
combustible et de devises étrangères, elle a même du mal à remonter
son économie à son ancien niveau. Selon les statistiques fournies par
la Corée du Nord à l’ONU, son produit intérieur brut est tombé à
50%, en trois ans depuis 1993.
Cependant, on ne peut évaluer cette économie socialiste sur la
mesure occidentale. Elle est encore, il est vrai, au niveau d’une
économie de pays en développement et connaît, à la suite de la
disparition du marché socialiste, de sérieuses difficultés, par
manque de devises fortes et d’énergie (pétrole et électricité) et du fait
d’un faible taux de fonctionnement de ses entreprises et de la
récession de la production. Mais elle se tient toujours ferme sur ses
pieds, à la grande surprise du monde entier, en s’efforçant de se
suffire à elle-même pour tout, notamment les vivres. Pour ce qui est
du pourcentage de l’autosuffïsance en vivres en 1986, le Japon
s’approvisionnait par lui-même à 22%, la Corée du Sud à 55%, et la
Corée du Nord à 99%. Evidemment, le chiffre de cette dernière doit
avoir sensiblement baissé à cause des calamités naturelles, auxquelles
venaient s’ajouter des difficultés d’importation. Mais, à sa place, le
Japon et la Corée du Sud auraient connu des crises beaucoup plus
dramatiques.
204
Han Ho Sok, directeur de l’Institut de la réunification (de la
Corée) à New York, a écrit dans un de ses articles: (1), les étrangers
ne peuvent guère appréhender les activités économiques de la Corée
du Nord; (2), il ne s’agit donc pas là de la valeur globale de la
production nationale, mais seulement de la valeur de la production de
biens matériels n’incluant pas le secteur tertiaire qui occupe la plus
importante place dans la société capitaliste; (3), il faut encore tenir
compte des divers bienfaits sociaux découlant de la distribution
secondaire du revenu national (approvisionnement en vivres et en
combustible, offre de logements, instruction et soins médicaux
gratuits, fourniture à prix modique d’articles de première nécessité).
Ainsi a-t-il souligné la nécessité de changer de vision et d’approche
pour évaluer l’économie socialiste de la Corée du Nord.
Le Conseil des relations extérieures, qui joue un rôle important
dans l’élaboration de la politique extérieure de l’administration
américaine, a indiqué, dans son «rapport sur la politique à l’égard de
la péninsule coréenne» publié en mai 1998, qu’«on n’a guère connu,
dans l’histoire, de pays qui ait survécu à un déficit budgétaire
chronique de huit ans, et que pourtant Pyongyang tient toujours».
Comme se faisant l’écho de cette remarque, le «rapport d’étude de
la réalité de la Corée du Nord» publié par le bureau d’aide
extérieure du département d’Etat américain a fait remarquer:
«La population nord-coréenne a vécu au long de l’histoire, en
préconisant la confiance en soi. Il ne faut donc pas sous-estimer sa
volonté et sa capacité de combattre les difficultés successives ... La
population et le gouvernement nord-coréens, confrontés à des
difficultés et à un isolement prolongés, ont fini par mettre en place un
système polyvalent pour s’y adapter et survivre. Voilà ce dont nous
devons tenir compte.»
L’économie nord-coréenne ne se prête guère à la méthode
d’analyse capitaliste.
Si elle souffre de graves difficultés, le régime politique nordcoréen, élément essentiel pour sa conduite, fonctionne avec
dynamisme, et la Corée du Nord pourra parfaitement se redresser si
205
l’Occident lève ses sanctions et ses pressions politiques,
économiques et militaires sur elle.
L’économie sud-coréenne
Dès le second semestre de 1997, les activités de l’économie sudcoréenne se sont mises à marquer le plus bas niveau de leur cycle,
suite à la faillite de nombreux trusts et groupes et au mauvais
fonctionnement des entreprises. La dette extérieure de la Corée du Sud
a atteint, dit-on, 150 milliards de dollars. Par suite d’une crise
financière sans précédent, la Corée du Sud était, vers la fin de la
même année, près d’arrêter le remboursement de la dette extérieure.
Elle a pallié tant bien que mal la crise en faisant un emprunt de 57
milliards de dollars à des organisations financières internationales,
dont le Fonds monétaire international, et au Japon, mais son économie
n’a enregistré que stagnations et récessions, et le nombre de
chômeurs n’a cessé de monter en flèche.
Frappée aussi de plein fouet par le contrecoup de la crise
monétaire et économique de l’Asie du Sud-Est, la Corée du Sud se
débattait, en butte à une crise économique profonde, due en
particulier aux défauts de sa structure économique et à
l’incompétence du «régime» Kim Yong Sam qui a échoué
complètement dans sa politique économique, telle est l’opinion
généralement partagée. Son système économique axé sur les gros
trusts est fragile. Bénéficiant des faveurs spéciales de la Banque
internationale pour la reconstruction et le développement sous son
contrôle exclusif, et malgré ses ressources faibles, son économie
s’était précipitée trop nativement vers une extension maximale et
multiforme et en est sortie totalement épuisée. A la faveur de la
collusion du politique et de l’économique, les grosses entreprises
s’étaient mises à opérer chacune à sa guise, et les banques, sous
le contrôle du «gouvernement», leur avaient prêté des capitaux sans
même s’assurer de leur solvabilité ni de la transparence des
206
opérations financières. Si les fonds manquaient, elles faisaient
appel aux banques étrangères. Par conséquent, les établissements
financiers ont récolté des tas de bons d’emprunts insolvables et
d’énormes dettes extérieures bien supérieures à leur capacité de
paiement. Prêts et emprunts s’étaient faits de façon anarchique
entre les grosses entreprises, le règlement des comptes,
approximativement, et la gestion, de manière spéculative. Le temps
est venu où l’on devait en payer le prix: l’économie sud-coréenne,
faite de mousse, a éclaté.
Cependant, ces temps derniers, elle s’est mise à se rétablir petit à
petit. Disposant de conditions favorables, elle pourrait se redresser,
espérons-le, si elle se restructurait en prenant des mesures énergiques
comme la réorganisation des trusts.
La coopération économique nécessaire entre
le Nord et le Sud
Comme on l’a vu, la crise économique qui sévit au Nord et au
Sud pousse les deux parties à se diriger, bon gré mal gré, vers
l’amélioration de leurs relations.
Premièrement, parce qu’il s’est avéré impossible, dans les
circonstances actuelles, de réaliser le rêve sud-coréen d’«absorber le
Nord pour réunifier le pays». Le «régime» Kim Yong Sam parlait à
tout bout de champ d’«effondrement imminent» du Nord et
multipliait discours et actes provocateurs tout en laissant entendre
qu’il unifierait le pays en «absorbant» le Nord et en prenant appui sur
l’économie sud-coréenne. Lors du décès du Président
Kim Il Sung, non seulement il a refusé d’exprimer ses
condoléances, mais encore il a réprimé férocement ceux qui voulaient
rendre le dernier hommage au défunt Président, en dégradant ainsi à
l’extrême les rapports Nord-Sud. On disait que le «fonds
d’unification» n’avait cessé d’augmenter pour atteindre un millier de
milliards de dollars, somme fabuleuse dépassant de loin celle
207
dépensée pour la réunification de l’Allemagne. Mais la Corée du
Sud, au bord d’une faillite financière totale, ne pouvait disposer
d’une aussi énorme somme. Et spontanément, la «thèse de
l’unification par absorption» dont la Corée du Sud parlait si
bruyamment s’est envolée en fumée.
Deuxièmement, parce que, après le décès du Président
Kim Il Sung, la Corée du Nord a fait preuve d’une stabilité politique
impressionnante alors que l’Occident et la Corée du Sud estimaient
que son écroulement n’était qu’une «question de temps». On croyait
que la chute du socialisme en Union soviétique et autres pays
d’Europe de l’Est ne tarderait pas à se répercuter sur l’Asie. Mais
rien de semblable ne s’est produit jusqu’ici, ce qui est dû aux
processus distincts d’établissement des socialismes à la soviétique et
à l’asiatique ainsi qu’aux caractères différents de leurs régimes. En
particulier, le socialisme nord-coréen s’est révélé plus ferme qu’on ne
le croyait, et la Corée du Sud a bien dû se rendre compte qu’elle ne
pouvait espérer voir le Nord «tomber» de lui-même. D’autre part,
elle a intérêt à éviter, dans sa situation actuelle, le danger
d’écroulement immédiat du régime nord-coréen, ne fût-ce que pour
se consacrer à redresser son économie. Elle ne peut que souhaiter la
détente à la place de la confrontation, la réconciliation et la
coexistence.
Troisièmement, parce que la Corée du Sud a commencé à
prendre conscience de la nécessité de la coopération économique
Nord-Sud comme moyen obligé de leur survie au sein de la
communauté internationale. Nécessité qui, soulignée depuis
longtemps, a commencé à produire des effets concrets. A présent, le
Sud constitue, pour le Nord, un partenaire commercial inestimable,
mais, étant la proie du changement de la situation politique et à cause
d’un contrôle rigoureux, il n’a pu procéder à des échanges comme
il le fallait. Quoi qu’il en soit, les crises économiques du Nord et du
Sud ne leur permettent pas de rester cramponnés aux polémiques
théoriques. Comme l’a montré le monde financier, l’économie
internationale s’est engagée dans une ère de féroce compétition
208
dominée par la loi de la jungle. C’est l’ère de la libéralisation, de
l’économie de marché. Pour remédier à leurs crises et survivre à
cette époque de violente concurrence, le Nord et le Sud doivent
opter, bon gré mal gré, pour la coopération en constituant une
communauté vouée à partager un même sort. Soit dit en passant, la
population sud-coréenne a qualifié de «second opprobre national»,
de «tutelle économique», de «spoliation du pouvoir économique» le
prêt accordé par le Fonds monétaire international à condition que la
Corée du Sud l’utilise sous sa supervision, et elle s’y est fermement
opposée. L’accroissement rapide du nombre de chômeurs,
l’alourdissement des impôts, la hausse des prix ont éveillé chez elle
un esprit «chauviniste» préconisant la primauté de la nation et
l’unité de la forme et du fond. Les Sud-Coréens éprouvent
actuellement envers les Etats-Unis un sentiment complexe, mêlé de
«reconnaissance et d’animosité». «Reconnaissance» d’avoir tendu à
la Corée du Sud une main secourâble, bien que trop faible, pour le
rôle de «mur anticommuniste» qu’elle jouait, et «animosité» car on
constatait trop de conciliation envers le Nord au mépris de l’alliance
sud-coréo-américaine» et qu’on trouvait dures les conditions posées
par le Fonds monétaire international pour l’ouverture de son marché.
D’ailleurs, l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger a
critiqué la politique du Fonds monétaire international, parce qu’«elle
risque de susciter une flambée de nationalisme dans les pays au taux
de chômage élevé (pays asiatiques), en leur serrant trop la vis».
Ambiance politique favorable à la reprise du
dialogue Nord-Sud
Malgré la tension dans la péninsule coréenne et la complexité du
climat politique régnant au Nord et au Sud, des conditions favorables
à la reprise du dialogue ont commencé à se réunir. Premièrement, en
Corée du Nord, les trois années de deuil après le décès du Président
Kim Il Sung ont pris fin, Kim Jong Il a été élu Secrétaire général du
209
Parti du Travail de Corée, puis réélu, en 1998, Président du Comité
de la défense nationale. Il a déclaré sa volonté de continuer la
politique du défunt Président Kim Il Sung, même en matière de
réunification. Le Nord a défini la Déclaration conjointe du 4 Juillet, le
Projet de création d’une République fédérale démocratique du Koryo
et le Programme en dix points pour la grande union de toute la nation
en faveur de la réunification de la patrie comme Triple charte de la
réunification et œuvre pour réunifier le pays selon le principe de la
souveraineté nationale.
Deuxièmement, un nouveau «régime» s’est instauré en Corée du
Sud. L’actuel chef de l’exécutif sud-coréen a formulé, dans son
discours d’investiture, trois principes, à savoir «s’abstenir de toute
attaque armée, renoncer à l’idée d’"unification par absorption" et
promouvoir réconciliation et coopération, là où c’est possible pour
commencer». Il s’est aussi déclaré prêt à échanger des envoyés
spéciaux, en vue de la mise en application de l’accord Nord-Sud et à
appuyer le sommet Nord-Sud si le Nord le souhaite aussi. La
renonciation à 1’«unification par absorption» représente un grand
changement par rapport à la «politique d’unification» des «régimes»
militaires successifs et du «régime civil» Kim Yong Sam: le Sud
admet pour la première fois la coexistence avec le Nord. L’intérêt
porté à l’accord Nord-Sud et l’engagement fait pour son application
aussi diffèrent de ceux du «régime» Kim Yong Sam.
Sur «cent tâches» exposées par la commission de passation du
«pouvoir», à la veille de sa prise de fonction, le nouveau chef de
l’exécutif a confirmé sept, à savoir préparation des bases de
l’amélioration des relations Nord-Sud par l’application de l’accord
Nord-Sud, promotion de la coopération économique selon le principe
de la séparation du politique d’avec l’économique, organisation de
rencontres entre membres de famille séparés, élaboration d’une
politique populaire de réunification. Dans «séparation du politique
d’avec l’économique», il est dit de promouvoir échanges et
coopération dans les domaines économique et humanitaire même si
le dialogue politique n’est pas repris, et, pour le tourisme, d’exploiter
210
conjointement les monts Kumgang et autres sites comme «zones
touristiques libres»; et pour ce qui est de l’assistance humanitaire,
de fournir, outre l’aide alimentaire qui se fait par l’intermédiaire de
la Croix-Rouge, diverses assistances comme l’amélioration des
variétés, le matériel agricole, l’agrotechnique, etc. Cette expression
du désir sans précédent d’améliorer concrètement les relations NordSud dans divers domaines mérite d’être retenue.
Troisièmement, le Nord se montre favorable à la reprise du
dialogue Nord-Sud.
Le 6 avril 1998, Kim Yong Sun, secrétaire du Parti du Travail de
Corée, a dit: «L’accord Nord-Sud doit être appliqué au plus tôt. Cela
réclame une ouverture rapide du dialogue Nord-Sud.» Le 12
décembre de la même année, s’adressant à une délégation de
parlementaires européens en visite en Corée du Nord, Kim Yong
Nam, président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême de
la RPDC, a déclaré: «Nous souhaitons ouvrir un nouveau dialogue
politique avec le Sud. Le retrait des troupes américaines de Corée du
Sud est un problème d’importance majeure, mais non le préalable à
l’ouverture du dialogue.» Propos riches de sens. Par ailleurs, on
remarque que la Corée du Nord, tout en critiquant la Corée du Sud,
s’abstient soigneusement d’attaquer nommément le chef de
l’exécutif sud-coréen, chose digne d’être retenue. En retour, dès
1999, le «gouvernement» sud-coréen a admis l’amélioration des
relations nord-coréo-américaines antérieurement à celle des
relations Nord-Sud, ce qui marque un grand changement par rapport
à sa politique ancienne préconisant une amélioration «simultanée et
parallèle», et cela favorisera le progrès du dialogue.
Quatrièmement, les pays voisins saluent et soutiennent les
démarches entreprises en faveur de l’amélioration des relations
Nord-Sud et coordonnent leurs intérêts pour la première fois. «Les
Etats-Unis et la Chine s’accordent à ne pas souhaiter conflit et
confusion dans la péninsule coréenne (Le département américain de
la Défense).» Le Japon ne semble pas encore avoir fixé sa stratégie
fondamentale envers la péninsule coréenne, mais il tend à
211
s’intégrer au courant pacifique. Or, pour le gouvernement
japonais, la réparation de son passé envers la Corée du Nord et la
normalisation de ses relations avec elle restent une épine dans le pied.
Quant à la Russie, elle ne guette que le moment propice pour
assumer un rôle dans le processus de paix de la péninsule coréenne.
Ainsi, tous les pays voisins et intéressés s’accordent, malgré la
différence de leurs visions, à souhaiter l’application de l’accord
Nord-Sud et la réunification du Nord et du Sud.
Le projet de «déclaration des six pays pour la paix et la sécurité
en Asie du Nord-Est» préparé par le chef de l’exécutif sud-coréen ne
pourra se réaliser de si tôt, mais le temps ne tardera pas à venir où
l’Asie du Nord-Est saluera l’ère de la promotion de la sécurité entre
pays différents. Dans cette perspective, la réconciliation et la
coexistence entre le Nord et le Sud s’imposent.
Démarches effectives pour des échanges entre
le Nord et le Sud
Les changements survenus dans les attitudes du Nord et du Sud
ont commencé à se traduire dans les paroles et les actes concrets.
Examinons la chronologie de 1998.
• Le 15 février—La Corée du Nord a déclaré qu’elle accepterait,
à partir du premier mars, les requêtes des Sud-Coréens et des
compatriotes d’outre-mer pour s’enquérir de l’adresse de leurs
parents et proches résidant au Nord.
• Le 20 février— Pak Yong Su, vice-président du Comité pour la
réunification pacifique de la patrie de la RPDC, a exprimé, lors d’une
«conférence pour la réunification des hommes de science du Nord, du
Sud et d’outre-mer» tenue à Beijing, ses espoirs sur le nouveau
«régime» sud-coréen. Il a dit que «ce changement de "régime"
méritait d’être apprécié, car il offrait à la nation une occasion
propice pour ouvrir une voie vers la souveraineté, la réconciliation et
la détente en faisant table rase du passé et qu’on pouvait dire que la
212
chance n’avait toujours pas souri à notre nation». C’est là un signal
évident pour la reprise du dialogue. Paek Yong Chol, président du
forum sud-coréen au sujet de la réunification, a dit, à son tour, que
«le Sud et le Nord devraient faire de leur crise économique actuelle
l’occasion de promouvoir la coexistence et la coopération
nationales».
• Les partis et autres organisations du Nord, réunis le 18 février
à Pyongyang en une conférence conjointe, une semaine avant le
changement de «régime» en Corée du Sud, ont exprimé leur
souhait de dialogue avec leurs homologues du Sud pour ouvrir la
voie vers la réunification et ont adopté une lettre adressée au
président de 1’«assemblée nationale pour une nouvelle politique».
• Le 27 mars—Le cinquième tour des négociations entre les
sociétés de la Croix-Rouge du Nord et du Sud, tenu à Beijing, est
convenu que le Sud fournirait au Nord, jusqu’en mai, du blé, de
l’huile de table et du sel équivalant, par leur valeur, à 50 000
tonnes de maïs, sous réserve que la Ligue des sociétés de la CroixRouge supervise leur distribution.
• Le même jour, les autorités sud-coréennes ont déclaré
qu’elles atténueraient sensiblement le contrôle sur les
investissements des entreprises sud-coréennes au Nord, en
simplifieraient la procédure et «respecteraient la liberté de décision
des industriels selon le principe de la séparation du politique d’avec
l’économique».
• En avril, le «Conseil pour l’unification» de Corée du Sud a
entériné le projet de création d’une ferme de coexploitation de 1
500 ha dans une ferme coopérative de la zone économique et
commerciale Rajin-Sonbong, pour la production de céréales et
l’élevage de porcs. C’est le premier pas de la coopération Nord-Sud
dans le domaine agricole. 8 millions de dollars seront placés en vingt
ans dans cette coexploitation. Le «Conseil pour l’unifïcation» a
également autorisé la Fondation du bien-être de la nation coréenne à
construire une fabrique de produits pharmaceutiques à Rajin et à y
ouvrir un hôpital.
213
• Le 6 avril—Kim Yong Sun, secrétaire du Parti du Travail de
Corée, a déclaré: «Le Sud propose la coopération et des échanges
selon le principe de la séparation du politique d’avec
l’économique. Si c’est réellement avec le désir de la
réunification du pays, nous y répondrons par l’affirmative en faisant
preuve de largeur d’esprit, quelle que soit la forme qu’ils puissent
emprunter.»
• Le 11 avril—A Beijing, s’est tenu le dialogue au niveau des
vice-ministres après 3 ans et 9 mois de rupture, pour être suspendu de
nouveau à cause des divergences de vues au sujet de la livraison
d’engrais et de la rencontre de membres de famille séparés.
«Rupture» différente de nature de celle de l’époque du «régime»
Kim Yong Sam. Le représentant du Sud a fait remarquer: «Le Nord
et le Sud ont reconnu la nécessité de poursuivre le dialogue. Le
dialogue n’est pas rompu, mais il a été suspendu pour un moment
comme une mi-temps dans un match.» Il ne faut donc pas se réjouir
ou se désoler trop de l’actuel état de choses. On doit regarder loin
dans la perspective du dialogue qui, bien que lentement, ne cesse
de progresser comme sur un escalier en spirale. Et voici ce qu’a
indiqué un bulletin d’informations: les délégués du Nord et du
Sud, qui ont polémiqué âprement à longueur de journée, se
réunissaient le soir pour boire à une même table et mêler leurs
voix en chantant des chansons nationales, bras dessus bras dessous.
N’est-ce pas là une preuve éloquente du bien-fondé de notre
optimisme? (Le «Conseil pour l’unification» a déclaré au début de
1999 que le Sud «ferait preuve de souplesse en dialoguant avec le
Nord, renoncerait au principe de la "réciprocité" qui demandait au
Nord de fournir les garanties du remboursement à court terme et
admettrait la "non-simultanéité", la "non-équivalence", et qu’il
examinait actuellement l’inclusion d’engrais dans la liste des
articles d’assistance humanitaire à offrir sans conditions au Nord».)
• Le 13 avril—Le «gouvernement» et le parti au pouvoir en
Corée du Sud ont décidé, lors d’une séance de réajustement de la
politique, (1), «de multiplier les visites au Nord des hommes
214
d’affaires, y compris des patrons des groupes et conglomérats
(magnats de l’industrie et de la finance); (2), d’autoriser le transfert
et le don à bail au Nord des équipements industriels disponibles; (3),
de lever la limitation d’un million de dollars imposée à chaque
investissement; (4), de modifier l’actuel règlement limitant les
investissements à certains secteurs déterminés pour ne les interdire
que dans quelques secteurs déterminés» (Yonhap News Agency).
• Le 25 avril— Une ligne aérienne internationale passant par
l’espace aérien de la Corée du Nord et celui de la Corée du Sud a été
ouverte. Pour la première fois, un avion de ligne régulière de Korea
Air Lines Co., Ltd. a survolé la Corée du Nord.
• Le 2 mai—La troupe artistique «Little Angels» de Corée du
Sud a visité la Corée du Nord pour y donner des spectacles.
• Le 8 juin—Les organisations sociales de Corée du Nord ont
constitué un «conseil de réconciliation nationale».
• Le même jour, Jang Yong Sik, directeur de Korea Electric
Power Corporation, s’est déclaré prêt à fournir l’excédent d’énergie
électrique au Nord en ajoutant qu’«on avait d’ores et déjà
entrepris les travaux pour relier le câble de transport du courant,
coupé depuis mai 1948».
• Le 13 juin—La Corée du Sud a publié des mesures
d’adoucissement de règlements supposant l’abolition du système
d’autorisation des exportations de moyens de production et
l’admission de l’importation de livres et d’autres articles de Corée
du Nord sous des conditions déterminées.
• Le 16 juin—Le directeur honoraire Jong Ju Yong de Hyundai
Business Group a visité la Corée du Nord en apportant avec lui
cinq cents vaches et conclu un accord sur le développement du
tourisme dans les monts Kumgang et la construction d’une usine par
Hyundai Motor Company.
• Le 18 juin—La Corée du Sud a approuvé comme une mesure
de coopération Nord-Sud le projet de la Fondation internationale de
la production de maïs, qui prévoyait la culture expérimentale d’une
variété de maïs à haut rendement dans le Nord.
215
• Le 8 juillet—La Corée du Nord a commencé l’émission
radiophonique «Lettre» donnant des nouvelles des familles habitant
au Nord à leurs membres résidant en Corée du Sud.
• Le 15 août—Le chef de l’exécutif sud-coréen a proposé de
faire fonctionner la comission conjointe Nord-Sud et de créer un
dialogue permanent Nord-Sud au niveau des ministres ou des
vice-ministres.
• Le 18 août—Le «Conseil pour l’unification» a publié sa
décision de simplifier les formalités à remplir pour visiter le Nord,
pour les personnes âgées de 60 ans et plus, originaires du Nord, et
d’appliquer, à partir du premier septembre, un système de requête à
la place de l’ancien système d’autorisation.
• Le 30 octobre—Le Secrétaire général Kim Jong Il a reçu en
audience Jong Ju Yong, président honoraire de Hyundai Business
Group en visite au Nord.
• Le 3 novembre—Des musiciens de la Fondation de la culture
pour l’unification Hangyore, organisation non gouvernementale
sud-coréenne, a visité le Nord et donné des concerts conjointement
avec leurs homologues nord-coréens.
• Le 10 novembre—Samsung Group a décidé de promouvoir la
coopération avec le Nord dans le domaine économique et publié son
projet de créer au Nord une vaste «zone complexe électronique».
• Le 18 novembre—Le premier voyage touristique de SudCoréens aux monts Kumgang a eu lieu.
• Le 15 décembre—Jong Ju Yong, président honoraire de
Hyundai Business Group, venu en visite au Nord, est convenu avec
le Nord de créer une vaste zone industrielle sur la côte ouest de la
Corée du Nord.
• Le 30 décembre—Hyundai Business Group a annoncé que le
nombre des touristes sud-coréens aux monts Kumgang avait dépassé
dix mille.
Ainsi, rien qu’à examiner les dates importantes, on comprend
que les visites et les échanges entre le Nord et le Sud se sont
multipliés. Selon le rapport présenté par le «centre d’éducation pour
216
l’unification» relevant du «Conseil pour l’unification» de Corée du
Sud, le nombre des visiteurs au Nord a atteint 3 231 en 1998, à
l’exclusion des touristes aux monts Kumgang, alors que, pendant 9
ans (de 1989 à 1997), il n’était que 2 408. Ce nombre ne fera que
s’accroître.
5. LA REUNIFICATION PAR FEDERATION
ASSURERA LA COEXISTENCE ET
LA COPROSPERITE
Les contacts et les dialogues qui se multiplient entre le Nord et le
Sud ne peuvent qu’entraîner le dégel. Mais tout ne marche pas
comme sur des roulettes. La méfiance, durcie au cours d’un demisiècle d’opposition et de haine, ne peut disparaître du jour au
lendemain. De plus, la vision du Nord et celle du Sud en matière de
dialogue et de réunification diffèrent sensiblement l’une de l’autre.
Premièrement, pour ce qui est de la coopération dans le domaine
économique, les différences de système économique et de mode de
gestion y font obstacle, en refroidissant le zèle d’investissement des
entreprises sud-coréennes. D’autre part, on craint que, si celles-ci
investissent au Nord, le nombre des chômeurs ne s’accroisse
dramatiquement au Sud et que l’économie sud-coréenne n’en pâtisse
sérieusement, vidée de sa substance. Pourtant, malgré d’éventuelles
régressions à certains moments, tout porte à croire qu’on ne
manquera pas de trouver la voie menant à une relance de l’économie
sud-coréenne et à la coprospérité Nord-Sud. Il est probable que la
coopération Nord-Sud sera une injection de vitamines pour
l’économie sud-coréenne malade. D’autre part, la Corée du Nord
pourrait introduire la technologie et le capital du Sud, sans trop en
craindre les conséquences, du moment qu’ils viennent de l’autre
partie du pays. Ce sera un fortifiant pour son économie affaiblie.
217
Si le Nord fournit au Sud à prix modique et de manière régulière
ses abondantes richesses du sous-sol, le Sud pourra en tirer
d’énormes profits. Les produits sud-coréens, transportés en Chine, en
Russie et en Asie du Sud-Est, par voie terrestre, c’est-à-dire par le
territoire intérieur du Nord ou par la zone Rajin-Sonbong, pourraient
revenir moins cher. Le Nord et le Sud pourraient lancer en
coopération d’autres programmes encore. S’ils coexistent, puis
s’unifient, ils formeront un pays comptant 1970 millions d’habitants,
qui, par son potentiel économique, s’imposera en Asie du Nord-Est.
Deuxièmement, la vision du Nord et celle du Sud en matière de
réunification diffèrent foncièrement. En 1993, Kim Yong Sam a
proposé sa «thèse de l’unification en trois étapes»: «la réconciliation
et la coopération, la communauté Sud-Nord et leur reconstitution en
une nation et en un Etat». L’actuel chef de l’exécutif sud-coréen,
quant à lui, a préconisé dès les années 1970 1’«unification en trois
étapes», supposant, (1), la coexistence et les échanges, (2), la
confédération et, (3), l’unification. A première vue, leurs idées
semblent identiques, mais elles accusent une différence substantielle:
le premier préconisait la communauté, tandis que le second, la
confédération. Or, il est à noter que celui-ci a fait par la suite un pas en
arrière en déclarant, en 1999, qu’«il ne rejetterait pas la fédération».
Certains l’expliquent par l’influence de l’idée répandue dans les
milieux politiques d’opposition du Sud selon laquelle le Nord serait
un «sinistré à secourir», et «non un partenaire avec lequel on peut
collaborer sur un pied d’égalité», idée venant du profond sentiment
de frustration et de déception causé par l’écroulement du socialisme
en Union soviétique et en Europe de l’Est. C’est-à-dire qu’on peut
admettre la communauté de «deux Corées», et non la fédération
supposant une seule Corée.
D’autre part, le Nord identifie la fédération à la réunification,
tendis que le Sud considère la communauté et la confédération
comme une étape vers celle-ci. C’est là que réside le fond de la
divergence. Or, on peut dire, en anticipant la conclusion, que, si l’on
considère pas la fédération comme une réunification, on ne pourra
218
jamais la réaliser. Préconiser une réunification totale et parfaite, y
compris celle des régimes, revient à la saboter dans les circonstances
actuelles. L’Etat fédéral devra mettre longtemps à réaliser la fusion
intérieure, et le soin d’y parvenir appartient aux générations à venir.
Quel statut faudra-t-il donner aux gouvernements autonomes
régionaux? Qui devra exercer le droit diplomatique et le
commandement des forces armées? Ce sont deux problèmes
majeurs, posés pour définir le caractère de l’Etat unifié, et leurs
solutions dépendent de la vision et de la notion que l’on a de la
réunification.
Par ailleurs, on peut s’inquiéter de savoir quelle somme devrait
verser le Sud comme «fonds d’unification» dans le cas de la
fédération. Mais, comme il s’agit d’une fédération de type coréen,
différent de celui d’Allemagne basé sur la réunification complète de
l’Est et de l’Ouest du pays, le Sud n’aurait pas, ou presque, à
verser comme «fonds d’unification», tant qu’on ne cherchera pas à
unifier les monnaies. Il faudra en toute priorité redresser les
économies du Nord et du Sud grâce à une coopération efficace.
Même après que le pays aura été réunifié sous forme fédérale, on
devra poursuivre la coopération, pour aider le Nord à développer
son économie. La fusion des économies des deux parties devra se
faire après l’unification des territoires et des appareils d’Etat, et
selon la volonté des populations. Le chef de l’exécutif sud-coréen a
déclaré à maintes reprises qu’il «ne souhaitait pas une réunification
immédiate» et voulait «qu’on procède d’abord à des échanges et à la
coopération et puis aille progressivement vers l’unification». Mais,
s’il le voulait pour remédier à la crise économique du Sud, il devrait
mettre le cap en sens inverse. S’il pensait vraiment que, «si le Nord
tombait, le Sud tomberait lui aussi, et s’il en dégageait, pour les
deux, la nécessité de la coexistence» (un homme du proche entourage
du chef de l’exécutif), il devrait étudier le projet de fédération du Nord
et collaborer à en élaborer une forme acceptable aux deux parties et ne
pouvant porter préjudice à aucune d’elles.
219
«L’unification sera difficile aussi longtemps que le Nord ne
reconnaîtra pas la démocratie libérale du Sud, que le communisme
ne cédera pas la place et que l’économie de marché ne sera pas
établie au Nord. On n’a donc qu’à attendre. L’important pour le
moment est de savoir comment gérer la division, avant l’unification
(Ri Tong Bok, membre de la commission de passation du
“pouvoir”).» Si le Sud s’en tient à cette position, les relations NordSud ne pourront connaître aucune amélioration. Le temps est au
travail, et non à 1’«attente». Il faut travailler activement à mettre fin
à la division, à établir une paix durable, au lieu de s’attacher à «gérer
la division». Il faut s’employer à réaliser le fédéralisme qui garantit la
coexistence et la coprospérité.
Le geste du chef de l’exécutif sud-coréen qui a nommé Kang In
Dok, réputé extrémiste conservateur, président du «Conseil pour
l’unification» n’a pas tardé à produire un contrecoup lors des
pourparlers Nord-Sud au niveau de vice-ministres. La méfiance et la
rebuffade du Nord s’expliquent par son mécontentement de voir un tel
homme se présenter comme son interlocuteur. Si le Nord réclame le
démantèlement de l’«Agence de la planification de la sécurité
nationale» et l’abolition de la «loi sur la sécurité nationale», laquelle
définit le Nord comme «ennemi», ce serait plutôt pour voir ce que
veut réellement faire le chef de l’exécutif sud-coréen en participant
au dialogue. On ne peut, c’est évident, coprospérer ou coexister en
paix si une partie considère l’autre partie comme ennemie. Le
caractère que prendront les partis alliés au pouvoir, le traitement qu’ils
réserveront à Kim Jong Phil, le remaniement constitutionnel pour la
transformation du régime présidentiel en régime ministériel auront
aussi leurs retombées sur la reprise du dialogue.
Le chef de l’exécutif sud-coréen a fait observer: «Si les
troupes américaines évacuent la Corée du Sud et le Japon, la sécurité
et l’équilibre des forces actuels s’évanouiront en un instant. La
présence militaire américaine en Corée du Sud est indispensable la
sécurité et la paix en Asie du Nord-Est.» Or, si les relations entre
la Corée du Nord et les Etats-Unis s’améliorent, si un accord de
220
paix intervient entre eux, cette présence n’aura plus aucun sens. Si
pourtant les troupes américaines devaient continuer de stationner
dans la péninsule coréenne pour un temps, ce serait sous le nom de
«forces de maintien de la paix». Les Etats-Unis aussi l’ont reconnu
pour l’essentiel. Autrement dit, si l’on insiste pour que les troupes
américaines conservent leur statut actuel, le dialogue et l’effort de
réunification ne pourront aboutir. Le chef de l’exécutif sud-coréen
devrait aborder le problème de la réunification, décidé à modifier
l’état de choses actuel et à accorder la primauté à l’indépendance
nationale, au lieu de chercher à maintenir le statu quo, et devrait en
discuter avec le Nord à cœur ouvert.
Comme nous l’avons vu, il y a des difficultés, des problèmes
épineux et des facteurs négatifs, mais la situation à l’intérieur
comme à l’extérieur du pays évolue en faveur de la réunification. Si
l’on laisse échapper l’occasion, on ne pourra jamais réaliser la
réunification. C’est la dernière chance offerte au Nord et au Sud, et
le monde entier suit attentivement leur conduite, désireux de voir la
Corée se réunifier au début du XXIe siècle.
Ce serait une honte pour la nation coréenne que de laisser
perdurer sa division. La Corée doit et peut recouvrer son unité. Elle
en possède toutes les forces et les capacités nécessaires. Le vœu
ardent de réunification, la ferme résolution de ne pas laisser
échapper cette dernière chance, la foi et la vive intelligence des
Coréens sont là pour y réussir. La réunification de la Corée est une
nécessité historique brûlante, et non une illusion ou un miracle.
*
*
*
Lors du scandale qui fut fait à propos du «soupçon de casinos» en
1989, les pires insultes et violences ont été perpétrées contre les élèves
des écoles coréennes au Japon. Les élèves coréennes portent comme
uniforme scolaire les traditionnels costumes des Coréennes, ce qui les
distingue au premier regard de leurs condisciples. Et bon nombre
221
d’entre elles ont fait l’objet, pour cette seule raison, d’insultes et de
violences des plus infamantes. Des inconnus se jetèrent sur elles
pour lacérer leurs vêtements à coups de couteau. On a parlé de
1’«incident des traditionnels costumes des Coréennes». Non
seulement les Coréens résidant au Japon, mais aussi des Japonais
élevèrent la voix pour condamner cette provocation indigne. On a cru,
ensuite, à une accalmie.
Dix ans se sont écoulés depuis, mais les violences n’ont cessé de
s’abattre sur les Coréens. Les plus importantes remontent aux
époques du «soupçon de développement nucléaire» de 1994 et du
«scandale du missile balistique» de 1998. «Nous avons versé du
cyanure de potassium dans le château d’eau de votre école», disaiton dans un message de chantage téléphonique parmi d’autres du
même genre téléphoniques ou écrits. Serait-ce le fantôme des
attentats au poison qui sévissaient alors au Japon? Des élèves
coréennes ont été attaquées en pleine rue, et les attaquants les ont
blessées aux mains à coups de couteau. Des bouteilles incendiaires ont
été jetées dans les édifices du comité central de l’Association
générale des Coréens résidant au Japon (organisation de Coréens
favorable à la RPDC) et de son comité de la préfecture de
Kanagawa. C’est dans ce contexte que la salle de réunion du siège
du comité de la préfecture de Chiba de cette organisation a été
incendiée et que Ra Hun (42 ans) qui était alors de service de nuit est
mort brûlé: son corps carbonisé était devenu inidentifïable. Il a été
établi par la suite que l’homme avait été frappé à la nuque par une
arme grossière et étranglé, son visage et son abdomen étant
frappés à une quinzaine d’endroits de coups de couteau. La
cruauté de cet assassinat et le tempérament paisible de la victime
font penser à un forfait prémédité, dépassant de loin le banditisme ou
le fait d’un incendiaire. On n’a pas encore mis la main sur le
criminel. Mais, que le crime soit lié ou non au «scandale du missile
balistique», l’horrible forfait a profondément traumatisé les
Coréens vivant au Japon.
222
Cependant, les médias japonais ont gardé un silence complet làdessus, et la société japonaise n’a pas voulu l’accuser véhémentement.
Qu’un missile balistique nord-coréen ait survolé l’archipel
nippon, pourquoi les Coréens résidant au Japon devraient-ils faire
l’objet de persécutions?
Les violences n’ont cessé même après que la Corée du Nord
avait déclaré avoir lancé un satellite artificiel. Le sentiment
d’hostilité envers la Corée du Nord et les Coréens est-il ancré si
profondément dans la conscience des Japonais?
Le 17 décembre 1998, un individu, appartenant à une
organisation de droite, a frappé Hirayama, maire de la préfecture de
Niigata, à la joue avec un poinçon en criant: «Pourquoi diable as-tu
permis de revenir au Mangyongbongho (paquebot mixte de la
RPDC circulant entre la Corée du Nord et le Japon)?» Acte qui
rappelle bien le dicton: «Celui qui déteste le moine prend en grippe
sa soutane.» Faut-il croire que les Japonais refusent de faire la paix
avec la Corée du Nord? Quelle attitude anachronique!
L’inimitié ancrée depuis longtemps dans la conscience nippone
par diverses suppositions plus ou moins gratuites s’est manifestée de
façon plus virulente encore avec le «soupçon de kidnapping d’une
Japonaise» et le «scandale du missile balistique». Bien que les auteurs
des violences soient tous des individus liés à des organisations de
droite ou des sympathisants de la droite, on est en droit de penser que
l’antipathie envers la Corée du Nord affecte sérieusement la société
japonaise.
La confrontation et la guerre n’apportent rien de bon. Il n’en
résulte que haine et tragédie. La guerre éclate, dans la plupart des
cas, à cause des mésententes. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé
depuis la fin de la guerre, et les rapports entre la Corée du Nord et le
Japon, entre les Japonais et des Coréens du Japon resteront-ils ce
qu’ils étaient jadis, des rapports d’attaquant à attaqué, d’opprimant à
opprimé et de méprisant à méprisé? Mais non. Grâce aux efforts
consentis par les deux pays, d’importants changements sont
intervenus. Lors du grand tremblement de terre de Kanto, un nombre
223
incalculable de Coréens ont été massacrés par les Japonais, mais,
quelque 70 ans plus tard, quand un séisme violent a ravagé HanshinAwaji, au lieu de pareille hécatombe, on a vu les deux pays coopérer
à secourir les sinistrés.
Pourtant, on ne peut s’empêcher d’avoir l’impression qu’une
force invisible tend toujours à faire obstacle à l’amélioration des
relations entre les deux pays. C’est donc désireux de mettre au jour
cet écueil déplorable que j’ai décidé d’écrire ce livre. En fait, je ne
peux que frémir d’indignation quand je pense à cette force (le
pouvoir ou l’appareil d’Etat) qui tient si obstinément à dresser les
Japonais contre les Nord-Coréens.
Alors que j’écrivais ce livre, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne
ont effectué des raids aériens sur l’Irak. Actuellement, l’Occident
considère la Corée du Nord et l’Irak comme les plus graves
«menaces» et comme des «ennemis» irrémédiables. A-t-il raison?
Dennis Halliday, qui s’est occupé, en tant que coordinateur de
l’ONU, de l’aide humanitaire en Irak, a donné sa démission en
octobre 1998, en guise de protestation contre la sanction économique
que l’ONU s’obstinait à appliquer sur l’Irak. Il a dit: «La
communauté internationale se complaît à massacrer les Irakiens.
Avant la guerre du Golfe, M. Hussein a fait beaucoup investir pour
consolider les infrastructures de la société irakienne, les installations
d’hygiène publique de l’Irak faisaient partie des meilleures du
Moyen-Orient. Les communications et les transports étaient très
bien organisés, les meilleurs des étudiants étaient envoyés à
l’étranger poursuivre leurs études.» Je ne veux nullement prendre la
défense du président Hussein qui a envahi le Koweït, mais, pour juger
de l’Irak, nous devons prendre en compte également le fait que les
Etats-Unis l’ont incité à l’attaque et que les photos d’oiseaux
couverts de pétrole sont truquées.
Les médias japonais ne restèrent pas indifférents aux raids
aériens américano-britanniques sur l’Irak. Ils les commentèrent sans
parti pris et critiquèrent les Etats-Unis. Cependant, quand il s’agit de
la Corée du Nord, pays voisin, non seulement les autorités, mais
224
aussi les médias et le public japonais refusent de faire montre de
l’impartialité dont ils sont pourtant parfois capables. Dès que l’on
entend parler de la Corée du Nord, on fait la grimace. Depuis quand
est-on devenu ainsi? Pourquoi les Japonais se refusent-ils à réfléchir
au secret de la survie des Nord-Coréens? Ceux-ci en butte à la
pénurie de vivres et à d’autres difficultés économiques multiples
tiennent bon cependant et chérissent leur régime socialiste. Pourquoi
les Japonais se plaisent-ils, pleins de suffisance, à se moquer? Est-ce
peut-être parce qu’ils ont vu sur le petit écran le mur de Berlin se
démolir? Ou que le socialisme s’est effondré en Union soviétique et
en Europe de l’Est?
Mais la fin de la guerre froide ne signifie pas le triomphe du
capitalisme. Elle marque seulement l’avènement de l’ère de la
coexistence de différents idéaux et notions de valeur, dont le
socialisme. Aussi devrait-on s’efforcer de se connaître, de se
comprendre et de se concilier au lieu de se laisser aller à des
sentiments superficiels générés par l’idée fausse qu’on a l’un de
l’autre.
Il se peut que les Japonais soient mécontents de ce que la
Corée du Nord ne fournisse pas d’informations sur elle à l’Occident
et qu’ils aient du mal à la comprendre. Ils ne devraient pas pour
autant se joindre aux campagnes de désinformation et au scandale
provoqué par le «soupçon» sur la Corée, soupçon gratuit et plein de
contradictions. Or, bien des Japonais font le jeu des combines
malhonnêtes et des campagnes de désinformation grossières
d’individus de mauvaise foi.
L’homme recueille les informations, les vérifie et pèse le pour et
le contre avant d’entreprendre une action. De fausses informations
peuvent conduire même à des meurtres. On devrait les analyser pour
s’assurer de leur exactitude, surtout quand elles paraissent trop belles
ou équivoques ou unilatérales. D’autant plus que la société
contemporaine est surinformée et que les rapports humains, les
échanges commerciaux, les relations politiques et diplomatiques font
souvent le jeu de la propagande, de la campagne de désinformation.
225
En effet, la péninsule coréenne fait l’objet d’une campagne
fiévreuse de désinformation. Il ne faut pas oublier que la Corée est
en état de guerre. C’est dans ce contexte que se produisent diverses
sortes d’incidents et d’affaires réprouvant la plupart du temps la
Corée du Nord, lesquels sont cependant d’une véracité douteuse.
Vers la fin de 1998, dans les milieux de la presse, le bruit a
couru selon lequel le chef de l’exécutif sud-coréen aurait dit que
l’explosion d’une bombe dans un avion sud-coréen semblait être
l’œuvre de 1’«Agence de la planification de la sécurité nationale». En
effet, dans son numéro de novembre 1998, Mall, revue mensuelle
sud-coréenne, a réclamé, dans un article intitulé «Mystère non
éclairci, l’explosion dans le KAL 858», qu’on réexamine l’affaire en
ouvrant une nouvelle enquête, car elle contenait de nombreux points
obscurs et contradictoires. C’est une affaire depuis longtemps
classée, et pourquoi vient-on à en reparler 10 ans après? Voici la
réponse: la «thèse du crime» de la Corée du Nord, thèse estimée
indubitable dans l’Occident, contient bien des points contradictoires,
et aucun vestige de l’avion ni aucun corps de victime n’ont été
découverts; c’est donc une affaire non résolue.
On ne peut savoir si vraiment le chef de l’exécutif sud-coréen
révélerait la vérité. De toute façon, si l’on établissait que c’était
l’œuvre de l’Agence de la planification de la sécurité nationale
(l’ancien KCIA, actuellement centre de renseignements d’Etat), on
serait obligé de reconnaître que la plupart des soupçons sur la Corée
du Nord étaient de pure invention.
Et une part importante de la responsabilité en retombe sur les
médias japonais qui ont répété comme des perroquets tout ce que disait
l’Agence de la planification de la sécurité nationale, et sur le gouvernement japonais qui a rompu le dialogue nord-coréo-japonais pour la
normalisation des relations, en invoquant le «soupçon de kidnapping
d’une Japonaise». A quoi conduira ce comportement inintelligent?
La diplomatie ne se fait pas sur des sentiments. La diplomatie
contemporaine a pour mission majeure de réaliser la coopération, la
coexistence et la coprospérité. Ses succès réels, ce sont les résultats
226
obtenus par voie de négociations. Cependant, très souvent on assiste à
des luttes politiques violentes dans le monde diplomatique. Mais c’est
toujours celui qui n’a pas su contrôler ses sentiments qui perd la
partie. Si la situation empire à l’extrême et dégénère en conflit armé,
c’est l’échec total de la diplomatie.
Lors d’une réunion conjointe de la commission des affaires
extérieures et de celle de la défense nationale du Parti libéraldémocrate tenue le premier septembre 1998, alors que le Japon
faisait grand tapage à propos du «missile», on est allé jusqu’à
demander de geler les avoirs des Coréens du Japon et de bloquer les
mandats postaux vers la Corée du Nord. Voire, on a débité des
propos incendiaires, tels que «la Chongryon est comme un otage».
Heureusement, de telles mesures n’ont pu être prises aux termes des
lois en vigueur, mais il en ressort clairement que le Japon ne se doute
pas que, s’il appliquait des sanctions à la Corée du Nord, il en
résulterait inévitablement une guerre. Il a appliqué des sanctions en
gelant le fonds à fournir à la KEDO, mais en vain. Cependant il n’en
a pas tiré de leçon et refuse d’amener l’opinion nippone à revenir sur
son geste anachronique.
«Que le peuple japonais se repentisse de cet "été 1998
anormal", ce serait "jouer de la musique après la procession". Un
peuple stupide rend le gouvernement inepte. Avant que le peuple
japonais ne comprenne qu’il ne peut avoir qu’un gouvernement à son
niveau, on ne pourra trouver de terrain propice à la conciliation et à
la symbiose du Japon et de la Corée», s’est lamenté Maeda
Yashuhiro, professeur à l’université de Kitakyushu.
Le gouvernement, les médias et le peuple japonais sont invités à
user de sang-froid pour envisager et analyser correctement la situation
prévalant dans la péninsule coréenne et préparer le terrain pour
l’amélioration des relations nord-coréo-japonaises, avant qu’il ne
soit trop tard. Je le souhaite vivement en tant que Coréen résidant au
Japon et désirant sincèrement la conciliation et des relations de bon
voisinage entre les deux pays. Je serais heureux si mon livre pouvait
227
aider tant soit peu à une meilleure connaissance de la situation dans la
péninsule coréenne.
Je tiens à remercier M. Sinko Hajime de la maison d’édition
Shakai Hyoronsha qui m’a offert de nombreuses suggestions utiles
dans la rédaction du présent livre.
228
CHAPITRE IV
LA STRATEGIE ECONOMIQUE, DIPLOMATIQUE ET
UNIFICATRICE DU PAYS DE LA RPDC
1. LA «REVOLUTION DANS LA CULTURE DE LA POMME
DE TERRE» ET LES RAPPORTS
RPDC-USA
Une entreprise aussi bénéfique que la livraison
de réacteurs à eau légère
Le département d’Etat américain a publié, le 25 juin 1999, le
rapport analytique final sur l’examen sur place des installations
souterraines situées dans la commune de Kumchang en Corée du
Nord. Il a alors conclu: «II n’y a rien qui puisse prouver que la
Corée du Nord ait violé l’accord nucléaire USA-RPDC de 1994.»
Le rapport indique: 1) le site en question n’était qu’une grotte
rocheuse vide dont le creusement touchait à sa fin; 2) la grotte était
trop étroite pour construire et abriter une pile atomique ou des
installations de retraitement du combustible nucléaire usé; 3) on n’y
trouvait pas de traces de l’introduction ou de l’installation de
machines ou d’équipements. Ensuite, il conclut: «On ne peut pas
exclure que la Corée du Nord ait cherché à s’en servir comme site
nucléaire, mais, dans son état actuel, l’emplacement ne peut servir à
abriter des installations nucléaires de grande taille.» Rubin, porteparole du département d’Etat américain, a affirmé: «La mission
229
d’enquête a examiné en détail l’intérieur du site, sans pourtant
découvrir la moindre preuve d’une tentative de camouflage.»
Somme toute, le «soupçon d’installations nucléaires
souterraines» a été «démenti», comme on s’y attendait. D’où
venait alors ce «soupçon» scandaleux, fondé sur des «preuves
concrètes», remontant à août 1998? Je me contenterai de parler de la
stratégie américaine de la Corée du Nord.
Le «soupçon de la commune de Kumchang», c’est une invention
des Etats-Unis qui cherchaient à «revoir», voire à résilier l’accordcadre RPDC-USA. C’est en supposant 1’«effondrement imminent»
de la Corée du Nord qu’ils ont consenti à l’adoption de cet accord
et ont ajourné son application. Or, la Corée du Nord étant loin de
s’effondrer, les Etats-Unis se retrouvèrent dans une nouvelle
impasse. Le prétexte dont ils avaient alors besoin pour faire de
nouveau pression sur ce pays, ce fut le «soupçon de la commune de
Kumchang». Le «scandale du missile» semblait contribuer aussi à
cette tentative de pression.
Quoi qu’il en soit, la Déclaration conjointe RPDC-USA du 16
mars indiquait: 1) les deux parties réaffirment l’accord-cadre RPDCUSA; 2) la Corée du Nord permet aux Etats-Unis de visiter à plusieurs
reprises les installations souterraines de la commune de Kumchang;
3) les Etats-Unis arrêtent des mesures pour améliorer leurs relations
politiques et économiques avec la Corée du Nord. Tout témoignait
d’une victoire diplomatique totale de la Corée du Nord.
Pourquoi? Primo, parce que les Etats-Unis, loin de parvenir à
tenir en échec la partie adverse, même en la menaçant de résilier
l’accord-cadre RPDC-USA, se sont vus contraints de réaffirmer leur
attitude positive à l’égard des points convenus et leur volonté de les
appliquer. Secundo, une mission d’enquête américaine a obtenu
l’autorisation de visiter le site concerné sur invitation de la Corée du
Nord, au lieu de l’inspecter comme ils l’auraient voulu au moyen
de la pression diplomatique et militaire. En d’autres termes, les deux
parties sont tombées d’accord, non pas en usant de la pression ou de
l’affrontement, mais au moyen de la conciliation et de l’amitié, en
230
favorisant la compréhension mutuelle. Résultats tout à fait contraires
à l’objectif visé par les Etats-Unis.
Ils rappellent bien le cas du dialogue sur le premier «soupçon
nucléaire», celui ayant pesé sur la région de «Nyongbyon», dialogue
qui avait permis à la Corée du Nord, au mépris de leur tentative de
pression, d’obliger les Etats-Unis à admettre son régime et à lui
promettre de ne pas utiliser leurs armes nucléaires contre elle et de lui
fournir des réacteurs à eau légère. Car, en combattant le second
«soupçon nucléaire», la Corée du Nord a pu promouvoir en quelque
sorte le rapprochement entre les deux pays.
A cet égard, une attention particulière est à prêter à la coopération
américaine à la «révolution dans la culture de la pomme de terre» en
Corée du Nord, coopération qui s’inscrit dans l’aide alimentaire
promise par les Etats-Unis.
C’est l’aboutissement de la stratégie américaine de la Corée du
Nord. Les Etats-Unis étant le responsable de la division de la Corée et
son plus grand ennemi politique et militaire, la Corée du Nord se
propose comme premier objectif diplomatique d’améliorer ses rapports
et de se réconcilier avec eux. Car, sans cette réconciliation, son
développement économique, la sécurité de la péninsule coréenne, voire
la véritable réunification de la Corée sont impensables.
Dès avant l’écroulement du système de la guerre froide, la
Corée du Nord s’est attachée à améliorer ses rapports avec les EtatsUnis. Et, en ce moment, elle fait de son mieux pour intéresser les
Etats-Unis au problème coréen, par exemple en tournant à son
avantage, comme mentionné ci-dessus, leur tentative de pression
politique et militaire inspirée du «soupçon nucléaire» et en exigeant
qu’ils n’ajournent plus l’application de l’accord-cadre conclu. Elle
les pousse ainsi, pour dire vrai, à participer à la solution du problème
coréen.
La fourniture de réacteurs à eau légère est un exemple typique. De
même, lors des négociations sur le «soupçon de la commune de
Kumchang», la Corée du Nord a proposé aux Etats-Unis d’employer les
bâtiments «suspects» concernés comme installations civiles, par
231
exemple comme usines et bureaux d’une entreprise mixte nord-coréoaméricaine. Quelle est donc sa vraie intention? J’admettrais l’avis
exprimé ainsi: «II faut compter avec la Corée du Nord, dont la tactique
consiste non seulement à éviter l’inspection, mais aussi à établir une
entreprise mixte pour faire lever les sanctions des Etats-Unis. Une fois
une première entreprise mixte mise en place, elle pourrait suggérer
l’amélioration de ses rapports avec les Etats-Unis, son plus grand
objectif diplomatique (Tokyo Shimbun, le 5 février 1999).» Si cette
proposition reste irréalisée, on peut supposer que les Etats-Unis ne s’y
étaient pas attendus et qu’elle leur a suggéré un moyen à améliorer les
relations avec la Corée du Nord.
L’accord entre les deux pays sur la coopération à la «révolution
dans la culture de la pomme de terre» peut avoir la même portée que
la fourniture de réacteurs à eau légère.
La solution simultanée des problèmes
énergétique et alimentaire
Les Etats-Unis ont annoncé, le 22 mars 1999, qu’ils fourniraient
200 000 tonnes de céréales à la Corée du Nord souffrant d’une crise
alimentaire continue, dont 100 000 tonnes feraient partie de la
coopération à la culture de la pomme de terre, leur première aide
directe à ce pays.
Un mois après, le 22 avril, l’USAID (US Agency for
International Development) a fait savoir qu’elle était tombée tout à
fait d’accord avec la Corée du Nord à Pyongyang sur un programme
concret sur la fourniture de pomme de terre à titre de secours à ce
pays en crise alimentaire.
Selon cet accord, l’aide américaine se réaliserait sans
l’entremise du WFP (Programme alimentaire mondial) et
comporterait 1 000 tonnes de semences de pomme de terre et, jusqu’à
la réalisation de ce plan concret, 100 000 tonnes de pomme de terre
comme produit alimentaire d’entretien.
232
Procédé identique, dirait-on, à celui prévu lorsque les Etats-Unis
ont promis de fournir avant la fin de 2003 des réacteurs à eau légère et
jusque-là 500 000 tonnes d’huile lourde par an. L’aide en pomme de
terre s’avère significative et intéressante pour la Corée du Nord, parce
qu’elle lui fait espérer la solution de son problème alimentaire plus
que celle du problème de l’énergie par une construction de
réacteurs à eau légère (on ne sait quand elle prendra fin).
Selon Hangyore Sinmun du 22 avril 1999, journal sud-coréen, à
cette aide prendront part, outre le gouvernement américain, huit
organisations non gouvernementales de travail commun, y compris le
«mouvement américain pour l’aide nationale»; un «contingent—onze
Américains, dont deux agrotechniciens et neuf coordinateurs de la
répartition des céréales—visitera dans un proche avenir le Nord pour
s’occuper de l’accroissement de la production de pomme de terre
dans dix fermes coopératives de la province du Kangwon; les
organisations non gouvernementales débourseront un million de
dollars pour les 1 000 tonnes de semences de pomme de terre à
fournir».
Le journal précise: «C’est la première fois que des
organisations non gouvernementales américaines prennent part au
développement agricole du Nord. Jusqu’à présent, les
organisations de secours non gouvernementales se sont bornées à
fournir des produits alimentaires et des médicaments. Au
programme participent directement des fonctionnaires du ministère
de l’Agriculture et de l’Institut agronomique, ainsi que des
gestionnaires de fermes et des paysans du Nord, ce qui permet
d’envisager une large entreprise commune.» Il rapporte ce qu’a dit
un intéressé à ce sujet: «Lorsqu’un ensemble de mesures d’aide
sera élaboré avec le concours de la Banque asiatique pour la
reconstruction et le développement et autres organisations
internationales, les unités-modèles mentionnées se convertiront
en "plan Marshall de petite dimension" et marqueront un
tournant dans l’exploitation agricole et le développement
économique du Nord.»
233
Il est certainement préférable pour les Etats-Unis d’aider la
Corée du Nord à parvenir à l’autosuffisance alimentaire, plutôt que
de lui fournir une aide alimentaire indéfinie. De son côté, la Corée du
Nord doit y voir un avantage économique et surtout politique.
Il est indéniable que les difficultés économiques et agricoles
actuelles de la Corée du Nord tiennent dans une large mesure aux
sanctions économiques appliquées par les Etats-Unis. Après la
disparition du marché socialiste, le blocus économique imposé par
l’Occident, les Etats-Unis en premier lieu, s’est fait sentir dans
l’économie de la Corée du Nord. Sont venues s’y ajouter plusieurs
années successives de calamités naturelles. Pour que la Corée du
Nord puisse faire face à ses difficultés énergétiques et
alimentaires, il faut que l’Occident lève son blocus (y compris les
obstacles dressés à l’introduction des technologies de pointe et des
équipements du dernier modèle et leur blocage), surtout les
sanctions économiques appliquées par les Etats-Unis.
La Corée du Nord voit dans la fourniture de réacteurs à eau
légère et de combustible un moyen de venir à bout de sa
pénurie d’énergie. Et le Secrétaire général Kim Jong Il veut
que les Etats-Unis, le plus grand et le plus puissant ennemi de
la Corée du Nord, en prennent la responsabilité légitime.
Jack Downs, auteur du livre Over the line (édité par l’Institut
américain Enterprise) dans lequel il analyse les procédés de
négociation diplomatique de la Corée du Nord, remarque: «On aime
employer les termes "irrationnel", "absurde", "imprévisible" pour
qualifier les procédés de négociation de la Corée du Nord. Mais, en
réalité, il est difficile de trouver des pays qui, comme la Corée du
Nord, ont fait de la "négociation" la principale arme de leur
diplomatie et ont remporté des résultats étonnants en usant de
procédés si habituels.»
Ce n’est pas le cas de dire «perfide». La diplomatie, n’est-ce
pas une guerre mobilisant toute l’imagination pour l’emporter
l’un sur l’autre? A fortiori, un petit pays peut-il s’en garder alors
qu’il doit affronter un supergrand? Pourquoi les Etats-Unis donnent234
ils de temps en temps du «miel» à la Corée du Nord? Parce qu’elle
les contraint, par ses procédés inattendus, à s’acquitter de leur
devoir. C’est-à-dire que la justice milite pour ce petit pays.
Pourquoi les Etats-Unis hésitent-ils de publier, après la visite de
la Corée du Nord par Perry, coordinateur de leur politique, leur
«rapport de révision» de la politique nord-coréenne? N’est-ce pas que
Perry a compris à Pyongyang que l’«approche globale» combinant le
«miel» et la «matraque» ne peut produire ses effets sur la Corée du
Nord? Les Américains ne se voient-ils pas obligés de revoir leur projet
de «réexamen»? L’accord-cadre RPDC-USA précise toutes les
obligations de chacun des deux pays. Exiger du nouveau de la Corée
du Nord va à son encontre. Le «miel» que Perry a proposé relève de
la promesse déjà faite par les Etats-Unis, et la Corée du Nord n’est
donc pas tenue de le reconnaître. Dans cette optique, le Perry Report
n’aurait aucun effet tant qu’il n’intéresserait pas l’application de
l’accord-cadre.
Les Etats-Unis doivent exécuter au plus tôt leurs obligations
stipulées dans l’accord-cadre, lever les sanctions économiques
appliquées sur la Corée du Nord et améliorer les relations avec elle.
Tel est le cadre où s’inscrit l’aide directe significative à la culture de
la pomme de terre en Corée du Nord.
Secours contre la disette et production
alimentaire suffisante
Il y a lieu de parler de la «révolution dans la culture de la
pomme de terre» proposée par le Secrétaire général Kim Jong Il, de
sa signification et de son avenir.
Lors de sa visite en octobre 1998 dans l’arrondissement de
Taehongdan dans la province du Ryanggang, Kim Jong Il a préconisé
qu’on concentre les efforts sur cette culture. Suivant sa volonté,
plusieurs journaux de la Corée du Nord ont lancé, dans leur éditorial
commun du Nouvel An 1999, un appel à une révolution dans cette
235
culture. Ainsi, à l’heure actuelle, ce pays s’attache à produire de
grandes quantités de pomme de terre pour en faire une composante
essentielle de son alimentation à côté des céréales et parvenir à
l’autosuffisance alimentaire.
Les mesures choisies pour l’accroissement de la production de
pomme de terre sont les suivantes: 1) choix de terrains propices et
leur réaménagement; 2) obtention de variétés à haut rendement; 3)
augmentation de la production d’engrais organiques; 4) double
culture annuelle; 5) protection des semences contre les virus.
La pomme de terre s’accommode d’un sol peu arrosé et peu
fertile. On peut la cultiver deux fois par an car elle croît plus
rapidement que le riz et le blé et qu’elle a besoin de moins
d’engrais que le maïs. Son rendement est 3,04 fois celui du blé, 2,68
fois celui de l’orge et 1,12 fois celui du maïs. Elle retient beaucoup
d’énergie solaire à l’unité de surface.
La pomme de terre est riche en éléments nutritifs, tels que
vitamines, calcium et minéraux, d’où cette appellation en français.
Elle peut donc servir d’aliment essentiel à l’homme. En effet,
nombreux sont les pays, en Europe et en Afrique, où on la considère
comme un produit alimentaire principal.
Au reste, la pomme de terre résiste au froid et autres
changements climatiques. Sa culture est sûre. Aussi ce végétal a-t-il
souvent servi à contrebalancer l’interruption de l’importation de
vivres, à assurer l’approvisionnement alimentaire. On sait que,
pendant la Seconde Guerre mondiale, les Suisses encerclés par les
Allemands nazis ont cultivé la pomme de terre dans leurs cours et sont
parvenus ainsi à venir à bout de la disette causée par l’interruption
du ravitaillement. De nombreux autres exemples encore illustrent
comment l’accroissement de la production de pomme de terre a aidé
un pays dans la disette à survivre.
A ce compte-là, on peut dire que la Corée du Nord a eu raison de
faire cette option-là pour faire face à une disette prolongée causée
par des calamités naturelles successives, un climat défavorable, la
baisse de la fertilité du sol et le manque d’engrais. D’ailleurs, le
236
Secrétaire général Kim Jong Il a dit: «Si l’on s’était attaché à
cultiver la pomme de terre depuis dix ans, notre peuple n’aurait pas
eu à souffrir de la disette. La pomme de terre vaut autant que le riz.»
Si le programme concerné est promu sans à-coup, on peut prévoir que
la Corée du Nord viendra à bout, pour l’essentiel, de la pénurie des
récoltes.
La culture de la pomme de terre est ancienne en Corée du
Nord. Mais elle était localisée dans la province du Ryanggang et
ailleurs dans la région de plateaux septentrionale. Et les plaines
étaient consacrées essentiellement à la culture du maïs. Or, la culture
répétée de cette plante entraîne une baisse considérable de la fertilité
et du rendement du sol. Sont venues s’y ajouter les conditions
climatiques défavorables successives qui ont entraîné une réduction
sensible de l’ensemble de la production céréalière.
La production de pomme de terre est restée basse aussi. Jong
Jong Gil, docteur à l’institut d’économie rurale de Corée du Sud,
spécialisé dans l’étude de l’agriculture de la Corée du Nord, a
souligné: «La pomme de terre donne 20 tonnes à l’hectare, mais, si on
cultive continuellement une même variété, l’infection virale et
autres facteurs abaissent le rendement de 50 % la deuxième année et
le réduit jusqu’à 10% (trois tonnes) la troisième année. En Corée
du Nord, le rendement à l’hectare est de 11 tonnes, contre 39 tonnes
aux Etats-Unis, différence due à l’absence de sélection.»
Il me semble qu’il a raison. D’ailleurs, depuis quelque temps, en
Corée du Nord, on insiste constamment sur la création de meilleures
variétés et concentre les efforts sur les études et les essais visant à la
sélection ainsi que sur la construction des installations nécessaires à cet
effet. Dans l’arrondissement de Taehongdan dans la province du
Ryanggang, on a cultivé à titre d’essai une variété provenant de
Suisse et donnant 80 tonnes à l’hectare. Résultat: 71 tonnes. Des
semences viennent aussi des Pays-Bas et d’Allemagne. L’arrivée des
semences et de la technologie américaines contribuera certainement à
augmenter la production de pomme de terre.
237
La perspective d’un revirement et
la confiance en soi
Kim Jong Il, Secrétaire général, préconise le maintien de
l’agrotechnique Juche proposée par le Président Kim Il Sung et
formant l’essentiel de la politique agricole en Corée du Nord.
En Occident, on attribue la baisse de la production agricole et la
disette dans ce pays à des défauts et à un échec de l’agrotechnique
Juche. On affirme même qu’«on s’est mis à "restructurer"
l’agriculture sous le mot d’ordre de "convertir l’agrotechnique
Juche en une autre qui convienne aux masses paysannes"» (Yomiuri
Shimbun, le 18 mars 1999). Constat mal fondé.
Par agrotechnique Juche, on entend une méthode culturale
scientifique, tenant compte des conditions climatiques et
pédologiques du pays et des caractéristiques des plantes et supposant
une culture appropriée à la nature du sol et à la saison.
Kim Jong Il souligne la nécessité de respecter la volonté et le
choix des paysans, tout en prônant l’adhésion à l’agrotechnique
Juche et sa mise en œuvre. Il n’est donc pas question de l’abolir ou
de la modifier.
Comme moyens d’accroître la production céréalière, il a proposé
la création de variétés à haut rendement, le réaménagement des terres
pour utiliser au maximum les superficies cultivables, la double
culture annuelle, l’appropriation de la culture à la nature du sol et à
la saison, et, ce qui mérite une mention particulière, la polyculture et
la production de quantités importantes d’engrais organiques.
Dans les fermes coopératives, il faut employer la pomme de terre
comme la principale nourriture pour les porcs et autres animaux
d’élevage dont les déjections servent à produire les engrais
organiques nécessaires pour fertiliser le sol et augmenter ainsi la
production de pomme de terre. Cycle d’opérations encouragé en
toute occasion: «Si on élève chaque année 16 porcs à l’hectare de
238
champs de pomme de terre, on obtient à la fois de la viande et
quelque 70 tonnes d’engrais organiques qui serviront à bonifier ces
champs (Rodong Sinmun, le 31 octobre 1998).»
Parallèlement, on a recours à des engrais microbiens composés —
engrais organiques liquides réunissant quelque 80 micro-organismes
terreux, tels ferment, lactobacilles et bacilles à glucosynthèse —qui
se sont déjà révélés efficaces dans la culture du riz. Il y a quelques
années déjà qu’on a commencé à en produire avec la coopération des
Coréens résidant au Japon. Ces engrais permettent de cultiver la terre
sans recourir aux engrais et produits phytosanitaires chimiques,
méthode d’ailleurs de plus en plus répandue dans le monde. De même,
on fait des essais de produits phytosanitaires microbiens qui ont
l’avantage de prévenir les maladies à virus sans nuire à
l’environnement. Bref, l’agriculture en Corée du Nord adopte un
système de fumure organique permettant de fertiliser la terre à peu de
frais. D’ailleurs, par rapport aux autres pays, on a toujours épandu
peu d’engrais chimiques. Et on cherche maintenant à en faire usage
au minimum, convaincu que leur emploi est nuisible à maints égards.
Le réaménagement des terres sert aussi à accroître la
production de pomme de terre, de même qu’il est permis aux fermes
coopératives de pratiquer la polyculture conformément à leur
situation, cette politique visant à jeter les assises d’une agriculture
qui assure l’autosuffisance alimentaire.
La fertilisation des terres et l’accroissement de la production
céréalière que promettent les mesures susmentionnées permettront
d’atteindre l’objectif proposé par le Président Kim Il Sung: «offrir
quotidiennement du riz blanc et du bouillon gras au peuple».
Dans Pollutions multiples (édité par la maison Sinchosha), bestseller d’Ariyosi Sawako, femme écrivain japonaise, on trouve le
dialogue suivant:
«Si les paysans pratiquant la monoculture élèvent quelques porcs
par foyer, les matières fécales que produiront les animaux pourront
donner des engrais organiques mélangés à de la paille de riz. Ils
n’auront alors plus aucun souci à se faire pour leurs dépenses. Quant à
239
ceux qui se consacrent exclusivement à l’élevage, il leur est
recommandé de réduire le nombre de bétails et de se doter de terres
cultivables, car ils peuvent alors se passer d’acheter toute la nourriture
pour bétail dont ils ont besoin et mettre au pâturage les porcs, une fois
la moisson terminée. Ces animaux se donneront du mouvement et
brouteront des souches de riz en creusant le sol, lorsqu’ils avaleront de
la terre, plus bénéfique qu’un digestif chimique.
—A vous entendre, tout devient simple et clair.
—Pourquoi préconiser l’agriculture organique? C’est pour
permettre à chaque foyer paysan de tirer profit d’un petit nombre
d’animaux domestiques pour produire lui-même le riz, l’orge, le
soja, les légumes, etc. dont il a besoin, et de se suffire à lui-même en
produits alimentaires. Culture de la terre accompagnée de l’élevage,
voilà ce que c’est.
—Exactement ce qu’on faisait au temps jadis.»
Telle est, je pense, l’agriculture qu’on cherche à pratiquer en
Corée du Nord: une agriculture organique permettant de se suffire à
soi-même, méthode à la fois vieille et nouvelle. En d’autres termes,
une agriculture fondée sur la confiance en soi.
Comme on le sait, l’agriculture japonaise ne repose pas sur le
principe de la confiance en soi. Après la Seconde Guerre mondiale,
l’aide alimentaire (blé) et les consignes des Etats-Unis ont fait leur
œuvre au Japon: application du système d’alimentation dans les
locaux des écoles et «campagne pour l’amélioration des habitudes
alimentaires», le pain remplaçant ainsi le riz cuit comme aliment
principal; d’autre part, du fait de la stratégie mondiale des marchands
de céréales américains, la consommation de viande a fait un bond.
Qu’est-ce qui en est résulté? Dans les Conditions du Japon N° 6—
époque de la dispute des céréales, écrit par le groupe de reportage de la
NHK et édité par l’Association d’émission et de presse du Japon, on
lit:
«D’après les statistiques de 1980, le taux d’autosuffisance était de
87,8% pour le lait et les produits laitiers, de 93,7 % pour le poulet,
de 87,4% pour le porc. Pour le bœuf, sujet de conflit économique et
240
de libéralisation du commerce, ce taux était de 71,6%. Taux élevé,
mais trompeur. Car le Japon importe presque à 100% la nourriture
céréalière de ses bœufs, de ses porcs et de ses poules. Il en est de
même pour 96% de son soja qu’il transforme en pâte, sauce, fromage,
fermenté et huile comestible. Aussi dirait-on que la table opulente
des Japonais contemporains est remplie de produits provenant de
partout dans le monde. Le Japon ne subvient lui-même à ses besoins
céréaliers qu’à environ 33%, le plus bas taux parmi les pays
développés. A l’exclusion du riz, son taux d’autosuffisance n’est que
de 4%. Sans doute que le Japon est le premier importateur de
céréales dans le monde. Il compte surtout sur les Etats-Unis, grand
producteur de céréales.»
Les Etats-Unis font 60% des exportations de céréales dans le
monde. Le taux d’autosuffisance céréalière du Japon sous le
«parapluie alimentaire» américain n’a fait que régresser, atteignant
22% en 1986. A la même époque, c’était 55% pour la Corée du Sud
et 99% pour la Corée du Nord. Un pays doit recourir à l’importation
s’il le faut pour subvenir à ses besoins, mais une autosuffisance trop
faible en aliment principal et autres céréales peut l’exposer au danger
d’être mené par le pays exportateur de céréales. C’est pourquoi les
céréales font partie du matériel stratégique. En d’autres termes, plus on
dépend de l’étranger pour les céréales, plus on subit son emprise sur le
plan politique et diplomatique.
Il est hors de doute que la Corée du Nord, bénéficiant de l’aide
d’autres pays et d’organisations d’assistance internationales, a
actuellement une autosuffisance céréalière peu élevée. Pourtant,
quelles que soient les difficultés rencontrées, elle est décidée à
honorer les principes d’autosuffisance et de confiance en soi, loin de
devenir, comme le Japon, indéfiniment tributaire de l’étranger. En
effet, elle tient plus qu’à toute autre chose à sa souveraineté et à sa
dignité et n’abandonnerait pour rien son régime socialiste, en dépit de
la «réforme» et de l’«ouverture» que l’Occident cherche sans cesse à
lui imposer.
241
La «révolution dans la culture de la pomme de terre» est la
concrétisation de la confiance en soi en agriculture. Le génie de
Kim Jong Il se manifeste, à mon avis, dans sa capacité de changer le
mal en bénédiction et sa fermeté d’esprit.
«La révolution dans la culture de la pomme de terre mènera à la
solution du problème alimentaire et jettera les assises économiques
de la grande puissance prospère qu’on entend édifier. Et ce ne sera
pas long à attendre (Rodong Sinmun, le 3 janvier 1999).»
Faire d’une pierre deux coups, telle est cette entreprise qui vise
deux objectifs à la fois et qui, grâce à la perspicacité et à l’audace de
Kim Jong Il, promet beaucoup dans le domaine de l’agriculture et
celui de la diplomatie.
2. LE DOLLAR VACILLANT ET LA STRATEGIE
ECONOMIQUE DE LA COREE DU NORD
Rapprochement de l’Union européenne
A l’occasion de la session de septembre 1999 de l’Assemblée
générale de l’ONU, la Corée du Nord s’est livrée à des démarches
diplomatiques vis-à-vis des pays membres de l’Union européenne, ce
qui a retenu particulièrement l’attention.
L’actuel ministre des Affaires étrangères Paek Nam Sun a
prononcé un discours à l’ONU sept ans après son prédécesseur, Kim
Yong Nam, alors vice-premier ministre et ministre des Affaires
étrangères (actuellement président du Présidium de l’Assemblée
populaire suprême). (C’étaient Song Won Ho, vice-ministre des
Affaires étrangères, en 1993 et Choe Su Hon, vice-ministre des
Affaires étrangères, de 1994 à 1998.) Les pays occidentaux ont suivi
de près ce discours, étant donné le «problème nucléaire» et la crise
alimentaire qui attiraient l’attention du monde entier sur son pays.
242
Dans son discours général, Paek Nam Sun a déclaré: «Nous
interromprons nos lancements de missiles pendant les négociations de
haut rang RPDC-USA.» Lors d’une interview, à la surprise générale, il
a précisé: «Nous avons passé les moments les plus difficiles d’une
crise économique qui dure depuis cinq ans, et nous nous trouvons
maintenant au seuil d’un redressement. Certaines gens ont prédit que
nous nous effondrerions tôt ou tard, mais, loin de là, les épreuves nous
ont endurcis, décuplant nos forces.»
Or, les démarches diplomatiques «tout à fait exceptionnelles»
(terme employé par Yomiuri Shimbun) de Paek Nam Sun hors de la
tribune de l’Assemblée générale de l’ONU ont surpris encore
davantage les délégations des puissances concernées.
Il s’est entretenu successivement avec les ministres des Affaires
étrangères de 18 pays: Italie, Suisse, Danemark, Autriche, Malaisie,
Singapour, Cambodge, Philippines, Cuba, Chine et Australie, ainsi
que de pays du Moyen-Orient et d’Afrique.
On notait tout particulièrement l’effort de la Corée du Nord
pour se rapprocher des pays membres de l’Union européenne. Des
pourparlers au niveau de vice-ministres des Affaires étrangères ont
eu lieu avec la Finlande, pays président de l’Union européenne, et
la Norvège. Avec la Finlande, on est tombé d’accord pour l’essentiel
pour poursuivre le dialogue. Le 29 septembre, s’inspirant sans doute
de cet accord, le délégué de la Finlande a publié, au nom des 15 pays
membres de l’Union, la «déclaration sur le problème de la péninsule
coréenne», lançant un appel invitant les deux parties de la Corée à
reprendre le dialogue sans conditions préalables.
La délégation de la Corée du Nord s’est livrée à l’opération de
rapprochement auprès de tous les pays membres de l’Union
européenne. Avant l’ouverture de la session de l’Assemblée
générale de l’ONU par exemple, elle avait proposé également à la
Grande-Bretagne, à la France et à l’Allemagne des pourparlers
bilatéraux au niveau de ministres des Affaires étrangères bien que
cette proposition soit restée non réalisée.
243
Malgré leur réticence et leur étonnement, les médias du Japon se
sont exprimés ainsi: «Ce rapprochement des pays européens vise à
réunir un climat favorable à la promotion des négociations nord-coréoaméricaines, ce qui est signe que la Corée du Nord tente une diplomatie
multilatérale (Nihon Keizai Shimbun, le 26 août 1999)— Des
démarches pour sortir de son isolement datant de la fin de la guerre
froide (Asahi Shimbun, le 27 septembre 1999).»
Une telle analyse n’est pas sans fondement, mais je pense que la
Corée du Nord vise plus haut.
Cette évolution a commencé il y a quelques années déjà. Selon
Hanguk Ilbo du 11 octobre 1999, la Corée du Nord et la GrandeBretagne ont eu six rencontres officieuses (au niveau de chefs de
service et de direction) depuis octobre 1996, convenant ainsi de
mettre en place des offices de liaison. En décembre 1998, les premiers pourparlers politiques d’experts du niveau de chefs de direction
se sont tenus à Bruxelles. Quant à l’Union européenne, elle fournit à
la Corée du Nord une aide humanitaire, y compris l’aide alimentaire,
et a adhéré à la KEDO (Organisation pour le développement de
l’énergie dans la péninsule coréenne).
Tout cela a conditionné les entretiens avec les ministres des
Affaires étrangères de pays membres de l’Union européenne, lors de
la récente session de l’Assemblée générale de l’ONU. Il en ressort
qu’il faut convenir que le rapprochement de l’Union européenne ne
vise pas seulement à se dégager de 1’«isolement international» et des
difficultés économiques du moment, mais relève d’une stratégie
diplomatique à plus long terme.
Je vais analyser cette stratégie du point de vue de sa stratégie
économique (tendant au renforcement de l’indépendance
économique et à la mise en place d’un nouvel ordre économique
international).
244
Illusions communes sur le dollar
Personne ne nierait le rôle dominant que joue le dollar dans
l’économie mondiale, en tant que monnaie de référence servant à
effectuer les opérations et règlements financiers internationaux. Le
dollar entre pour 62% dans la réserve mondiale de devises étrangères
et représente près de 50% des règlements commerciaux.
Avec la fin de la guerre froide Est-Ouest, les Etats-Unis, restant
l’unique supergrand, ont bénéficié d’un boom économique sans
précédent, ce malgré la crise financière et le marasme économique
mondiaux. Et le dollar, soutenu par leur puissance économique et
militaire, demeure apparemment la monnaie de référence, avec une
fiabilité immuable.
Le dollar peut-il alors conserver indéfiniment son hégémonie?
Comme on le sait, après les deux guerres mondiales qui ont ruiné
l’économie européenne, le livre sterling de la Grande-Bretagne a été
contraint de céder sa place de monnaie de référence au dollar. Il en
sera éventuellement de même pour le dollar. Si les Etats-Unis perdent
de leur puissance, la confiance en dollar diminuera automatiquement.
Les Etats-Unis risqueront alors de perdre leur position de pivot de
l’économie mondiale. Bref, leur position de supergrand est
directement liée à la puissance du dollar.
Dix ans après la fin de la guerre froide, la suprématie des EtatsUnis et du dollar apparaît constante, mais en réalité, elle se maintient
à peine grâce à une pure illusion commune, comme c’est le cas de
l’économie japonaise, bulle de savon.
Les Etats-Unis ont fait prévaloir le «système de convertibilité en
or», garantissant par l’or la valeur monétaire du dollar. Ainsi,
disposer de dollars, c’était disposer d’or. Cependant, la course
illimitée aux armements imposée par la guerre froide s’est répercutée
gravement sur l’économie américaine. Le déficit des Etats-Unis dans
la balance du commerce international a augmenté au point que ce
245
système ne pouvait plus tenir. Aussi, en 1971, le président Nixon a-til proclamé l’abolition de ce système. Pourtant, le dollar a conservé
son rôle prépondérant. Pourquoi? C’est qu’il n’y avait pas une autre
monnaie internationale capable de remplacer un dollar soutenu par
la puissance militaire des Etats-Unis. «Rien ne pourra ébranler le
dollar», telle était la confiance, pourtant sans fondement, qui a
atténué dans une certaine mesure la peur générale de le voir
dépourvu de toute valeur si les Etats-Unis perdaient de leur puissance.
Les dettes extérieures des Etats-Unis dépassent 3 000 milliards de
dollars. Les dettes d’Etat s’élevaient, à la fin de 1997, à
quelque 5 400 milliards de dollars. De même, le montant de l’intérêt
à payer par an est de 240 milliards de dollars, somme égale au
budget de guerre américain. Les Etats-Unis sont le plus grand
débiteur. Comment ont-ils pu alors faire jouer à ce jour un rôle
prépondérant à leur monnaie? Leur procédé était aussi simple que
perfide. Ils ont fait des surémissions de billets de dollar et
d’emprunts nationaux, ce qui permettait aux Américains de vivre
dans le luxe, et à leur Etat, de souscrire à un budget énorme pour les
dépenses militaires.
«Le Japon, appelé "abeille ouvrière" ou "lapinière", n’a cessé
d’acheter des bons du Trésor des Etats-Unis. Si ces derniers ont pu
sortir vainqueurs de la course aux armements, le mérite, pourtant
méconnu, en revient aux Japonais qui ont fait de l’épargne. La
sueur des Japonais a servi de base à la surconsommation des
Américains. Pour rester une "puissance riche", les Etats-Unis se sont
endettés, puis ont répandu des dollars à l’étranger. Les dollars ainsi
infiltrés en Europe de l’Est et dans l’ancienne Union soviétique ont
alimenté le marché noir. L’économie de marché contrôlé par le dollar
s’est élargie en marché noir et a excité le désir de consommation, ce
qui a démoli l’économie monétaire. Certains considèrent que
l’effondrement du système communiste provient de l’économie
déficitaire des Etats-Unis (Yamata Atsushi, rédacteur de Asahi
Shimbun).» Or, il s’agit là d’un point faible du dollar. En 1997,
Hashimoto, premier ministre du Japon, eut l’idée de dire qu’il était
246
tenté de vendre les emprunts nationaux américains. Du coup, la
Bourse de New York réagit et le cours des actions a chuté. Exemple
éloquent illustrant que la sortie d’immenses quantités de dollars
(plus exactement, l’émission, la circulation et l’accumulation d’un
excédent de dollars permises par une illusion commune) constitue le
point le plus faible de l’économie américaine. Le jour arrivera où «le
fort qui poursuit sa montée en dépit du marasme mondial» (Asahi
Shimbun) devra s’arracher à sa griserie et boire le calice jusqu’à la lie.
Symptômes de la fin d’un dollar omnipotent
Depuis quelque temps, le dollar a commencé à vaciller. Le
premier coup vint de la crise monétaire (financière) d’Asie. La
plupart des pays d’Asie du Sud-Est avaient adopté le système leur
permettant d’ajuster la valeur de leurs monnaies au cours du dollar et
fait dépendre leurs économies de la monnaie américaine. Au début,
ils ont connu une haute croissance grâce à des avantages comportant
peu de risque en ce qui concerne le taux de change contre le dollar,
mais leur dépendance poussée à l’égard du billet vert a sapé leurs
assises économiques, et la baisse de leur compétitivité, déterminée par
la dévaluation de la monnaie chinoise et l’augmentation des salaires,
a précipité ces pays dans une crise monétaire. En 1997, le baht
thaïlandais a abandonné le système du dollar, suivi par d’autres pays
asiatiques, d’où une chute du dollar et une crise monétaire en chaîne
dans le monde.
Les pays frappés par cette crise se voyaient obligés de faire
appel à l’aide du FMI (Fonds monétaire international) qui représente
le système économique américain. Mais ils ont vivement contesté le
FMI, en voyant dans son aide un moyen de renforcer la domination du
dollar et leur propre dépendance. Datuk Seri Maha-thir Mohamad,
premier ministre malais, disait:
«A la fin de la domination coloniale, nous avons appris le
capitalisme et introduit des capitaux étrangers pour enfin parvenir à
247
la prospérité. Or, il arrive que le capital en mouvement libre et
fulgurant anéantisse en un jour les richesses accumulées par les pays
en développement. Plutôt que de se voir colonisé par des maniaques
de l’argent, il est préférable de faire dissidence.» Paradoxalement,
George Soros, spéculateur international qu’on sait avoir opéré
contre les monnaies thaïlandaise et malthusienne, abonde dans le
sens du premier ministre malais: «Par essence, le marché financier
est un système instable. Ce qui le maintient, c’est la fausse idée que la
libre concurrence mène à l’équilibre. C’est très décevant de
constater que l’économie de marché a dépassé les bornes. Le marché
financier démolit l’économie d’un pays comme un bloc de fer servant
à démolir un vieux bâtiment. Le système capitaliste a commencé à
s’effondrer.»
En 1995, le montant des opérations de change mondiales était de
quelque 430 000 milliards de dollars, dont à peine 5 000 milliards
seulement représentaient le montant des échanges commerciaux. C’est
dire qu’un fonds de spéculation 80 fois plus gros que le fonds de
commerce se jouait de l’économie mondiale par ses innombrables
manœuvres fantasmagoriques. Peter Drucker, soi-disant théoricien N°
1 de l’exploitation, qui a appelé le phénomène virtual finance, a
indiqué que l’Etat-nation et l’économie de marché ont commencé à
perdre leurs fonctions.
Comme le suggèrent ces témoignages d’inquiétude et d’hostilité,
les risques du capitalisme de type américain, de l’économie de
marché, émergent au grand jour au point que la voix s’élève partout
dans le monde pour le réprouver.
Le refus d’une dépendance trop élevée à l’égard du dollar qui
inspire de la méfiance forme ainsi une forte tendance mondiale.
Le deuxième coup est venu de l’événement du premier janvier
1999: l’apparition de l’euro, monnaie unique de l’Europe,
représentant 11 des 15 pays membres de l’Union européenne.
Future zone économique de la monnaie unique, presque à parité
avec le dollar, l’Euroland dépasse les Etats-Unis avec sa population
d’environ 290 millions d’habitants. En 1997, son produit intérieur
248
brut était évalué à 6 900 milliards de dollars, soit 1,5 fois celui du
Japon et quasiment égal à celui des Etats-Unis. De plus, en 1998, si
le déficit ordinaire des Etats-Unis se montait à environ 235 milliards
de dollars, l’Euroland a enregistré un excédent ordinaire de près de
110 milliards. L’euro peut bien devenir une monnaie de référence.
Les billets et les pièces de l’euro doivent circuler à partir de
2002, cependant d’ores et déjà le règlement des certificats de
vente à crédit et des chèques se fait en euro. On prévoit que l’euro
aura un cours stable et s’emploiera largement comme une monnaie
d’échange internationale. Il est fort probable que l’euro menacera le
dollar. On a prédit la formation d’un système monétaire tripolaire par
le dollar, l’euro et le yen, projet sans avenir, car le gouvernement
japonais craint 1’«internationalisation du yen», de peur de provoquer
une réaction violente des Etats-Unis et des pays asiatiques, et que le
yen se ressent encore de la longue récession de l’économie
japonaise. Il s’ensuit que les espoirs convergent sur l’euro, nouveau
rival du dollar.
Soit qu’elle ait prévu cette évolution, soit qu’elle ait voulu
contrecarrer l’hégémonisme des Etats-Unis, en octobre 1998, la
Chine, deuxième pays pour le montant de la réserve de devises
étrangères (environ 151 milliards 500 millions de dollars à la fin du
septembre 1999), a exprimé sa volonté de «garder en euros une assez
importante part de sa réserve de devises étrangères», à la
consternation des Etats-Unis. Des bruits courent qu’elle entend
garder en euros 40% de sa réserve de devises étrangères. Taïwan et
Cuba sont aussi dans le coup. Soberon, directeur général de la
Banque nationale de Cuba, a présidé, en novembre 1998, avec
l’Union européenne, la conférence des banques des pays d’Amérique
du Centre et du Sud, où il a souligné: «La crise financière mondiale
est due au système financier axé sur les Etats-Unis, à la domination
du dollar américain. A l’avenir, nous devrons employer l’euro, à la
place du dollar, comme monnaie de réserve.»
S’affranchir du joug du dollar est la plus urgente tâche pour
Cuba, où le principe d’«égalité» du socialisme est gravement menacé
249
par la double économie du dollar et du peso, et pour les pays
d’Amérique du Centre et du Sud, bastion du dollar. L’apparition de
l’euro doit être, à leurs yeux, une aubaine qui contribuera à
l’affaiblissement de la domination du dollar.
Dans la réserve monétaire mondiale, le dollar atteint 62%, et les
monnaies européennes, 20%. Si l’euro commence à circuler, ces
chiffres changeront sensiblement, et une âpre concurrence se
déchaînera, une vraie guerre monétaire.
Le troisième coup,, c’était la manifestation de symptômes du
désordre à l’intérieur même de l’économie américaine.
Le déficit financier, un des «déficits jumeaux», s’est réduit peu à
peu, mais le déficit commercial a atteint, en 1998, la valeur record de
168,5 milliards de dollars. Le président Clinton a prédit avec angoisse
un déficit commercial de 300 milliards de dollars pour la fin de 1999.
Les Etats-Unis étant le plus grand débiteur et leur monnaie n’ayant
qu’une puissance fictive, leur économie est vouée au déclin. Tant que
l’économie de marché se réclamera de la libre concurrence, il est exclu
que l’économie d’un seul pays prospère.
En octobre 1999, à New York, le cours des actions est tombé
brusquement. Il s’est redressé après, pourtant il est difficile d’y
retrouver l’exultation qu’il avait engendrée jadis en enregistrant son
record, c’est une inquiétude d’origine vague qui règne aux
Bourses des Etats-Unis. Le gouvernement américain affiche
cependant de la sérénité pour son économie, mais l’anxiété inspirée
par l’inflation dans le pays persiste. C’est légitime. Car l’économie
de marché comporte le danger d’effondrement même lors de sa
prospérité, chose notoire pour laquelle il est inutile de rappeler que
«le cours des actions aux Etats-Unis a déraillé en se transformant en
écume» (Paul Krugman, professeur à Massachusetts Institute of
Technology).
La baisse des actions du Coca-Cola, provoquée par l’affaire des
impuretés du Coca-Cola en Belgique et en France et d’autres revers
américains, symbolise le début de l’écroulement du mythe de la
croissance des Etats-Unis.
250
Bien sûr que les Américains ne resteront pas les bras croisés, ils
feront l’impossible pour maintenir le règne du dollar. Mais bon
nombre de pays se coaliseront contre les défis communs, et
l’économie américaine courra à sa ruine à telle enseigne qu’un terme
sera mis à la domination exclusive du dollar et des Etats-Unis.
La libération du joug du dollar et l’économie indépendante
En Corée du Nord, le dollar est influent comme ailleurs.
Comment un pays socialiste qui s’est toujours réclamé d’une
économie indépendante en est-il arrivé là?
La fin de la guerre froide y a été pour beaucoup. La Corée du
Nord avait maintenu une économie indépendante reposant sur le
système économique socialiste. La principale forme de commerce
pratiquée avec les pays socialistes était le troc. Les règlements
commerciaux n’impliquaient donc pas l’usage de devises
étrangères. Après la fin de la guerre froide, le marché socialiste
s’est spontanément disloqué, et la Russie et la Chine, ses
principaux partenaires commerciaux, ont commencé à exiger de
la Corée du Nord le règlement des comptes par le dollar. Or, elle
ne disposait pas d’une réserve de dollars ou de yens importante.
Le manque de devises l’empêchait de pratiquer un commerce
régulier. Une grave pénurie d’énergie et de matériaux s’est
déclarée, l’économie est tombée dans un cercle vicieux, et les
usines ont commencé à mal fonctionner. Pour redresser
l’économie, il était impérieux d’acquérir des devises.
A la faveur de ces circonstances, les Etats-Unis, le Japon et la
Corée du Sud ont cherché à imposer à la Corée du Nord la
politique de soft-landing dans le but de lui faire abandonner le
régime socialiste, parce qu’elle ne pourrait se relever à moins
d’opérer une «réforme» et une «ouverture». Tentative à laquelle
elle s’est opposée en proclamant qu’elle sauvegarderait le système
économique socialiste et n’accepterait pas l’économie de marché.
251
Elle tire parti cependant de certains aspects de l’économie de
marché: elle a ainsi établi la zone économique et commerciale
Rajin-Sonbong et met en exploitation un centre industriel, une sorte
de zone économique spéciale, sur la côte ouest, aux termes d’un
accord conclu il y a quelque peu avec Hyundai Business Group. Il
est probable qu’elle procédera ainsi pour un temps et dans des cas
particuliers. Ce qui est certain pourtant, c’est qu’elle n’adoptera
jamais en entier l’économie de marché. Comment pourra-t-elle
alors sortir du mauvais pas actuel? Le renforcement de l’économie
indépendante, telle est, contrairement à 1’«usage international», la
solution qu’il faut, à ses yeux. Option qui, compte tenu des
affirmations du premier ministre malais et du spéculateur
américain cités ci-dessus, convient au bon sens. En effet,
l’économie de marché n’est pas immuable, elle court dès
maintenant le danger permanent de s’effondrer.
On peut supposer que la Corée du Nord a établi une nouvelle
stratégie économique en se concentrant sur la question de savoir
comment faire face à l’influence des devises étrangères, et surtout du
dollar.
Soit dit entre parenthèses pour parer à tout malentendu, par
économie indépendante, on entend une économie destinée
essentiellement à l’autosuffïsance et qui ne se laisse pas influencer
par les fluctuations économiques extérieures. Pas une économie
isolationniste qui exclue le commerce et les échanges avec
l’étranger. Au contraire, cette économie implique des échanges
conformes aux principes de l’égalité et des avantages réciproques.
Plus que personne, la Corée du Nord a été mise à rudes
épreuves par le tourbillon de l’économie de marché, avec la
concurrence impitoyable qu’elle implique inéluctablement, lequel
a remplacé la zone économique socialiste. Si, malgré cela, ce pays
continue d’adhérer à une économie indépendante, c’est que
Kim Jong Il y voit la meilleure solution qui soit.
Selon la Corée du Nord, il se peut que certains pays
choisissent l’économie de marché, et d’autres, l’économie
252
socialiste. Aussi recherche-t-elle un moyen, pour les deux, de
coexister et de coprospérer. Et, quelle que soit son option, un pays
doit édifier une économie indépendante et la renforcer.
L’idée de l’établissement d’un nouvel ordre économique
international
En matière de restructuration de l’économie mondiale, la
Corée du Nord préconise invariablement l’établissement d’un
nouvel ordre économique international.
Par nouvel ordre économique international, on entend un ordre
économique servant à éliminer les disparités économiques entre,
d’une part, les pays développés, axés sur les pays impérialistes, et, de
l’autre, les pays en développement, ayant souffert de la domination
coloniale, et la discrimination économique exercée par les premiers
sur les derniers, et à aider ceux-ci à combler leur retard, à mettre fin à
leur pauvreté, à leur famine, etc.
Les problèmes économiques, les problèmes territoriaux et les
litiges ethniques relevés dans le monde sont, pour la plupart, à
attribuer à la domination coloniale des puissances impérialistes ou
aux guerres.
Les exemples à cet égard sont légion: la Corée, la Palestine, le
Kosovo, le Timor-Oriental, etc. etc. Il en est de même pour le
«problème du Nord et du Sud», l’hémisphère nord étant riche et
l’hémisphère sud pauvre. Le Nord a prospéré en accaparant les
richesses du Sud et en lui vendant leurs produits manufacturés. La loi
de la jungle de l’économie de marché ne fait qu’approfondir le fossé
économique entre le Sud et le Nord.
«Au début de notre siècle, la différence de revenu entre le pays le
plus riche et le pays le plus pauvre était d’environ 10 à 1. Elle s’est
accrue à un rythme accéléré, marquant en 1960 une proportion de
30:1, en 1990, de 60:1, et en 1997, de 74:1 (Asahi Shimbun,
éditorial du 6 septembre 1999).»
253
C’est là la dure réalité indéniable que révèle le problème du
Nord et du Sud. Viennent s’y ajouter les inégalités d’ordre mondial,
dont la destruction de la nature, la pollution, qui augmentent chaque
année la gravité et la complexité du problème. C’est pour le
résoudre que les pays non-alignés et autres ont préconisé un nouvel
ordre économique international.
Comme moyens pour l’établir, on peut citer la «coopération
Sud-Sud», supposant l’aide des pays non-alignés relativement
aisés aux pays non-alignés moins aisés, l’édification d’une
économie nationale indépendante, etc.
Le Président Kim Il Sung a dit:
«La coopération Sud-Sud est une œuvre noble car une étroite
coopération économique et technique entre les pays en développement
peut leur permettre d’accéder à l’indépendance économique et est un
aspect important de la lutte pour instaurer un nouvel ordre
économique international. Réaliser l’indépendance économique
grâce à l’édification d’une économie nationale indépendante est une
tâche primordiale des pays en développement.»
Mais cette noble idée tarde à devenir réalité du fait des obstacles
dressés par les pays développés et des différences d’opinions et de
situations concrètes des pays en développement, en particulier, en
raison de la dépendance poussée qu’on montre à l’égard du vieil
ordre économique contrôlé par le dollar. Notons surtout qu’après la
fin de la guerre froide l’économie de marché et la domination du
dollar se sont renforcées, étendant spontanément leur influence aux
pays non-alignés. Il n’est pas chose facile d’éliminer la source
d’endettement des pays en développement, déjà débiteurs de 1 300
milliards de dollars.
Après la fin de la guerre froide, il s’est avéré encore plus difficile
d’instaurer un nouvel ordre économique international, certains pays
non-alignés allant jusqu’à douter de la valeur de leur mouvement. Et
pourtant, la Corée du Nord, toujours confiante en l’avenir,
travaille à construire une économie indépendante pour atteindre son
noble objectif. Pour y parvenir, elle a besoin de secouer le joug du
254
dollar. On comprend ainsi pourquoi elle tourne son regard vers
l’euro, monnaie pouvant faire face au dollar. C’est ce que je crois
trouver à la base de sa politique de rapprochement de l’Union
européenne.
Le régime Kim Jong Il est marqué par un réalisme et une
recherche de l’utilité poussés. J’ai idée que, dans la stratégie du
Secrétaire général Kim Jong Il, il faut d’abord qu’une concurrence de
l’euro ébranle le vieil ordre économique dominé par le dollar, puis
qu’une monnaie unique des pays non-alignés soit hissée au rang de
monnaie de référence au même titre que le dollar ou l’euro. Bien
sûr, pour le moment, ce n’est qu’un rêve. Mais un rêve qui, à long
terme, peut intégrer la réalité, compte tenu de la démolition
inévitable du règne du dollar et du manque d’avenir du système de
l’économie de marché.
Par ailleurs, la Corée du Nord accentue depuis longtemps sa politique
de rapprochement de l’ASEAN (Association of South East Asia
Nations). C’est qu’elle envisage sans doute d’adhérer à la «zone
économique d’Asie orientale» projetée par cette organisation. Que
l’ASEAN cherche un «cadre pouvant lui permettre de se doter d’une
monnaie commune pour une future zone de libre échange» (Siazon,
ministre des A.E. des Philippines) n’est rien d’autre qu’un défi à la
domination du dollar et qu’une première tentative pour l’édification d’une
économie indépendante. L’apparition d’une monnaie commune puissante
en Asie, continent où vit une partie importante de la population du monde,
modifierait totalement l’aspect de l’économie mondiale.
Au XXIe siècle, la notion de monnaie de référence deviendra
probablement ambiguë. L’établissement d’une ou plusieurs
monnaies de référence dans le monde et l’instauration d’un nouveau
système monétaire accéléreront spontanément la mise en place d’un
nouvel ordre économique international.
La Corée du Nord se propose comme tâche suprême
l’amélioration des rapports avec les Etats-Unis. Le jour n’est pas
loin où les deux pays établiront des relations diplomatiques. Certains
avancent l’hypothèse que «la Corée du Nord deviendrait pro255
américaine», mais elle ne le sera jamais: elle traitera amicalement les
Etats-Unis s’ils en font autant envers elle, c’est tout. En particulier,
comme elle tient à son indépendance politique, il est légitime qu’elle
défende son indépendance économique, garant de l’indépendance
politique. Cela signifie qu’elle ne laissera jamais son économie
devenir l’apanage du dollar.
Il en ressort que la stratégie économique et la diplomatie de la
Corée du Nord évoluent vers le renforcement de son indépendance
économique et de celle des autres pour accélérer l’effondrement de
la domination exclusive du dollar et instaurer un nouvel ordre
économique international.
3. LA COREE DU NORD FACE AU FACTEUR PRINCIPAL DE LA
PERPETUATION DE LA DIVISION DU PAYS
Pour mettre fin à la politique hostile des Etats-Unis
et éliminer leur domination
La prolongation de la division de la Corée qui dure depuis plus
d’un demi-siècle est à attribuer à autre chose que la différence de
régimes politique et économique, d’idéologie et de croyance entre le
Nord et le Sud, et leur antagonisme, qui ne sont à cet égard que des
facteurs secondaires. L’accord sur la réconciliation, la non-agression,
la collaboration et les échanges entre le Nord et le Sud reste lettre
morte, ou presque, et les échanges non gouvernementaux, notamment
économiques, pourtant assez importants, entre les deux parties font
peu pour la réunification du pays. Le fait est qu’il s’agit de simples
contingences.
Certes, les efforts des forces favorables à la réunification au
Nord, au Sud et outre-mer visant à mettre fin à la division ont
avivé l’aspiration du peuple à l’unité nationale et freiné la
256
consécration de la division. Mais certains ont cherché à tort à
attribuer la prolongation de la division à la faiblesse des forces de
la réunification. Le facteur principal et la responsabilité de la
réunification de la Corée appartiennent indéniablement à la nation
coréenne. L’essentiel à cet égard est d’accroître ces forces
nationales. Mais, indifféremment de ces forces, la division du pays
s’est éternisée.
Comme chacun le sait, la division de la Corée a commencé à se
consacrer après la guerre de Corée. Les Etats-Unis, une des parties
belligérantes, ont manqué à ses obligations stipulées par l’Accord
d’armistice qu’ils avaient signé eux-mêmes, ont formé un étau
d’encerclement autour de la Corée du Nord et se sont livrés à de
fréquentes provocations belliqueuses contre elle, en méprisant son
existence, en prenant à partie et en menaçant son régime. D’autre
part, ils ont fait de la Corée du Sud une néocolonie sur les plans
politique, militaire et économique. Ils ont ainsi provoqué
l’antagonisme au sein de la nation coréenne, puis l’ont maintenu.
Autrement dit, la persistance de leur politique hostile à la Corée du
Nord et le maintien de leur contrôle sur la Corée du Sud ont
aggravé sans discontinuer l’antagonisme et le danger de guerre
dans la péninsule coréenne et ont fait obstacle à la réunification.
Dans l’espoir de mettre fin à l’immixtion des Etats-Unis, la
Corée du Nord les a donc invités à plusieurs occasions à observer
l’Accord d’armistice, c’est-à-dire à retirer leurs troupes et à
accepter un dialogue appelé à régler pacifiquement le problème
coréen. Son appel a été pourtant complètement méconnu, alors
qu’elle ne pouvait plus tolérer la division nationale. Dans ces
conditions, pour créer un cadre approprié, elle a obtenu, en 1972, que
les autorités du Nord et du Sud publient la Déclaration
conjointe du 4 Juillet, proclamant leur volonté de réunifier le pays
selon les principes de l’indépendance, de la réunification pacifique et
d’une grande union nationale. La Déclaration conjointe a joui du
soutien enthousiaste de la nation coréenne et a fait ressentir à tout le
monde l’approche du jour de la réunification. Mais pourtant, sans la
257
participation des Etats-Unis, il ne pouvait être question d’une
solution suffisante, à la déception générale. Il en a été de même de
l’accord Nord-Sud.
Les Etats-Unis sont coupables d’avoir méconnu et entravé le
droit de la nation coréenne de disposer d’elle-même et son ardente
aspiration à la réunification. Pour les faire s’acquitter de leurs
responsabilités, il fallait les amener à la table de négociations. Et la
Corée du Nord y a réussi: ce furent les négociations sur le problème
nucléaire occasionné par le «soupçon nucléaire pesant sur la Corée
du Nord» et les divers cycles de pourparlers qui se sont succédé par
la suite.
Au cours du dialogue, la Corée du Nord a obtenu des Etats-Unis
la garantie, premièrement, qu’ils n’employeraient pas la force, y
compris les armes nucléaires, ni ne menaceraient la Corée du Nord,
deuxièmement, qu’ils assureraient la dénucléarisation, la paix et la
sécurité dans la péninsule coréenne, respecteraient la souveraineté de
la Corée du Nord et ne s’ingéreraient dans ses affaires intérieures et,
troisièmement, qu’ils soutenaient la réunification pacifique de la
Corée (Déclaration conjointe RPDC-USA publiée le 11 juin 1993).
L’auteur de la division a ainsi reconnu au dialogue le régime de la
Corée du Nord et a soutenu la réunification du Nord et du Sud. La
réunification était à l’ordre du jour, c’était une possibilité réelle.
Les événements du dernier demi-siècle de la péninsule coréenne
démontrent incontestablement que le Nord et le Sud ne peuvent pas
se réunifier tant que la RPDC et les Etats-Unis, parties adverses dans
la guerre de Corée, ne mettent pas un terme à leurs rapports hostiles.
La Corée du Nord, sortie victorieuse
du combat diplomatique
Je ferai abstraction des détails des négociations RPDC-USA qui
ont près de 10 ans. Ce dialogue qui mobilisait cerveaux et stratèges de
258
part et d’autre, c’était une vraie guerre sans coups de feu, que la
Corée du Nord a déjà gagnée.
Les Etats-Unis ont d’abord fait des concessions l’une après
l’autre selon la circonstance sur la base de l’illusion de la «chute de
la Corée du Nord», puis, après la publication d’un accord-cadre
RPDC-USA en 1994, ils l’ont torpillé et ont attendu, en usant de la
tactique dilatoire, la fin du régime Kim Jong Il.
Leur «espoir» s’est pourtant envolé en fumée lorsqu’on 1998 la
Corée du Nord avait lancé avec succès le «Kwangmyongsong 1»,
satellite artificiel. Lancement à des fins pacifiques qui donnait
cependant la mesure de la capacité de la Corée du Nord de disposer des
ICBM (Intercontinental Ballistic Missile) pouvant atteindre le territoire
américain. Un petit pays ennemi devenait ainsi, en se dotant de la
capacité de représailles et de destruction massive, la terreur des EtatsUnis. Impact profond, comme en témoigne l’obstination qu’ils mettent,
malgré les échecs répétés, à poursuivre leurs essais d’antimissiles dans
le cadre du programme NMD (National Missile Defence) ayant pour
but «la défense contre l’attaque de missiles nucléaires de Corée du
Nord et autres».
Ainsi s’explique comment les Etats-Unis se sont vus obligés de
se mettre à s’acquitter des obligations convenues qu’ils avaient
pourtant éludées: il fallait empêcher la Corée du Nord de procéder au
lancement de son deuxième satellite artificiel comme elle l’avait
suggéré.
La première étape de l’entreprise, c’est le Perry Report sur la
révision de la politique nord-coréenne des Etats-Unis. Le rapport,
dont le texte intégral n’a pas été publié, est présenté comme un
ensemble de propositions de négociations et de mesures
déraisonnables. Pour tout dire, une «déclaration de défaite» des EtatsUnis, à n’en pas douter.
Han Ho Sok, directeur de l’Institut de réunification (de la
Corée) à New York, a précisé: «Le rapport est un document
esquissant la politique du XXIe siècle, les Etats-Unis se proposant de
normaliser les relations avec la Corée du Nord et s’engageant à ne pas
259
s’immiscer dans la réunification pacifique de la péninsule coréenne
ni à l’entraver, en contrepartie de la promesse de la Corée du Nord
de pratiquer une politique de non-prolifération des armes nucléaires et
de ne pas menacer l’alliance américano-nippone.»
La deuxième étape, c’est la promesse faite par les Etats-Unis,
lors des pourparlers de haut niveau avec la Corée du Nord en
septembre 1999 à Berlin, d’améliorer les relations avec elle. En
contrepartie de l’interruption temporaire des lancements de missiles
par la Corée du Nord, les Etats-Unis ont annoncé d’amples mesures
d’atténuation des sanctions économiques, à la surprise de l’Occident.
Surprise dénuée de fondement, car l’issue de la guerre sans coups de
feu s’est décidée dès le moment du lancement réussi du
«Kwangmyongsong 1» et que les Etats-Unis ne peuvent que
s’acquitter des obligations stipulées dans l’accord-cadre conclu.
Cette année marque le 50e anniversaire de l’éclatement de la
guerre de Corée. Pendant la dernière décennie, les situations de la
Corée du Nord et des Etats-Unis ont radicalement changé. Ces
derniers avaient affiché du mépris pour son adversaire qu’ils
n’avaient pu vaincre lors de la guerre de Corée et qu’ils redoutaient
depuis. Mais le «soupçon nucléaire» les avait entraînés dans une
guerre diplomatique où ils ont essuyé une nouvelle défaite.
La troisième étape, c’est le débat nord-coréo-américain qui a
suivi le 2e tour des pourparlers de Berlin. Avant l’ouverture des
négociations, dit-on, Kartman, envoyé spécial américain chargé de
négocier la paix en Corée, a déclaré à Kim Kye Gwan, vice-ministre
nord-coréen des Affaires étrangères, que «les Etats-Unis étaient prêts
à exprimer officiellement leur projet de renoncer à la volonté
d’hostilité envers la Corée du Nord» (de source «gouvernementale»
sud-coréenne). Cela va au-delà de la garantie de non-usage de la
force. Si leur politique d’hostilité est abandonnée, il ne restera qu’à
établir des relations diplomatiques.
Somme toute, les deux parties appliqueront les stipulations de
l’accord-cadre de 1994 en se basant sur les trois principes
convenus en 1993 et suivant le principe de l’action simultanée,
260
concluront ainsi un accord de paix, puis, au début du XXIe siècle,
établiront des relations diplomatiques.
De ce point de vue, la réunification du Nord et du Sud se révèle
une tâche immédiate, et non plus une tâche à long terme.
Le retrait des troupes américaines et la situation
de la Corée du Sud
La conclusion d’un accord de paix et l’établissement de
relations diplomatiques entre la Corée du Nord et les Etats-Unis
poseraient essentiellement le problème du traitement et de la position
des troupes américaines stationnées en Corée du Sud.
La présence militaire américaine indéfinie en Corée du Sud est
exclue lorsqu’on veut conclure cet accord de paix et établir ces
relations diplomatiques. Car la conciliation entre la Corée du Nord et
les Etats-Unis et la réunification du Nord et du Sud de la Corée
présupposent la fin de la structure de la guerre froide et la coexistence
pacifique dans la péninsule coréenne.
En Corée du Sud, les autorités comme l’opinion en général se
croient à tort protégées par les troupes américaines. Aussi la
perspective d’un retrait de ces troupes en une seule fois risque-t-elle
de les inquiéter et de les pousser à accroître leurs armements (y
compris le développement d’armes nucléaires et des ICBM) dans
l’idée de s’équiper autant que nécessaire pour affronter le Nord. Or,
cela nuirait à la cause de la réunification et ferait même courir le
risque de perdre les avantages d’une amélioration de relations entre
la Corée du Nord et les Etats-Unis. C’est ce que les Etats-Unis euxmêmes ne souhaitent pas.
On peut en conclure que les autorités de la Corée du Nord et des
Etats-Unis chercheront probablement à obtenir, primo, que les
troupes américaines stationnées en Corée du Sud ne soient plus
hostiles à la Corée du Nord (désarmement); secundo, qu’elles
jouent, comme l’Armée populaire de Corée, le rôle de force de
261
maintien de la paix et de la sécurité dans la péninsule coréenne
(neutralisation); et, enfin, qu’elles se retirent progressivement
(temporalité).
Les troupes américaines stationnées en Corée du Sud changeront
ainsi dans leur caractère et leur mission, restant en place jusqu’au
moment où le Nord et le Sud auront évolué de façon concrète vers
leur réunification. Je pense que la Corée du Nord admet dans une
certaine mesure cette perspective.
On peut se demander si les Etats-Unis accepteront de retirer
leurs troupes et de renoncer à leur contrôle sur la Corée du Sud.
Question compréhensible eu égard au demi-siècle de division de la
Corée. Pourtant on y répondra par l’affirmative car «c’est la force
des choses». On a constaté un cas de ce genre il y a 30 ans.
En février 1972, les Etats-Unis se sont conciliés, et cela a fait
sensation, avec la Chine, grande puissance ennemie dans la guerre
froide. Dans la déclaration conjointe adoptée à Shanghai, les deux
pays sont convenus des cinq principes de la paix et ont établi un cadre
nouveau pour leurs relations.
Les troupes américaines se sont retirées de Taïwan, où leurs
bases ont été démantelées. La guerre froide entre les deux pays a
ainsi pris fin. Le président Nixon a effectué, en Chine, une visite
qualifiée de «diplomatie du drapeau blanc» par le Président
Kim Il Sung. Sur le prolongement de cette politique, les Etats-Unis
ont abandonné leur contrôle militaire sur Taïwan, s’avouant ainsi
vaincus dans leur diplomatie. Echec qui leur a pourtant fait gagner
plus qu’il ne leur a fait perdre, qui leur a offert des avantages
matériels en contrepartie de l’honneur. Sept ans plus tard, en janvier
1979, les Etats-Unis établissaient des relations diplomatiques avec la
Chine et, du même coup, rompaient celles qu’ils avaient avec
Taïwan.
Le cas de l’amélioration des relations entre les Etats-Unis et la
Corée du Nord rappelle celui de l’amélioration des relations entre
les Etats-Unis et la Chine. Il y a, en effet, les trois principes de la
Déclaration conjointe RPDC-USA et l’accord-cadre qui les
262
concrétise, à la place des cinq principes de la paix. Et, si les
relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis suivent une
évolution plus complexe, c’est que, à la différence de la Chine qui
était déjà une grande puissance dotée d’armes nucléaires et d’ICBM,
la Corée du Nord est un petit pays censé ne pas en posséder. La
Chine pouvait se contenter d’attendre la visite du vaincu.
Attitude identique, dirait-on, à celle de Tokugawa leyashu:
«Attendons jusqu’à ce que l’autre pleure.» Par contre, la Corée
du Nord devait faire flèche de tout bois pour contraindre les
Etats-Unis à pleurer.
Il est certain que la Corée du Nord et les Etats-Unis concluront
un accord de paix, établiront des relations diplomatiques et se
concilieront après le retrait des troupes américaines de Corée du
Sud. Est-ce que la Corée du Sud rompra-t-elle alors avec les EtatsUnis comme ce fut le cas de Taïwan? Non, il n’en sera pas ainsi.
La Chine et Taïwan, séparées l’une de l’autre, étaient
incomparables quant à leurs territoires, populations, puissances
militaires et potentiels économiques d’ensemble. D’autre part,
la Chine préconisait «un pays et deux régimes», autrement dit la
réunification, tandis que Taïwan s’en tenait à la formule: «un
pays et deux gouvernements». Admettant la partition pour suivre
une autre voie que la Chine, Taïwan ne pouvait pas tolérer que
les Etats-Unis soutiennent la politique de réunification de celleci. D’où sa rupture inévitable avec les Etats-Unis.
Quant au Nord et au Sud de la Corée, leur différence de
puissance n’est pas aussi frappante. Les deux aspirent
apparemment à la coexistence. Kim Dae Jung admet la
normalisation des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis
et déclare même qu’il mettrait un terme, pendant son mandat, à la
structure de la guerre froide dans la péninsule coréenne.
L’établissement de relations diplomatiques entre la Corée du Nord
et les Etats-Unis et le retrait des troupes américaines de Corée du
Sud, malgré leur grave impact sur celle-ci, relèvent d’une tendance
irrésistible de l’évolution de l’histoire.
263
Jadis, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon préconisaient
la reconnaissance croisée du Sud et du Nord. Après la fin de la
guerre froide, cette thèse s’est réalisée mais, malheureusement,
d’un seul côté, la Corée du Sud établissant des relations
diplomatiques avec la Russie et la Chine. D’où la rupture de
l’équilibre militaire et politique et l’aggravation de la tension
militaire dans la péninsule coréenne. Par conséquent, le
rétablissement de l’équilibre est une priorité dans la péninsule
coréenne.
En Corée, à la différence de la Chine et de Taïwan, la
réunification du Nord et du Sud s’impose parallèlement à
l’établissement de relations diplomatiques entre la Corée du Nord et
les Etats-Unis. Cela ne suppose pas la rupture de la Corée du Sud
avec les Etats-Unis. La question est de savoir si le régime sudcoréen, pourtant si accoutumé au contrôle des Etats-Unis et à la
dépendance envers les forces extérieures, sera politiquement capable
de faire face à l’ère nouvelle, celle de la souveraineté nationale, et à
la tâche de réunification.
«Un pays et deux régimes», programme réaliste
Alors que les conditions préalables à la réunification sont
réunies, on se demande naturellement quelle sera la forme la plus
réaliste à adopter? Pour résumer les idées en cours, je citerai deux
formes essentielles: la réunification par fédération (un pays et deux
régimes) et la communauté des Etats (une confédération et deux
gouvernements indépendants).
Des idéologies et des régimes différents existent actuellement au
Nord et au Sud. Chacune des deux parties ne peut abandonner les
siens ni les imposer à l’autre. Un certain temps, on a fait, en Corée
du Sud, beaucoup de bruit d’un «effondrement de la Corée du Nord»
et d’une «réunification par absorption», thèses qui se sont envolées
en fumée à mesure qu’on s’est aperçu que le régime Kim Jong Il
264
tenait. Il n’est pas réaliste d’attendre que l’autre partie périsse. Par
ailleurs, la réunification selon le principe: «un pays, un régime et un
gouvernement» supposerait la guerre, car elle exclurait la
réunification pacifique.
Les deux parties doivent admettre chacune l’idéologie et le
régime de l’autre et coexister pacifiquement, voilà la seule voie qui
mènera à la réunification. Comment développer l’Etat national
unifié, c’est une tâche à confier au soin des générations futures.
D’ailleurs, Kim Dae Jung déclarait: «Ce que j’ai à faire pendant
la durée de mon mandat, c’est de mettre un terme à la guerre froide
dans la péninsule coréenne et d’obtenir la coexistence du Nord et du
Sud et des échanges pacifiques entre eux. Je laisse aux générations à
venir le soin d’accomplir la réunification (Asahi Shimbun, le premier
janvier 2000).» Idées qui, apparemment identiques à celles du Nord,
s’en distinguent au fond. La différence concerne l’étape à laquelle on
situe la réunification.
Kim Dae Jung, toujours partisan d’une unification par une
communauté des Etats (du Nord et du Sud), a, dans le temps, proposé
l’«initiative de trois étapes». A la première étape, celle de la
coexistence pacifique, ce serait la mise en œuvre du principe: «un
pays et deux gouvernements indépendants» qui suppose que le Nord
et le Sud gardent respectivement leurs gouvernements actuels et se
réservent chacun à part l’exercice des compétences en matière de
politique extérieure et de défense. A la deuxième étape, un
gouvernement confédéral exercerait les compétences en matière de
politique extérieure et de défense, tandis que des gouvernements
locaux du Nord et du Sud s’occuperaient des affaires intérieures. La
troisième étape serait celle d’une unification complète selon le
principe: «une nation, un Etat et un gouvernement». La première
étape est, par nature, identique à la «thèse de deux Etats» de Taïwan.
Et 1’«unification» n’interviendrait qu’à la troisième étape. On en
vient alors à s’interroger quand cet événement se produira
effectivement. En définitive, il est difficile de considérer que ce
projet envisage la réunification.
265
A l’opposé, la réunification par fédération préconisée par la
Corée du Nord considère comme la réunification du pays la
création, selon la formule: «une nation, un Etat, deux régimes et
deux gouvernements», d’un Etat fédéral qui serait neutre. C’est-àdire qu’un Etat unifié naîtrait quand il y aurait «un pays, deux
régimes et deux gouvernements régionaux». Projet qui peut devenir
réalité dès que le facteur principal de la persistance de la division
sera éliminé. Là est le caractère réaliste et rationnel de l’initiative
de réunification par fédération, programme concret qui inspire des
espoirs à une nation qui endure depuis plus d’un demi-siècle le
martyre de la division. La «réunification n’est pas à laisser au
soin de nos successeurs», c’est plutôt une question d’actualité et
nous devons léguer à la génération suivante un Etat unifié.
Voici une référence fournie à cet égard par la Chine. En
décembre 1999, au bout de 442 ans, Macao est retourné à la Chine,
après Hong Kong. Cela marque la fin de la domination (coloniale) de
l’Europe et des Etats-Unis sur l’Asie.
Macao, de même que Hong Kong, maintiendra pendant 50 ans
une haute autonomie, excepté dans les domaines des affaires
extérieures et de la défense, en vertu du principe: «un pays et deux
régimes». Le retour de Hong Kong et de Macao, leur haute
autonomie et leur développement économique continu démontrent à
l’évidence la pertinence de la politique chinoise: «un pays et deux
régimes». Lors de la cérémonie de rétrocession de Macao, le
président Jiang Zemin a souligné que c’était «un modèle pour
résoudre définitivement le problème de Taïwan».
Il est important à cet égard de remarquer que les Etats-Unis ont
soutenu le système fédéral dit «un pays et deux régimes», préconisé
par le Chine. Pour sa part, la Corée du Nord l’a salué, en signalant
que «le retour de Macao à la Chine après Hong Kong selon le
principe: "un pays et deux régimes" a confirmé clairement la
pertinence et le réalisme de notre projet de réunification par
fédération» (Rodong Sinmun, le 20 décembre 1999). Cela fait sous266
entendre que les Etats-Unis doivent soutenir également le principe:
«un pays et deux régimes» dans la péninsule coréenne.
L’amélioration radicale des relations entre les Etats-Unis,
principal facteur de la persistance de la division, et la Corée du Nord,
force déterminante de la réunification, convertira réunification par
fédération en possibilité réelle. Rien ne pourra plus empêcher les
Etats-Unis, après l’établissement de relations diplomatiques avec la
Corée du Nord, de soutenir le projet: «un pays et deux régimes»,
pour la Corée, eux qui l’ont fait sans réserve pour la Chine. S’ils ne
le font pas, leurs relations avec la Corée du Nord risquent de
retourner au point de départ. Ils seront obligés de le faire.
En conclusion, la thèse de l’actuel chef de l’exécutif sudcoréen: «un pays et deux gouvernements indépendants» ne peut
qu’aggraver l’antagonisme entre le Nord et le Sud et qu’empêcher
leur coexistence pacifique. Il faut mettre en œuvre le principe: «un
pays et deux gouvernements autonomes régionaux» à condition que
chacune des deux parties reconnaisse le régime de l’autre si l’on
veut que la paix et la stabilité régnent dans la péninsule coréenne et
que le Nord et le Sud coexistent et coprospèrent.
Remarque: le rétablissement de la Corée du Sud dans la
souveraineté nationale est une condition préalable à la réunification
par fédération. Si la Corée du Sud reste sous la coupe des forces
étrangères, la fédération ne sera plus qu’une chimère. Tant que cela
ne portera pas atteinte à leurs intérêts, les Etats-Unis admettront
l’idée d’instauration d’un gouvernement souverain en Corée du
Sud, dans l’optique du maintien de bonnes relations avec la future
Corée réunifiée.
Si l’actuel régime donne peu d’espoir à cet égard, tout
dépendra cependant de l’attitude qu’il prendra surtout vis-à-vis de la
«loi sur la sécurité nationale» qu’il devrait abolir aussi rapidement
que possible, cet acte étant un obstacle à la réunification combattu à
l’intérieur comme à l’extérieur.
267
La Corée du Nord aplanit les obstacles
auxiliaires à la réunification
Après avoir marqué un tournant dans ses relations avec les EtatsUnis, principal facteur de la persistance de la partition, la Corée du
Nord a entrepris d’aplanir les obstacles secondaires à la réunification.
Il s’agit, premièrement, de la poursuite, jusqu’au bout, de
l’offensive diplomatique active pour raffermir la victoire
diplomatique sur les Etats-Unis.
Quand seront établies des relations diplomatiques entre la
Corée du Nord et les Etats-Unis? Le chiffre «2003» en dit long à ce
sujet. Les Etats-Unis ont conclu un accord-cadre avec la Corée du
Nord à la lumière de la thèse de son «effondrement». Ils ont alors
consenti sans grand-peine à lui offrir des réacteurs à eau légère
jusqu’en 2003. Quelle conséquence cela peut-il avoir de promettre
une chose prévue à 10 ans plus tard à une partie adverse condamnée
à s’écrouler sous peu, se disaient-ils sans doute.
Or, la fourniture de réacteurs à eau légère sous l’égide de la
KEDO n’a fait que traîner en longueur si bien qu’il est clair
maintenant qu’il est tout à fait impossible de la réaliser dans trois
ans. Ils se sont hâtés à rédiger le Perry Report pour réviser leur
politique nord-coréenne, mais il était trop tard.
Si la promesse pour 2003 n’est pas tenue, il faudra une
compensation. Si le régime Clinton n’y parvient pas, la tâche passera
à son successeur, le régime démocrate ou républicain, pour lequel ce
sera un handicap indéniable.
Par «compensation», il faut entendre l’établissement de relations
diplomatiques et le soutien à la réunification du Nord et du Sud par
fédération. L’aide économique n’est qu’un élément secondaire. Pour
autant que «2003» est considéré comme une condition absolue, on
peut situer l’établissement de relations diplomatiques avant ce délai.
268
En d’autres termes, il ne reste que trois ans aux Etats-Unis pour user
d’atermoiements.
Jusque-là, la Corée du Nord négociera avec les Américains
pour gagner ce qu’elle peut ainsi et tentera de réunir les meilleures
conditions pour la réunification par fédération.
Deuxièmement, il s’agit de promouvoir des relations avec les
autres pays occidentaux.
A la fin de l’an dernier, la Corée du Nord et le Japon sont
convenus de reprendre les pourparlers sur la normalisation de leurs
relations. On suppose l’amélioration de ces relations extrêmement
difficile et demandant beaucoup de temps du fait de la question de
haute importance qu’est le règlement du passé.
Toujours est-il que la poursuite du dialogue avec le Japon aidera
à la sécurité d’Asie du Nord-Est et contribuera à aplanir les
obstacles secondaires à la réunification par fédération. Que le Japon
désire le dialogue et l’amitié, la Corée du Nord ne peut qu’y
applaudir.
D’autre part, depuis quelque temps, la Corée du Nord a multiplié
les contacts avec les pays occidentaux, notamment ceux avec les
pays membres de l’Union européenne. Au début de cette année, on
a annoncé la normalisation des relations entre la Corée du Nord et
l’Italie, le premier des pays membres du G7 à y parvenir.
L’événement exerce une influence politique considérable sur les
Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon. Cela a fait échouer leur
projet d’«introduire dans la communauté internationale la Corée du
Nord, pays "paria", pour assurer la sécurité d’Asie du Nord-Est».
La Corée du Nord ne voudrait-elle pas améliorer ses relations
avec les pays membres du G7 afin d’affaiblir l’étau formé par les
Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, voire de les encercler à son
tour? Quoi qu’il en soit, il va sans dire que l’établissement de
relations diplomatiques avec l’Italie contribuera à la promotion des
rapports RPDC-USA.
En se liant avec l’Italie, la Corée du Nord a porté sa performance
à 135 pays, réduisant la distance qu’elle avait par rapport à la Corée
269
du Sud (183 pays). Il est très probable qu’elle établisse dans un
proche avenir des relations diplomatiques avec l’Australie et les
Philippines. On annonce par ailleurs qu’une délégation du ministère
des Affaires étrangères de France visiterait la Corée du Nord en
février prochain.
Le rapprochement des pays d’Europe promet beaucoup du
point de vue économique aussi. Il y a peu de temps, le groupe Fiat,
grande entreprise de fabrication d’automobiles d’Italie, a annoncé
qu’il construirait en Corée du Nord une usine de montage d’une
capacité annuelle de 10 000 unités, en recourant à la production de
licence de «Tempura», station wagon, à bas prix (mode de production
supposant l’importation et le montage des pièces sur place). Le plan
de développement adopté entre Pyonghwa Motor Company de Corée
du Sud et la société de cogestion nord-coréenne prévoit d’inaugurer
cette production en juin 2001 avec un montant d’investissement de
300 millions de dollars. Les produits seraient exportés vers la Russie et
l’Asie du Sud-Est. C’est la preuve que rétablissement de relations
diplomatiques se répercute sur les relations économiques. Sans doute
que les rapports politiques et économiques nord-coréo-américains
suivront cet exemple.
Le récent rapprochement entre la Corée du Nord et l’Italie
montre un aspect de la politique extérieure de Kim Jong Il, qui tente
d’établir de nouvelles relations avec l’Occident, tout en resserrant les
liens noués avec les pays non-alignés, afin de créer un cadre
favorable à la réunification sans s’arrêter aux profits économiques et
politiques que cela peut apporter.
Troisièmement, il s’agit de redynamiser l’économie nordcoréenne.
Depuis le milieu des années 1990, pour plusieurs raisons,
l’économie socialiste nord-coréenne a stagné,, accompagnée
d’une grave crise alimentaire. C’est à cela que tient, en grande
partie, la thèse de 1’«effondrement de la Corée du Nord» qui a
circulé aux Etats-Unis, en Corée du Sud et au Japon. Néanmoins,
grâce à sa solide unité politique et à sa fermeté de volonté, la
270
Corée du Nord a su inaugurer une relance économique il y a
deux ans.
Selon son projet d’édifier une grande puissance prospère,
Kim Jong Il consacre de gros efforts aux affaires militaires de même
qu’à l’économie. Il envisage ainsi la réunification par fédération, il y
eut un temps où l’on a parlé, en Corée du Sud, de «frais d’unification», ce
qui perd tout son sens dans le cadre de la réunification par fédération.
Cependant, le principe: «un pays et deux régimes» suppose, pour la Corée
du Nord, la consolidation et la reprise de son économie socialiste
indépendante. Car la réunification par fédération serait difficile quand
les rapports entre le Nord et le Sud sont inégaux.
Comme mentionné ci-dessus, la Corée du Nord tente de
supprimer peu à peu les obstacles secondaires à la réunification par
fédération qu’elle envisage de réaliser dans un proche avenir. Cela
donne d’ores et déjà des résultats concrets, faisant espérer que la
réunification sera bientôt à l’ordre du jour. La nation coréenne
mettra un terme à sa division et vivra, unifiée, au siècle prochain.
271
DOCUMENTS DE REFERENCE
L’ACCORD SUR LA RECONCILIATION, LA NON-AGRESSION, LA
COLLABORATION ET LES ECHANGES ENTRE
LE NORD ET LE SUD
(Signé à Séoul le 13 décembre 1991 par Yon Hyong Muk,
premier ministre et chef de la délégation du Nord,
et par Jong Won Sik, premier ministre et
chef de la délégation du Sud.)
Selon la volonté unanime de la nation coréenne tout entière
aspirant à la réunification pacifique de la patrie, réaffirmant les
Trois principes à respecter en matière de réunification formulés
dans la Déclaration conjointe Nord-Sud du 4 Juillet et s’engageant à
mettre fin à l’état de confrontation politique et militaire au profit de
la réconciliation, à s’abstenir de toute attaque et de tout conflit
armés pour la détente et la paix, à effectuer coopération et
échanges dans divers domaines en vue de promouvoir les intérêts
communs et la prospérité de la nation, à œuvrer conjointement
pour réunifier le pays pacifiquement tout en considérant les rapports
actuels des deux parties comme des relations spéciales et provisoires
avant la réunification, et non comme des relations d’Etat à Etat, le
Nord et le Sud sont convenus de ce qui suit.
Chapitre I. La réconciliation entre le Nord et le Sud
Article 1. Le Nord et le Sud reconnaîtront et respecteront le régime
l’un de l’autre.
Article 2. Le Nord et le Sud s’abstiendront d’intervenir dans
les affaires intérieures l’un de l’autre.
Article 3. Le Nord et le Sud s’abstiendront de se critiquer et
de s’attaquer l’un l’autre.
272
Article 4. Le Nord et le Sud s’abstiendront de tout acte de
sabotage et de subversion l’un contre l’autre.
Article 5. Le Nord et le Sud travailleront ensemble à
transformer l’actuel armistice en paix durable et respecteront
l’actuel Accord d’armistice militaire avant l’instauration de la
paix.
Article 6. Le Nord et le Sud ne se livreront pas à la
confrontation et à la compétition entre eux sur la scène
internationale et coopéreront pour assurer la dignité et les intérêts
de la nation.
Article 7. Le Nord et le Sud établiront un office de liaison
Nord-Sud à Phanmunjom dans les trois mois qui suivront la mise
en vigueur du présent accord, pour faciliter une liaison étroite et la
discussion entre eux.
Article 8. Le Nord et le Sud constitueront une souscommission politique Nord-Sud, dans le cadre des présents
pourparlers, dans le mois qui suivra l’entrée en vigueur du présent
accord, pour élaborer les mesures concrètes à prendre afin de
respecter et de réaliser les clauses concernant la réconciliation
Nord-Sud.
Chapitre II. La non-agression entre le Nord et le Sud
Article 9. Le Nord et le Sud ne recourront pas à la force armée
l’un contre l’autre ni ne s’attaqueront manu militari.
Article 10. Le Nord et le Sud régleront les divergences et les
problèmes litigieux par la voie pacifique, par dialogue et
négociations.
Article 11. Le Nord et le Sud adopteront comme ligne de
démarcation et zones inviolables la ligne de démarcation militaire
établie aux termes de l’Accord d’armistice militaire en date du 27
juillet 1953 et les zones contrôlées actuellement par les deux parties.
Article 12. Le Nord et le Sud constitueront, pour la nonagression, une commission militaire conjointe Nord-Sud dans les
trois mois qui suivront la mise en vigueur du présent accord. La
273
commission discutera et réglera les problèmes relatifs à l’établissement
de la confiance dans le domaine militaire et au désarmement,
notamment la communication et le contrôle des déplacements et des
manœuvres d’importantes troupes militaires, l’utilisation de la zone
démilitarisée à des fins pacifiques, les visites mutuelles de personnes
et les échanges d’informations, le désarmement par étapes, à
commencer par le démantèlement des armes de destruction massive et
la réduction du potentiel d’attaque, et leur vérification.
Article 13. Le Nord et le Sud installeront une ligne téléphonique
directe entre leurs autorités militaires afin de prévenir tout conflit
armé et son extension.
Article 14. Le Nord et le Sud organiseront, dans le mois qui
suivra la mise en vigueur du présent accord et dans le cadre des
présents pourparlers, une sous-commission militaire conjointe NordSud pour discuter des mesures concrètes à prendre pour respecter et
exécuter l’accord sur la non-agression et dissiper l’état de
confrontation militaire.
Chapitre III. La coopération et les échanges entre le Nord et le Sud
Article 15. Le Nord et le Sud procéderont à la coopération et à
des échanges dans le domaine économique, notamment l’exploitation
commune de richesses naturelles, l’échange de marchandises, les
investissements mixtes, etc., en vue de réaliser un développement
unifié et équilibré de l’économie nationale et de contribuer à
l’amélioration du bien-être de la nation tout entière.
Article 16. Le Nord et le Sud effectueront coopération et
échanges dans divers autres domaines, tels que les sciences, la
technologie, l’éducation, la littérature, l’art, la santé publique, les
sports, l’environnement, les médias (la presse écrite et audiovisuelle),
etc.
Article 17. Le Nord et le Sud permettront une circulation et
des contacts libres des membres de la nation.
Article 18. Le Nord et le Sud prendront des mesures
destinées à résoudre les problèmes humanitaires, à savoir
274
correspondances, voyages, visites et rencontres libres entre proches
parents séparés, reconstitutions familiales selon leur libre volonté, etc.
Article 19. Le Nord et le Sud relieront les lignes de chemin de
fer et les routes coupées et ouvriront des voies de navigation et des
lignes aériennes.
Article 20. Le Nord et le Sud relieront les installations des
P.T.T. ou en établiront de nouvelles et assureront la confidentialité de
la correspondance et des communications télégraphiques.
Article 21. Le Nord et le Sud coopéreront dans divers
domaines, notamment économique et culturel, et se présenteront
conjointement sur la scène internationale.
Article 22. Le Nord et le Sud constitueront, dans les trois mois
qui suivront l’entrée en vigueur du présent accord, des commissions
conjointes sectorielles, dont la commission conjointe de coopération
et d’échanges économiques, pour exécuter l’accord sur la
coopération et les échanges dans divers domaines, notamment
économique et culturel.
Article 23. Le Nord et le Sud constitueront, dans le mois qui
suivra l’entrée en vigueur du présent accord et dans le cadre des
présents pourparlers, une sous-commission conjointe de coopération et
d’échanges pour discuter des mesures précises à prendre pour respecter
et exécuter l’accord sur la coopération et les échanges.
Chapitre IV. Amendement et mise en vigueur
Article 24. Le présent accord peut être amendé et remanié sur
l’approbation des deux parties.
Article 25. Le présent accord entrera en vigueur à partir du
jour où les deux parties en auront échangé un exemplaire, après
avoir suivi la procédure requise.
Le 13 décembre 1991
275
DECLARATION CONJOINTE SUR LA DENUCLEARISATION
DE LA PENINSULE COREENNE
(Signée à Phanmunjom, le 20 janvier 1992, par les
premiers ministres du Nord et du Sud.)
Désireux de dénucléariser la péninsule coréenne pour en
écarter le danger de guerre nucléaire, créer un climat et des
conditions favorables à la paix et à la réunification pacifique du pays
et contribuer à la paix et à la sécurité en Asie et dans le reste du
monde, le Nord et le Sud déclarent ce qui suit:
1. Le Nord et le Sud s’abstiendront de tout essai, de
construction, de production, d’acquisition, de possession, de
stockage, de déploiement et d’utilisation d’armes nucléaires.
2. Le Nord et le Sud n’exploiteront l’énergie nucléaire qu’à
des fins pacifiques.
3. Le Nord et le Sud ne disposeront pas d’installations de
retraitement de matières nucléaires et d’enrichissement de l’uranium.
4. Le Nord et le Sud inspecteront, pour vérifier l’état de
dénucléarisation de la péninsule coréenne, les sites d’une partie
selon le choix fait par l’autre et approuvé par les deux, suivant la
procédure et la méthode établies par la commission conjointe
de contrôle nucléaire.
5. Le Nord et le Sud constitueront, dans le mois qui suivra la
publication de la présente Déclaration conjointe, une commission
conjointe de contrôle nucléaire pour l’exécuter.
6. La présente Déclaration entrera en vigueur à partir du jour
où les deux parties en auront échangé un exemplaire, après avoir
suivi la procédure requise.
Le 20 janvier 1992
276
DECLARATION CONJOINTE RPDC-USA
(Adoptée lors des premiers pourparlers RPDC-USA
et publiée le 11 juin 1993 à New York.)
Des pourparlers au niveau gouvernemental ont eu lieu du 2 au 11
juin 1993 à New York, y ont participé la délégation du gouvernement de la
RPDC conduite par Kang Sok Ju, premier vice-ministre des Affaires
étrangères, et celle du gouvernement des USA conduite par Robert L.
Gallucci, assistant au secrétaire d’Etat.
La RPDC et les USA ont discuté, au cours des présents pour
parlers, des problèmes politiques posés par la solution
fondamentale du problème nucléaire dans la péninsule coréenne et
ont exprimé leur soutien à la Déclaration conjointe Nord-Sud sur
la dénucléarisation de la péninsule coréenne conformément à
l’objectif de la non-prolifération des armes nucléaires.
La RPDC et les USA sont convenus des principes suivants:
—De ne pas employer la force, y compris les armes nucléaires,
et de ne pas l’utiliser comme menace;
—D’assurer la dénucléarisation, la paix et la sécurité dans la
péninsule coréenne, ainsi que l’équité dans l’application de l’ensemble
des garanties, de respecter mutuellement leur souveraineté et de ne
jamais s’ingérer dans les affaires intérieures l’une des autres;
—De soutenir la réunification pacifique de la Corée.
Suivant ces principes, les gouvernements des deux pays sont
convenus de poursuivre les pourparlers sur un pied d’égalité et avec
équité.
Partant, le gouvernement de la RPDC a décidé unilatéralement
de suspendre provisoirement, pour un temps considéré nécessaire,
la validité de sa décision de retrait du TNP.
Le 11 juin 1993, à New York
277
COMMUNIQUE SUR LES POURPARLERS RPDC-USA
(Adopté lors des deuxièmes pourparlers RPDC-USA et publié par chacune des
deux parties le 19 juillet 1993 à Genève.)
Communiqué de la délégation de la RPDC
Du 14 au 19 juillet 1993 à Genève, la délégation de la
RPDC et celle des USA ont procédé aux deuxièmes pourparlers
destinés à résoudre le problème nucléaire.
Les deux parties ont réaffirmé les principes formulés dans
la Déclaration conjointe RPDC-USA du 11 juin 1993.
Les USA ont renouvelé en particulier leur engagement à
respecter le principe de ne pas employer la force, dont les armes
nucléaires, et de ne pas s’en servir comme menace.
Les deux parties ont estimé souhaitable que la RPDC
remplace ses réacteurs à filière graphite actuels et les
installations nucléaires annexes par des réacteurs à eau légère.
Les USA soutiennent l’introduction de réacteurs à eau
légère par la RPDC en la supposant réalisable comme un
maillon de la solution définitive du problème nucléaire et se
sont déclarés prêts à rechercher, conjointement avec la RPDC, le
moyen d’y parvenir.
Les deux parties se sont accordées à juger indispensable
l’application parfaite et équitable de la garantie de l’AIEA pour
le renforcement du système international de non-prolifération
des armes nucléaires.
Partant, la RPDC s’est déclarée disposée à entamer dans
le délai le plus court possible des négociations avec l’AIEA pour
discuter de la garantie et autres problèmes pressants.
278
La RPDC et les USA ont réaffirmé l’importance de
l’application de la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la
dénucléarisation de la péninsule coréenne.
La RPDC s’est déclarée, une fois de plus, prête à engager le
dialogue Nord-Sud le plus tôt possible pour discuter des problèmes existant entre le Nord et le Sud, en particulier du
problème nucléaire.
La RPDC et les USA sont convenus de reprendre les
pourparlers avant deux mois pour discuter des problèmes
pressants posés par le règlement du problème nucléaire, y
compris des problèmes techniques de l’introduction de réacteurs
à eau légère, et pour jeter les bases de l’amélioration des
relations d’ensemble entre eux.
Le 19 juillet 1993, à Genève
DECLARATION SUR L’ACCORD ENTRE LA RPDC ET LES USA
(Adoptée au premier tour des troisièmes pourparlers
RPDC-USA et publiée le 12 août 1994 à Genève.)
Du 5 au 12 août 1994 à Genève, les délégations de la RPDC
et des USA ont repris les troisièmes pourparlers.
Les deux parties ont réaffirmé les principes formulés dans
la Déclaration conjointe RPDC-USA du 11 juin 1993 et se sont
accordées à estimer que les points suivants constituent un
maillon de la solution définitive du problème nucléaire.
1. La RPDC s’est déclarée disposée à remplacer ses
réacteurs à filière graphite et les installations annexes par des
réacteurs à eau légère, et les USA ont décidé de fournir à la
RPDC, dans le délai le plus court possible, des réacteurs à eau
279
légère d’une puissance totale de 2 millions de kW et de lui
fournir, pendant leur construction, du combustible en
compensation de la perte d’énergie causée par ce remplacement.
La RPDC, dès qu’elle aura reçu des USA la garantie de la
fourniture de réacteurs à eau légère et du combustible en
compensation de la perte d’énergie, gèlera la construction de ses
réacteurs à filière graphite respectivement d’une puissance de 50
000 et de 200 000 kW, renoncera à retraiter le combustible usé et
scellera son laboratoire radiochimique pour le mettre ensuite sous la
surveillance de l’AIEA.
2. La RPDC et les USA sont convenus d’établir chacun des
représentations diplomatiques dans la capitale de l’autre partie
comme une mesure destinée à la normalisation complète de leurs
relations politiques et économiques et d’adoucir la barrière en matière
de commerce et d’investissement.
3. Dans le but de dénucléariser la péninsule coréenne et d’y
assurer la paix et la sécurité, les USA se sont déclarés prêts à
s’engager à ne pas employer les armes nucléaires contre la RPDC et à
ne pas la menacer avec, et la RPDC a exprimé sa volonté
invariable d’appliquer la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la
dénucléarisation de la péninsule coréenne.
4. La RPDC s’est déclarée disposée à rester Etat membre du
TNP et à respecter l’accord de garanties établi par le TNP.
Cependant, il reste des problèmes importants à résoudre parmi
ceux qui ont été abordés au cours des présents pourparlers.
Les deux parties se sont accordées à estimer nécessaires des
négociations entre experts pour le remplacement de réacteurs à filière
graphite de la RPDC par des réacteurs à eau légère, la conservation
en sûreté et la liquidation du combustible usé, la livraison de
combustible en compensation de la perte d’énergie et l’établissement
des offices de liaison.
Les négociations entre experts se tiendront en RPDC, aux
USA ou ailleurs selon l’accord des deux parties.
280
La RPDC et les USA sont convenus de suspendre les présents
pourparlers pour les reprendre le 23 septembre 1994 à Genève.
Dans ce délai, les USA prendront des mesures destinées à offrir à
la RPDC la garantie de la fourniture de réacteurs à eau légère comme
un maillon de la solution définitive du problème nucléaire, et la
RPDC maintiendra le gel de ses activités nucléaires et assurera la
continuité de l’accord de garanties, comme convenu dans les
messages échangés le 20 et le 22 juin 1994 entre Kang Sok Ju,
premier vice-ministre des Affaires étrangères de la RPDC, et Robert
L. Gallucci, assistant au secrétaire d’Etat américain.
Le 12 août 1994, à Genève
ACCORD-CADRE RPDC-USA
(Accord final conclu entre la RPDC et les USA à
l’issue des troisièmes pourparlers et publié
le 21 octobre 1994, à Genève.)
La délégation gouvernementale de la RPDC et celle des USA ont
tenu des pourparlers du 23 septembre au 21 octobre 1994 à Genève,
pour décider de la solution globale du problème nucléaire dans la
péninsule coréenne.
Les deux parties ont réaffirmé l’importance que revêtent la
réalisation des objectifs précisés dans la Déclaration sur l’accord
RPDC-USA du 12 août 1994 et le maintien des principes formulés
dans la Déclaration conjointe RPDC-USA du 11 juin 1993 afin de
dénucléariser la péninsule coréenne et d’y assurer la paix et la
sécurité.
La RPDC et les USA sont convenus d’entreprendre, pour
résoudre le problème nucléaire, les actions suivantes.
281
1. Les deux parties coopéreront à remplacer les réacteurs à filière
graphite de la RPDC et les installations annexes par des réacteurs à
eau légère.
1). Les USA prendront sous leur propre responsabilité, comme
indiqué dans la lettre de garantie du président américain en date du
20 octobre 1994, les mesures nécessaires pour livrer avant la fin de
2003 à la RPDC des réacteurs à eau légère d’une puissance totale de 2
millions de kW.
—Les USA organiseront un consortium international sous leur
conduite, chargé de fournir les fonds et les installations
nécessaires au projet de réacteurs à eau légère destinés à la RPDC.
Représentant ce consortium, ils constitueront le partenaire
principal de la RPDC dans la fourniture de réacteurs à eau légère.
—Les USA feront tout ce qui est en leur pouvoir pour
conclure, au nom du consortium, un contrat de fourniture de réacteurs
à eau légère avec la RPDC dans les six mois qui suivront la signature
du présent accord-cadre. Les négociations pour la conclusion dudit
contrat s’engageront au plus tôt après la signature de cet accordcadre.
—La RPDC et les USA concluront, si nécessaire, un accord de
coopération bilatérale dans le domaine de l’utilisation pacifique de
l’énergie nucléaire.
2). Les USA prendront, comme indiqué dans la lettre de
garantie du 20 octobre 1994 du président américain, au nom du
consortium, les mesures nécessaires pour dédommager, jusqu’à
l’achèvement du premier des réacteurs à eau légère prévus, la
RPDC de la perte d’énergie causée par le gel de ses réacteurs à
filière graphite et des installations annexes.
—L’énergie fournie sera constituée par l’huile lourde servant à
produire de la chaleur ou de l’électricité.
—La livraison de l’huile lourde commencera dans les trois
mois qui suivront la signature du présent accord-cadre, et la
quantité de livraison sera annuellement de l’ordre de 500 000
tonnes selon le plan convenu.
282
3). Sitôt après que la RPDC aura reçu des USA la garantie de
la fourniture de réacteurs à eau légère et d’énergie de
remplacement, elle gèlera ses réacteurs à filière graphite et les
installations annexes et, finalement, les démantèlera.
—La RPDC gèlera complètement ses réacteurs à filière
graphite et les installations annexes dans le mois qui suivra la
signature du présent accord-cadre. Au cours de ce mois et ensuite,
la RPDC permettra à l’AIEA de surveiller l’état du gel et lui
accordera, à cet effet, un concours suffisant.
—Quand le projet de réacteurs à eau légère se sera
parfaitement réalisé, la RPDC démontera complètement ses
réacteurs à filière graphite et les installations annexes.
—Au cours de la réalisation du projet de réacteurs à eau
légère, la RPDC et les USA coopéreront à élaborer des moyens
de conserver en sûreté le combustible usé du réacteur
expérimental de 5 MW et de le liquider en sûreté sans le retraiter
en RPDC.
4). Après la signature du présent accord-cadre, la RPDC et les USA
procéderont au plus tôt à deux séries de négociations entre experts.
—Une série de négociations porteront sur les problèmes
concernant la livraison de l’énergie de remplacement et le
remplacement de réacteurs à filière graphite par des réacteurs à eau
légère.
—L’autre série de négociations porteront sur les mesures
concrètes à prendre pour l’emmagasinage et la liquidation finale
du combustible usé.
2. Les deux parties s’orienteront vers la normalisation
complète de leurs relations politiques et économiques.
1). Dans les trois mois qui suivront la signature du présent
accord-cadre, les deux parties adouciront les barrières existant en
matière de commerce et d’investissements et procéderont à la
levée des mesures de restriction sur les communications et sur le
règlement des comptes bancaires.
283
2). Chacune des deux parties établira un office de liaison dans
la capitale de l’autre partie au fur et à mesure que le problème
consulaire et autres problèmes techniques seront résolus dans les
négociations entre experts.
3). Au fur et à mesure des progrès réalisés dans la solution des
problèmes d’intérêt commun, la RPDC et les USA porteront leurs
relations au rang d’ambassadeurs.
3. Les deux parties œuvreront ensemble à la dénucléarisation,
à la paix et à la sécurité dans la péninsule coréenne.
1). Les USA donnent à la RPDC la garantie formelle de ne pas
employer les armes nucléaires contre elle et de ne pas en user pour
la menacer.
2). La RPDC prendra, faisant preuve d’esprit de suite, des
mesures pour appliquer la Déclaration conjointe Nord-Sud sur la
dénucléarisation de la péninsule coréenne.
3). La RPDC engagera le dialogue Nord-Sud au fur et à mesure
que le présent accord-cadre aura créé un climat favorable à un tel
dialogue.
4. Les deux parties œuvreront en commun pour consolider le
système international de non-prolifération des armes nucléaires.
1). La RPDC accepte de rester membre du TNP et d’appliquer
l’accord de garanties qu’il comporte.
2). Suite à la conclusion du contrat de fourniture de réacteurs à
eau légère, les inspections régulières et non régulières sur les
installations non gelées reprendront suivant l’accord de garanties
conclu entre la RPDC et l’AIEA. Avant la conclusion dudit
contrat, l’AIEA continuera ses inspections sur lesdites
installations pour assurer la continuité de la garantie.
3). Après la réalisation d’une bonne partie du projet de
réacteurs à eau légère et avant la livraison des principaux
composants des réacteurs, la RPDC négociera avec l’AIEA au
sujet de la vérification de l’exactitude et de l’intégralité de son
rapport initial sur ses matières nucléaires et, sur ce, appliquera
284
entièrement l’accord de garanties (INFCIRC 403), y compris la
prise de toutes les mesures estimées nécessaires par l’Agence.
Kang Sok Ju,
premier vice-ministre des
affaires étrangères de la
RPDC, chef de la
délégation
Robert L. Gallucci,
ambassadeur itinérant
des USA, chef de la
délégation des USA
Le 21 octobre 1994, à Genève
COMMUNIQUE CONJOINT RPDC-USA
(Un accord sur la fourniture de réacteurs à eau légère a
été publié le 3 juin 1995 à Kuala Lumpur. Il sert de
base à l’accord sur la fourniture de réacteurs
à eau légère conclu le 15 décembre entre
la RPDC et la KEDO.)
La délégation de la RPDC et celle des USA ont négocié, du 19
mai au 12 juin 1995 à Kuala Lumpur, au sujet de l’application de
l’accord-cadre RPDC-USA du 21 octobre 1994.
Les deux parties ont réaffirmé leur engagement politique à
réaliser l’accord-cadre RPDC-USA, et, surtout, pour promouvoir,
conformément audit accord, le projet de réacteurs à eau légère, ont
décidé ce qui suit:
I
Les USA ont réaffirmé la validité de la lettre de garantie du
président américain en date du 20 octobre 1994, concernant la
285
fourniture de réacteurs à eau légère et la livraison d’énergie de
remplacement.
L’Organisation pour le développement de l’énergie dans la
péninsule coréenne (la KEDO) sous la conduite des Etats-Unis
fournira les fonds et les installations nécessaires au projet de
réacteurs à eau légère destinés à la RPDC aux termes de l’accordcadre conclu.
Les USA seront, comme indiqué dans l’accord-cadre, le
partenaire principal de la RPDC dans la fourniture de
réacteurs à eau légère. Aussi, pour qu’ils soient en mesure
de jouer le rôle de partenaire principal, des citoyens des USA
conduiront les délégations et les groupes d’experts de la
KEDO.
II
Le projet de réacteurs à eau légère sera constitué de deux
réacteurs à eau légère sous pression d’une puissance d’un million de
kW, pourvus de deux circuits de refroidissement en forme de
mailles.
Le type de réacteur choisi par la KEDO est un type rénové
d’après les plans et la technologie américains actuellement en service
dans la production.
III
Le Comité des affaires économiques extérieures, représentant
de la RPDC, et la KEDO concluront au plus tôt un accord sur la
fourniture, clés en main, de réacteurs à eau légère. A la lumière du
présent communiqué, la RPDC discutera, dans le délai le plus
court possible, avec la KEDO des problèmes restés en suspens
dans l’accord sur la fourniture de réacteurs à eau légère.
La KEDO procédera à l’étude du terrain pour déterminer le
coût de la construction et de la mise en service des réacteurs à eau
286
légère. Le coût de l’étude et de la mise en ordre de
l’emplacement relèvera du cadre de la fourniture de réacteurs à
eau légère.
La KEDO choisira les principales parties contractantes qui
devront réaliser le projet de réacteurs à eau légère.
Une compagnie américaine veillera, pour aider la KEDO, en tant
que coordinateur du programme, à l’ensemble de la réalisation du
projet de réacteurs à eau légère, et c’est la KEDO qui désignera ce
coordinateur du programme.
Une compagnie de la RPDC participera à l’organisation de la
mise à exécution du projet de réacteurs à eau légère.
IV
Les deux parties sont convenues de prendre les mesures
suivantes, pour appliquer l’accord-cadre, outre le projet de réacteurs
à eau légère.
Les experts des deux parties négocieront au plus tôt au courant du
mois de juin en RPDC pour déterminer, aux termes de l’accordcadre, le calendrier de la livraison d’huile lourde et les mesures de
coopération à prendre à cette fin.
La KEDO prendra immédiatement les mesures nécessaires pour
effectuer la première livraison d’huile lourde dès que ce calendrier et
ces mesures auront été décidés.
Le «procès-verbal des négociations entre les experts de la
RPDC et des USA» du 20 janvier 1995 au sujet de la conservation en
sûreté du combustible nucléaire usé sera mis à exécution au plus
vite.
Une délégation d’experts des USA visitera la RPDC à ces fins, au
plus tôt, au courant du mois de juin et procédera au travail requis.
Le 13 juin 1995, à Kuala Lumpur
287
NOTE DE LA REDACTION
C’est en février dernier que l’auteur a écrit la préface et le
Chapitre IV pour l’édition en langues étrangères de ce livre. La
traduction a pris quelques mois encore.
Cette période a été témoin de la pertinence de l’analyse faite
par l’auteur des événements. On peut citer en exemples typiques
la rencontre et les entretiens au sommet Nord-Sud, premiers du
genre depuis la division de la Corée, ainsi que l’adoption d’une
déclaration commune Nord-Sud.
La rédaction des Editions en langues étrangères laisse au
lecteur le soin d’apprécier l’évolution de la situation, tout en
jugeant nécessaire de reproduire, pour l’aider dans cette tâche, le
texte intégral de la Déclaration commune Nord-Sud à titre de
référence.
DECLARATION COMMUNE NORD-SUD
Conformément à la noble volonté de tous les Coréens aspirant
à la réunification pacifique de la patrie, Kim Jong Il, Président du
Comité de la défense nationale de la RPD de Corée, et Kim Dae
Jung, Président de la République de Corée, ont eu à Pyongyang, du
13 au 15 juin 2000, une rencontre historique et des pourparlers au
niveau suprême.
Estimant que cette rencontre et ces pourparlers, premiers du
genre depuis la division de la nation, sont d’une importance faisant date pour promouvoir la compréhension mutuelle,
développer les rapports Nord-Sud et réaliser une réunification
288
pacifique, les dirigeants suprêmes du Nord et du Sud déclarent
ce qui suit:
1. Le Nord et le Sud ont décidé de résoudre en toute indépendance
le problème de la réunification du pays grâce à l’union de notre nation
qui en est responsable.
2. Ils ont reconnu qu’il y a des points communs entre le projet de
fédération dans son étape inférieure présenté par le premier et le projet de
communauté avancé par le second et décidé d’orienter dans ce sens la
réunification.
3. Ils ont décidé, à l’occasion du 15 août prochain, d’échanger des
groupes de visite de familles et de proches dispersés et de régler au plus
tôt l’affaire des anciens prisonniers non convertis et autres problèmes
humanitaires.
4. Ils sont convenus de développer de façon équilibrée l’économie
nationale par la coopération économique et de promouvoir la
collaboration et les échanges dans différents domaines, notamment social,
culturel, sportif, sanitaire et environnemental, en vue d’approfondir la
confiance mutuelle.
5. Pour appliquer dans les meilleurs délais ces points d’accord, ils ont
décidé d’ouvrir au plus tôt un dialogue entre autorités.
Le Président Kim Dae Jung a invité courtoisement
Kim Jong Il, Président du Comité de la défense nationale, à effectuer une
visite à Séoul, et celui-ci a répondu qu’il le ferait à un moment opportun.
Le 15 juin 2000
Kim Jong Il
Président du CDN de la
RPD de Corée
Kim Dae Jung
Président de la République
de Corée
289