1 Intoxication par le ricin Gh. Jalal, N. Rhalem, R

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1 Intoxication par le ricin Gh. Jalal, N. Rhalem, R
Intoxication par le ricin
Gh. Jalal, N. Rhalem, R. Soulaymani
1. Cas clinique:
Mr A. A, âgé de 37 ans, sans antécédents pathologiques notables, a présenté d'une façon
brutale des douleurs épigastriques intenses. Comme remède à ses douleurs, il a acheté des
graines noirâtres chez un herboriste ambulant et en a pris une. Six heures après, il s’est
présenté aux urgences dans un tableau de déshydratation aigue suite à une gastro-entérite
sévère. Le Centre national Antipoison a été contacté pour identification de la graine. Un
échantillon du matériel végétal en question a été immédiatement réclamé et a été identifié
comme étant des graines de ricin.
2. Introduction:
De nombreuses plantes ont une valeur médicinale lorsqu'elles sont utilisées dans des
conditions strictement contrôlées, mais dans d'autres circonstances, elles peuvent être source
de troubles divers pouvant même entraîner la mort. Le cas rapporté est un exemple
d’intoxication par le ricin, utilisé dans un but thérapeutique.
3. Description :
Le Ricin ou Ricinus communis L. est une euphorbiacée originaire d'Afrique tropicale qui
s'est répandue un peu partout dans le monde, là où le climat le permet. Les feuilles, portées
par de longues tiges, sont palmilobées (5 à 12 lobes) et leur bord est denté. C’est une plante
géante à feuillage décoratif.
Les fleurs sont regroupées en grappes, tricoques hérissées de pointes (qui peuvent parfois être
absentes). Certaines variétés ornementales ont des feuilles dont la face inférieure et le pétiole
sont colorés en rouge.
Les graines comparables à des petits haricots sont luisantes et portent des marques attrayantes
de couleurs variées. Malheureusement, elles sont également appétissantes, ce qui fait que les
jeunes enfants sont le plus souvent les victimes d'empoisonnement par le ricin. C'est à partir
des graines qu'on obtient l'huile médicinale bien connue.
4. Autres dénominations :
Wriwra – Kharwa – Kran’k – Tazart ûchan
Wararû – Wrûri – wayrûrû.
L’huile de ricin étant : Zit al kharwaa en arabe ou encore appelée huile de castor, huile de
palma-christi, huile de carapal ou carapate.
5. Propriétés et usage:
L'extraction de l'huile de ricin à partir du ricin est connue depuis longtemps. Cette huile est
très utilisée contre la constipation (usage à proscrire absolument) et comme fongicide en
usage externe. Elle est utilisée largement dans l'industrie cosmétique et constitue un excellent
produit pour les cheveux, les ongles, les cils et les taches de rousseur.
L'industrie cosmétique la transforme facilement en ricinoléates émulsionnants et en esters
polyéthylènes ou autres qui, avec les dérivés de coco et de palme, forment la plus grande
partie des excipients cosmétiques (crèmes, moussants...). Son dérivé polyéthylène, le ricinion,
est également remarquable par son action solubilisante des produits gras (médicaments,
huiles essentielles) et permet de potentialiser leur action aussi bien par voie externe
qu'interne).
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On l'utilise également comme huile pour les moteurs car sa viscosité ne diminue pas à forte
température, dans l'industrie des peintures et des surfactants.
On l'emploie aussi comme solvant pour préparations injectables, mais elle mais peuvent
induire des réactions anaphylactiques graves.
Dans certains pays on a déjà signalé l'usage des graines de ricin à des fins criminelles ou
comme arme biologique. De la ricine avait déjà été produite par les Alliés durant la
deuxième guerre mondiale sous le nom de code "W" en tant que toxique de combat, mais elle
ne fut jamais utilisée.
Parfois, les graines de ricin peuvent se retrouver accidentellement mêlées à des céréales,
provoquant ainsi des intoxications.
Actuellement, les propriétés médicinales de la plante sont exploitées dans la lutte contre le
cancer.
Des chercheurs américains ont jumelé un extrait de ricin à une protéine qui se lie aux
lymphomes afin de développer une substance inoffensive pour l’homme mais mortelle pour
les cellules cancéreuses. Les premiers essais cliniques ont rencontré des problèmes importants
(endommagement des vaisseaux sanguins pulmonaires) mais la forme génétiquement
modifiée, testée sur des souris s'est ensuite révélée beaucoup moins dangereuse, et tout aussi
efficace contre le cancer.
6. Composition et mécanisme d'action:
Les graines, l'écorce et les feuilles sont toutes plus ou moins toxiques en raison de la présence
d'une lectine glycoprotéique : la ricine, formée de deux sous-unités A et B.
La sous-unité B (isoleucine) permet la fixation de la ricine sur la membrane cellulaire, tandis
que la sous-unité A (alanine) va inhiber la synthèse des protéines en se fixant sur les
ribosomes, ce qui détermine l'action toxique de la ricine au niveau cellulaire.
La concentration en ricine est maximale dans les graines qui renferment par ailleurs des
protéines, de l'eau et des lipides.
Ces graines fournissent 60% de leur poids en l'huile de ricin qui est constituée de 85% de
glycérides,
d'acide
ricinoléïque
et
contient
1%
de
vitamine
E.
L’acide ricinoléïque altère la muqueuse intestinale et provoque des pertes importantes en eau
et en électrolytes d'où son action purgative intense et irritante. C’est l’un des poisons
naturels les plus toxique.
À quantité et à concentration données, le ricin serait l'un des poisons naturels les plus
toxiques. Il empêche la synthèse des protéines plus complexes dans la paroi intestinale, ce qui
à son tour cause des dommages au niveau du système digestif.
7. Toxicocinétique :
La ricine est faiblement absorbée par voie orale, elle aurait la même distribution que
l’albumine. Son métabolisme n’est pas connu.
L’excrétion serait essentiellement fécale, l’excrétion urinaire est faible et retardée. La demie
vie plasmatique serait de l’ordre de 2 à 8 jours.
La ricine traverserait la barrière placentaire et serait excrétée dans le lait maternel. Des effets
tératogènes ont été décrits à la suite d’une intoxication par le ricin.
8. L’intoxication par le ricin
La consommation accidentelle par le bétail ou par les enfants de graines ou de produits
contenant de l'huile de ricin peut provoquer des intoxications graves nécessitant
impérativement une prise en charge hospitalière.
On considère que trois graines peuvent être fatales pour un enfant, quatre graines peuvent
déterminer une intoxication sérieuse chez l'adulte et six à huit graines pourront lui être fatales.
Ces chiffres sont cependant à nuancer, la gravité de l'intoxication dépendra de la sensibilité
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individuelle de chacun à la ricine. De plus, selon que les graines sont mastiquées ou non, la
gravité de l'intoxication ne sera pas la même.
Dans tous les cas si le diagnostic est rapide et l'intoxiqué est pris en charge à temps en milieu
hospitalier, l’issue de l’intoxication est presque toujours favorable.
8.1. Signes cliniques :
Les symptômes peuvent se manifester dans un délai de 3 à 6 heures mais, ils peuvent dans des
cas exceptionnels, être retardés de quelques jours.
On note des troubles digestifs à type de nausées, coliques violentes, parfois vomissements et
une soif intense sont observés.
Puis une diarrhée profuse et parfois sanglante va se manifester qui peut être tellement
grave que les victimes peuvent mourir d’un état de choc suite à une déshydratation par perte
massive de liquides organiques et d'électrolytes.
Lors d’intoxications sévères, des troubles neurologiques peuvent être observés:
convulsions, céphalées. Ils seraient la conséquence des troubles hydroélectrolytiques.
On peut observer aussi des troubles de rythme (allongement de QT).
Une hépatite cytolytique et un tableau d’insuffisance rénale ainsi qu’une atteinte des
glandes surrénales ont été rapportés. Leur apparition est plus tardive (2 à 5 jour après le
début de l’intoxication).
À très petites doses, le ricin provoque seulement une augmentation du péristaltisme
intestinal, d'où l'effet laxatif de l'huile de ricin.
8.2. Biologie :
Biologiquement, et selon la sévérité de l’intoxication, on observe : une hémoconcentration,
une hyponatrémie, une hypokaliémie, une hyperleucocytose, une hypoglycémie, une
élévation des enzymes hépatiques, une hyperbilirubinémie, une élévation de l’urée et de la
créatinine sanguines et une hématurie.
8.3. Dosages toxicologiques :
La ricine peut être identifiée et dosée dans le plasma et les urines par test ELISA ; elle est
détectable dans le plasma dés le premier jour et seulement après plusieurs jours seulement
dans les urines. Cependant ces tests ne sont pas de routine.
La persistance des taux élevés ainsi que l’élimination urinaire prolongée permettent de
confirmer le diagnostic même tardivement.
Le diagnostic est basé sur l’anamnèse et sur l’apparition du syndrome gastro- entérique sévère
avec, si possible, une identification de la plante et une confirmation toxicologique.
9. Traitement :
Il n’existe pas d’antidote efficace à la ricine, le traitement ne peut être que symptomatique.
Il associe:
. Le lavage gastrique précoce, suivi de l'administration du charbon activé. La posologie
préconisée est :
- Chez l'adulte: Dose initiale 50 à 100 g, puis 25 à 50 g toutes les 2 à 4 heures
-
Chez l'enfant la dose initiale est 1 à 2 g /kg, puis 0.25 à 0.5 g/ kg toutes les 2 à 4heures.
. La réhydratation avec apport hydroélectrolytique guidée par une surveillance clinique et
des ionogrammes sanguins et urinaires, répétés en fonction de l’intensité des symptômes.
10. Conclusion :
Par ignorance des risques toxiques de la plante , partout au Maroc la graine ou l’ huile de
ricin est utilisée dans un but thérapeutique, ce qui peut engendrer des intoxications plus ou
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moins graves, d’où l’intérêt de sensibilisation de la population contre l’usage irrationnel et
abusif de cette plante .
Attitude préconisée dans le cas rapporté
Ce patient n'a pas pu bénéficier d'un lavage gastrique car il a consulté tardivement ; six
heures après le début de l’intoxication.
La prise en charge thérapeutique a reposé sur la réhydratation hydro-électrolytique avec
surveillance de l'ionogramme. L’évolution a été satisfaisante .
Réferences:
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