PORTRAIT l`année vanasse - National Magazine Awards

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PORTRAIT l`année vanasse - National Magazine Awards
Portrait
L’année
Vanasse
On la verra partout en 2011.
Même dans un film de Woody
Allen ! Actrice de théâtre et de
cinéma, productrice, l’enfant
chérie des Québécois ne cesse
de se lancer des défis. Mais qu’estce qui fait courir Karine Vanasse ?
par Da n i el l e St a nto n
66
l’actualité 1er avril 2011
LAURENCE LABAT
Je
ne l’ai pas reconnue tout de suite. Cette fille souriante qui venait vers moi, était-ce bien la comédienne et productrice de Polytechnique, que j’avais
rencontrée il y a deux ans ? Crispée, tendue, elle était alors prête
à défendre bec et ongles le film au sujet tabou — la tuerie de
Polytechnique Montréal, en 1989 —, que le public et la critique
attendaient de pied ferme. « J’étais terrorisée à l’idée qu’il soit
mal reçu », admet-elle à propos de ce long métrage, unanimement
salué depuis. « Aujourd’hui, tout va bien. »
Il y a de quoi : 2011 est « l’année Vanasse ». Au Québec et en
France, au théâtre comme à l’écran, la comédienne de 27 ans sera
partout. Elle a même tourné dans le plus récent film de Woody
Allen, Midnight in Paris ! « C’est tellement incroyable, dit-elle en
riant. Pour me prouver que je n’ai pas rêvé, je dois regarder les
photos de paparazzi sur lesquelles on voit la vedette, Marion
Cotillard, au premier plan, et moi derrière, un peu floue. »
Il suffira cependant que le magnéto se mette en marche pour
que je retrouve Karine Vanasse telle qu’elle était dans mon
souvenir : une perfectionniste absolue, muette sur ses failles.
Pour causer boulot et philosopher, la jeune femme est toujours
prête. Elle parle même d’abondance. Mais tenter de l’amener
sur le terrain des angoisses ou des rendez-vous manqués ne sert
à rien. Au mieux, elle y ira d’une réponse passe-partout, comme :
« Des regrets ? J’essaie de ne pas en avoir. » Le plus souvent, elle
se défilera habilement. Chaleureuse, mais inaccessible.
Cette carapace, Dany Turcotte l’avait attaquée sans ménagement en 2006 à Tout le monde en parle. « T’as l’air d’une
femme de 40 ans. […] Tu te tiens-tu avec Andrée Lachapelle ?
[…] As-tu déjà eu une adolescence ? Des boutons, quelque
chose ? » La comédienne inoxydable était au bord des larmes.
L’apparence lisse n’est qu’illusion : Karine Vanasse est un
condensé d’émotions, de sensibilité et de fragilité. Maîtriser
son image est devenu chez elle un réflexe de survie.
Propulsée sous les projecteurs à 15 ans
par le fulgurant succès d’Emporte-moi,
en 1999, cette « fille lumière » — comme
la surnommait la réalisatrice Léa Pool
en faisant allusion à son éclat intérieur
— a vite choisi de garder sa vie privée à
l’ombre pour ne pas se faire dévorer. Ses
états d’âme, elle préfère les réserver à
ses personnages.
La comédienne a incarné Donalda la
sainte dans Séraphin : Un homme et son
péché (Charles Binamé, Jutra de la meil­
leure actrice en 2003), joué la résistante
dans Heads in the Clouds (John Duigan,
aux côtés de Charlize Theron et de Penélope Cruz, 2004), personnifié une reine
dans Marie-Antoinette (Yves Simoneau
et Francis Leclerc, 2006) et une pute
dans Ma fille, mon ange (Alexis DurandBrault, 2007). Sans parler du magistral
Polytechnique (Denis Villeneuve, 2009),
dans lequel son interprétation de
Valérie lui a valu le Génie de la meilleure
actrice.
« Fille lumière »,
la comédienne
est un condensé
de fragilité et
de sensibilité.
Mais ses états
d’âme, elle les
réserve à ses
personnages.
Absente de l’écran en 2010, elle revient en force cette année.
Au cinéma, elle lutte pour sa survie dans le suspense Angle
mort (Dominic James). Cet été, elle nous fera rire dans la
comédie French Immersion, du Montréalais Kevin Tierney,
« fan d’elle depuis toujours ». Puis, elle défendra son premier
rôle principal en anglais dans I’m Yours, du Canadien Leonard
Farlinger (All Hat, The Perfect Son), aux côtés de Rossif Sutherland. En prime, Karine Vanasse amorce une carrière cinématographique en France comme vedette principale de Switch,
un thriller de Frédéric Schoendoerffer (réalisateur de la série
télévisée Braquo) qui sortira en cours d’année, et elle s’est vu
confier un rôle dans la série américaine Pan Am.
C’est néanmoins sur la scène qu’elle a fait sa rentrée, le
8 février, au Théâtre du Rideau Vert, dans In extremis, de William
Mastrosimone. Cette pièce relate l’histoire d’un homme qui
tente de violer une femme, mais voit la situation se retourner
contre lui. De victime, cette femme, incarnée par Karine Vanasse,
deviendra bourreau. Un rôle dur. « J’ai été la plus surprise du
monde quand Karine m’a appelée l’an dernier pour me faire
part de son désir de jouer », raconte la directrice du Théâtre,
Denise Filiatrault. Exception faite de son rôle dans la comédie
musicale Irma la douce, en 2002, Karine Vanasse n’avait jamais
fait de théâtre. Elle jugeait qu’il était temps de replonger : « Si
j’avais trop attendu, je n’aurais plus eu le courage d’oser. »
Karine Vanasse mène sa carrière tel un soldat qui monte au
front. Ce n’est pas d’hier qu’elle consacre son énergie à exceller, témoigne son amie Chantal Kent-Bélanger, qui a connu
l’actrice à l’âge de sept ans au Club de ski Avalanche, à Drummondville, sa ville natale. « Karine était très habile en ski et elle
a toujours eu l’esprit de compétition. » Elle est également
ambitieuse et ne s’en cache pas. « Je tiens à aller aussi loin que
je peux et du mieux que je peux », me dit-elle.
Et c’est bien parti. La jeune femme à la jolie frange et au teint
radieux piqueté de minuscules taches de son est en voie de
conquérir la France. « Sa jeunesse combinée à sa grande expérience font d’elle une comédienne atypique chez nous », se
réjouit Céline Kamina, son agente française, qui lui a notamment
décroché l’audition pour le film de Woody Allen. « Le mix est
gagnant : tout ce qu’elle a touché jusqu’à maintenant s’est
transformé en or. »
« Bluffé » par sa grâce, le réalisateur français Frédéric Schoendoerffer a demandé à rencontrer l’actrice après avoir vu Polytechnique. Il est à court de mots pour saluer l’« immense comédienne »
qu’il a choisie — sans audition — comme vedette de Switch, où
elle donnera la réplique à l’ex-star du soccer français Éric Cantona.
« C’est la Jodie Foster des années 2010, dit-il au bout du fil. Il
n’existe qu’une actrice de cette trempe par génération. »
Le public l’a adoptée depuis longtemps. Un sondage Ipsos
effectué au Québec en mars 2010 lui donnait un score d’appréciation de 8 sur 10. Et les réalisateurs l’adorent. « Mon défi est de
leur donner non seulement ce qu’ils disent vouloir, mais ce qu’ils
ont en tête sans être capables de l’exprimer », déclare-t-elle. Pour
y parvenir, elle travaille. Et travaille encore. « Son niveau d’exigence envers elle-même est hallucinant, quasi militaire », observe
Yves Simoneau, qui se rappelle avoir été « complètement soufflé »
par son audition pour le rôle-titre de Marie-Antoinette. « C’était
spectaculaire : elle était Marie-Antoinette. »
Mis à part quelques ratés (la série Un homme mort, de
Fabienne Larouche, en 2005 ; son animation très moyenne du
gala des Jutra, en 2009), le ciel semble au beau fixe, mais... « Au
Québec, j’ai participé à beaucoup de choses qui ont bien marché. Maintenant, j’ai l’impression de ne pouvoir que décevoir
les gens », confiait-elle en entrevue l’automne dernier, à ‚
1er avril 2011 l’actualité
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son retour de France. L’Hexagone n’est pas dans sa mire
pour rien. Là-bas, personne ne connaît la p’tite Vanasse,
personne n’a d’attentes. « Je peux repartir de zéro », dit-elle.
Elle a 13 ans lorsqu’elle participe aux auditions pour le rôle
d’Hanna, dans Emporte-moi. Jusque-là, ses grands faits d’armes
étaient d’avoir gagné un concours de lip sync à l’émission Le
club des 100 watts, à Radio-Québec, fait partie de la distribution du téléfilm Un hiver de tourmente — adapté d’un livre
pour jeunes adultes de Dominique Demers — et joué dans une
pub des croustilles Lay’s avec Marc Dupré.
Jutra de la meilleure actrice au Québec, Bayard d’or de la
meilleure actrice au Festival francophone de Namur (Belgique),
prix de la meilleure actrice au FilmCan Festival (Saskatchewan) :
une kyrielle d’honneurs couronnent l’interprétation de l’adolescente. Le destin de l’aînée des quatre enfants de Conrad
Vanasse, contremaître à la Ville de Drummondville, et Renée
Gamache, alors propriétaire d’une garderie, est scellé.
Le cinéma et la télé (Les débrouillards, à Radio-Canada ;
2 frères, à TVA) la happent et lui laissent peu de temps pour
les études. Grâce à des cours particuliers, elle décrochera son
diplôme d’études secondaires. Mais la première de classe en
elle a soif de plus. Et veut voir du pays. Au printemps 2001,
une bourse d’études offerte par la riche famille Price, de Québec, lui permet de participer pendant quatre mois au sélect
Ithaka Cultural Studies Program, en Crète, fréquenté par des
enfants de riches Américains. Un stage très strict, pendant
lequel les élèves partagent leur temps entre l’anthropologie,
l’archéologie, la mythologie et l’histoire de la Grèce... en plus
de travailler. À la pâtisserie où elle se rend chaque matin,
Karine côtoie des femmes soumises à leur mari. « Ç’a été un
choc. Je me suis beaucoup inspirée d’elles pour composer mon
personnage de Donalda, dans Séraphin. »
Ce voyage sera le premier d’une longue série. L’aventurière
a toujours aimé partir entre deux rôles. À 19 ans, elle s’installe
à New York pour six mois. Version officielle : trouver du boulot comme comédienne. Elle fera surtout du yoga. « Je voulais
me prouver que je pouvais me débrouiller seule. »
« Les petites chicanes de filles et les peines d’amour à répétition de l’adolescence, Karine n’a jamais vécu cela », raconte
son amie d’enfance Maude Bouvet. Elle est plutôt occupée à
naviguer à vue dans le monde adulte. Elle est à l’affût, capte
tout. Vieillit plus vite que son âge. Mais la féminité est un
concept qu’elle mettra du temps à apprivoiser. Habitée d’une
sainte peur « d’avoir l’air nunuche », elle a longtemps refusé le
jeu de la séduction. Et quand elle enfile des robes provocantes,
cette magnifique femme reste malgré tout plus proche du Petit
Chaperon rouge (à qui elle prête sa voix dans La véritable
histoire du Petit Chaperon rouge, 2005) que de la vamp.
« Je soupçonne ses démons intérieurs d’être bien élevés »,
observe Odile Tremblay, critique de cinéma au Devoir. Ma
fille, mon ange, où on voit la comédienne faire du pole dancing,
fera néanmoins beaucoup jaser. Au ton sur lequel elle décrète
« J’en ai assez parlé », je devine que ce film ne fait pas partie
des meilleurs souvenirs de son existence.
La sortie de ce film correspond pourtant à un moment clé
de sa vie : le début de ses amours avec Maxime Rémillard,
coprésident de Remstar Films (producteur de Ma fille, mon
ange) et de la chaîne de télé V. L’union de la belle et du patron
controversé — notamment pour avoir fermé les salles de
rédaction de TQS lorsqu’il a acquis la station avec son frère,
en 2008 — en étonne certains. Elle le sait, et reste sur la défensive quand on aborde la question. « Un jour, les gens connaîtront
l’homme qu’il est vraiment », dit-elle à propos de celui avec
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l’actualité 1er avril 2011
les films séville
l’année vanasse
JAN THIJS
portrait
Ci-dessus :
Avec Pascale
Bussières dans
Emporte-moi
(1999), qui l’a
propulsée sous
les projecteurs à
l’âge de 15 ans.
En haut : Dans
Angle mort,
avec Sébastien
Huberdeau.
qui elle espère un jour « faire le tour du
monde, sac au dos ».
Le sujet est clos. Enfin presque... Elle
tient à ajouter qu’elle lui saura toujours gré
de l’avoir suivie dans le projet casse-cou
qu’elle avait en tête depuis plusieurs années :
produire un film sur le massacre de Polytechnique. Le réalisateur, Denis Villeneuve,
lui, est reconnaissant envers Karine. « En
cours de route, elle a défendu le film en
intervenant à plusieurs reprises pour
appuyer mes décisions artistiques. Elle a
littéralement porté ce film », dit-il. Pari
gagné : Polytechnique sortira en 2009, avec
le succès international que l’on connaît.
Le metteur en scène de la pièce In extremis, Jean-Guy Legault, admire lui aussi son
cran. « Elle ne manque pas de couilles. Certains jugent son jeu à l’écran très intense,
d’autres trop scolaire. Mais son guts mérite
le respect. Rien ne l’obligeait à mettre sa
renommée en jeu sur les planches. »
« Le seul courage ne suffit pas », observait cependant une critique au lendemain
de la présentation de la pièce. L’accueil
réservé à la production a été froid, et on
a jugé que l’interprétation de la comédienne, sans être carrément mauvaise,
manquait par moments de subtilité. In
extremis aura toutefois permis à Karine
Vanasse d’affronter le complexe de l’impos­
teur qui la hante.
chanson
tous des enfants
de drucker
Depuis trois générations, Michel Drucker
reçoit à ses émissions les artistes québécois
qui veulent conquérir la France. En mai, il
sera au Québec pour célébrer les idoles des
années 1960, 1970 et 1980.
par J ean-Luc Lorry
ÉRIC FOUGÈRE / VIP IMAGES / CORBIS
« Je me rappelle avoir vu Karine figer sur
place dans une scène de Marie-Antoinette
où son personnage devait réciter un texte
classique au théâtre, raconte Yves Simoneau. Elle était terrorisée, convaincue de
ne pouvoir y arriver. Alors qu’elle était à
l’évidence capable de livrer cette scène
de façon impeccable. »
Le fait de ne pas être passée par une école
de théâtre est en effet une pierre dans son
jardin, considère un réalisateur qui préfère
rester anonyme. « Les acteurs comme elle
ont souvent moins d’outils, donc un registre d’interprétation plus limité. Ça ne les
empêche pas d’être bons, mais leur jeu
peut manquer de nuances. »
La comédienne doit apprendre à se
méfier de son côté cérébral, observe par
ailleurs Odile Tremblay. « On sent parfois
chez elle un bref temps de réflexion entre
ce qu’elle pense de l’action à exécuter et
l’action elle-même ; ce léger décalage est
suffisant pour bloquer l’émotion. »
Ces défauts sont compensés par la
volonté de la comédienne de se surpasser.
« Cette qualité est beaucoup plus rare
qu’on le croit dans le métier, dit Xavier
Dolan. Pensez à ces acteurs qui se contentent de rejouer 25 fois le même rôle. Elle,
elle a à cœur de foncer et de se renouveler.
Ça m’impressionne. »
La battante s’apprête à défoncer une
nouvelle porte. Les Productrices associées,
boîte qu’elle a fondée l’an dernier avec
Nathalie Brigitte Bustos, de Remstar (avec
qui elle a collaboré à Polytechnique), adapteront à l’écran la bande dessinée Paul à
Québec (2009), de Michel Rabagliati.
« Nous avons toutes les deux eu un vrai
coup de cœur pour cette histoire qui
raconte la mort d’une personne aimée,
mais qui au final devient un hymne à la
vie », dit Nathalie Brigitte Bustos. Les associées aiment tellement le récit qu’elles sont
plus catholiques que le pape lui-même.
« Il n’est pas question que le synopsis que
je prépare déroge d’un iota de l’album,
raconte en riant Michel Rabagliati. Elles
m’ont à l’œil. » La sortie du film est prévue
pour 2012. Karine Vanasse espère ensuite
produire un film tous les cinq ans environ,
parallèlement à sa carrière de comédienne
ici et à l’étranger.
Un autre projet lui tient visiblement à
cœur : réussir à s’abandonner davantage à
l’écran. « J’admire le travail de Katie Jarvis
dans le film anglais Fish Tank [Andrea
Arnold] ou celui de Rooney Mara incarnant
Lisbeth Salander dans Millénium. Je voudrais tellement jouer ainsi, cru ! » dit-elle,
avant d’ajouter sur un ton où perce
l’angoisse : « Mais se révéler sans devenir
y
vulnérable, mon Dieu, c’est toffe ! »
Prononcez le mot « Québec » devant lui et Michel Drucker vous
répondra avec assurance qu’il connaît « ce pays » par cœur. Le roi
des variétés ne compte plus ses innombrables « amis » dans la
communauté artistique québécoise. Pilier de la télé française — il
affiche au compteur 46 années devant les caméras —, il déroule
régulièrement le tapis rouge à ceux qui veulent conquérir la France
en les invitant à l’une ou l’autre de ses trois émissions, qui attirent
de quatre à six millions de téléspectateurs.
Animer ne suffit pourtant pas à rassasier ce boulimique de travail
et découvreur de talents. Drucker trouve le temps de prendre la
plume pour raconter son histoire. Dans son dernier ouvrage,
Rappelle-moi, il tombe le masque en livrant un récit intime qu’il
dédie à son frère, décédé en 2003.
Michel Drucker sera au Québec les 6 et 7 mai pour coanimer Le
retour de nos idoles, un spectacle qui aura lieu au Colisée Pepsi
et qui réunira une quinzaine d’artistes québécois et français populaires dans les années 1960, 1970 et 1980.
‚
L’actualité l’a joint à son bureau parisien.
1er avril 2011 l’actualité
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