Droit de la famille - Éditions Yvon Blais
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Droit de la famille En bref No 26 – Septembre 2014 EN MANCHETTE CHRONIQUE Les recours relatifs à la filiation et pour tests d’identification d’ADN : lorsque les apparences priment la vérité biologique !, par Me Christina Bouchard L’auteure aborde les divers types d’actions relatives à la filiation d’un enfant et les tests d’identification d’ADN. Elle analyse notamment la preuve requise à cet égard ainsi que les conditions qui en découlent. p. 2 JURISPRUDENCE G. (A.) c. K. (O.), sub nom. Droit de la famille – 141847, EYB 2014-240521 (C.S., 11 juillet 2014) Nonobstant le refus du père, une mère obtient l’autorisation d’administrer un médicament à l’enfant pour traiter un trouble déficitaire de l’attention. p. 27 M. (F.) c. D. (S.), sub nom. Droit de la famille – 141954, EYB 2014-240866 (C.S., 3 juillet 2014) Un époux, ayant choisi d’avantager son épouse pendant la vie commune de façon irrévocable en lui accordant une rente réversible à 60 % sa vie durant advenant son prédécès, obtient une pension alimentaire compensatoire. p. 14 D. (G.) c. De. (P.), sub nom. Droit de la famille – 142043, EYB 2014241248 (C.S., 4 juin 2014) Un enfant majeur qui étudie à temps partiel afin de s’investir dans la pratique d’un sport à un niveau élite est un enfant à charge. p. 22 75, rue Queen, bureau 4700, Montréal (Québec) H3C 2N6 Téléphone : (514) 842-3937 Télécopieur : (514) 842-7144 © LES ÉDITIONS YVON BLAIS TOUTE REPRODUCTION OU DIFFUSION INTERDITE SANS AUTORISATION ISSN : 1929-2023 CHRONIQUE Les recours relatifs à la filiation et pour tests d’identification d’ADN : lorsque les apparences priment la vérité biologique ! Me CHRISTINA BOUCHARD* Avocate Résumé L’auteure aborde les divers types d’actions relatives à la filiation d’un enfant et les tests d’identification d’ADN. Elle analyse notamment la preuve requise à cet égard ainsi que les conditions qui en découlent. INTRODUCTION En matière familiale, les tribunaux rappellent fréquemment l’article 33 du Code civil du Québec qui prévoit que les décisions concernant un enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits, dont l’un est de connaître ses parents. Ces principes sont également applicables en matière de filiation, alors que le législateur a aussi choisi de privilégier la stabilité du climat familial d’un enfant. C’est dans cette optique que nous aborderons les actions en filiation prévues par le Code civil du Québec, qui sont de plus en plus fréquemment présentées devant les tribunaux. I– T YPES DE RECOURS EN MATIÈRE DE FILIATION Il existe divers types de recours en ce qui a trait à la reconnaissance ou la contestation de filiation, dépendamment de l’identité de la partie demanderesse. En effet, on peut établir trois recours distincts : 1- Recours en désaveu1 (pour le père présumé) : lorsque l’enfant est né pendant le mariage ou l’union civile de personnes de sexe différent ou dans les 300 jours après sa dissolution ou son annulation, il est présumé avoir comme père le conjoint de sa mère2. Par ce recours, le père présumé cherche à faire déclarer qu’il n’est pas le père de l’enfant né de sa conjointe pendant le mariage ou l’union civile. Ce recours doit être *Me Christina Bouchard, associée du cabinet d’avocats Brodeur Prémont Lavoie Avocats inc., concentre sa pratique en droit de la famille, des personnes et successions. 1.Art. 531(2) C.c.Q. 2.Art. 525 C.c.Q. 2 entrepris au plus tard un an après la naissance de l’enfant ou du moment où le père présumé l’a appris3 ; 2- Contestation de paternité4 (pour la mère) : c’est l’action par laquelle la mère tente de faire déclarer que son époux ou conjoint civil n’est pas le père de l’enfant né pendant leur union. Ce recours doit être entrepris au plus tard un an après la naissance de l’enfant5 ; Il est primordial pour les pères présumés et les mères d’intenter leur action en désaveu ou en contestation de paternité dans le délai imparti d’un an, puisqu’à défaut, aucun autre recours n’est possible pour eux, lorsque l’enfant est né au cours du mariage ou de leur union civile6. 3- Recours général en contestation d’état : toute personne intéressée qui a un intérêt financier ou moral peut contester par tous les moyens la filiation de celui qui n’a pas une possession d’état conforme à son acte de naissance7 ; Bien que les personnes généralement intéressées à présenter de telles demandes soient les parents confirmés ou présumés ou l’enfant, cela n’empêche pas que d’autres personnes puissent formuler une requête de ce type et démontrer un intérêt suffisant pour ce faire, tel le conjoint de fait de la mère de l’enfant, par exemple8. Le cas échéant, les enfants doivent être mis en cause dans ces types de requêtes qui mettent en jeu leur intérêt9. II– D ÉLAI DE PRESCRIPTION DU RECOURS GÉNÉRAL EN CONTESTATION D’ÉTAT Les requêtes en réclamation d’état ont longtemps été imprescriptibles. En effet, ce n’est que depuis 1980 que le législateur a modifié le Code civil du Québec de façon à ce que ce type de requête doive être soumis dans un délai de 30 ans : 536. Toutes les fois qu’elles ne sont pas enfermées par la loi dans des délais plus courts, les actions relatives à la filiation se prescrivent par trente ans, à compter du jour où l’enfant a été privé de l’état qui est réclamé ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté. Les héritiers de l’enfant décédé sans avoir réclamé son état, mais alors qu’il était encore dans les délais utiles pour le faire, peuvent agir dans les trois ans de son décès. [Nos soulignements] La difficulté est toutefois de déterminer le point de départ de la computation de ce délai trentenaire, qui peut d’ailleurs être soulevé d’office par le tribunal10, dépendamment de l’identité du requérant. 3.Art. 531(2) C.c.Q. 4.Art. 525 et 531(2) C.c.Q. 5.Art. 531(2) C.c.Q. 6. Droit de la famille – 12320, 2012 QCCS 593, EYB 2012-202637. 7.Art. 531(1) C.c.Q. 8. Droit de la famille – 133317, EYB 2013-229829 (C.S.). 9. Art. 34 C.c.Q., Droit de la famille – 13281, 2013 QCCS 498, EYB 2013-218246. 10.Art. 2878(1) C.c.Q. Reproduction ou diffusion interdite À ce titre, lorsque c’est le père présumé qui se porte demandeur, le délai débute au moment où ce dernier a connaissance de la naissance de l’enfant dont on présume qu’il est le père. C’est d’ailleurs ce qui a été décidé dans Lebrun c. Québec12 où, dans des circonstances similaires, le tribunal a décidé que la prescription trentenaire ne courrait qu’à compter du 9 avril 2001, puisque la demanderesse, qui était née le 4 juin 1944, n’a été en possession de son acte de naissance pour la première fois que le 9 avril 2001. Pour l’enfant, on s’est interrogé quant à savoir si on devait faire débuter la computation à compter de la date de naissance inscrite sur le certificat ou à Dès que la condition prévue à l’article 530 C.c.Q. compter du moment où l’enfant est remplie, il devient manifestement imposapprend l’existence de son père sible d’attaquer la paternité. présumé. En effet, dans Droit de la famille – 11385711, une dame âgée de 38 ans se porte demanderesse et requiert du tribunal qu’il ordonne aux frères et sœurs de son défunt père présumé, qui a été incinéré, de se soumettre à un test d’ADN, de façon à lui permettre de faire sa preuve lors de l’audition au fond de sa requête en réclamation d’état. En 1991, la demanderesse a pris connaissance de son acte de naissance pour la première fois, alors qu’elle était âgée de 19 ans et qu’elle envisageait de se marier. C’est à ce moment qu’elle a appris que celui qu’elle croyait être son père n’avait pas été déclaré à son acte de naissance. Le 4 février 2010, le père biologique présumé de la demanderesse est décédé sans testament ni d’autre descendant que cette dernière, si tant est qu’elle était bel et bien sa fille. Au mois d’octobre 2010, la demanderesse a donc entrepris un recours en réclamation d’état où elle demandait au tribunal de déclarer son défunt père biologique présumé comme étant officiellement son père, de corriger son acte de naissance en conséquence et qu’il soit ordonné aux frères et sœurs de son père biologique présumé de se soumettre à un test d’ADN afin d’établir la preuve formelle de sa filiation avec le défunt. La succession du défunt oppose à la demanderesse un moyen de non-recevabilité pour cause de prescription de son recours, alors que les frères et sœurs de celui-ci refusent de se soumettre à un test d’ADN en invoquant leur droit au respect de leur dignité, leur intégrité physique, l’inviolabilité de leur personne et de leur vie privée. Après avoir fait une analyse fort intéressante sur les possibilités de point de départ de la computation triennale, le juge rejette la requête en irrecevabilité présentée par la succession et défère au juge du fond l’examen de cette question. Quant à la requête pour la tenue d’un test d’ADN, celle-ci a été accueillie par le tribunal. Le 14 mai 2013, lors de l’audition au fond de ce dossier, il a été reconnu que le défunt père présumé était bel et bien le parent biologique de la demanderesse. Le tribunal ne s’est toutefois pas prononcé sur la question de la prescription, puisqu’elle n’a pas été soumise à nouveau par les parties, laissant présumer que la date de départ considérée pour la computation du délai trentenaire a été celle du moment où la demanderesse a appris que le nom de son père n’était pas indiqué à son acte de naissance, soit en 1991. 11. Droit de la famille – 113857, EYB 2011-199199. Dans Droit de la famille – 216913, l’enfant est né de parents inconnus en 1937, a été informé par sa mère de l’identité de son père seulement en 1955, l’a rencontré pour la première fois en 1959 avant d’entreprendre une action en réclamation en 1992, laquelle était déjà prescrite. III– IMPOSSIBILITÉ D’ATTAQUER LA FILIATION Malgré les procédures dont on a préalablement traité ci-dessus, l’article 530 du Code civil du Québec privilégie la stabilité de la filiation lorsque l’acte de naissance est conforme à la possession d’état de l’enfant : 530. Nul ne peut réclamer une filiation contraire à celle que lui donnent son acte de naissance et la possession d’état conforme à ce titre. Nul ne peut contester l’état de celui qui a une possession d’état conforme à son acte de naissance. La possession d’état, qui se doit d’être constante14, est définie en regard de trois éléments, à savoir15 : – Le nom : l’enfant doit porter le nom du parent, soit celui duquel il a une possession d’état ; – Le traitement : l’enfant est entretenu et éduqué par ceux qui sont désignés comme étant son père et sa mère ; – La renommée : l’enfant est reconnu par son entourage et son milieu comme étant l’enfant de celui et de celle avec lesquels il vit et avec lesquels on veut établir un lien de filiation. Ainsi, dès que la condition prévue à l’article 530 C.c.Q. est remplie, il devient manifestement impossible d’attaquer la paternité, que ce soit par une requête en désaveu, une contestation de paternité, ou une réclamation ou une contestation d’état16. À titre d’exemple, une future mère qui, pendant sa grossesse, se voit abandonnée par le père biologique de l’enfant à naître rencontre ensuite un homme avec qui elle vit une relation amoureuse. Lors de la naissance de l’enfant, la mère et son nouveau conjoint décident d’inscrire ce dernier comme père de l’enfant à l’acte de naissance. En se comportant comme le père de l’enfant, le conjoint établit ainsi envers l’enfant une possession d’état conforme à son acte de naissance17. 12. Lebrun c. Québec (Directeur de l’état civil), 9 juillet 2002, REJB 2002-33179 (C.S.). 13. Droit de la famille – 2169, EYB 1995-56128 (C.A.). 14. Droit de la famille – 11394, EYB 2011-186549 (C.A.). 15. Droit de la famille – 113130, EYB 2011-196967 (C.S.). 16. Droit de la famille – 123909, EYB 2012-217832 (C.S.) ; Droit de la famille – 3184, REJB 1998-10380, AZ-99021045 (C.S.) ; Droit de la famille – 3544, REJB 2000-16656 ; C.D. c. L.B., REJB 2002-31399, 2002 CanLII 342 ; Droit de la famille – 09358, EYB 2009-154996. 17. Suzanne GUILLET, « Chapitre IV – Les droits de l’enfant à l’occasion d’un litige familial », dans Personnes, famille et successions, Col- Reproduction ou diffusion interdite 3 Ainsi, l’acte de naissance et la possession d’état conforme priment l’existence ou non d’un lien biologique18. Nous mentionnions ci-haut qu’il est impossible d’attaquer une possession d’état conforme à l’acte de naissance. Toutefois, un seul jugement, dénotant des faits bien particuliers, a été répertorié où une action en désaveu de paternité a été accueillie, même si cela était conforme à l’acte de naissance19. En effet, dans cette affaire, l’homme qui a été désigné comme étant le père l’a fait de façon involontaire et à la suite d’un mensonge de la mère. Pourtant, dans Droit de la famille – 113130, 2011 QCCS 5345, EYB 2011-196967, le tribunal a dans ce cas considéré qu’une possession d’état de 12 mois était suffisante21, alors que c’est la mère qui demandait la radiation au registre de l’état civil du nom du défendeur, qui n’était pas le père biologique de son enfant. En effet, le défendeur a agi conformément à l’acte de naissance de l’enfant, malgré le fait qu’il n’était pas le père biologique du premier enfant de la L’art icle 533 C.c.Q. prévoit que la preuve demanderesse ; il l’était toutefois pour le second enfant. de filiation peut se faire par tous moyens. Toutefois, les témoignages ne sont permis La juge a donc considéré le fait que que si l’on est en mesure de démontrer un l’enfant serait privé d’une filiation commencement de preuve. certaine, librement et entièrement Il s’agissait d’un couple marié qui avait eu un enfant. Ce n’est que trois ans après la naissance de ce dernier que l’époux a appris l’aventure extraconjugale de madame. Le test d’ADN a confirmé que l’époux n’était pas le père de l’enfant, ce qui l’a motivé à intenter un recours en désaveu de paternité. assumée par le défendeur qui agit comme le père de l’enfant, si la requête de madame était accueillie. V– LA PREUVE DE FILIATION Le recours de l’époux a exceptionnellement été accueilli, et ce, malgré le fait que la possession d’état était conforme à l’acte de naissance, puisque le juge était d’avis que jamais il n’y aurait eu de possession d’état conforme à l’acte de naissance si l’époux avait su, au moment de la naissance de l’enfant, qu’il n’en était pas le père biologique. L’article 533 C.c.Q. prévoit que la preuve de filiation peut se faire par tous moyens. Toutefois, les témoignages ne sont permis que si l’on est en mesure de démontrer un commencement de preuve, ou lorsque les présomptions ou les indices résultant de faits déjà clairement établis sont assez graves pour en déterminer l’admission. Or, dans un autre dossier où les faits étaient similaires à ceux précédemment mentionnés, la Cour d’appel a mis un terme définitif à toute controverse en la matière en indiquant que « le législateur a choisi de conférer à celui qui a une possession d’état conforme à son acte de naissance une filiation qui ne peut être contestée d’autre façon »20. Voici des exemples d’éléments reconnus comme représentant un commencement de preuve22 : Depuis cet arrêt de la Cour d’appel, les tribunaux n’hésitent plus à rejeter les requêtes de modification de filiation lorsqu’on est en présence de possession d’état conforme à l’acte de naissance, et ce, peu importe que la réalité biologique soit tout autre. IV– DURÉE MINIMALE REQUISE POUR FAIRE LA PREUVE D’UNE POSSESSION D’ÉTAT CONFORME Quant à la durée suffisante pour démontrer une possession d’état conforme à l’acte de naissance, la Cour d’appel s’est exprimée ainsi dans Droit de la famille – 737, [1990] R.J.Q. 85, EYB 1989-63350 : Il m’apparaît qu’une possession d’état conforme, d’une durée de tout au moins 16 mois et possiblement 24, est suffisamment longue pour rencontrer les exigences de la loi et satisfaire à la nécessaire stabilité des filiations dans notre droit et dans notre société, même au risque possible, parfois, d’une erreur quant à la vérité biologique. lection de droit 2013-2014, École du Barreau du Québec, vol. 3, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 157, EYB2013CDD47 ; Droit de la famille – 11394, 2011 QCCA 319, EYB 2011-186549. 18. Mario PROVOST, « La filiation », dans Droit de la famille québécois, Publications CCH, Brossard, mis à jour le 15 juillet 2014, p. 4, 017-6. 19. Droit de la famille – 2530, [1996] R.J.Q. 2981, REJB 199629303 (C.S.). 20. G. (M.) c. D. (M.), REJB 2000-16656 (C.A.). 4 – Titres de famille, registres de papiers domestiques et tous les écrits publics ou privés ou émanant d’une partie engagée dans la contestation ou qui y aurait intérêt si elle était vivante23 ; – Cohabitation pendant la période contemporaine à la conception24 ; – Relation sexuelle pendant la période contemporaine à la conception25 ; – Ressemblance de l’enfant avec le père26 ; – L’aveu d’une partie au litige27 ; – Comportement du père présumé qui s’est laissé appeler « papa »28 ; – Comportement du parent présumé à l’égard de l’enfant29 ; 21.Voir Droit de la famille – 12395, 2012 QCCS 751, EYB 2012-203157, où un délai de moins de 12 mois a été jugé insuffisant. 22. Droit de la famille – 2418, REJB 1996-29233 (C.A.). 23.Art. 534 C.c.Q. 24. Droit de la famille – 1745, REJB 1995-28796, [1995] J.Q. nº 256, par. 5 (C.A.) ; Droit de la famille – 131698, 2013 QCCS 2909, EYB 2013-223818. 25. Droit de la famille – 133081, EYB 2013-229067 (C.S.) ; Droit de la famille – 133698, 2013 QCCS 6566, EYB 2013-231489. 26. Droit de la famille – 12736, EYB 2012-204663 (C.S.). 27. Droit de la famille – 12736, EYB 2012-204663 (C.S.) ; Droit de la famille – 141481, 2014 QCCS 2878, EYB 2014-239035. 28. M. (L.) c. L. (G.), 9 mai 1996, EYB 1996-29233 (C.A.). 29. Droit de la famille – 133081, EYB 2013-229067 (C.S.). Reproduction ou diffusion interdite – L’intensité de la relation entre les parties30 ; – Le refus de subir un test d’ADN à la suite d’une ordonnance en vertu de l’article 535.1 C.c.Q., conjointement à d’autres éléments pertinents31. Enfin, il importe de préciser que lorsque l’on conteste une requête relative à la filiation, la preuve testimoniale est admissible, sans qu’il soit nécessaire de démontrer au préalable un commencement de preuve. VI– ORDONNANCE DE TEST D’IDENTIFICATION D’ADN (ACIDE DÉSOXYRIBONUCLÉIQUE) [Nos soulignements] VII– COMMENCEMENT DE PREUVE REQUIS Le tribunal doit donc s’assurer qu’a priori, il y a un commencement de preuve de filiation ou qu’il existe des présomptions ou des indices résultant de faits déjà clairement établis et étant suffisamment graves pour justifier l’ordonnance sollicitée34. Les tribunaux ont notamment reconnu comme étant suffisants les motifs suivants afin d’autoriser la tenue d’un test d’ADN : Malgré le fait que la filiation se prouve par tous moyens32, c’est sans conteste le test d’identification d’ADN qui demeure le meilleur moyen de prouver ou non un lien biologique. – Le père présumé ou la mère a admis avoir eu des relations sexuelles avec l’autre lors de la période possible de conception de l’enfant35 ; Le test d’ADN est une analyse sanguine ou un prélèvement d’échantillon qui permet d’établir la paternité, ou non, à un degré quasi certain, soit à 99,97 %. Puisqu’un enfant hérite de l’ADN de ses parents en parts égales, les profils d’ADN de la mère, de l’enfant et du père présumé peuvent être comparés afin de déterminer si ce dernier est le père biologique de l’enfant. – La mère a admis avoir eu des rapports sexuels avec deux frères jumeaux ; la tenue d’un test d’ADN est ordonnée par le tribunal. Toutefois, si les frères jumeaux s’avéraient être identiques, donc monozygotes, il serait probablement impossible de déterminer le véritable père36. Pour ce faire, la mère, l’enfant et le père présumé doivent consentir à la tenue de ce test ou obtenir une ordonnance en ce sens. VIII– C ONDITION DU PRÉLÈVEMENT ET INVIOLABILITÉ DE LA PERSONNE Les tribunaux ont longtemps refusé de permettre de tels tests au nom de l’inviolabilité de la personne. L’article 535.1 du Code civil du Québec prévoit également que le juge devra déterminer les conditions de réalisation du prélèvement et de l’analyse, afin de limiter l’atteinte à l’intégrité et respecter le droit à l’inviolabilité de la personne37. Le 8 novembre 2001, le projet de loi 50 a été déposé dans sa version initiale, différente de l’article 535.1 C.c.Q. que l’on connaît aujourd’hui. D’ailleurs, ce droit est reconnu et respecté même lors du décès d’une personne38. Le consentement est donc nécessaire pour porter atteinte à un cadavre39. C’est le 7 juin 2002 que l’actuel article 535.1 C.c.Q. a été adopté, lequel prévoit la possibilité qu’il soit ordonné, même de façon interlocutoire, que l’on procède à un test d’identification d’ADN, dans la mesure où cela est requis dans le cadre d’une action relative à la filiation : De façon générale, l’analyse s’effectue par prélèvement capillaire ou frottis salivaire, mais peut aussi se faire, de façon exceptionnelle, au moyen de bouts d’ongle, d’urine ou d’expertise sanguine. 535.1. Le tribunal saisi d’une action relative à la filiation peut, à la demande d’un intéressé, ordonner qu’il soit procédé à une analyse permettant, par prélèvement d’une substance corporelle, d’établir l’empreinte génétique d’une personne visée par l’action. Toutefois, lorsque l’action vise à établir la filiation, le tribunal ne peut rendre une telle ordonnance que s’il y a commencement de preuve de la filiation établi par le demandeur ou si les présomptions ou indices résultant de faits déjà clairement établis par celui-ci sont assez graves pour justifier l’ordonnance. Le tribunal fixe les conditions du prélèvement et de l’analyse, de manière qu’elles portent le moins possible atteinte à l’intégrité de la personne qui y est soumise ou au respect de son corps. Ces conditions ont trait, notamment, à la nature et aux date et lieu du prélèvement, à l’identité de l’expert chargé d’y procéder et d’en faire l’analyse, à l’utilisation des échantillons prélevés et à la confidentialité des résultats de l’analyse. Le tribunal peut tirer une présomption négative du refus injustifié de se soumettre à l’analyse visée par l’ordonnance.33 30. Droit de la famille – 2192, EYB 1995-58001 (C.A.). 31. M. (L.) c. L. (G.), 9 mai 1996, EYB 1996-29233 (C.A.). 32.Art. 533 C.c.Q. 33. S. (R.) c. E. (T.), sub nom. Droit de la famille – 11682 (C.A., 17 mars 2011), EYB 2011-187977. CONCLUSION Nous sommes donc à même de constater que, malgré un assouplissement du législateur quant à l’ordonnance de soumettre une personne à un test d’identification d’ADN, il demeure le principe fondamental de protection de la stabilité familiale des enfants, et ce, au-delà même du lien biologique. 34. Michel TÉTRAULT, « Chronique – La filiation par le sang, par procréation assistée, par adoption ou par possession d’état, le changement de nom, la déclaration tardive et la rétroactivité de la pension alimentaire, ouf ! La Cour d’appel se prononce », dans Repères, octobre 2011, EYB2011REP1095 ; Droit de la famille – 12419, EYB 2012-203231 (C.S.). 35. Droit de la famille – 113857, 2011 QCCS 6543, EYB 2011-199199 ; Droit de la famille – 141481, 2014 QCCS 2878, EYB 2014-239035. 36. V.R. c. S.D., C.S. Montréal, 500-04-036838-044 (26 octobre 2004), EYB 2004-79793. 37.Art. 10(1) C.c.Q., L. (C.) c. S. (D.), [1999] R.J.Q. 2927, REJB 199915071 (C.S.). 38. Suzanne PHILIPS-NOOTENS, Pauline LESAGE-JARJOURA et Robert P. KOURI, Éléments de responsabilité civile médicale, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 219, EYB2007RCM13. 39.Art. 44 et 45 C.c.Q. Reproduction ou diffusion interdite 5