texte intégral - Fondation Maison des sciences de l`homme

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texte intégral - Fondation Maison des sciences de l`homme
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LETTRES D’UNE FEMME RANGEE
Mariza CORRÊA
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Une photo prise à l’automne de 1949, à Paris −au cours de la Quatrième
Session de la Conférence Générale de l’UNESCO− enregistrait une image
inhabituelle à ces assemblées : la présence d’une femme brésilienne comme
représentante du gouvernement de son pays, qui participait également à une
commission multinationale organisée autour d’un projet de la même UNESCO. Qui
donc était cette femme élégante, de cinquante quatre ans ? Que faisait-elle au
milieu de tous ces chapeaux masculins ?
Essayons de comprendre comment la brésilienne Heloisa Alberto Torres est
arrivée à Paris la même année où Simone de Beauvoir lançait dans cette ville un
livre qui ferait date et qui marquerait le destin des femmes du siècle dernier. Pour
cela, il faudra reculer un peu dans le temps et se demander comment cette femme
est devenue, à cette même époque, la première dame de l’anthropologie
brésilienne.
TRAJECTOIRE
Née à la fin du XIXe siècle −en 1895− Heloisa Alberto Torres a eu une
enfance et une adolescence assez semblables à celle de ses camarades issues des
*
Cet article fait partie d’une recherche en cours, financée par le CNPq, dont je remercie
l’appui à mon intérêt pour l’histoire de l’anthropologie au Brésil, au long des douze
dernières années. Je remercie également Monica Schpun, qui m’a incitée à repenser
plusieurs des questions traitées ici et Heloisa Pontes, pour ses commentaires à ce texte.
**
Enseignante à l’Université de Campinas/Unicamp, Département d’Anthropologie et
chercheure du Pagu/Noyau d’Etudes sur le Genre.
Cahiers du Brésil Contemporain, 2002, n° 47/48, p. 181-197
Mariza CORREA
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familles de l’élite brésilienne. Son père, Alberto Torres, était un intellectuel et un
politicien de renom de la Première République1. Il a offert à ses enfants à la fois
un séjour en Europe et une éducation dans des collèges anglais, avant d’inscrire
ses filles −Heloisa e Marieta− dans un bon établissement privé catholique au
Brésil.
Si elle a reçu une formation semblable à celle de l’anthropologue anglaise
Mary Douglas2, différemment de celle-ci, Heloisa a renoncé assez tôt aux
principes catholiques. Sa biographe fait mention d’une lettre où, à 28 ans, elle
rompt explicitement les liens avec la Congrégation des Filles de Marie.
Malgré cela, cette socialisation semble avoir laissé une empreinte dans sa
vie publique : Heloisa a toujours cherché le dialogue international davantage que
1
Alberto Torres (1865-1917) a suivi la carrière traditionnelle des hommes de sa classe :
fils d’un propriétaire rural sur le déclin, il s’est inscrit à la Faculté de Droit du Largo de
São Francisco, à São Paulo ; puis s’est porté candidat à des postes politiques, ayant
d’abord été élu à l’Assemblée Constituante de l’état de Rio de Janeiro (1890), ensuite à
la Chambre Fédérale des Députés (1893). Nommé Garde des Sceaux de 1896 à 1898, il
s’est éloigné de ce poste pour assumer la présidence de l’état de Rio de Janeiro de 1897
à 1900 et a fini sa carrière politique comme ministre de la Haute Cour de Justice. Mort à
51 ans, il a laissé deux livres qui ont marqué les discussions politiques sur l’avenir du
pays au cours des années suivantes : A organizaçao nacional et O problema brasileiro,
les deux publiés en 1914.
2
Richard Fardon, biographe de Mary Douglas, met l’accent sur l’universalisme de
l’éducation catholique contre le paroquialisme anglican. Utilisant une citation d’une
autre auteure, il affirme, à propos de l’atmosphère dans les couvents religieux : «Le
catholicisme n’est pas une religion, c’est une nationalité». (Fardon R., 1999, p. 15).
Mary Douglas elle-même commente, à propos de son expérience scolaire, «La déférence
formelle n’a jamais été une bonne formation à l’esprit de controverse» (Douglas M.,
1999, p. 146). A l’instar de M. Douglas et de Mary McCarthy, Heloisa a elle aussi
fréquenté une école catholique, le collège Notre Dame de Sion à Petrópolis. C’est peutêtre là qu’elle a appris à avoir le monde pour horizon. Mais peut-être montrait-elle déjà
son penchant vers la controverse quand elle s’est dégagée de la hiérarchie catholique.
Dans une lettre à une amie, Heloisa explique qu’elle était critiquée pour «sa manière
d’être, de penser et même d’écrire des cartes postales» (Cité dans Ribeiro A., 2000, p.
36).
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la reconnaissance locale de ses activités, sans néanmoins éviter les controverses
dont sa vie n’a pas été exempte.
Tout de suite après la mort de son père et grâce aux relations sociales de sa
famille, à l’instar d’autres jeunes femmes de la bonne société locale, Heloisa s’est
rapprochée du Museu Nacional1, où travaillait à l’époque un grand ami de son
père, Edgar Roquette-Pinto −qui allait diriger cette institution de 1926 à 1936 et
dont elle prendrait la succession2. Elle a suivi les cours des professeurs de
l'établissement, a participé à une équipe de recherche constituée par RoquettePinto. En 1925, elle s'est portée candidate à un poste de professeur à la Division
d’Anthropologie et d’Ethnographie du Musée, dont ce chercheur était alors le
responsable. Ayant été reçue première −dans un concours où tous les autres
candidats étaient des hommes− sa victoire a été registrée par les journaux de
l’époque −époque à laquelle non seulement la présence des femmes dans
l’administration publique n’était pas la bienvenue, mais où l’on pouvait même
avoir des doutes sur le droit d’admission d’une femme à cette charge3.
1
Littéralement, Musée National. L’auteur a préféré laisser le nom de cette institution dans
la langue originale (NdT).
2
Edgar Roquette-Pinto (1884-1954), médecin de formation, a travaillé pendant trente ans
au Museu Nacional, d’où il est parti pour créer l’Institut de Cinéma Educatif car il a
également été un pionnier dans le domaine de la radio éducative au Brésil. Son œuvre la
plus connue est Rondônia (1915), qui traite des tribus indígènes rencontrées par la
Commission Rondon. Sur Roquette-Pinto, voir Castro Faria L. (1998a) et Ribas J. B. C.,
(1990). Dans un entretien à un journal, où elle évoque sa formation, Heloisa rappelle le
groupe de jeunes femmes qui l’ont accompagnée dans sa première visite au Museu,
mettant l’accent sur leurs familles : les deux filles de João Baptista de Lacerda, exdirecteur du Museu Nacional, une nièce de Pacheco Leão, directeur du Jardin Botanique et
aussi sa propre sœur.
33
Berta Lutz (1894-1976), biologiste, a été la première femme à rentrer par concours au
Museu Nacional, en 1919. Cette illustre chercheure, collègue d’Heloisa, a également été
une militante en faveur du vote féminin et des changements de législation favorables aux
femmes. Elle a aussi fondé et longtemps présidé la Fédération Brésilienne pour le Progrès
Féminin (1922). Sans aucun doute, la lutte développée par Bertha Lutz juste au moment
où débutait la carrière d’Heloisa a joué sur les comparaisons implicites avec celle-ci, sur
son degré de “féminisme”. Voir, par exemple, ce passage du Jornal ABC à l’époque de
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Finalement nommée à ce poste au début de l’année suivante, Heloisa a été
désignée comme responsable de la Division d’Anthropologie, d’abord à titre
intérimaire, ensuite comme titulaire à partir de 1931. Elle est par la suite devenue
directrice-adjointe et finalement, directrice du Museu Nacional −charge qu’elle a
exercée de 1938 à 1955. Ce poste représentait alors une position importante dans
le champ institutionnel des sciences au Brésil ; grâce à Heloisa, il va également
signifier une place stratégique pour l’anthropologie brésilienne émergente. Il est
vrai qu’à cette époque, les musées −véritables centres de pouvoir dans cette
discipline− quittaient le devant de la scène, cédant la place aux Facultés de
Philosophie nouvellement créées, au sein desquelles l’anthropologie allait se
développer. Etant donné son rôle central dans la vie institutionnelle brésilienne,
le Museu Nacional était censé participer à tous les organismes de contrôle de la
recherche académique créés au cours des années trente, au moment de la
reformulation des politiques de ce champ.
En tant que représentante du Musée, Heloisa a successivement occupé des
positions dans le Service de Protection aux Indiens (SPI, 1910) et dans la
Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI), qui l’a remplacé ; dans le conseil de
Contrôle des Expéditions Artistiques et Scientifiques (1933) ; dans le conseil
National de Protection aux Indiens (1939).
son concours : «Les lauriers que le féminisme au Brésil a recoltés sont encore
extrêmement rares. Heloisa Alberto Torres, orgueilleusement solitaire, consciemment
éloignée des coquetteries, réfractaire à la propagande spéctaculaire, peut être fière de la
contribution que la victoire de sa lumineuse intelligence a apporté à l’émergence de cette
cause (la nationalité) de notre patrie» (Cité dans Délia Ribeiro, A., 2000, p. 40). Sur B.
Lutz, voir Alves B. M., 1980. Il convient de rappeler que Bertha Lutz, elle aussi fille d’un
homme célèbre et formée en Sciences à la Sorbonne, est rentrée au Museu dès son retour
de Paris. Heloisa, par contre, qui y était arrivée en 1917, a été pendant huit ans étudiante
des professeurs de la maison, assistante de recherche, traductrice des travaux des
chercheurs de l’établissement, avant de pouvoir accéder à un poste. Les similitudes et les
différences dans les trajectoires de ces deux femmes, aussi bien que leurs rencontres et
détours dans la vie sociale de la ville de Rio de Janeiro de leur époque, méritent une
analyse plus détaillée, qui ne sera pas faite dans cet article.
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Elle a aussi été, dès 1955, la vice-présidente, ensuite la présidente, de
l’Organisation Nationale des Musées (National Council of Museums, ONICOM)1.
Heloisa a encore intégré la Commission d’Organisation de la Première Réunion
Brésilienne d’Anthropologie, réalisée au Museu Nacional en 1953. Elle a
également participé à la Deuxième Réunion, en 1955, au cours de laquelle a été
fondée l’Association Brésilienne d’Anthropologie (ABA) au premier conseil
Scientifique de laquelle elle fut élue. Néanmoins, elle n'a jamais réussi à arriver à
la présidence.
Il n’était pas, dès lors, surprenant qu’après la Seconde Guerre mondiale, elle
soit appelée à intégrer la commission internationale qui avait pour but la création
de l’Institut International de l’Hyléa Amazonienne (IIHA). Issu de l’initiative d’un
Brésilien, Paulo Berredo Carneiro, cet institut a été initialement conçu comme un
centre de recherches franco-brésiliennes, négocié simultanément avec le
gouvernement Vargas et l’Institut Français des Hautes Etudes Brésiliennes.
Cette négociation n’a pas abouti. Paulo Carneiro a alors présenté sa
proposition à l’UNESCO, qui l’a approuvée lors de la Première Session de sa
Conférence Générale, en 19462. Au cours de cette même séance, a été créée le
1
Sur le Conseil de Contrôle, voir la «Réglementation des missions scientifiques en
territoire brésilien», publiée par Paul Rivet dans le Journal de la Société des Américanistes
en 1936. Le travail le plus complet sur le Conseil est celui de Grupioni L. D. (1998), qui
fait référence à la publication de Rivet. Sur le Conseil National de Protection aux Indiens
et sa difficile coexistence avec le service de Protection aux Indiens, voir Freire C. A. R.
(1990). Heloisa est un personnage incontournable dans ces recherches, puisqu’elle a
circulé dans ces agences pendant toute sa vie professionnelle.
2
Paulo Berredo Carneiro (1901-1981), chimiste-industriel, était le fils de Mario Barbosa
Carneiro, abolitionniste, positiviste et l’un des créateurs, avec le Maréchal Rondon, du
service de Protection aux Indiens. En 1927, Paulo fait un doctorat en Sorbonne et
développe des recherches sur le “guaraná” à l’Institut Pasteur, à Paris. Il rentre alors au
Brésil, où il occupe des postes de prestige auprès des agences fédérales et devient
secrétaire de l’Agriculture de l’état du Pernambouc. En 1936, il revient à Paris et à
l’Institut Pasteur, où il travaille cette fois sur le curare, occupant également la fonction de
représentant du bureau commercial du Brésil en France. Il est témoin de l’invasion de la
France par les troupes allemandes et interné à deux reprises dans des camps de
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LASCO −Latin American Cooperation Office/Bureau de Coopération avec
l’Amérique latine, dont le Museu Nacional a été le siège provisoire1.
Appartenant au même cercle d’intellectuels issus des familles de l’élite
“carioca”2 et amis, Heloisa Alberto Torres et Paulo Carneiro ont travaillé
ensemble pour la constitution de l’IIHA depuis la première réunion nationale,
réalisée au ministère des Relations Extérieures-Itamarati. Ils se sont retrouvés
dans toutes les réunions intermédiaires −à Belém, en 1947 ; à Iquitos, en 1948, où
Heloisa était déjà la représentante du gouvernement brésilien ; à Manaus, en
1948, où elle a été élue présidente de la commission ad-hoc pour la constitution
de l’Institut− et, finalement, à Paris, en 1949, où elle cumulait les deux
représentations, celles de présidente de la commission et de représentante du
gouvernement brésilien. Pour des raisons qui ne méritent pas qu’on s’y attarde,
l’institut ne s’est pas finalement constitué, mais dans le cadre des discussions
suscitées par cette proposition a été créé le CNPq (Conseil National pour la
Recherche) en 1951 −dont l'une des premières attributions a été la création de
concentration de l’Allemagne nazie. Libéré en 1944, il fait partie de la commission
brésilienne censée envoyer des suggestions pour la création de l’institution qui deviendrait
un jour l’UNESCO −commission où il s’est très activement impliqué et dont participait
également Roquette-Pinto, un ami de sa famille. Le défi de la proposition de Paulo était
“d’incorporer l’Amazonie à la nation, à travers la république universelle des hommes de
science” (Carneiro, 1935. Cité dans Chor Maio M. et Romeiro Sá M., 2000, p. 981) Ce
dernier article a fondé cette brève description et m’a fourni les bases pour la
compréhension de l’extension du projet de l’Institut et du rôle qu’Heloisa y a joué.
Malhureusement, je n’ai pas pu analyser cette entreprise dans le détail ou faire entière
justice aux discussion théoriques des auteurs très bien décrites dans l’article en question.
1
Il n’est pas non plus possible de résumer ici les disputes internes pour le pouvoir au sein
du Museu Nacional, dont les répercussions dues aux prises de position d’Heloisa sur la
scène internationale ne sont devenues explicites qu’après la publication de la recherche de
Marcos Chor Maio et Magali Romero Sá ; cf. Corrêa M, 1997. Des reflets d’un autre type
renvoyés par les mêmes personnages de cette histoire complexe apparaissent pae exemple
dans la correspondance entre Arthur Ramos et l’anthropologue nord-américain Melville
Herskovits. Le premier dont le rôle dans cette histoire est encore méconnu, est mort en
1949 à Paris où il se trouvait en tant que fonctionnaire de l’UNESCO.
2
Mot d’origine tupi-guarani qui indique les personnes nées dans l’état de Rio de Janeiro.
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L’INPA (Institut National de Recherches sur l’Amazonie)− création dans laquelle
Heloisa et Paulo Carneiro ont été impliqués une fois de plus, ainsi que d’autres
personnes ayant lutté pour la constitution de L’IIHA1.
Cette ébauche rapide de la trajectoire institutionnelle d’Heloisa ne rend pas
justice à une voie interne, moins officielle, que ses activités de recherche ont
empruntée : la contribution des femmes à la culture du pays, thème auquel elle
s’est intéressée, semble-t-il, depuis 1929. Dans cette même année, elle prononce
une conférence à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts, qui sert de préambule à son
voyage à l’Ile de Marajó, l’année suivante et qui est source d'inspiration pour un
roman2. Malheureusement, tout ceci va néanmoins finir mélancoliquement par la
rédaction, en 1950, d’une thèse jamais soutenue sur “l'habillement” des femmes
bahianaises3.
«Cette première conférence montre déjà que ces idées n’allaient pas sans opposition :
J’ai toujours pensé avec fierté que l’art céramique le plus riche, sobre et vigoureux
1
Chor Maio M. et Romero Sá M. (2000, p. 1005) observent que, dans les discussions
brésiliennes sur la création de L’IIHA, «... dans le débat social, l’UNESCO est en réalité
perçue comme un agent des puissantes forces économiques et politiques étrangères qui
cherchaient à s’implanter sur le sol amazonien». En faveur de l’Institut, voir l’opuscule
«O Instituto Internacional da Hiléia Amazônica – razões e objetivos de sua criação»,
publié par Paulo Carneiro (Rio de Janeiro, 1951), où se trouve un document signé par
Heloisa et envoyé à la Chambre des députés en juillet 1949, s’opposant à l’avis de l’Etat
Major des Forces Armées sur les risques pour la souveraineté nationale de la création de
cet organisme. Voir aussi les impressions d’Alfred Métraux, fonctionnaire de l’UNESCO
incorporé à l’équipe du projet, dans son journal, Itinéraires I.
2
Ce roman de Bastos de Avila, intitulé No Pacoval de Carimbé, a été primé par
l’Académie Brésilienne de Lettres en 1932. Il est important de noter que, dans ce roman,
dont Heloisa est l’héroïne, l’auteur, professeur d’anatomie à la Faculté de Médecine de
Rio de Janeiro, réfute la théorie qu’elle expose dans sa conférence –celle de l’origine
autochtone et technique de l’ornamentation «marajoara», par opposition à la théorie de
l’immigration des indigènes– mais de fortes pluies détruisent les preuves à la fin de
l’histoire... Ce roman écrit par un homme peut ainsi, être lu comme une critique à
l’invasion d’un “lieu saint” –la maison du savoir– par une femme.
3
Originaires de l’état de Bahia, Nord-Est du Brésil.
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s’est finalement développé dans la région de l’Amérique où seules les femmes
exercent le métier de potières».
«Certains messieurs ont objecté : sans doute, les potières étaient toutes des femmes
mais, comme il s’agissait d’un art appliqué à des fins religieuses, la décoration en
incombait aux prêtres. D’accord, rien à redire».
Mais, après affirmer que ses recherches l’avaient malheureusement
convaincue que les hommes étaient les responsables des ornements en céramique,
dans la mesure où ils étaient les créateurs du tressé originel, elle conclut en disant
que “la femme, plus prévoyante que lui, a su veiller à la perpétuation d’une
culture forte, par son impression sur un matériau durable”1. C’était sa manière à
elle de faire un tout timide “manifeste féministe” sur la scène publique, à un
moment où, comme elle le dit elle-même, l’application des motifs de Marajó à la
décoration était “un thème à la mode”2.
Après l’avoir présentée très souvent3, Heloisa reviendra sur cette question
dans la thèse rédigée pour le concours au poste laissé vacant par Arthur Ramos et
1
Lévi-Strauss lui donne raison : «Sans prétendre remonter aux origines, le fait est qu’en
Amérique, la céramique est, le plus souvent, un art féminin. [..] Demiurge à petite échelle,
la céramiste, jalouse elle aussi, fait plier une matière en liberté. Modelée et fixée par la
cuisson dans une forme immuable, cette matière va à son tour contraindre, au fur et à
mesure qu’elle les “culturalise”, des substances végétales et animales encore à l’état
naturel». La potière jalouse, édition brésilienne de 1986, p. 38, 222 (Traduction libre à
partir de l’édition brésilienne, NdT).
2
. Sur l’utilisation de ces motifs par les décorateurs, Heloisa dit : «Qu’il me soit permis de
rester “marajoesa” à outrance... [..] Avant tout, il faut que l’artiste se laisse pénétrer par
l’esprit de Marajó, qu’il plonge dans l’observation minutieuse des tressés. La technique
est éducative» (Torres, 1929, p. 22).
3
A. Ribeiro note qu’elle a offert un cours de formation permanente dans le Musée, en
1934, intitulé “La femme entre les indiens du Brésil”. De même, une phrase qu’elle
prononce au cours d’un entretien en 1932, en comparant certains ornements des
céramiques indigènes aux dentelles françaises : «Je ne veux pas donner ici l’impression
que je donne libre cours à la fantaisie de la “cervelle qui trotte” d’une femme brésilienne
dans les veines de laquelle circule certainement du sang indigène. Mais, étant donné la
coincidence explicite entre les ornements et les panneaux dessinés par l’indigène brésilien
dans la cour de Catherine de Médicis, l’hypothèse n’a rien d’absurde. Cette question
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jamais soutenue. Dans “Quelques aspects de l’habillement de la noire
bahianaise”, sa démarche se fait plus incisive dès l’introduction :
«Ce travail présente une partie d’un thème de recherche que je développe depuis
quelques années déjà. Dans une société comme la nôtre, formée par colonisation,
quelques dizaines d’années d’indépendance politique ne suffisent pas pour effacer
l’orientation économico-sociale qui a permis l’expansion large et pacifique du
régime patriarcal. La femme est née sous ce régime, y a grandi et −exception faite de
l’institutrice− sa vie s’est limitée à un monde aussi éloigné de la culture, de
l’intelligence et de l’esprit qu’étranger au champ de l’activité sociale directe».
Après avoir mentionné quelques types culturels féminins −la fermière, la
commerçante, la dentellière− Heloisa affirme que la noire bahianaise, «de par la
pratique de plusieurs activités complexes et par l’exercice de fonctions
reconnues par la société comme masculines, a développé un style propre,
original et défini». En analysant les différents usages que les bahianaises font du
pano da costa1, son attention se détient davantage sur les détails techniques du
tissage −couleur, texture, type de métier à tisser ou de fil utilisé− que sur la
présentation des diverses façons de le porter, fait notamment à travers les belles
photographies annexées au travail. Tout indique que la recherche avait été
réalisée dix ans auparavant, quand Heloisa a commandé des poupées représentant
les mães de santo2 pour une exposition à Lisbonne. A cette occasion, comme
précédemment dans le cas de sa conviction sur la céramique indigène, sa position
requiert encore qu’on y fouille et je m’y emploie, mais je garde la conviction intime que
les métisses de nos forêts ont été les maîtres dont s’est inspiré l’art d’aussi belles
dentelles». Cité dans A.Ribeiro, Heloisa Alberto Torres e Marina São Paulo Vasconcellos,
p. 44 et 60. La thèse sur les habits et les parures des Bahianaises, dont le titre était
«Alguns aspectos da indumentária da crioula baiana» n’est jamais arrivée à soutenance
pour le concours au poste laissé vacant par Arthur Ramos. En effet, ce concours n‘a jamais
été ouvert et, dans la pratique, le poste a fini par être occupé de facto par l’assistante de
Ramos, Marina São Paulo de Vasconcellos.
1
L’expression originale en portugais a été maintenue. Elle signifie un large morceau de
tissu (pano en portugais) en provenance de la côte (costa en portugais) d’Afrique, que les
femmes bahianaises portent en châle, sur leur dos, ou en turban, sur leur tête, qui peut être
noué de plusieurs manières (NdT).
2
Littéralement “mères de saint”, prêtresses du candomblé (vaudou) bahianais (NdT).
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a encore été réfutée : les poupées ont été retirées de l’exposition sans même
figurer dans le catalogue. Elles peuvent néanmoins être vues aujourd’hui dans les
vitrines du Museu Nacional1.
La carrière institutionnelle de Heloisa suit une ligne visiblement liée à son
statut social dans le monde de l’époque. Néanmoins, ses thèses subissent
constamment des démentis et des disqualifications, à chaque fois qu’au cours de
ses interventions académiques, elle met l’accent sur l’aspect “féminin” de notre
culture −objet dont l’intérêt scientifique est moins clairement défini2.
Curieusement, un tel intérêt ne trouve aucun écho, ou très peu, dans sa large
correspondance.
LA CORRESPONDANCE
Contrairement à l’immense majorité des femmes de sa génération, Heloisa a
eu un contact avec les livres et les idées dès son plus jeune âge. Non seulement
elle a appris à lire et à écrire, comme elle a eu −également en opposition à
l’immense majorité des Brésiliens de la même époque− une éducation soignée,
dont faisait partie l’apprentissage des langues anglaise et française.
1
Il s’agissait de l’Exposition Historique du Monde Portugais, réalisée à Lisbonne en 1940.
Heloisa a été chargée de monter l’exposition ethnographique et, dans ce contexte, a fait la
propagande de l’image que Carmen Miranda avait rendue célèbre aux Etats-Unis depuis
1939, la Bahianaise. Quelques années plus tard, au cours d’une lutte pour la diirection du
Museu Nacional, le géologue Othon Leonardos expliquait pourquoi, selon lui, ces poupées
avaient été retirées de l’Exposition «... les échantillonnages envoyés à Lisbonne par Dona
Heloisa ont même été exposés dans le pavillon brésilien, mais ils n’ont pas été exhibés au
public parce que la Commission a jugé qu’il serait trop déprimant de présenter le Brésil
comme un pays de noirs et de candomblés», voir Corrêa M., 2000.
2
Pour le dire d’une manière plus précise, quand elle mettait l’accent sur la dimension de
genre dans sa performance comme “directeur” –comme elle se présentait formellement à
chaque reprise– ou comme “chercheur” parmi d’autres chercheurs. C’est-à-dire, quand elle
prenait ses distances vis-à-vis de la masculinité universelle implicite dans ces notions, Cf.
Corrêa M., 1997.
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On dit d’habitude qu’elle a très peu écrit au long de sa carrière : le volume
de sa correspondance va néanmoins à l’encontre de cette observation1. Ce sont
ces lettres qui dévoilent sa position cruciale, tant sur la scène nationale que dans
le champ international de la discipline qu’elle pratique, l’anthropologie2. Elles
témoignent de ses initiatives −certes assez commentées mais si peu analysées par
ses collègues (Castro Faria L, 1998b ; Wagley C.,1988)− en ce qui concerne les
accords “informels” avec d’autres institutions telle l’Université de Columbia. En
effet, ils n’étaient pas si informels que cela, dans la mesure où la permanence
prolongée des chercheurs de la dite université au Brésil dépendait de sa décision
−ainsi que l’autorisation pour les recherches sur le terrain, à travers son rôle dans
le conseil de Contrôle des Expéditions Scientifiques. Elle-même le dit, dans une
lettre adressée à Buell Quain :
«De toutes façons, je suis sûre que les Trumai sont à vous. Ce sera fait, même s’il est
nécessaire que j'aille moi-même vous ouvrir le chemin».
Sur le fait que ses lettres, ainsi que son rôle, ouvraient effectivement des
chemins une remarque de Mario de Andrade en témoigne : «Rien ne s’est fait
jusqu’à maintenant, plus d’un an s’est écoulé et D. Heloisa elle-même, que je
1
Les premières données d’une recherche en cours dans les seules archives du Museu
Nacional et de la Maison de la Culture Heloisa Alberto Torres (son dernier lieu de
résidence, dont elle a fait donation au service du Patrimoine Historique National) où sont
réunies ses archives personnelles, n’ont permis de dénombrer 350 lettres échangées entre
elle et sa famille, entre elle et les anthropologues qu’elle essayait d’attirer vers le Museu
Nacional –sans compter celles échangées avec Paulo Carneiro et les autres membres de
l’équipe de l’Institut International de l’Hyléa Amazonienne, dont une grande partie se
trouve dans les archives de l’UNESCO à Paris. On n’y comptabilise pas non plus les
innombrables lettres échangées entre elle et Curt Nimuendaju ou Mario de Andrade.
Malheureusement, la plupart des lettres sont celles qu’elle a reçues ; celles qu’elle a
envoyées sont, sans doute, entre les mains des destinataires, dont une grande partie se
compose de chercheurs nord-américains.
2
On ne peut pas la considérer comme une précurseure de l’anthropologie telle que nous la
pratiquons de nos jours. Ses travaux dans le Museu Nacional, au début de sa carrière, dans
une équipe de recherche dirigée par Roquette-Pinto, appartenaient au champ de
l’anthropologie physique. Plus tard, ses principaux travaux ont concerné l’étude de la
culture matérielle.
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respecte et admire énormément, n’a pas pu trouver le temps d’écrire une
dépêche à Berlin, pour faire démarrer les négociations»1 . Une autre remarque,
cette fois de la part de Curt Nimuendaju, confirme que ses lettres étaient à la fois
un important vecteur de communication et un indicateur des rapports en vigueur
au sein d’une communauté anthropologique assez dispersée : «D. Heloisa a
néanmoins mal interprété ma lettre et m’a répondu sur un ton si courroucé qui
démontre que, malgré la réception cordiale qu ’elle m’a faite à Rio, elle continue
à être la même personne que nous avons connue au Pará. Que sa volonté soit
faite !»2.
Ainsi, ces lettres n’étaient pas seulement écrites et envoyées, elles faisaient
aussi l’objet de classements de la part des membres du (petit) groupe
d’anthropologues qui circulaient dans le pays. Heloisa se plaignait que Ruth
Landes ne lui avait pas écrit après son retour aux Etats-Unis : «Ruth ne m’a
envoyé même pas une simple carte postale. Je sais qu’elle a souvent écrit à
1
Lettre de 1936 adressée à Rodrigo Mello Franco de Andrade, dans Cartas de trabalho, p.
60. Cette lettre concernait la discussion autour de la création d’un musée ethnographique.
Mario observe avec raison qu’Heloisa pensait exclusivement en termes d’ethnographie
amérindienne et lui, en termes d’ethnographie populaire.
2
Lettre de 1935, Nimuendaju à Carlos Estevão. (Nimuendaju, 2000, p. 223). On doit
remarquer que, dans les deux sources mentionnées, Heloisa était déjà traitée de Dona
(Madame) Heloisa –et elle n’était même pas encore la directrice du Museu Nacional. La
lettre d’Heloisa ne peut être que celle citée dans Grupioni L., 1998 : «Pour émettre un
jugement sur certains cas, il faut en connaître toutes les facettes. J’ai trouvé étrange le
jugement précipité et tellement sevère que vous avez émis sur les décisions du Conseil,
après que nous nous sommes entretenus comme nous l’avons fait. Par conséquent, je
considère de bon aloi que, par le futur, vous preniez le soin de bien vous informer des faits
avant de donner votre opinion sur eux, sous peine qu’on vous considère trop volage. Il
faut également que vous ayiez en tête que vous n’êtes pas la seule personne dans le monde
à respecter la parole donnée. Selon ce qui a été décidé entre nous, le Museu Nacional
réserve une ligne de crédit de dix mille cruzeiros (montant que vous avez vous-même
suggéré) pour l’achat de la documentation intégrale sur la culture “Canela”» (p. 170)
Dans les années suivantes, pendant la Seconde Guerre mondiale, Heloisa et le directeur du
Musée de l’état du Pará, Carlos Estevão, vont affronter le conseil pour défendre le droit de
Nimuendaju −qui était d’origine allemande mais naturalisé Brésilien− à poursuivre ses
recherches.
Lettres d’une femme rangée
193
Edison Carneiro mais c’est vraiment drôle qu’elle ne m’ait pas envoyé une seule
ligne. Mais je lui rends la monnaie de sa pièce»1.
Nimuendaju se plaignait à son tour qu’Heloisa ne daignait pas répondre
rapidement à ses lettres : «Je sais parfaitement que vous êtes surchargée de
tâches administratives et qu’il serait vain d’attendre que vos innombrables
responsabilités vous laissent le temps de répondre à mes lettres dans un délai
assez court. Mais le fait de le savoir ne résout pas le problème» (Grupioni, 1998,
p. 237).
Classées par ses interlocuteurs comme des indicateurs du maintien ou non
du pacte épistolaire2 −“maintenir l’échange continu de lettres” (Dauphin et al.,
1995, p. 131)− celles-ci peuvent aussi faire l’objet d’un classement de notre part.
Elles étaient certes des moyens d’échange d’informations mais, surtout, des
indices quant aux positions qu’occupaient par leurs signataires par rapport aux
destinataires. En tant que fonctionnaire des organismes censés décider des destins
de la recherche et de ceux des chercheurs −notamment des chercheurs étrangers−
Heloisa pouvait écrire autant des lettres en faveur que contre eux. Ceci jette une
nouvelle lumière sur le pacte épistolaire entre elle et ses correspondants. C’est
peut-être pour ne s'être pas rendu compte de cela que Lévi-Strauss, alors jeune
chercheur étranger au Brésil, a commis le faux pas de lui envoyer une lettre où il
écartait la collaboration d’un représentant du Museu Nacional au cours d'un de
ses voyages −ce qui a donné lieu à une série de malentendus, résolus seulement
quand il a fait amende honorable3.
1
Lettre de 1939 à Buell Quain. Comme Quain, Ruth Landes était une chercheure en
provenance de Columbia University dans le cadre de l’accord entre cette Université et le
Museu Nacional. Elle a publié A cidade das mulheres en 1947, résultant de sa recherche
sur les mães de santo à Bahia. Et, tout compte fait, elle a écrit plusieurs lettres et cartes
postales à Heloisa.
2
3
En français dans l’original, comme la plupart des expressions en italique (NdT).
Grupioni L., 1998, p. 142 ss. La réponse de Mario de Andrade, écrite à une date proche
de la lettre adressée à Lévi-Strauss, témoigne de l’agacement d’Heloisa : «Je n’ai pas
encore eu le temps de vous dire combien j’ai apprecié votre carte postale conseillant au
Mariza CORREA
194
Si Cécile Dauphin et ses collègues ont raison −et je pense que c’est le cas1−
l’efficacité de ces lettres est également symbolique et implique un échange dans
le sens de Mauss. Ces lettres échangées entre Heloisa et sa légion de
correspondants indiquent l’existence d’un réseau social très bien constitué à
partir de son lieu institutionnel d’énonciation, le Museu Nacional. Elles sont, en
outre, une source très riche d’informations sur les cercles sociaux qui se
superposaient aux cercles anthropologiques émergents dans le pays2.
L’échange de lettres entre elle et des chercheurs littéralement perdus dans
l’intérieur du pays s’insère sans doute dans le même type de pacte épistolaire,
−probablement “aren”− Nambikwara de manger le petit juif. Mais laissons le juif de côté
et oubliez les éloges indiscrets...». Cette lettre avait pour objectif de demander à Heloisa
une autre lettre. Mario de Andrade à Heloisa Alberto Torres, mars 1938, Archives du
Museu Nacional.
1
En bref, elles disent que : «Non seulement les lettres disent les modalités de leur
production, non seulement elles exhibent les procédés rhétoriques constitutifs du sens
déposé par les intéressés, mais encore elles parlent d’elles-mêmes dans les processus de
circulation» (Dauphin et al., 1995, p. 155).
2
Le “vaste réseau d’amitiés” qu’Heloisa a mobilisé pour aider les chercheurs qui
arrivaient au Brésil à vaincre “la bureaucratie enchevêtrée” du pays −évoqué par Charles
Wagley (1988, p. 31) et qui émerge de manière dispersée au long de ses lettres et de sa vie
elle-même− s’est explicitement articulé dans le contexte d’une crise qu’elle a dû affronter
au sein du Museu Nacional, en 1945. Un mémoire qu’elle a adressé au président de la
République en tant que directrice du Musée, et qui l’appuyait à un moment où son autorité
était contestée, comptait avec les signatures suivantes, entre autres : Alvaro Ozório de
Almeida, Afrânio Peixoto, Fernando de Azevedo, Candido Rondon, Venâncio Filho,
Hermes Lima, Gastão Cruls, Carlos Chagas, Maria Eugênia Celso, Lucia Miguel Pereira,
Otavio Tarquinio de Souza, Edgar Roquette-Pinto, Miguel Ozório de Almeida, Delgado de
Carvalho... C’est-à-dire que, tant par son origine familiale que par les liens professionnels
qu’elle a établis au long de sa carrière, Heloisa appartenait aux réseaux sociaux de la fine
fleur de l’intellectualité “carioca”. Parce qu’elles étaient en nombre réduit, les femmes qui
appartenaient à ces cercles intellectuels faisaient constamment l’objet d’articles dans les
journaux. Par exemple, en 1948, un journaliste a proposé la constitution d’un
gouvernement féministe, c’est-à-dire, composé exclusivement de femmes. Heloisa, Bertha
Lutz et Carlota Pereira de Queiroz étaient quelques unes de celles qu’il a mentionnées. O
Globo du 26 février 1948.
Lettres d’une femme rangée
195
mais est aussi d’une autre nature. Comme ils étaient entièrement isolés du monde
(un des chercheurs se plaint du manque de timbres mais dit que tous envoyaient
quand même leurs lettres, dans l’espoir qu’ils allaient être collés en route...), elle
devient leur référence et leur ancre celle de qui émanent toutes les initiatives,
petites ou grandes, et qui fournit les bagatelles quotidiennes nécessaires au bon
déroulement du travail de terrain («j’ai fait réparer votre magnétophone ; voilà
votre montre ; j’ai déjà envoyé les pellicules ; voulez-vous vos chemises ? ; j’ai
appelé votre mère ; j’ai fait suivre l’argent pour le billet ; je me suis occupée de
votre visa ; amenez Von den Steinen...»). D’une certaine manière, c’est comme si
Heloisa, avait échangé les mots qu’elle aurait pu utiliser pour écrire son œuvre
pour d’autres : des mots qui ont contribué à produire les œuvres de tierces
personnes, dans d’autres lieux et d’autres langues. Elle exerçait ainsi plutôt le
rôle de metteur en scène que celui d’actrice dans le scénario anthropologique.
C’est ce qu’elle dit elle-même dans une lettre à Curt Nimuendaju : «Je continue
d’être la même créature incorrigible qui échafaude les plans de travaux
ethnographiques a confiée à une troupe d'acteurs de choix. Et dans ces rêves
s’écoule ma vie...»1.
(Traduit du brésilien par Angela Xavier de Brito)
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1
Lettre du 19 mai 1939. Cité dans Grupioni, 1998, p. 93.
Mariza CORREA
196
Idem (1998) : «Heloisa Alberto Torres (1895-1977)», (in) Antropologia : escritos
exumados, espaços circunscritos, tempos soltos 1, Niterói, ed. da Universidade
Federal Fluminense.
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