Dossiers Pass”-Pr”sent
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8 L’épistolaire DossierPassé-Présent Un épistolaire contemporain Frédéric Mitterrand, Lettres d’amour en Somalie (1983) ! page 468 du manuel Question 1 Si le premier extrait tient du journal de voyage, le second prend nettement la forme de la lettre, comme le montrent les marques d’énonciation. Mais le journal de voyage participe de l’écriture épistolaire : il ne cesse tout au long de l’œuvre d’entremêler aux lettres, notations du voyageur et allusions obsessionnelles au « désamour » qui fait entreprendre à l’auteur son voyage : romanesque, il entretient avec les lettres en italique un rapport thématique (ici l’indifférence), stylistique (la Somalie se prête à la métaphore d’une nouvelle tentative de conquête amoureuse) et générique (l’absence de récit dans l’une et l’autre partie) dans l’un et l’autre extrait, fait du personnage qui écrit le jouet des événements évoqués, qui constituent l’histoire qu’aucun narrateur ne prend en charge). Question 2 Pour évoquer Paris, lieu du retour après l’expérience de l’« exil », le personnage choisit la toile de fond d’une nouvelle errance qui rappelle celle qu’il a vécue en Somalie (« Pour deux jours, une semaine, rarement plus », précise-t-il au paragraphe précédent). L’ « exil » du retour se comprend comme la répétition d’une quête à laquelle il a voulu mettre fin, ce à cause de la même absence de l’être aimé. Chagrin et bonheur disent à la fois la dure réalité et le souvenir d’un bonheur révolu, tous deux ravivés par la vision des « lieux que nous habitions ensemble », comme l’écrivait Julie (Julie ou la Nouvelle Héloïse, p. 454, l. 10), expression qu’on dirait reprise par : « les gens que nous voyions ensemble ». Mais la disposition chiasmatique des termes chagrin, bonheur, interdites, perdues, permet de placer le dernier terme faisant écho à chagrin en position stratégique : point d’orgue du paragraphe, il renvoie à l’échec et à la nostalgie d’un avant qu’aucune quête – le présent gnomique « on prête » le souligne – ne permet ni ne permettra de retrouver. Question 3 « J’ai cherché ton cœur sans parvenir à le trouver » : tout le texte file la métaphore d’une relation amoureuse, mais cette expression résume toute la douleur d’une expérience par laquelle, en voulant chercher un « rêve » qui arrache le personnage à la douleur de son abandon, au lieu de l’élever, ne lui fait rencontrer que lui-même (« J’aurais peut-être dû imposer le silence à mes souvenirs, à mes habitudes… »). C’est avec esprit critique qu’il s’accuse d’avoir cru un moment aimer celle dont les rêves étaient « si semblables à ceux que j’avais emmenés de France » : la communauté du malheur ne permet pas l’amour de l’autre, elle replie l’être sur lui-même : « si je t’ai tant aimée, c’est que nos épreuves étaient les mêmes ». Ce texte, qui peut apparaître comme une lettre d’amour, est en réalité une lettre de rupture. Question 4 Sans doute le sentiment d’amour pour la Somalie symbolise-t-il l’effort pathétique d’un homme pour ne pas sombrer dans la solitude : se « perdre » dans l’autre (« dans tes provinces »), puis « partager les rêves » de l’autre relatent les tentatives pour oublier son propre malheur. Si amour il y a eu, il résulte d’un effort, presque d’une ascèse. Ces limiteslà expliquent l’impossible rencontre. Question 5 Le lien entre le voyageur et le pays peut renvoyer à l’histoire du désamour qui constitue la trame de ce qui se raconte au fil des lettres (relire, par exemple, les pages 9, 15 de l’édition de référence). On retrouve le temps heureux de tous les possibles (« Avant toi, je pensais… »), le temps de l’amour (« j’ai cherché ton cœur »), l’illusion d’un amour réciproque (« sans parvenir à le trouver » ; comparez avec, page 15 de l’édition proposée : « un 8. L’épistolaire 1 DossierPassé-Présent instant du temps que tu m’aimais, un instant parmi tous ceux qui m’ont été arrachés »), la tentative pour faire survivre cette illusion (« j’ai préféré me contenter de tes rêves »), vite suivie du constat de l’échec, celui-là même qui avait motivé le départ de l’amant trompé : « il est temps que je m’en aille ». Un même bilan sans reproche : les deux belles propositions juxtaposées qui mettent en parallèle les mérites réciproques (« Je t’ai mieux comprise qu’on ne voudra te l’expliquer, tu m’as mieux accueilli qu’on ne pourra le croire ») renvoient au bilan qui est établi pour les héros du roman non seulement dans l’avant-dernier paragraphe, mais à chaque souvenir intime évoqué au fil de l’écriture de cette œuvre. Aucun reproche, aucune acrimonie ne s’exprime : « Parfois, le désespoir est un sentiment calme. » (p. 9 de l’édition proposée). Question 6 La tradition du roman épistolaire apparaît dans le fait que l’auteur s’efface, même fictivement, et délègue la narration au personnage : à travers le choix de ses interlocuteurs, à travers ce qu’il exprime dans ses lettres, une histoire d’amour et de désamour se donne à lire, à reconstituer, à analyser. On notera l’affirmation, d’entrée de jeu d’une situation d’énonciation propre à l’épistolaire : « Une nuit où tu n’étais pas là, je suis venu dormir chez toi. Dans ton lit. Dans tes draps. » (p.9 de l’édition proposée) De ce point de vue, la publication de cette œuvre pourrait être assimilée à celle d’une correspondance privée, à laquelle, justement, elle conférerait une qualité littéraire. Les Lettres portugaises fournissent une problématique de ce genre (voir « L’objet lettre en littérature », p. 467 du manuel, paragraphe 3). Quant au titre, qui invite à une réflexion sur le pluriel (Lettres d’amour en Somalie), il souligne pour notre relecture : – la pluralité de lettres écrites au même destinataire, mais dont on peut penser que l’envoi est différé, vu que la personne a rompu avec lui (voir « L’objet lettre en littérature », p. 467 du manuel). – en lui-même, l’impossible communication – la diversité des lettres, des épistoliers et des destinataires (« À la plantation, vers le fleuve, j’ai trouvé d’autres lettres partant de Somalie », p. 68 de l’édition proposée), – la clôture de cette écriture des lettres (« en Somalie »), aucune, quel qu’en soit l’auteur, n’ayant franchi ou ne devant franchir la frontière, véritable paradoxe de l’épistolaire ! Tout cela participe bien d’une problématique du roman par lettres. Question 7 L’écart par rapport à l’épistolaire ne réside donc pas tant dans l’adoption de la lettre sans réponse et dans l’intrigante complexité de communication contenue dans le titre même, que dans la coexistence, tout au long de ces pages, de deux types d’écriture, démarquées par la typographie : le journal de voyage et, en italique, la lettre. Le premier s’affirme comme tel par son caractère documentaire et la précision scientifique de ses analyses historiques, le reportage, enfin, né au cœur du réel. Mais précisément, ce premier type d’écriture n’est pas clos sur lui-même : il s’adresse à la même destinataire que les lettres (p. 23 de l’édition proposée, « Et comme le vieux prince Lobkowicz que nous avions rencontré à Prague… »), souligne subrepticement l’impossible oubli de l’autre malgré la distance : à la p. 14 de l’édition proposée, aussitôt après l’évocation de la vie des villes liée au climat, surgit, directement enchaînée, cette phrase en italique, comme si s’effaçait la frontière avec l’écriture épistolaire : « En France, tu regagnes la maison du Midi ». Ainsi peut-on étudier la manière nouvelle dont d’une part la majorité des lettres reliées par le thème sentimental et psychologique (à l’exclusion de celles des habitants, qui sont versées au dossier documentaire) et d’autre part le journal de voyage sont sans cesse mis en écho pour former l’unité romanesque. 8. L’épistolaire 2