Arthrite aiguë pseudoseptique après injection de hyaluronate de

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Arthrite aiguë pseudoseptique après injection de hyaluronate de
Société Française de Rhumatologie
Les Publications sélectionnées
Revue du Rhumatisme 71 (2004) 639-641
Arthrite aiguë pseudoseptique après injection de hyaluronate de sodium
Acute pseudoseptic arthritis after intra-articular sodium hyaluronan
Jodie Roos a, Olivier Epaulard b, Robert Juvin c, Carole Chen a, Patricia Pavese b, Jean-Paul Brion b,*
a Département de pharmacie, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France
b Service des maladies infectieuses, DMAS, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France
c Service de rhumatologie, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France
Reçu le 22 avril 2003 ; accepté le 1 septembre 2003
Disponible sur internet le 30 octobre 2003
Résumé
Une femme de 70 ans avec un antécédent de gonarthrose est hospitalisée pour une arthrite aiguë neuf jours après une deuxième
injection intra-articulaire de hyaluronate de sodium (Ostenil®). Face à un liquide synovial purulent, sans cristaux, accompagné d’un
syndrome inflammatoire biologique franc, la patiente est placée sous traitement antibiotique. La persistance de symptômes invalidants
impose la réalisation d’un lavage chirurgical. Malgré ce geste la patiente demeure très algique. Les antibiotiques sont stoppés au bout de
10 jours, devant l’absence d’amélioration et des résultats négatifs des cultures du liquide articulaire et des hémocultures pratiquées.
Placée alors sous traitement anti-inflammatoire, l’état de la patiente s’améliore et le retour à domicile est possible après un mois
d’hospitalisation. La patiente demeure néanmoins algique et nécessite une rééducation du genou. L’hypothèse la plus probable est celle
d’une arthrite aseptique successive à l’injection de hyaluronate de sodium. Il convient d’avoir à l’esprit cette complication gravissime
pour ce nouveau dispositif médical.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
A 70-year-old woman with a history of knee osteoarthritis was admitted for acute arthritis 9 days after a second intraarticular injection of
sodium hyaluronan (Ostenil®). The joint fluid was purulent, with no crystals, and laboratory tests showed marked inflammation, leading
to antibiotic treatment for suspected septic arthritis. Incapacitating symptoms persisted, prompting surgical lavage of the knee, which
failed to relieve the severe pain. The persistent symptoms and negative results of joint fluid and blood cultures led to discontinuation of
the antibiotic therapy after 10 days. Antiinflammatory therapy relieved the symptoms, and the patient was discharged home 1 month
after her admission. Nevertheless, the pain persisted, requiring rehabilitation therapy of the knee. Aseptic arthritis induced by repeated
sodium hyaluronan injection is the most likely diagnosis. Physicians should be aware of this extremely severe complication.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Arthrite aiguë ; Acide hyaluronique
Keywords: Acute arthritis; Hyaluronan
L’acide hyaluronique est un polymère de disaccharides que l’on retrouve dans le liquide synovial. Il joue un rôle de protection viscoélastique sur le cartilage articulaire et la membrane synoviale [1]. Dans l’arthrose, la concentration et le poids moléculaire de l’acide
hyaluronique du liquide synovial sont diminués, modifiant la visco-élasticité du liquide synovial et rendant le cartilage et la synoviale plus
vulnérables aux agressions mécaniques et inflammatoires. Les propriétés de l’acide hyaluronique ont conduit au développement du
concept de viscosupplémentation. Ce traitement est réalisé depuis une dizaine d’années sous forme de cycle de plusieurs injections intraarticulaires d’acide hyaluronique. Cette viscosupplémentation permet une diminution de la douleur associée à une amélioration de la
mobilité articulaire qui se prolongerait plusieurs mois après la fin du traitement. Le hyaluronate de sodium produit par fermentation
bactérienne, (Ostenil®, TRB Chemedica France) se présente comme une solution visco-élastique commercialisée avec le statut de
dispositif médical dans le traitement de l’arthrose.
En tant que dispositif médical l’acide hyaluronique n’agit ni pharmacologiquement, ni immunologiquement mais permettrait d’améliorer
les propriétés rhéologiques du liquide synovial [2].
De rares cas d’arthrites non infectieuses après viscosupplémentation ont été décrits [3–6]. Notre observation rapporte un tableau sévère
évoquant une arthrite aiguë septique associé à un syndrome inflammatoire secondaire à une injection d’Ostenil®.
1. Observation
Une patiente de 70 ans, est hospitalisée pour une suspicion d’arthrite septique. Dans ses antécédents on note une gonarthrose
fémorotibiale interne, sans ostéophyte et sans signe de chondrocalcinose, ayant nécessité une ostéotomie deux ans auparavant. Elle a
bénéficié trois semaines auparavant de deux injections intra-articulaires de hyaluronate de sodium (Ostenil®). Ces injections ont été
réalisées de manière aseptique par un rhumatologue. Devant un genou inflammatoire, quatre jours après la deuxième injection, une
ponction articulaire est réalisée par le rhumatologue de ville et montre un liquide purulent (100 000 éléments/mm3 avec 69,1 % de
polynucléaires et 31,9 % de lymphocytes). La recherche de cristaux, effectuée par contraste de phase et lumière polarisée, est négative
ainsi que les cultures bactériennes sur milieux usuels. Le bilan biologique retrouve essentiellement une hyperleucocytose (16 000/mm3
avec 57,2 % de neutrophiles et 33,6 % de lymphocytes). Cinq jours après cette ponction la patiente est hospitalisée en raison de
douleurs intolérables. L’examen clinique montre une fièvre à 38,5 °C et un genou inflammatoire. La gonalgie nécessite de fortes doses de
morphine. Le diagnostic évoqué en priorité est celui d’une arthrite bactérienne aiguë secondaire à une contamination percutanée intraarticulaire. Un traitement antibiotique (ciprofloxacine, 1000 mg ; rifampicine, 1800 mg) est alors instauré.
L’importance des signes fonctionnels, le caractère puriforme du liquide synovial et le volume de l’épanchement intra-articulaire fait
rapidement réaliser un lavage chirurgical. L’examen histologique de fragments de synovectomie montre une synoviale très épaissie et
d’aspect inflammatoire, avec des synoviocytes desquamés, ou légèrement hyperplasiés selon les places, s’accompagnant d’ importants
dépôts fibrinoleucocytaires avec présence d’amas denses de polynucléaires plus ou moins altérés. La charpente conjonctive est
hypervascularisée et fortement congestive occupée par des infiltrats inflammatoires chroniques densément cellulaires.
Cela permet donc de conclure à des lésions de synovite chronique sévère non spécifique compatible avec la notion d’une arthrite
septique. Les analyses bactériologiques (cultures aérobies, anaérobies, brucella et mycobactéries) et mycologiques (recherche de candida
spp) de l’ensemble des prélèvements de liquide articulaire restent négatives ainsi que les hémocultures réalisées. L’hypothèse d’une
arthrite successiveà l’injection d’acide hyaluronique® est évoquée et l’antibiothérapie est stoppée au bout de 10 jours au profit d’un
traitement par anti-inflammatoires non stéroïdiens (kétoprofène). L’évolution clinique et biologique est alors favorable avec notamment
une disparition du syndrome inflammatoire en trois semaines. Le retour à domicile est possible après un mois d’hospitalisation grâce à
l’association d’un traitement anti-inflammatoire, poursuivi durant un mois, d’un antalgique de pallier II, et d’une rééducation du genou.
La patiente est revue en consultation six semaines après sa sortie. Le genou est moins gonflé et il existe une mobilité de 10–15° de
l’articulation du genou sans appui possible. Le recours aux antalgique de classe II est toujours nécessaire.
2. Discussion
Plusieurs cas d’arthrites aseptiques non microcristallines après injection d’acide hyaluronique ont été rapportés [3–6] mais aucun avec
Ostenil®, un dispositif médical commercialisé en France depuis mai 2002 et en Allemagne depuis 1998. Les produits à base d’acide
hyaluronique utilisés en injection intra-articulaire ont le statut de dispositif médical et non de médicaments. Ils sont remboursés par la
Sécurité sociale depuis septembre 2002.
Tous les cas se sont produits après injection de hylane GF-20 (Synvisc®) qui est un polymère de hyaluronate. Le délai d’apparition du
tableau d’arthrite est généralement court, inférieur à 72 heures. Le liquide articulaire est systématiquement inflammatoire, voire
purulent. L’évolution est rapidement satisfaisante grâce à un traitement par antiinflammatoires non stéroïdiens ou corticoïdes permettant
une guérison complète sans séquelle dans un délai de quelques jours à trois semaines (Tableau 1).
Notre observation présente plusieurs particularités : la durée d’apparition, qui est de neuf jours contre une à soixante douze heures dans
les cas rapportés, et le tableau clinique d’arthrite septique aiguë. Plusieurs hypothèses ont été évoquées pour expliquer la
physiopathologie de ces arthrites. Les arthrites décrites ne surviennent jamais après une première injection et plusieurs auteurs ont
évoqué un possible phénomène de sensibilisation après accumulation d’acide hyaluronique [5]. La formation de cytokines proinflammatoires qui pourrait être stimulée par certains produits de dégradation a aussi était suggérée [4,5]. Or l’Osténil® se caractérise
par une gamme étroite de faible poids moléculaire qui permettrait d’assurer l’absence de produits de dégradation d’acide hyaluronique.
L’Ostenil® se différencie du hyalane par son poids moléculaire et par son origine non animale qui diminue le risque d’allergie lié aux
protéines animales évoqué par certains auteurs [3]. Il est à noter que l’acide hyaluronique est un ligand des CD44, récepteurs impliqués
dans la migration et le recrutement des cellules de l’inflammation et que le CD44 est surexprimé dans l’arthrose [7,8]. Enfin, une autre
hypothèse pourrait être celle de particules non éliminées lors de la purification du produit bien qu’il n’y ait aucun cas semblable déclaré
avec ce même lot.
Tableau 1
Principales caractéristiques des observations rapportées [3–6]
Auteurs
patient
Sexe/âge
Nombre d’injections
Signes systémiques
Traitement
Puttick et al.[3]
1
2
3
4
5
6
F/54
F/51
F/78
M/58
F/42
F/60
4
4
5
3
4
2
aucun
aucun
aucun
aucun
aucun
aucun
PE,A
PE,A
PE, corticoïdes
PE, corticoïdes
A
A
Pullman et al. [4]
1
2
3
4
5
6
7
F/51
M/53
F/65
M/31
F/50
F/67
M/51
3
3
2
3
3
2
2
aucun
aucun
aucun
aucun
aucun
aucun
aucun
Corticoïdes
Corticoïdes
Corticoïdes
aucun
Corticoïdes
Corticoïdes
Corticoides
Bernadeau et al. [5]
1
2
F/73
M59
2
2
fièvre
aucun
AINS + paracétamol
paracétamol
IA
IA
IA
IA
IA
IA
Leopold et al. [6]
1
2
3
4
5
M/49
M/62
F/58
F/52
F/60
1
1*
1*
2
3
aucun
aucun
aucun
aucun
aucun
Corticoides,
Corticoides,
Corticoides,
Corticoides,
Corticoides,
PE
PE
PE
PE
PE
PE, ponction évacuatrice ; A, analgesiques ; IA, intra-articulaire ; *, deuxième cycle de traitement.
3. Conclusion
La gravité de la forme clinique ressemblant en tout point à une arthrite septique, ayant conduit à un traitement chirurgical invasif et
l’imputabilité très probable de l’acide hyaluronique dans ce tableau clinique sévère méritaient d’être rapportées. Lors de l’instauration
d’un traitement par Osténil®, les prescripteurs doivent avoir à l’esprit cette complication éventuelle, qui nécessite une prise en charge
diagnostique et thérapeutique spécifique. Une déclaration aux services de matériovigilance de tout effet indésirable survenant avec ce
produit récent devrait permettre une meilleure compréhension de ces phénomènes d’arthrite successifs à l’injection d’acide hyaluronique.
Références
[1] Peyron JG. Intra-articular hyaluronan injections in the treatment of osteoarthritis: state-of-the-art review. Rheumatol 1993;39:10–5.
[2] Balazs EA, Denlinger JL.Viscosupplementation: a new concept in the treatment of osteoarthritis. J Rheumatol 1993;39:3–9.
[3] Puttick MP, Wade JP, Chalmers A, Connell DG, Rangno KK. Acute local reactions after intra-articular hylan for osteoarthritis of the
knee. J Rheumatol 1995;22:1311–4.
[4] Bernardeau C, Bucki B, Liote F. Acute arthritis after intra-articular hyaluronate injection: onset of effusions without crystal. Ann
Rheum Dis 2001;60:518–20.
[5] Pullman-Mooar S, Mooar P, Sieck M, Clayburne G, Schumacher HR. Are there distinctive inflammatory flares after hylan g-f 20
intraarticular injections ? J Rheumatol 2002;29:2611–4.
[6] Leopold SS, Warme WJ, Pettis PD, Shott S. Increased frequency of acute local reaction to intra-articular hylan GF-20 (synvisc) in
patients receiving more than one course of treatment. J Bone Joint Surg Am 2002;84:1619–23.
[7] Johnson BA, Haines GK, Harlow LA, Koch AE. Adhesion molecule expression in human synovial tissue. Arthritis Rheum 1993;36:137–
46.
[8] Kurosaka N, Takagi T, Koshino T. Effects of hyaluronate on CD44 expression of infiltrating cells in exudate of rat air pouch, induced
by sensitization with lipopolysaccharide. J Rheumatol 1999;26:2186–90.
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