la propriété intellectuelle

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la propriété intellectuelle
UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
ECOLE DES HAUTES ÉTUDES COMMERCIALES
ECONOMIE NATIONALE :
« LA PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE
SACHA FISCHER
RAPHAËL PREBANDIER
SIMON VUILLE
P ROFESSEUR : J.-C H. L AMBELET
ASSISTANTE : B. B LANC
A VRIL 2002
»
PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
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TABLE DES MATIÈRES
1. DÉFINITIONS .................................................................................................................... III
1.1. Historique ............................................................................................................... III
1.2. Economique ............................................................................................................. IV
1.3. Juridique ................................................................................................................... V
1.3.1. Droit d'auteur .................................................................................................. V
1.3.2. Brevet ............................................................................................................. VI
2. CONSID ÉRATIONS D'ORDRE ÉCONOMIQUE ................................................................. VIII
2.1. Introduction ......................................................................................................... VIII
2.2. La propriété intellectuelle, ins trument de régulation pour l'ensemble
de la communauté sociale ................................................................................... VIII
2.2.1. Méthodologies ................................................................................................ IX
2.2.2. Effet de l’efficacité du système de brevet sur la balance commerciale .......... IX
2.2.3. Effet de l’efficacité du système de brevet sur l'investissement étranger
direct ............................................................................................................... X
2.2.4. Effet de l’efficacité du système de brevet sur la croissance ........................... XI
2.3 Conclusion ................................................................................................................ XI
3. ETUDE DE CAS .............................................................................................................. XIII
3.1.
3.2.
3.3.
3.4.
3.5.
Introduction ......................................................................................................... XIII
Crise de l'anthrax ................................................................................................ XIII
L’industrie pharmaceutique contre le gouvernement sud-africain .................. XV
La Conférence de l'OMC .................................................................................... XVI
Coca-cola ............................................................................................................. XVII
4. CONCLUSION ............................................................................................................. XVIII
5. BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................ XIX
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1. DÉFINITIONS
1.1 Historique
La propriété intellectuelle constitue actuellement un droit pratiquement aussi respecté et
indiscutable que la propriété de biens matériels. En effet, les détenteurs de droits d’auteurs, de
brevets ou de marques déposées, à l’instar des propriétaires d’immeubles par exemple,
peuvent vendre, déposer en gage ou même détruire leurs possessions.
Il n’en a pas toujours été ainsi, l’idée qu’un bien immatériel puisse être légalement protégé
n’a germé que récemment dans notre société.
En droit romain, réputé pour être le plus sophistiqué de l’Antiquité, le concept de propriété
intellectuelle n’est jamais apparu. Dès qu’un auteur publiait son œuvre, celle-ci tombait
immédiatement dans le domaine public.
Lors de la Renaissance, l’invention de l’imprimerie a permis un rayonnement plus large et
plus rapide des publications. Cependant le même principe s’appliquait toujours uniformément.
Ce n’est qu’au début du XIXème siècle, lorsque le progrès technique et l’industrie ont
réellement explosé, que la nécessité de protéger les inventeurs et les auteurs victimes de
plagiat s’est fait sentir.
Il convient ici de relever que les autorités helvétiques ne se sont lancées que tardivement dans
cette réflexion, étant donné que l’industrie nationale n’était encore ni très développée ni très
innovatrice à cette époque. Ce n’est qu’en 1883 que la Suisse a signé la Convention d’Union
de Paris, qui régit le droit industriel (les brevets, les marques et la concurrence déloyale).
Quant au droit d’auteur, une loi fédérale l’a introduit deux ans plus tard.
Depuis, les réglementations sont devenues plus générales et sont appliquées uniformément
dans la majorité des pays. En effet, les accords de l’OMC contiennent certaines clauses,
connues sous le nom de TRIPS (trade related intellectual property rights), garantissant un
respect international de la propriété intellectuelle.
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1.2 Economique
Les droits de propriété intellectuelle visent deux objectifs principaux :
•
Encourager la création, en octroyant un monopole d’exploitation aux artistes et aux
inventeurs. Il s’agit donc d’un encouragement des pouvoirs publics favorisant les
intérêts des créateurs qui investissent du temps et de l'argent dans leur activité.
•
Faire profiter la collectivité des travaux de ces individus, en favorisant une distribution
large mais néanmoins protégée des œuvres et des progrès techniques. Cet aspect est
particulièrement flagrant en ce qui concerne les brevets protégeant des inventions. En
effet, sans protection de la propriété intellectuelle, les industries cultiveraient le secret
autour des procédés de fabrication de leurs produits. Alors que, si elles choisissent de
breveter leurs inventions, elles doivent obligatoirement publier leurs recherches, ce qui
peut permettre à d’autres agents économiques d’améliorer également leur productivité.
La propriété intellectuelle en général et les brevets en particuliers peuvent donc être considéré
comme des subventions visant à favoriser la croissance du revenu national. Ce concept
semble profitable aussi bien aux individus qu’à la collectivité, cependant les intérêts divergent
lorsqu’il s’agit de fixer la durée optimale d’un brevet. En effet, le bénéfice du détenteur d’un
monopole est une fonction croissante de la durée de celui-ci. Alors que la valeur d’une
innovation pour la collectivité décroît plus le monopole dure.
Bénéfices
Monopoleur
Economie nationale
Temps
L’endroit où les deux courbes se croisent représente la durée de protection idéale que les
autorités devraient accorder aux inventeurs. Elle est actuellement de vingt ans, cependant
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cette période résulte d’âpres négociations entre différents groupes de pression et non pas de
calculs qu’aucun modèle ne permet d’effectuer actuellement. Il est donc très difficile de la
qualifier d’optimum économique.
De récentes recherches dans ce domaine tentent de démontrer que les gains de l’économie
nationale sont, avec le système actuel, très nettement supérieurs à ceux des détenteurs de
brevet. Cela suggère que d’avantage de subventions pourraient être accordées à la recherche
et que d’importants gains sociaux pourraient encore être réalisés avec de nouvelles solutions
de valorisation de la propriété intellectuelle. (C. Jones, Introduction to economic growth,
chapitre 5)
1.3 Juridique
1.3.1
Droit d'auteur
La nouvelle loi fédérale sur les droits d’auteurs (LDA), entrée en vigueur en 1993, a pour but
de protéger des œuvres, c’est à dire des « créations de l’esprit, littéraires ou artistiques qui ont
un caractère individuel » (art. 2 al. 1 LDA). Elle englobe donc de nombreux doma ines ; les
publications écrites, littéraires ou scientifiques, la musique, les beaux-arts, le cinéma, les
logiciels, etc. La protection commence dès la création de l’œuvre, sans aucune formalité
particulière, le symbole « copyright »  n’est pas nécessaire.
La LDA donne à un auteur deux droits principaux ; celui de paternité, c’est à dire d’être
obligatoirement désigné comme auteur, et celui de divulgation, en d’autres mots le contrôle
de la distribution. Ces droits sont transmissibles, l’auteur peut donc les vendre, y renoncer
(c’est le cas des auteurs anonymes ou « nègres ») et les transmettre par voie de succession. Il
convient encore de préciser que la protection prend fin septante ans après le décès de l’auteur
de l’œuvre. Pour les logiciels, ce délai a été ramené à cinquante ans (art. 29 LDA). De plus,
les droits d’auteur s’étendent également à tous les produits dérivés, on comprend donc que les
auteurs qui y renoncent ne soient pas légion.
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1.3.2
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Brevet
Le domaine des inventions techniques est régi en Suisse par la loi fédérale sur les brevets
d’invention (LBI) de 1954. Les conditions matérielles pour déposer un brevet auprès de
l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle sont les suivantes :
Il doit concerner une invention, c’est à dire « une création de l’esprit humain qui, du point de
vue technique, tend à réaliser, par une combinaison nouvelle et originale des forces de la
nature, à la fois un effet utile et un progrès notable » (ATF 95 I 579 = JdT 1970 p. 629).
Par création, il faut comprendre solution dont le résultat est reproductible à l’infini. De plus,
elle appartient obligatoirement au domaine de la technique, ce qui implique une activité
humaine. Naturellement, une invention se doit également d’être inédite et de pouvoir se prêter
à une utilisation industrielle.
Cette définition implique logiquement qu’une découverte, par exemple une protéine inconnue
jusqu’alors mais existant dans la nature, ne soit pas brevetable. Une utilisation originale de
découverte, comme un médicament, peut par contre être protégé. Cette distinction entre
invention et découverte rend la recherche fondamentale très onéreuse pour les industriels, qui
ne peuvent pas breveter les fruits de leurs recherches avant d’inventer des applications
concrètes. C’est pourquoi ce sont généralement les universités qui se chargent de cette étape
commercialement ingrate du progrès scientifique.
Le détenteur d’un brevet dispose d’un monopole d’exploitation de l’invention sous-jacente
pendant une période de vingt ans (art. 14 LBI). Cependant la grande majorité des brevets
expire avant cette échéance. Habituellement le titulaire d’un brevet renonce à son droit dès
qu’il n’y trouve plus aucun intérêt économique, c’est à dire dès que la technologie brevetée
est dépassée.
Les droits octroyés par un brevet souffrent de quelques restrictions, nous allons nous
intéresser à la plus importante ; les licences obligatoires. Le juge peut, dans certains cas
énumérés dans la loi (art. 36ss LBI), autoriser des tiers à utiliser une invention sans l’accord
du détenteur du brevet. Cette dérogation n’est envisageable que pour trois raisons :
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•
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Si un progrès technique important et d’un intérêt économique considérable est bloquée
par un brevet.
•
Si une invention n’est pas suffisamment exploitée par le détenteur de son brevet. Par
suffisamment, il faut comprendre que la demande du marché suisse doit être satisfaite.
•
Si l’intérêt public l’exige, une licence obligatoire peut être octroyée à différents
producteurs. Il s’agit du cas de figure qui s’est récemment présenté aux Etats-Unis.
Lorsqu’une épidémie d’anthrax était à craindre, le détenteur du brevet sur
l'antibiotique (le Cipro) s’est vu menacé de se voir retirer son monopole. Cette
disposition, réservée à des situations extrêmes n’a pour l’heure jamais été appliquée en
Suisse.
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2. CONSIDÉRATIONS D'ORDRE ÉCONOMIQUE
2.1 Introduction
Le débat sur l’utilité ou l’inutilité des droits de la propriété intellectuelle ne date pas d’hier :
aux alentours de 1860, le brevet est considéré par certains comme « un outrage à la liberté et
l’industrie » et le journal britannique The Economist titre « Il est très probable que les lois sur
les brevets seront abolies prochainement ». Nous en sommes revenus.
Souvent, la propriété industrielle est perçue comme un instrument d’appropriation indue parce
que ses détracteurs imaginent que le monde de l’innovation est statique et figé, à l’image du
monde matériel. Chaque brevet est vu comme un horizon fermé. Mais, si on considère que
l’économie de l’innovation est un processus dynamique, que l’innovation appelle
l’innovation, et que le cercle des connaissances est croissant et sans limites, alors on
comprend pourquoi la propriété intellectuelle est indispensable au bon fonctionnement d’une
économie moderne, et, grâce à la riche expérience des décennies écoulées, la question ne se
pose plus en termes de tout ou rien. Le véritable défi reste donc de pouvoir identifier les effets
- bénéfiques aussi bien qu’indésirables - que les droits de la propriété intellectuelle peuvent
avoir sur l’économie d’un pays, ceci dans le but d’ajuster ou d’adapter les conditions
d’exercices de ces droits afin de maximiser le bien-être général.
L’objectif de cette section est de présenter quelques-uns, et quelques-uns seulement, des
phénomènes économiques qui sont liés à la présence d’un système de protection de la
propriété intellectuelle, et dont l’étude permettra au législateur de faire un choix quant aux
modalités de l’application d’un tel système légal.
2.2 La propriété intellectuelle, instrument de régulation pour l'ensemble de la
communauté sociale
D’un point de vue macroéconomique, il est essentiel d'analyser l’utilité des droits
économiques que sont les droits de la propriété intellectuelle. Cette analyse est importante
dans le cadre des réglementations qu'un état adopte en fonction de ses objectifs de politique
économique.
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Les droits de la propriété intellectuelle sont en effet des instruments de politique économique
qu’il ne faut pas négliger. En fonction des dispositions législatives arrêtées, on peut orienter et
favoriser le développement de secteurs d’activités déterminés (mode, agro-alimentaire,
automobile, logiciel…). De surcroît, au delà de l’impulsion sectorielle, une politique globale
de propriété industrielle, définie préciséme nt et mise en oeuvre fortement est une véritable
arme géopolitique pour le pays qui sait s’en doter. On peut d’ailleurs clairement affirmer que
les Etats-Unis ont, dans le domaine, une nette longueur d’avance sur l’union Européenne,
puisqu’ils développent avec minutie une telle politique depuis plus de 20 ans.
Parmi les variables macroéconomiques influencées par le système de protection de la
propriété intellectuelle, on peut citer, parmi les plus importantes : la balance des paiements,
l’investissement étranger direct, l’accroissement de la productivité, et, bien sûr, la croissance.
Il nous paraît intéressant de présenter ici l’état des recherches dans ce domaine.
2.2.1
Méthodologies
Sans entrer dans les détails, il paraît nécessaire de présenter quelques aspects des
méthodologies utilisées par les chercheurs. Premièrement, l’analyse vise à établir l’existence et plus rarement la magnitude - d’un lien entre les variables macroéconomiques citées plus
haut et le niveau d’efficacité du système légal de protection de la propriété intellectuelle, ou,
plus spécifiquement du système de brevets. Deux indices existent pour quantifier l’efficacité
d’un tel système : celui de Rapp & Rozek et celui de Ginarte & Park. Ces deux indices
incluent différents critères, comme l’étendue du brevet, sa durée, ou encore la participation
aux principaux traités internationaux.
2.2.2
Effet de l’efficacité du système de brevet sur la balance commerciale
D’un point de vue théorique, cette relation s’analyse par la présence de deux forces
contradictoires :
L’effet d’accroissement du marché : la logique veut que plus le système de brevet est efficace
dans le pays importateur, plus le marché pour le bien que l’on envisage d’exporter est grand.
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En effet, les pirates potentiels, qui auraient pris des parts de marchés avec leur imitation du
produit sont découragés par le bon fonctionnement du système de brevets.
L’effet de pouvoir sur le marché : cet effet découle de la protection efficace d’une situation de
monopole apportée par le système des brevets. Le producteur étranger peut en effet diminuer
sa production dans le but de vendre son produit plus cher. Il s’agit là d’une application
classique de la maximisation du profit dans une situation de monopole.
La présence de ces deux effets contradictoires implique que l’effet global de l’efficacité du
système de brevets sur les flots commerciaux internationaux est théoriquement ambigu.
Toutefois, plusieurs études empiriques : Penubarti & Maskus (1995) Smith (1999) Fink &
Primo Braga (1999) sont parvenues à dégager que l’effet d’accroissement de marché domine,
et, en conséquence, plus un pays est doté d’un système de protection de brevets fort, plus il
importe des biens.
2.2.3
Effet de l’efficacité du système de brevet sur l'investissement étranger direct
L’analyse théorique est très proche de celle appliquée pour l’influence sur la balance
commerciale, les effets d’accroissement du marché et de pouvoir sur le marché étant
également présents. En effet, plus il est difficile pour un concurrent d’imiter les produits de la
firme étrangère, en raison de l’efficacité du système de brevet, plus la firme aura de raisons
d’investir et de s’installer.
Les recherches empiriques : Smarzynska (1999) Maskus (2000) tendent, pour la plupart, à
confirmer le fait qu’un système de brevets efficace entraîne un investissement étranger direct
plus important. Cette relation est d’autant plus significative que la recherche et
développement représente une part importante des coûts du secteur sous revue (pharmacie,
chimie, matériaux high-tech). Finalement, une protection efficace encouragera les
investisseurs à entreprendre des projets liés à la fabrication, par opposition à des projets
reposant principalement sur des activités de distribution.
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2.2.4
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Effet de l’efficacité du système de brevet sur la croissance
On peut remettre en question l’argument classique qui veut que l’efficacité du système de
protection intellectuelle soit positivement corrélée à la croissance. Après tout, de nombreux
pays se sont développés économiquement malgré une protection de la propriété intellectuelle
assez faible : on peut citer la Corée, le Japon, Taiwan... D’autres pays ont souffert d’une
certaine stagnation provoquée ou non par des systèmes de protection faible comme le Brésil,
l’Argentine ou encore l’Inde.
Clairement beaucoup de facteurs sont en jeu et, si un système de protection développé est sans
aucun doute un atout majeur, il serait faux de dire qu’il suffit pour assurer à un pays une
croissance importante et discontinue.
Malgré tout, les recherches qui ont été conduites tendent à supporter l’évidence que la
croissance est influencée par l’efficacité du système de protection en place. Comme on l’a vu,
la protection intellectuelle favorise le commerce international et l’investissement étranger
direct mais aussi la vente de licences.
Tous ces flux sont à la source de transferts de technologies : Il a été prouvé que l’importation
de biens provenant de pays technologiquement développés augmente la productivité. Les
investissements étrangers directs ont un impact similaire, l’effet s’accroissant lorsque le
niveau d’éducation dans le pays de destination dépasse un certain seuil. Finalement, la vente
de licences représente un transfert direct de technologie et de savoir faire.
Bien que ces phénomènes soient complexes, deux conclusions s’imposent : premièrement,
l’impact d’un système de protection intellectuelle efficace est plus élevé dans un pays
largement ouvert au commerce international et aux investisseurs étrangers.
Deuxièmement, d’autres caractéristiques influencent l’impact du système de protection en
vigueur dans un état. Certaines études ont par exemple démontré que l’impact des
investissements étrangers directs est influencé par le niveau des stocks de capital humain et de
travailleurs qualifiés.
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En résumé, le système de protection de la propriété intellectuelle, l’ouverture commerciale et
l’accumulation de capital humain sont autant de facteurs qui contribuent, au travers de
relations complexes, à accroître la productivité d’un pays et à favoriser sa croissance.
2.4 Conclusion
La protection de la propriété intellectuelle soulève de nombreuses autres interrogations à
connotation économiques, comme par exemple les conflits entre protection de la propriété
intellectuelle et loi antitrust. Il ne faut pas pour autant oublier les interrogations d’ordre
politique, éthique, juridique … qui sont omniprésentes lorsque l’on s’intéresse aux droits de la
propriété intellectuelle.
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3. ETUDES DE CAS
3.1 Introduction
Entre les attaques bio terroristes qu’ont essuyé les Etats-Unis en octobre 2001, le procès
intenté par l’association des industries pharmaceutiques (PMA) contre l’Etat sud-africain en
mars 2001 et la Conférence de l’OMC en novembre de la même année, les débats concernant
la propriété intellectuelle ont été pour le moins houleux ces derniers mois.
L’objectif de cette section est d’illustrer avec des exemples récents la problématique qui
entoure la protection de la propriété intellectuelle.
3.2 Crise de l'anthrax
Les Etats-Unis se sont récemment retrouvés dans une situation peu enviable du point de vue
politique en ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle.
En effet, le dilemme qui s’est présenté était de savoir s’il fallait ignorer le brevet déposé par
l’entreprise pharmaceutique allemande Bayer pour son médicament vedette, l’antibiotique
contre l’anthrax « Ciprofloxacin » plus connu sous le nom de « Cipro », afin d’avoir la
possibilité de le produire en masse et à moindre coûts sous la forme de médicaments
génériques, de la même manière que si le brevet de Bayer était tombé dans le domaine public.
Le gouvernement américain craignait un approvisionnement insuffisant pour traiter la
population. Les Etats-Unis désiraient en effet avoir la possibilité de traiter 12 millions de
personnes alors que Bayer était à ce moment là capable d'en traiter 2 millions seulement.
Depuis l’accession de Georges Bush au pouvoir, l’administration américaine a toujours été en
faveur de la protection des brevets pour l’industrie pharmaceutiq ue en vue d’assurer les
ressources financières nécessaires à la recherche et au développement de nouveaux
médicaments. Malgré la pression populaire et les commentaires de quelques politiciens très
haut placés, qui déclaraient avoir comme priorité absolue la santé de la population, la MaisonBlanche n’a pas cédé et s’est ralliée du côté du conglomérat allemand en faveur d’un maintien
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du brevet. Ainsi, elle n’a pas enfreint les principes de la liberté de marché et n’a pas pris le
risque de s’attirer les foudres de la communauté internationale toute entière, tout comme celui
de décourager l’industrie pharmaceutique à poursuivre ses recherches.
Tout le monde n’a pas toujours agit de la sorte. Ainsi, durant le mois d’octobre 2001, le
gouvernement canadien a brisé la protection accordée au médicament et s’est renseigné pour
faire une commande de plus d’un million de tablettes génériques à une entreprise concurrente.
Celui-ci s’est justifié en qualifiant cette situation d'exceptionnelle. Finalement le Canada a
changé d’avis quelques heures plus tard et s’est engagé à respecter le brevet de Bayer.
Aux Etats-Unis la situation était pourtant critique étant donné que Bayer ne pouvait fournir de
traitement que pour 2 millions de personnes. Cinq entreprises, ayant déjà reçu l’approbation
de la FDA pour leur produit générique et n’attendant que l’expiration du brevet de Bayer à fin
2003 pour lancer leur médicament se proposaient de produire les 12 millions requis en 3 mois
seulement, alors que Bayer aurait eut besoin de 20 mois au minimum en produisant 24h sur
24h. De plus, le prix pratiqué par ces concurrents aurait été nettement inférieur à celui que
pratiquait Bayer.
Pour se rendre compte de l’économie de prix que cela générerait, on peut comparer le coût
d’un traitement aux Etats-Unis dans la situation actuelle au coût d’un traitement à l’aide de
produits génériques en Inde par exemple. La différence est flagrante : alors qu’un traitement
de 60 jours en Inde, à raison de deux tablettes par jour, revient à 10 USD, le même traitement
, aux Etats-Unis, cette fois-ci, revient à 700 USD ! On imagine bien qu’à ce tarif toute la
population n’y a pas accès.
Le problème est d’autant plus délicat qu’avant même les attentats, le «Cipro » était déjà le
médicament rapportant le plus à Bayer, avec un chiffre d’affaires de 1.6 milliards USD.
Malgré le fait que certains prétendent qu’il aurait de toute manière été illégal de briser le
brevet de Bayer, un gouvernement est autorisé à faire passer les intérêts de la nation avant la
propriété intellectuelle. A l'instar de la Suisse, la législation américaine prévoit une clause
d’urgence qui permet de lever un brevet et donc de démarrer la production de produits
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génériques (US Federal Law 28 USC 1498). En outre, une autre loi autorise le go uvernement
à n’offrir aucun dédommagement à la société ainsi lésée (US Federal Law HR 1708).
La Maison-Blanche a donc, en empêchant la production de génériques, pris une position
politique très claire en faveur de la protection des monopoles. Cette option était la seule à être
cohérente avec la politique étrangère des Etats-Unis, qui est invariablement défavorable à
l’octroi de médicaments à moindre coût dans les pays défavorisés. Ce point sera d’ailleurs
traité dans les prochaines sections.
On peut bien sûr encore se poser la question de savoir si cette décision est due à une longue
réflexion de la part du gouvernement pour le bien de la nation toute entière, ou si les quelques
2 millions USD de financement octroyés par l’industrie pharmaceutique à la campagne
présidentielle, ou encore si le fait que de nombreux politiciens soient d'anciens hauts
responsables de Merck ou Eli Lilly, comme Donald Rumsfeld ont pesé dans la balance... Mais
ces questions relèvent d’un autre débat.
Finalement le gouvernement Bush a préféré entrer en négociation directe avec Bayer et a ainsi
réussi à faire baisser le prix d’un traitement complet à environ 100 USD. Cela constitue
malgré tout une victoire pour la firme allemande, qui faisait face à une pression populaire sans
précédent. Elle conserve en outre son brevet jusqu’en décembre 2003, comme initialement
prévu.
3.3 L’industrie pharmaceutique contre le gouvernement sud-africain
Le 5 mars 2001, et en première mondiale, un procès de l’Association des industries
pharmaceutiques (PMA) contre l’Etat sud-africain s’est ouvert. Cette action visait à empêcher
l’importation parallèle de produits génériques décidée en 1997 par le ministre de la santé sudafricain.
Les membres de cette association comptaient quelques géants de la pharmaceutique, tels
Roche, Boehringer Ingelheim et Rhône-Poulenc. Ceux-ci, voulant protéger les licences qu’ils
ont en Afrique du Sud, demandaient le respect des TRIPS, alors que le Parlement sud-africain
avait voté des lois permettant l’importation de produits génériques.
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Cette nouvelle loi portait non seulement sur les trithérapies - l’Afrique du Sud ayant 10% de
sa population contaminée par le SIDA, soit plus de 4 millions de personnes, et 300 morts par
jour - mais également sur tous les médicaments auxquels la population n’a pas accès. A titre
d’illustration, une trithérapie coûte environ 30'000 USD par année… On s’imagine bien que
rares sont les sud-africains pouvant se le permettre.
L’issue de ce procès sera finalement un ajournement puis un abandon de celui-ci de la part
des PMA, sous la pression de l'opinion publique des pays occidentaux.
3.4 La Conférence de l'OMC
Un des derniers événements majeurs à avoir relancé le débat concernant la propriété
intellectuelle a été la Conférence de l'OMC de Doha (Quatar) à la fin de l'année dernière.
Le débat s'articulait principalement autour des dispositions régissant les TRIPS.
Malgré la forte opposition des pays européens, des Etats-Unis, du Japon et bien sûr de la
Suisse en matière d'allégement des restrictions aux monopoles d'exploitation des
médicaments, la concession suivante a été faite :
"Chaque pays membre de l'OMC a le droit d'établir des licences obligatoires et la liberté de
déterminer les bases sur lesquelles de telles licences reposent".
En évoquant la libre détermination des conditions requises pour l'octroi de licences
obligatoires, l'assemblée de l'OMC faisait entre autre référence aux situations d'urgence
sanitaire, dont notamment le SIDA, la tuberculose et la malaria.
Le débat est cependant loin d'être terminé, étant donné que la majorité des pays en
développement est incapable de produire des médicaments génériques par ses propres
moyens. L'autre solution, qui consisterait à importer ces produits, n'a pas été explicitement
autorisée. En effet, sous la pression des pays riches, aucune clause se rapportant au commerce
international n'a pour le moment été étudiée.
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3.5 Coca-cola
Pour conclure, nous allons aborder la question du secret, et pour ce faire, l’exemple le plus
fameux est Coca-cola.
Un des problèmes principaux soulevé par les brevets est que tous les détails concernant la
conception du produit y sont décrits. En général, un ou deux ans après avoir déposé le brevet
déjà, les informations sont librement accessibles par tout un chacun.
On comprend dès lors aisément que lorsqu’un brevet tombe dans le domaine public après 20
ans, les principaux concurrents sont immédiatement prêts à commercialiser le produit ainsi
copié.
Dans le cas de Coca-cola, la firme a choisi de ne pas protéger sa formule par un brevet, mais a
préféré le secret des affaires.
Si l’entreprise avait été protégée avec un brevet, celle-ci ayant été fondée en 1885, la formule
serait déjà tombée dans le domaine public depuis longtemps, sans compter que le brevet aurait
entraîné des coûts supplémentaires.
La protection apportée par le secret des affaires est très forte, et très vulnérable en même
temps. En effet, il suffit que l’information soit diffusée malencontreusement ou acquise de
manière illicite pour que cette protection soit sérieusement remise en cause.
Ainsi pour protéger son produit, il était essentiel pour Coca-cola que la formule ne soit pas
déterminable, ni chimiquement, ni d’une quelconque autre manière. On constate que pour
l’instant, grâce à des artifices chimiques rendant toute analyse impossible, nul n'est parvenu à
percer ce secret presque ancestral.
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4. CONCLUSION
Le dernier exemple, celui de Coca-cola, illustre qu’une entreprise peut avoir un succès
mondial sur une période plus étendue que les 20 ans de protection normalement accordés par
les brevets. Cependant, nous pouvons affirmer qu’un système de protection de la propriété
intellectuelle est également nécessaire à l’encouragement de la recherche et développement.
Comme nous l’avons expliqué précédemment, la solution de breveter les inventions n’est pas
forcément optimale dans sa forme actuelle, et nourrit donc un vif débat entre partisans des
subventionnements et les adeptes du système Coca-cola.
On peut espérer que le système s’améliorera en comblant ces lacunes, cependant une réforme
n’est envisageable que sur le plan mondial, car les réglementations se doivent d’être
homogènes pour être efficaces. Dans cette optique, l’OMC aura probablement un rôle
important à jouer ces prochaines années.
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5. BIBLIOGRAPHIE
Livres :
•
Kamen Troller, Manuel du droit suisse des biens immatériels, Tome 1, Hebling &
Lichtenhahn, 1992, Bâle
•
Charles Jones, Introduction to economic growth, Norton & Company, 1998.
Articles :
•
Antoine Scheuchzer, L’invention brevetable en 2002, en particulier les logiciels, les
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