Titien, une carrière d`artiste à la Renaissance

Transcription

Titien, une carrière d`artiste à la Renaissance
SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE 2
HISTOIRE DES ARTS 2 de
Titien : une carrière d’artiste
à la Renaissance
> PAR MARYVONNE CASSAN, PROFESSEURE D’HISTOIRE ET D’HISTOIRE DES ARTS, SERVICE ÉDUCATION DU MUSÉE DU LOUVRE
Place dans les programmes
Cette séquence peut s’inscrire dans le cadre des nouveaux
programmes d’histoire des arts du lycée (BO du 31 août 2008),
plus précisément dans la thématique « Art et économie » qui
accorde une place importante au contexte économique de
production et de réception des œuvres d’art.
VENISE À LA RENAISSANCE • TDC N° 984
38
Elle peut également trouver sa place dans les programmes
d’histoire de 2de (BO du 29 août 2002), dont un chapitre
consacré à l’humanisme et la Renaissance aborde largement
la Renaissance artistique étudiée à partir « des écrivains, des
artistes, des mécènes et des œuvres emblématiques ». Ce programme, centré sur les fondements du monde contemporain,
vise ainsi à « construire une culture et pas seulement à accumuler des connaissances factuelles ». Une place privilégiée est
accordée à l’analyse de quelques documents fondamentaux.
Objectifs et démarche
Un génie reconnu, un peintre officiel. Au XVIIe siècle,
l’un des biographes de Titien, Carlo Ridolfi, écrit: « Et l’on raconte
que comme il peignait le portrait de Charles Quint, il fit tomber
un pinceau que l’empereur ramassa ; sur quoi Titien s’inclinant
humblement dit : “Sire, votre serviteur ne mérite pas un tel honneur.” L’empereur répondit : “Titien est digne d’être servi par
César.” » Si ce dialogue entre l’artiste et l’empereur n’a sans
doute jamais eu lieu, son récit est révélateur du nouveau statut
social et intellectuel auquel certains artistes de la Renaissance
accèdent et de la reconnaissance à laquelle ils aspirent. Cette
fiction signale aussi la place de l’art et surtout de la peinture
auprès des puissants. Avec la diffusion de la culture antique,
nombre de princes entendent se comporter comme Alexandre
à l’égard du peintre Apelle, un topos de l’époque.
Titien est de ceux-là. Figure majeure de la Renaissance, il se
place au même rang que les « génies » que sont Léonard de
Vinci, Raphaël ou Michel Ange, et, comme eux, il est célèbre et
reconnu de son vivant. Dès le XVIe siècle, il est l’objet de biographies, celle de son ami et écrivain Ludovico Dolce (1557),
mais aussi celle du premier historien de l’art, Giorgio Vasari
(1563). Son œuvre protéiforme est immense : il a peint tous les
types de sujets, religieux, mythologiques, historiques, et il fut
admiré pour ses nus et ses portraits.
Une approche sociologique de la création artistique.
L’objectif de cette séquence est de faire comprendre, à travers
quelques œuvres et quelques textes contemporains, comment
Titien a construit sa carrière et comment se constitue une
figure majeure d’artiste à la Renaissance.
Comme tous les artistes de cette époque, Titien travaille
d’abord sur commande ; il réussit à avoir de nombreux commanditaires, souvent très prestigieux, dans un premier temps
à Venise puis dans toute l’Europe. On trouve parmi ses clients
et mécènes des ordres religieux, de riches bourgeois, des
princes, le pape Paul III, l’empereur Charles Quint, ainsi que
son fils Philippe II et le roi de France François Ier. Car, à la
différence de beaucoup d’autres, Titien n’a jamais été attaché
à un seul mécène, à une seule cour, et il a toujours été fidèle
à Venise où il vivait et travaillait. Cette diversité lui a assuré
des revenus confortables et des honneurs exceptionnels pour
un artiste.
L’exemple de Titien permet également de comprendre,
d’une façon plus générale, comment se construit la renommée
d’un artiste. À cet égard, les rapports amicaux que Titien entretient avec l’Arétin sont exemplaires. Les louanges du poète
portent sa réputation un peu partout en Europe et facilitent
les commandes.
Avec Titien on peut étudier aussi les modalités de création,
très éloignées des conditions contemporaines. Les critères de
jugement des œuvres sont différents : l’originalité compte peu ;
l’artiste reconnu est celui qui imite bien la nature.
Si, à ses débuts, Titien a répondu à des commandes précises, il n’en a pas moins toujours fait preuve d’une grande
liberté dans la réalisation de ses peintures. Grâce au succès, il
a pu, au cours de sa longue vie, proposer librement des sujets
à ses mécènes, voire les inventer. Peintre renommé dont les
œuvres sont très recherchées, Titien organise un atelier dans
lequel les inventions du maître sont l’objet de nombreuses
copies et répliques. À cette époque, l’unicité de l’œuvre n’est
pas essentielle et les notions d’original et de copie sont beaucoup plus poreuses qu’aujourd’hui. L’exemple de Titien permet
de dresser le portrait d’une réussite à la fois sociale et artistique
rendue possible par une époque, la Renaissance, qui fait une
large place aux arts.
SAVOIR
● Titien et la fin de la Renaissance à Venise. Ouvrage collectif. Issy-lesMoulinaux : Éditions du Toucan, 2008.
● ROSAND David. Titien : « l’art plus fort que la nature ». Paris :
Gallimard, 1993. (coll. Découvertes)
>> DOCUMENTS
A Titien, L’Assomption de la Vierge, 1516-1518
Huile sur bois, 690 x 360 cm. Venise, Santa Maria Gloriosa dei Frari.
39
TDC N° 984 • VENISE À LA RENAISSANCE
© ARCHIVES ALINARI, FLORENCE/DIST. RMN/MAURO MAGLIANI
●
●
Lettre de Titien adressée au très illustre Conseil des Dix, le 31 mai 1513.
Prince Sérénissime et Très Excellents Seigneurs, m’étant employé depuis mon enfance, moi, Tician de Cadore,
à apprendre l’art de la peinture non tant par désir de gain que pour voir d’acquérir quelque réputation : et être
compté au nombre de ceux qui dans le temps présent font profession de cet art. Et bien que j’aie été auparavant
et même présentement recherché par Sa Sainteté le Pape et autres seigneurs d’aller les servir : désirant cependant
en très fidèle sujet que je suis de Votre Sublimité laisser quelques souvenirs dans cette ville illustre, j’ai décidé de
me charger de venir peindre dans le Grand Conseil et d’employer tout mon génie et mon esprit tant que je serai en
vie, en commençant, s’il plaît à Votre Sublimité, par la toile où se trouve cette bataille de la troupe vers la place qui
est la plus difficile, si bien que personne, jusqu’à ce jour, n’a voulu soutenir une telle entreprise.
Excellents Seigneurs, je serai content de recevoir pour récompense de l’œuvre que je ferai la somme qui sera
jugée convenable et même beaucoup moins. Mais comme, ainsi que je l’ai dit plus haut, je ne tiens qu’à mon honneur et à avoir les moyens de vivre, qu’il plaise à Votre Sublimité de daigner m’accorder à vie la première charge de
courtier qui sera vacante dans le Fondaco dei Tedeschi, ainsi que d’autres commodités telles que les moyens, les
avantages, les privilèges et les exemptions qu’a Messire Giovanni Bellini et que deux jeunes gens que je veux prendre
avec moi pour m’aider soient payés par l’Office du sel, de même que les couleurs et toutes les autres choses nécessaires, comme cela fut accordé les mois précédents par l’Illustre Conseil à Messire Bellini. Et je vous promets,
Excellents Seigneurs, de faire cette œuvre et si rapidement et si excellemment que vous en serez contents. Sur
quoi je me recommande humblement à vous.
C Titien, Portrait de Francesco
Maria Della Rovere, 1537
●
D Éloge du peintre par le poète
●
Huile sur toile, 114 x 103 cm. Florence, musée
des Offices.
L’Arétin, Sur la poétique, l’art et les artistes,
1523-1553.
À Dame Veronica Gambara.
Je vous envoie, élégante dame, le sonnet que
vous m’aviez demandé et que j’ai imaginé en hommage au pinceau du Titien ; car, de même que lui ne
pouvait pas faire le portrait d’un prince plus renommé,
je ne devais pas, moi, exercer mon talent sur un portrait moins honorable que celui-là. […]
Si le fameux Apelle avec la main de l’art
D’Alexandre peignit le visage et le buste,
Il ne traduisit pas de son rare modèle
La sublime vigueur dont l’âme aussi fit preuve.
Mais Titien qui du ciel a hérité ce don
Découvre au spectateur tout concept invisible :
Aussi le noble duc, sur son visage peint,
Les palmes dont son cœur est jonché nous révèle.
© THE BRIDGEMAN ART LIBRARY
SÉQUENCE
SÉQUENCEPÉDAGOGIQUE
PÉDAGOGIQUE
1 2
VENISE À LA RENAISSANCE • TDC N° 984
40
B Une offre de service
La terreur apparaît entre ses deux sourcils
Dans ses yeux le courage et noblesse à son front
Siège tout à la fois d’honneur et de sagesse.
Dans sa poitrine armée et dans son bras nerveux
La vaillance se voit, qui du péril protège
L’Italie, confiée à ses vertus insignes.
E Titien, Vénus et Adonis, vers 1553
Huile sur toile, 186 x 207 cm. Madrid, musée du Prado.
© AKG-IMAGES/ERICH LESSING
●
G Atelier du Titien, La Madeleine
pénitente, 1567
● Huile
sur toile, 128 x 103 cm. Naples, musée Capodimonte.
© ARCHIVES ALINARI, FLORENCE/DIST. RMN/LUCIANO PEDICINI
Huile sur toile, 332 x 279 cm. Madrid, musée du Prado.
© AKG-IMAGES/ERICH LESSING
●
TDC N° 984 • VENISE À LA RENAISSANCE
F Titien, Charles Quint à Mühlberg,
1548
41
SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE 21
VENISE À LA RENAISSANCE • TDC N° 984
42
>> ANALYSE DES DOCUMENTS
A et B Le premier peintre de Venise
Quant il écrit cette lettre (DOC B ), Titien a environ 23 ans
(on ignore la date exacte de sa naissance). Originaire de
Cadore, une petite bourgade des Dolomites, il est issu
d’une famille de notaires et de petits propriétaires. Très
jeune, il a été placé en apprentissage dans l’atelier le plus
important de Venise à la fin du XVe siècle, celui de Gentile
Bellini puis de son frère Giovanni. Cependant, vers 1505,
il travaille aux côtés de Giorgone à la réalisation des
fresques du Fondaco dei Tedeschi.
Dans cette missive adressée au Conseil des Dix, Titien
demande à peindre une toile pour la salle du Grand Conseil
du palais des Doges, en remplacement d’une fresque
abîmée. Il souligne la difficulté de l’entreprise qui a rebuté
les autres grands peintres avec lesquels il est en concurrence. Il précise que pour offrir ses services à la Sérénissime
il refuse une invitation prestigieuse du pape à Rome.
Titien ne demande pas d’argent mais, sans faire preuve
d’une délicatesse excessive, il réclame les avantages dont
bénéficiait alors son vieux maître Giovanni Bellini : des
avantages matériels – un atelier et deux assistants –, mais
surtout la charge de courtier de l’Office du sel dès qu’elle
sera libre. Sa proposition fut acceptée. À la mort de
Giovanni Bellini en 1516, il obtint l’office très convoité et le
conserva durant cinquante ans. Il reçut ainsi une pension
annuelle de cent ducats qui faisait de lui le peintre officiel
de la Sérénissime, avec une obligation : réaliser le portrait
de chaque nouveau doge. Quant à l’œuvre qu’il devait
livrer quelques mois après cette lettre, La Bataille de
Spolète, il ne se résolut à l’exécuter que vingt ans plus
tard, sous la menace de sanctions financières. Détruite
dans un incendie, elle est connue par un dessin préparatoire de sa main.
Le retable de l’Assomption (DOC A ) a été commandé
à Titien en 1516 par le couvent des Franciscains pour
l’église Santa Maria Gloriosa dei Frari à Venise. L’œuvre,
de taille monumentale – 7 mètres de haut –, fut installée
dans la chapelle de l’abside centrale de l’église en 1518.
Parfaitement adaptée à l’espace pour lequel elle a été
conçue, elle orne le maître-autel.
Ce sont les frères qui auraient choisi l’artiste, le sujet,
les matériaux utilisés et les dimensions de l’œuvre et qui
auraient fourni les indications iconographiques nécessaires au jeune peintre. Cette procédure est conforme aux
commandes d’œuvres d’art à cette époque, passées souvent devant notaire. Elles n’empêchent pas Titien d’être
révolutionnaire dans ses partis pris tant sur le plan plastique que dans le traitement de la scène.
L’ascension miraculeuse de la Vierge au ciel est rendue
lisible par la composition choisie. Trois groupes de figures
dans deux espaces différents se superposent : en bas
l’espace terrestre comprend les apôtres plus grands que
nature, aux attitudes variées, dont les têtes sont tournées
vers Marie. Ils se détachent sur un fond clair. La Vierge est
la figure centrale du tableau. Placée sur un nuage et
entourée de putti, les vêtements gonflés par le vent, elle
lève son visage vers le ciel occupé par la figure de Dieu qui
plane au dessus de la scène. Elle appartient déjà à l’espace
céleste évoqué par la couleur dorée, véritable enveloppe
qui l’englobe avec l’Éternel. Les mouvements des figures
qui communiquent entre elles par les gestes et les regards,
la circulation des émotions, la joie, l’étonnement des apôtres, l’humilité de Marie, la distribution des couleurs en
particulier du rouge vif des manteaux de la Vierge et des
deux apôtres disposés en triangle contribuent à donner
à la scène une dynamique « ascensionnelle ». Le rendu
« réaliste » du miracle est obtenu grâce à la conception
d’ensemble et à l’utilisation de la couleur comme composante de l’œuvre, l’une des caractéristiques de l’art de
Titien.
Cette œuvre très tôt célèbre valut à Titien d’autres
commandes religieuses à Venise ainsi qu’une grande
renommée dans la ville où il fut désormais sans rival et
où, grâce à des tarifs élevés, il bâtit sa fortune.
C et D Reconnu dans toute l’Italie
Comme le dit son biographe Ludovico Dolce, « la réputation de Titien ne demeura pas renfermée dans les bornes
seules de Venise ; mais s’étendant au long et au large de
toute l’Italie, elle fit naître l’envie à plusieurs Grands d’avoir
de ses tableaux, entre lesquels on compte Alphonse duc
de Ferrare, Frédéric duc de Mantoue, François-Marie duc
d’Urbin et plusieurs autres ».
Probalement commandé en 1536, ce portrait de
Francesco Maria Della Rovere (DOC C ), qui porte très
visible la signature de Titien, est en cours d’exécution en
1537 puisqu’une lettre de Francesco Maria à l’ambassadeur
de Venise demande à ce que l’armure du duc prêtée au
Titien pour sa réalisation lui soit rendue rapidement. Dans
la même lettre, il demande également que le « papier »
du Titien lui soit envoyé. Il s’agit sans doute d’un dessin
mis au carreau montrant le duc en pied dans une pose
semblable et avec la même armure que celle du portrait
définitif à mi-corps. On voit ainsi comment se déroulait la
commande : le peintre exécutait une esquisse, qui était
soumise à l’appréciation du commanditaire. Il apportait
ensuite les modifications souhaitées et réalisait l’œuvre
définitive.
Titien a figuré le duc de façon solennelle ; il le montre
comme un guerrier, un homme de pouvoir entouré des
attributs de sa dignité : le bâton de commandement dans
la main droite, l’épée au côté gauche. La pose en position
de trois-quarts, ostentatoire, et l’armure traitée somptueusement font de cette effigie une « synthèse » de la
carrière du grand condottiere qui mourut quelques mois
plus tard.
À cette date Titien avait déjà acquis une grande
renommée, due en partie au poète italien l’Arétin, installé
à Venise dès 1527.
L’Arétin a quitté Rome en 1527 au moment du sac de
la ville. Quant il arrive à Venise, il a un passé « sulfureux »
mais aussi un bon « carnet d’adresses ». Il est en correspondance avec de nombreux mécènes et collectionneurs
italiens comme les Gonzague à Mantoue ou les Della
Rovere à Urbino. L’amitié qu’il noue avec Titien ouvre à ce
dernier un accès à cette clientèle prestigieuse.
Dans cette lettre accompagnée d’un sonnet (DOC D ),
l’Arétin loue les qualités de Titien et surtout sa capacité à
imiter la nature. Mais il admire aussi la façon dont le peintre
rend compte de la force et de la vaillance du condottiere.
Le parallèle avec Apelle, le peintre d’Alexandre le Grand,
est alors un lieu commun mais ici la comparaison tourne
à l’avantage de Titien. Ce faisant, l’Arétin reprend un genre
mis à l’honneur dans l’Antiquité par Philostrate : l’ekphrasis,
description littéraire d’une œuvre d’art. On saisit ici le rôle
d’agent d’artistes que jouaient certains hommes de lettres
grâce à leur important réseau de correspondants. Ils remplissaient également des fonctions de conseillers culturels
auprès des artistes qui bien souvent avaient peu étudié.
E et F Le peintre des Habsbourg
Vénus et Adonis ( DOC E ) a été peint pour le roi
d’Espagne Philippe II, qui fut, comme son père, l’un des
principaux mécènes de Titien. Si, pour certaines œuvres,
celui-ci suit le programme mis au point par le commanditaire, ce n’est plus le cas avec Philippe II qui semble lui
laisser toute liberté.
Comme il l’indique lui-même, cette « poésie », ou
tableau mythologique, devait s’insérer dans un cabinet et
faisait partie d’une suite de nus féminins, vus sous des
angles différents. Elle montre Vénus de dos. L’œuvre est
originale tant du point de vue formel que par son contenu
iconographique. On remarque la torsion du corps de la
déesse, une posture inspirée d’un bas-relief antique, le Lit
de Polyclète, que Titien avait vu à Rome lors de son séjour
en 1545. Mais celui-ci, virtuose du nu féminin, traite avec
beaucoup de sensualité et d’émotion cette scène de séparation entre Vénus et le mortel Adonis, un sujet tiré des
Métamorphoses d’Ovide. Cependant il invente ici une
scène qui n’existe pas chez Ovide, la fuite d’Adonis.
Cette œuvre est une variante d’un tableau réalisé en
1548 pour le cardinal Alexandre Farnèse. Elle connut un
très grand succès et il existe plus de trente tableaux,
répliques ou copies, qui traitent ce sujet.
G L’« entreprise » Titien
La Madeleine pénitente (DOC G ), peinte pour Alexandre
Farnèse, montre Marie Madeleine en buste, le visage baigné
de larmes tourné vers le ciel, la main sur la poitrine, dans
une attitude implorante. Le crâne rappelle la finitude de
la vie terrestre ; le vase d’onguent, la pécheresse.
Il s’agit d’une œuvre d’atelier, une réplique parmi les
nombreuses exécutées par les assistants de Titien à partir
d’un tableau original du maître. Ce sujet avait été traité
pour la première fois par celui-ci en 1530, et il en réalisa
une nouvelle version de sa main pour Philippe II en 1561.
D’après le témoignage de Vasari, l’œuvre plut tellement
à un Vénitien de passage dans l’atelier qu’il l’acheta,
contraignant Titien à en peindre une autre version pour
son royal mécène.
Avec l’afflux des commandes Titien organisa un atelier
géré comme une entreprise. Situé dans un quartier populaire de Venise, à Biri Grande, l’atelier employait le frère
de Titien, Francesco, et ses fils Pomponio et surtout Orazio.
Le maître s’appuyait aussi sur Girolamo Dente, appelé
Girolamo di Tiziano car il resta à ses côtés et dans son
ombre pendant plus de trente ans. Dans l’atelier il y avait
peu d’apprentis mais surtout des assistants, c’est-à-dire de
jeunes adultes déjà formés. Selon la pratique de cette
époque, seul Titien signait les œuvres.
43
TDC N° 984 • VENISE À LA RENAISSANCE
Ce portrait de l’empereur Charles Quint (DOC F ) est
l’un des plus célèbres de Titien. C’est aussi l’un des premiers portraits équestres autonomes sur fond de paysage.
L’œuvre frappe par le caractère monumental de la
figure du prince. Celui-ci n’est pas peint au milieu de la
bataille ou après la victoire, mais partant au combat, seul,
la lance à la main, le visage pâle, la mâchoire serrée. Titien
utilise une palette réduite de couleurs: le noir mat du cheval,
le noir ponctué de reflets métalliques de la cuirasse ; le
rouge vif du plumet du casque et du cheval, celui du ruban
de la Toison d’or qui ceint le torse de Charles Quint, celui
plus assourdi du caparaçon. La figure majestueuse de
l’empereur se détache sur un paysage traité dans des tons
nuancés de jaune d’or, de bleu et de vert sombre tandis
que le ciel rougeoyant reprend ces différentes nuances
et enveloppe la scène d’une douce lumière colorée.
Ce tableau a été peint en 1547 à Augsbourg, où Titien
avait été appelé par Charles Quint, un an après la victoire
de Mühlberg (1547) au cours de laquelle il défit la ligue
protestante de Smalkalde. Œuvre de commande, elle a été
réalisée d’après les indications du monarque et de ses
proches conseillers. L’armure est celle que l’empereur portait ce jour-là et elle fut mise à la disposition du peintre.
Charles Quint n’est figuré ici ni en monarque, avec le
bâton de commandement, insigne du pouvoir, ni comme
un « roi de guerre », l’épée à la main, mais avec une lance,
arme qu’il portait effectivement le jour de la bataille. Cet
attribut a fait l’objet d’une double interprétation : il renvoie
à l’iconographie traditionnelle du chevalier chrétien (le
miles christianus), comme l’archange saint Michel. Dans le
contexte des guerres de religion, ce choix n’est donc pas
surprenant de la part de Charles Quint qui se veut « défenseur de la chrétienté ». Mais la lance fait également référence aux empereurs romains pour qui elle était l’insigne
du pouvoir suprême. Ainsi armée, la figure de Charles Quint
évoque aussi la célèbre gravure de Dürer Le Chevalier, la
Mort et le Diable.
En 1547, Titien est déjà depuis de nombreuses années
le premier peintre de l’empereur et son portraitiste attitré.
La faveur de Charles Quint lui vaut richesses et honneurs.
Anobli en 1533, il porte le titre de chevalier de l’Éperon d’or
et de comte palatin. En même temps, il reçoit pension et
émoluments importants pour ses tableaux. Cependant à
la différence d’autres grands peintres de la Renaissance,
il n’est pas attaché à une seule cour ; il garde sa liberté et
répond à des commandes venant de toute l’Europe.
SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE 21
>> ACTIVITÉS
1 Une œuvre de commande
l doc A
a. Quel est le sujet de cette œuvre ?
b. Où se trouve-t-elle ?
c. Quelles sont ses dimensions ? Pourquoi une telle monumentalité ?
d.Comment est-elle composée ? Quel rôle joue la couleur dans cette composition ?
e. Les personnages de la partie inférieure sont les apôtres. Par quels procédés le peintre rend-il leurs émotions ?
f. Comment Titien représente-t-il l’élan ascensionnel de la scène ?
g. Un biographe contemporain du Titien, Ludovico Dolce, a écrit à propos de cette œuvre :
« Après tout cela, les peintres balourds et le peuple stupide qui n’avaient rien vu jusque-là que les œuvres mortes et
froides de Giovanni Bellini, de Gentile, de Vivarino, […] des œuvres sans mouvements et reliefs, disaient grand mal de ce
tableau. Puis, quand la jalousie se fut refroidie et que la vérité peu à peu leur ouvrit les yeux, les gens commencèrent à
s’étonner de la nouvelle manière inventée, à Venise, par Titien. »
Que nous apprend ce texte sur la réception de cette œuvre à Venise ?
2 Une carrière de peintre
VENISE À LA RENAISSANCE • TDC N° 984
44
l doc B
a. Comment Titien s’adresse t-il aux doges de Venise ? Quel ton emploie-t-il ?
b. Quel est l’objet de sa requête ?
c. Que dit-il sur ses origines ?
d.Quelle motivation met-il en avant ?
e. Comment considère-t-il l’œuvre à peindre ?
f. À quoi Titien renonce-t-il d’après ses dires pour réaliser cette œuvre et pour quelles raisons accepte-t-il
un tel renoncement ?
g. Que demande Titien aux doges de Venise en échange de sa peinture ?
3 Hommage d’un poète
l doc C
a. Qui était l’Arétin ?
b. Que pensez-vous de sa description du portrait de Della Rovere (DOC F ) ? Sur quels aspects insiste-t-il ?
c. À quel peintre de Antiquité compare-t-il Titien ? Chercher des renseignements sur ce peintre. Pourquoi
la comparaison est-elle élogieuse ?
d.Selon l’Arétin, quelles sont les principales qualités artistiques de Titien ?
4 Portrait d’un condottiere
l doc D
a. Décrivez le personnage, son armure, ses attributs. Cherchez la définition du mot condottiere.
© CNDP
b. Comment le personnage est-il mis en scène ? Quelles caractéristiques Titien a-t-il voulu mettre en évidence ?
c. Quelles sont les couleurs dominantes du tableau ?
5 Vénus et Adonis
l doc E
a. Comment appelle-t-on ce type de sujet ?
b. Décrivez les personnages, leurs postures, leurs mouvements.
c. Observez le traitement des corps et les coloris. En quoi celui du corps de Vénus est-il original ?
d.Cette œuvre est inspirée des Métamorphoses d’Ovide. Lisez le texte racontant l’histoire d’Adonis.
Quelle interprétation en donne Titien ? Est-elle conforme au texte d’Ovide ?
e. En quoi cette œuvre se distingue-t-elle, de ce point de vue, des trois précédentes ?
6 Titien peintre royal
l doc F
a. Comment appelle-t-on ce type de ce portrait ?
b. Décrivez le visage, l’attitude, l’armement de l’empereur. Qu’a voulu exprimer le peintre ?
c. Sur quel arrière-plan se détache-t-il ?
d.Quelles sont les couleurs principales de l’œuvre ? Comment Titien utilise-t-il les couleurs pour construire le
tableau ?
45
TDC N° 984 • VENISE À LA RENAISSANCE
e. Lisez ce passage de la « Vie de Titien » de Giorgio Vasari, extrait des Vies des plus excellents peintres, sculpteurs
et architectes :
« Avant le sac de Rome, l’Arétin, fameux poète contemporain, alla habiter Venise et s’y lia intimement avec Titien et le
Sansovino. Cette amitié fut très utile à la gloire et aux intérêts du Titien ; car grâce à la plume de l’Arétin, son nom fut connu
de tous les princes de l’Europe. On dit qu’en 1530, pendant que l’empereur Charles Quint se trouvait à Bologne, le cardinal
Hippolyte de Médicis fit venir Titien par l’intermédiaire de l’Arétin. Titien exécuta là un très beau portrait de Sa Majesté en
armure. La manière dont il s’acquitta de sa tâche satisfit l’empereur de telle sorte qu’il en reçut mille écus d’or. »
D’après Vasari, quel rôle l’Arétin a-t-il joué auprès de Titien ? Que peut-on en conclure sur la vie artistique
à la Renaissance ?
7 Une œuvre d’atelier
l doc G
a. Décrivez cette œuvre. Que représente-t-elle ?
b. À quoi reconnaît-on ce personnage ? Comment le peintre l’a-t-il représenté ?
c. Lisez ce texte de Giorgio Vasari :
« Titien fit ensuite pour le roi d’Espagne une sainte Marie Madeleine à mi-corps dont les épaules, le cou et la poitrine sont
voilés par ses cheveux épars. Ses yeux baignés de larmes et tournés vers le ciel annoncent la sincérité et la violence de ses
remords. Cette figure, malgré son extrême beauté, loin d’exciter des idées lascives inspire un profond sentiment de
compassion à celui qui la regarde attentivement. Lorsque ce tableau fut achevé il plut de telle sorte à Silvio, gentilhomme
vénitien, qu’il en donna cent écus au Titien. Notre artiste fut donc obligé pour satisfaire le roi d’Espagne d’en recommencer
un autre qui du reste ne le cède en rien au premier. »
© CNDP
Que nous apprend ce texte sur la notion d’œuvre d’art et sur les conditions de création à la Renaissance ?

Documents pareils