Spécial 1914-1918 - Conseil départemental de l`Essonne
Transcription
Spécial 1914-1918 - Conseil départemental de l`Essonne
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES le Papyvore Spécial 1914-1918 archives.essonne.fr centenaire1914-1918.essonne.fr 2e semestre 2014 - n°40 actualités édito Le Conseil général de l’Essonne travaille chaque jour à mieux faire connaître et apprécier de tous les Essonniens les richesses historiques et patrimoniales de notre territoire. Ce numéro 40 du Papyvore s’inscrit entièrement dans la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale : de nouvelles sources mises à disposition du public avec la création d’un espace numérique « Centenaire 1914-1918 » sur le site des Archives départementales, la collecte de fonds privés et la présentation de l’exposition « 1914-1918 : si loin… si proche » ; mais aussi de nouveaux angles de vue sur cette période, avec quelques zoom sur des figures 2 étonnantes, des fonds particuliers ou encore l’expérience picturale au service des armées. Bonne lecture à tous. actualité 3 L’espace centenaire 1914-1918 des Archives départementales 4 Collecte autour de la Grande Guerre 9 1914-1918 : si loin… si proche 12 Zoom : « Les souvenirs d’Édouard Lefort » outils et méthodes 16 L’éclairage de la vie de l’« arrière » par les archives des tribunaux d’instance 18 Réaliser un cahier de poilu : fiche pratique 20 Le carnet d’Émile Reymond, héros de l’aviation patrimoine local 24 Jérôme Guedj Président du Conseil général de l’Essonne Stéphane Raffalli Conseiller général délégué chargé de la culture Alphonse Lalauze, un peintre aux armées à Milly-la-Forêt Ours ISSN 1620-4662 Directeur de la publication : Jérôme Guedj Directrice de la rédaction : Frédérique Bazzoni Coordination : Hélène Collomb, Véronique Guasco Rédaction : Dominique Bassière, Frédérique Bazzoni, Véronique Guasco, Marion Kaczmarczyk, Isabelle Lambert, Claudine Michaud, Nathalie Noël, Lisbeth Porcher, Catherine Sironi. Photographies : Lisbeth Porcher, Yves Morelle Création graphique et mise en page : Véronique Douliez-Sala Impression : Imprimerie départementale Email : [email protected] - Téléphone : 01 69 27 14 14 - Télécopie : 01 60 82 32 12 actualités L’espace centenaire 1914 - 1918 En novembre 2013, les Archives novembre 1917, une paire de vases sculptés départementales de l’Essonne dans des douilles d’obus, ou encore un projet ont créé un espace ressources de lotissement « Le domaine du combattant » prévu à Morsang-sur-Orge en 1925. présentant leurs ressources historiques relatives à la guerre Les outils de recherche de 1914-1918 : offrir à tous un Tout d’abord un guide des sources sur la Grande accès immédiat à des docu- Guerre, qui recensera d’ici 2018 l’ensemble des ments (textes ou images) sous documents conservés aux Archives départementales, sur la base des instruments de recherche déjà forme de galerie d’images, existants aux Archives départementales (et de outils de recherche, modules la base de données consultable en salle de lec: plus de 400 pages - et davantage demain pédagogiques ou liens vers ture) car le guide s’enrichit chaque jour -, également d’autres sites, telle est l’ambi- disponibles en salle de lecture. tion de cet espace. www.centenaire1914-1918.essonne.fr La galerie d’images Elle vous emmène au cœur d’une photothèque incluant cartes postales, photographies, affiches et autres illustrations, appartenant aux fonds des Archives départementales ou d’origine privée : plus de 200 images au total dont la sélection changera au fil du temps, pour vous montrer toute la richesse des fonds d’archives essonniens. Les cinq thématiques évoquées - la nation mobilisée, le front ou l’expérience combattante, la (dés)information et la communication, l’art en guerre et la Nation reconnaissante - vous font naviguer en quelques clics de l’atelier de fabrication d’obus de l’usine Decauville à Corbeil et de ses femmes à l’ouvrage à la revue du bataillon des Zouaves sur la place du marché de Milly-la-Forêt, en passant par une page du journal des tranchées « le Rire aux éclats » de Archives, livres, revues, journaux sont d’ores et déjà disponibles en ligne, classés thématiquement et par communes, manifestant l’extrême diversité des informations contenues dans ces fonds : registre de compte de la maison Rabourdin à Étampes incluant une sorte de « journal de guerre » relatant au fil de l’eau le déroulement du conflit, biographie de Cocteau par Pierre Chanel rappelant l’engagement de l’écrivain comme convoyeur de la Croix Rouge sur le front belge, et bien d’autres pièces émouvantes ou rares qui déroulent sous nos yeux le quotidien de cette catastrophe. S’y ajoutera prochainement un tableau des « morts pour la France » essonniens, réalisé à partir des sources des Archives départementales, en corollaire des informations données par la base de données nationale (www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr). Un espace pédagogique La rubrique pédagogique livre différents dossiers éducatifs sur des sujets variés : les popu- lations en guerre (femmes, hommes, enfants), la gestion des blessés et des secours, la mobilisation économique, la propagande ou encore pour les classes primaires, la question des « poilus » et de la commémoration. La priorité donnée aux images et les questions en font un outil des plus ludiques en même temps qu’attractif pour tous, enseignants comme élèves. Une rubrique « liens » Cette rubrique permet de connaître les autres sites s’intéressant à la Grande Guerre, développés par des associations comme par des particuliers, ainsi que les principaux sites nationaux voire étrangers. Frédérique Bazzoni Directrice des archives et du patrimoine mobilier de l’Essonne 3 actualités 4 La collecte de la mémoire familiale essonnienne autour de la Grande Guerre Initiée en 2012 pour le territoire de l’Essonne par les Archives départementales, cette collecte a bénéficié de la campagne nationale en novembre 2013 et concerne aussi bien des documents écrits que des objets (non présentés dans l’article). Cette collecte de la mémoire familiale essonnienne autour de la Grande Guerre apporte à ce jour assez peu d’éléments sur l’histoire du territoire départemental, mais n’en constitue pas moins un témoignage important des contemporains de cette période ayant eu, eux-mêmes, ou dont leurs descendants ont, des liens directs avec l’Essonne. Correspondance Lettres et cartes postales données ou prêtées témoignent de la vie sur le front et de la séparation d’avec les proches, mais plus rarement de la vie de l’arrière : c’est la correspondance du front qui a été généralement apportée, la réponse de l’arrière ayant été plus rarement conservée. Les informations se révèlent assez succinctes car les lettres ou cartes étaient ouvertes par la censure ; le soldat pouvait également pratiquer la « censure affective1 » pour ne pas inquiéter les siens ou parfois utilisaient au contraire un code pour se jouer de la censure militaire : ainsi Mlle Ové, apportant, la correspondance de cartes postales de son grand-père, Paul Monneyron, gendarme, à sa femme, explique comment en prolongeant les traits de certaines lettres, on pouvait insister et donner plus de sens aux quelques mots écrits. Pour les fêtes et anniversaires, les soldats faisaient preuve d’imagination et de créativité pour améliorer leur petit mot, comme Lucien Bottier qui passe un ruban tout autour de motifs découpés pour les 25 ans de son épouse et qui réalise l’année suivante une pensée en aquarelle, sur laquelle il colle au centre sa photographie2. À signaler aussi les lettres ou cartes d’enfants : celles de Philippe Maillard-Brune à son père médecin sur le front sur papier bordé de noir, accompagnées de dessins, ou celles des filles Prévots à leur mère narrant un voyage interminable en train en septembre 1914… Les quelques lettres de poilus à leur marraine témoignent d’un lien très fort3. Des cartes entre camarades se retrouvent ici ou là, notamment dans la collection Perthuis. Un ensemble de lettres retient particulièrement l’attention : il s’agit de la correspondance de Louis Filoleau à sa sœur Andrée en Algérie4. Louis Filoleau se trouve à Madagascar dans l’armée coloniale quand la guerre éclate, et espère rejoindre le front au plus vite, mais il devra attendre le printemps 1916 pour gagner la métropole et attendre encore quelques semaines pour se rapprocher du front avec le 2e régiment d’infanterie coloniale. L’envolée patriotique des premières lettres : je te quitte en criant bien haut : Vive la France, est remplacée par des milliers de baisers dans la suite de la correspondance. Les lettres de l’année 1917 décrivent le quotidien du front : … Nous sommes en ligne depuis une dizaine et nous en avons encore pour une huitaine à contempler les parois des boyaux et des tranchées, ainsi que le chic coup d’œil que nous font les réseaux de fils de fer devant nous… Heureusement que nous avons pour nous tenir compagnie les rats et souris, et ils sont très gentils, ils commencent à s’apprivoiser. J’en ai un en ce moment qui est en train de bouffer mon chocolat et un autre dans ma musette en train de becter mes biscuits. Les premiers jours, j’ai bien essayé de les chopper ou de les chasser, mais ils reviennent aussitôt, aussi j’ai pris la chose du bon côté et je les laisse faire…5. Blessé le 11 octobre 1917 à la tête, il décède des suites de la blessure le 1er novembre 1917 à l’hôpital de Bar-le-Duc. Cet ensemble de lettres comprend également celle de l’infirmière qui raconte au père les derniers moments de son fils. actualités 5 Lettre de Lucien Bottier à sa femme, le 2 juin 1916 pour l’anniversaire de leur mariage avec un « bouquet de fleurs » envoyé du camp de prisonnier Friedrichsfeld. - Collection M. Catherin Carte d’anniversaire de Lucien Bottier à sa femme, 7 janvier 1917. - Collection M. Catherin actualités Journaux et carnets Dans les marges du livre de comptes du magasin Rabourdin à Étampes, se trouve un journal anonyme tenu du 26 juillet - soit quelques jours avant la mobilisation - , au 19 septembre 1914, mêlant annotations météorologiques, nouvelles des opérations militaires et chronique étampoise6 : [4 août] depuis, quelques jours, c’est par milliers que passent les autos, les bicyclettes emmenant au loin des familles entières, des officiers et malheureusement aussi de nombreux espions. Le carnet tenu sur le front est généralement petit, voire minuscule comme celui de Georges Kessler7 (51e régime d’infanterie), couvert d’une très fine écriture à l’encre, une ou deux lignes très courtes par jour ou celui d’Eugène Lepilleur (6e régime des Dragons). Parallèlement à son carnet, Georges Kessler a pris des photographies, rassemblées après guerre, dans trois albums légendés avec précision, témoignage de la vie quotidienne du front, du régiment et des paysages ravagés. 6 Lucien Duclair, messager sur la ligne de front, plusieurs fois blessé, a tenu, lui, des cahiers de croquis pendant la guerre et pris des notes à partir de l’armistice jusqu’en mai 19198. Né à Nantes en 1889, il fréquenta l’école des BeauxArts, et fut aussi un cycliste émérite. De son expérience du front, il nous laisse ses dessins : portraits de soldats de son régiment, parfois sous forme de caricatures (« tonton Bouzine, dit 420 coups »), ou ceux de hauts gradés (« Généralissime Joffre »), scènes humoristiques et aussi paysages dévastés. Les notes de Lucien Duclair commencent le jour de l’armistice : Le 11 du 11e mois à 11 heures. Hostilités suspendues sur le front. Plus de mitraille. Le calme absolu contraste complet. Poilus et civils se promènent dans Flize, les faces réjouies. Le même mot, la même parole sur toutes les lèvres « Enfin, c’est fini » on les a eus. Après la paix, le chemin de la démobilisation est encore long, et l’accueil des populations variable : … 28 [décembre]… Les gens ont en assez du soldat et vous reçoivent comme des gênants malpropres. Pourtant ils devraient penser ces salauds que pendant quatre années et demi, nous avons risqué notre peau pour défendre leurs biens qu’ils sont heureux de trouver aujourd’hui… Les dernières pages de notes reviennent sur l’organisation d’une fête au vélodrome de Maubeuge, mais le temps avant les retrouvailles reste très long [le 11 mai] : … et la nuit, je suis plongé dans de fausses illusions, je me vois à Venise en gondole avec ma mignonne, petite Croquis de Lucien Duclair. - AD91, Fonds Moulin, 93J2 et 3 Nina… Mais lorsque le matin, je me réveille, je vois que c’est un rêve, que Lulu est toujours à Maubeuge et sa Ninette lui manque… Souvenirs Ouvrier chocolatier, devenu grenadier à 19 ans, blessé au visage sur le front d’Orient en 1917, Édouard Lefort écrit dans les années 1930 ses souvenirs illustrés de photographies et cartes postales, à partir des notes prises pendant la guerre ; ce manuscrit dédicacé affectueusement par le curé de Saint-Cloud, M. Legrand9, est précédé d’une lettre élogieuse de M. Duffau, universitaire notant la finesse d’observation, la qualité du récit et la force de caractère de l’auteur. Édouard Lefort revient en 1950 sur le manuscrit : Voilà vingt ans que j’ai essayé d’écrire mes « Souvenirs de guerre »… je reconnais avoir mis au moins une vingtaine d’années à vraiment m’adapter à ma nouvelle situation10… Plusieurs albums photographiques ont été donnés ou prêtés, tous légendés de manière précise et généralement précédés d’une carte où est indiqué l’itinéraire du régiment. Ces photographies du 366e régiment d’infanterie11, 368e régiment d’infanterie (docteur Maillard-Brune), 51e régiment d’infanterie (Joseph Keller), 44e section AC12 (Marcel Larcher) montrent aussi bien des chars camouflés, des exercices de tir sous la neige, une section de football, la corvée de soupe, des prisonniers allemands, l’évacuation de blessés ou des paysages ravagés. Malgré leur petite taille, la qualité des photographies est notable. Des tirages isolés - le plus souvent des portraits individuels ou de groupe - nous ont également été confiés. La guerre de 14-18 a en effet démocratisé l’usage du portrait : l’homme au front était photographié individuellement, ce portrait avait une valeur rassurante. Comme tu le dis, une photo est bien plus vite regardée qu’une lettre, aussi quelle surprise, je ne pouvais me faire à l’idée que c’était toi. … [fin de la lettre] je te quitte et vais d’un grand pas me faire photographier tout seul et tu le verras par le prochain courrier, je n’ai plus de cheveux sur la tête14. Ces photographies ont été conservées précieusement au même titre que les médailles. Trois collections de plaques stéréoscopiques ont été prêtées par les familles Poupinel, Jacquet, et Ledey : soit au total 195 plaques montrant par exemple la côte 263 (Argonne), Tracy-leVal, Marne (1914), la prise de Ham (1917), la Somme (1916), l’évacuation de blessés, des Allemands blessés, des cadavres français, une étape sous la neige, des villes en ruines… Ces images ont la particularité de se présenter sous forme d’une plaque de verre avec deux vues prises avec un léger décalage par un stéréos- cope, appareil doté de deux objectifs parallèles. Cette technique permet de donner l’illusion du relief si l’on regarde les deux images en même temps avec l’aide d’une visionneuse. Pendant la Grande Guerre, de nombreuses photographies sont prises avec ces appareils par l’ensemble des belligérants, donnant le jour à une production nouvelle commercialisée, pendant et après la guerre, auprès du public par des sociétés proposant des vues stéréoscopiques. actualités Photographies Autour de la musique Différents cahiers de chanson ont été prêtés : un de Marcel-Louis Delépine, engagé volontaire dès 1909 dans la marine, et quatre petits cahiers d’écoliers par le caporal Pierre Mirandelle, cultivateur à Milly-la-Forêt. Pierre Mirandelle recopia ces chansons entre 1916 et 1919, parfois avec une annotation datée : étant en garde au La soupe, Bois le Prêtre, 1915. - AD91, fonds Maillard-Brune (91J) 7 Moment de répit au poste de secours, 1915. - AD91, fonds Maillard-Brune (91J) Equipe de football de la 44e section. - Collection Mme Betrancourt actualités téléphone, le lundi 29 septembre 1919, et ne sachant quoi faire pour chasser le cafard, j’en profite de recopier cette chanson. Quelques partitions, le livret militaire et certificat de délivrance d’appareils de mastication accompagnaient ces cahiers. Dans les documents rassemblés par des poilus et prêtés (docteur Maillard Brune, Marcel Larcher) se trouvent aussi des cartes postales non écrites, certainement achetées après le conflit en souvenir des quatre années au front. Marcel-Louis Delépine réalisa entre 1912-1913 un cahier de chansons qu’il illustra et qui l’accompagna à la guerre. Bilan et perspectives Parmi les différents documents de Georges Kessler, on retrouve des imprimés de chansons dont certains du 51e régiment, un livre rose pour la jeunesse « Chansons et poésies de guerre ». Des collections de cartes postales Mireille Grais, professeure d’histoire retraitée, et Bernard Nanty, cartophile, ont prêté leur collection de cartes postales sur la Première Guerre mondiale, remarquable par la diversité des illustrateurs (Georges Bruyer, Ernest Gabard, A. Wuyts, S. Duthilleu, par exemple), des représentations (photographies réalistes, caricatures, aquarelles) ou des commanditaires (société française de secours aux blessés militaires, entreprise Dubonnet). Ces collections ont été constituées a posteriori en « mémoire de la Grande Guerre ». Cette collecte de la mémoire familiale de la Grande Guerrre représente actuellement pour les Archives départementales 36 dons ou prêts, ces derniers constituant 80 % de l’ensemble. 2 283 documents ont été numérisés et un don relativement important est en cours de numérisation. Le prêteur ou donateur a parfois des liens proches avec les Archives (agent des Archives, professeur(e) d’histoire, membre d’association historique), mais dans certains cas, la Grande Collecte lancée en novembre 2013 a permis de déclencher le processus. Le prêteur ou donateur conservait parfois les documents de différents poilus de la famille (branche paternelle et maternelle), comme si une seule personne dans une famille avait rassemblé cette mémoire. Fils (un cas seulement), petits-enfants, arrière-petits enfants et filleul(e)s, voici l’essentiel des liens de parenté rencontrés ; parfois aucun lieu de parenté, mais des documents purement et simplement sauvés de la benne. Aujourd’hui, le site www.centenaire1914-1918. essonne.fr permet la consultation partielle de ces documents à partir des rubriques existantes, l’exposition « 14-18 : si loin… si proche » présente plus de 80 documents ou objets issus de cette collecte. À terme, l’ensemble des documents numérisés sera consultable en salle de lecture. Par ailleurs, n’oublions pas que les Archives départementales de l’Essonne n’ont pas été/et ne sont pas les seuls acteurs de cette collecte : communes, associations historiques y contribuent également largement. La question de la pérennisation des supports de cette mémoire et de son accessibilité la plus large possible doit rester présente dans l’esprit de tous et, dans cette optique, l’opération « Europeana 1914-1918 », orchestrée en France par la Bibliothèque nationale de France et le Service interministériel des archives de France notamment, constitue une réelle opportunité de pérennisation et d’accessibilité des données. Véronique Guasco Directrice adjointe des archives et du patrimoine mobilier 8 Illustration du cahier de chanson de Marcel-Louis Délépine. Collection M. Délépine. 1. Expression de Mlle Ové. 2. Collection M. Catherin. 3. Collection Mme Betrancourt. 4. Collection de Mme Guccia-Levet. 5. Lettre du 10 juillet 1917. 6. Don de Mme Segoufin. 7. Don de M. et Mme Feuillet. 8. Don de Mme Yvette Moulin. 9. « à son premier communiant de la pension Chambert, retrouvé grand blessé après la guerre, je suis très heureux d’exprimer mes compliments et mon affection ». 10. Voir aussi p. 12- 15. 11. Don de Michel Stelly. 12. Don de M. et Mme Feuillet. 13. Artillerie de campagne. 14. Lettre de Louis Filoleau à sa sœur Andrée, 30 mai 1915 (collection Régine Guccia-Levet). L’exposition « 1914-1918 : si loin… si proche », réalisée par les Archives départementales de l’Essonne et labellisée par la Mission nationale du Centenaire, dévoile les sources d’une période curieusement encore méconnue de l’histoire du territoire : affiches, photographies, cartes postales, films, lettres, journaux de tran- Un territoire en mouvement… chées, témoignages et récits, permettent de comprendre Les réfugiés des départements envahis du nordcomment l’Essonne a été transformée par ce conflit. Source est du pays et de Belgique, arrivent en nombre. de mémoire(s) et de réflexion(s) sur la guerre moderne et L’État met en place des dispositifs d’aide, de et d’accueil aux côtés des associations, ses conséquences, grande histoire et chroniques familiales se secours des mairies et des habitants ; cette immigration mêlent ici au gré des archives publiques et des documents per- entraîne cependant une dégradation des conditions de vie déjà difficiles, des tensions, et une sonnels mettant en lumière la mobilisation de « l’arrière ». La mobilisation économique Une présence militaire forte En août 1914, les puissances européennes s’engagent dans une guerre de courte durée, croit-on, et quand le tocsin sonne la mobilisation dans les villages, les hommes répondent en patriotes, et se résignent à abandonner moissons et travaux en cours pour défendre la patrie. En arrière du front restent les hommes trop jeunes ou trop vieux, les femmes et les enfants. Les civils sont mobilisés pour soutenir l’effort de guerre. Les femmes sont contraintes de compenser le manque de main-d’œuvre masculine, notamment dans les campagnes et les usines, et accèdent à des métiers nouveaux. Bien qu’éloigné du théâtre des opérations militaires, le territoire de l’Essonne est marqué par une présence militaire très forte. L’aérodrome d’Étampes accueille les élèves pilotes belges La mobilisation industrielle repose sur le développement des établissements d’armement de l’État et le partenariat avec l’industrie privée. Les usines s’adaptent pour produire les canons, les obus, les véhicules, les nouvelles armes nécessaires à une armée moderne : l’économie de l’arrière devient une économie de guerre. L’Essonne dispose d’atouts importants dans cette mobilisation industrielle : la présence de poudreries à Vert-le-Petit et à Massy, le tissu économique local autour de Corbeil, mais aussi à Dourdan ou Étampes, une desserte ferroviaire importante, la proximité du front, et une élite locale dynamique. Cet effort de guerre consenti par les industriels pèse aussi sur les populations civiles touchées dès 1915 par des pénuries alimentaires, le rationnement et la réquisition des ressources, mais aussi le deuil et la séparation. profonde modification de la composition de la population locale. Ces réfugiés ont été l’une des nouvelles catégories de travailleurs mobilisés au service de la Défense nationale, avec les prisonniers de guerre, les coloniaux et les mutilés. Les réfugiés et les étrangers offrent une main d’œuvre précieuse aux côtés des femmes et des enfants, à Juvisy, à Vert-le-Petit, ou encore à Corbeil. Camp militaire à Milly-la-Forêt. - Collection M. Gachot Camp retranché de Paris, construction (près de Tigery). - BDIC, fonds Valois, 9483 actualités 1914-1918 : si loin… si proche et français, le centre d’instruction de SainteMesme près de Dourdan prépare les soldats à la conduite de véhicules militaires. Dès 1915, la 100e division stationne de part et d’autre de la Seine à Corbeil, Lisses, Quincy-sous-Sénart ou encore Soisy-sous-Étiolles pour la mise en état de défense du camp retranché de Paris. Les aménagements de la défense de Paris sont construits ou modernisés et impactent le département : tranchées creusées en Forêt de Sénart, à Champlan, Tigery ou encore Saulxles-Chartreux, postes de défense anti-aérienne à Savigny-sur-Orge et Saint-Pierre-du-Perray, batteries à Ygny, fort de Palaiseau. 9 actualités Réfugiés de la région de Meaux sur le champ de foire à Corbeil-Essonnes, 8 septembre 1914 - BDIC, fonds Valois, 16450 … au cœur des circulations L’ensemble du territoire est au cœur des circulations : circulation des hommes, du matériel, véritable base arrière du conflit. Les troupes alliées et coloniales traversent les villages et les villes par wagons entiers nuit et jour pour rejoindre le front nord, tandis que les blessés sont acheminés dans les hôpitaux essonniens pour soigner les terribles blessures de la guerre moderne, et poursuivre leur convalescence. Cette promiscuité avec les soldats blessés renforce l’image terrifiante du conflit dans l’esprit des populations de l’arrière. 10 Le chemin de fer et le transport automobile assurent principalement l’acheminent du ravitaillement. Les infrastructures, magasins, usines sont implantées à proximité des gares où sont stockés matériels militaires et denrées alimentaires. Enfin, les troupes en transit stationnent dans les fermes, venant en soutien aux travaux agricoles, mais occasionnant aussi des tensions, tandis que d’autres soldats suivent une préparation militaire dans des centres spécialisés : Étampes pour l’aviation, Dourdan pour la conduite de véhicules ou encore Milly-la-Forêt pour le tir. Sortir de la guerre et se souvenir Enfin, l’exposition aborde la sortie de guerre en évoquant la question du retour des hommes à la vie civile, de la réinsertion par le travail, du deuil et de la reconnaissance accordée aux morts, aux blessés, et aux femmes, du souvenir des anciens combattants et du tourisme de guerre : le voir pour le croire… Que reste-t-il aujourd’hui du front ? Des lettres des soldats envoyées à leurs familles, des carnets de tranchées mêlant écritures et dessins, de précieuses photographies des paysages ravagés par les combats, des objets confectionnés sur place et rapportés en guise de trophée ou de École d’aviation, Étampes. - BDIC, fonds Valois, 68734 souvenirs. Une autre histoire de la guerre s’écrit ainsi, plus intime, loin des discours officiels relayés par la presse et les tracts de propagande. 100 ans, pour se souvenir du rôle de chacun : anciens combattants, français ou issus de l’immigration coloniale, civils ; du travail extraordinaire des femmes et du sacrifice des disparus et des gueules cassées. 100 ans pour tenter de comprendre les mutations d’un territoire, d’une société et d’une époque, ainsi que les enjeux de la société actuelle. L’année 2014 marque le début des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale pour s’achever en 2018. Les Archives départementales de l’Essonne y participent activement en proposant, au travers de cette exposition, un tableau inédit de l’Essonne, et de nombreux rendez-vous à venir. Nathalie Noël Responsable du service éducatif Du 28 juin 2014 au 15 mars 2015 Exposition « 1914-1918 : si loin… si proche » Conçue et organisée par les Archives départementales de l’Essonne, en partenariat avec l’ECPAD, et la BDIC, le musée français de la Photographie. Scénographie de Evanescence. Cette exposition présente plus de 300 documents et objets des collections publiques et privées. Accès gratuit. Les visites sont libres aux heures d’ouverture et les samedis et dimanches d’ouverture. Réservation obligatoire pour les groupes de 20 participants par mail au moins 15 jours avant la date de visite. Livrets pédagogiques pour le jeune public et les scolaires sur www.centenaire1914-1918.essonne.fr La médiathèque de la Défense ECPAD L’ECPAD conserve treize reportages photographiques sur les activités liés à la guerre en Essonne qui ont été réalisés par les opérateurs photographes de l’armée entre 1915 et 1918. Certains présentent les travaux de fortification et de défense du camp retranché de Paris à Saulx-les-Chartreux, Champlan, l’aviation avec l’aérodrome d’Étampes. D’autres s’attachent aux usines qui travaillent pour le compte de la défense nationale à Juvisy-sur-Orge et Vert-le-Petit, aux blessés soignés dans les hôpitaux temporaires, ou encore à la formation des conducteurs siamois à Sainte-Mesme près de Dourdan. Une vingtaine de clichés issus de ces reportages est visible dans l’exposition. À souligner aussi l’existence de deux films tournés en 1917 et 1918 dont l’exposition présente deux extraits. Le premier est un reportage sur l’aviation à Étampes, on y découvre une présentation de pilotes de l’escadrille des Cigognes à côté de leur avion Spad, un défilé de fantassins devant un colonel après une remise de médaille, un groupement de militaires devant les hangars et le décollage d’un avion Bréguet 14. La dernière séquence montre de manière pédagogique et peu réaliste la technique de photographie aérienne avec le pilote et les photographes portant un appareil dans l’avion, le décollage, la mission d’observation aérienne, puis le retour pour le développement des photographies dans une baraque intitulée « 13e section de photo aérienne ». Le second film tourné en 1918 témoigne du passage des troupes siamoises à Sainte-Mesme lors d’une formation à la conduite de véhicules militaires dispensée aux personnels soignants et aux chauffeurs du corps expéditionnaire siamois. Plusieurs séquences montrent l’arrivée des soldats dans le centre d’instruction, les officiers et le Général Phya Pijaijarnirt devant les bâtiments, l’heure du déjeuner avec les soldats munis de leur vaisselle de campagne, enfin la conduite des camions sur les routes aux environs de Dourdan. Une escadrille de chasse, André Dunoyer de Segonzac, 1916. Plume et encre de chine aquarellé. - BDIC, Or. F2 488 Bibliothèque-musée spécialisée dans l’histoire contemporaine et les relations internationales des XXe et XXIe siècles En 1914, un couple d’industriels parisiens, Louise et Henri Leblanc, entreprit de collecter tous les documents possibles sur le conflit mondial naissant et décida en 1917 de faire don à l’État de leurs collections. Ce fonds devint bibliothèque-musée et ce lieu a pour vocation de rassembler tous les matériaux pouvant servir à interpréter et écrire l’histoire de notre temps. La BDIC se distingue par : > l’importance de ses collections en langues d’Europe centrale et orientale ; > la richesse de ses collections de peinture (tableaux des peintres des Armées) de la Première Guerre mondiale, constituées aussi bien par des artistes mobilisés, dont beaucoup furent des combattants, qui ont surtout réalisé des aquarelles et des dessins ou, ultérieurement, des tableaux d’après des études rapportées du front, (Dunoyer de Segonzac, André Fraye, Othon Friesz), des artistes envoyés en mission par différents ministères (Pierre Bonnard, Maurice Denis), des artistes à l’« imagination documentaire » comme Lucien Lévy-Dhurmer, et des artistes satiriques ou humoristes, comme Abel Faivre, Jean-Louis Forain, Poulbot, Steinlen ou Willette. Cinq tableaux conservés par la BDIC sont présentés pendant l’exposition en alternance pour des raisons de conservation : Soldats traversant un village en ruine et Verdun, tous deux d’Alphonse Lalauze15, Les Gourmiers de Bernard Naudin, Une escadrille de chasse et Les caillebotis, Somme, hiver 1916, deux dessins à l’encre d’André Dunoyer de Segonzac ; > un fonds photographique riche de près d’un demi million de pièces comprenant notamment le fonds « Valois » constitué des photographies réunies par la Section photographique de l’Armée (SPA) créée en 1915 et ayant comme triple mission de former des archives documentaires pour l’armée, rassembler un ensemble de clichés intéressants « du point de vue de la propagande par l’image dans les pays neutres » et constituer des archives pour l’historien. Au total pour le fonds Valois, 536 albums comprenant chacun en moyenne deux cents photos formant un corpus cohérent, organisé selon une classification géographique et thématique. Une quinzaine de ces clichés est visible (en reproduction) dans le hall des archives. Nathalie Noël Responsable du service éducatif 15. Voir aussi p. 24-27. actualités Zoom sur deux partenaires de l’exposition 11 actualités Souvenirs de guerre d’Édouard Lefort (1915-1920) Mobilisé pendant presque cinq années dont trois passées dans les hôpitaux, de casernement en cantonnement, du front ouest au front oriental, Édouard Lefort livre le récit poignant de sa vie au service de la patrie durant la Première Guerre mondiale. Une terrible blessure de la face aurait dû le tuer, mais sa volonté de vivre et son extraordinaire bon moral lui permettent de supporter ses indicibles souffrances. 12 Mon aujourd’hui est si différent de chacun de mes hier, qu’il me semble avoir vécu non pas une existence, mais plusieurs… Stefan Zweig Le feu sacré d’un ouvrier chocolatier Ouvrier chocolatier à Paris dans l’entreprise familiale, Édouard Lefort a dix-neuf ans lorsqu’il reçoit sa feuille de route pour rejoindre le dépôt d’instruction de Decize dans la Nièvre. Le 12 avril 1915, c’est le départ tant attendu : il est heureux, impatient de devenir un soldat modèle et fier d’être affecté au 79e régiment d’Infanterie qui forme les soldats d’élite. Si le casernement n’altère en rien la bonne humeur de ces jeunes hommes, les journées sont néanmoins éprouvantes : les vaccinations, les marches de jour, le montage de la tente, la couture, l’escrime à la baïonnette, la traversée d’un bras de la Loire à gué, les exercices d’intonation pour apprendre à hurler et être entendu, les marches de nuit de plus de trente kilomètres. Sérieux et bûcheur, reçu 13e sur 97 à l’examen des élèves caporaux, il est nommé 1re classe avec un premier galon ; après huit mois d’instruction, Édouard a le feu sacré pour aller au front. Vingt-neuf heures de train et douze kilomètres à pieds de nuit pour rejoindre le 113e régiment d’Infanterie à Hargeville, près de Bar-le-Duc, situé à trente kilomètres du front dont il entend le grondement sourd et puissant des canons : il y a les marches dans cette boue gluante ; il y a le nettoyage des bandes, des chaussures et de la capote qui ne sèchent pas et qui contraignent les hommes à être toujours mouillés ; il y a le grand décrassage dans l’eau glacée du lavoir réquisitionné une fois par semaine ; il y a surtout la spécialité à choisir en plus d’être fantassin : Édouard choisit celle de grenadier. Le boulot d’obusier lance grenade La formation de dix jours à Loupy-le-Château est intensive avec l’apprentissage de l’alphabet Morse, de la signalisation et du maniement de la grenade. Fier de son insigne de grenadier, il part en Haute-Marne à Louvemont. Avec ses camarades, il installe son coin de repos dans une grange. Chaque dimanche, une distraction différente ; tout est fait pour remonter le moral des troupes. Mais la nuit, il creuse. Il creuse des sapes bien profondes. Il creuse des tranchées pour ensevelir les morts : « les morts sont alignés côte-à-côte, recouverts de leur toile de tente servant de linceul, quand la tranchée est pleine, on la comble ». Cette vie déjà insupportable le serait plus encore sans cette grande camaraderie qui existe entre les soldats, mais Fin juillet 1916, changement de coin, changement de régiment aussi. Au 311e régiment de méridionaux, Édouard écope d’« un sale boulot d’obusier lance grenade » qui le déprime, mais il est évacué pour un simple écoulement d’oreille. Dans le train sanitaire qui l’emporte loin du front avec de nombreux blessés, il remarque que les paysans cessent leur travail et se signent à leur passage. Ragaillardi par quelques bons soins et l’air pur de l’Auvergne, il travaille comme confiseur dans une chocolaterie de Royat. Adieu le 311e et bonjour le 35e : c’est son quatrième changement de régiment. Acheminé de dépôt en dépôt : Antibes, Toulon, Lons-le-Saulnier, Besançon, puis, oh joie !, permission à Paris où il passe le Nouvel An en famille. Salonique, ville cosmopolite où « chaque nation alliée y a son camp ». Côté organisation, « le camp anglais est impeccable, le camp français, acceptable et le camp italien déplorable, car les hommes n’y ont pas de feuillée. Ville aux 17 minarets où les femmes sont entièrement voilées et le vin sucré ». de jours, le régiment part pour l’Albanie, par chemin de fer à voie unique puis à pied. Il faut franchir les Alpes helléniques ; le col est à 1923 mètres d’altitude. Les hommes se reposent « dix minutes toutes les cinquante minutes ». La chaleur insupportable la journée se change en froid intense la nuit. La solitude lui pèse. Il a peu de nouvelles des siens mais en revanche, il peut lire l’Opinion et l’Indépendant et écouter les informations de France par la TSF. Au bout d’une vingtaine Les hommes dorment à 4 dans leur petite tente d’un mètre de haut et parfois ils entendent des « hurlements lugubres de loup ». Tous les villages traversés sont « misérables ». actualités Édouard a perdu son enfance et constate « qu’il a bien vieilli en un an ». Marchands turcs à Florina Embarquement pour l’Orient Besançon encore, puis détachement au 3e Zouave et embarquement pour l’Orient, abandonnant le « bleu-horizon pour le kaki et le képi pour la chéchia ». Cent trente-six heures de train et trois jours et demi de tangage et de roulis dans des vagues de dix mètres de haut à bord du Moustapha II parti de Tarente (Italie) pour Salonique (Grèce). Détachement de zouaves dans la plaine de Monastir 13 actualités « En avant ! » Les gens portent « des peaux de moutons entortillés » en guise de chaussures. Certains se ruent sur les déchets de nourriture des troupes récupérant « os et fonds de boîtes de singe ». 14 Passage en Albanie à Biklista le 26 février 1917. Deux cent vingt-cinq kilomètres de train et deux cent cinquante à pied depuis Salonique, et le voyage n’est toujours pas terminé. Édouard remarque que « les femmes triment comme des forçats, tandis que les hommes, peu courageux, fument, causent et se chauffent au soleil ». Les enfants sont en haillons et pieds nus malgré le froid. C’est « un pays de misère et tout semble pitoyable ». Sur les hauteurs du majestueux lac d’Okrida, c’est la guerre sans les tranchées, et pour la première fois, Édouard monte la garde dans ce petit poste près de l’ennemi. Silence, solitude, les yeux qui fouillent l’obscurité. Un tronc d’arbre dénudé semble vite un ennemi. Tous les sens sont aux aguets. Même si l’on est brave, on appréhende, alors on contemple le firmament pour s’orienter. Édouard se demande pourquoi il a échoué dans ce régiment disciplinaire, lui qui n’a que compliments de ses chefs. Ses compagnons sont condamnés aux travaux forcés. Cinq ans pour vol de vin chez l’habitant, dix ans pour avoir giflé un sergent et de rudes sanctions pour les mauvaises têtes. Ces durs à cuire s’en moquent, se distrayant de presque rien. Le baptême du feu Pas assez d’action dans cet endroit pour des soldats de cette trempe, alors l’état-major transfère toute la troupe en Serbie, où il y a de « vraies tranchées avec d’authentiques Boches ». Le vendredi 13 avril 1917, au ravin de Brunsnick près de Monastir, Édouard reçoit son baptême du feu : Français et Allemands se disputent la même crête. « J’ai l’impression… que mes poumons ont éclaté… je sens toute la terre s’ébouler sur moi, m’enterrant jusqu’au cou… je suis rudement touché… le sang coule à flots et m’étouffe… impossible de bouger… dégagé par un camarade… mes mains souillées de graisse, de terre et de sang… je promène ma main dans ma bouche, à droite il me reste quelques dents cassées, en bas vide complet, plus de lèvre ni maxillaire ». « Les boches ont attaqué et pris deux lignes de tranchée. Nous allons riposter. Toute la nuit les 75 ont tiré. Les ambulances sont alignées dans l’ombre et attendent les blessés ». Les hommes reçoivent leur « ration de gnôle au goût d’éther et deux grenades ». Tapis silencieux dans la tranchée de « la côte des Légionnaires », tous attendent fébriles. La blessure « Attention, plus que trois minutes ! crie le sergent. - En avant ! » Les dix-neuf hôpitaux accueillent les blessés répartis par types de blessures. On recoud ses chairs abîmées. Mademoiselle Alice Schaetzlé, Major de l’Union des femmes de France, s’occupe de lui. Édouard est un blessé calme malgré ses souffrances. Pourtant « ses nuits sont agitées de cauchemars où il se voit toujours dans les tranchées ». Dans l’impossibilité de parler, il communique en griffonnant sur un carnet. Côté repas, ce n’est pas fameux non plus, il ne peut manger, du lait seulement ingurgité par biberon. Le 15 mai 1917, il est évacué sur un navire hôpital. Les morts sont jetés à la mer au cours de la traversée de la Méditerranée. Il est neuf heures et quart et tous les hommes sortent de la tranchée en ligne, grimpent la crête et se ruent sur la tranchée adverse. Les Boches se rendent. L’endroit est particulièrement dangereux. « Les obus tombent drus, à droite, à gauche, de plus en plus près » : un véritable déluge de feu ; Édouard est touché. Il rejoint à quatre pattes le poste de secours. Gravement blessé, les brancardiers le descendent de la montagne et le transportent au village, à dos de mulet et puis en voiture jusqu’à l’hôpital de Florina pour être évacué à Salonique. actualités Il est très affaibli mais heureux de revoir le sol français après dix-huit jours de mer. L’HôtelDieu domine le vieux Marseille. « Les cloches des églises sonnent. Le soleil brille et les hirondelles tournent et gazouillent ». Édouard est saisi d’émotions et de bonheur. La faim le tenaille de plus en plus aussi, sa fièvre ne baisse pas. On lui fixe des appareils pour redresser le maxillaire déboîté. Il subit deux greffes de chair au niveau de la lèvre pour stopper l’écoulement de salive puis pour la réfection de sa cicatrice boursoufflée. En octobre 1918, il subit une greffe osseuse avec l’extraction de cinq centimètres et demi de cartilage de tibia, qu’on replace dans le maxillaire. « Étendu sur le billard… l’infirmière me fixe de gros crampons de fer aux bras et aux jambes. Me voilà réduit à l’impuissance… heureusement sous anesthésie complète ». Cette greffe nullement imposée, mais conseillée, lui permettra de redevenir peut-être comme avant. Édouard est confiant. Il est le sixième blessé sur lequel on tente cette opération. La mâchoire ficelée durant cinq mois, il souffre mais ne se plaint pas : « un soldat blessé trouve naturel de souffrir à l’hôpital, comme il trouvait naturel de se faire tuer devant l’ennemi ». Il faut maintenant réapprendre à manger, à parler, à être regardé aussi, mais c’est possible. En mars 1919, il rejoint le centre du Val-de-Grâce à Paris où les chirurgiens font tout leur possible pour redonner forme à ces pauvres êtres défigurés. À un camarade, Édouard demande : « Depuis que tu es défiguré, ta femme t’aime toujours ? ». Réformé le 31 mars 1920 après avoir été mobilisé cinq ans dont trois passés dans les hôpitaux, Édouard reçoit la médaille militaire en 1923, et la croix de chevalier de la Légion d’honneur en 1933. Le chemin du retour vers la « vie normale » sera long, souvent très pénible. « Cela aurait pu être pire encore », pense-t-il. Si Édouard trouve « monstrueux les gens qui osent prétendre la guerre… nécessaire pour punir les peuples trop ambitieux », il est sacrement heureux de vivre. Le bonheur lui sourit, et Renée Joron qu’il rencontre deviendra son épouse le 9 février 1938 à Cerny en Essonne. Je remercie Monsieur Pierre Lefort, son fils, pour sa gentillesse et le prêt du manuscrit des souvenirs de guerre de son père, apportant ainsi un éclairage sur sa vie de soldat durant ce terrible conflit. Lisbeth Porcher Service de l’action culturelle et de la communication 15 outils et méthodes 16 L’éclairage de la vie de « l’arrière » par les archives des tribunaux d’instance Durant la Première Guerre Mondiale, le travail de la justice ne s’est pas ralenti. Au contraire, la présence et le passage de multiples troupes sur le territoire engendrèrent de nombreuses plaintes, conflits, enquêtes et procédures diverses. C’est ce que démontrent les archives judiciaires et plus particulièrement les archives des tribunaux d’instance de Corbeil et d’Étampes (sous série 3U) qui apportent un éclairage original et différent du conflit. En effet, il s’agit d’une guerre vécue à « l’arrière » et non sur le front. La tension des débuts de guerre dans les archives judiciaires Dès le début des hostilités, une véritable traque des sujets allemands et austro-hongrois se fit jour. Ceux-ci sont arrêtés, quand il ne se sont pas enfuis, regroupés en camp de concentration, leurs biens mis sous séquestres, leurs avoirs gelés et les dettes des français envers ces personnes effacées. Les sources judiciaires traduisent ce sentiment d’hostilité à leur égard. Ces dossiers de séquestres permettent de recenser et de localiser les biens des étrangers dans le département et de dresser une chronologie de leurs arrestation ou de leur fuite. Ainsi, les époux Muller, sujets allemands demeurant à Athis-Mons, s’enfuirent précipitamment dans la nuit du 1er au 2 août 1914, lors de la déclaration de guerre ; leurs biens furent saisis par la justice quand ils ne furent pas pillés par les voisins16. Les archives judiciaires montrent qu’en bien des domaines les entreprises essonniennes étaient dépendantes des produits chimiques et manufacturés allemands. Il en reste des plaintes aux tribunaux ou des enquêtes sur ces sociétés. Ainsi, l’imprimerie La Semeuse, à Étampes, était débitrice de deux imprimantes rotatives envers la Vogtlandische Machinen Fabrick de Plaven, en Allemagne17. Les archives des tribunaux d’instance conservent les traces d’espions, réels ou supposés, à la solde des allemands. Cela est symptomatique du climat de méfiance des années 1914-1915. Malheureusement leur mention est laconique et se résume le plus souvent à une simple citation. Cela étant, ces documents n’en illustrent pas moins l’importance de ce phénomène en Essonne. Le 2 août 1914, Lucien Clause, fondateur des graineteries du même nom et Mosellan d’origine (Lorraine annexée) comparait devant Brétigny-sur-Orge. - Hôpital auxiliaire n°10. - AD91, 57Fi29/123 la gendarmerie de Corbeil pour suspicion d’espionnage ; il est très rapidement libéré18. Certains cas, assez rares, furent du recours du Conseil de guerre, en collaboration avec les tribunaux d’instance. Le 2 septembre 1918, Albert Mignot, mécanicien-ajusteur demeurant à Essonnes, fut condamné à un an de prison pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre19. Des affaires touchant au quotidien des Essonniens Cependant la majorité des faits traités par les tribunaux d’instance essonniens sont constitués de plaintes, d’enquêtes et de procès verbaux. Il s’agit de vols, de nuisances diverses, de cas d’ivresse publique, de prostitution, d’infractions La guerre engendra de nombreuses instances de divorce et de demandes d’assistance judiciaire, les maris étant traumatisés par la guerre et les femmes ayant dû s’adapter aux transformations du quotidien pour survivre. Les dossiers fournissent des indications sur le régiment d’affectation du mari et sur les causes du divorce, souvent liées de près ou de loin à la guerre. Le 24 mai 1917, Émile-Paul Morteau, ouvrier en chaussures demeurant à La Norville, mobilisé aux usines d’Assailly-Lorette (Loire), demande le divorce ; sa femme, d’après un procès-verbal de gendarmerie, mènerait une vie scandaleuse recevant souvent des militaires chez elle depuis la mobilisation de son mari21. Le travail judiciaire dans l’après guerre Le travail des tribunaux concernant le conflit continua. L’administration judiciaire statua notamment sur le sort des soldats disparus à la guerre par des jugements déclaratifs de soldats morts pour la France. Ces dossiers, parfois très complets, comportent des enquêtes sur les circonstances du décès au travers des témoignages de camarades de combat, de la correspondance entre administrations ou des rapports du régiment d’affectation. L’institution judiciaire mena le même type d’enquête pour réhabiliter d’anciens détenus ayant eu un comportement héroïque à la guerre, à l’image du dossier concernant Maurice Vincent. Dès 1917, les tribunaux d’instance de l’Essonne statuèrent sur le sort des enfants de soldats blessés ou morts pour la France afin de leur octroyer une pension (dossiers de « pupilles de la Nation »). En fait, ces dossiers renseignent plus sur le père que sur l’enfant. Pour asseoir le montant de la pension ou fixer le degré d’invalidité, Vert-le-Petit. - Caserne du Bouchet. - AD91, 2Fi182/055 la commission d’octroi enquêtait sur les circonstances de la blessure ou de la mort du père. Enfin, les tribunaux d’instance s’occupèrent également des plaintes concernant les dossiers de dommages de guerre et de remboursement des réquisitions de l’armée française. En effet, l’armée réquisitionna les hommes, les bêtes, le matériel et les bâtiments pour contribuer à l’effort de guerre et fit creuser des tranchées, construire des casemates et batteries sur des propriétés privées. Certains de ces dommages de guerre furent portés en justice et consignés dans des registres de plainte et de jugement et quand ce fut nécessaire, des dossiers plus complets furent constitués. Ces documents décrivent les travaux ou les réquisitions effectués, le type de remboursement préconisé et les litiges quant aux sommes allouées. Louis Petit, fermier à la ferme de Champagne à Savigny-sur-Orge, se battit contre l’intendant militaire pour fixer les indemnités de réquisitions de paille et pour constater les dommages résultant des travaux de défense du camp retranché de Paris dans ses bâtiments et sur ses terres23. En conclusion, les archives des tribunaux d’instance essonniens constituent une approche originale sur la Première Guerre mondiale, vue de « l’arrière ». Dans leur majorité, ces documents sont accessibles sans condition particulière et permettent de « vivre » ce conflit au travers d’histoires humaines parfois très fortes et touchantes. Dominique Bassière Chef du service des archives historiques, communales et notariales Zoom sur un registre où sont consignés les dossiers ouverts par le tribunal d’instance (numéro de dossier, motif, personne, lieu, date des faits, date de l’enregistrement, suite de l’affaire). AD91, 3U/80 Les sources judiciaires fournissent des éléments, certes épars mais explicites, sur le manque de personnel des administrations du fait de la mobilisation et font part d’une certaine désorganisation de celles-ci. Le 6 mars 1919, une lettre de la chambre des notaires de l’arrondissement de Corbeil adressée au tribunal précise que la plupart des études notariales manquent de personnel et qu’il serait indispensable que la démobilisation leur rende des clercs en quantité suffisante22. 16. AD91-3U/172 - 17. AD91-3U/1885 - 18. AD91-3U/79 19. AD91-3U/71 - 20. AD91-3U/80 - 21. AD91-3U/623 22. AD91-3U/45 - 23. AD91-3U/621 outils et méthodes aux règlementations, d’accidents ou de décès accidentels de soldats, mais aussi des cas de diffamation ou de désobéissance à l’autorité militaire. Ces archives sont hétéroclites et vont de la simple mention dans un registre de procèsverbal jusqu’à des dossiers très complets. Dans tous les cas, ces documents mettent en lumière des évènements du quotidien liés à l’état de guerre. Ainsi, le 24 novembre 1915, douze soldats anglais sont arrêtés à Juvisy-sur-Orge pour ivresse et vol de bouteilles de marc et de rhum. Ils furent transférés à Marseille20. 17 outils et méthodes 18 Réaliser un carnet de poilu : fiche pratique Qu’estce qu’u n carnet de poil u? Un carnet de poilu es t un carne sur lequel t le soldat ra pporte son expéri enc tranchées, e du front, des de que soldat, sa vie en tant en dessina nt ou en écrivant. C es carnets avaient souvent un format pra tique, afin qu’il p uisse être tr a facilement. nsporté Afin de préparer les élèves du primaire à la visite de l’exposition « 1914-1918 : si loin… si proche », le service éducatif propose de réaliser en classe un carnet de poilu qui permet d’appréhender l’exposition de manière ludique. Les cinq thématiques de l’exposition sont reprises dans le carnet : chacune d’elles comprend une page pour écrire, et une autre pour dessiner. Les élèves peuvent ainsi se référer à leur carnet pour prendre des notes ou représenter leur ressenti. Avec une technique de découpage-pliage, la réalisation du carnet de poilu reste simple et ne nécessite pas d’achat de matériel spécifique. Il peut donc être fait en classe ou à la maison, accompagné ou en autonomie grâce à la fiche pratique qui guide pas à pas sa réalisation. L’élève commence par concevoir les pages de son carnet auxquelles, il collera par la suite une couverture. Matériel > Feuille format A3 sur laquelle est imprimée la trame délimitant les pages ainsi que diverses illustrations reprenant les thèmes de l’exposition. Téléchargement sur www. centenaire-1914-1918.essonne.fr, puis espace pédagogique > Feuille format A4 qui servira à la confection de la couverture (trame accessible depuis ce même site) > Des ciseaux et de la colle Réalisation des pages Rabat à coller Pliage en éventail avant le collage des deux parties Décoration de la couverture > Coupez en deux la feuille format A3 dans le sens horizontal. > Pliez en éventail les deux parties : - en commençant par la page où apparaît le titre « Tout le monde participe à la victoire » ; - en commençant par la vignette avec le soldat. Attention le pliage ne commence pas de la même façon que précédemment. > En pliant, vous obtenez des languettes d’environ 1 cm. Après avoir vérifié que tout est dans le bon ordre, assemblez-les avec de la colle. La décoration de la couverture du carnet peut varier selon les choix de l’enseignant(e). On peut ainsi choisir parmi plusieurs possibilités de supports : du papier simple ou cartonné, illustré ou vierge. Cette dernière proposition laisse l’élève libre de la décorer lui-même, selon son imagination, avec des dessins et des collages. Nous proposons aux enseignant(e)s de sélectionner dans la galerie d’images en ligne sur le site (centenaire-1914-1918.essonne.fr, rubrique galerie d’images), et d’imprimer les images choisies. Confection de la couverture La couverture se réalise en prenant la feuille A4 : > découpez la couverture comme sur le modèle ; > pliez en suivant les flèches ; > après avoir confectionné les pages et la couverture, assemblez les deux pour obtenir le carnet au format 8 x 15cm. Le carnet de poilu peut être exposé en étirant les pages. Les élèves peuvent à leur tour créer une exposition en présentant les dessins et les écrits qu’ils ont pu faire pendant la visite, ainsi que la décoration de leur couverture. Les variantes Ce carnet peut s’adapter à différents projets selon des variantes de fabrications suivantes : > tout d’abord, vous pouvez confectionner les pages du carnet avec des feuilles vierges. Cette variante ouvre un grand champ de possibilités et d’utilisations, tel qu’un carnet à dessin ou un recueil de poème ; > en gardant cette idée de feuilles vierges, vous pouvez jouer sur la dimension des pages. La technique reste la même que pour la fabrication du carnet de poilu (vu précédemment Le cahier de poilu Couverture dans la partie « Réalisation »), seule la mesure à laquelle on marque les plis change. Par exemple pour un carnet de format 13,5 x 15 cm : découpez en deux la feuille format A3 dans le sens horizontal ; pliez chaque partie en éventail afin de créer des pages de 13,5 cm ; assemblezles à l’aide des languettes d’environs 1 cm, que vous aurez obtenu lors du pliage. Vous pouvez ajouter autant de pages que vous le souhaitez. Dans chacun des cas, il suffit d’adapter les dimensions de la couverture aux mesures des pages, puis de la décorer sur le thème choisi. L’intérêt de cet atelier se trouve dans la diversité des techniques utilisées par les élèves pour confectionner leur carnet. En effet, cet exercice sollicite des travaux manuels de découpage et collage associés à l’exercice d’écriture et de dessin qui éveille l’imagination et la créativité de l’enfant. De plus, en suivant chacune des étapes et en respectant les consignes de fabrication, la fiche de réalisation Carnet de poilu donne à l’élève une certaine autonomie. outils et méthodes Réalisation des pages C’est une activité qui permet à l’enfant de développer ses aptitudes techniques, sa créativité, et son sens de l’observation lorsqu’il viendra visiter l’exposition. 19 Marion Kaczmarczyk Service civique volontaire Dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre… Le service éducatif met en ligne des ressources utilisables en classe et destinées aux enseignant(e) s et aux élèves du premier degré et du secondaire. Des dossiers thématiques constitués de documents patrimoniaux, conservés aux Archives départementales ou prêtés dans le cadre de la Grande collecte, permettent d’aborder les différents aspects de la Grande Guerre en lien avec les programmes scolaires : les poilus, les femmes, les enfants, la mobilisation économique, la propagande, les blessés, la commémoration. Certains dossiers sont plus spécialement réalisés en vue d’une utilisation en primaire (dossier sur les poilus), d’autres plutôt pour les classes de 3e et 1re (la mobilisation économique). Certains sont ou seront complétés par une fiche à destination des enseignants pour préciser le contexte des documents et les problématiques abordées. Ces ressources seront enrichies au fil de l’avancée du calendrier de la commémoration. outils et méthodes 20 Le carnet d’Émile Reymond héros de l’aviation Tarbes, 9 mai 1865 - Toul, 22 octobre 1914 De la Loire à l’Essonne… Le Musée de Dourdan a fait don aux Archives départementales, il y a quelques années, des archives familiales et professionnelles de François Poncetton, médecin, écrivain et journaliste qui vécut une partie de sa vie à Dourdan. Elie Henri Emile Reymond, fils de Francisque, est le cousin germain (par sa mère) de François Poncetton et de ses frères. Cette parenté explique la raison pour laquelle sont conservés dans ce fonds privé des documents le concernant. La famille est très unie et les cousins entretiennent d’abondantes correspondances que François a scrupuleusement conservées, ainsi qu’un grand nombre de photographies de famille et des généalogies qui permettent de retracer l’histoire des membres d’une famille, qui à bien des égards semble hors du commun. Un document retient tout particulièrement l’attention : il s’agit d’un petit carnet manuscrit sur lequel Emile a consigné au jour le jour ses activités pendant les premiers mois de la Grande Guerre, témoignage majeur, écrit par un homme conscient des enjeux du conflit, dévoué à sa patrie et toujours d’une grande lucidité. Émile Reymond dans son bureau. - AD91, 16J/222 En 1916, « Le Figaro » a publié des extraits de ce carnet prêté par Madeleine de Launay, la veuve d’Émile ; sachant que François Poncetton était rédacteur en chef de ce quotidien en 1914, on peut envisager que l’ouvrage lui ait été remis par sa cousine et qu’il l’ait ensuite gardé dans ses archives ; ce n’est là qu’une supposition, car il se peut aussi que François ait recopié le texte, ce qui n’enlève rien à l’intérêt du document. L’éditeur précise que la teneur des propos d’Émile Reymond pouvant susciter des controverses, les passages choisis évitent les remarques d’ordre politique ou militaire au profit des récits de la vie quotidienne. Un brillant médecin Le père, François Reymond dit Francisque, originaire de Montbrison, est ingénieur et sénateur du département de la Loire ; Élie Henri Émile dont le prénom usuel est Émile, est né à Tarbes au hasard de l’affectation de son père comme ingénieur des chemins de fer. Mais le siège familial restera toujours à Montbrison. Émile fait de brillantes études qui le conduisent au lycée de Versailles, Condorcet et Henri IV à Paris. Il prépare l’École Centrale pour faire plaisir à son père, bien qu’il ait une nette préférence pour les arts ; finalement, il fait un compromis et devient docteur en médecine en 1895, puis chef de clinique de la Faculté et chirurgien de l’hôpital de Sèvres. En 1903, il est nommé chirurgien de la Maison départementale de Nanterre ; son service est l’un des plus importants de la région parisienne. Sa dextérité et la sûreté de son diagnostic sont largement saluées. Ses recherches histologiques et ses travaux relatifs à la chirurgie gynécologique, à celle du cœur et des poumons, d’une audace exceptionnelle pour l’époque, lui confèrent une grande notoriété. Sur le front Émile Reymond dans son avion, 1914. - AD91, 16J/222 Un politique éclairé Un aviateur passionné Sa carrière l’occupe trop pour qu’il se laisse séduire par les offres de candidatures qu’on lui propose. Cependant, à la mort de son père en 1905, il lui succède au fauteuil de sénateur de la Loire, siège qu’il conservera jusqu’à sa mort. Inscrit à la gauche républicaine, ses débuts en politique sont houleux ; mais très vite, la pertinence de ses interventions sur les sujets relevant de la santé publique : réforme des études médicales, création d’établissements scolaires pour enfants attardés, adaptation du service militaire pour les étudiants en médecine…est reconnue et appréciée. Sa passion pour l’aéronautique l’incline rapidement à apporter un soutien inconditionnel à l’aviation naissante, dont il pressent le rôle dans la défense nationale : en 1910, il participe à un voyage d’étude sur les Zeppelins, en Allemagne. Il passe son brevet de pilote en 1910, puis son brevet militaire en 1911 ; la même année, il intervient au Sénat sur l’aviation aux colonies. Il fait de nombreuses randonnées et, en 1912, il est à l’origine de la première tournée électorale en avion ! Son engagement politique est résumé dans cette phrase : « Je voudrais que la République de demain fût faite de sagesse, d’indulgence, d’apaisement et respectueuse de toutes les libertés ». Voulant se consacrer pleinement à sa mission d’élu, il abandonne ses fonctions de chirurgien qu’il juge incompatibles ; seule dérogation à cet engagement : il continue de prodiguer ses soins aux plus démunis. Très vite, il comprend que l’avenir de la France est dans l’aviation, et souhaite qu’une Armée de l’Air soit créée. Métier oblige, Il s’intéresse particulièrement à l’utilisation de l’aviation dans la recherche des blessés sur les champs de bataille : en 1912, il sollicite du Comité militaire de la ligue nationale aérienne l’attribution d’aéroplanes au service de santé. Il prend la tête du Comité national de l’aviation militaire et en 1914, il entre au Conseil supérieur d’aérostation. Conscient du retard pris par la France face aux progrès de Août 1914, le ciel s’assombrit ! Dès l’ouverture des hostilités, Émile est affecté comme médecinmajor de 1re classe au service de santé et insiste pour rejoindre un corps d’aviation sur la ligne de feu ; il devient observateur dans une escadrille de l’armée de l’Est. Le 10 août 1914, il commence à écrire un journal de bord qui se termine le 19 octobre, avant-veille de sa mort. Tel un journaliste, il relate les mouvements des armées, les horreurs de la guerre, le comportement des soldats, mais il décrit aussi les paysages et fait part de ses déceptions devant l’attitude trop timorée des chefs de l’armée : à plusieurs reprises, il désobéit aux ordres et se plaint des atermoiements de ses supérieurs qui, selon lui, nuisent à l’avancée des troupes françaises. Impartial, il n’hésite pas à noter les abus de l’armée française : ainsi lorsqu’il découvre le pillage et les atrocités commis dans un château, sa première réaction est de les attribuer aux soldats allemands, mais après enquête, il est convaincu que les responsables sont en fait des Marsouins ; à plusieurs reprises, tout en dénonçant les ravages perpétrés par l’ennemi, il s’interroge : « et nous, sommes nous sans taches ? ». Chaque jour, son récit commence par une information météorologique essentielle, puisque la possibilité de départ en mission d’observation en dépend ; souvent, il peste et reproche aux généraux d’être trop frileux en refusant le décollage, parfois il part quand même seul au mépris du danger. Mort d’un héros Le 21 octobre 1914, Émile Reymond prend place à bord d’un Blériot biplace piloté par l’adjudant d’infanterie Clamadieu, pour effectuer une reconnaissance à basse altitude au dessus des lignes allemandes. Victime d’une panne de moteur, son avion est obligé d’atterrir sous le feu des mitrailleuses allemandes ; Clamadieu est tué et lui-même grièvement blessé. À terre, un combat acharné s’engage, qui va durer 4 heures ; malgré de nombreuses tentatives, les soldats français du 367e régiment d’infanterie ne peuvent approcher de l’avion, Émile fait le mort à côté de sa machine. Ce n’est que dans la soirée que les brancardiers réussissent à relever les corps des aviateurs. Transporté à l’hôpital de Toul, Émile a le temps de communiquer avec précision les résultats de sa mission, avant de mourir le 22 octobre. outils et méthodes l’Allemagne, il préconise la création d’une véritable « arme » de l’aéronautique, quand l’Armée ne voit dans l’aviation qu’un service complémentaire aux besoins de l’observation. 21 outils et méthodes 22 Une page du carnet et photographie d’Émile Reymond.- AD91, 16J/404 Hommages L’héroïsme d’Émile Reymond suscite de nombreux hommages : le Sénat commande au sculpteur Boucher un buste qui figure en bonne place dans sa galerie avec la mention : « pour perpétuer l’image du sénateur Émile Reymond qui illustra la science chirurgicale, honora la tribune du Sénat, contribua plus que tout autre à la création et au développement de l’aviation militaire… ». Le 29 mai 1920, dans les jardins d’Allard à Montbrison (Loire) berceau de la famille, le monument aux morts confié au sculpteur Albert outils et méthodes Il est enterré aux portes de Toul où il reposera jusqu’à la fin de la guerre. Aujourd’hui, Émile a rejoint au cimetière de Montbrison, ses parents et son frère Jean-François Georges Auguste, ingénieur civil, directeur des charbonnages de Nikinovska, assassiné à Droujkowa (Russie) le 28 février 1907, qui, comme son frère cadet Claude Henri, avait épousé l’une des filles du préfet de police Louis Lépine. Bartholomé est inauguré : le buste du sénateur figure au centre du monument. Le Président de la République Paul Deschanel devait présider à cette inauguration : mais c’est sur le chemin de Montbrison qu’eut lieu le célèbre fait divers selon lequel Paul Deschanel serait tombé du train dans la nuit et aurait erré sur les voies avant d’être recueilli par un employé du chemin de fer et reconduit à Paris. Enfin, sur la stèle dédiée aux internes morts pour la France à l’Hôtel-Dieu de Paris, le nom d’Émile Reymond s’inscrit parmi celui des « morts au champ d’honneur ». C’est son épouse qui lui rend le plus bel hommage, dans une lettre adressée à son cousin François Poncetton : « La vie sera dure, mais il a eu une trop belle mort pour être lâche quand on a la gloire de porter son nom et d’avoir eu sa dernière pensée ». Claudine Michaud Chef du service des publics Buste d’Émile Reymond au Sénat. - Archives du Sénat L’hommage d’Émile Reymond fait la une du numéro de l’Illustration du 29 mai 1920. - AD91, PER317/25 23 Sources • AD 91, Fonds Poncetton, 16J1-458, et en particulier 16J/191, 16J/222 (photographies), 16J/404 pour le cahier • Ministère de la Défense : Journal de marche du 367e régiment d’infanterie et fiche individuelle : www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr • Sénat : www.senat.fr/histoire/1914 1918 www.senat.fr/senateur-3eme-republique/ reymondemile • AD 42 (Archives départementales de la Loire), Fonds de la famille Reymond (Francisque et Emile), 17J (non classé, 6 ml) • Archives municipales de Montbrison • Presse : - L’Illustration année 1920 (29 mai), années 1911 et 1914 - Le Figaro, 12 janvier 1916 - La Guerre aérienne, 20 décembre 1917 patrimoine local Alphonse Lalauze : un peintre aux armées à Milly-la-Forêt Le tableau intitulé « À la mémoire des soldats tombés en 1914-1918 » réalisé en 1921 par le peintre Alphonse Lalauze (1872-1931 ou 1936 ou ap. 1938) pour l’église de Milly-la-Forêt, et qui s’y trouve aujourd’hui encore conservé, s’inscrit parfaitement dans la tradition de la peinture militaire française. Cette œuvre permet à la fois de comprendre le rôle joué par les peintres aux armées ou « peintres du ministère de la Guerre » pendant la première guerre mondiale, et de clarifier le sort des innombrables productions conçues dans ce contexte. 24 Un peintre ancré dans la tradition militaire Peintre aquarelliste né à Paris le 21 juin 1872, Alphonse Lalauze (anciennement contrôleur d’enregistrement) est le fils d’un artiste peintre graveur reconnu de son temps Adolphe Lalauze (1838-1906), également mort à Milly-la-Forêt, et élève du peintre militaire Edouard Detaille (1848-1912) : celui-ci, formé par le peintre Meissonier, présida la Société des artistes français de 1896 à 1900, exécuta le tryptique « Vers la Gloire » ornant l’abside du Panthéon, et joua un rôle actif sur le plan pictural notamment durant la guerre franco-prussienne de 1870 ; il contribua également à la création du Musée de l’Armée en 1905. Présent comme son père au Salon des artistes français, Alphonse Lalauze fut l’un des quinze membres fondateurs de la Société des peintres militaires et « peintres du ministère de la Guerre » née en 1912; il collabora également à des journaux illustrés la Guerre des nations et à des ouvrages Histoire de l’Empereur raconté par un vieux soldat, d’Honoré de Balzac, en 1904 ; Costumes militaires de l’armée française 1902-1907, Éditions du Canonnier, réed. 2007) ; il œuvra aussi comme affichiste, remportant en 1923 le concours lancé par la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France pour l’affiche du concours international de gymnastique organisé à Paris - qui devint ensuite la charte graphique des affiches de ce concours, et servit également à l’illustration des diplômes décernés par la Fédération. Sa présence sur les champs de bataille est attestée en 1915, 1917 et 1918 dans la Somme, en Alsace, Lorraine et Champagne. Il fut nommé chevalier de la Légion d’Honneur en 1931. Il est enterré à Milly-la-Forêt. Comme en témoigne la majeure partie de son œuvre, y compris celle réalisée hors du temps de guerre, l’inspiration de Lalauze est essentiellement dictée par l’observation brute des faits, des uniformes, avec un attrait particulier pour la remémoration de l’épopée napoléonienne. La maison d’Alphonse Lalauze, à Milly-la-Forêt Si ce titre de « peintre du ministère de la Guerre » créé deux ans après la naissance de la Société des peintres militaires fin 1912, année de la mort du chef de file de ce courant pictural Édouard Detaille, ne conférait aucun privilège, il fut néanmoins prisé par nombre de peintres, car soulignant la recommandation émise par le Musée de l’Armée pour envoyer en mission des artistes sur les zones de combat. Cet enthousiasme s’insérait dans un contexte d’essor remarquable de la peinture militaire depuis le début de la Troisième République, impulsé par la défaite de la France en 1871 face aux Prussiens : un salon des peintres militaires fut organisé en 1907 (jusqu’en 1913) ; puis vint la Société des peintres militaires, et enfin le titre de « Peintre du ministère de la Guerre » le 22 avril 1914 : autant d’étapes jalonnant la marche vers une reconnaissance et une valorisation de la fonction de peintre aux armées dans un contexte guerrier. Les premières missions furent lancées dès décembre 1914 sous l’égide du ministère de la Guerre, et ce jusqu’en 1916, date à laquelle le choix des artistes fut transféré au secrétariat des Beaux-Arts, afin de garantir la qualité artistique des œuvres : les œuvres produites, essentiellement dessins, aquarelles et gouaches - rarement suivies de peintures sur toiles du fait du caractère aléatoire de leur vente - étaient ensuite évaluées avant achat éventuel par l’État. Le musée de la Guerre était leur première destination : une première présentation au public eut lieu le 19 février 191524, puis les années suivantes dans de nouvelles salles aménagées spécialement à cet effet. Parmi les plus connus de ces peintres, on peut citer : François Flameng (1856-1923, professeur à l’École des Beaux-arts, membre de l’Institut), dont les dessins furent reproduits dans l’Illustration dès 1915 ; Georges Scott (1873-1943), illustrateur au style épique voire cocardier ; Raymond Desvarreux (1876-1961), auteur essentiellement de petits tableaux mettant en valeur les uniformes ; Lucien-Hector Jonas (18801947), auteur de pochades sur bois ou carton et portraitiste apprécié des milieux militaires. La plupart de ces artistes étant généralement choisis (au début de l’expérience tout au moins) sur des critères de « bon esprit » et de moralité autant que sur des critères esthétiques, rendirent sur le conflit un témoignage grandeur nature et en images dépourvu de jugement de valeur : « ce qu’il faut, c’est envoyer avant tout aux armées de véritables artistes qui soient susceptibles de saisir l’atmosphère du front, qui prennent des vues de ce qui se passe avec sensibilité, avec émotion, et que ce ne soit pas de vulgaires cartes postales que l‘on vienne présenter à la Commission 25 ». « Peinture soldatesque26 » ou allégorie mystique? Le tableau offert par Alphonse Lalauze à l’église de Milly-La-Forêt, où le peintre séjourna (dans la maison appelée « La Rotonde », à l’angle des actuelles rues Jean Cocteau et du Lau), constitue une sorte de mise en abîme dédiée aux « morts glorieux », présentant une scène de combat intégrant la liste des 103 Milliacois morts ente 1914 et 1918. Il est intéressant à double titre : il reste peu d’œuvres picturales évoquant directement les morts pour la France en Essonne, voire illustrant des projets de monuments aux morts27 ; et celle-ci offre en outre une combinaison subtile de style, à la fois réaliste et allégorique, tout à la fois peinture de bataille et peinture religieuse. patrimoine local Artistes en mission Les cinq soldats représentés marquent chacun à leur manière une étape dans le cheminement vers la mort qui n’est pas que souffrance, mais aussi victoire et rédemption : l’observation et le recueillement devant le sacrifice de l’un des siens, l’accompagnement dans la souffrance, la révélation de la Mort. La composition en L inversé attire le regard vers la gauche, où l’on découvre tout d’abord la liste des morts, puis le soldat mourant, puis au second plan en hauteur vers la colline (sorte de Golgotha) où gît le corps d’un autre soldat déjà mort, et enfin vers les nuées rouge-orangé d’où émerge la façade de l’église que l’on reconnaît être celle de Milly. La palette chromatique accompagne ce quasi chemin de croix, de la triste réalité terrestre vers le rachat céleste : palette froide gris-bleuté dans le registre inférieur, chaude et rouge-orangé dans le registre supérieur. Les détails achèvent de renforcer le message et le parallélisme avec les œuvres illustrant la crucifixion du Christ et son ascension : les cailloux parsemant le sol au premier plan, comme souvent au pied de la croix du Christ, la lumière sur la poitrine du soldat blessé, rappelant le rai de lumière divine, et enfin les nuées ardentes révélant la finalité de la vie terrestre : la rédemption au sein de l’Église incarnée par la modeste église de Milly. Le journal « La guerre des nations », 15 juin 1915 avec en couverture l’aquarelle « Soldats traversant un village en ruine », de Alphonse Lalauze. - AD91, Fonds Maillard-Brune, 91J 25 26 patrimoine local Bien loin de n’être qu’une simple « levée de pinceaux » (sic Léonce Bénédite, op. cit) de plus à la mémoire des soldats morts pour la France, cette toile révèle parfaitement la véritable piété patriotique qui a marqué la Grande Guerre ; son caractère allégorique est accentué par le fait qu’elle ne fut pas réalisée sur le vif, à l’instar des œuvres dessinées ou peintes en mission, mais après le conflit, dans une période de recueillement et de reconstruction où la légende devait primer sur la réalité. Il est essentiel de confronter ce type de production, typique de la peinture militaire officielle, à celle de ces « poilus [qui] se souvinrent dans la tranchée qu’ils avaient été artistes et, par manière de repos, de changement, pour tuer le “cafard”, croquèrent leurs camarades ou firent le portrait des lieux, ne fût-ce que pour conserver le souvenir pour eux-mêmes ou pour les leurs, de ces heures inoubliables » (id.). Cette œuvre n’échappe pas à la critique par son aspect édulcoré - comme le dénonça notamment le journal satiriste Le Crapouillot. Mais si la plupart des artistes missionnés n’appartinrent certes pas aux avant-gardes picturales, et ne furent pas confrontés aux mêmes horreurs que les peintres engagés sur le front, ils n’en ont pas moins contribué à informer la population en mettant leur art au service de l’actualité. On assiste ici de fait aux derniers jours de la peinture dite « de bataille » remontant au XVIIe siècle (avec Adam François Van der Meulen, immortalisant les campagnes de Louis XIV), qui laissera bientôt la place à d’autres supports d’information (officielle ou non) sur la guerre : la photographie et le cinéma. Frédérique Bazzoni Directrice des archives et du patrimoine mobilier de l’Essonne Conservatrice des antiquités et objets d’art Impressions d’enfant Si défendre sa patrie est un devoir, si mourir pour elle est un honneur pour tout soldat, qu’en est-il de la gloire et du dévouement pour une enfant ? Comme chaque semaine, j’assiste à l’office dominical avec mes frères et ma sœur et tous les quatre, nous nous plaçons ni trop près de l’autel où nous serons obligés d’être attentifs à la messe, ni trop au fond de l’église non plus pour ne pas paraître pressés de sortir, mais près du mur nord où trône un immense tableau bien différent de tous les autres. réciter… mais à quoi bon, il y en a tellement, 103 exactement. J’y vois même les noms de ma famille… 103 morts glorieux, le peintre l’a écrit en grandes lettres. Hypnotisée par cette longue liste et bercée par la musique et les prières, mon regard s’échappe vers le ciel rouge-orangé qui envahit tout l’espace. Il ressemble au ciel d’orage que j’aime tant admirer. C’est si beau ! Mais je sais que le feu et la bataille cachés derrière la colline menacent et approchent vite en déversant son lot de désolation et tristesse. N’écoutant que très C’est la guerre ! On me distraitement la cérémonie, l’a dit. je n’ai d’yeux que pour ce tableau mi guerrier mi Ce feu qui dévaste maison religieux qui me fascine et et forêt, ce feu qui tue, me me terrifie tout à la fois. brûle toute entière et me terrorise. Je suis comme Il y a d’abord ces noms que cet homme à l’agonie je compte, puis que je lis qui à peur de mourir et méthodiquement un par qui implore un peu de un allant même jusqu’à réconfort. les apprendre et me les Où est la gloire ? Je hais la guerre et toute la souffrance qu’elle engendre. Je hais ceux qui la déclenchent et ceux qui la font. J’exècre tout cela. Ne peut-on faire autrement ? Les larmes coulent sur mes joues d’enfant… La maturité et l’expérience font comprendre bien des choses, aussi je rends hommage et je remercie tous les hommes qui ont lutté et qui sont morts pour qu’aujourd’hui je sois libre. Références • Archives du musée de l’armée • Archives nationales : F21/3969 (correspondance entre le musée de l’Armée et le sous-secrétariat d’État des Beaux-Arts, sur les missions des peintres du ministère de la Guerre) • Ouvrages : - « Peindre la Grande Guerre », N°1, 2000, Cahiers d’études et de recherches du musée de l’Armée, Actes du symposium de l’IAMAM (Association internationale des Musées d’armes et d’histoire militaires) 16-18 novembre 1998, - BENEDITE Léonce, « Peintres en mission aux armées », in Les Arts, 14e vol. 1917-1918 - Id., L’Armée française vue par les peintres, 1870-1914, Paris, 1998 -D AGEN Philippe, Le Silence des peintres. Les artistes face à la Grande Guerre, Paris 1996 -R OBICHON François, La Peinture militaire française de 1871 à 1914, Paris 1998 • Bases de données : -B ase Joconde (Musées de France): dossiers sur Alphonse Lalauze et son père Adolphe Lalauze -B ase Arcade (Archives nationales) : dossiers de commande à Alphonse Lalauze (sous-série F21 des Archives nationales) -B ase Léonore (dossiers de légion d’Honneur conservés aux Archives nationales) : dossiers d’Adolphe et Alphonse Lalauze : cote 19800035/1287/48675. Une fois par an comme un pèlerinage, je viens me recueillir devant cette magnifique œuvre. Elle n’est plus à la même place que durant mon enfance, reléguée dans un endroit moins visible mais si aujourd’hui elle ne me fait plus peur, elle suscite toujours de fortes émotions. 24 - Bulletin de la Société des Amis du musée de l’Armée, 11, juillet 1915, pp.26-27 : liste des œuvres exposées. Milly-la-Forêt 2014 27 - Comme l’aquarelle de R. Charpentier conservée à l’Hôtel de ville d’Étréchy, également en Essonne. 25 - Procès-verbaux de la séance de la Commission spéciale chargée d’instruire les demandes de mission artistique aux armées, 17.11.1916, cote : AN F21/3969. 26 - Sic Léonce Bénédite, « Peintres en mission aux armées », in Les Arts, 14e vol. 1917-1918. patrimoine local Conclusion 27 Installée à Chamarande depuis 1999, la Direction des archives et du patrimoine mobilier de l’Essonne (DAPM) conserve : > les documents provenant des anciennes Archives départementales de Seine-et-Oise et concernant le département de l’Essonne, > les archives publiques versées depuis par tous les services de l’État et du Conseil général de l’Essonne présents sur le territoire essonnien et par les collectivités locales, > des archives privées présentant un intérêt pour l’histoire du département et une importante documentation relative au patrimoine mobilier. La consultation en salle de lecture est gratuite et ouverte à tous, après inscription (présentation d’une carte d’identité en cours de validité avec photographie). Le personnel de la salle de lecture vous oriente et vous aide dans vos recherches. Direction des archives et du patrimoine mobilier Domaine départemental de Chamarande 38 Rue du Commandant Arnoux 91730 Chamarande 01 69 27 14 14 [email protected] Illustration de couverture : Carte postale d’après une aquarelle d’Ernest Gabart. - Collection Mireille Gruais Elle a pour missions principales de : > collecter les archives publiques des administrations et établissements publics existant dans le département et les archives privées présentant un intérêt historique, > conserver, classer et communiquer ces fonds, > contrôler le patrimoine mobilier protégé au titre des monuments historiques et repérer les œuvres non protégées, accueillir et orienter le public dans ses recherches en salle de lecture ou à distance, > valoriser les archives et le patrimoine mobilier par des publications, expositions ou animations.