L`Antique, de l`ombre à la lumière
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L`Antique, de l`ombre à la lumière
Musique Oui ! Vous, qui avez ri ou craché sur Mallarmé, Manet, Sisley, Puvis de Chavannes, Claudel, Marinetti, Picasso, Debussy, Dukas, Mussorgsky, Rimsky-Korsakov ; Vous, qui avez pesté contre les chemins de fer, le télégraphe, le téléphone, les autos, les tramways électriques, les machines, les usines. Vous, qui maudissez les démolisseurs de la vieille maison d’ombre ; Vous, qui avez nié l’éternelle transformation ; Vous, qui avez nié les porteurs-de-nouveau, les porteurs-d’autre-chose, les divins tueursd’habitude ; Vous, qui avez nié la vie ; Vous, qui avez toujours dit Non ; C’est vous, qui avez failli perdre la France. Rappelez-vous que le monde continue ; Et voyez que d’autres peuples ont dit Oui, Et qu’aux porteurs-de-nouveau, aux porteurs –d’autre-chose, aux tueurs-d’habitude, ils ont crié Entrez ! Courte ponctuation musicale Le « style » au Musée. Le moderne à la maison. Le vieux avec le vieux. La vie avec la vie. Courte ponctuation musicale Recette : Prenez un chef d’œuvre grec ou gothique, analysez, trouvez la formule, avalez d’un trait,… Et vous irez à l’Institut. Courte ponctuation musicale Ombre ou lumière ? Les Antiques ! Oui madame, oui monsieur, Les Antiques ont fait Des chefs-d’œuvre Nous les connaissons Et c’est parce que nous les connaissons Que nos sommes Cubistes, futuristes, simultanistes, unanimistes, Istes… Istes… Istes… en un mot Nunistes Et c’est parce que vous ne les connaissez pas Que vous ne l’êtes pas. Ce sont EUX, les grands aïeux Les Antiques Qui nous ordonnent D’être jeunes Apprenez à les connaitre Ils vous diront De nous aimer ! Ah ! Les Antiques ! C’est ainsi qu’écrivait en 1916 l’extravagant Pierre Albert-Birot dans SIC ! SIC ? Sons, Idées, Couleurs ! Ami de Guillaume Apollinaire il créa cette revue dont il déclara que « Les revues d’avantgarde doivent mourir jeunes ! » Musique Voici que le cours de ma vie en est venu par tempétueuse mer et fragile nacelle au commun havre où les humains vont rendre compte et raison de toute œuvre lamentable ou pie. Dès lors, je sais combien la trompeuse passion qui m’a fait prendre l’Art pour idole et monarque était lourde d’erreur et combien les désirs de tout homme conspirent à son propre mal. Les penser amoureux, jadis vains et joyeux, qu’en est-il à présent que deux morts se rapprochent? De l’une je suis sûr et l’autre me menace. Peindre et sculpter n’ont plus le pouvoir d’apaiser mon âme, orientée vers ce divin amour qui, pour nous prendre, sur la Croix ouvrit les bras. Petite ponctuation musicale Si mon rude marteau tire du dur rocher telle ou telle forme humaine, c’est du ministre qui le tient en main et le guide et l’accompagne qu’il reçoit son élan, c’est autrui qui le mène. Mais celui-là du Ciel, c’est par Sa vertu propre qu’Il embellit le monde et S’embellit lui-même, et comme nul marteau n’est sans marteau forgé, de ce vivant Modèle tout autre procède. Or, parce que le coup est d’autant plus puissant qu’il choit de plus haut sur l’enclume, c’est au Ciel qu’au-dessus du mien celui-ci s’est envolé. De moi, dès lors, si imparfait, qu’en sera-t-il si la divine forge n’accorde à celui qui fut mon seul recours ici-bas, de m’aider? Petite ponctuation musicale Ici l’on vous fait d’un calice un casque, un glaive et le sang du Christ se trafique à pleines mains; de la croix, des épines, on forge des lances, tant et si bien que le Christ même perd patience. Ah! qu’il se garde de venir en cette ville car son sang éclabousserait jusqu’aux étoiles dès lors qu’à Rome c’est sa peau que l’on monnaie comme c’est la voie de tout bien que l’on condamne. Pour dilapider mon avoir, pas de meilleur endroit qu’ici où l’on m’arrache à mon travail et où la Tiare en use en numide Méduse. Mais si la pauvreté au Ciel est en honneur, quel salut espérer pour nous quand nous suivons un autre signe et qui suffoque l’autre vie? Quels vers plus magnifiques pour commencer le troisième et dernier volet de cette trilogie consacrée à l’Antique que ceux écrits par Michel-Ange ! De l’ombre à la lumière ! Musique Mais l’artiste n’aime pas la chronologie ! Il bondit d’un siècle à l’autre avec l’insolent désir de se frayer un chemin entre l’ombre et la lumière ; avec l’irrespectueux désir d’allumer un feu inattendu pour vos offrir idées, poésies, réflexions … et de penser comme le grand poète espagnol Federico Garcia Lorca que le mystère est la seule chose qui nous fasse vivre ! L’art antique, éternel comme la pierre, ne reste jamais figé dans son époque mais palpite d’un siècle à l’autre dans un incessant va et vient, pareil à une grenouille vivace qui garde sa joie ou sa mélancolie, son ombre ou sa lumière intactes en accomplissant un miracle pareil à celui de la graine qui fleurit en naissant directement de la pierre ! Musique Contemplons ce trésor de grâces antiques ; Dans l’ondulation de ce corps musculeux L’Élégance et la Force abondent, sœurs divines. Cette femme, morceau vraiment miraculeux, Divinement robuste, adorablement mince, Est faite pour trôner sur des lits somptueux, Et charmer les loisirs d’un pontife ou d’un prince. - Aussi, vois ce souris fin et voluptueux Où la Fatuité promène son extase ; Ce long regard sournois, langoureux et moqueur ; Ce visage mignard, tout encadré de gaze, Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur : « La Volupté m’appelle et l’Amour me couronne ! » À cet être doué de tant de majesté Vois quel charme excitant la gentillesse donne ! Approchons, et tournons autour de sa beauté. Ô blasphème de l’art ! ô surprise fatale ! La femme au corps divin, promettant le bonheur, Par le haut se termine en monstre bicéphale ! - Mais non ! ce n’est qu’un masque, un décor suborneur, Ce visage éclairé d’une exquise grimace, Et, regarde, voici, crispée atrocement, La véritable tête, et la sincère face Renversée à l’abri de la face qui ment. Pauvre grande beauté ! le magnifique fleuve De tes pleurs aboutit dans mon cœur soucieux ; Ton mensonge m’enivre, et mon âme s’abreuve Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux ! - Mais pourquoi pleure-t-elle ? Elle, beauté parfaite Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu, Quel mal mystérieux ronge son flanc d’athlète ? - Elle pleure, insensé, parce qu’elle a vécu ! Et parce qu’elle vit ! Mais ce qu’elle déplore Surtout, ce qui la fait frémir jusqu’aux genoux, C’est que demain, hélas ! il faudra vivre encore ! Demain, après-demain et toujours ! - comme nous ! Ecrivait Charles Baudelaire dans son poème Masque ! Du même dix-neuvième siècle, José maria de Heredia compose le poème L'oubli… Musique Le temple est en ruine en haut du promontoire. Et la Mort a mêlé, dans ce fauve terrain, les déesses de marbre et les héros d'airain, dont l'herbe solitaire ensevelit la gloire. Seul, parfois, un bouvier, menant ses buffles boire, — de sa conque où soupire un antique refrain emplissant le ciel calme et l'horizon marin — sur l'azur infini dresse sa forme noire. La Terre, maternelle et douce aux anciens dieux, fait à chaque printemps, vainement éloquente, au chapiteau brisé verdir une autre acanthe. Mais l'Homme, indifférent au rêve des aïeux, écoute sans frémir, du fond des nuits sereines, La Mer qui se lamente en pleurant les Sirènes. José Maria de Heredia aimait dire qu’il aurait dû « naître au temps où les femmes de Grèce nourrissaient des héros dans leurs flancs ingénus… …quand les Muses, dorant au soleil leurs seins nus, menaient le chœur rythmé de l’antique allégresse. Mais le sort m’a nié la douceur de l’Attique… Je m'éteindrai, vieillard, en un long deuil. Mon corps sera cloué dans un étroit cercueil, et l'on paiera la terre et le prêtre et les cierges. Et pourtant j'ai rêvé ce destin glorieux de tomber au soleil, ainsi que les antiques, jeune encore, et pleuré des héros et des vierges. » Petite ponctuation musicale Après l’expédition de Bonaparte l’Egypte était devenue à la mode : c’est en 1858 que Théophile Gautier publia son fameux Roman de la momie. « A Thèbes, en Egypte, au temps de Moïse, une jeune et séduisante égytienne brûle d’amour pour un bel inconnu, aussi beau qu’une sculpture antique ! Mais il appartient au peuple esclave des Hébreux et aime Rachel une juive. Elle en a le cœur brisé. Pendant ce temps le Pharaon la poursuit d’un amour qu’elle ne veut pas… » François Coppée, lui, visitant les salles égyptiennes du Louvre, y découvrit tout un univers éminemment poétique…Il écrit… «Pendant huit jours, je ne rêve plus que d’obélisques, d’hypogées, de sphinx et de pyramides, de dieux à tête d’épervier promenés en barque sur le Nil, de Pharaons impassibles sur leurs trônes, les mains sur les cuisses et coiffés de l’uraeus sacré.» Ni Théophile Gautier, ni François Coppée, ni José-Maria de Heredia n’avaient visité l’Egypte. Cela ne les empêcha pas de célébrer la chaleur torride du désert, la splendeur des couchers de soleil sur le Nil, la sérénité des nuits orientales. Heredia, lui, après le tableau d’une terre d’Egypte écrasée par une implacable lumière, a brossé un splendide clair de lune sur le Nil, alors que toutes les images gravées sur les murs des nécropoles s’animent, dans une vision nocturne véritablement fantastique. A la même époque Charles-Marie Leconte de Lisle, lui, écrit de son côté le poème Héraklès au taureau… Musique Le soleil déclinait vers l’écume des flots, Et les grasses brebis revenaient aux enclos ; Et les vaches suivaient, semblables aux nuées Qui roulent sans relâche, à la file entraînées, Lorsque le vent d’automne, au travers du ciel noir, Les chasse à grands coups d’aile, et qu’elles vont pleuvoir. Derrière les brebis, toutes lourdes de laine, Telles s’amoncelaient les vaches dans la plaine. La campagne n’était qu’un seul mugissement, Et les grands chiens d’Elis aboyaient bruyamment. Puis, succédaient trois cents taureaux aux larges cuisses, Puis deux cents au poil rouge, inquiets des génisses, Puis douze, les plus beaux et parfaitement blancs, Qui de leurs fouets velus rafraîchissaient leurs flancs, Hauts de taille, vêtus de force et de courage, Et paissant d’habitude au meilleur pâturage. Plus noble encor, plus fier, plus brave, plus grand qu’eux, En avant, isolé comme un chef belliqueux, Phaétôn les guidait, lui, l’orgueil de l’étable, Que les anciens bouviers disaient à Zeus semblable, Quand le Dieu triomphant, ceint d’écume et de fleurs, Nageait dans la mer glauque avec Europe en pleurs. Or, dardant ses yeux prompts sur la peau léonine Dont Hèraklès couvrait son épaule divine, Irritable, il voulut heurter d’un brusque choc Contre cet étranger son front dur comme un roc ; Mais, ferme sur Ses pieds, tel qu’une antique borne, Le héros d’une main le saisit par la corne, Et, sans rompre d’un pas, il lui ploya le col, Meurtrissant ses naseaux furieux dans le sol. Et les bergers en foule, autour du fils d’Alkmène, Stupéfaits, admiraient sa vigueur surhumaine, Tandis que, blancs dompteurs de ce soudain péril, De grands muscles roidis gonflaient son bras viril. Musique Plusieurs siècles auparavant Ovide écrit ses Héroïdes Ovide… Toi, ce qui t’a engendré, ce sont les pierres, les monts et les chênes Qui poussent sur la roche escarpée, ce sont les bêtes fauves Ou bien la mer que tu vois, aujourd’hui encore, agitée par les vents, Sur laquelle tu t’apprêtes à partir, en dépit de ses vagues hostiles. Où fuis-tu ? L’orage t’en empêche. Puisse-t-il m’être favorable ! Vois comme l’Eurus soulève et fait s’abattre les eaux. Ce que j’aurais préféré te devoir, permets que je le doive aux bourrasques : Le vent et les vagues sont plus justes que ton cœur. Que ferais-tu si tu ne connaissais le pouvoir de la mer en furie ! Tu fais confiance à une eau qui t’a tant de fois éprouvé ! Même si l’appel du large t’incite à larguer les amarres, Nombreux sont les drames que recèle la haute mer ; Pour se risquer sur l’eau, il n’est pas bon d’avoir violé sa promesse : Ce lieu exige que la perfidie soit châtiée — surtout Lorsque l’amour est offensé — parce que la mère des Amours Est sortie nue, dit-on, des vagues de Cythère. Tu ne cesses de mentir : ta langue n’a pas commencé à tromper Avec moi, et à en souffrir je ne suis pas la première. Si l’on veut savoir où se trouve la mère du charmant Iule, Elle est morte seule, abandonnée par un insensible mari. Tu m’avais raconté cela ; cela m’a troublée. Je le mérite, Brûle-moi : ma peine sera moins lourde que ta faute Et je ne doute pas que les puissances du ciel te condamnent. Tes compagnons ont besoin de repos, ta flotte endommagée, À demi réparée, nécessite un certain délai. Pour ce service et ceux que je devrai te rendre plus tard, À cause de cet espoir d’union, je te demande un peu de temps Jusqu’à ce que se calment la mer et mon amour, qu’avec le temps Et l’habitude j’apprenne à supporter vaillamment mon chagrin. Sinon, je suis bien décidée à renoncer à vivre : Tu ne peux être cruel envers moi plus longtemps. Si tu pouvais avoir la vision de celle qui t’écrit ! J’écris avec, sur la poitrine, une épée troyenne, Les larmes coulent sur mes joues jusqu’à l’épée que je serre Et qui sera sous peu, à la place des larmes, baignée de sang. Comme ton cadeau convient bien à mon destin ! Tu prépares à peu de frais ma pierre tombale Et mon cœur n’est pas frappé ici pour la première fois : Il est le lieu d’une blessure du cruel Amour. Anne ma sœur, ma sœur Anne, complice de ma faute, Tu donneras bientôt à mes cendres les derniers honneurs Et sur le marbre du tombeau il y aura ces vers Ecrits sur le marbre entre l’ombre et la lumière “Énée lui a fourni le motif de sa mort et le glaive ; C’est de sa propre main que Didon est tombée.” Musique C’est au XVIème siècle que Joachim du Bellay compose ses Antiquités de Rome…où les pâles esprits, et les ombres poudreuses, jouissent de la lumière du jour… De l’ombre à la lumière ! C'était alors que le présent des dieux Plus doucement s'écoule aux yeux de l'homme, Faisant noyer dedans l'oubli du somme Tout le souci du jour laborieux; Quand un démon apparut à mes yeux Dessus le bord du grand fleuve de Rome, Qui, m'appelant du nom dont je me nomme, Me commanda regarder vers les cieux : Puis m'écria : Vois, dit-il, et contemple Tout ce qui est compris sous ce grand temple, Vois comme tout n'est rien que vanité. Lors, connaissant la mondaine inconstance, Puisque Dieu seul au temps fait résistance, N'espère rien qu'en la divinité. Petite ponctuation musicale Tant que l'oiseau de Jupiter vola, Portant le feu dont le ciel nous menace, Le ciel n'eut peur de l'effroyable audace Qui des Géants le courage affola : Mais aussitôt que le Soleil brûla L'aile qui trop se fit la terre basse, La terre mit hors de sa lourde masse L'antique horreur qui le droit viola. Alors on vit la corneille germaine Se déguisant feindre l'aigle romaine, Et vers le ciel s'élever derechef Ces braves monts autrefois mis en poudre, Ne voyant plus voler dessus leur chef Ce grand oiseau ministre de la foudre. Petite ponctuation musicale Je vis haut élevé sur colonnes d'ivoire, Dont les bases étaient du plus riche métal, A chapiteaux d'albâtre et frises de cristal, Le double front d'un arc dressé pour la mémoire. A chaque face était portraite une victoire, Portant ailes au dos, avec habit nymphal, Et haut assise y fut sur un char triomphal Des empereurs romains la plus antique gloire. L'ouvrage ne montrait un artifice humain, Mais semblait être fait de cette propre main Qui forge en aiguisant la paternelle foudre. Las, je ne veux plus voir rien de beau sous les cieux, Puisqu'un oeuvre si beau j'ai vu devant mes yeux D'une soudaine chute être réduit en poudre. Petite ponctuation musicale Tout effrayé de ce monstre nocturne, Je vis un corps hideusement nerveux, A longue barbe, à longs flottants cheveux, A front ridé et face de Saturne : Qui s'accoudant sur le ventre d'une urne, Versait une eau, dont le cours fluctueux Allait baignant tout ce bord sinueux Où le Troyen combattit contre Turne. Dessous ses pieds une louve allaitait Deux enfançons : sa main dextre portait L'arbre de paix, l'autre la palme forte : Son chef était couronné de laurier. Adonc lui chut la palme et l'olivier, Et du laurier la branche devint morte. Petite ponctuation musicale Finalement sur le point que Morphée Plus véritable apparaît à nos yeux, Fâché de voir l'inconstance des cieux, Je vois venir la soeur du grand Typhée : Qui bravement d'un morion coiffée En majesté semblait égale aux dieux, Et sur le bord d'un fleuve audacieux De tout le monde érigeait un trophée. Cent rois vaincus gémissaient à ses pieds, Les bras aux dos honteusement liés : Lors effrayé de voir telle merveille; Le ciel encor je lui vois guerroyer, Puis tout à coup je la vois foudroyer, Et du grand bruit en sursaut je m'éveille. Musique C’est en pleine période symboliste que le trop méconnu Germain Nouveau écrit l’un de ses premiers poèmes Au musée des antiques Elle veille en sa chaise étroite ; Quelque roi d’Égypte a sculpté Dans l’extase et la gravité Le corps droit et la tête droite. Moitié coiffe et moitié bandeau, Fond pur à des lignes vermeilles, Un pan tourne autour des oreilles, Sa robe est la prison du Beau. Ses yeux, de profonds péristyles Où ne passe rien de réel, De toute la largeur d’un ciel S’ouvrent aux visions stériles ; Et le menton rit tel qu’un fruit, Et la joue est une colline ; Quant à l’aile de la narine, C’est l’ibis envolé sans bruit. De l’épaule menue et grasse Les bras courent le long des reins Jusques à ses genoux sereins Que chacune des mains embrasse, Et le plat des cuisses est tel Qu’il vous trouble et qu’il vous apaise Par des attirances de chaise Et des solennités d’autel ! La fraîcheur du visage antique Laisse au vague appétit des yeux Deviner les seins précieux Dans un pli trop énigmatique, Et sous l’impur raffinement D’un profil qu’on rêve à des chèvres, C’est pour des dieux que vont les lèvres Souriant indéfiniment. Musique Gérard de Nerval écrit alors les trois chants de son Caligula L'hiver s'enfuit ; le printemps embaumé Revient suivi des Amours et de Flore ; Aime demain qui n'a jamais aimé, Qui fut amant, demain le soit encore ! Hiver était le seul maître des temps, Lorsque Vénus sortit du sein de l'onde ; Son premier souffle enfanta le printemps, Et le printemps fit éclore le monde. L'été brûlant a ses grasses moissons, Le riche automne a ses treilles encloses, L'hiver frileux son manteau de glaçons, Mais le printemps a l'amour et les roses. L'hiver s'enfuit, le printemps embaumé Revient suivi des Amours et de Flore ; Aime demain qui n'a jamais aimé, Qui fut amant, demain le soit encore ! Petite ponctuation musicale De roses vermeilles Nos champs sont fleuris, Et le bras des treilles Tend à nos corbeilles Ses raisins mûris. Puisque chaque année Jetant aux hivers Sa robe fanée, Renaît couronnée De feuillages verts, Puisque toute chose S'offre à notre main Pour qu'elle en dispose, Effeuillons la rose, Foulons le raisin ; Car le temps nous presse D'un constant effort ; Hier la jeunesse, Ce soir la vieillesse, Et demain la mort. Étrange mystère ! Chaque homme à son tour Passe solitaire Un jour sur la terre ; Mais pendant ce jour, De roses vermeilles Nos champs sont fleuris, Et le bras des treilles Tend à nos corbeilles Ses raisins mûris. Petite ponctuation musicale César a fermé la paupière ; Au jour doit succéder la nuit ; Que s'éteigne toute lumière, Que s'évanouisse tout bruit. A travers ces arcades sombres, Enfants aux folles passions, Disparaissez comme des ombres, Fuyez comme des visions. Allez, que le caprice emporte Chaque àme selon son désir, Et que, close après vous, la porte Ne se rouvre plus qu'au plaisir. Musique Pour rester fidèle avec raison et insolence de ne pas être chronologique et toujours de l’ombre à la lumière, dans l’Epitre adressée à Horace Voltaire écrit…en 1772… Je t'écris aujourd'hui, voluptueux Horace, À toi qui respiras la mollesse et la grâce, Qui, facile en tes vers, et gai dans tes discours, Chantas les doux loisirs, les vins, et les amours, Je suis un peu fâché pour Virgile et pour toi Que, tous deux nés romains, vous flattiez tant un roi. Ton maître était un fourbe, un tranquille assassin ; Pour voler son tuteur, il lui perça le sein ; Il trahit Cicéron, père de la patrie ; Amant incestueux de sa fille Julie, De son rival Ovide il proscrivit les vers, Et fit transir sa muse au milieu des déserts. Et du bord de mon lac à tes rives du Tibre, Je te dis, mais tout bas : heureux un peuple libre Comme le fut jadis celui des dieux antiques ! Musique Un nouveau saut de plus de deux cent ans comme le ferait un dieu de l’Olympe… Henri Pichette, le grand Henri Pichette si oublié aujourd’hui, et qui pour Maria Casarès et Gérard Philippe écrivit Les Epiphanies, pièce incontournable de l’histoire du Théâtre du vingtième siècle…Poème offert à la sculpture antique et mobile d’Alexander Calder… Comme l’art antique, de l’ombre à la lumière, Un souffle, La matière s’est réveillée première, Et miracle et merveille ! L’arbre donne l’exemple et la forêt le suit, Déjà vingt mille cieux plafonnent une terre. L’urgence d’une vie A pris de vitesse La mort. Un souffle. Antique. On prend en marche la planète ! C’est le grand manège tourneur Sous l’azur arrondi au souffle du bonheur. Comme des dieux antiques Les enfants espièglement Peuvent mesurer L’étendue de l’émerveillement ! La surprise est dans l’air pour leur ouvrir les yeux. Participez mes yeux antiques, Soyez abeilles responsables parmi les sources d’or écloses, Faites votre chemin : la lumière est à l’œuvre ainsi que l’ombre ! Un souffle. Dans le rayon d’action du travail optimiste ! L’étoile du matin s’est posée Brûlante à même la rosée. Et nos touchons à des clartés D’une âme qui jamais ne dort ! Antique ! Et nous connaissons que l’avenir se lève. Je vois le point du jour comme un grain de beauté Sur le visage offert de Dame éternité. Chaque aujourd’hui renoue avec l’esprit natal. Un souffle. Entre l’ombre et la lumière. A peine un souffle ! De l’homme sur son œuvre, De la main sur la pierre ! Et voilà tout l’amour vibrer comme marbre Au soleil permanent de la raison de vivre ! Vous qui passez, Reconnaissez la beauté dans la forme. Prenez la Sculpture qui danse, La sculpture de l’antique, Par la taille du sablier, Plus fine que le fil des jours ! Il a fallu beaucoup agir et réagir Pour donner aux œuvres antiques Une action et un rêve ! Il a fallu marcher à l’innocence, Adopter et nourrir la jeunesse d’esprit, Croire à la sympathie, au renouveau des hommes, Rétablir l’équilibre entre plusieurs enfances, Rétablir l’équilibre entre l’ombre et la lumière ! L’espoir est une enfance, L’aurore est une enfance Et la foi, Et la confiance, Et la nuit qu’une joie populaire illumine, Et l’art qui prouve au monde une éternelle force ! Mes mains sont le fruit du travail, Ainsi pourrait parler l’homme de qui je parle ! Ainsi pourrait parler David ! Ainsi pourrait parler l’antique anonyme ! Ainsi pourrait parler la Vénus, Et dont l’œuvre sur terre est dans la fleur de l’âge ! Les mains de cet homme aux cheveux tout blancs Au visage de Michel-Ange Sont les plus jeunes sur tous les plans, Elles sont neuves, elles sont vives, Elles font que les choses vivent. Elles découpent des voitures dans de franches couleurs Pour naviguer le ciel et aborder la terre Pour se glisser entre l’ombre et la lumière ; Elles inventent de nouvelles taurides ou perséides, Myriades et kyrielles d’oiseaux fusant et se posant ; Elles tirent des feux d’artifices sincères Pour les beaux yeux des visiteurs ; Elles proposent l’ombre et la lumière, Elles proposent aux assauts pénibles du zéphire, Non pas des bannières de batailles anciennes, Non pas des gonfalons religieusement portés dans les rafales, Mais des formes Dociles, touchantes, antiques, matérielles, Formes d’ailes, de nageoires, de palmes, d’herbes, d’algues, Comme il s’en trouve en charité par la nature, Entre l’ombre et la lumière Sous l’aile de l’antique, Dans l’empire des ricochets et des revolins ! Musique Quelques cinquante années auparavant Rodin écrivait… L'Art n'est que sentiment. Mais sans la science des volumes, des proportions, des couleurs, sans l'adresse de la main, le sentiment le plus vif est paralysé. Que deviendrait le plus grand poète dans un pays dont il ignorerait la langue ? Dans la nouvelle génération d'artistes, il y a nombre de poètes qui, malheureusement, refusent d'apprendre à parler. De la patience ! Ne comptez pas sur l'inspiration. Elle n'existe pas. Les seules qualités de l'artiste sont sagesse, attention, sincérité, volonté. Accomplissez votre besogne comme d'honnêtes ouvriers antiques ! C'est en taillant la pierre que l'on découvre l'esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et unit la pensée à la matière. C’est ainsi que les Grecs sculptaient ! C'est l'acte même du sculpteur face à un matériau dont la connaissance ne s'apprend que lentement, et réserve toujours un inattendu qu'il faudra résoudre sans pouvoir jamais rien ajouter, par seul retranchement. Il faut tailler et non blesser la pierre, trouver la solution devant l'apparition d'une veine ou d'une tache non prévue : il faut savoir lutter avec la pierre, la caresser, la polir, savoir avec angoisse comme avec joie, faire surgir la forme que l'on porte en soi, mais qu'elle peut aussi nous avoir inspiré selon sa texture, la forme même du bloc que l'on a choisi ou trouvé." Et toujours Constantin Brancusi d’ajouter que selon une fable très répandue, Michel-Ange allait droit au marbre sans aucun besoin de modèle préliminaire - il était si profondément pénétré de la forme, de l’ombre et de la lumière !- pour libérer la figure dormant à l'intérieur. C'est à peu près aussi réaliste que de l'imaginer peignant le plafond de la Sixtine couché sur le dos ! Dans Terre des hommes, Antoine de Saint Exupéry écrit… Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n'y a plus rien à ajouter, mais quand il n'y a plus rien à retrancher. Ainsi la sculpture antique ! Tu la connais, ta vocation, à ce qu'elle pèse en toi. Et si tu la trahis, c'est toi que tu défigures, mais sache que ta vérité se fera lentement, car elle est naissance d'arbre et non trouvaille d'une formule, car c'est le temps d'abord qui joue un rôle, car il s'agit pour toi de devenir autre et de gravir une montagne difficile." Comme on s'attaque, pour sculpter une femme, à la dure pierre des Alpes d'où l'on tire une figure vivante qui croît d'autant que la pierre diminue. Il y a dans les blocs de marbre des images somptueuses ou fondamentales si tant est que notre génie soit capable de les en arracher. Tout ce qu'un grand artiste peut concevoir, le marbre le renferme en son sein; mais il n'y a qu'une main obéissante à la pensée qui puisse l'en faire éclore. Je le sais, moi, parce que la sculpture ne cesse d'être une amie fidèle, tandis que le temps, chaque jour, trompe mes espérances. Ecrivait Michel-Ange tandis que Modigliani disait que la sculpture était devenue très malade avec Rodin et son influence de l’art antique ! Il y avait trop de modelage en glaise, trop de "gadoue". Le seul moyen de sauver la sculpture était de recommencer à tailler directement dans la pierre." Rodin ajoutait alors que … Quand un bon sculpteur modèle des corps humains, il ne représente pas seulement la musculature, mais aussi la vie qui les réchauffe et c’est cela que faisait Michel-Ange ! Ce voyage au cœur de l’ombre à la lumière dans ce bonheur des heures éternelles ne pourrait se terminer sans écouter la voix du maestro Michel de Montaigne… Le plus souvent on a donné un corps aux dieux, et les Antiques l'ont fait de la manière la plus irrespectueuse qui soit ! Et d'avoir fait des Dieux de notre condition, de laquelle nous devons connaître l'imperfection, leur avoir attribué le désir, la colère, l’amour et la jalousie, la vengeance, notre ombre et notre lumière, nos membres et nos os, nos fièvres et nos plaisirs, nos morts et sépultures, il faut que cela soit né d'une merveilleuse ivresse de l'entendement humain, de son extraordinaire insolence et d’un irrespect de toutes les règles admises pour faire d’eux, ces hommes, les maîtres du marbre vivant ! Musique de fin.