Une invitation chez Jeanne-Antoinette le Normant d`Etiolles

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Une invitation chez Jeanne-Antoinette le Normant d`Etiolles
Amati
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Une invitation chez
Jeanne-Antoinette le Normant d’Etiolles
marquise de Pompadour
[Née le 29 décembre 1721 à Paris et décédée le 15 avril 1764 à Versailles, favorite du roi
Louis XV, protectrice des arts et des artistes.]
L'Ensemble Baroque Amati propose un Concert-lecture, construit sur des pièces de musique
composées par les musiciens dont Madame de Pompadour assurait la protection, ainsi que sur
des extraits de textes de ses auteurs d’œuvres littéraires favoris.
La forme en est la suivante :
- Les textes sont dits par un comédien,
- la Musique est jouée par les musiciens sur instruments anciens ou copies d'anciens.
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Conducteur
(Récitant)
La querelle des bouffons [1/2]
L’Académie royale de musique, fondée sous Louis XIV, depuis Jean-Baptiste Lully détenait
le contrôle sur tous les spectacles lyriques du royaume. C’était une institution.
C’est dans cette atmosphère qu’en 1752, à Paris lors de représentations, comme intermède, de
l’opéra de Giovanni Battista Pergolese (1710-1736) « La serva padrona » à l’Académie royale
par la troupe italienne des Bouffons, que débuta la controverse opposant les partisans de
l’opéra italien aux fervents défenseurs de la tragédie lyrique à la française. Comme tout opéra
bouffe, l’ouvrage propose une intrigue comique sur des sujets modernes, bâtie avec des
personnages contemporains.
Ainsi naquit la querelle des bouffons, aussi nommée la guerre des coins car il s’était formé
autour de la Reine Marie Leczinska un groupe favorable aux italiens avec entre autres JeanJacques Rousseau, Denis Diderot, le baron Friedrich Melchior Grimm ;
Par ailleurs était un autre ensemble de personnes, le coin du Roi (Louis XV), qui réunissait
Madame de Pompadour, Jean-Philippe Rameau, Charles Noblet, Paul Henri Thiry baron
d’Holbach, etc. gardiens de la musique française, et cette opposition se continuait jusqu’au
théâtre, où le coin du Roi était à cour et le coin de la Reine à jardin.
Et donc, c’est dans ce contexte historique que vous êtes invités à venir passer un moment chez
Madame de Pompadour, protectrice des arts, et des artistes.
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(Musiciens)
Jean-Marie LECLAIR (1697-1764)
Deuxième Récréation de musique Opus 8 [1737]
Ouverture, Forlane et Sarabande
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(Récitant)
Jean-Antoine BERARD [BLANCHET] (1724-1778),
qui dédia à la marquise de Pompadour, elle-même comédienne et pratiquant le chant lyrique,
son ouvrage l’Art du chant [1755]
à Madame de Pompadour
Madame,
Le premier ouvrage qui ait été fait sur l’Art du chant, vous appartient à tant de titres, que je
crains bien de n’avoir aucun mérite à vous l’offrir : la protection déclarée que vous accordez à
tous les Arts, suffirait pour engager tous ceux qui s’y appliquent, à vous consacrer le fruit de
leur travaux ; mais vous avez un droit plus légitime encore sur l’ouvrage que j’ai l’honneur de
vous présenter : il a pour but principal, de perfectionner le chant français ; à qui pourrais-je
mieux adresser ces réflexions qu’à vous, Madame, qui excellez dans ce genre ; permettez-moi
de déclarer ici, que j’ai eu le bonheur de vous entendre, mon éloge ne peut rien ajouter à votre
gloire ; mais le public adoptera avec confiance mes idées, sur les grâces du chant, lorsqu’il
saura que je les ai formées sur leur plus parfait modèle.
Je suis avec un profond respect, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.
Bérard.
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(Musiciens)
André Cardinal DESTOUCHES (1672-1749)
Les Eléments [1721]
Air pour les Heures et les Zéphirs, Passepied
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(Récitant)
MONTESQUIEU, Charles Louis de Secondat, baron de La Brède (1689-1755),
s’était introduit dans le salon de Madame d’Etiolles précisément par ses
Lettres persanes [1721]
Lettre XCIX
Rica à Rhédi, à Venise
Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils
étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout,
on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.
Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures ?
Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et,
avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.
Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique
que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit
avec lequel elle est peinte lui paraît étranger ; il s’imagine que c’est quelque Américaine qui y
est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelques-unes de ses fantaisies.
(…)
Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de
mœurs selon l’âge de leur Roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave,
s’il l’avait entrepris. Le Prince imprime le caractère de son esprit à la Cour ; la Cour, à la
Ville ; le Ville, aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes
les autres.
De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.
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(Musiciens)
Louis Nicolas CLERAMBAULT (1676-1749)
Sonate la Magnifique
Sans indication de mouvement, Allegro, Adagio
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(Récitant)
Denis DIDEROT (1713-1784),
dont l’encyclopédie apparaît dans le tableau de la marquise de Pompadour fait par Quentin de
La Tour en 1755.
Le neveu de Rameau [1762, 1773]
La leçon de musique
Cependant comme il fallait faire quelque chose, je lui prenais les mains que je lui plaçais
autrement. Je me dépitais.
Je criais « Sol, sol, sol ; Mademoiselle, c’est un sol. »
La mère : « Mademoiselle, est-ce que vous n’avez point d’oreille ? Moi qui ne suis pas au
clavecin, et qui ne vois pas sur votre livre, je sens qu’il faut un sol. Vous donnez une peine
infinie à Monsieur. Je ne conçois pas sa patience. Vous ne retenez rien de ce qu’il vous dit.
Vous n’avancez point… »
Alors je rabattais un peu les coups, et hochant la tête, je disais : « Pardonnez-moi, Madame,
pardonnez-moi. Cela pourrait aller mieux, si Mademoiselle voulait ; si elle étudiait un peu ;
mais cela ne va pas mal. »
La mère : « A votre place, je la tiendrais un an sur la même pièce. »
- « Oh pour cela, elle n’en sortira pas qu’elle ne soit au-dessus de toutes les difficultés ; et cela
ne sera pas si long que Madame le croit. »
La mère : « Monsieur Rameau, vous la flattez ; vous êtes trop bon. Voilà de sa leçon la seule
chose qu’elle retiendra et qu’elle saura bien me répéter dans l’occasion. »
- L’heure se passait. Mon écolière me présentait le petit cachet, avec la grâce du bras et la
révérence qu’elle avait apprise du maître à danser.
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(Musiciens)
Giovanni Antonio PANDOLFI-MEALLI (1630-1669), arrangement Jean-François
MAILLET
Sonate pour Violon et Basse continue en ré majeur Op 3 N° 4 la Castella [1660]
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(Récitant)
VOLTAIRE, François-Marie Arouet (1694-1778),
nommé historiographe du roi grâce à la recommandation de Madame de Pompadour.
Candide [1747, 1748]
Chapitre 1
Comment Candide fut élevé dans un beau château…
Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune
garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son
âme. Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est, je crois, pour cette
raison qu’on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu’il
était le fils de la sœur de M. le baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que
cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze
quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps.
M. le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une
porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d’une tapisserie. Tous les chiens de ses
basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs ; le
vicaire du village était son grand aumônier. Ils l’appelaient tous Monseigneur, et ils riaient
quand il faisait des contes.
Mme la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande
considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus
respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse,
appétissante. Le fils du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss
était l’oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de
son âge et de son caractère.
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement
qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château
de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes
possibles.
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(Musiciens)
Johann SCHOP (ca. 1590-1667)
Lachrimae Pavan pour Violon et Basse continue
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(Récitant)
François VILLON (1431-1463),
dont les ouvrages se trouvaient dans la bibliothèque de la marquise.
Ballade des menus propos [1461]
Je connois bien mouches en lait,
Je connois à la robe l'homme,
Je connois le beau temps du laid,
Je connois au pommier la pomme,
Je connois l'arbre à voir la gomme,
Je connois quand tout est de mêmes,
Je connois qui besogne ou chomme,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.
Je connois pourpoint au collet,
Je connois le moine à la gonne,
Je connois le maître au valet,
Je connois au voile la nonne,
Je connois quand pipeur jargonne,
Je connois fous nourris de crèmes,
Je connois le vin à la tonne,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.
Je connois cheval et mulet,
Je connois leur charge et leur somme,
Je connois Biatris et Belet,
Je connois jet qui nombre et somme,
Je connois vision et somme,
Je connois la faute des Boemes,
Je connois le pouvoir de Rome,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.
Prince, je connois tout en somme,
Je connois coulourés et blêmes,
Je connois mort qui tout consomme,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.
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(Musiciens)
Jean-Baptiste LULLY (1632-1687), arrangement Jean-François MAILLET
Armide, tragédie en musique [1686]
Passacaille
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(Récitant)
Bernard le Bovier de FONTENELLE (1657-1757),
neveu de Corneille, écrivain et scientifique qui annonça l’esprit des Lumières.
Epitaphe à Ninon de Lenclos
Clusine, qui dans tous les temps
Eut de tous les honnêtes gens
L'amour ou l'estime en partage ;
Qui toujours pleine de bon sens,
Sut de chaque saison de l'âge
Faire toujours un juste usage,
Qui dans son entretien dont on fut enchanté
Faisait un heureux alliage
D'un agréable badinage
Avec la politesse et la solidité.
Et que le ciel doua d'un esprit droit et sage,
Toujours l'intelligence avec la vérité
Clusine est, grâce au Ciel
En parfaite santé.
Et voici l'épitaphe inutile :
Ci-gît la femme qui voulut
Etre un honnête homme et le fut
Voilà votre épitaphe faite
Et par avance, Dieu merci,
Puissiez-vous comme je le souhaite
La lire dans cent ans d'ici.
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(Musiciens)
Tomaso Antonio VITALI (1663-1745)
Chaconne en sol mineur
Reconstitution - Arrangement Jean-François MAILLET
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(Récitant)
La querelle des bouffons [2/2]
Mais, c’est de longue date que musicalement sont concurrents le style italien et le goût
français. En fait, il s’agit de la confrontation de deux esthétiques de la musique.
Les positions, dans la guerre des coins, se durcissent quand Jean-Jacques ROUSSEAU
(1712-1778) écrit dans sa Lettre sur la musique française :
« Je crois avoir fait voir qu’il n’y a ni mesure ni mélodie dans la musique française, parce que
la langue n’en est pas susceptible ; que le chant français n’est qu’un aboiement continuel,
insupportable à toute oreille non prévenue ; que l’harmonie en est brute, sans expression, et
sentant uniquement son remplissage d’écolier ; que les airs français ne sont point des airs ;
que le récitatif français n'est point du récitatif. D’où je conclus que les Français n’ont point de
musique et n’en peuvent avoir, ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux ».
A la fin de l’année 1753, alors que la fréquentation faiblit légèrement aux spectacles des
Bouffons, Madame de Pompadour remporte une victoire française en faisant monter Titon et
l’Aurore, de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville ; un succès, quelque peu artificiel car on
décida de faire réussir l’opéra.
Le contrat de la troupe des Bouffons est rompu et les italiens sont renvoyés.
Mais la Comédie-italienne et l’Opéra-comique projettent déjà une saison d’adaptation
d’opéras comiques italiens.
L’histoire de la musique continue de s’écrire…
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(Musiciens)
Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764)
Les Indes galantes [1736]
Les Sauvages
Fin
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