Tout peut changer - Le blog de Socrate

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Tout peut changer - Le blog de Socrate
Tout peut changer
Capitalisme et changement climatique
Naomi Klein,
Actes Sud, 2015,626p.
1. Le Heartland Institute entre déni et mépris.
Voici extrait de son site, une "preuve" qu'il n' y a pas eu de réchauffement global depuis 18 ans et
quelques mois ! Comme si la "preuve" tenait en un diagramme! Comme si les milliers d'experts du
GIEC ne concluaient pas à 97 % à la réalité de plus en plus basée sur des faits, des observations, des
milliers de chiffres, sur des publications scientifiques et techniques dont la valeur scientifique est
largement reconnue ....
(Data by Remote Sensing Systems; chart by Christopher Monckton.)
Pour "l'homme de tous les jours" que je suis, il ne s'agit pas seulement de croire à des chiffres1 mais
de constater la fonte des glaciers, la multiplication des phénomènes extrêmes (sécheresses,
ouragans,...), l'acidification des océans, le niveau des mers, la dégradation des éco-systèmes
terrestres et marins,la mise en péril des productions alimentaires, ... la perturbation des saisons dans
certaines régions du monde, ... tout cela en parfaite corrélation avec l'accumulation de CO2 depuis
les temps pré-industriels.
La lecture du site du Heartland Institute a de quoi inquiéter. La question apparaît de plus en plus
relever d'un déni, plus exactement d'une culture du déni. Mais pourquoi? Naomi Klein nous aide à y
voir un peu plus clair.
La prise en compte des changements climatiques oblige (nous oblige, les oblige) à considérer un
changement de notre monde, de leur monde. Cela apparaîtra tout au long des pages de ce livre.
Un déni qui se nourrit de mépris. "Les scientifiques mentent", "les verts sont les nouveaux rouges",
"un peu de chaleur ne peut faire du mal",....
1 La conclusion du 5ème rapport du GIEC Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat
est très claire: "les activités humaines, notamment l’usage des énergies fossiles, a conduit à une hausse
exceptionnelle de la concentration des gaz à effet de serre transformant le climat à un rythme jamais vu par le
passé".
Mais il y a une grande peur aussi, celle de la fin d'un monde, d'une modification des modes de vie,
d'une redistribution des richesses à l'échelle planétaire, … Un problème philosophique aussi :
« l'être humain ne fait pas partie de la nature ». Elle est juste destinée à être exploitée au profit de
l'homme, de préférence blanc, riche (qui pourra se payer des barrières anti-migrants climatiques,
anti-montée des mers,..., qui pourra s 'assurer convenablement,...). La réalité de « biens communs »
de l'humanité leur est étrangère.
Et un même combat les rassemble sur la question de l'avortement, des armes à feu, de l'opposition à
l'Obama care, de la baisse des impôts, ...
Une absence totale d'empathie va jusqu'à dire: "achetez-vous un climatiseur!" ou encore, de
manière plus équivoque et me pose problème: "adaptez-vous!". Il y a une série de moyens
techniques, physiologiques, … pour faire face à d'éventuels problèmes climatiques! (En d'autres
termes: "débrouillez-vous mais restez chez vous!").
2. Le commerce d'abord !
Un cas, au Canada (Toronto). On est en 2010 et la société italienne Silfab désire s'installer au
Canada. Ses produits sont d'excellente qualité2, ses prix sont « assez concurrentiels ». Mais voilà,
selon la loi canadienne, pour bénéficier de certains avantages, il fallait montrer que les projets
n'émanent pas seulement des gros joueurs mais de collectivités (municipalités, coopératives, ...),
qu'une partie des intrants était d'origine locale. Succès de l'usine, notamment en matière de
production d'emplois (31000 sont créés!) et de sortie progressive du charbon. Mais les choses
tournent au vinaigre quand la Chine et l'UE attaquent le Canada et les dispositions de sa
réglementation relatives « au contenu provincial ». L'OMC donne tort au Canada. Les investisseurs
de Silfab se retirent.
Le commentaire de l'auteure (90) . En matière de climat, le jugement de l'OMC3 représente un
véritable affront. Pour que l'objectif des 2 degrés ait la moindre chance d'être respecté, les pays
riches comme le Canada devraient faire du passage aux énergies renouvelables leur priorité
absolue .L'OMC contraint la planète à plier devant le commerce international. Toute mesure de
soutien à l'industrie locale peut être considérée comme illégale parce que « discriminatoire ».
A l'inverse, les sociétés pétrolières reçoivent des subventions annuelles oscillant entre 775 et 1000
milliards de dollars à l'échelle mondiale mais elles peuvent utiliser l'atmosphère, un bien commun,
comme un vaste dépotoir gratuit.
En allant plus loin, il faut remarquer que les accords commerciaux ont dopé l'émission de GES. Par
exemple, en ce qui concerne le trafic international de marchandises : de 1990 à 2010, le trafic de
porte-containers a cru de près de 400%.
Une deuxième remarque fait valoir que les États sont tenus responsables des émissions générées sur
leur propre territoire et non de celles qui découlent de la fabrication des biens qu'ils ont importés.La
mondialisation du commerce a permis aux pays riches de délocaliser leurs productions à l'étranger.
L'atelier du monde (la Chine) est responsable des 2/3 de l'augmentation des émissions mondiales
depuis 2007.
Comment lutter contre la pauvreté tout en diminuant ses GES ? Les deux sont en fait liés puisque
les politiques locales de promotion de l'emploi sont aussi, au niveau commercial, des transports ,
notamment, économes en GES! Mais les politiques locales ne sont pas aimées de l'OMC.
2 Notamment par rapport aux produits chinois, bon marché mais considérés comme "étant bas de gamme".
3 Mécanisme que A. Zacharie analyse bien (Imagine, 2015,110, pp 56-57)."Les négociations du traité
transatlantique(TTIP) ont attiré l'attention sur la 'clause d'arbitrage investisseur-État'..."."Elle permet à un
investisseur privé de contester devant une cour d'arbitrage le choix démocratique d'un État sous prétexte qu'elle
affecte ses profits attendus". Ce système crée une asymétrie totale qui favorise les investisseurs privés au détriment
par exemple de politiques sociales, publiques que voudraient mener des États, au détriment en dernière analyse,des
droits des citoyens. On comprendra ici aussi que la lutte pour la santé de la planète est aussi une lutte pour la
démocratie.
Une dernière asymétrie tient au fait que jusqu'ici la réduction des émissions est une affaire
d'engagements (de bonne foi) et que l'élimination des barrières commerciales est régie par des
mécanismes stricts (tribunaux privés, pénalités,..).
Il n'est pas question de laisser le commerce prendre le dessus sur le climat !Il faut revoir les règles
du commerce international.
3. Pour une gestion publique de l'énergie.
Hambourg, 22 septembre 2013.La population choisit de confier à la municipalité la gestion de son
réseau d'électricité, de gaz, de chauffage. C'est une manifestation de l'Energiewende (transition
énergétique) vers les énergies renouvelables (25% en 2013,6 % en 2000). Francfort et Munich ont,
de leur côté, des plans pour aller vers un 100% d'énergies renouvelables en 2050, pour la première,
en 2025, pour Munich.
Il est tout-à-fait possible, au moins sur le plan technique, de passer aux énergies renouvelables d'ici
2030.
Une énergie gérée par la collectivité. Pour cela, il fallait mettre à mal l'opinion généralement
admise de la supériorité du privé sur le public dans la gestion des services. Au contraire, la question
relative à l'énergie et à l'environnement ne doit pas être laissée entre les mains de groupes d'intérêts
privés.
Une consommation gérée par la collectivité? Consommer plus vert ? Voitures plus propres ? Se
demander si ces consommations restent dans la logique du marché !
Au contraire, de plus en plus de gens veulent réduire leur train de vie, diminuer leur consommation.
Il s'agit non seulement de vêtements recyclés ou de seconde main, du marché fermier du dimanche,
ce n'est pas à négliger mais plus fondamentalement, de mesures à prendre au niveau :
 de l'individu. Acceptera-t-il de se limiter? d'enfiler un pull en hiver ?
 des réseaux de transport, du logement, de la planification urbaine, de la lutte contre l'étalement
urbain (urban sprawl), de la création de pistes cyclables, d'une décroissance sélective graduelle
avec des filets de sécurité sociale,.....
 de la création d'emplois locaux. Il y a un haut potentiel de création d'emplois dans le domaine
des transports en commun, des énergies renouvelables, de l'agriculture à petite échelle
(agriculture urbaine,agro-écologie4,...).
 de la planification. Celle-ci est-elle seulement le mauvais souvenir des sociétés totalitaires, des
plans quinquennaux de J. Staline? De la même manière, aller vers la décentralisation qui
rapproche l’État de ses administrés.
Mais pourquoi, revenant au miracle allemand, à la transition énergétique5 donnée en exemple,
l'Allemagne a-t-elle vu en 2012, ses émissions augmenter par rapport aux années précédentes?
Pourquoi la hausse des énergies renouvelables, le renoncement à l'énergie nucléaire n'ont-t-ils pas
eu pour conséquence la diminution de la production de GES ?
La réponse est que l'Allemagne n'a pas renoncé au charbon. Elle reste très marquée par sa culture
charbonnière, lit-on sur Wikipedia. Ses entreprises continuent de produire de l'électricité à partir de
charbon6, électricité qu'elles vendent !
Tant qu'on peut vendre quelque chose quelque part ! Le commerce d'abord !
4 Qui combine science et savoirs locaux. Qui stocke le carbone dans le sol, diminue les transports de denrées
alimentaires, améliore le sol.Voir O. De Schutter. 10/03/2014: Le droit à l’alimentation, facteur de changement,
Dernier rapport pour tirer des conclusions de son mandat, soumis au 25ème Session session du Conseil des droits de
l'homme de l'ONU,
5 La transition énergétique progresse plus vite que prévu lit-on, page 157.
6 Un ami revenant de Lubbeck me dit la saleté de ces villes.On en vient à se gratter!
4. "Drill, baby, drill!7" (« Fore, Bébé, Fore! »)
D'où vient cette libido extractiviste ?
Mais d'abord, quelques mots sur ce qu'il faut bien appeler ces « nouveaux » gisements d'énergie :
les sables bitumeux et le gaz obtenu par fracturation (gaz de schiste).
Les premiers dont l'Alberta (Canada) est extrêmement riche, sont extraits de deux manières. Pour
les plus profondément situés, un puits est creusé et de l'eau chaude (de la vapeur) est injectée sous
pression pour fluidifier le bitume. Pour la seconde, il s'agit de dépôts plus superficiels. On
commence par retirer la couche superficielle de terre arable, qui sera stockée en vue de la
réhabilitation du site après exploitation (source Total). On creuse ensuite une carrière à ciel ouvert
pour retirer le bitume.
Derrière ces mots scientifiquement, technologiquement, "neutres", il y a des dégâts écologiques,
humains, ... terribles. On parle de montagnes décapitées, de paysages lunaires, de pollutions
gigantesques, notamment de l'eau dont ces techniques sont des utilisatrices voraces.
Le gaz de schiste. Lisons à nouveau Total :
Le gaz de schiste est piégé dans des roches très compactes et imperméables. Sa production nécessite
deux types de techniques : le forage horizontal et la fracturation hydraulique. Il faut réaliser un un
forage vertical (1500 à 3000 mètres) et puis à partir de ce dernier, un forage horizontal (sur une
longueur de 1000 à 2000 mètres) en suivant la roche-mère productrice.
"Mais pour permettre au gaz d'être drainé vers le puits horizontal, il faut rendre la roche-mère plus
perméable. C'est le rôle des micro-fractures (quelques millimètres de large) créées par la technique
dite de « fracturation hydraulique » qui ouvrent la roche-mère latéralement ...".
On présente parfois le gaz naturel bon marché comme un combustible de transition, moins polluant
que le charbon ou le pétrole. Cela peut s'envisager si ce n'est pas aux dépens du développement de
sources alternatives (eau, vent, soleil), si l'on n'oublie pas que ces gaz contribuent aussi à l'effet de
serre. En tout cas aux Etats-Unis, il paraît bien que la part de ces énergies alternatives a décru suite
à l'essor des techniques de fracturation (154). Une fois le processus lancé, les investissements
colossaux des firmes engagés, quelle force réglementaire pourra interrompre ces activités
extractives? Les firmes ont horreur de ce qu'elles appellent les "actifs délaissés"!
Mais revenons à ces (nouveaux) procédés d'extraction. En eux-mêmes, ils posent problème. Le gaz
obtenu par fracturation s'accompagne d'émissions de méthane, un GES terriblement puissant (25
fois plus que le CO2) en termes d'effet de serre. Son avantage par rapport au charbon serait nul si
l'on prend en compte le cycle de vie de ces deux ressources (170).
Voilà donc un train d'extraction lancé à toute vitesse , à toute puissance, pour des décennies ? Et son
potentiel de dégagement d' équivalents CO2 est énorme.
On a comptabilisé toutes les capacités actuelles (en termes de production de CO2 à partir de
charbon, pétrole, gaz), déjà répertoriées, inscrites dans les registres comptables des sociétés : on
arrive à la somme de 2795 milliards de tonnes de CO2. Un autre calcul montre que pour rester dans
l'objectif des 2°C, l'atmosphère ne peut absorber que 565 milliards de tonnes de 2011 à 2050.
2795, c'est près de 5 fois 565 ! Les industries du charbon et Cie veulent saturer, sursaturer les
capacités limitées d'absorption de notre atmosphère.Au contraire, la sagesse , la responsabilité,
l'urgence commanderaient que 80% de ce carbone restent sous le sol.
Cette libido extractiviste, ronger un paysage, une forêt jusqu'à l'os s'est exercée avec une violence
terrifiante sur une petite île du Pacifique, l'île de Nauru. 10000 habitants, 21km2.. Dans les années
1970-1980, décennies d'opulence, elle avait un PIB par personne équivalent à celui de Dubai.
Mais elle avait le malheur d'être un lieu de passage des oiseaux migrateurs qui au cours des siècles
y ont déposé des tonnes d'excréments, du PO4 (guano) en somme. Phosphate très recherché et
exploité, notamment par l'Australie. L'île en vient très vite à ressembler à une coquille vide.
7 Un slogan utilisé à la convention nationale républicaine des États-Unis en 2008.
Désastre écologique, désastre économique (dette insupportable), désastre climatique car la montée
des eaux est inexorable, désastre sanitaire car c'est devenu le peuple le plus obèse de la terre. Le
diabète réduit l'espérance de vie. Humiliation suprême ? L'île est devenue un haut lieu du
blanchiment de l'argent. Des grands pays comme l'Australie y envoient leurs demandeurs d'asile.On
appelle cela la « solution du pacifique ». Conditions de détention horribles que quelques vidéos
laissent entrevoir.
Une sorte de claustrophobie s'est installée, on lui a trouvé un nom : la solastalgie, un mal du pays en
restant chez soi. La mort d'une petite île obscure est un sacrifice acceptable pour les
décideurs(191).
Nauru est un cas d'extrême violence faite à la terre. Une violence cachée sous de multiples
oripeaux, nous y participons sans doute en ne voulant pas le savoir .Violence multiforme qui
s'exerce sur l'eau, les glaciers, les cycles du sol, l'atmosphère, les forêts,...
L'extractivisme est sans cesse en quête de nouvelles ressources à exploiter.Il se double de la
recherche de nouveaux pauvres à enrôler, de nouveaux gisements de main-d’œuvre bon marché, de
nouvelles techniques d'arraisonnement du corps des femmes, de nouvelles fosses où enfuir nos
déchets.
Pourquoi ?
5. Dérives environnementalistes : les tétras de Louisiane.
Les tétras cupidons sont d'étranges oiseaux des prairies le long des côtes du Texas et de la
Louisiane. Leur parade amoureuse est célèbre.
Ils n'ont qu'un tort, ils sont les voisins de l'industrie pétrolière. Et leur nombre s'est mis à diminuer.
En 1965 , intervient une grosse organisation (TNC, The Nature conservancy) qui a la possibilité
d'acquérir, dans une visée écologique, de vastes étendues de terre pour les transformer en réserves.
Mais comble de bonheur, TNC apprend que la société Mobil lui fait don de sa propriété de
Galveston Bay dans l'espoir de sauver les Tetras.
Quatre ans plus tard, « quelque chose de très étrange se produit »(222). TNC exploite les réserves
de combustibles. Il tente de se dédouaner en soutenant que le forage ne nuit pas aux Tetras ni à
leur habitat. De plus, disent-ils, il existe un programme d'élevage en captivité, programme qui dans
la suite, va s'avérer désastreux. En novembre 2012, s'éteint le dernier tetra de la réserve.
Cette affaire TNC est la partie émergée sans doute la plus spectaculaire d'un loup habillé en
agneau.
Les exemples sont nombreux d'organisations environnementalistes entretenant de solides relations
avec l'industrie des combustibles : sous la forme de dons, legs, participation aux CA, bons conseils
(ce qu'on appelle souvent, les bonnes pratiques) , expertises, … propositions de mesures complexes
qui restent cependant dans la logique du marché, qui ne relèvent pas d'une participation populaire.
Parmi ces demi-mesures, des programmes sophistiqués pour consommer moins (machines à laver,
frigidaires,..), des voitures moins énergivores, des actions philanthropiques.
Tout n'est pas aussi morose. Le nerf de la guerre de beaucoup d'associations repose sur la
conviction, le travail, le dévouement des membres ; dans des pays comme la Belgique, sur la
participation de l'État, devenu le principal partenaire financier.
La force des pauvres est la vrai moteur des luttes pour l'environnement. On l'a appelé,
« l'écologisme des pauvres ». Un immense mouvement pour la justice environnementale dont nous
avons rendu compte dans un article précédent8.Sans doute un des succès les plus retentissants fut la
8 En 1988-89, le terme d'environnementalisme des pauvres fut consacré par des scientifiques d'Inde et d'Amérique latine.En Inde, il
s'agit principalement du CSE (centre for science and environnement) d'Anil Agarwal puis de Sunita Sarain. Ils créent le concept
d' « accumulation par dépossession ». A. Sarain insiste : « virtuellement, tous les projets industriels d'infra-structures(mines, énergie
nucléaire ou thermique, cimenteries, aciéries,...)sont attaqués par les communautés locales qui craignent de perdre leur mode de vie.
révolte des Ogonis du Nigeria (The Movement for the Survival of the Ogoni People
MOSOP dont le leader Ken Siro-Wiwa fut pendu par le régime du général Sani Abacha) contre les
installations pétrolières. La multinationale Shell fut condamnée en 2009 et cette condamnation fut
célébrée comme une victoire des droits humains, elle consacrait aussi la responsabilité des grandes
entreprises.
On citera seulement quelques dates de l'âge d'or du droit de l'environnement . Par exemple aux E.U. ,le clean air act date de 1963, le clean water act de 1972, au total 23 lois fédérales sur
l'environnement. Mais l'ère Reagan promouvait une idéologie du marché libre et en matière
d'environnement, la collaboration plutôt que la confrontation, une idéologie pragmatiste. Des
partenariats s'instauraient avec les pollueurs : il est possible de créer de nouveaux marchés à
condition d'écologiser les pratiques.
6. Tout peut devenir marchandise : le commerce des droits de pollution.
Pour l'amour de la pollution, diverses solutions s'offrent aux grandes entreprises, en particulier le
commerce des droits d'émission.
En gros, au lieu d'exhorter les pays industrialisés de réduire leur production de GES à un niveau
déterminé, le système prévoit des permis d'émission s'ils ont des projets qui diminuent le C02 dans
l'atmosphère par exemple, dans les pays du Sud, par la plantation d'arbres générant des crédits
carbone éventuellement rachetés, à leur tour par les gros pollueurs.
On peut dire que les pays du Nord mettent les arbres à leur service : arbres bons et fidèles serviteurs
d'un néo-colonialisme forestier. Pour le dire autrement, je continue de polluer au Nord mais je
dépollue au Sud.
L'arbre n'est plus un arbre mais un travailleur docile aux mains des industriels occidentaux. Il n'est
plus le support de la vie de communautés qui se voient exclues de la forêt et perdent leurs droits de
pêche, de chasse, de prélèvements, … au nom du carbone stocké, des puits de carbone., au nom de
la pollution au Nord.
7. Les milliardaires Ecolo : l'argent, la science vont nous sauver.
Il s'agit bien sûr en premier lieu de Richard Branson, le propriétaire de la compagnie Virgin. Mais
on pourrait aussi citer M. Bloomberg, Bill Gates, Warner Buffett, chacun à sa manière.
Ils ont souvent une conscience écologique affirmée mais leur problème est : comment la concilier
avec leur comportement d'hommes d'affaires ?
Branson est connu dans les milieux de l'écologie riche comme le fondateur d'un prix, le Virgin earth
challenge : « comment retirer un milliard de tonnes de CO2 par an, sans effets secondaires
néfastes ? ». Il a aussi pris l'engagement de consacrer 100% des bénéfices retirés de sa compagnie
Virgin à la lutte contre le réchauffement climatique. Pendant tout un temps,il a beaucoup investi
dans les agro-carburants.
Comment quelques années plus tard évaluer ses engagements ?
1. Il s'est lancé à corps perdu dans l'achat d'avions. Il a de plus créé sa propre écurie de courses
F1.
2. 100% de ses bénéfices au réchauffement climatique ? « Vous savez, je ne suis pas très bon
en chiffres ! ».
3. Le prix « Virgin earth challenge » ? Il fait état lors d'une conférence à Calgary de 11 projets
prometteurs. (Mais Calgary n'est-il pas le cœur canadien de l'exploitation des sables
bitumeux?).
Une évaluation. Des projets générateurs de bonne conscience ?
Il n'est pas question pour eux de luxe mais de survie. Ils savent que lorsque leurs forêts sont détruites, leurs sols ouverts,...l'eau s'en
va, avec les terres, les pâturages, la biodiversité. Ils savent alors qu'ils sont pauvres. (lettre 31).
La proposition de consacrer au réchauffement climatique, les bénéfices retirés de la vente d'un billet
pour la Barbade va dans le bon sens mais est-elle contraignante ? Peut-elle avoir quelque chance de
succès si elle n'est pas imposée, basée sur une réglementation ?
Quelques milliardaires voient clair mais la recherche du profit reste le moteur(!) de leurs
entreprises.
Il y a en effet, quelques présupposés :
1. on ne peut se passer des hydrocarbures
2. on ne touchera pas à un certain mode de vie (on ne prendra pas moins l'avion Virgin!)
3. on croit que la science trouvera le carburant miracle, que des machines pourront extraire de
CO2 de l’atmosphère.
En conclusion, un même mythe fondateur de toutes leurs activités, la foi dans le pouvoir de l'argent
et de la science9. La technologie peut-elle sauver l'humanité des conséquences de ses actes ?
8. Le grand parasol et l'effet Pinatubo.
Dans notre lettre n°16 consacrée au climat, nous envisagions deux options fondamentales : capter le
C02 et réduire nos émissions d'une part. Atténuer le rayonnement solaire d'autre part.
Cette dernière option est née d'une observation. En 1991, aux Philippines, l'éruption du volcan
Pinatubo injectait d'énormes quantités de souffre dans la stratosphère. En même temps, la moyenne
des températures mondiales chutait de 0.5 degrés C.
Pourquoi ne pas reproduire l'action de ce volcan, réaliser un Pinatubo sur commande ? Par
l'injection d'un aérosol de S02 dans la stratosphère ? Pour atténuer le rayonnement solaire.
Ce projet apparaît comme techniquement possible. Et même comme la seule alternative si les
émissions de C02 ne sont pas réduites de manière suffisante10.
Dans ce cas, intervient ce qu'il faut appeler l'éthique planétaire. Nous ne savons pas ce qu'un projet
de cette envergure, globale, aurait comme conséquence ici ou là. Aucune expérience n'est
envisageable. Naomi Klein fait allusion à quelques modèles climatiques complexes qui ne dessinent
rien de bon en ce qui concerne le Sahel, la mousson.
Par contre, on pourrait évoquer « la preuve par le volcan » . Les éruptions de Pinatubo mais aussi de
Laki (1783) en Islande, de Katmai(1912) en Alaska ont projeté de grandes quantités de soufre et
furent suivies par de graves sécheresses. Des observations troublantes comme une décrue historique
du Nil dans l'année qui a suivi l'éruption du Katmai.
Tous comptes faits, en ce qui concerne la géo-ingénierie, le remède risque d'être pire que le mal.
Comme on l'a dit aussi, c'est remplacer une saleté par une autre saleté.
Et si tous ces plans échouaient ? Il ne resterait qu'une option, coloniser d'autres planètes !
9. Voyage en Blocadie
L'auteure commence ce chapitre - et c'est comme une allusion à l'actualité grecque d'aujourd'hui9 La foi dans le pouvoir de la science , notamment en matière de santé globale, nous l'avions déjà évoquée dans la
lettre 27.
10 Serait-ce la meilleure option?Dans cette lettre 27, nous citions: On se limitera ici à la technologie la plus aisée à
mettre en œuvre, la pulvérisation d'aérosols soufrés dans la haute atmosphère.Comment la justifier, comment
justifier les études à ce sujet ?
Trois arguments : le temps gagné en attendant que cesse la paralysie politique en matière de décisions ;
l'urgence climatique qui ferait suite à un dérèglement brutal mais possible de tout notre climat; enfin,c'est la
meilleure option en tout cas du point de vue économique.
La meilleure option? Oui, si l'on se livre à un calcul coûts-bénéfices.Le point de vue est utilitariste : toutes les
options sont valables, il suffit de les comparer, de les mettre en balance et de prendre la meilleure , celle qui pèse le
plus rationnellement,celle qui en bonne comptabilité, correspond le mieux à nos intérêts généraux. (Mais comment
comptabiliser les effets d'une pulvérisation soufrée sur la mousson indienne, sur le creusement du trou d'ozone ?) .
par une histoire de contrôle de papiers sur une route publique en Grèce, dans la touristique
Chalcidique. Pourquoi tous ces policiers anti-émeute, ces barbelés, ces caméras de surveillance
accrochées aux arbres ?(336). Parce que cette région (comme beaucoup d'autres aussi surveillées)
est concernée par des projets de mines à ciel ouvert, de puits de gaz, d'oléoducs.
C'est la Blocadie, nom presque générique donné à des poches de résistance ici et là dans le monde,
de plus en plus interconnectées et ayant ceci de commun, une opposition aux ambitions des
sociétés minières, ...
Le livre a été écrit avant la victoire de Syriza en Grèce . Il s'agissait alors de la contestation
concernant la forêt des Skouries, du projet dit « Eldorado gold » dont le premier ministre Antonis
Samars alors au pouvoir disait qu'il devait se réaliser « à tout prix »,« le genre de projet dont la
Grèce a besoin ». Cette contestation a pris des formes inédites : ainsi lorsque les véhicules de
police approchent, un guetteur se précipite à l'église et fait sonner la cloche ; au bout de quelques
instants, les rues sont pleines de gens scandant des slogans11.
Ces noyaux de contestation se multiplient, en réponse à de tels projets. Notre lettre 31 en faisait
mention suite à la réunion à Bruxelles en mars 2015, d'un grand nombre de mouvements fédérés
par le projet EJOLT: Environmental Justice Organisations, Liabilities and Trade12. Il faut surtout
mentionner par la même organisation, un atlas dit de la justice environnementale, il répertorie 1511
localisations de conflits invisibles partout dans le monde, tous liés à une question de justice
environnementale impliquant la société civile.
10. La question des oléoducs
Naomi Klein aborde de manière plus spécifique la question des oléoducs. En effet, extraire est une
chose, purifier même sommairement, une autre et enfin transporter une troisième 13. On pourrait
parler d'un talon d'Achille. A quoi sert d'extraire si on ne peut transporter, voire exporter?
Et le long de ces milliers de km14 , il y a bien des occasions de s'opposer, de manifester. Les
populations vivant sur le trajet d'un oléoduc ont de quoi s'alerter. Et ce sont aussi bien les premières
nations que les éleveurs, les associations environnementalistes souvent assimilées au terrorisme :
risques de contaminations de l'eau, terres infiltrées,forêts saccagées, … Par exemple (368, 369), le
dilbit (bitume dilué) est beaucoup plus corrosif pour les oléoducs que le brut classique. Les risques
pour l'eau potable sont réels, des quantités « faramineuses » en sont nécessaires , on a même
constaté l'inflammabilité de l'eau sortant des robinets.
D'autres risques, par exemple, en matière de santé, ne sont pas suffisamment étudiés. Suite aux
fracturations, en de maints endroits, de petits tremblements de terre.
11. Le golfe du Mexique: l'ère du vide.
On se souvient de la plate-forme pétrolière du golfe du Mexique : en 2010, pendant 3 longs mois,
du pétrole brut s'est déversé dans la mer. Les dégâts furent immenses et la société BP vient
d'accepter de payer 18,7 milliards pour cette marée noire (http://ici.radio-canada...2 juillet 2015).
Par rapport à certaines observations faites dans les mois, voire l'année qui ont suivi la catastrophe,
Naomi Klein parle de « l'ère du vide ». Des générations d'alevins, de micro-organismes
particulièrement sensibles à de faibles concentrations toxiques ont été décimées et avec elles, tout
un pan de la chaîne trophique. Principe de précaution, évaluation des risques, deux choses
différentes dont certaines entreprises n'ont cure.
Seuls 4 % des Américains sont d'avis que les sociétés pétrolières sont dignes de confiance (37811
12
13
14
Voir aussi le reportage de "Changeonns l'info" du 19 janvier 2015 de Marie Astier de Reporterre.
Organisations de la justice environnementale, responsabilités et commerce.
Sans chemin de fer, l'industrie ne pourrait exporter son charbon disent les Cheyennes (440).
Wikipedia et la documentation française décrivent sommairement ces projets (déjà en activité,pour certains). Il s'agit
notamment du projet Keystone et de son actualisation plus récente (XL). Il reliera la province d'Alberta au Canada
au golfe du Mexique et transportera quelque 132 000 m3 par jour.
379).
12. Les « sociétés » n'ont pas de racines. L'amour sauvera la planète 15.
Elles décapitent les montagnes, polluent des cours d'eau, traversent des aquifères16, creusent des
forêts, déposent des oléoducs, parfois réparent....puis s'en vont17, ne s'enracinent jamais. Aucun
travailleur ne désire s'installer et demeurer là où il a creusé, pollué.
Pourtant le chantage à l'emploi (l'auteure parle de l' « extraction d'un travail humain bon marché »,
pour des emplois souvent de courte durée ,452) est un argument de poids dans la stratégie des
firmes. Quel syndicat n'y serait sensible, parfois la mort dans l'âme ? Ce qu'il faut , ce sont des
alternatives concrètes, aucune arme n'est plus puissante (449).
Mais à Bella Bella (Canada), une commission de trois experts vient tenir des auditions publiques à
propos d'un projet très controversé, le projet d'oléoduc Northern Gateway. Une fête est organisée
pour les recevoir mais manifestement un peu trop exubérante car les experts prennent peur et
annulent les auditions … qui reprendront quand même un peu plus tard sous une forme allégée.Le
témoignage d'une jeune femme Jesse Housty, mérite plus qu'une attention (387) :
« Quand mes enfants naîtront, je veux leur offrir un monde propice à l'espoir et à la
transformation. Un monde où les récits veulent encore dire quelque chose.....Au nom des jeunes de
ma communauté , et sauf votre respect, je ne crois pas qu'il puisse exister une quelconque
compensation pour la perte de notre identité et de notre droit d'être heiltsuk ».
On ne comprendra pas la résistance à ces projets (qui ont souvent tous les oripeaux de la
respectabilité ) sans admettre qu'il y a des biens et aussi des liens (coutumiers, avec la nature,...) qui
ont plus qu'une valeur marchande, qui valent plus qu'un degré de température, qu'un séjour de
vacances dans les îles lointaines,...qui ne s'achètent pas, en résumé18.
13 .Le combat contre l'extractivisme est un mouvement populaire pour la démocratie
(408).
De plus en plus les gens se sentent dépossédés de leur capacité de choisir: emportés, emprisonnés
qu'ils sont par dans des corsets qui les contraignent et qui ont nom: efficacité, rentabilité,
consommation compulsive mais aussi obligée, parole des experts, complicité entre les grandes
entreprises et l’État (410), puissance des lobbies, science prisonnière19...
Le combat contre l'extractivisme a ses dimensions propres, la lutte pour la survie planétaire bien
certainement, mais aussi pour d'autres alternatives, pour la capacité de choisir, pour l'exigence d'être
informé et consulté, pour la liberté de créer, d'inventer de nouvelles relations économiques20, de
nouvelles manières d'être dans la ville, la campagne, la forêt.
On peut cependant relever que si beaucoup de décisions sont prises au-dessus de la tête des gens
(accords internationaux, immenses marchandages d'où le citoyen est absent), il reste des endroits où
15 William Berry. La conservation est une question de tendresse.(380)
16 Cette question de l'eau est fondamentale pour comprendre les oppositions. On ne se bat pas contre les sociétés
pétrolières mais pou"sauver le Fraser" (un cours d'eau par lequel migrent les saumons, éternels voyageurs)."C' est le
saumon qui unit les ruisseaux aux rivières, les rivières à la mer et la mer aux forêts" (385).
17 Une jeune mère du nom de Melachrini Liakou (Chalcidique, Grèce): "je fais partie de la terre, je la respecte, je
l'aime. Je ne la traite pas comme un bien de consommation, jetable". Elle parle du projet de la mine d'or d'Eldorado.
Une fois son boulot accompli, elle repart en laissant derrière elle "une énorme bombe chimique qui menace les
humains et la nature".
18 . Une villageoise roumaine l'expliquait: " nous ne sommes pas si pauvres, nous n'eavons peut-être pas d'argent, mais
nous avons de l'eau den qualité, nous sommes en bonne santéet nous souhaitons seulement qu'on nous laisse
tranquilles" (390).
19 Nous en avons vu un cas à propos de la margarine, lettre 23.
20 La revue "Esprit" (juillet 2015) compose un numéro spécial: "le partage, une nouvelle économie?"
le citoyen peut exercer une influence. C'est le cas des villes « en transition » imaginées par des
citoyens concernés et qui choisissent leur manière de gérer l'eau, l'énergie, l'air . L'agriculture
urbaine est une de ces initiatives prises sous le slogan : « la ville nourrit la ville ».
14. Le droit des autochtones ; la terre est une source, pas seulement une ressource.
La bataille contre l'extractivisme ne se gagnera que par l'alliance des volontés éparpillées. Les
organisations pour la justice environnementale (EJO, EJOLT, lettre 31) en montrent un exemple.
Ses thématiques sont nombreuses : les déchets, l'eau, le biopiratage, la biomasse, la forêt,
l'extractivisme … On y parle d'écologie des pauvres,de manifestations populaires,on célèbre
l'inventivité de la base qui crée ses propres slogans, donne des idées et des thèmes à la science, ...
Dans le domaine de l'extractivisme, on constate la formation d'alliances parfois inattendues :
peuples premiers, environnementalistes « pur jus », militants occasionnels, éleveurs inquiets pour la
santé de leur bétail,formations politiques, … Ces alliances ont remporté des succès divers : projets
annulés, moratoires, politiques de désinvestissements21, paroles d'autorités morales22, implication
d'universités,...
Le livre m'a fait découvrir le pouvoir des peuples autochtones. Et il semble bien que celui-ci soit
décisif. En effet, des jugements de la cour suprême au Canada reconnaissent les droits des
autochtones. Et ce mouvement de reconnaissance s'étend aux États-Unis, à l'Australie, à la Nouvelle
Zélande, à l'Amazonie, ... . Les peuples autochtones veulent bien partager (un partage équitable)
mais ils ne renoncent pas à leurs droits. Certains pays sont allés jusqu'à amender leur constitution en
vue d'y intégrer ces droits (426). L'avancée la plus importante est la déclaration des Nations unies
sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007. « Il s'agit là écrit Naomi Klein, d'une
victoire colossale, obtenue de haute lutte ». Elle célèbre une réconciliation historique entre
autochtones et non-autochtones (429). Un slogan : « honour the treatises ! ».
Un peu plus loin, elle écrit(431) : « ces coalitions, où des gens riches en droits mais pauvres en
moyens, s'unissent à des gens (relativement) riches en moyens , mais pauvres en droits, recèlent un
potentiel politique considérable ».
15. Dette locale, dette mondiale. A partir d'une idée qui vient d’Équateur.
Le parc Yasuni en Équateur a deux richesses, l'une est écologique ( biodiversité extraordinaire) et
humaine (habitée par plusieurs tribus autochtones). L'autre réside dans son sous-sol qui recèle une
quantité de pétrole brut dont la valeur marchande est estimée à 7 milliards de dollars ou en termes
de CO2 ajouté, 547 millions de tonnes.
Dilemme ! Pour en sortir, une idée géniale. En appeler à la communauté internationale : « nous
n'allons pas extraire ce pétrole brut, nous le laisserons dans le sous-sol. Nous conserverons la
biodiversité, nous n'ajouterons pas au fardeau CO2 ». Il nous faut une compensation. L’Équateur
comme les autres pays en voie de développement est un pays créancier en matière de climat. Il n'a
pas contribué à accumuler le C02 dans l'atmosphère23 (461).
L’Équateur attendait 3,6 milliards de dollars. En 2013, seuls 13 millions de dollars avaient été
recueillis. Correa a annoncé qu'il autoriserait les forages.
Ce revers est à situer dans l'échec plus vaste des négociations internationales qui achoppent sur la
question cruciale du bilan historique des responsabilités en matière de GES(464).
Parmi les éléments d'analyse, il y a certes un modèle économique basé sur la surconsommation.Il y
21 Désinvestir mais aussi réinvestir (453).
22 Combien de divisions? C'est en tout cas une délégitimation morale.
23 Les pays développés qui comptent moins de 20 % de la population ont émis 70 % de l'ensemble des GES qui
déstabilisent aujourd'hui le climat(462).Les Nations Unies (1992) reconnaissent "leurs responsabilités communes
mais différentiées". .
a le bilan historique que nous venons d'évoquer. Il y a les pays du Sud, qui entraînés par le modèle
de consommation occidentale, jugent que leur temps est venu de polluer car rien ne vaut la
croissance économique.
Ces derniers sont pourtant au nœud de la solution. Ou bien, imitant le modèle occidental, ils
accompagneront la mondialisation vers la crise, le chaos climatiques ultimes que prédisent les
scientifiques.Ou bien, ils inventeront un nouveau modèle d'habiter la terre.
Sunita Narain, la grande environnementaliste du CSE (Inde) 24 y revient. Elle n'a guère foi dans les classes moyennes adeptes du
NIMBY (not in my backyard). Elle demande : chez quel voisin alors ? Elle pointe plutôt l'environnementalisme des pauvres. Le
développement doit être réinventé. Nous savons qu'il y des limites à la croissance telle que nous la connaissons. Certes , « we
can grow »mais seulement si nous le faisons de manière différente. Not business as usual but business as unusual.
Mais elle ajoute ceci qui est fondamental : « l'histoire du mouvement environnementaliste occidental est différent du nôtre. Il a
commencé après que ces sociétés soient devenues riches.Elles avaient l'argent pour investir dans le propre et elles l'ont fait....Le
slogan NIMBY , à l'avenir devra céder la place au slogan : « dans mon jardin » et cela au niveau planétaire aussi. Car la planète
deviendra notre jardin.25
Revenons à Naomi Klein qui fait notamment allusion à un entretien (2013) avec Sunita Narain.
Au Sud comme au Nord, le principal levier de changement demeure l'émergence d'alternatives au
développement polluant qui ne contraignent pas les gens à choisir entre la pauvreté et l'extraction
toxique. Ces alternatives existent. On l'a vu avec le modèle Yasuni. On peut aussi songer à « une
tarification préférentielle mondiale » qui implique la création d'un fonds international qui
soutiendrait les transitions énergétiques des pays en développement.
Mais Sunita Narain, « nous avons besoin d'argent et de technologies pour être en mesure de faire les
choses autrement ».
Elle dit encore, revenant sur des propos souvent entendus de ses amis américains: « les questions de
responsabilité historique ne devraient pas figurer à l'ordre du jour :' je ne suis pas responsable de ce
qu'ont fait mes ancêtres' ».
Sunita Narain, au contraire : « votre richesse d'aujourd'hui est liée à la façon dont vos sociétés ont
puisé sans relâche dans la nature. Cette dette doit être remboursée. Il s'agit d'une responsabilité
historique à laquelle il faut faire face » (467).
Il est vrai pourtant que le fait d'avoir été privé de la possibilité de polluer la terre par le passé ne
confère pas le droit de polluer à son tour aujourd'hui (470).
De Stockholm , un groupe de réflexion propose une stratégie novatrice et équitable de réduction
des émissions à l'échelle mondiale. Naissance d'un nouveau droit: « green house development rights
(droits au développement tenant compte des GES) ». Dans cet esprit, la juste part de chaque pays
dans la réduction des émissions serait déterminée selon deux critères : sa responsabilité historique et
sa capacité de payer.
Les États riches auront-ils le courage de prendre de tels engagements internationaux26 ? Naomi
Klein évoque l'annulation de la dette extérieure des PVD, l'assouplissement des brevets pour les
énergies vertes,...et encore le principe du pollueur-payeur, l'élimination des subventions à l'industrie
des combustibles fossiles (471)....
16. Une expérience intérieure. Le respect du droit à la vie.
C'est le livre d'une femme. De son combat pour la capacité de donner la vie. Des pages émouvantes
et dignes. Elle prend conscience que son corps a droit à un temps de jachère pour se reconstituer et
enfin donner la vie(475).
En même temps, elle prend conscience que la terre vit elle-même une grande crise de fertilité.
On assiste à l'émergence d'un nouveau mouvement pour le respect des droits génésiques, qui se bat
24 CSE. Centre for science and environment. India's environment: a review of four decades. A "Down to earth
anual",2015.
25 Elle remarque que les matières environnementales sont de plus en plus polarisées par un débat "environnement
versus développement".
26 On le constate aujourd'hui en ce qui concerne la répartition européenne des réfugiés:"UE abandonne l’idée de quotas
obligatoires".
pour la reconnaissance des droits non seulement des femmes, mais de l'ensemble de la
planète(498)27.
Petit à petit émerge à l'instar de la Bolivie et de l’Équateur28,le concept des « droits de la terre
mère », droits des écosystèmes non seulement à exister mais aussi à se régénérer.
17. L'heure de vérité.
« Passer d'une société orientée vers les choses à une société orientée vers les personnes » (Martin
Luther King) (505).
Seuls des mouvements sociaux d'envergure pourront sauver l'humanité (506). Et de se pencher sur
l'histoire de ces moments décisifs récents qui ont fait basculer l'histoire.
1. le mouvement abolitionniste
2. le mouvement féministe
3. le mouvement syndical
4. la décolonisation
5. le mouvement anti-apartheid
Plus près de nous encore, des populations ont exprimé leur ras-le-bol: le printemps arabe, le
mouvement des indignés, « Occupy Wall Street », les étudiants du Chili et du Québec,..(522).
Le mouvement qui s'impose aujourd'hui ressemble à certains égards au mouvement abolitionniste. La
possession d'esclaves constituait une grande part du capital et lors de l'abolition, les propriétaires ont
été dédommagés « pour perte de propriété »(513). (Ici, des points d'exclamation sont nécessaires!!!!).
Qu'en sera-t-il demain quand viendra le temps de la « grande transformation » ?, de la redistribution
des richesses ?
Le mouvement de protection du climat29 n'a pas encore pleinement affirmé sa position morale sur la
scène internationale mais il est en train d'éclaircir sa voix...(521).
Lisez ce livre qui peut nous faire basculer !
Michel Ansay
10 juillet 2015.
27 L'auteure cite un grand nombre de cas liant la santé à un trouble environnemental. C'était un peu ma profession
( toxicologue vétérinaire) aussi ai-je envie d'y aller voir un peu de moi-même.Non que je mette en doute le travail de
l'auteure, exigeant, passionnant!Mais certains faits rapportés par l'auteure donnent froid au dos: il y a des villes
"toxiques" où il ne fait pas bon d'être bébé ou femme . La marée noire de BP évoque l'idée d'une matrice toxique
dans tous les sens du terme: biologie maritime,humaine,...
28 ...qui l'ont inséré dans leur constitution.
29 "Ce sont des motivations intrinsèques qui animent les transactionnaires et non des injonctions venues de l'extérieur"
(O. De Schutter,Politique,2015,90,p.28).