Synthèse du rapport du Comité conseil sur la qualité et la diversité

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Synthèse du rapport du Comité conseil sur la qualité et la diversité
Synthèse du rapport du Comité conseil sur la qualité et la diversité de
l’information (présidé par par Armande Saint-Jean). Rapport final. Tome 2. Les
effets de la concentration des médias au Québec : problématique, recherche et
consultations, janvier 2003
Présentation rapide du rapport
Le travail repose entre autres sur une recherche dirigée par Armande Saint-Jean, professeur au
département de letttres et communication à l’Université de Sherbrooke et une analyse basée sur un état
des lieux des recherches qui ont porté sur les effets potentiels de la concentration du capital des
entreprises de presse. Cette partie du travail a été faite par le chercheur Alain Péricard.
Travail sur les concepts
Marc Raboy donne la définition suivante de la concentration : « la concentration est le processus
économique et financier qui caractérise un marché marqué à la fois par la réduction du nombre des
acteurs et par l’augmentation de leur envergure » (Les médias québécois, p.386).
La concentration peut prendre les différentes formes suivantes :
(1) La concentration horizontale vise à accroître ses parts de marché sur un marché en particulier. Cas
de Gesca, propriété de Power Corporation et propriétaire de La Presse qui acquiert une partie des
autres journaux quotidiens québécois. À l’automne 2000, Gesca s,estb porté acquéreur des journaux
d’Unimédia, filiale de Hollinger, Le Soleil de Québec, Le Droit d’Ottawa – Gatineau et Le Quotidien
de Chicoutimi. Phénomène déjà ancien visant à générer des économies d’échelles.
(2) la concentration verticale vise à ce qu’une entreprise contrôle plusieurs étapes de la production et de
la distribution. Vise à mieux intégrer les différentes activités afin d’augmenter les synergies et la
compétitivité mais ce ne serait pas toujours probant du moins à court terme (étude de Dan Shaver et
Mary Alice Shaver). À l’image de Transcontinental qui a des intérêts dans la publication de magazines
tout en étant propriétaire d’imprimeries, d’une entreprise de distribution et d’un réseau de marketing
interactif sur internet,
(3) la propriété croisée définit la situation d’une entreprise qui contrôle plusieurs médias différents. Elle
permet notamment de faire de la promotion croisée et éventuellement de réduire les coûts de
production s’il y a développement de synergies entre filières. Quebecor en est un exemple. Au fil du
temps, elle est devenue propriétaire de quotidiens, d’hebdomadaires, d’imprimeries, d’une entreprise de
messageries, du réseau généraliste TVA, du réseau spécialisé dans les nouvelles LCN, de magazines,
d’un câblodistributeur, d’une chaîne de clubs vidéo, d’un réseau de librairies et disquaires et d’un site
internet.
(4) la concentration multisectorielle pour laquelle la propriété dans le secteur de la communication se
double de la propriété d’actifs dans d’autres secteurs économiques. On retrouve notamment un cas au
Canada, celui de Gesca propriété de Power Corporation dont les activités dans les industries
médiatiques ne comptent que pour une faible part du chiffre d’affaires.
La notion de synergie industrielle est présentée comme étant cruciale afin de comprendre les stratégies
de concentration parce qu’elle suppose que l’association et l’action coordonnée de plusieurs médias
produisent des résultats supérieurs à ce que serait la somme des résultats de chacun de ces médias
fonctionnant séparément. Ainsi, il y a synergie internationale lorsqu’il y a création d’une version
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étrangère d’un magazine qui reprend une partie du contenu du magazine existant déjà. Il y a synergie
commerciale s’il y a possibilité de faire des économies d’échelle, par exemple au moyen d’achats
groupés de programmes. Il y a synergie entre médias s’il y a possibilité de créer des interactions entre
des activités différentes, ce qui suppose un terrain fertile commun et/ou un savoir-faire minimal entre
diverses activités de communication traditionnellement disjointes.
Quant à la convergence, il en est question à plusieurs titres. Premièrement, la convergence
technologique serait le processus par lequel les canaux de distribution tendent à diminuer du fait des
innovations technologiques (par exemple, le cable coaxial ou la fibre optique), alors que les contenus
(transmis sous forme digitale) augmentent. Par exemple, les informations diffusées par Internet peuvent
associer des éléments qui sont traditionnellement imprimés (texte et photographies) à des éléments
radiodiffusés (son et vidéo). La convergence fonctionnelle, parfois nommée le multimédia, désignerait
les nouveaux services hybrides combinant la voix, les données, le texte et l’image. La convergence
économique décrirait l’évolution des entreprises médiatiques traditionnelles qui intègrent des activités
dans plusieurs formats. Elle est le fruit de fusions, d’associations et de diversifications dans des
secteurs qui, traditionnellement, opéraient de façon séparée. Elle se situe dans un contexte d’apparition
de nouveaux marchés résultant de la convergence technologique et de l’avantage économique que
procure la diffusion des contenus par plusieurs canaux. Ces contenus peuvent soit être simplement
reformatés, soit être modifiés pour mettre à profit les capacités d’un média différent. Par exemple des
articles de journaux quotidiens peuvent être diffusés chaque jour sur Internet, ou encore intégrer du son
et du vidéo et être mis à jour à mesure que de nouvelles informations sont disponibles (Voir R. Babe,
« Convergence and the New Technologies », dans The Cultural Industries in Canada, Dorland, M.
(dir.), 1996 ainsi que E. De Bens, professeur au département des Communications de l’Université de
Ghent (Belgique) et H. Ostbye, « The European Newspaper Market », dans Media Policy :
Convergence, Concentration & Commerce, McQuail, D. et Siune, K. (dir.), 1998). D’après Babe, la
convergence est le contraire de la situation qui lui préexistait, la divergence, alors que le domaine de
l’information et des communications comprenait trois secteurs distincts : l’édition, les
télécommunications et la radiodiffusion.
Selon le rapport, la concentration n’est pas une nouvelle tendance au Québec – on pourrait dire de
même au sujet de la convergence en se rappelant que la première radio francophone au Canada, CKAC
a été lancée par le quotidien québécois La Presse en 1922. Mais la concentration prend des formes plus
complexes en raison de facteurs technologiques et économiques.
D’autres notions sont abordées. Celle de qualité de l’information est considérée comme peu étayée.
Elle est présentée comme souvent associée à d’autres notions comme le pluralisme, la pluralité et la
diversité. Ainsi, dans son sens le plus large, le critère de diversité renverrait à la reproduction de
l’ensemble des opinions présentes dans la société, de toutes les tendances politiques, religieuses ou
diéologiques ainsi que les idées et les valeurs de toutes les classes sociales et de toutes les
communautés, qu’elles soient définies sur une base géographique ou culturelle. Selon un comité
d’experts européens (cité par W.A. Meier et J. Trappel, « Media Concentration and the Public
Interest », dans Media Policy: Convergence, Concentration & Commerce, McQuail, D. et Siune, K.
(dir.), 1998), la diversité peut être mesurée en fonction de quatre critères :
(1) l’existence d’une pluralité́ de médias autonomes et indépendants ;
(2) la variété des genres de médias et de contenus disponibles au public (diversité de choix) ; (3) la
possibilité pour les différents groupes sociaux de s’adresser au public par le biais des médias ;
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(4) la variété des formats qui sont offerts (reportages, dépêches, nouvelles, chroniques, éditoriaux, etc.
dans le cas de l’information). À props de qualité, l’auteure du rapport parle d’objectivité, d’impartialité,
d’équité et de diversité, diversité des formes, des genres, des traitements, diversité des médias, diversité
des points de vue. Soit autant de définitions qui renvoient à différents niveaux d’analyse. Elle
s’empresse d’ajouter que les effets ne sont pas systématiques. La multiplication des titres ne garantit
pas pour autant la diversiteé des genres et n’entraîne pas non plus la pluralité des opinions. De la même
manière, les regroupements d’entreprises peuvent ne pas entraîner automatiquement une diminution des
médias disponibles, une uniformisation des approches ou des traitements journalistiques ou encore une
réduction des points de vue, des analyses et des opinions. Tout est affaire de dosage, d’équilibre et, en
dernier recours, de politique d’entreprise.
Analyse de la littérature
Il faut tout d’abord rappeler que les recherches sont rares et souvent à dominante théorique. Il demeure
d’importants problèmes méthodologiques non résolus (P. Iosifides, « Methods of Measuring Media
Concentration », dans Media Culture and Society, Vol. 19, no 4, 1997). Il demeure difficile de
distinguer entre les effets de la concentration du capital et ceux de la commercialisation de
l’information et de la culture.
Cela dit, l’analyse de la littérature fait ressortir deux thèses principales qui s’opposent à propos des
conséquences de la concentration de la presse sur la qualité de l’information. La première hypothèse
stipule que la pratique du journalisme nécessite des ressources humaines et matérielles. Or, la
concentration permettrait d’augmenter les ressources disponibles et d’améliorer la qualité́ générale des
contenus, en particulier d’information. Une augmentation de la taille d’une entreprise serait donc de
nature à lui donner accès à de meilleures possibilités de financement et à un éventail d’activités élargi,
ce qui, par voie de conséquence, aurait pour effet d’améliorer les conditions de travail de ses employés,
en l’occurrence les journalistes.
La seconde thèse défend au contraire l’hypothèse que de tels regroupements d’entreprises tendent à
favoriser la mise en commun des ressources au nom des économies et de la rationalisation des activités,
ce qui aurait pour conséquence soit de réduire les effectifs soit d’alourdir la tâche des journalistes, qui
devraient alors être encore plus polyvalents. La recherche est avant tout celle de la rentabilisation plus
élevée des activités par la commercialisation de l’information. Pour diminuer les frais, le journal réduit
le nombre de journalistes, ferme des bureaux de correspondants, baisse les dépenses des reporters (pour
se rendre sur les lieux des événements), entre autres. Il en résulte une disparition au moins partielle du
journalisme sur le terrain.
Une majorité d’auteurs semblent plutôt partager ce deuxième point de vue mais on cite souvent le cas
de Gesca qui aurait considérablement renforcé le contenu du quotidien de Québec Le Soleil depuis son
rachat de celui-ci. La concentration horizontale de la presse contribuerait à améliorer la situation
financière des entreprises grâce aux économies d’échelle et aux revenus supplémentaires (Centre
d’études sur les médias, la concentration de la presse à l’ère de la convergence, 2001, p.24). Selon
d’autres sources, ce ne serait pas les changements en matière de propriété qui auraient un poids central
mais plutôt « l’économie de la production des nouvelles et de sa distribution », à savoir la
commercialisation qui envahit le monde de l’information (« Monopoly and Socialization », dans Press
Concentration and Monopoly, Picard, R.G., McCombs, M.E., Winter, J.P. et Lacy, S. (dir.), 1988, p.
118).
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Les informations manquent sur les effets réels des stratégies de rachat et de fusion. Toutefois, il
semblerait que si l’on se base exclusivement sur les chiffres disponibles, les avantages économiques de
la concentration sous forme de propriété croisée et de conglomérat ne sont pas manifestes. Ainsi, une
étude réalisée en Grande Bretagne sur la propriété croisée entre télévision et journaux démontrerait
l’absence de synergies et de profits supplémentaires escomptés (voir W.A. Meier et J. Trappel, « Media
Concentration and the Public Interest », dans Media Policy : Convergence, Concentration &
Commerce, McQuail, D., et Siune, K., (dir.), 1998, p. 40 et 57 et l’auteure de la recherche Gillian
Doyle : « The Economics of Monomedia and Cross-Media Expansion : A Study of the Case Favouring
Deregulation of TV and Newspaper Ownership in the U.K. » dans Journal of Cultural Economics, no
24, 2000, p. 23-24).
Une autre étude menée aux Etats-Unis par la FCC sur les positions éditoriales dans dix entreprises au
moment de la campagne présidentielle de 2000 semble indiquer que les positions adoptées par une
station de télévision et un journal appartenant au même groupe n’étaient pas nécessairement les mêmes
(D. Pritchard, Viewpoint Diversity in Cross-Owned Newspapers and Television Stations : A Study of
News Coverage of the 2000 Presidential Campaign, Department of Journalism and Mass
Communication, University of Wisconsin-Milwaukee, 2002). Il faut toutefois savoir que ce constat a
lieu auprès d’entreprises qui contribuent traditionnellement aux campagnes des deux grands partis
politiques.
Parmi les effets négatifs des stratégies de rachat, on peut se demander s’il n’y a pas l’éventuel coût de
certaines stratégies qui impliquent d’effectuer des coupes budgétaires dans certaines activités
traditionnelles. Il faudrait aussi tenir compte que dans le cas de groupes dont les industries culturelles
ne constituent que l’une des activités, celles-ci peuvent être considérées comme étant peu ou pas du
tout spécifiques. Enfin, il y a la question de la possible remise en cause de la distinction entre
information, divertissement, publicité et relations publiques.
Toujours aux ÉU, Bagdikian remarque que malgré une nette amélioration de la qualité de l’information
depuis la 2e guerre mondiale, grâce à la demande d’un public plus instruit, à une meilleure formation et
à une meilleure éthique des journalistes, l’information destinée au grand public sur des questions telles
que la concentration reste très fortement biaisée dans le sens des intérêts de l’industrie (The Media
Monopoly, 1983). Dans le cas de la fusion AOL/Time Warner, une analyse de 903 articles de journaux
et de magazines étatsuniens indique que seulement 6% d’entre eux citaient de véritables analystes
indépendants tels que des professeurs en gestion, finance ou marketing, et seulement 1% citaient des
professeurs en communications. « La couverture des médias sur la fusion ne passe pas le test de la
diversité », commentait David Demers (« Media Merger News Coverage Fails Diversity Test : Study
Shows Media Scholars Rarely Quoted », Global Media News, Vol. 2 no 2, 2000).
Alain Péricard ajoute que la majorité des ouvrages récents qui portent sur les propriétaires des médias
vont plutôt dans le sens de l’influence à travers des pressions discrètes exercées sur les journalistes afin
d’orienter l’information en fonction d’intérêts particuliers (par exemple à travers la nomination de
personnes à des postes clés). Il cite à ce sujet deux auteurs français, Jean-Jacques Bertholus, journaliste
au Nouvel Économiste, auteur de Les média-maîtres. Qui contrôle l’information ?, 2000 et Daniel
Junqua, ancien journaliste au Monde, auteur de La presse, le citoyen et l’argent, Gallimard, 2000.
Une autre recherche démontrerait la nature biaisée de la couverture de presse des débats sur la
concentration et la propriété des médias en 1996, peu avant l’adoption d’un projet de loi sur ces
questions, le Telecommunications Act. Ses auteurs, Martin Gilens et Craig Hertzman (Respectivement
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professeur de science politique et membre de l’Institute for Social and Policy Studies, Yale University,
et chercheur, Yale, « Corporate Ownership and News Bias : Newspaper Coverage of the 1996
Telecommunication Act », Journal of Politics, 2000) ont analysé 397 articles, publiés par 27 des plus
grands quotidiens du pays (L’échantillon comprenait certains titres prestigieux, entre autres, parmi les
journaux appartenant à des entreprises dont la propriété croisée incluait plusieurs chaînes de télévision,
et dont la couverture était nettement biaisée, le USA Today, le Boston Globe, le New York Times et le
San Francisco Chronicle) sur le projet de diminution des restrictions à la propriété des stations de
télévisions . Il en ressort que ces articles ont diffusé des versions différentes reflètant les intérêts de
leurs propriétaires. Premièrement, les journaux appartenant à des chaînes ayant des actifs dans la
télévision ont rapporté moins d’informations et ont moins informé le public sur les changements
proposés et sur les enjeux identifiés lors des débats. Deuxièmement, lorsque ces journaux ont diffusé de
l’information sur cette question, ils l’ont présenté en termes plus positifs que les autres journaux, dont
les propriétaires ne possédaient pas de stations de télévision.
Plus globalement, une forte majorité d’ouvrages et articles qui ont été écrits récemment sur des
propriétaires de médias laisseraient ainsi entendre que des pressions discrètes s’exercent sur les
journalistes pour orienter l’information en fonction d’intérêts particuliers (J.-J. Bertholus, journaliste au
Nouvel Économiste (France), Les média-maîtres. Qui contrôle l’information?, 2000; D. Junqua,
ancien journaliste au Monde (France), La presse, le citoyen et l’argent, Gallimard, 2000).
Des études ont été effectuées sur les liens entre le caractère monopoliste des entreprises de presse et la
dégradation des conditions de travail des professionnels de l’information. Les contraintes semblent
s’accentuer au fur et à mesure que la concentration crée des groupes plus gros et plus diversifiés. Une
pression nouvelle s’exercerait sur les journalistes au moment où la concentration prend la forme de
propriété croisée, comme c’est le cas actuellement dans les marchés anglophones et francophones de
Montréal (« Canada Duopoly », The Economist V. 359, 28 avril 2001.) Des pressions discrètes
s’exercent pour que les intérêts d’une entreprise d’un groupe de presse soient défendus dans le cadre de
l’information diffusée par les autres médias. Malgré les discours sur l’indépendance des rédactions,
l’étanchéité apparaît comme un mythe et, avec le temps, des canaux d’échange ou des « partenariats »
se développent entre les salles de presse de médias différents. Quant aux journalistes à l’emploi des
entreprises qui deviennent la propriété de conglomérats, leur insécurité s’accroît : au moment de la
fusion de Time Warner avec AOL, les discours de la nouvelle direction prétendaient que le secteur de
l’information ne serait pas touché. Or Neil Hickey (éditeur, Columbia Journalism Review (US). M.
Hickey est un observateur de la concentration des médias depuis près de 30 ans; voir « CNN After the
Merger », Columbia Journalism Review, août 2001, p. 28) signale que les économies prévues à CNN
ont signifié la disparition d’environ 400 emplois, soit près de 10% de l’ensemble du personnel de la
chaîne.
Et au Canada ?
La crainte est vive en région, de voir les médias locaux devenir de simples succursales qui servent de
sources d’informations locales à bon marché. Ainsi, Le Nouvelliste de Trois Rivières consacre environ
les deux tiers de son contenu à l’information régionale. En vertu d’une entente entre les quotidiens
propriété de Gesca, un protocole institutionnalisé d’échange de textes permet à un responsable à
Montréal de dresser une liste quotidienne d’articles régionaux susceptibles d’intéresser les autres
membres du groupe. La mise en commun des articles sur l’actualité régionale peut présenter un intérêt
pour les autres quotidiens de la chaîne. Les directions locales ont le choix d’insérer ou non ces textes
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dans leur menu quotidien et de choisir la version du réseau ou celle de la Presse canadienne, qui a
souvent le mérite de proposer des textes plus courts et plus faciles à éditer. Cette pratique se justifie
aussi du fait que les quotidiens régionaux ne produisent pas d’information nationale, sauf en des
circonstances exceptionnelles.
Mais c’est l’imposition des chroniques, rédigées par des auteurs de Montréal ou de Québec qui suscite
beaucoup plus de résistance de la part des intervenants locaux. La réalité locale est toujours difficile à
faire comprendre à l’entreprise centrale. En contrepartie, la population d’une région apprécierait
grandement les chroniqueurs locaux parce que ces derniers sont considérées comme plus proches des
préooccupations de leur public et voient souvent les choses sous le même angle.
Outre l’impact sur les conditions de travail et les pratiques journalistiques, les fusions auraient
également des conséquences sur la forme même des journaux, ainsi que sur l’information qu’ils
diffusent. Les journaux de Quebecor ont maintenant tous le même format, les titres sont souvent de
couleurs éclatantes, les photos sont de plus en plus importantes et ce, toujours aux dépens des textes; la
« recette » du Journal de Montréal semble avoir été implantée dans les hebdomadaires. Mais à
l’opposé, les quotidiens de Gesca, qui sont à présent répartis à travers le territoire québécois, à Québec,
Trois-Rivières, Sherbrooke, Gatineau, Granby et Saguenay, conservent tous leur style propre; ils sont
différents les uns des autres, dans leur contenu autant que dans leur présentation.
Quelques autres éléments d’information
Aux États-Unis, le système est gouverné par la conception typiquement libérale selon laquelle le
marché s’adapte de lui-même aux règles de la concurrence. En dépit d’une nette tendance à la
déréglementation qui s’affirme depuis quelques années, la Federal Communications Commission
reconnaît que la mise en place d’un marché concurrentiel nécessite une forme de réglementation. Elle
s’appuie sur l’idée que la diversité des points de vue (viewpoints diversity) ne peut exister sans une
diversité de propriété (ownership diversity ou outlet diversity).
Voir l’exposé de Louis Longpré.
[Ainsi, elle impose certaines restrictions à la propriété croisée des médias dans un même marché. Ces
restrictions s’appuient sur trois règles de base : Interdiction de posséder plusieurs médias
d’information (facilities) dans la même communauté ou région (duopoly). Interdiction de posséder
plusieurs stations de radio ou de télévision (broadcast facilities) peu importe où elles se situent
(multiple ownership). Interdiction à un propriétaire de posséder dans le même marché un journal et une
licence de télévision (cross-ownership) (T.B. Carter, J. Lushbrough Dee et H. L. Zuckman, Mass
Communication Law, 2000, p.453.). L’approche étatsunienne vise donc essentiellement la propriété
croisée et tend à protéger le public, à l’intérieur d’un marché donné, contre les visées monopolistiques
d’un propriétaire de médias ou d’une entreprise de presse existante. Toutefois les observateurs notent
plusieurs dérogations dans l’application de ces dispositions par la FCC, qu’elles soient le fait
d’entreprises particulièrement téméraires qui défient l’autorité (Tribune) ou en raison de droits acquis
(grandfathering clauses)].
Au Canada, ce sont les dispositions de la Loi sur la concurrence qui servent de rempart contre les
acquisitions jugées abusives. Par ailleurs le CRTC, qui intervient lors du renouvellement ou du transfert
des permis en radiodiffusion, se manifeste lors de regroupements d’entreprises de radiodiffusion (Voir
P. Trudel, « Les mécanismes afin d’assurer l’autonomie éditoriale en situation de propriété mixte »,
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décembre 2000.). Plusieurs interventions récentes du CRTC ont cherché à atténuer les inconvénients
résultant de la diminution de la concurrence et du nombre de voix, par suite de transactions entraînant
la fusion d’entreprises médiatiques. Le conseil a veillé à mettre en place des mesures susceptibles de
réconcilier la propriété mixte avec les exigences de la liberté éditoriale et de l’autonomie des salles de
nouvelles relevant d’une même entreprise, autres que la seule volonté du propriétaire (voir Pierre
Trudel). La priorité du CRTC serait que dans un contexte de développement de la propriété mixte, les
décisions relatives au choix des informations, à l’angle de traitement de même que la décision de les
diffuser ne seront pas assujetties à l’influence de ceux qui possèdent la propriété des entreprises. Le
souci est d’assurer que les professionnels de l’information effectuent les choix éditoriaux qui soient
faits uniquement selon des critères professionnels. Il faut plutôt trouver des moyens ciblés propres à
garantir l’exercice de la liberté éditoriale des entreprises sans pour autant rendre impossibles les
synergies n’affectant pas la liberté éditoriale (voir encore Trudel, p.11-12).
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Synthèse du rapport intermédiaire du Comité sénatorial permanent des transports
et des communications, Rapport intermédiaire sur les médias canadiens
d’information, avril 2004.
Présentation rapide du rapport
L’objectif consiste ici à faire le portrait des médias d’information au Canada, à la fois à partir de
données chiffrées disponibles en avril 2003 et en tenant compte de témoignages que le comité a
recueillis au cours de la première partie de ses travaux. Étant donné que les travaux ne sont pas
terminés, il ne s’agit que d’un rapport intérimaire, qui ne renferme donc ni conclusions ni
recommandations.
L’état de la concentration des médias au Canada
Les quotidiens d’intérêt général : 112 (1900), 138 (1913), 98 (1953), 110 (1985), entre 100 et 110
actuellement. Liste des groupes propriétaires et part de marché au fil des années (2003 : 28,5% pour
Canwest, 21% pour Quebecor, 13,8% pour Torstar et 9,2% pour Gesca, soit 72,5% pour quatre
entreprises). En 2002, le tirage hebdomadaire des publications de Canwest a atteint 9 293 037 et celui
de Quebecor 6 855 134.
Les périodiques : Rogers Media Publishing détient 66 titres. Suivent Business Information Group avec
38 titres et Transcontinental Media, avec 34. Le total est de 2027. Ces données restent très (trop)
partielles.
Les radios : le nombre de stations de radio privées commerciales au Canada s’élevait à 525 en 2002.
Dix grands groupes (dont Corus, Rogers, Standard Broadcasting, Astral Radio, CHUM et Newcap
Broadcasting sont les cinq premiers) se partagent une part croissante de ces stations : la proportion de
stations de radio commerciales au Canada appartenant à ces groupes est passée d’un peu plus de 50 p.
100 en 2000 à 63 p. 100 en 2002.
Les télévisions : les cinq principaux groupes propriétaires se partageaient 68% de toutes les stations de
télévision privées en 2000, une augmentation de près de 40% par rapport à 1970. Afin de contrer la
fragmentation de l’auditoire, la majorité des radiodiffuseurs conventionnels ont cherché à obtenir ou
ont acquis des services spécialisés au cours des dernières annees. Ainsi, la société mère de CTV,
BellGlobemedia, possède maintenant huit chaînes spécialisées et plusieurs chaînes de télévision
numérique.
Depuis 1999, près de la moitié de toutes les émissions de télévision regardées par les Canadiens en
Colombie-Britannique, dans les Prairies, en Ontario, dans la région de l’Atlantique et dans les
Territoires étaient offertes par des radiodiffuseurs canadiens. En 2002, les principaux groupes
propriétaires, d’après le pourcentage des parts d’écoute, étaient, dans l’ordre, BellGlobemedia
(19,2%), CanWest Media (14,7%) et CHUM (7,6%). Au Québec, on peut observer également plusieurs
tendances intéressantes. Au cours de l’année 2002, près de 71% de toutes les émissions regardées au
Québec étaient diffusées par des radiodiffuseurs canadiens. Le principal groupe propriétaire était
Quebecor, avec des parts d’écoute de 30,7%, suivi de Radio-Canada/CBC et de Cogeco, avec des parts
d’écoute de 15,2% et de 14,2% respectivement. En résumé, les trois grands groupes propriétaires à
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l’extérieur du Québec avaient un auditoire total de 42% en 2002, tandis que leurs équivalents au
Québec se partageaient un auditoire total d’un peu plus de 60%.
Les tendances générales selon le rapport
L’étude des types de médias détenus par les principales entreprises médiatiques permet de mieux
comprendre la concentration des médias canadiens. Quebecor est le leader incontesté, avec des avoirs
dans presque tous les secteurs. Tout juste derrière se trouve BCE, avec des avoirs importants dans la
plupart des secteurs, sauf la radio et la télévision par câble. À l’autre extrémité, on retrouve des
groupes dont les avoirs canadiens se concentrent davantage sur un seul média, comme les publications
dans le cas de Transcontinental et de Power Corp, et la radiodiffusion dans le cas d’Astral, de CHUM,
de Corus et de Craig. Il faut souligner que plusieurs entreprises, notamment BCE, Cogeco, Corus,
Craig, Quebecor, Rogers et Shaw, exploitent également des fournisseurs Internet.
Si on raisonne maintenant en termes de marché local comme aux ÉU, on constate que d’après le
rapport et si on tient compte des parts de marché des quotidiens et des journaux télévisés à l’heure du
souper sur neuf marchés, mis à part les marchés de Regina et de Saskatoon, ainsi que le marché
anglophone de Montréal, qui n’ont qu’un seul quotidien, les marchés de Vancouver et de Québec, de
même que le marché francophone de Montréal, sont ceux où certains propriétaires jouissent de la plus
grande part du marché due à la propriété croisée. La domination de la part du marché de CanWest à
Vancouver est due au fait que cette entreprise détient la chaîne de télévision locale la plus regardée
ainsi que les deux quotidiens de la ville. La domination du marché francophone de Montréal et du
marché de Québec par Quebecor s’explique par le fait que l’entreprise possède le quotidien le plus
populaire et la chaîne de télévision locale la plus regardée dans chacune des deux villes.
Mais il n’y a toutefois pas unanimité sur les tendances. Charles Dalfen, président du CRTC, a renvoyé
le Comité au Rapport de surveillance de la politique de radiodiffusion préparé par son organisme :
[...] nous avons fait une recherche sur la concentration des médias dans les quatre principaux marchés
au Canada durant une période de dix ans, de 1991 à 2001. Dans chaque cas, dans presque chaque
médium, vous constaterez qu'il y a un grand nombre de propriétaires et un grand nombre de sources
journalistiques et de radiodiffusion sur cette période de dix ans. C'est peut-être contraire aux idées
reçues, mais c'est effectivement le cas quand on scrute la question. (25 septembre 2003).
Il faut aussi souligner le fait que dans le cadre de la propriété des médias canadiens, les actions avec
droit de vote de la plupart des grandes entreprises sont détenues par un nombre restreint de personnes,
souvent par le fondateur de l’entreprise ou les membres de sa famille. À l’été 2003, sur les douze plus
grandes entreprises médiatiques au Canada, seules les actions de BCE, qui a acquis des entreprises
médiatiques dans le cadre de sa stratégie en 2000, sont détenues par un grand nombre d’actionnaires.
La seule autre entreprise qui se démarque est Torstar, qui fonctionne selon un contrat de fiducie.
Les membres du comité se sont aussi interrogés sur le lieu où travaillent les journalistes. En
conséquence, ils ont demandé au Centre d’études sur les médias (CEM) d’examiner les quotidiens, les
journaux locaux, la radio et la télévision dans les marchés de Vancouver et de Montréal. Pour le
marché télévisuel, c’est le marché francophone de Montréal qui compte le plus grand nombre de
journalistes, avec 150 journalistes dans trois chaînes différentes, donc une moyenne de 50 par chaîne.
C’est également le marché francophone de Montréal qui compte le plus de journalistes dans les
quotidiens, avec 351 dans trois grands quotidiens, donc une moyenne de 117 par journal. Quant au
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marché radiophonique, c’est le marché anglophone de Montréal qui domine de peu, avec 62
journalistes dans six stations de radio, donc une moyenne de 10 par station. Pour ce qui est du marché
de l’hebdomadaire local, c’est Vancouver qui se démarque des autres avec 113 journalistes dans 25
journaux locaux, donc une moyenne de 5 par hebdomadaire. En résumé, les journaux quotidiens sont
les plus gros employeurs de journalistes dans les trois marchés, avec un personnel moyen qui excède
de beaucoup le personnel des salles de nouvelles des chaînes de télévision. Ce n’est pas surprenant,
compte tenu que le volume de nouvelles dans un journal moyen excède de loin celui présenté dans les
bulletins télévisés. Ces tableaux montrent également que le nombre moyen de journalistes qui
travaillent dans les stations de télévision locales et les journaux quotidiens locaux des marchés
anglophones et francophones de Montréal et du marché de Vancouver est beaucoup plus élevé que
dans les stations de radio et les journaux locaux.
Une étude a aussi été commandée au Carleton University Survey Centre sur les changements dans les
méthodes de travail (source, type d’articles, longueur, endroit, angle) dans quatre quotidiens canadiens
entre 1993, 1998 et 2003 mais les premières constatations invitent à faire de nouvelles recherches.
Les effets sur le contenu à partir de témoignages
En 1998, une modification à la politique du CRTC sur la radio a permis une plus grande concentration
sur les marchés, lorsque les restrictions s’appliquant aux licences multiples ont été assouplies, mais peu
de témoins ont jugé que c’était un problème. Comme l’a dit John P. Hayes, président de Corus Radio :
Cette modification a été effectuée en vue de favoriser l'émergence d'une industrie de la radiodiffusion
forte, en bonne santé financière et bien organisée dans ce pays. [...] Jusqu'à maintenant, cette nouvelle
politique a donné de très bons résultats. Elle a amélioré la situation financière des stations de radio
commerciales de ce pays en permettant aux propriétaires de plusieurs licences de radiodiffusion de
rendre leur exploitation plus efficace sur le plan administratif. Elle a également favorisé une plus
grande diversité dans nos stations, amélioré nos milieux de travail ainsi que les compétences de nos
employes. (4 novembre 2003)
CanWest Global est souvent citée en exemple pour illustrer la notion de conformisme idéologique.
Plusieurs témoins ont fait mention devant le Comité des politiques rédactionnelles observées dans les
journaux appartenant à cette chaîne, et surtout de la tentative d’adoption d’une politique rédactionnelle
nationale, ainsi que de la prédominance de CanWest Global dans le marché de Vancouver, où la société
est propriétaire des deux quotidiens locaux et de la station de télévision locale la plus regardée.
Lise Lareau, présidente de la Guilde canadienne des médias, a tenu ces propos : [...] beaucoup de nos
employés doivent travailler pour bien des médias et présenter la même nouvelle à la radio, à la
télévision, dans les journaux ou ailleurs. Vous en avez entendu parler. C’est inquiétant parce que la
charge de travail est ainsi plus lourde et plus stressante, et nous cherchons à régler la question dans un
contexte syndical conventionnel. Cependant, il est certain que cette situation fait en sorte qu’il y a
moins de points de vue exprimés sur une question. C’est ce qui se passe sur ces marchés où la
propriété croisée existe. (9 mars 2004).
Michael OReilly, président de la PWAC (Periodical Writers Association of Canada) estime que les
propriétaires de journaux, de magazines et des services radiophoniques et télévisuels sont de plus en
plus exigeants envers les rédacteurs et ils les rétribuent de moins en moins. Les grands éditeurs comme
CanWest, Transcontinental, Quebecor/Sun Media, Rogers et Thomson exigent plus d’articles, plus de
11
contenu et plus de droits, mais ils paient moins pour ces services. (9 mars 2004). Des représentants de
la GNT Canada ont relevé plusieurs problèmes découlant des changements survenus dans l’industrie
des journaux, notamment la centralisation qui s’est opérée au sein de CanWest Global.
Lois Kirkup, présidente de la section de la Guilde à Ottawa, a observé ce qui suit : La centralisation des
emplois ne s'est pas restreinte à ces services. En fait, elle n'a pas tardé à viser la salle de presse [...] Il
en a découlé une augmentation considérable de la charge de travail des employés qui restaient en
poste. Parfois, nous étions aux prises avec une grave pénurie de reporteurs pour couvrir les actualités
locales importantes. Certains directeurs de la rédaction sont maintenant responsables de plus d'une
section, tandis que nos réviseurs de textes sont gravement surtaxés. Les employés sont démoralisés et
stressés. (11 mars 2004)
Jan Ravensbergen, président de la section montréalaise de la Guilde à Montréal, a ajouté ceci : Cet
équilibre est influencé indirectement par le nombre d'employés. Mme Kirkup l'a bien dit et nous le
constatons chaque jour. Il y a des nouvelles dont on ne parle pas. Des sujets moins importants sont
parfois mis de côté parce qu'il n'y a personne pour les couvrir. Il y a des nouvelles qui passent
inaperçues parce qu'il n'y a personne sur place. Il y en cependant d'autres qui peuvent exiger un plus
plus de journalisme d'enquête. Il n'est plus beaucoup possible d'en faire à CanWest. (11 mars 2004).
MM. Sauvageau et Caplan sont l’un et l’autre d’avis que la concentration représente un grave
problème, qui a des répercussions sur toute la profession journalistique. « Je pense qu'il faut trouver
des solutions modulées, selon les marchés », a fait observer le premier, avant d’ajouter plus tard qu’il «
ne faut surtout pas regarder les médias comme des silos indépendants, mais il faut regarder dans un
marché ou dans un lieu donné l'ensemble des médias » (1 er mai 2003).
Un témoin a cité la une que Le Journal de Montréal a accordé à Star Académie comme un problème
éventuel de la promotion croisée, c’est-à-dire la confusion entre les nouvelles et le marketing. Selon
Florian Sauvageau : Les tendances fondamentales font de la concentration de la promotion croisée et
que toutes les entreprises d'un même groupe travaillent évidemment pour le succès du groupe. Dans le
cas de Quebecor, on a fait avec Star Académie des nouvelles qui sont quasiment devenues plus
importantes que la guerre en Irak et les élections au Québec. C'est assez extraordinaire comme
phénomène. (1 er mai 2003)
M. Sauvageau était critique, mais d’autres témoins estimaient que Star Académie avait été profitable.
M. Charles Dalfen a déclaré : « nous estimons que, globalement, c'est [la promotion croisée] un
élément positif » (25 septembre 2003). Comme on pouvait s’y attendre, M. Lavoie a été très positif à
ce sujet : L'étanchéité des salles de rédaction n'a rien à voir avec l'espace publicitaire utilisé d'un média
à l'autre [...] Nos médias poussent avec leur capacité énorme, nous sommes fiers de cette capacité.
Quand nos médias poussent des artistes et que ces artistes vendent 565 000 disques. (28 octobre 2003)
Même dans les cas où les avantages d’une transaction de propriété croisée surpassent ses
inconvénients, le CRTC essaie de protéger la diversité des sources de nouvelles et d’informations
disponibles au public. M. Dalfen a énuméré les exigences que le CRTC impose pour le renouvellement
des licences de CTV Inc. et de CanWest Global :
• conserver pour leurs opérations de télévision des structures de présentation et de gestion des nouvelles
séparées et indépendantes qui soient distinctes de celles de tous leurs journaux affiliés;
12
• que les décisions ayant trait au contenu et à la présentation des nouvelles soient prises uniquement par
la direction des nouvelles pour la télévision;
• que les directeurs des nouvelles ne siègent à aucun comité de rédaction de leurs journaux affiliéss et
vice versa;
• mettre sur pied un comité de surveillance chargé de traiter toutes les plaintes;
• informer annuellement le Conseil de toutes les plaintes reçues.
À l’opposé, certains témoins estiment même qu’il n’y a pas de concentration du capital. Anne
Kothawala, présidente de l’Association canadienne des journaux, a présenté au Comité des données
qui, selon elle :
[...] démontrent clairement que l'industrie canadienne des journaux est plus
diversifiée et moins concentrée qu'elle ne l'était il y a 10 ans. En 1994, il y avait 10 grands
propriétaires. En 2003, il y en a 15. Quoi qu'il en soit, la concentration de la propriété dans le secteur
de la presse écrite ne représente pas vraiment une source d'inquiétude dans un marché où les
consommateurs ont maintenant accès à des sources d’information multiples et variées (10 juin 2003).
Ils mettent plutôt l’accent sur la multiplication des sources d’informations. Philip B. Lind, viceprésident de Rogers Communications Inc., estime ainsi qu’il n’y a jamais eu autant de sources de
nouvelles et d’information pour les Canadiens. Les gens de Toronto peuvent lire le Toronto Star, le
Globe and Mail et le National Post, et peuvent en outre regarder des centaines de canaux de télévision,
lire des centaines de magazines et d’innombrables journaux communautaires et consulter un nombre
presque illimité de sites Web. Le volume de nouvelles et d’informations de sources diverses auxquelles
les Canadiens ont accès est plus important qu’il ne l’a jamais été. Avec la télévision par satellite, même
les Canadiens habitant dans les parties les plus lointaines du pays peuvent capter des centaines de
chaînes du Canada et d’ailleurs dans le monde. Il précise enfin qu’internet est disponible presque
partout.
Le rôle des différentes instances de réglementation
Enfin, le rapport fait le point sur les instances de réglementation. Au Canada, les entreprises
médiatiques, comme toutes les entreprises commerciales au Canada, sont soumises à la Loi sur la
concurrence, qui est la responsabilité du Bureau de la concurrence. Les radiodiffuseurs sont aussi
assujettis à la Loi sur la radiodiffusion, qui est la responsabilité du CRTC. Les journaux sont assujettis
à la Loi sur la concurrence et sont touchés indirectement par la Loi sur la radiodiffusion lors de
transactions de propriété croisée avec des radiodiffuseurs. Les entreprises médiatiques —
radiodiffuseurs et médias imprimés — sont traitées différemment des autres entreprises au Canada, car
l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés leur garantit « la liberté de la presse et des
autres moyens de communication ». Le Comité a entendu Gaston Jorré, commissaire intérimaire du
Bureau de la concurrence, et Charles Dalfen, président du CRTC.
M. Jorré a remarqué que la diversité des voix est un enjeu important dans une démocratie, mais que la
Loi sur la concurrence ne s’en préoccupait pas directement. La Loi se limite aux aspects économiques
et commerciaux, même si elle peut avoir un impact indirect sur la diversité des voix. Il a dit que :
Parfois, pour essayer de modifier une transaction afin que des questions de concurrence ne soient pas
soulevées ou de mettre un terme à cette transaction, nous pouvons accessoirement maintenir un nombre
de propriétaires supérieur à ce qui serait nécessaire. Accessoirement, cela peut exercer un effet sur la
diversité. (23 septembre 2003) Il a suggéré que le Bureau de la concurrence continue de s’occuper des
aspects économiques et que le CRTC traite des aspects culturels, notamment de la diversité des voix.
13
Le Bureau de la concurrence peut par exemple se mêler des transactions de propriété croisée Gaston
Jorré a expliqué que le Bureau met l’accent sur les aspects économiques; pour les transactions touchant
les médias, cela se réduit souvent à examiner l’impact sur les marchés de la publicité. Par conséquent,
dans le cas des transactions de propriété croisée, le Bureau s’inquiète, en général seulement si les
marchés de la publicité des médias concernés se chevauchent.
M. Jorré a souligné que la Loi sur la concurrence et la Loi sur la radiodiffusion s’appliquent toutes
deux aux industries de la radio et de la télévision, situation qui a provoqué des conflits de compétence
et qui a mené, à la fin des années 1990, à une tentative pour aplanir les difficultés entre le Bureau et le
CRTC. En 1999, le Bureau de la concurrence et le CRTC ont signe un protocole d'entente qui décrit les
pouvoirs détenus par le CRTC en vertu de la Loi sur la radiodiffusion de même que les pouvoirs du
Bureau en ce qui a trait aux secteurs des télécommunications et de la radiodiffusion. Le document porte
sur divers enjeux relatifs à la concurrence, dont l’accès, l’examen des fusions, les moyens pour
préserver la concurrence et différentes pratiques commerciales. Le document traite exclusivement
d’enjeux relatifs à la concurrence. (23 septembre 2003)
Le document, surnommé l’interface,
souligne qu’il y a compétence parallèle dans les questions de fusion.
Charles Dalfen, président du CRTC, a cité l’interface pour tenter de démêler les rôles du CRTC et du
Bureau de la concurrence face aux radiodiffuseurs. Aux termes de la Loi sur la radiodiffusion,
l’approbation préalable du Conseil est nécessaire pour les changements de contrôle ou de propriété des
entreprises titulaires de licences. Alors que l’examen du Bureau en matière de fusionnements porte
exclusivement sur les effets de la concurrence, l’étude du Conseil prend en considération une gamme
plus vaste d'objectifs définis par la loi. Elle peut notamment aborder des questions de concurrence dans
le but de réaliser la politique énoncée dans la loi. En ce qui concerne les marchés de la radiodiffusion et
de la télédiffusion, le Bureau se préoccupe principalement de l’incidence sur les marchés de la
publicité et, en ce qui concerne les entreprises de distribution de services de radiodiffusion, des choix
du consommateur et des prix qui lui sont offerts. Les préoccupations du Conseil englobent celles du
Bureau, mais son étude des marchés de la publicité a trait à la capacité des radiodiffuseurs de réaliser
les objectifs énoncés dans la loi. (25 septembre 2003). L’interface n’est pas parvenue à éviter un conflit
ces dernières années au sujet de la transaction d’Astral-Télémédia touchant le transfert de propriété de
stations de radio. Le Bureau de la concurrence, selon M. Jorré, croit que « le marché devrait décider des
entreprises qui survivront » (23 septembre 2003).
Le CRTC, pour sa part, tient compte de la survie commerciale lors de ses délibérations. Comme M.
Dalfen l’a dit : [...] il m’apparaît inconcevable que nous puissions accorder de nouvelles licences [...]
sans pouvoir évaluer la capacité du marché d’absorber de nouvelles stations, sans pouvoir examiner la
nature du marché. [...] la question centrale que nous examinons dans l’étude d’une demande de
nouvelle licence n’est pas de savoir qui nous devrions choisir, mais plutôt si le marché peut absorber
un, deux ou trois nouveaux titulaires de licence. (25 septembre 2003) Lorsqu’on lui a demandé
comment d’autres pays s’efforcent de concilier les divergences de leur politique sur la concurrence et
de leur politique sur les médias, M. Jorré a répondu : Je peux vous dire que dans les grands pays, les
autorités en matière de concurrence sont dans la même situation que nous. Par exemple, aux États-Unis,
la Federal Trade Commission et la division antitrust du département de la Justice ont examiné les
fusions des médias sous le même angle que nous. En outre, c'est la Federal Communications
Commission qui, je crois, applique certaines règles qui définissent les limites de la propriété des
médias de radiodiffusion, etc.
14
Il resort des commentaires de MM. Jorré et Dalfen que, ni le Bureau de la concurrence, ni le CRTC ne
se préoccupent directement du problème « des nouvelles » dans les journaux. Le Bureau de la
concurrence se préoccupe des marchés (de la publicité dans le cas qui nous intéresse). Le mandat du
CRTC vise le système de radiodiffusion et ne touche qu’indirectement les journaux lorsque celui-ci
examine des fusions ou des ventes qui impliquent un radioddiffuseur qui possède également des
journaux.
Les membres du Comité rappellent encore que le Canada a déjà eu, pendant trois ans, une politique sur
la propriété croisée. C’est en effet en 1982 que le gouvernement fédéral a donné au CRTC des
instructions lui interdisant de délivrer ou de renouveler une licence à un requérant qui était en réalité
dirigé, directement ou indirectement, par le propriétaire d’un quotidien dont le tirage couvrait une
grande région desservie (ou qui serait desservie) par le radiodiffuseur. Ces instructions ont toutefois eté
retirées en 1985. Il n’en reste pas moins que pour les membres du Comité, la majorité des témoins
estiment que la propriété croisée constitue l’enjeu central.
Mais pour Charles Dalphen, si le retour d’un règlement sur la propriété privée aurait le mérite d’être
clair, il y a des cas où les avantages de la propriété croisée l’emportent globalement à cause des
synergies. Si je prends du recul et que j’examine l’ensemble de la politique de la radiodiffusion, je ne
réclamerais pas une telle directive, mais nous pourrions nous en accommoder si telle était la volonté du
gouvernement. (25 septembre 2003).
15
Éléments de synthèse du rapport La propriété croisée des médias au Canada,
rapport présenté au CRTC par le CEM, 2001
Présentation rapide du rapport
La propriété croisée est devenu un sujet important au Canada suite à trois transactions importantes :
l’achat de journaux quotidiens de Hollinger par le groupe CanWest, propriétaire du réseau de télévision
Global, l’alliance entre le groupe Thomson, propriétaire du Globe and Mail, et BCE, le nouveau
propriétaire du réseau CTV et, enfin, l’acquisition du groupe Vidéotron (TVA) par Quebecor. C’est
dans ce contexte que le CEM a fait ce rapport.
Les stratégies des entreprises
Les auteurs du rapport estiment que dans le cadre de la quête de la convergence technologique qui rend
envisageable un hypothétique marché du multimédia sur la plate-forme Internet, les entreprises se
retrouvent dans une situation où aucun ne dispose de tous les éléments à l’interne pour mettre au point
une offre satisfaisante. L’acquisition de ces éléments ne peut se donc faire théoriquement qu’en
recourant au marché ou aux alliances ou, enfin, aux fusions et aux acquisitions. Théoriquement on
s’attendrait, à ce stade de développement du marché du multimédia, à ce que les acteurs recourent aux
alliances comme forme d’intégration. Selon Lambe et Spekman (1997) et d’autres auteurs, la présence
de discontinuités technologiques et industrielles est favorable dans un premier stade aux alliances qui
permettent d’explorer dans des contextes de grande incertitude les occasions d’affaires et de définir
de nouveaux produits au moment où l’on explore les potentialités et les fonctionnalités du nouveau
systéme. L’alliance offre la flexibilité, le cadre d’apprentissage et permet le partage de risque.
En conséquence, la vague de fusions et d’acquisitions de 2000 semble tenir à des facteurs déterminants
et à certains facteurs circonstanciels. Parmi les facteurs déerminants, on peut mentionner le fait de
vouloir s’approprier la rente anticipée sur le contenu, les contraintes d’intégration du contenu à une
plate-forme et à un modèle d’affaire et, enfin, la préférence pour des gains de parts de marché, même
au prix d’un certain cannibalisme plutôt que d’une concurrence. Parmi les facteurs circonstanciels,
il y a la présence d’acteurs qui disposent d’importantes liquidités pour financer des acquisitions ou qui
bénéficient d’un tel multiplicateur sur le marché financier qu’ils peuvent faire des acquisitions à bon
compte. Enfin il apparaît certain que le mouvement amorcé de fusions et d’acquisitions engendre un
élan où chaque acteur sent le besoin de suivre au cas où les autres auraient raison (effet mouton de
Panurge) ou de se prémunir contre le risque de retrait du marché de tout partenaire intéressant puisqu’il
aurait été acquis.
Les firmes canadiennes semblent obéir à trois logiques, que leur position de départ soit dans l’industrie
des médias (contenu) ou dans le transport de l’information. La première logique est d’établir une
position dominante soit dans les médias soit dans le transport de l’information. Pour une firme active
dans le transport de l’information, cela signifie développer un réseau pancanadien à large bande avec
des solutions à bande large dans la boucle locale. Pour une firme de média, cela signifie rassembler des
contenus riches et variés.
La seconde logique consiste à construire une synergie entre le transport de l’information et le contenu.
Cette synergie pourrait être obtenue par alliance ou par fusion ou acquisition. Les facteurs
16
déterminants de la convergence amplifiés par les facteurs circonstanciels ont favorisé les fusions et les
acquisitions.
La troisième logique est celle du positionnement dans la régionalisation (nord-américaine ou « tout
Amérique ») et la mondialisation des marchés de la part des entreprises d’une petite économie. Une
firme canadienne a tout avantage à se positionner comme un joueur dominant au Canada si elle veut
avoir accès à des partenaires étrangers attrayants et espérer jouer un rôle intéressant dans les alliances
futures au niveau international. La position du partenaire dans une alliance est fonction de ce qu’il peut
apporter à une alliance.
Les auteurs se posent à la suite la question suivante : Existe-t-il un lien entre la pluralité des
propriétaires des organes médiatiques et la diversité des contenus offerts ? Si ce lien existe, est-il le
facteur déterminant de la diversité des contenus, sa causa causans, ou d’autres facteurs sont-ils tout
autant importants ? Existe-t-il un lien entre l’évolution de la propriété des médias, la concentration
accélérée à laquelle nous avons assisté, dont la propriété croisée ne constitue qu’un aspect, et celle des
contenus ?
Les politiques en matière de propriété croisée
On apprends dans le rapport que le CRTC a souvent avalisé sinon imposé des normes
autoréglementaires au moyen de l’octroi ou de renouvellement des licences (TRUDEL, Pierre et
ABRAN, France, Droit de la radio et de la télévision, Montréal, éditions Thémis, 1991). En matière de
propriété croisée ou mixte, le CRTC, lorsqu’il a autorisé des fusions, a exigé que des codes de
déontologie ou des mécanismes de séparation des salles de nouvelles soient mis en place afin
d’assurer que la diversité des points de vue soit préservée. Récemment, il a imposé la mise sur pied
d’un comité externe d’examen des plaintes lors de l’achat de TQS par Quebecor ().
Historiquement, la démarche canadienne visant au maintien de la diversité s’est articulée, lorsque des
transferts de propriété des entreprises de radiodiffusion ont été en cause, autour de l’examen de la
capacité du titulaire de la licence de maintenir les services déjà offerts et sur le fait que les
modifications proposées servent avant tout l’intérêt public, ce qui implique la démonstration
d’avantages significatifs (CRTC, 1992-42 et 1993-68 Évaluation des répercussions de l’application du
critère des avantages au moment du transfert de propriété ou de contrôle d’entreprises de radiodiffusion
et Application du critère des avantages au moment du transfert de propriété ou de contrôle d’entreprises
de radiodiffusion).
Selon France Abran (ABRAN, France, « L’application de la loi sur la radiodiffusion par le CRTC :
Radiographie d’un processus d’expression de l’intérêt public », dans DERIEUX, Emmanuel et Pierre
TRUDEL, L’intérêt public. Principe du droit de la Communication, Paris, Victoire éditions, 1996,
p.135-145.), dans son examen de l’intérêt public en matière de diversité, le CRTC s’est toujours
préoccupé de la réduction possible du nombre de sources d’information indépendantes. Si le CRTC
s’est montré d’abord réticent à la constitution de groupes multimédias, il a adouci de façon marquée
son attitude par la suite (TRUDEL, Pierre et France ABRAN, Droit de la radio et de la télévision,
Montréal, éditions Thémis, 1991, p. 381-388). En fait, depuis les années 1980, le Conseil a avalisé les
transferts de propriété dans la mesure où, outre le critère des avantages significatifs, ses membres ont
été convaincus qu’un degré de diversité dans les sources d’information serait maintenu. La réalité
sociale, économique et géographique de certains marchés pouvait même justifier des entorses à ce
17
dernier principe (idem, p. 383). Dans l’ensemble toutefois, la propriété mixte ne pose pas un problème
en soi dans la mesure où il continue « d’exister, dans une région donnée, un éventail d’opinions,
d’information et d’idées émanant de sources de radiodiffusion et d’autres sources d’information qui
soit suffisant pour garantir que les résidents aient accès à des points de vue différents sur des questions
d’intérêt public » (CRTC, Décision 89-766, 28 septembre 1989, Selkirk Communications Limited-MH
Acquisition Inc, p. 4.).
Toutefois, il semble bien qu’aucune analyse critique d’ensemble n’a été réalisée sur l’efficacité
réelle de ces mécanismes. Le cas récent du comité de surveillance sur l’indépendance des salles de
nouvelles de TQS soulève cependant des doutes sérieux à ce sujet. En effet, la plainte déposée par le
syndicat des journalistes du Journal de Montréal concernant l’intervention répétée de la direction du
journal dans sa couverture des activités de TQS a dû être rejetée par le comité, dans la mesure où la
plainte concernait le fonctionnement de la salle de nouvelles du journal et non celui de la station de
télévision (COMITÉ DE SURVEILLANCE SUR L’INDÉPENDANCE DES SALLES DE
NOUVELLES DE TQS INC., Décision, 25 octobre 1999, 6 p.).
En fait, les décisions politiques au Canada semblent avoir hésiter entre deux options pour traiter de la
propriété croisée ou multiple des médias. La première voie, incarnée par le rapport de la commission
spéciale du Sénat canadien en 1970, était favorable à l’intervention de l’État et proposait de juger au
cas par cas les situations de concentration de la propriété et de propriété croisée des médias. Pour le
comité présidé par le sénateur Davey, « il n’y a et ne peut y avoir aucun critère général pour
déterminer une fois pour toutes quelle forme de concentration de la propriété est contraire à l’intérêt
public et quelle forme lui est favorable » (SÉNAT CANADIEN, RAPPORT DU COMITÉ SPÉCIAL
SUR LES MASS MÉDIA, vol. 1, Le miroir équivoque, Imprimeur de la Reine, 1970, 295 p., p.
78). Le comité proposait toutefois la mise sur pied d’un conseil de surveillance de la propriété de la
presse qui pourrait trancher les cas de fusion. Il devrait examiner ces propositions en partant d’un
principe général selon lequel toute concentration serait considérée comme « nuisible, à moins de
preuve contraire » (idem, p. 79).
La deuxième voie aurait plutôt été incarnée par le rapport de la Commission royale sur les quotidiens
(commission Kent) et celui du Groupe de travail sur la politique de radiodiffusion (groupe SauvageauCaplan) en favorisant également l’intervention de l’État, mais sur la base d’une politique qui aurait fixé
d’avance les seuils acceptables, de façon à donner un signal clair aux acteurs. Ainsi, dans le rapport de
la commision Kent, on suggèrait que non seulement des seuils maximaux de concentration des
journaux eux-mêmes soient fixés, mais aussi des interdictions de toute forme de propriété multiple ou
croisée entre des journaux et des stations de radio et de télévision « si 50 % ou plus de la population
pouvant bien les [les stations de télévision et de radio] capter réside dans les secteurs où le journal est
généralement accessible (COMMISSION ROYALE SUR LES QUOTIDIENS, Rapport général,
Ottawa, Approvisionnements et Services, 1981, p. 265) ». Le Groupe de travail sur la politique de
radiodiffusion estimait, quant à lui, « qu’il existe certainement une limite précise au-delà de laquelle la
concentration de la propriété et du contrôle sur les médias est incompatible avec ces objectifs [ceux de
la loi canadienne] (GROUPE DE TRAVAIL SUR LA POLITIQUE DE LA RADIODIFFUSION,
Rapport, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1986, p. 699).
Selon le rapport, les politiques canadiennes ont été influencées par l’une ou l’autre de ces approches à
divers moments de l’histoire. On en trouve des illustrations dans la directive ministérielle du 29 juillet
1982 requérant que le CRTC interdise, sous réserve de situations extraordinaires, la propriété croisée,
puis, dans la décision ministérielle du 30 mai 1985, qui abroge la directive de 1982. Le CRTC lui-
18
même semble avoir parfois hésité entre ces diverses approches. En témoignent, par exemple, les
premières décisions de l’organisme sur ce problème (CRTC, 74-44), l’avis d’audience sur la question,
en février 1979, etc. Dans l’ensemble toutefois, c’est l’approche contextuelle et pragmatique qui
semble avoir prévalu jusqu’à maintenant : dans chaque cas de figure qui lui est présenté, l’organisme
de régulation essaye d’assurer la plus large diversité, compte tenu des circonstances particulières. Cette
politique reçoit toutefois les critiques soutenues de certains auteurs, d’aucuns affirmant que cette
politique équivaut, dans les faits, à une absence de politique intégrée concernant la propriété multiple
ou croisée des organes médiatiques (ABRAN, France, « L’application de la loi sur la radiodiffusion par
le CRTC : Radiographie d’un processus d’expression de l’intérêt public », dans DERIEUX, Emmanuel
et Pierre TRUDEL, L’intérêt public. principe du droit de la communication, Paris, Victoire Éditions,
1996, p.145.).
Le rapport fait aussi le point sur les stratégies des entreprises. Les auteurs estiment que la propriété
croisée a été plus systématiquement choisie que les alliances stratégiques pour des raisons à la fois
économiques et circonstantielles. Parmi les motifs économiques, notons l’appropriation de la rente
anticipée sur le contenu, la complémentarité contenant/contenu, l'intégration par la propriété
(hiérarchie) plutôt que par le marché des produits substituts compte tenu des particularités de
l’économie de l’information et de l’incertitude quant aux futurs standards du multimédia dans un
univers où les standards qui réussissent à s'imposer sont ceux que développent les acteurs qui prennent
les devants dans l'expérimentation. Parmi les motifs circonstanciels, mentionnons la présence
d’acteurs qui disposent de liquidités abondantes ou d’une capitalisation boursière avantageuse
(c’était le cas au début de l’an 2000) leur permettant de procéder à des acquisitions et le mimétisme qui
suit une fois que des acteurs dominants ont déployé leur stratégie. On commence à douter fortement
que l’organisation par la hiérarchie (intégration par la propriété) soit le meilleur mode d'organisation
pour favoriser l’intégration des médias et surtout pour soutenir l’innovation en contexte de grande
incertitude. On prédit volontiers que les grands groupes seront paralysés et devront rechercher des
structures organisationnelles plus dynamiques pour faire naiître un modèle d’affaire performant.
Nombre d’auteurs pensent que l’alliance stratégique aurait offert plus de souplesse et de dynamisme à
ce stade de développement de la nouvelle industrie.
Dans le cas du Canada, tout mouvement de propriété croisée aboutit très vite à des niveaux de
concentration très importants, élève des barrières à l'entrée et laisse peu de choix dans un contexte de
marché presque fermé à la propriété étrangère. Pour certains analystes, le phénomène de propriété
croisée ne peut être isolé de celui de la concentration dans son ensemble.
Les auteurs abordent aussi la notion de divesité à partir des deux approches suivantes : une approche en
termes de contenus et une approche en termes de sources. L’approche en termes de sources fait
référence à la palette des opinions, des informations, des divertissements capables de satisfaire les
besoins multiples des diverses composantes de nos sociétés complexes. La diversité des sources a
trait, quant à elle, tant aux producteurs, personnels et artisans, qui produisent les contenus qu’aux
médias qui les diffusent.
Enfin, dernier sujet abordé, celui de seuils d’alerte qui constitue un problème complexe. Les variations
dans les seuils proposés par les uns et les autres en montrent le caractère souvent arbitraire. Il est
essentiel d'élaborer de nouveaux outils d’analyse afin d'établir la part d’influence de chaque firme en
tenant compte des tirages et des parts d’audience des divers médias sous le contrôle du groupe dans un
marché donné. De tels outils seraient d'ailleurs tout à fait pertinents pour évaluer les phénomènes de
propriété croisée.

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