conseil de discipline - Ordre des ingénieurs du Québec

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conseil de discipline - Ordre des ingénieurs du Québec
CONSEIL DE DISCIPLINE
ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N° : 22-07-0354
DATE : Le 11 décembre 2008
______________________________________________________________________
LE COMITÉ : Me Jean-Guy Légaré, avocat Président
M. Miville Gagnon, ing.
Membre
M. François Perreault, ing.
Membre
______________________________________________________________________
RÉMI ALAURENT, ing., es qualité de syndic adjoint de l’Ordre des ingénieurs du
Québec;
Partie plaignante
c.
AVNISH RUGHANI, ing.
Partie intimée
______________________________________________________________________
DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SUR SANCTION
______________________________________________________________________
[1]
Le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec, ci-après « Le
Conseil » s’est réuni le 13 novembre 2007, pour entendre et disposer d’une plainte
disciplinaire ainsi libellée :
PLAINTE
Je, soussigné, Rémi Alaurent, ingénieur, régulièrement inscrit au tableau de l'Ordre des ingénieurs du
Québec, en ma qualité de syndic adjoint dudit ordre professionnel, déclare ce qui suit :
«Monsieur Avnish Rughani, ingénieur, régulièrement inscrit au tableau de l'Ordre des ingénieurs du
o
Québec (n 42460), a refusé ou négligé de satisfaire à certaines obligations imposées par le Code de
déontologie des ingénieurs (R.Q., c. I-9, r.3) et le Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de
consultation des ingénieurs (R.Q., c. I-9, r.14) plus particulièrement :
PAGE : 2
1. À Beaconsfield, district de Montréal, le ou vers le 19 mars 2006, l’ingénieur Avnish Rughani a
omis ou négligé, avant d’accepter un mandat de conception d’un mur de soutènement temporaire
dans le cadre d’un projet de construction des fondations d’un édifice à logements nommé « Les
jardins de Palerme », de tenir compte des limites de ses connaissances et des moyens dont il
pouvait disposer pour l’exécuter, contrevenant ainsi à l'article 3.01.01 du Code de déontologie
des ingénieurs (R.Q., c. I-9, r.3) ;
2. À Beaconsfield, district de Montréal, le ou vers le 21 mars 2006, lors d’un mandat pour la
conception d’un mur de soutènement temporaire dans le cadre d’un projet de construction des
fondations d’un édifice à logements nommé « Les jardins de Palerme », l’ingénieur Avnish
Rughani a omis ou négligé de respecter ses obligations envers l'homme et de tenir compte des
conséquences de l'exécution de ses travaux sur la vie, la santé et la propriété de toute personne
en émettant et/ou présentant des plans portant les numéros S-1 à S-4 qui n’étaient pas conforme
notamment au Code de construction du Québec (R.Q., c. B-1.1, r.0.01.01) et au Code de
sécurité pour les travaux de construction (R.Q., c. S-2.1, r.6), qui n’étaient pas basés sur des
connaissances factuelles suffisantes notamment des lieux et des conditions des sols et qui
étaient incomplets, ambigus et non-suffisamment explicites, contrevenant ainsi aux articles 2.01,
2.04 et 3.02.04 du Code de déontologie des ingénieurs (R.Q., c. I-9, r.3);
3. À Beaconsfield, district de Montréal, le ou vers le 3 avril 2006, lors d’un mandat pour la
conception d’un mur de soutènement temporaire dans le cadre d’un projet de construction des
fondations d’un édifice à logements nommé « Les jardins de Palerme », l’ingénieur Avnish
Rughani a omis ou négligé de tenir compte des conséquences de l'exécution de ses travaux sur
la vie, la santé et la propriété de toute personne en émettant et/ou présentant des plans pour un
massif de béton portant les numéros S-10 à S-12 qui n’étaient pas basés sur des connaissances
factuelles suffisantes notamment des lieux, les conditions des sols et les charges présentes et
qui étaient incomplets, ambigus et non-suffisamment explicites, contrevenant ainsi aux articles
2.01, 2.04 et 3.02.04 du Code de déontologie des ingénieurs (R.Q., c. I-9, r.3);
4. À Brossard, district de Longueuil, le ou vers le 15 mai 2006, lors d’un mandat pour la conception
d’un mur de soutènement temporaire dans le cadre d’un projet de construction des fondations
d’un édifice à logements nommé « Les jardins de Palerme », à l’occasion d’une visite du site des
travaux, l’ingénieur Avnish Rughani a omis ou négligé de respecter ses obligations envers
l'homme et de tenir compte des conséquences de l'exécution de ses travaux sur la vie, la santé
et la propriété de toute personne en émettant un document intitulé « Inspection Report » qui
n’était pas conforme notamment au Code de sécurité pour les travaux de construction (R.Q., c.
S-2.1, r.6), qui n’était pas basé sur des connaissances factuelles suffisantes notamment des lieux
et des conditions des sols et qui était incomplet, ambigu et non-suffisamment explicite,
contrevenant ainsi aux articles 2.01, 2.04 et 3.02.04 du Code de déontologie des ingénieurs
(R.Q., c. I-9, r.3);
5. À Beaconsfield, district de Montréal, le ou vers le 13 novembre 2006, dans le cadre d’un mandat
pour la conception d’un mur de soutènement temporaire pour un projet de construction des
fondations d’un édifice à logements nommé « Les jardins de Palerme », l’ingénieur Avnish
Rughani a omis ou négligé de conserver des calculs et des données dans son dossier technique
et a omis de conserver ce dernier pour une période minimale de 10 ans après la date du dernier
service rendu ou après la fin des travaux, contrevenant ainsi à l'article 2.04 du Règlement sur la
tenue des dossiers et des cabinets de consultation des ingénieurs (R.Q., c. I-9, r.14).
ET LE PLAIGNANT DEMANDE JUSTICE»
PAGE : 3
[2]
Le plaignant est présent et est représenté par sa procureure Me Mélodie
Sullivan.
[3]
L’intimé est présent et représenté par son procureur, Me Pierre Viau.
[4]
Au début de l’audition, le procureur de l’intimé a fait part au Conseil de l’intention
de son client de plaider coupable aux cinq (5) chefs de la plainte.
[5]
Le Conseil a alors mis en garde l’intimé concernant les conséquences possibles
d’un plaidoyer de culpabilité.
[6]
L’intimé a déclaré qu’il comprenait les conséquences possibles d’un plaidoyer de
culpabilité et a déclaré qu’il plaidait tout de même coupable sur les cinq chefs (5)
formulés dans la plainte disciplinaire.
[7]
Le Conseil a alors déclaré l’intimé coupable des infractions mentionnées aux
chefs 1 et 5 de la plainte.
[8]
Conformément à l’arrêt Kineapple1, le Conseil ne peut condamner l’intimé
plusieurs fois pour une même infraction, ou pour des infractions qui présentent un
chevauchement d’éléments essentiels.
[9]
Puisque les infractions mentionnés aux chefs 2, 3 et 4 de la plainte réfèrent aux
articles 2.01, 2.04 et 3.02.04 du Code de déontologie des ingénieurs, le Conseil doit
prohiber les condamnations multiples pour un même comportement fautif.
1
Kineapple c. R. [1975] 1 R.C.S. 729, AZ-75111060
PAGE : 4
[10]
Il y a donc lieu pour le Conseil de déclarer que l’intimé, en regard des chefs 2, 3
et 4, a commis les infractions qui lui sont reprochées dans la plainte, mais d’ordonner
une suspension conditionnelle des procédures en regard des articles 2.04 et 3.02.04 du
Code de déontologie des ingénieurs.
[11]
Le Conseil a ensuite immédiatement procédé à l’audition des représentations
des parties quant à la sanction.
Preuve du plaignant sur sanction
[12]
De consentement avec l’intimé, la procureure du plaignant a déposé une preuve
documentaire au soutien des reproches formulés dans la plainte :
SYN-1
Certificat concernant le statut de membre d’Avnish Rughani, inc.
SYN-2
Rapport préparé par LE GROUPE SOLROC « CORPORATION GENIX
LTD/Subsoli investigation / 1400 Palerme and Pelletier corner / Brossard,
Québec » 26 juin 2002, Raymond Laurent, Senior Engineering et Aimé
Bensoussan, Geologist, President, Référence no : LA156-02-572G
SYN-3
Lettre du 1 novembre 2005 adressée à Jean-Marc Lapointe, ing. re : Les Jardins
Palerme, Brossard (Qc) / Conditions du sol au sein du futur bloc 2, Aimé
Bensoussan, géologue sénior et Raymond Laurent, ingénieur, LE GROUPE
SOLROC
SYN-4
Lettre du 8 décembre 2005 adressée à Jean-Marc Lapointe, ing. re : Les Jardins
Palerme, Brossard / Conditions des sols au sein du futur bloc Phase 3 à l’extrémité
Nord, Raymond Laurent, ingénieur et Aimé Bensoussan, B. Sc., LE GROUPE
SOLROC
SYN-5
Inscriptions manuscrites de Avnish Rughani, ing., relatives à un mandat reçu
concernant le 1450 Palerme, Brossard, datée du 16 mars 2006
SYN-6
Télécopie de Réjean Lajeunesse, Robert Industries inc., adressée à Avnish
Rughani, ing. re : Projet : Les jardins Palerme « Bonjour Avnish, ci-joint processus
pour un mur de soutènement…», datée du 16 mars 2006, (6 pages)
SYN-7
Télécopie de Réjean Lajeunesse, Robert Industries inc., adressée à Avnish
Rughani, ing. re : Projet : Les jardins Palerme « Bonjour Avnish, ci-joint le
processus du mur mieux détaillé… », datée du 17 mars 2006 (9 pages)
er
PAGE : 5
SYN-8
Télécopie de Réjean Lajeunesse, Robert Industries inc., adressée à Avnish
Rughani, ing. re : Projet : Les jardins Palerme « Bonjour Avnish, ci-joint rapport de
l’étude de sol », datée du 18 mars 2006 (9 pages)
SYN-9
Télécopie de Avnish Rughani, ing., adressée à Réjean Lajeunesse avec Plans S-1
à S-4, 21 mars 2006
SYN-10
Facture d’honoraires professionnels no : 26086, d’Avnish Rughani, ing., datée du
22 mars 2006
SYN-11
Télécopie de Réjean Lajeunesse, Robert Industries inc., adressée à Kathleen
Chamberland, Hydro-Québec, datée du 30 mars 2006
SYN-12
Télécopie de Réjean Lajeunesse, Robert Industries inc., adressée à Colette
Vaillancourt, Hydro-Québec, avec Plans S-1 à S-4 et S-10 à S-12, datée du 30
mars 2006
SYN-13
Télécopie de Réjean Lajeunesse, Robert Industries inc. adressée à Avnish
Rughani, ing., datée du 31 mars 2006 (2 pages)
SYN-14
Télécopie de Avnish Rughani, ing., adressée à Réjean Lajeunesse avec Plans S10 à S-12, datée du 3 avril 2006
SYN-15
Facture d’honoraires professionnels no : 26086A d’Avnish Rughani, ing., datée du
3 avril 2006
SYN-16
Série de 7 photographies prises au chantier « Les Jardins Palerme » (P9210022.
JPG à P92100228.JPG) Hydro-Québec, datée du 4 avril 2006
SYN-17
Série de 4 photographies prises au chantier « Les Jardins Palerme » imprimées en
couleur en date du « 15 12 :15 » Avnish Rughani, ing.
SYN-18
Inspection report / Site location : Les jardins Palerme / Mur de soutènement
temporaire, de Avnish Rughani, ing. datée du 15 mai 2006
SYN-19
Série de 36 photographies en couleur prises au chantier « Les Jardins Palerme »
(P55170288.JPG à P5170323.JPG) de Roger McNicoll, ing., inspecteur, CSST, 17
mai 2006
SYN-20
Série de 47 photographies en couleur prises au chantier « Les Jardins Palerme »
(P55170765 JPG à P5170811 JPG) de Mathieu Jolicoeur, ing., inspecteur, CSST,
17 mai 2006
SYN-21
Rapport d’intervention RAP9053954 de Roger McNicoll, ing., inspecteur CSST,
destiné à « Robert Industries inc. » (ENL80381602) relativement au lieu de travail
« Multifamilial, Les Jardins Palerme, rue Palerme, Brossard », 17 mai 2006
SYN-22
Série de 10 photographies en couleur prises au chantier « Les Jardins Palerme »
(P55180812.JPG à P5180821.JPG) de Mathieu Jolicoeur, ing., inspecteur, CSST,
18 mai 2006
PAGE : 6
[13]
SYN-23
Télécopie de Roger McNicoll, ing., inspecteur, CSST, adressée à Louis Tremblay,
ing., syndic, Re : dossier numéro 4071283 JARDINS PALERME (5 pages)
demande d’enquête, 14 juin 2006
SYN-24
Dossier « 1450 Palerme » tenu par l’ingénieur Avnish Rughani, ing., 13 novembre
2006
SYN-25
Rapport d’analyse structurale « Construction d’un mur de soutènement temporaire
/ Dossier : SYN 2006 043 » de Paul Carrier, ing., Calculatec, 13 mars 2007
SYN-26
Notes manuscrites de Rémi Alaurent, ing., Syndic adjoint, OIQ, prises lors d’un
entretien avec Avnish Rughani, ing. (15 pages), 13 novembre 2006
La procureure du plaignant a proposé au Conseil les recommandations de
sanctions suivantes, précisant qu’elles sont formulées de façon commune par les
parties :
Sous le chef no 1 : une période de radiation temporaire de 5 mois.
Sous le chef no 2 : une période de radiation temporaire de 5 mois.
Sous le chef no 3 : une période de radiation temporaire de 5 mois.
Sous le chef no 4 : une période de radiation temporaire de 5 mois.
Sous le chef no 5 : une amende de six cents dollars (600,00 $).
[14]
La procureure du plaignant a demandé que ces périodes de radiation soient
purgées concurremment.
[15]
Elle a également souligné que l’intimé avait accepté d’acquitter les frais
d’expertise d’un montant de trois mille neuf cent trente-et-un dollars et vingt-huit cents
(3 931,28$).
PAGE : 7
[16]
Elle a recommandé également que le paiement des frais soit ordonné à la fin de
la période de radiation temporaire de cinq (5) mois.
Témoignage du plaignant
[17]
Le plaignant a expliqué au Conseil que le Bureau du syndic de l’Ordre des
ingénieurs du Québec avait reçu, le 14 juin 2006, une demande d’enquête de M. Roger
McNicoll, ingénieur à la CSST (pièce SYN-23).
[18]
Cette demande d’enquête faisait suite à l’effondrement survenu le 14 mai 2006
d’un mur de soutènement temporaire pour le projet Les Jardins Palerme situé à
Brossard.
[19]
Le plaignant a expliqué que la conception du mur avait été effectuée par l’intimé
durant le mois de mars 2006 (pièce SYN-9).
[20]
L’intimé est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec depuis le 23 octobre
1986 (pièce SYN-1). Selon le plaignant, l’intimé exerce en pratique privée de chez lui.
[21]
L’intimé a déjà été sanctionné par le Conseil de discipline de l’Ordre le 1er février
2001 dans le cadre du dossier 22-00-0020 (onglet 9 des autorités).
[22]
Le plaignant a indiqué que, tout au long de l’enquête, l’intimé a témoigné
librement, sans réticence et qu’il a pleinement collaboré.
[23]
Le plaignant a expliqué au Conseil qu’en 2002 la compagnie Corporation Genix
Ltée avait mandaté Le Groupe Solroc afin d’effectuer une analyse de sol sur une
propriété située au coin des rues Palerme et Pelletier, à Brossard (pièce SYN-2).
PAGE : 8
L’ingénieur du Groupe Solroc, M. Raymond Laurent, avait indiqué dans son rapport que
la nature du sol étudié pouvait entraîner certains problèmes et il avait effectué des
recommandations en ce sens.
[24]
Le 1er novembre 2005, Le Groupe Solroc, après avoir revu son rapport de l’étude
géotechnique, mentionnait que le sol n’était pas facile, précisant les conditions de sol
pour le terrain en question (SYN-3).
[25]
L’enquête du plaignant a révélé que les 16 et 17
Lajeunesse,
surintendant
pour
l’entrepreneur
général
mars 2006, M. Réjean
Robert
Industries
inc.,
transmettait des télécopies afin de lui demander de préparer des plans pour la
construction d’un mur de soutènement pour le projet Les Jardins Palerme (pièces SYN6 et SYN-7).
[26]
Le 18 mars 2006, M. Réjean Lajeunesse transmettait à l’intimé la lettre du
Groupe Solroc du 1er novembre 2005 qui faisait référence au rapport de l’étude
géotechnique effectué au mois de juin 2002 (pièce SYN-8).
[27]
En référant aux photographies déposées comme pièce SYN-16, le plaignant a
expliqué que le mur de soutènement devait être érigé aux limites du terrain des Jardins
Palerme, sur lequel était situé un entrepôt de la compagnie Yogourt Liberté. Le
plaignant a également fait remarquer qu’une ligne d’Hydro-Québec se trouvait à la
jonction des deux terrains, tout juste de l’autre côté de la clôture située sur la ligne de
division.
[28]
Le plaignant a expliqué que le 30 mars 2006, M. Réjean Lajeunesse, de Robert
Industries inc., a acheminé une télécopie à Hydro-Québec, transmettant des croquis
PAGE : 9
démontrant que les travaux d’excavation devaient se faire à moins de 1,5 mètre de
deux de leurs poteaux (SYN-11).
[29]
Le même jour, M. Lajeunesse transmettait à Hydro-Québec, de nouveau par
télécopieur, copie des plans d’un mur temporaire proposé et approuvé par l’intimé
(pièce SYN-12).
[30]
L’enquête du plaignant a permis de retrouver une note de l’intimé en date du 16
mars 2006, confirmant le mandat qui lui a été confié par M. Réjean Lajeunesse (pièce
SYN-5).
[31]
Le plaignant a expliqué que l’intimé a reçu son mandat le 16 mars 2006 (pièce
SYN-5), les croquis et dessins plus détaillés les 16 (pièce SYN-6) et 17 mars (pièce
SYN-7), puis le rapport des informations concernant l’étude géotechnique le 18 mars
(pièce SYN-8).
[32]
L’enquête du plaignant a révélé que l’intimé a fait les plans du mur de
soutènement du 18 au 21 mars 2006 sans jamais demander le rapport d’étude
géotechnique du Groupe Solroc du mois de juin 2002 (pièce SYN-2).
[33]
Selon le plaignant, pendant cette période, l’intimé n’a pas calculé la capacité des
tirants à vis, tel qu’il appert de ses notes faisant état de sa rencontre avec l’intimé le 13
novembre 2006 (SYN-26).
[34]
De même, selon le plaignant, l’intimé n’a pas tenu compte de l’effet des pluies
dans ses calculs.
PAGE : 10
[35]
Le plaignant a référé le Conseil à la pièce SYN-24, qui est la totalité du dossier
de l’intimé concernant Les Jardins Palerme. Selon les vérifications effectuées par le
plaignant, il semble que l’intimé ait utilisé uniquement son ordinateur avec un
programme Excel afin d’effectuer ses calculs.
[36]
Le plaignant a également précisé au Conseil que l’intimé n’avait réalisé qu’un
seul autre mur de soutènement au cours de sa carrière.
[37]
Le plaignant a ensuite souligné que pour ses services l’intimé avait facturé trois
heures au taux de 90,00$ l’heure (pièce SYN-15).
[38]
Le plaignant a ensuite expliqué que le 14 mai 2006, le mur de soutènement avait
cédé, tel qu’il appert des photos produites en liasse comme pièces SYN-17, SYN-19 et
SYN-20.
[39]
Selon le plaignant, il semble que l’événement a eu une ampleur importante, bien
que personne ne fut blessé.
[40]
Suite à l’événement, M. Robert McNicoll, ing., inspecteur de la CSST, a préparé
un rapport d’intervention en date du 17 mai 2006 (pièce SYN-21).
[41]
Selon le plaignant, l’effondrement partiel du mur de soutènement a eu pour
conséquence d’entraîner la fermeture temporaire de cette partie du chantier pour que
la ligne électrique soit mise hors tension et que les pentes voisines soient stabilisées.
[42]
Dans son rapport d’intervention, l’ingénieur Roger McNicoll soutient que le mur
de soutènement a cédé parce que le sol à composante d’argile était saturé d’eau et
PAGE : 11
que, sous l’effet des vibrations des équipements lourds et des camions à proximité,
ceci a entraîné le cisaillement de celui-ci (pièce SYN-21).
[43]
Selon le plaignant, l’effondrement partiel du mur de soutènement a nécessité
l’intervention de trois équipes de monteurs, qui ont été mandatées afin de déplacer les
poteaux supportant les lignes électriques.
[44]
Pour le plaignant, l’effondrement du mur de soutènement a donc entraîné des
impacts financiers considérables.
[45]
Suite à cet événement, le plaignant a mandaté l’ingénieur Paul Carrier, de la
firme Calculatec, afin de réaliser une expertise technique concernant la construction du
mur de soutènement temporaire pour le projet de construction du bâtiment résidentiel
Les Jardins Palerme (pièce SYN-25). Le rapport de M. Carrier a été déposé comme
pièce SYN-25 et la facture de ce dernier, au montant de 3 931,28 $, a été déposée
comme pièce SYN-27.
[46]
Plus particulièrement, le plaignant a référé le Conseil au rapport de l’ingénieur
Carrier, qui se prononce sur la conception du système proposé par l’intimé lequel
présente les fautes suivantes :
«1. Le diagramme des pressions ne tient pas compte de la géométrie de la paroi et, par
conséquent, les calculs négligent une portion importante de la pression exercée sur le mur. La
pression réelle peut être supérieure à la pression calculée.
2. L’épaisseur du mur de béton n’est pas indiquée sur les plans ce qui peut être une cause de
défaillance du système puisqu’on ne sait quelle épaisseur sera utilisée pour la mise en place
du béton du mur.
3. Étant donné que le diagramme des pressions est fautif, il s’ensuit que la pression sur le mur et
les efforts sur les colonnes ne sont pas valables et donc que l’effort dans l’ancrage est inférieur
à la valeur requise. L’encrage n’est donc pas sécuritaire.
La conception n’a donc pas été effectuée conformément aux règles de l’art et à l’article 4.2.4.1
du Code de construction du Québec.
PAGE : 12
L’ingénieur n’a pas démontré une connaissance suffisante de la théorie ni des calculs requis
pour la conception des différents éléments.
Au niveau de l’exécution des travaux, le système proposé n’est pas sécuritaire puisqu’il
nécessite une fouille verticale du sol sur une hauteur de quelques treize (13’) pieds afin de
permettre la construction du mur de béton. Cette fouille verticale peut provoquer un
effondrement de la paroi.
Cet effondrement possible présente un risque élevé quant à la sécurité des travailleurs et
quant aux équipements sur le terrain adjacent à un niveau plus élevé.
On peut donc affirmer que le système n’est pas conforme à l’article 3.3.1 du Code de sécurité
pour les travaux de construction.»
[47]
Le plaignant a également référé le Conseil aux conclusions de l’expert qu’il a
mandaté en ces termes :
«Le système n’est pas sécuritaire puisqu’il nécessite une fouille verticale de pratiquement treize
(13’) pieds de hauteur (en tenant compte du sol en pente à quarante-cinq (45°) degrés sur une
hauteur de quatre (4’) pieds de hauteur), ce qui crée une instabilité.
Le sol doit être maintenu dans cette situation d’instabilité durant le temps de mise en place des
composantes du mur ce qui rend le chantier dangereux et, par conséquent, le système n’offre
pas la protection des travailleurs, du public, des équipements sur la propriété adjacente incluant
ceux d’Hydro-Québec.
De plus, tel que mentionné précédemment, la conception n’a pas été effectuée en conformité
avec le Code de construction du Québec.
A notre avis, les colonnes auraient dû être mises en place à quelques quatre (4’) pieds de
distance entre elles et utilisées comme une paroi berlinoise avec un blindage en bois soutenant
la pression du sol.»
[48]
Le plaignant a ensuite été contre-interrogé par le procureur de l’intimé.
[49]
Il a confirmé que les numéros de dessins S-10 et S-11, qui ont été préparés par
son client, n’ont pas été utilisés pour les travaux.
[50]
Il a également confirmé que c’est Hydro-Québec qui a pris la décision de
déplacer les poteaux d’électricité.
PAGE : 13
[51]
Le plaignant a également indiqué que l’intimé n’avait pas été impliqué dans
l’élaboration des murs de soutènement qui sont montrés sur les photos de la pièce
SYN-17, mais que ces murs de soutènement de remplacement ont été érigés à
l’initiative de l’entrepreneur.
[52]
Suite aux questions du procureur de l’intimé, le plaignant a confirmé que le
rapport d’intervention de la CSST, préparé par Roger McNicoll, ing., faisait état qu’une
combinaison de facteurs étaient à l’origine de l’incident, dont la présence d’eau en
raison des fortes pluies et la surcharge.
[53]
Le plaignant a toutefois expliqué que ses propres conclusions étaient fondées
sur le rapport d’expertise préparé par l’ingénieur Paul Carrier (pièce SYN-25).
[54]
Le plaignant a précisé que les calculs effectués par l’intimé n’étaient pas
adéquats en ce qu’il n’avait pas calculé la capacité des ancrages. De même, il n’avait
pas pris connaissance de l’étude géotechnique réalisée par Le Groupe Solroc au mois
de juin 2002 (pièce SYN-2), à laquelle faisait référence la lettre du 1er novembre 2005
qui lui avait été transmise par l’entrepreneur (pièce SYN-8).
[55]
Toujours questionné par le procureur de l’intimé, le plaignant a admis que le
rapport d’intervention émis par la CSST ne constituait pas un avis d’infraction, mais
plutôt un avis de dérogation.
[56]
Le plaignant a confirmé que personne n’avait été blessé suite à l’effondrement
du mur et que l’intimé avait pleinement collaboré à son enquête.
Représentations de la procureure du plaignant
PAGE : 14
[57]
La procureure du plaignant a d’abord indiqué que les parties soumettaient des
recommandations de sanctions communes.
[58]
Quant au chef numéro 1, elle a rappelé que l’intimé avait contrevenu à l’article
3.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs en omettant, avant d’accepter le
mandat de conception du mur de soutènement, de tenir compte des limites de ses
connaissances.
[59]
Elle a souligné que l’enquête du plaignant avait démontré que l’intimé n’avait
pas, ou très peu, de connaissances dans ce domaine particulier et qu’il ne pouvait par
conséquent accepter un tel mandat. Pour ce chef, les parties se sont entendues pour
recommander une radiation temporaire d’une période de 5 mois.
Elle a référé le
Conseil aux affaires Galeotti2, Thibault3 et Guilmaine4. Selon elle, la radiation
temporaire de 5 mois est raisonnable dans les circonstances.
[60]
Quant au chef numéro 2, la procureure du plaignant a rappelé que l’intimé avait
plaidé coupable à l’infraction d’avoir omis ou négligé de respecter ses obligations
envers l’homme et de tenir compte des conséquences de l’exécution de ses travaux sur
la vie, la santé et la propriété en émettant les plans numéros S-1 à S-4 qui n’étaient pas
basés sur des connaissances factuelles suffisantes, notamment des lieux et des
conditions de sol et qui étaient incomplets contrevenant ainsi aux articles 2.01, 2.04 et
3.02.04 du Code de déontologie des ingénieurs.
2
Rémi Alaurent c Giorgio Galeotti, CDOIQ (22-05-0318), 1er décembre 2005
Rémi Alaurent c Jean-Guy Thibault, CDOIQ (22-03-0270), 15 décembre 2003
4
Rémi Alaurent c René Guilmaine, CDOIQ (22-02-0261), 17 novembre 2004
3
PAGE : 15
[61]
Elle a souligné que l’intimé manquait de connaissances à trois niveaux : il n’avait
pas la connaissance des lieux, il n’avait pas la connaissance des sols et il manquait de
connaissances au niveau des ancrages puisqu’il n’avait pas travaillé avec ceux-ci et
ignorait leur capacité et leurs restrictions.
[62]
De même, les plans que l’intimé a préparés étaient ambigus, non suffisamment
explicites ou contradictoires, ce qui est confirmé par l’expertise qui a été préparée par
l’ingénieur Paul Carrier (pièce SYN-25).
[63]
Pour ce chef, la procureure du plaignant
a référé le Conseil aux affaires
McDougall5, Danis6, Thibault7, Larocque8, Guilmaine9 et Rughani10. Dans cette dernière
décision, la procureure a plaidé que celle-ci constituait un antécédent disciplinaire de
l’intimé et qu’il y avait, par conséquent, selon elle, une récidive.
[64]
La procureure du plaignant a plaidé que l’article 2.01 du Code de déontologie
des ingénieurs était au cœur de la responsabilité d’un ingénieur qui a le devoir de
respecter l’environnement, la vie et la santé de toute personne.
[65]
Elle a rappelé que, dans les circonstances du présent dossier, il ne fait aucun
doute que la méthode de travail employée par l’intimé n’était pas à la hauteur des
règles de l’art. Pour elle, il est inconcevable que l’intimé n’ait pas tenu compte des
caractéristiques des sols présents dans ce projet.
5
Rémi Alaurent c Peter A. McDougall, CDOIQ (22-04-0287), 12 avril 2004
Rémi Alaurent c Isabelle Danis, CDOIQ (22-03-0269), 5 juin 2003
7
Précité note 2
8
Rémi Alaurent c Michael Larocque, CDOIQ (22-02-0001), 6 juin 2002
9
Précité note 3
10
Rémi Alaurent c Avnish Rughani, CDOIQ (22-00-0020), 1er février 2001
6
PAGE : 16
[66]
Elle a rappelé que l’article 2.01 du Code de déontologie des ingénieurs n’exigeait
pas qu’il y ait des conséquences. En l’espèce, il n’y a pas eu de conséquences pour un
travailleur, mais la faute de l’ingénieur a eu des conséquences sur la propriété tant au
niveau des retards causés qu’aux conséquences monétaires reliées à ceux-ci.
[67]
Quant à ce chef, elle a rappelé que non seulement l’intimé avait manqué aux
règles de son Code de déontologie, mais qu’il ne s’était pas conformé aux règles du
Code de la construction du Québec de même qu’au Code de sécurité pour les travaux
de construction. Pour la procureure du plaignant, la radiation de 5 mois proposée de
façon conjointe par les parties est donc raisonnable dans les circonstances.
[68]
Quant au chef numéro 3, la procureure du plaignant a rappelé que l’intimé avait
plaidé coupable d’avoir, le 3 avril 2006, omis de tenir compte des conséquences de
l’exécution de ses travaux sur la vie, la santé et la propriété de toute personne en
émettant des plans portant les numéros S-10 à S-12 qui n’étaient pas basés sur des
connaissances factuelles suffisantes, notamment des lieux, des conditions de sols et
des charges présentes.
Ces plans étaient de plus, incomplets, ambigus et non
suffisamment explicites. L’intimé a ainsi contrevenu aux articles 2.01, 2.04 et 3.02.04
du Code de déontologie des ingénieurs.
[69]
La procureure du plaignant a rappelé que l’expert Paul Carrier a, dans son
rapport produit comme pièce SYN-25, fait état des manquements particuliers de
l’intimé. Il n’avait pas une connaissance des lieux, ni des sols, ni de la technologie
employée.
PAGE : 17
[70]
Elle a référé les membres du Conseil aux mêmes autorités auxquelles elle a
référé quant au chef numéro 2 et a précisé qu’une radiation temporaire de 5 mois était
raisonnable dans les circonstances.
[71]
Quant au chef numéro 4, elle a rappelé que l’intimé avait plaidé coupable d’avoir,
le ou vers le 15 mai 2002, omis de respecter les obligations envers l’homme et de tenir
compte des conséquences de l’exécution de ses travaux sur la vie, la santé et la
propriété de toute personne en émettant un document intitulé « Inspection Report » qui
n’était pas conforme au Code de la sécurité pour les travaux de construction et qui
n’était pas basé sur des connaissances factuelles suffisantes, notamment des lieux et
des conditions de sols et qui était incomplet, ambigu et non suffisamment explicite. Ce
faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 2.01, 2.04 et 3.02.04 du Code de déontologie
des ingénieurs.
[72]
La procureure du plaignant a rappelé que ce rapport d’inspection préparé par
l’intimé, qui a été produit comme pièce SYN-18, était fondé sur une visite d’une
quinzaine de minutes.
[73]
Le croquis que l’intimé a préparé montrait des attaches à des blocs de ciment
situés au sommet du talus. Ce croquis a été rejeté par l’ingénieur Roger McNicoll de la
CSST. Pour lui, ces plans sont incomplets et contraires au Code de déontologie. En
effet, le plan proposé par l’intimé ajoutait une surcharge considérable au sommet du
talus, ce qui entraînait une situation dangereuse. Ce croquis ne respectait pas les
dispositions de l’article 3.15 du Code de sécurité pour les travaux de construction et par
conséquent, l’intimé doit être sanctionné par une radiation temporaire de 5 mois.
PAGE : 18
[74]
Quant au chef numéro 5, la procureure du plaignant a rappelé que l’intimé a
plaidé coupable d’avoir, le ou vers le 13 novembre 2006, omis ou négligé de conserver
les calculs et les données du dossier technique du projet Les Jardins de Palerme,
contrevenant ainsi à l’article 2.04 du Règlement sur la tenue des dossiers et des
cabinets de consultation des ingénieurs.
[75]
La procureure du plaignant a souligné que l’ingénieur se devait de conserver son
dossier technique pour une période minimale de 10 ans après la date du dernier service
rendu ou après la fin des travaux, ce que l’intimé a négligé de faire pour le projet Les
Jardins de Palerme.
[76]
La procureure du plaignant a référé le Conseil aux affaires Bolduc11 et Forcier12.
Dans ces affaires faisant état de circonstances similaires, l’amende qui avait été
imposée a été l’amende minimale de 600,00 $.
[77]
Dans les circonstances, les procureurs recommandent donc à titre de sanction
commune une amende de 600,00 $.
[78]
Enfin, la procureure du plaignant a référé les membres du Conseil à un extrait de
l’ouvrage de Me Sylvie Poirier, La discipline professionnelle au Québec13.
[79]
Elle a rappelé que les conseils de discipline, dans l’établissement du choix des
sanctions, prenaient en considération les facteurs objectifs et subjectifs.
[80]
À titre de facteur objectif, la procureure du plaignant a rappelé que la protection
du public était en cause. Ceci était pertinent en l’espèce puisque les gestes commis
11
Rémi Alaurent c Raymond L. Bolduc, CDOIQ (22-98-0013), 3 juin 1999
Rémi Alaurent c. André Forcier, CDOIQ (22-99-0001), 7 juillet 1999
13
Poirier Sylvie, La discipline professionnelle au Québec,1998, Éditions Yvon Blais, pages 172 et 173
12
PAGE : 19
par l’intimé auraient pu avoir des conséquences graves pour les travailleurs.
Heureusement, l’effondrement du mur de soutènement qu’il avait conçu est survenu un
dimanche, ce qui a sans doute évité des conséquences plus graves, les conséquences
étant limitées uniquement à la propriété.
[81]
À titre de facteur objectif, elle a également rappelé la gravité de l’offense. En
effet, le mur a cédé à cause de la conception fautive et des erreurs de l’intimé, qui n’a
pas respecté les règles de l’art.
[82]
À titre de troisième facteur objectif, elle a signalé les conséquences importantes
sur la propriété, c’est-à-dire les retards au niveau du chantier de construction, de même
que les conséquences monétaires importantes.
[83]
À titre de premier facteur subjectif, la procureure du plaignant a signalé
l’antécédent disciplinaire de l’intimé qui portait sur l’article 3.02.04 du Code de
déontologie. Elle a également souligné que l’intimé avait plaidé coupable à la première
occasion et avait reconnu les faits.
[84]
Quant au risque de récidive, elle a signalé qu’il était toujours possible, mais que
l’intimé avait assuré le plaignant qu’à l’avenir il allait refuser les mandats dans lesquels
il n’avait pas de connaissances suffisantes.
[85]
La procureure du plaignant a rappelé que les fautes de l’intimé avaient eu des
conséquences importantes pour son client, tant au niveau des coûts que des retards
engendrés.
PAGE : 20
[86]
La procureure du plaignant a souligné que les sanctions proposées étaient
suffisamment sévères afin qu’un message soit envoyé, tant aux ingénieurs qu’au public
en général, afin d’éviter qu’une telle situation ne se répète.
[87]
Elle a également rappelé que l’intimé avait manifesté une volonté de se repentir
et que l’admission des fautes qu’il avait commises était un premier pas dans ce sens.
[88]
Elle a également mentionné au Conseil que celui-ci devait s’assurer de la
réhabilitation du professionnel en tenant compte de son éventuel retour.
[89]
Enfin, la procureure du plaignant a référé le Conseil à une décision du Tribunal
des professions dans l’affaire Malouin14. Dans cette affaire, le Tribunal des professions
a rappelé, tout comme l’avait d’ailleurs fait la Cour d’appel du Québec, que le Conseil
devait sérieusement considérer des recommandations présentées de façon conjointe
quant aux sanctions à imposer.
Représentations du procureur de l’intimé
[90]
Le procureur de l’intimé a réitéré que les recommandations faites au Conseil
quant aux sanctions étaient faites de façon conjointe.
[91]
Il a demandé un délai de 90 jours entre la décision du Conseil et le début des
radiations temporaires de façon à permettre à son client de faire des démarches pour
assurer un suivi de ses dossiers.
14
Maloin c. Laliberté, Tribunal des professions, 760-07-000001-010, 2002 QCTP 015
PAGE : 21
[92]
Le procureur de l’intimé a produit à titre de pièce I-1 une lettre de monsieur
Kumar Maldé, qui est ingénieur depuis 20 ans, qui confirme qu’il était prêt à superviser
l’intimé.
[93]
Il a également rappelé au Conseil que, tout au cours de cette affaire, son client
avait bien collaboré avec le Bureau du syndic.
Le droit
[94]
Le Conseil croit utile de reproduire les articles sur lesquels l’intimé a reconnu sa
culpabilité.
CODE DE DÉONTOLOGIE (L.R.Q., c. C-26, a.87)
2.01
Dans tous les aspects de son travail, l’ingénieur doit respecter ses
obligations envers l’homme et tenir compte des conséquences de
l’exécution de ses travaux sur l’environnement et sur la vie, la santé et la
propriété de toute personne.
2.04
L’ingénieur ne doit exprimer son avis sur des questions ayant trait à
l’ingénierie, que si cet avis est basé sur des connaissances suffisantes et
sur d’honnêtes convictions.
3.01.01
Avant d’accepter un mandat, l’ingénieur doit tenir compte des limites de
ses connaissances et de ses aptitudes ainsi que des moyens dont il peut
disposer pour l’exécuter.
3.02.04
L’ingénieur doit s’abstenir d’exprimer des avis ou de donner des conseils
contradictoires ou incomplets et de présenter ou utiliser des plans, devis
et autres documents qu’il sait ambigus ou qui ne sont pas suffisamment
explicites.
RÈGLEMENT SUR LA TENUE DES DOSSIERS ET DES CABINETS DE CONSULTATION DES INGÉNIEURS
(c. I-9, r.14)
2.04
Les dossiers de l’ingénieur doivent être conservés pour une période
minimale de 10 ans, à partir de la date du dernier service rendu ou,
lorsque le projet est réalisé, à partir de la date de la fin des travaux.
PAGE : 22
[95]
Le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec tire sa
raison d’être de l’article 23 du Code des professions. L’Honorable Juge Gonthier a bien
fait état de cette situation en ces termes :
« Depuis déjà plusieurs années, le législateur québécois assujettit l’exercice de
certaines professions à des restrictions et à différents mécanismes de contrôle.
Adopté pour la première fois en 1973, le Code des professions, L.R.Q., ch. C-36
(C.P.), régit maintenant les 44 ordres professionnels constitués en vertu de la loi.
Il crée un organisme, l’Office des professions du Québec, qui a pour fonction de
veiller à ce que chacun d’eux accomplisse le mandat qui leur est expressément
confié par le Code et qui constitue leur principale raison d’être, assurer la
protection du public (art. 12 et 23 C.P.). Dans la poursuite de cet objectif
fondamental, le législateur a accordé aux membres de certaines professions le
droit exclusif de poser certains actes. En effet, en vertu de l’art. 26 C.P., le droit
exclusif d’exercer une profession n’est conféré que dans les cas où la nature des
actes posés par ces personnes et la latitude dont elles disposent en raison de la
nature de leur milieu de travail habituel sont telles qu’en vue de la protection du
public, ces actes ne peuvent être posés par des personnes ne possédant pas la
15
formation et la qualification requises pour être membres de cet ordre».
[96]
Dans l’affaire Malouin16, le Tribunal des professions a établi certains
paramètres qui doivent être respectés lors de recommandations communes :
«10. La Cour d’appel s’est prononcée très récemment sur l’attitude à adopter
lorsque des procureurs, après de sérieuses et intenses négociations, présentent
de façon conjointe au tribunal leurs recommandations quant aux sanctions à
imposer.
11. Après avoir écrit :
39. I think it is important to emphasize that the joint submission in this
case was the object of lengthy and detailed negotiations over a
considerable period of time by experienced and conscientious counsel
of both sides, (…) and clearly contingent on a plea of guilty by the
appelant.
La Cour d’appel, sous la plume de l’honorable juge Fish, fait un tour d’horizon de
la jurisprudence canadienne sur le sujet et conclut :
«44. Appellate courts, increasingly in recent years, have stated time
and again that trial judges should not reject jointly proposed sentences
unless they are «unreasonable», «contrary to the public interest»,
«unfit», or «would bring the administration of justice into disrepute».
15
16
Barreau c. Fortin et Chrétien, 2001, 2 R.C.S. 500, paragraphe 11
Précité note 13
PAGE : 23
(…)
52. In my view, a reasonable joint submission cannot be said to «bring
the administration of justice into disrepute». An unreasonable joint
submission, on the other hand, is surely «contrary to the public interest».
53. Moreover, I agree with the Martin Report cited earlier, that the
reasonableness of a sentence must necessarily be evaluated in the light
of the evidence, submissions and reports placed on the record before
17
the sentencing judge (…).»
12.
En l’instance, le Tribunal n’a aucune raison de croire que la
recommandation commune des parties soit déraisonnable, qu’elle porte atteinte
18
à l’intérêt public ou qu’elle jette un discrédit sur l’administration de la justice.»
[97]
Le Conseil partage l’opinion émise par le juge Chamberland de la Cour d’appel
qui s’exprimait ainsi en regard des critères devant guider le Conseil lors de l’imposition
d’une sanction.
« La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier.
Chaque cas est un cas d’espèce.
La sanction disciplinaire doit permettre d’atteindre les objectifs suivants : au
premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de
récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui
pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le
professionnel visé d’exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé, Ordre
professionnel des médecins) [1998] D.D.O.P., 311 ; Dr J.C. Paquette c. Comité
de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al,
[1995] R.D.J. 301 (C.A.) ; et R. c. Burns, [1944] 1 R.C.S. 656).
Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les
facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs,
il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si
l’infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l’exercice de la
profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, …
Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l’expérience, du passé
disciplinaire et de l’âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger
son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à
décider d’une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en
matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et
19
atténuantes, de l’affaire.»
17
Douglas c. La Reine, C.A.M. 500-10-002149-019. 18 janvier 2002
Précité note 13
19
Pigeon c. Daigneault, C.A.,15 avril 2003
18
PAGE : 24
[98]
Le Conseil souligne qu’il n’est pas lié par les recommandations des parties, s’il
en vient à la conclusion que celles-ci sont déraisonnables et contraires à l’intérêt public.
D’ailleurs le Tribunal des professions s’exprimait ainsi dans l’affaire Normand :
« Quant à l’argument de l’appelant concernant le fait que le comité a
erronément et sans justification légale omis de retenir les recommandations des
parties, rappelons comme l’allègue l’intimé que le comité n’est aucunement lié
par de telles recommandations. Si le comité y donnait suite en dépit de la
gravité des infractions, lesquelles justifieraient par ailleurs des sanctions plus
sévères que celles suggérées, le Tribunal devrait alors conclure que dans de
telles circonstances, le comité n’a pas exercé judiciairement son pouvoir
20
discrétionnaire.»
DÉCISION
[99]
L’intimé a plaidé coupable à des actes dérogatoires qui touchent à la quiddité
même de la profession.
[100] Le Conseil a pris en considération que l’intimé a avoué sa culpabilité à la
première occasion.
[101] Le Conseil doit prendre en considération les représentations et les suggestions
communes sur la sanction lorsque celles-ci sont justes et raisonnables.
[102] Le Conseil, après avoir analysé les faits du présent dossier et pris en
considération les remarques pertinentes de la procureure du plaignant et du procureur
de l’intimé, est d’opinion que les recommandations qui lui sont soumises sont justes et
équitables dans les circonstances.
[103] Elles ont le mérite d’avoir un effet dissuasif auprès de l’intimé, tout en
rencontrant les objectifs d’exemplarité pour la profession et pour la protection du public.
20
Normand c. Ordre professionnel des médecins, 1996 D.D.O.P. 234
PAGE : 25
[104] Le Conseil a aussi analysé la jurisprudence concernant les sanctions rendues
antérieurement dans des dossiers ayant des éléments analogues.
[105] Le Conseil est très conscient de son devoir en relation avec la protection du
public.
[106] Le Conseil croit au repentir de l’intimé et qu’il a bien compris la gravité des
gestes reprochés.
PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :
[107] DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’accusations numéros 1 à 5 contenus à
la plainte du 27 août 2007.
[108] DÉCLARE que l’intimé a commis les infractions qui lui sont reprochées sous les
chefs 2, 3 et 4 de la plainte, mais vu la règle prohibant les condamnations multiples,
ORDONNE une suspension conditionnelle des procédures en regard des articles 2.04
et 3.02.04 du Code de déontologie des ingénieurs.
[109] IMPOSE à l’intimé, sur le chef numéro 1, une radiation d’une période de cinq (5)
mois.
[110] IMPOSE à l’intimé, sur le chef numéro 2, une radiation d’une période de cinq (5)
mois.
[111] IMPOSE à l’intimé, sur le chef numéro 3, une radiation d’une période de cinq (5)
mois.
PAGE : 26
[112] IMPOSE à l’intimé, sur le chef numéro 4 une radiation d’une période de cinq (5)
mois.
[113] CONDAMNE l’intimé, sur le chef numéro 5, à payer une amende six cents
dollars (600,00$).
[114] ORDONNE que les périodes de radiation soient purgées concurremment.
[115] ORDONNE au secrétaire du Conseil de faire publier dans un journal circulant
dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel un avis de la présente décision,
conformément au cinquième alinéa de l’article 156 du Code des professions.
[116] CONDAMNE l’intimé au paiement débours incluant les honoraires de l’expert du
plaignant, soit un montant de trois mille neuf cent trente-et-un dollars et vingt-huit cents
(3 931,28 $) de même qu’aux frais de publication de la présente décision et ACCORDE
à l’intimé un délai de douze (12) mois, à compter de la date de signification de la
présente pour le paiement des amendes ainsi que des frais et débours et frais de
publication, le tout conformément à l’article 151 du code des professions.
__________________________________
Me Jean-Guy Légaré, Président
M. Miville Gagnon, ing., Membre
M. François Perreault, ing., Membre
PAGE : 27
Me Mélodie Sullivan
Procureure de la partie plaignante
Me Pierre Viau
Procureur de la partie intimée
Dates audience :
13 novembre 2007