L`incroyable saga des Corréziens de Bordeaux

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L`incroyable saga des Corréziens de Bordeaux
13 JUIN 13
Hebdomadaire Paris
SANT FIACRE
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L'incroyable saga des
Corréziens de Bordeaux
A la fin du XIXe siècle, les Corréziens inventent une
appellation improbable : Meymac-près-Bordeaux. Elle va
faire d'eux des négociants « fictifs », qui, par la suite, vont
se retrouver à la tête de maisons prospères, toujours
actives sur la place de Bordeaux. Leurs héritiers sont
aujourd'hui propriétaires de quelque 250 châteaux, dont
le célébrissime Petrus.
T
out a commencé avec Jean
Gaye-Bordas, originaire de
Haute Corrèze, marchand
ambulant et colporteur de génie, qui,
sans connaissance particulière, ni le
moindre échantillon, a l'idée d'aller
prospecter le nord de la France et la
Belgique, pays de la bière par excellence, pour y vendre par barriques
entières du vin qu'il ne possédait pas.
Une pratique qui fait école car, en
Corrèze où la migration faisait partie
du mode de vie. A l'époque, pour
beaucoup de jeunes, il semble préférable de suivre l'exemple de Jean GayeBordas, dont la réussite fascine, plutôt
que de s'engager comme c'était la
coutume en tant que moissonneur ou
scieur de long. D'autant qu'en cette fin
du XIXe siècle le chemin de fer passant par Meymac, il devient plus facile
d'accéder aux contrées du nord et de
se découvrir une âme de marchand.
Un marché de conviction
N'ayant rien d'autre à leur actif que
leur âme de paysans, ces nouveaux
marchands
issus
de
Meymac,
Soudeilles, Liginiac, Combressol, etc.
vont créer ce qu'on pourrait appeler
un « marché de conviction », comme
QUE
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l'explique Anne Marbot, responsable
du service Information-documentation du CIVB :«Avec leur accent occitan
qui leur donne une touche d'exotisme,
leurs mains calleuses, qui font penser à
celles de vignerons, leur bagout de foirai/
et leur tenue impeccable, ils font
confiance et plaisent à la clientèle du
nord». Mais c'est loin d'être un marché
de dupes. Ils font naître au contraire
un négoce qui, bien que qualifié de
« fictif », se révèle comme un véritable
commerce de proximité, « le bon sens
corrézien » auquel ils se réfèrent faisant le reste. Ils savent ainsi jouer de la
corde sensible, comme témoigne l'un
de leurs dignes descendants, le négociant-propriétaire
Jean-François
Janoueix : « Quand ils étaient dans les
Flandres, pays très religieux, ils cherchaient leur mouchoir et faisaient tomber
systématiquement un chapelet ! ».(''
Mieux, pour rendre leur démarche
aussi crédible que possible, ils se font
adresser la correspondance à
Meymac-près-Bordeaux, créant ainsi
une appellation totalement imaginaire
mais o combien porteuse. Car c'était
une façon de signifier que les deux villes étaient mitoyennes... alors que
près de 300 km les séparaient !
« Comme il fallait bien avoir une adresse
bordelaise, rapporte Jacques MéhatMartinerie, fondateur du Musée du vin
à Montagne Saintemilion, /e courrier
était tamponné dans le wagon postal du
train qui s'arrêtait à Meymac ! » Quant
aux négociants bordelais, même si
certains en avaient envie, ils se gardèrent bien de leur faire le moindre procès, d'une part parce qu'ils l'auraient
perdu, d'autre part parce que, grâce
aux Corréziens, ils trouvaient de nouveaux débouchés.
Certes, le négoce du vin de bordeaux
existait avant eux, mais comme le souligne Marcel Parinaud : « En moins de
dix ans, ils ont inventé une méthode liée
au colportage en faisant du porte à porte
pour proposer du vin qui sera livré à
domicile et en plus à crédit ! En effet le
paiement ne se fait qu'au prochain passage du négociant, six mois, voire un an
après, ce qui met le client en totale
confiance... De ce point de vue on peut
dire que Jean Gaye-Bordas a été le précurseur d'un aventure migratoire exem16 RUE SANT FIACRE
plaire.
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L'esprit d'entreprise
Loin de garder les deux pieds dans les
mêmes sabots, les Meymacois, comme
on commence à les appeler à
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Bordeaux vont développer un esprit
Eléments de recherche : CHATEAU FONROQUE : grand cru classé, Saint-Emilion, toutes citations
d'entreprise qui va en étonner plus
d'un On cite ainsi les Frères Pécresse
qui, dès 1870, montent une entreprise
de commerce à Pauillac. Maîs c'est
surtout à Libourne, ville à laquelle la
Dordogne les relie, que les
Corréziens vont s'installer et prospérer. « Apres la guerre de 14, poursuit
Jacques Mehat-Martmerie, te patrimoine et la richesse libournaise se sont
effondrée. Aussi sort avec des entraides
familiales, soit par l'intermédiaire de banques, tiya trois ou quatre opérateurs, originaires de Meymac, qui leur accordent
des prêts d'honneur Les Meymacois,
comme on commence à les appeler dans
la région, s'établissent progressivement à
Lboume, quai du Priourat, qui va bientôt
devenir le pendant du fameux quai des
Charbons à Bordeaux »
A partir de ce moment, c'est une
nouvelle période qui commence , on
officialise en effet les adresses corréziennes en installant des boîtes aux
lettres que vont relever les amis déjà
en place et qui font ainsi suivre le
courrier à Meymac Parallèlement, les
plus entreprenants achètent des
vignes car le problème est de trouver
du vin et mieux vaut donc maîtriser la
chaîne d'un bout à l'autre. On peut
ainsi citer les familles Audy, Bourotte,
Chassagnioux, Estager, Janoueix,
Luquot, Moueix . Plus de cent familles
d'origine corrézienne ont été ainsi
recensées, faisant souche dans le
Libournais à Saintemilion, Pommerol,
Fronsac, (voir Calendrier des acquisitions) Parmi ces nouveaux investisseurs, citons Jean-Pierre Moueix, dont
on disait n'avoir jamais rate une vente,
et dont « l'empire », pour reprendre
l'expression de l'auteur anglais Hugh
Johnson, fut souvent comparé à celui
des Rothschild On raconte ainsi qu'en
1945, lors de l'unique voyage qu'il fit à
NewYork, il réussit en une seule journée, alors qu'il ne parle pas anglais, à
vendre 200 caisses de grands crus
dont. Cheval Blanc, Ausone et bien
entendu Petrus, qu'il va ainsi mettre au
pinacle.
Ces négociants-propriétaires n'ont en
effet pas oublié les leçons commerciales de leurs aînés. « Quand j'ai terminé
l'Ecole du Vin a Paris, rapporte JeanFrançois Janoueix, mon père m'a dit
"Tu vas aller dans le pays mimer et
comme moi, te foire une clientele" et il
m'a remis entre les mains le comet de
mon grand-père, dont la plupart des
adresses étaient périmées. Alors j'ai ete
voir fe cure et lui DI fait cette proposition •
"Je debute, je suis tout jeune, si vous m'in-
diquez des familles où il y aura une communion dans les deux ou trois ans, je vous
donnerai une bouteille par famille !" Je
suis ainsi arrivé à faire dans h région 950
clients à la grande surprise de mon
pere!»
Ce sens du commerce transmis de
génération en génération explique
qu'il existe encore quai du Priourat
nombreuses enseignes toujours en
activité
Les Corréziens aujourd'hui
« Très bons gestionnaires, ayant de bons
contrats d'approvisionnement avec des
propriétés qu'ils connaissent depuis des
décennies et continuant de vendre à des
particuliers, qui sont très souvent tes
petits-enfants des clients de leurs propres
grands-parents, les Corréziens savent
Calendrier des acquisitions
dè 1920 à 1939
Quelques exemples de belles acquisitions par les Corréziens avant guerre •
1923 Château Taillefer par Antoine Moueix
1923 Château Hermitage-Mazerat par Jean-Baptiste Bourotte
1926 Château Clos U Canne et Clos Brun Mazeyre par Jean Vedrenne
1930 Château Haut Sarpe par Joseph Janoueix
1931 Château Fonroque par Jean Moueix, frere cadet d'Antoine
1932 Château Bonalgue par Achille Bourotte
1934 Château Grand-Mayne par Jean Nony
1936 Château Barde-Haut par André Gasparroux
1939 Château Tournefeuille par Leon Sautarel
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FONROQUE
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Le quai
du Priourat
entretenir la continuité d'un négoce d'une fidélité
extraordinaire et unique» constate Didier Iecs,
journaliste et observateur de longue date du
marché bordelais. « Dans les affaires, poursuit-il, ils
ont non seulement trouvé un très bon créneau maîs
leur réputation d'honnêteté, de sérieux et d'opiniâtreté reste exemplaire. Si bien que pour l'ensemble
des producteurs de la région, faire commerce avec
eux est une garantie formidable. Et s'ils ont si bien
réussi c'est parce qu'ils étaient avant tout très
bons!» Reste cependant à ne pas oublier leurs
origines, (voir encadré Musée)
Aujourd'hui, parfaitement intégrés et Bordelais à
part entière au même titre que l'ont été à leur
époque les Anglais ou aujourd'hui les Belges, les
Corréziens possèdent aujourd'hui quelque 250
châteaux. Ce qui expliquent les pourcentages
exprimés en hectolitres qui, à la fin des années
70, se répartissaient comme suit : dans les appellations du Libournais : 25 % Pomerol, 12%
Lalande de Pomerol, 9% Saintemilion et 3,5 %
satellites de Saintemilion : Lussac, Fronsac,
Montagne et Puisseguin ; dans les appellations du
Médoc : 6,5 %
Pauillac, SaintEstèphe, Margaux ; 4,5 % Moulis,
Listrac, Haut-Médoc ; 1,5 % Médoc
et Graves Rouges < 3 > Des pourcentages qui, selon les spécialistes, sont
aujourd'hui à peu près identiques.
Les Corréziens occupent donc toujours et sans doute pour longtemps
encore une part importante du marché bordelais, d'autant qu'ils n'ont
cessé de développer leur activité à
l'expert sur tous les continents, avec
des méthodes certes plus conventionnelles que celles des pionniers
mais avec toujours ce même esprit
commercial ancré en eux et transmis de génération en génération. •
Barthélèmy
(1) L'un des quatre fis de Joseph Janoueix Ensemble, les familles
Janoueix possèdent aujourd'hui plus de 300 ha de vignes Voir également
L'Auvergnat de Paris n°S87 du 2IIIOI20IO
(2) Meymoc-pres-Bordeoux de la bruyère a h vigne, Marcel Pannaud,
Editions du Ver Luisant
(3) De la Montagne au Vignoble, Marc Privai Editions des monts
d'Auvergne
(4) Voir L'Auvergnat de Pam n°62l du 16/06/2011
Outils de taille de la vigne
Le negoce corrézien à
Libourne
Pour comprendre l'importance de la souche
corrézienne dans le commerce des vins de
Bordeaux, il suffit de se référer au nombre
de maisons issues des familles pionnières qui
sont encore en activité, parmi lesquelles
citons
:
Audy,
Bareige,
Bourotte,
Chassagnoux, de Lavaux, Estager, Horeau
Beylot, Janoueix François, Janoueix Guy,
Janoueix Joseph, Leymarie, Massonie,
Moueix Jean-Pierre, Ouzoulias, Peuch et
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Besse,
Salesse-Cascaret, Theillassoubre,
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Vedrenne.
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La maison Moueix
contrôle l'un des fleurons
de la région : Château Petrus.
Jean-Pierre Moueix 50 ans d'acquisitions
Fort de ses résultats dans le négoce, Jean-Pierre Moueix ne cessa pas pendant cinquante ans de
développer son patrimoine, qu'on en juge. En 1952 et 1953 il acquiert successivement les châteaux Magdeleine, Trotanoy, Lagrange, Fleur de Petrus. En 1956 il achète la maison de négoce
Duclot. En 1961, il achète la moitié des parts de Petrus et en 1964 en assure la direction. Par la
suite s'ajouteront les châteaux La Grave en 1971, Certan-Marzelle et Hosanna en 1999, l'achat
définitif de Petrus en 2001, La Providence en 2002. Il décédera en 2003. Négoces et propriétés
constituant cet « empire » seront repris par ses fils Christian et Jean-François auxquels succéderont leurs héritiers respectifs Edouard et Jean. (4)
Un musée pour entretenir la flamme
« S'il a existé, se souvient Jacques Méhat-Martinerie, un jumelage entre Saintemilion et Meymac,
quand les Corréziens implantés ici étaient encore très attachés à leur territoire d'origine, le lien,
pourtant très fort, s'est peu à peu délité.Après des décades d'années fastes qui ont duré jusqu'en
1980 les nouvelles générations se sont de moins en moins impliquées, considérant qu'une page
était définitivement tournée. » Pourtant certains tentent d'entretenir la flamme pour faire revivre
ce passé prestigieux. D'où le projet d'un musée du vin, longtemps mûri par Marcel Parinaud, qui
est en train de voir le jour à Meymac, tandis que jacques Méhat-Martinerie, lui-même originaire
de Liginiac, lui donne déjà une résonance dans l'Ecomusée du Libournais à Montagne.
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