L`incroyable saga des Corréziens de Bordeaux
Transcription
L`incroyable saga des Corréziens de Bordeaux
13 JUIN 13 Hebdomadaire Paris SANT FIACRE PARIS - 01 42 36 51 02 Surface approx. (cm²) : 1256 Page 1/4 L'incroyable saga des Corréziens de Bordeaux A la fin du XIXe siècle, les Corréziens inventent une appellation improbable : Meymac-près-Bordeaux. Elle va faire d'eux des négociants « fictifs », qui, par la suite, vont se retrouver à la tête de maisons prospères, toujours actives sur la place de Bordeaux. Leurs héritiers sont aujourd'hui propriétaires de quelque 250 châteaux, dont le célébrissime Petrus. T out a commencé avec Jean Gaye-Bordas, originaire de Haute Corrèze, marchand ambulant et colporteur de génie, qui, sans connaissance particulière, ni le moindre échantillon, a l'idée d'aller prospecter le nord de la France et la Belgique, pays de la bière par excellence, pour y vendre par barriques entières du vin qu'il ne possédait pas. Une pratique qui fait école car, en Corrèze où la migration faisait partie du mode de vie. A l'époque, pour beaucoup de jeunes, il semble préférable de suivre l'exemple de Jean GayeBordas, dont la réussite fascine, plutôt que de s'engager comme c'était la coutume en tant que moissonneur ou scieur de long. D'autant qu'en cette fin du XIXe siècle le chemin de fer passant par Meymac, il devient plus facile d'accéder aux contrées du nord et de se découvrir une âme de marchand. Un marché de conviction N'ayant rien d'autre à leur actif que leur âme de paysans, ces nouveaux marchands issus de Meymac, Soudeilles, Liginiac, Combressol, etc. vont créer ce qu'on pourrait appeler un « marché de conviction », comme QUE 300504/GBJ/OTO/3 l'explique Anne Marbot, responsable du service Information-documentation du CIVB :«Avec leur accent occitan qui leur donne une touche d'exotisme, leurs mains calleuses, qui font penser à celles de vignerons, leur bagout de foirai/ et leur tenue impeccable, ils font confiance et plaisent à la clientèle du nord». Mais c'est loin d'être un marché de dupes. Ils font naître au contraire un négoce qui, bien que qualifié de « fictif », se révèle comme un véritable commerce de proximité, « le bon sens corrézien » auquel ils se réfèrent faisant le reste. Ils savent ainsi jouer de la corde sensible, comme témoigne l'un de leurs dignes descendants, le négociant-propriétaire Jean-François Janoueix : « Quand ils étaient dans les Flandres, pays très religieux, ils cherchaient leur mouchoir et faisaient tomber systématiquement un chapelet ! ».('' Mieux, pour rendre leur démarche aussi crédible que possible, ils se font adresser la correspondance à Meymac-près-Bordeaux, créant ainsi une appellation totalement imaginaire mais o combien porteuse. Car c'était une façon de signifier que les deux villes étaient mitoyennes... alors que près de 300 km les séparaient ! « Comme il fallait bien avoir une adresse bordelaise, rapporte Jacques MéhatMartinerie, fondateur du Musée du vin à Montagne Saintemilion, /e courrier était tamponné dans le wagon postal du train qui s'arrêtait à Meymac ! » Quant aux négociants bordelais, même si certains en avaient envie, ils se gardèrent bien de leur faire le moindre procès, d'une part parce qu'ils l'auraient perdu, d'autre part parce que, grâce aux Corréziens, ils trouvaient de nouveaux débouchés. Certes, le négoce du vin de bordeaux existait avant eux, mais comme le souligne Marcel Parinaud : « En moins de dix ans, ils ont inventé une méthode liée au colportage en faisant du porte à porte pour proposer du vin qui sera livré à domicile et en plus à crédit ! En effet le paiement ne se fait qu'au prochain passage du négociant, six mois, voire un an après, ce qui met le client en totale confiance... De ce point de vue on peut dire que Jean Gaye-Bordas a été le précurseur d'un aventure migratoire exem16 RUE SANT FIACRE plaire. P) - 01 42 36 51 02 75002 » PARIS 13 JUIN 13 Hebdomadaire Paris Surface approx. (cm²) : 1256 L'esprit d'entreprise Loin de garder les deux pieds dans les mêmes sabots, les Meymacois, comme on commence à les appeler à Page 2/4 Bordeaux vont développer un esprit Eléments de recherche : CHATEAU FONROQUE : grand cru classé, Saint-Emilion, toutes citations d'entreprise qui va en étonner plus d'un On cite ainsi les Frères Pécresse qui, dès 1870, montent une entreprise de commerce à Pauillac. Maîs c'est surtout à Libourne, ville à laquelle la Dordogne les relie, que les Corréziens vont s'installer et prospérer. « Apres la guerre de 14, poursuit Jacques Mehat-Martmerie, te patrimoine et la richesse libournaise se sont effondrée. Aussi sort avec des entraides familiales, soit par l'intermédiaire de banques, tiya trois ou quatre opérateurs, originaires de Meymac, qui leur accordent des prêts d'honneur Les Meymacois, comme on commence à les appeler dans la région, s'établissent progressivement à Lboume, quai du Priourat, qui va bientôt devenir le pendant du fameux quai des Charbons à Bordeaux » A partir de ce moment, c'est une nouvelle période qui commence , on officialise en effet les adresses corréziennes en installant des boîtes aux lettres que vont relever les amis déjà en place et qui font ainsi suivre le courrier à Meymac Parallèlement, les plus entreprenants achètent des vignes car le problème est de trouver du vin et mieux vaut donc maîtriser la chaîne d'un bout à l'autre. On peut ainsi citer les familles Audy, Bourotte, Chassagnioux, Estager, Janoueix, Luquot, Moueix . Plus de cent familles d'origine corrézienne ont été ainsi recensées, faisant souche dans le Libournais à Saintemilion, Pommerol, Fronsac, (voir Calendrier des acquisitions) Parmi ces nouveaux investisseurs, citons Jean-Pierre Moueix, dont on disait n'avoir jamais rate une vente, et dont « l'empire », pour reprendre l'expression de l'auteur anglais Hugh Johnson, fut souvent comparé à celui des Rothschild On raconte ainsi qu'en 1945, lors de l'unique voyage qu'il fit à NewYork, il réussit en une seule journée, alors qu'il ne parle pas anglais, à vendre 200 caisses de grands crus dont. Cheval Blanc, Ausone et bien entendu Petrus, qu'il va ainsi mettre au pinacle. Ces négociants-propriétaires n'ont en effet pas oublié les leçons commerciales de leurs aînés. « Quand j'ai terminé l'Ecole du Vin a Paris, rapporte JeanFrançois Janoueix, mon père m'a dit "Tu vas aller dans le pays mimer et comme moi, te foire une clientele" et il m'a remis entre les mains le comet de mon grand-père, dont la plupart des adresses étaient périmées. Alors j'ai ete voir fe cure et lui DI fait cette proposition • "Je debute, je suis tout jeune, si vous m'in- diquez des familles où il y aura une communion dans les deux ou trois ans, je vous donnerai une bouteille par famille !" Je suis ainsi arrivé à faire dans h région 950 clients à la grande surprise de mon pere!» Ce sens du commerce transmis de génération en génération explique qu'il existe encore quai du Priourat nombreuses enseignes toujours en activité Les Corréziens aujourd'hui « Très bons gestionnaires, ayant de bons contrats d'approvisionnement avec des propriétés qu'ils connaissent depuis des décennies et continuant de vendre à des particuliers, qui sont très souvent tes petits-enfants des clients de leurs propres grands-parents, les Corréziens savent Calendrier des acquisitions dè 1920 à 1939 Quelques exemples de belles acquisitions par les Corréziens avant guerre • 1923 Château Taillefer par Antoine Moueix 1923 Château Hermitage-Mazerat par Jean-Baptiste Bourotte 1926 Château Clos U Canne et Clos Brun Mazeyre par Jean Vedrenne 1930 Château Haut Sarpe par Joseph Janoueix 1931 Château Fonroque par Jean Moueix, frere cadet d'Antoine 1932 Château Bonalgue par Achille Bourotte 1934 Château Grand-Mayne par Jean Nony 1936 Château Barde-Haut par André Gasparroux 1939 Château Tournefeuille par Leon Sautarel FRANCE - 13 JUIN 2013 FONROQUE 6354666300504/GBJ/OTO/3 Eléments de recherche : CHATEAU FONROQUE : grand cru classé, Saint-Emilion, toutes citations 13 JUIN 13 Hebdomadaire Paris 16 RUE SANT FIACRE 75002 PARIS - 01 42 36 51 02 Surface approx. (cm²) : 1256 Page 3/4 Le quai du Priourat entretenir la continuité d'un négoce d'une fidélité extraordinaire et unique» constate Didier Iecs, journaliste et observateur de longue date du marché bordelais. « Dans les affaires, poursuit-il, ils ont non seulement trouvé un très bon créneau maîs leur réputation d'honnêteté, de sérieux et d'opiniâtreté reste exemplaire. Si bien que pour l'ensemble des producteurs de la région, faire commerce avec eux est une garantie formidable. Et s'ils ont si bien réussi c'est parce qu'ils étaient avant tout très bons!» Reste cependant à ne pas oublier leurs origines, (voir encadré Musée) Aujourd'hui, parfaitement intégrés et Bordelais à part entière au même titre que l'ont été à leur époque les Anglais ou aujourd'hui les Belges, les Corréziens possèdent aujourd'hui quelque 250 châteaux. Ce qui expliquent les pourcentages exprimés en hectolitres qui, à la fin des années 70, se répartissaient comme suit : dans les appellations du Libournais : 25 % Pomerol, 12% Lalande de Pomerol, 9% Saintemilion et 3,5 % satellites de Saintemilion : Lussac, Fronsac, Montagne et Puisseguin ; dans les appellations du Médoc : 6,5 % Pauillac, SaintEstèphe, Margaux ; 4,5 % Moulis, Listrac, Haut-Médoc ; 1,5 % Médoc et Graves Rouges < 3 > Des pourcentages qui, selon les spécialistes, sont aujourd'hui à peu près identiques. Les Corréziens occupent donc toujours et sans doute pour longtemps encore une part importante du marché bordelais, d'autant qu'ils n'ont cessé de développer leur activité à l'expert sur tous les continents, avec des méthodes certes plus conventionnelles que celles des pionniers mais avec toujours ce même esprit commercial ancré en eux et transmis de génération en génération. • Barthélèmy (1) L'un des quatre fis de Joseph Janoueix Ensemble, les familles Janoueix possèdent aujourd'hui plus de 300 ha de vignes Voir également L'Auvergnat de Paris n°S87 du 2IIIOI20IO (2) Meymoc-pres-Bordeoux de la bruyère a h vigne, Marcel Pannaud, Editions du Ver Luisant (3) De la Montagne au Vignoble, Marc Privai Editions des monts d'Auvergne (4) Voir L'Auvergnat de Pam n°62l du 16/06/2011 Outils de taille de la vigne Le negoce corrézien à Libourne Pour comprendre l'importance de la souche corrézienne dans le commerce des vins de Bordeaux, il suffit de se référer au nombre de maisons issues des familles pionnières qui sont encore en activité, parmi lesquelles citons : Audy, Bareige, Bourotte, Chassagnoux, de Lavaux, Estager, Horeau Beylot, Janoueix François, Janoueix Guy, Janoueix Joseph, Leymarie, Massonie, Moueix Jean-Pierre, Ouzoulias, Peuch et 16 RUE SANT FIACRE Besse, Salesse-Cascaret, Theillassoubre, 75002 PARIS - 01 42 36 51 02 Vedrenne. FONROQUE 6354666300504/GBJ/OTO/3 13 JUIN 13 Hebdomadaire Paris Surface approx. (cm²) : 1256 Eléments de recherche : CHATEAU FONROQUE : grand cru classé, Saint-Emilion, toutes citations Page 4/4 La maison Moueix contrôle l'un des fleurons de la région : Château Petrus. Jean-Pierre Moueix 50 ans d'acquisitions Fort de ses résultats dans le négoce, Jean-Pierre Moueix ne cessa pas pendant cinquante ans de développer son patrimoine, qu'on en juge. En 1952 et 1953 il acquiert successivement les châteaux Magdeleine, Trotanoy, Lagrange, Fleur de Petrus. En 1956 il achète la maison de négoce Duclot. En 1961, il achète la moitié des parts de Petrus et en 1964 en assure la direction. Par la suite s'ajouteront les châteaux La Grave en 1971, Certan-Marzelle et Hosanna en 1999, l'achat définitif de Petrus en 2001, La Providence en 2002. Il décédera en 2003. Négoces et propriétés constituant cet « empire » seront repris par ses fils Christian et Jean-François auxquels succéderont leurs héritiers respectifs Edouard et Jean. (4) Un musée pour entretenir la flamme « S'il a existé, se souvient Jacques Méhat-Martinerie, un jumelage entre Saintemilion et Meymac, quand les Corréziens implantés ici étaient encore très attachés à leur territoire d'origine, le lien, pourtant très fort, s'est peu à peu délité.Après des décades d'années fastes qui ont duré jusqu'en 1980 les nouvelles générations se sont de moins en moins impliquées, considérant qu'une page était définitivement tournée. » Pourtant certains tentent d'entretenir la flamme pour faire revivre ce passé prestigieux. D'où le projet d'un musée du vin, longtemps mûri par Marcel Parinaud, qui est en train de voir le jour à Meymac, tandis que jacques Méhat-Martinerie, lui-même originaire de Liginiac, lui donne déjà une résonance dans l'Ecomusée du Libournais à Montagne. FONROQUE 6354666300504/GBJ/OTO/3 Eléments de recherche : CHATEAU FONROQUE : grand cru classé, Saint-Emilion, toutes citations FRANCE - 13 JUIN 2013