050811 grands prématurés

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Note de veille, 5 août 2011
La réanimation néonatale : quelles conséquences et quelles limites ?
La médecine néonatale a fait des progrès considérables dans la prise en charge des
prématurés, permettant de reculer toujours plus le seuil du terme de la prise en charge. Ainsi
dans les années 1970, un prématuré pesant entre 500 et 750 grammes à la naissance n’avait
aucune chance de survie, alors qu’il en avait 27 % à 63 % en 1995 1. Cependant, cette
possibilité accrue de survie s’accompagne bien souvent de conséquences lourdes pour
l’enfant, ce qui soulève un certain nombre de questions éthiques.
En France, chaque année, environ 10 000 enfants naissent grands prématurés, c’est-à-dire
entre 22 et 32 semaines d’aménorrhée 2 (SA), soit 1,3 % des naissances totales. À titre de
comparaison, la durée normale d’une grossesse est d’environ 40 semaines. Les chances de
survie ont fortement augmenté ces dernières années : aujourd’hui, le taux de survie des
enfants nés à 26 SA est de 80 %, celui de ceux nés à 25 SA est de 65 %, 41 % pour 24 SA et
18 % pour les bébés naissant au bout de 23 semaines 3.
La loi française établit la limite minimale pour la déclaration de naissance d’un enfant né
vivant au terme de 22 SA ou au poids de 500 grammes, se basant sur les recommandations de
l’OMS (Organisation mondiale de la santé) de 1977 4. Cependant, dans la pratique, il a été
recommandé en 2010 par le Groupe de réflexion sur les aspects éthiques de la périnatalogie de
ne pas entreprendre de réanimation en dessous de 24 SA, mais de proposer une solution
palliative. Après 25 SA, une prise en charge complète est généralement proposée. Entre ces
deux termes se situe une zone « d’ombre », où c’est à l’équipe de réanimation de prendre la
décision qui lui semble être la plus appropriée pour l’enfant.
Si la Suisse propose plus ou moins les mêmes recommandations qu’en France, ce n’est pas le
cas de tous les pays. Ainsi, aux Pays-Bas, la limite de réanimation est établie à 25 semaines
d’aménorrhée, tandis qu’aux États-Unis, elle se situe à 23 SA ou 400 grammes. En GrandeBretagne, il est recommandé de ne pas réanimer en dessous de 23 semaines, et entre 23 et 24
1
http://aappolicy.aappublications.org/cgi/reprint/pediatrics;110/5/1024.pdf
Le terme de semaines d’aménorrhées correspond au nombre de semaines écoulées depuis les dernières règles,
soit le nombre de semaines depuis la fécondation plus deux semaines. C’est une convention internationale.
3
http://cordis.europa.eu/fetch?CALLER=NEWSLINK_FR_C&RCN=30645&ACTION=D
4
Circulaire n° 50 du 22 juillet 1993 relative à la déclaration des nouveau-nés décédés à l’état civil,
http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2001/01-50/a0503302.htm
2
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1
SA, la décision est laissée aux parents (les médecins ne sont cependant pas obligés d’accepter
de réanimer le bébé s’ils jugent la procédure inutile).
Deux études, EPIcure et Epipage, menées sur des enfants prématurés respectivement au
Royaume-Uni et en Irlande à partir de 1995, et en France à partir de 1997, ont étudié le
devenir neuro-développemental de ces enfants à différents âges. D’après Epipage, au total, à
l’âge de 5 ans, 40 % des grands prématurés présentaient un trouble moteur (paralysie
cérébrale), un retard intellectuel ou une déficience sensorielle (auditive ou visuelle), contre
12 % chez les enfants menés à terme. À l’âge de 6 ans, 10 % des enfants de l’étude EPIcure
présentaient des troubles cognitifs sévères et 31 % des problèmes nécessitant une aide
extérieure pour suivre une scolarité normale.
Proportion des enfants avec des scores élevés de troubles de comportement en fonction de l’âge
gestationnel à la naissance (à l’âge de 5 ans, Etude Epipage)
Source : http://www.invs.sante.fr/beh/2010/16_17/beh_16_17_2010.pdf
Globalement, plus l’âge gestationnel est faible et plus les troubles de développement sont
importants, ce qui est à mettre en relation avec le fait que la période entre 22 et 25 SA
correspond à une période de développement cérébral actif. Un certain nombre de facteurs
permettant de diminuer la mortalité et les troubles neuro-développementaux ont cependant été
mis en évidence récemment : lorsque l’enfant à naître est de sexe féminin, lorsque la mère est
traitée par corticoïdes pendant la grossesse, le fait que la grossesse ne soit pas multiple et le
poids de naissance.
Ces deux études ont permis d’identifier pour la première fois le devenir des grands
prématurés. Les données doivent désormais être réactualisées, car les évolutions rapides des
techniques ont entraîné une augmentation du nombre d’enfants vivants après réanimation.
EPIcure 2 a ainsi débuté en 2006, de même qu’Epipage 2, en mars 2011 (l’étude prévoit de
suivre 4 000 enfants grands prématurés jusqu’à l’âge de 12 ans).
Avant, la détresse vitale infantile conduisait au décès, tandis qu’aujourd’hui, les moyens
techniques disponibles permettent d’y remédier, même si cela peut entraîner des
conséquences plus ou moins lourdes pour l’enfant. Cela conduit les médecins et les parents à
se poser la question des limites à fixer et du but à viser. Quand parle-t-on d’acharnement
thérapeutique ? Le médecin doit-il tout tenter et prendre le risque que l’enfant reste handicapé
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à vie ? Doit-il prendre la décision d’arrêter la réanimation et de laisser l’enfant mourir ?
Décision d’autant plus difficile à prendre que tout est fait dans l’urgence.
Dans certains cas, l’enfant respire de façon autonome après réanimation mais est porteur de
séquelles neurologiques extrêmement graves. La perspective d’une vie végétative pour
l’enfant, empêchant toute possibilité relationnelle, peut être insupportable pour les parents.
Doit-on alors lui donner la mort ? Ce qui suppose notamment, outre le dilemme éthique, une
transgression de la loi. Les parents jouent un rôle central et doivent être impliqués par
l’équipe soignante dans la prise de décision, d’après le Comité consultatif national d’Éthique.
Les principes de non-nuisance et de bienfaisance à l’enfant s’appliquent en pratique et les
choix sont faits au cas par cas et au mieux, pour l’enfant comme pour ses parents. Selon le
Comité, trois mots sont à prendre en compte : responsabilité, discernement et humanité.
Mathilde Cossé
Sources : PIERRE Marion. Analyse de deux attitudes de prise en charge des extrêmes
prématurés autour des limites de viabilité en salle de naissance. Paris : université Paris
Descartes,
mémoire
de
master
2
« Recherche
en
éthique »,
2010,
http://www.ethique.inserm.fr/inserm/ethique.nsf/937238520af658aec125704b002bded2/5207
aa36ff84649fc12577bc005854ed/$FILE/M%C3%A9moire%20M%20Pierre.pdf ;
CCNE.
« Réflexions éthiques autour de la réanimation néonatale »Avis n° 65, 14 septembre 2000,
http://www.ccne-ethique.fr/docs/fr/avis065.pdf ; InVS (Institut national de veille sanitaire).
« Devenir à l’âge scolaire des enfants grands prématurés. Résultats de l’étude Epipage »,
Bulletin
épidémiologique
hebdomadaire,
n°16-17,
4
mai
2010, http://www.invs.sante.fr/beh/2010/16_17/beh_16_17_2010.pdf ; Site internet de l’étude
EPIcure, www.epicure.ac.uk.
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