Pr Leila HARIDI, chef de l`unité de néonatologie au CHU Beni
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Pr Leila HARIDI, chef de l`unité de néonatologie au CHU Beni
ENTRETIEN Pr Leila HARIDI, chef de l’unité de néonatologie au CHU Beni-Messous : « Il est important de dépister, précocement, les troubles du nouveau-né » Dans cette interview, le Pr. Haridi, ayant une longue expérience dans la prise en charge des nourrissons présentant un gros potentiel de risque d’handicap, plaide pour une, bonne, surveillance des grossesses à haut risque, une amélioration de la prise en charge, en salle de naissance, avec les moyens de dépistage, à temps, de la souffrance fœtale, et en postnatal, une formation du personnel, travaillant en salle de naissance, sur les techniques de réanimation d'un nouveau-né. •• Propos recueillis par Rania HAMDI ous êtes membre du Comité d'experts qui travaille sur un programme de dépistage, précoce, des troubles touchant les nouveaux nés. En quoi consiste votre apport, en votre qualité de chef de l'unité de néonatologie, au CHU Beni Messous? V Je suis chef d'unité de néonatologie, en pédiatrie, à Béni Messous et nous assurons le suivi, à long terme, des nouveau-nés à haut risque de handicap. En effet, de nombreuses pathologies périnatales, évitables et pourvoyeuses de handicap lourd - car elles vont léser un cerveau, particulièrement, vulnérable du fait de son immaturité – restent, dramatiquement, fréquentes, chez nous, du fait des insuffisances d'un programme de prévention, adéquat et adapté. Il s'agit, essentiellement, de l'asphyxie néonatale, avec ou sans traumatisme obstétrical et de la prématurité (surtout les grands prématurés de moins de 32SA), qui agrandissent, chaque année, la cohorte des handicaps lourds. Plus accessoirement, l'ictère, grave, du nouveau-né mieux maitrisé en matière de prévention, les infections, l’aberration chromosomique etc.... Les nouveau-nés, ayant présenté une asphyxie néonatale et les prématurés, constituent une population cible que nous appelons " nouveau-nés à risque" et que nous devons suivre, régulièrement, après leur sortie, de façon à pouvoir dépister, précocement, les différents handicaps, qu'ils soient moteurs, sensoriels, psychoaffectifs, cognitifs ... Seuls 2 ou 3 services, en Algérie, assurent ce suivi ! Or il est très important de dépister, précocement (mais, il faut une formation, pour cela), pour pouvoir prendre en charge, précocement, ces enfants et réduire, ainsi, avec la famille et les différents partenaires impliqués dans la prise en charge, la gravité du handicap. Vous avez, souvent, mis en avant le fait que les nombres de naissances augmentent, considérablement, dans les maternités des CHU, alors que le personnel n'évolue pas, en parallèle. Quelle en est la conséquence, directe, sur le nourrisson et la maman? Le nombre de naissances augmente dans les grandes maternités des CHU car elles reçoivent, non seulement les grossesses à haut risque mais, aussi, le tout-venant et je donne, pour exemple, la maternité de Béni Messous, dont le nombre de naissances est multiplié par 3, en 20 ans (d'environ 3500 naissances, en 1990, à plus de 10000 naissances, en 2010). Or, l'unité de néonatologie, qui doit recevoir les nouveau-nés posant problèmes, de la maternité n'a pas suivi, en matière de capacité d'accueil. Elle reste très insuffisante, par rapport au nombre, croissant, de nouveau-nés posant problèmes, surtout les grands prématurés, 40 Santé-Mag - N° 04 Mars 2012 dont la durée d'hospitalisation est longue, souvent supérieure à 01 mois. La conséquence, malheureuse, est que nous n'arrivons plus à faire face à la demande, croissante, d'hospitalisations de nouveau-nés en détresse, faute de place ; d'où le désarroi des médecins et des familles, car il n'y a pas de place à l'improvisation en néonatale ; il faut un minimum de rigueur. Il n'est pas question, par exemple, comme on nous le suggère, parfois, de mettre deux nouveau-nés dans une même couveuse! Nous ne l'avons jamais fait, à Béni Messous. Nous ne manquons pas de personnel qualifié, durant la journée et en matière d'équipement, il y a eu beaucoup d'amélioration, mais le problème se pose la nuit ; or vous savez que la continuité des soins est vitale, chez le nouveauné. Les césariennes sont, souvent, pratiquées alors que la souffrance fœtale est à son paroxysme. Pour quelles raisons? Peut-on alors sauver, raisonnablement, le nouveau-né? Le nombre de césariennes a, certes, beaucoup augmenté, mais le nombre d'asphyxies néonatales n'a pas beaucoup diminué car, il est vrai qu'un certain nombre de femmes sont évacuées ou arrivent trop tard et la césarienne est faite, in extrémis, alors que le fœtus a déjà, beaucoup souffert, in utéro. Dans ces cas, même une réanimation Santé-mag >ENTRETIEN bien conduite pourra, difficilement, améliorer la situation, car les lésions cérébrales sont irréversibles. Mais, ce qui est important de développer, ce sont les moyens, fiables, de dépistage de la souffrance fœtale, en salle de travail, dans toutes les maternités, pour décider, rapidement, d'une césarienne. Mais, il faudrait préciser ce point avec nos confrères obstétriciens. Beaucoup de praticiens, qui s'occupent de la petite enfance, regrettent la distorsion entre l'activité des obstétriciens et des pédiatres, qui ne travaillent pas, toujours, en complémentarité. Qu'en pensez-vous? Il est clair que la collaboration obstétrico pédiatrique laisse un peu à désirer et qu'il est important que nous travaillons, ensemble, pour optimiser la prise en charge mère enfant. En effet, le pédiatre, avant de préparer, par exemple, la réanimation d'un nouveau-né, à la maternité, doit, au minimum, s'enquérir, avec l'obstétricien, du dossier de la mère et j'ai du mal à comprendre qu'un obstétricien, qui a suivi une maman, durant toute sa grossesse, surtout s'il s'agit d'un prématuré, n'a pas la curiosité de savoir si ce prématuré va bien, s'il a survécu, etc... Il est, donc, important que nous pédiatres, spécialisés en néonatologie, allions en obstétrique et que les obstétriciens aillent en néonatologie ! En fait à Béni-Messous, les résidents assurent, 24 h sur 24, les appels en salle de naissance, pour assurer la réanimation des nouveau-nés en détresse, avec un ainé et nous recevons, régulièrement, dans l'unité des résidents en obstétrique, pour une formation en néonatologie. Un bébé en asphyxie périnatale encourt le risque de garder des séquelles, physiques et cérébrales, irrémédiables. Que faut-il faire, pour lui éviter un handicap ? Le handicap ne sera évité que si on agit en amont, en appliquant le programme de prévention en pré, per et postnatal. Ce programme est, certes, bien codifié dans les textes, mais son application, sur le terrain, laisse à désirer. Il faut une surveillance de qualité et une prise en charge, effective, des grossesses à haut risque, une amélioration de la prise en charge, en salle de naissance, avec les moyens de dépistage, à temps, de la souffrance fœtale et en postnatal. Il faut former et diffuser, à l'ensemble du personnel travaillant en salle de naissance, les techniques de la réanimation d'un nouveau-né et il faut agir vite, car il s'agit d'une véritable action de sauvetage d'un cerveau en danger et les 5 premières minutes sont très importantes et si la respiration du nouveauné ne reprend pas et qu'il se détériore, sur le plan de l'activité cardiaque, il y a un risque, certain pour son cerveau, car l'hypoxie( manque d'oxygène) va entrainer une destruction des cellules nerveuses qui, malheureusement, ne se reproduisent pas. En réalité, quel est le taux des nouveaux nés, pris en charge, à temps et surtout, efficacement ? Je ne peux, malheureusement, pas répondre à cette question, de façon précise, mais il est clair que si la souffrance fœtale n'a pas duré trop longtemps et que sa réanimation a été bien conduite, à la naissance et qu'on ait pu remonter son score d'Apgar à plus de 6 à 5 minutes et si son examen neurologique est normal, il a des chances pour que son cerveau ne soit pas lésé et il pourra survivre, sans séquelles. Ce sont des situations qui, heureusement, sont encore courantes. Quels types de handicaps sont induits par l'asphyxie périnatale? Tout dépend de la gravité de l'asphyxie, que l'on classe en 3 stades de gravité croissante et à long terme, on peut avoir plusieurs types d'anomalies du développement. Cela va du handicap majeur avec, au pire un enfant infirme moteur (IMC) tétraplégique, qui ne pourra jamais marcher, ne pourra pas parler, avec, parfois, une épilepsie, particulièrement difficile à traiter, des Santé-Mag - N° 04 Mars 2012 41 troubles sensoriels visuels (cela va du strabisme à la cécité), auditifs (hypoacousie ou surdité), un retard mental , des troubles graves du comportement (hyperactivité, autisme ..) et quand il ne présente pas de handicap moteur, il peut présenter des troubles des apprentissages, avec difficultés scolaires, voire échec scolaire. Donc, tout une série d'anomalies neuro développementales que les français appellent IMC, IMOC, et les anglo-saxons « cerebral palsy ». L'équipe médicale parvient, de plus en plus, à maintenir en vie les prématurés, de petits poids. Est-ce que toutes les conditions sont réunies, pour prendre en charge ces grands prématurés? La prématurité est un autre problème, qui pourrait faire l'objet d'une autre entrevue. Oui, il est vrai qu'on arrive à faire survivre un certain nombre de grands prématurés de moins de 1000g ; mais combien? Car, comme vous le savez, la prématurité est fréquente chez nous ; on l'estime entre 8 à 12% des naissances vivantes. La mortalité néonatale (O à 28 jours) est élevée (13,5 pour mille) et la prématurité et ses complications respiratoires (en rapport avec l'immaturité pulmonaire) est la principale cause de la mortalité néonatale. Peu d'unités de néonatologie peuvent prendre en charge les grands prématurés, qui nécessitent, dès la naissance, une assistance ventilatoire, du fait de leur immaturité pulmonaire. Il n'existe, en Algérie, que 3 services ou unités de niveau III, pouvant assurer une réanimation avec assistance ventilatoire, pour les grands prématurés : HCA, Mustapha et Béni Messous. Ces grands prématurés arrivent, donc, à survivre, chez nous, s'ils ne présentent pas de complications respiratoires graves. Par ailleurs nous ne disposons pas, chez nous, de surfactant pulmonaire, qui, avec la ventilation assistée, diminuerait les décès des prématurés souffrant de détresse respiratoire, en rapport avec leur immaturité pulmonaire.•