Le secteur informel en Algérie - Erudite - Université Paris-Est

Transcription

Le secteur informel en Algérie - Erudite - Université Paris-Est
Le secteur informel en Algérie : évolution, caractéristiques et facteurs explicatifs
Imène Klouche* et Samira Khendek**, Université de Tlemcen
Résumé
La présente étude se propose d’analyser le secteur informel en Algérie selon une perspective institutionnaliste pour
comprendre dans quelle mesure les couts de transaction (couts de la réglementation : enregistrement, impôts et
taxes…) contribuent au développement du secteur informel. Il y a lieu également d’analyser la nature des activités
que recouvre ce secteur ; s’agit-il d’un secteur informel dynamique ou d’un secteur informel de subsistance ?
Notre étude, qui se fonde sur les définitions du BIT du secteur informel de 1993 qui se focalise sur l’unité
économique et du concept plus large de l’emploi informel introduit en 2002, mobilise essentiellement les données
d’une enquête menée à Tlemcen en 2012 auprès d’un échantillon représentatif de 550 ménages répartis sur 16
communes, montre qu’il s’agit plutôt d’un secteur de subsistance au regard de la faiblesse des revenus et du capital
humain des actifs qui s’y adonnent.
Mots-clés : Algérie, coûts de transaction, emploi informel, secteur informel, Tlemcen.
JEL: O17, D23.
The informal sector in Algeria: evolution, characteristics and explanatory factors
Abstract
This paper proposes to analyze informal sector in Algeria according to an institutional perspective in order to
understand how transaction costs (costs regulation, registration, taxes…) contribute in the development of informal
sector. In the same time, this research paper discuses the nature of activities covered by this sector; whether it is a
dynamic or a subsistence sector?
Our study which is based on the ILO definition of informal sector adopted in 1993 that focuses on the economic
units, and on the large concept of employment informal introduced in 2002, is using data of survey constituted from
a representative sample of 550 households including 16 municipalities in Tlemcen on 2012, shows that it is an
informal sector according to the low income and human capital of the informal workers.
Keywords: Algeria, informal employment, informal sector, Tlemcen, transaction costs.
Etudiante en magister sciences économiques, option "Analyse des institutions et du développement". E-mail :
[email protected]
** Etudiante en magister sciences économiques, option « Analyse des institutions et du développement ». E-mail :
[email protected]
*
Introduction
Selon la Banque mondiale, l’emploi informel en Algérie représente 40% de l’emploi total non agricole.
Cette taille fait de celui-ci un segment important de l’économie. Les études consacrées au secteur informel
en Algérie n’appréhendent pas tous les segments de ce dernier mais insistent sur tel ou tel aspect de
l’informalité selon leurs objectifs. Lorsqu’il s’agit d’économie parallèle on évoque (Henni, 1991), micro
entreprises (Bennissad, 1994), travail à domicile (Lakjaa, 1997)… Une étude plus récente (Bellache, 2010)
met en évidence l’hétérogénéité de ce secteur ainsi que la prédominance en son sein d’activités de
subsistance. Dès lors, notre étude se propose d’analyser le secteur informel et l’emploi informel au sens
des définitions du BIT de 1993 et 2002, pour savoir s’il s’agit d’un secteur informel de subsistance ou d’un
secteur informel dynamique, d’une part, et tenter de comprendre dans quelle mesure les coûts de
transaction (coûts de la réglementation : enregistrement, impôts et taxes…) contribuent au développement
du secteur informel d’autre part.
Cet article est constitué de trois parties dans un premier temps nous présenterons le secteur informel sur la
base des définitions publiées par le BIT, dans un deuxième temps nous essaierons de cerner les facteurs
qui expliquent l’émergence de l’économie informelle notamment le fardeau de la réglementation, puis dans
un troisième temps nous estimerons la taille du secteur informel sur la base d’une enquête menée à
Tlemcen.
1. Définition du secteur informel et de l’emploi informel
Une littérature abondante traite du secteur informel mais sa définition reste toujours problématique.
L’objet de cette section est de rappeler l’évolution des définitions du secteur informel émanant
principalement du BIT.
1.1. Définition du BIT de 1972
Le concept de secteur informel a vu le jour suite au rapport du BIT publié en 1972 sur l’emploi au Kenya
(BIT, 1972). En effet, le BIT s’est basé sur les études antérieures réalisées par Lewis, Jorgenson et Ranis
qui ont démontré l’existence d’un secteur intermédiaire. Ils ont constaté une augmentation de la
population urbaine qui n’était pas soutenue par l’augmentation du chômage apparent ou déguisé, et que cette
main d’ouvre excédentaire était non pas absorbé par le secteur industriel moderne mais par des activités de
très petites tailles appelées Secteur informel (Bounoua, 2002, 91). Dans son rapport, le BIT a souligné que dans
les pays en développement, notamment le Kenya, le problème ne réside pas dans l’existence du chômage
mais dans l’existence d’une population qui travaille sans être déclarée et ne bénéficie pas de ce fait des
avantages des pouvoirs publics (Hammouda, 2002, 62).
Le BIT a définit le secteur informel sur la base de 7 critères qui paraissent obsolète de nos jours, ils ont
fait l’objet de nombreuses critiques à l’époque, jugés le plus souvent vastes, négatifs et contradictoires.
(Bounoua, 2002, 95). Une autre critique a été celle de la non prise en compte des relations existantes entre
les deux secteurs formel et informel, selon Charmes cette dichotomie est délibérée dans le but de faciliter
l’analyse (Charmes, 1990, cité par Bellache, 2010, 32).
1.2. Définition du BIT de 1993
Etant donné les limites de la définition de 1972 qui est devenue incompatible avec une réalité dans laquelle
les deux secteurs sont en étroite relation, le BIT a élaboré une nouvelle définition en 1993 suite à la 15ème
conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) « Un ensemble d’unités produisant des biens et
services en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces
unités ayant un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou
pas de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail,
lorsqu’elles existent, sont surtout personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels
comportant des garanties en bonne et due forme» (BIT, 1993)
Les principaux objectifs de la 15 CIST ont été de : Donner une nouvelle image du secteur informel qui
exclurait les activités illégales et souterraines, ceci suite à la 14eme CIST qui a eu lieu en 1987, où le
représentant Kenya en a affirmé que les actifs informels exercent leur activité « sous le soleil brulant » sans
volonté délibérée d’échapper à la réglementation, un autre objectif a été d’exclure les activités agricoles du
champ de définition du secteur informel, et surtout d’inclure la pluriactivité (Charmes, 2005, 3).
1.3. Concept de l’emploi informel (BIT, 2002)
Le BIT a révisé une nouvelle fois la définition du secteur informel, mais cette fois ci il a introduit un
concept plus large celui de l’emploi informel qui englobe le secteur informel ainsi que l’ensembles des
salariés informels dans les entreprises formelles, les travailleurs familiaux non rémunérés dans les entreprises formelles, les
travailleurs domestiques rémunérés et les travailleurs indépendants produisant des biens destinés aux ménage. (Bellache,
2010, 34).
En effet, selon la définition de 1993, le secteur informel se compose uniquement des individus qui activent
dans le secteur informel, alors que le concept d’emploi informel prend en considération le travail non
déclaré du secteur formel (Charmes, 2005, 7).
2. Les facteurs explicatifs du secteur informel
Le secteur informel tire sa source de plusieurs facteurs (démographiques, économiques, culturels,
sociopolitiques) mais les facteurs réglementaires et institutionnels, dans le contexte algérien, semblent
jouer un rôle prépondérant dans son développement.
2.1. L’émergence de la théorie néo-institutionnelle
L’économie néo-institutionnelle a vu le jour durant les années 1970 avec les travaux de Coase (1937), de
Williamson (1979) et de North (1990).
Cette théorie tire ses racines de l’institutionnalisme américain de la fin du 19 ème siècle (Veblen,
Commons, Mitchell,…). Elle renouvelle l’approche institutionnaliste en se basant sur les institutions,
comme un nouvel outil d’analyse qui fournit une meilleure explication des problèmes que rencontrent les
économies et en particulier celles des pays en développement.
2.1.1 Définition des institutions
Pour donner une définition claire et commune, nous allons nous référer à celle donnée par Douglass
North : « les institutions sont les contraintes conçues par les humains et qui structurent les interactions
politiques, économiques et sociales. Elles sont constituées de règles formelles et de contraintes
informelles » (North, 1990, 3-4).
Les institutions formelles : Ce sont toutes les règles écrites, la constitution, les règlements, les lois. Elles sont
simples et précises et elles ne représentent qu’une petite part dans la structuration des actions humaines.
Leur exécution doit être assurée par une entité, généralement l’Etat ou ses administrations.
Les institutions informelles : Elles occupent une grande place dans le façonnement des comportements
humains. Elles intègrent la culture, la religion, les codes de conduite auto-imposés, les coutumes, les
traditions, l’idéologie…. Contrairement aux règles formelles, les contraintes informelles sont beaucoup
plus difficiles à cerner et surtout à modifier. Leur exécution est assurée par des individus appartenant à un
même groupe ou, une communauté. (North, 2003, 8).
2.1.2 Le lien entre les institutions et les coûts de transaction
Selon les partisans de la théorie néo-institutionnelle, les coûts de transaction expliquent l’existence des
institutions. Le marché est caractérisé par des coûts de transactions élevés, les institutions sont donc
indispensables pour la réduction de ces coûts. Un cadre institutionnel caractérisé par des règles formelles
efficaces qui garantissent la protection des droits de propriété et des contrats, permettent de réduire les
coûts de transaction et incitent les agents à investir et innover.
.
2.2 . Les causes de l’informalité
Il existe des facteurs qui poussent les individus à opérer dans le secteur informel à l’économie informelle
et qui relèvent de la rationnalité. Les individus font un calcul en termes de coûts et bénéfices afin de
choisir dans quel secteur ils vont opérer. S’ils trouvent que les coûts associés à la formalité dépassent ceux
liés à l’activité informelle, ils opteront donc pour le secteur informel. (Djankov, lieberman, Mukherjee,
Nenova, 2002, 1).
Les principaux déterminants de l’informalité peuvent être résumés dans ce qui suit.
2.2.1.
La faiblesse de l’emploi formel
C’est un facteur qui explique l’évolution du secteur informel à la fois dans les pays développés et en
développement. Ainsi, l’offre d’emplois formels sur le marché du travail ne peut plus absorber toute la
demande car la population active croît à un rythme accéléré en particulier la main d’œuvre non qualifiée
(Chambwera, Macgregor, and Baker, 2011, 4).
La plupart des études théoriques associées au secteur informel définissent quatre principaux déterminants
de l’économie informelle.
2.2.2. Imposition trop élevée
Lorsque les taxes sont nombreuses et trop lourdes, les entreprises sont incitées à dissimuler une partie de
leur revenu (Kaufmann, Johnson, 1999,7)
Selon Schneider, le paiement des impôts et les cotisations sociales sont les déterminants clés de l’économie
parallèle (Schneider, Buehn, Claudio, Montenegro, 2010, 445).
Une étude faite en 1994 par le Centre de développement de l’OCDE, basée sur une enquête auprès d’un
échantillon de micro-entreprises et d’indépendants dans sept pays en développement1, montre que
l’Algérie a la pression fiscale la plus lourde (environ 90% des entreprises payent plus d’un impôt). Ceci
peut expliquer la raison pour laquelle les entreprises pratiquent la fraude fiscale (Morisson, 1995, 14).
D’après une enquête faite par la Banque mondiale auprès d’un échantillon d’entreprises situées dans 123
pays différents, le taux d’imposition fait partie des quatre obstacles qui entravent l’activité des entreprises.
Ainsi, parmi les économies riches en ressources naturelles, l’Algérie a le taux d’imposition le plus élevé
(72% des bénéfices) alors qu’il ne représente que 11 % des bénéfices au Qatar (Doing Business, 2011).
Le graphe ci-dessous nous montre une comparaison entre les taux d’impositions totaux dans quelques
pays.
taux d'imposition total
Graphique 1 : le taux d’imposition total sur les entreprises de type PME (en % des bénéfices)
100
62,9
50
72
42,7
32,3
49,6
0
Source : Mise à jour des auteurs à partir des données de Doing Business- 2013.
Le rapport de Doing Business montre que depuis 2006 le taux d’imposition sur les entreprises est resté
stable. Ainsi, dans toute la région MENA, l’Algérie a le taux d’imposition le plus élevé. A l’échelle
mondiale, l’économie algérienne se classe à la 170 eme place parmi 185 pays concernant cet indicateur
(Doing Business 2013).
Les entreprises algériennes revendiquent l’élimination de la TAP (taxe sur activité professionnelle). Selon
le Forum des Chefs d’Entreprises-principale organisation patronale- cette taxe est très contraignante et
pénalisante pour les entreprises. Elle représente 2% du chiffre d’affaire.
Les cotisations sociales sont aussi trop lourdes pour un secteur productif encore fragile. Les charges
sociales s’élèvent à 35% dont 9% sont à la charge de l’employé.
2.2.3. Le poids de la réglementation
La complexité de l’environnement des affaires décourage l’enregistrement des entreprises (Chambwera,
MacGregor, Baker, 2011, 3).
1
Algérie, Equateur, Jamaique, Niger, Swaziland, Taillande et Tunisie
Lorsque le cadre institutionnel n’est pas propice à la création des entreprises de manière formelle, les
entrepreneurs préfèrent opérer dans le secteur informel et éviter le fardeau de la réglementation.
De Soto souligne que l’ampleur du secteur informel au Pérou s’explique en grande partie par l’inefficience
du cadre institutionnel. En effet, les lois et règlements du pays étaient non propices au développement
d’un secteur formel performant et dynamique. (Alina Marquez, 1990, 211).
Il existe beaucoup d’avantages liés au secteur informel. Les agents peuvent échapper à la réglementation
excessive. Cette dernière est constituée de deux types de coûts : indirects et directs0
Les coûts indirects sont mesurés par le temps nécessaire pour l’accomplissement de toutes les procédures
requises pour la création d’une activité.
Par exemple, la réglementation imposée pour le démarrage d’une entreprise est mesurée par le nombre de
procédures, le temps et le coût nécessaires pour le fonctionnement formel d’une entreprise.
Les coûts directs sont les pots -de- vin que payent les entreprises aux fonctionnaires de l’Etat en vue de
faciliter et alléger les procédures administratives (Djankov et al, 2002, p4).
En effet, selon Johnson et Kaufmann (1999), les entrepreneurs dissimulent une partie de leur revenu (en
ne déclarant qu’une partie de leurs ventes) pour échapper à la corruption de la part des bureaucrates.
Ces fonctionnaires profitent de leur position pour exproprier les entreprises. Dès qu’ils voient qu’une
entreprise dégage des bénéfices importants, ils tentent de l’exproprier via la corruption.
2.2.4 La réglementation liée à la création d’une entreprise en Algérie
La création d’entreprise en Algérie est un processus à la fois compliqué, lent et couteux.
Le démarrage d’une entreprise : en 2013, l’Algérie se classe à la 156ème position parmi 185 pays. Elle perd une
place par rapport à 2012 et trois places par rapport à 2011. Depuis 2006, le nombre de jours (25) et de
procédures nécessaires(14) pour le commencement de l’activité pour une entreprise sont restés les mêmes.
Figure 2 : le nombre de jours et de procédures nécessaires pour le démarrage d’une entreprise en 2013.
25
20
15
10
5
0
25
6
Le nombre de
procédures
11
12
14
6
10
4
7
Les délais
6
Source : Mise à jour des auteurs à partir de Doing Business
Dans la région MENA, l’Algérie fait partie des trois pays où la réglementation liée à l’entrée d’une
entreprise en activité est la plus lourde.
L’octroi du permis de construction : Selon les rapports de Doing Business, l’Algérie se classe à la 152ème position
concernant cet indicateur. Le délai et les procédures dont doit s’acquitter une entreprise qui souhaite
construire un entrepôt sont très longs en Algérie par rapport aux autres pays comme le montre le
graphique ci-dessous.
Figure 3 : le nombre de procédures et délai nécessaires pour l’obtention d’un permis de construction.
281
300
250
200
151
150
50
17
le nombre de
procédures
97
88
100
143
15
17
14
19
le délai
0
Source : Mise à jour des auteurs à partir des données de Doing Business.
Ce graphe illustre que parmi les pays de l’OCDE et de la région MENA l’Algérie est le pays qui présente le
plus grand nombre de procédures et le plus long délai pour l’obtention d’un permis de construction.
La réglementation en Algérie apparait ainsi lourde et excessive. Dans ce sens, des études de Friedman et al
(2000) ont montré que l’augmentation d’un point dans le poids de la réglementation entraine une
augmentation de 12% de la taille de l’économie souterraine. Une réglementation excessive sur le marché
du travail peut aussi inciter les entreprises à embaucher des personnes sans les déclarer. (Singh, JainChandra, Mohommad, 2012, 44).
2.2.5 les services publics et l’Etat de droit
La qualité des services publics offerts par le gouvernement est un déterminant important du secteur
informel car elle influence le choix des individus (Schneider, Buehn, Montenegro, 2010, 446). Les
individus qui activent dans le secteur informel ne peuvent pas bénéficier des services publics (protection
contre les vols et les crimes, accès au financement, protection des droits de propriété...). C’est l’un des
inconvénients de ce secteur.
Toutefois, dans les pays où l’Etat de droit ne règne que de manière sélective et où le système judicaire est
incapable de faire respecter les contrats et les droits de propriété, les coûts de transaction liés à la
formalisation sont beaucoup plus élevés que ceux du secteur informel. Dans ce cas, les individus préfèrent
opérer dans le secteur informel puisque le secteur formel ne leur offre pas de meilleures opportunités
(Djankov et al, 2002, 8).
La difficulté d’accès au financement représente également un grand obstacle pour la formalisation.
En effet, tant que les causes de la pauvreté se maintiennent (faibles infrastructures, sources de financement
insuffisantes….) les possibilités de formalisation restent faibles (Chambwera, Macgregor, Baker, 2011, 9).
L’accès au financement est très important pour la croissance et le développement d’une entreprise. De ce
fait, les entrepreneurs qui opèrent dans le secteur informel ont des ressources financières très limitées et
ne peuvent pas emprunter auprès des banques à cause des documents exigés (état financier, garanties,…)
et du coût de l’emprunt.
3. Le secteur informel en Algérie résultats préliminaires d’une enquête auprès des ménages
Cette section a pour objet de présenter et d’analyser les premiers résultats d’une enquête menée, dans la
wilaya de Tlemcen en 2012, auprès d’un échantillon de 550 ménages dans le but d’appréhender la réalité
du secteur informel et de cerner ainsi ses principales caractéristiques ainsi que son poids relatif en termes
d’emplois.
3.1 Localisation géographique de la wilaya de Tlemcen
Selon le RGPH de 2008, la wilaya de Tlemcen compte une population de 949135 habitants, sa superficie
est de 9061 km².Elle est située à l’extrême ouest de l’Algérie. Du point de vue administratif, Tlemcen est
compte 53 communes regroupées en 20 dairates. Ainsi, elle compte 7 communes frontalières avec le
Maroc, soit une zone frontalière de 170 km s’étallant de Marsa Ben mhidi à El Bouihi, on y compte
également Msirda Fouaga, Bab El Assa, Souani, Maghnia et Béni Boussaid.
3.2 Méthodologie de l’enquête
Le type d’enquête choisi pour appréhender le secteur informel et l’emploi informel est une enquête
ménages, car cette approche facilite le contact avec les individus interrogés et permet une meilleure
collecte des données notamment sur le travail à domicile et la pluriactivité. Un échantillon de 16
communes sur les 53 que compte la wilaya de Tlemcen a été retenu, soit 550 ménages. Le choix de ces 16
communes s’est fait sur la base de trois critères : un critère géographique qui distingue les communes
urbaines et rurales, un critère démographique qui renvoie à l’importance de la population et un critère
économique qui renvoie à l’importance de l’activité économique dans ces communes. Étant donné qu’il
s’agit d’une enquête auprès des ménages, on a privilégié le critère démographique au détriment du critère
économique. Par conséquent, les communes retenues sont les communes les plus peuplées de Tlemcen
dont 11 communes urbaines et 6 rurales, à l’exception de certaines communes frontalières telles que
Msirda Fouaga et Bab El Assa qui malgré le nombre réduit des habitants, disposent d’une situation
géographique privilégiée (proche du Maroc) qui favorise le commerce de contrebande. Le tableau suivant
synthétise la répartition des questionnaires (ménages enquêtés) par commune.
Tableau 1 : Répartition des questionnaires administrés par commune.
Communes
Type de commune
Tlemcen
Urbaine
Maghnia
Urbaine
Mansourah
Urbaine
Chetouane
Urbaine
Remchi
Urbaine
Sebdou
Urbaine
Ghazaouate
Urbaine
Hennaya
Urbaine
Nedroma
Urbaine
Sebra
Urbaine
Ouled Mimoune
Urbaine
Beni Mester
Rurale
Sidi Abdelli
Rurale
Ain Youcef
Rurale
Bab El Assa
Rurale
Msirda Fouaga
Rurale
Total
16
communes
Total communes
Source : RGPH, DPAT (2008) et nos calculs
population
%
140158
114634
49150
47600
46990
39800
33774
33356
32498
28555
26389
18651
18222
13234
10147
5693
658860
21,27
17,39
7,45
7,22
7,13
6,04
5,12
5,06
4,93
4,33
4,00
2,83
2,76
2,00
1,54
0,86
100
(69,41% population totale)
100
949135
Classement selon
nombre d’entités
économiques
01
02
04
10
03
06
07
09
05
08
19
13
20
12
16
29
Nombre de
questionnaires
administrés
97
70
40
39
39
32
30
27
27
23
22
15
15
14
30
30
550
3.3. Questionnaire et déroulement de l’enquête
Le questionnaire est structuré en 3 modules soit un total de 65 questions et selon un système de filtres par
arborescence. L’enquête a débuté officiellement le 09/09/2012 et s’est prolongé jusqu’au 28/11/2012.
Celle-ci a été précédée de deux séances de formations de deux heures chacune durant le mois de juin 2012.
Sept enquêtrices et un enquêteur ont participé à l’enquête. La deuxième étape fut celle de la vérification
des questionnaires, 15 questionnaires ont été invalidés pour cause d’incohérence. Enfin, la troisième étape
concernait la saisie des 550 questionnaires validés sur le logiciel Access.
3.4. Quelques résultats de l’enquête
L’enquête a porté sur 550 ménages, soit 2790 individus dont 923 actifs non agricoles ; les salariés (cadres
et employés) représente plus de la moitié des actifs (64,57%) ; les employeurs et indépendants représentent
le tiers des actifs (36,61%) ; on a également comptabilisé 16 tacherons, 7 aides familiaux et 3 apprentis.
Les employés: Selon le critère de la sécurité sociale, il nous a été possible de classer les employés (activant
dans le secteur privé ou public) en deux groupes : ceux qui opèrent dans le secteur formel et ceux qui
opèrent dans le secteur informel. La plupart des employés travaillent dans le secteur formel. Ils
représentent ainsi 84% de l’effectif total des employés. C’est un résultat raisonnable puisque la majorité de
ces derniers est employée dans le secteur public (71%).
Employeurs et indépendants Afin de connaitre l’ampleur du secteur informel, nous nous sommes basées sur
trois critères intrinsèques : La possession ou la non possession d’un registre de commerce, l’affiliation ou
non à la CASNOS et enfin le paiement ou non des impôts. Ceci dit, avant de procéder à cette étape nous
avons d’abord trié les employeurs en deux groupes (privés et publics) pour n’en prendre que les
employeurs du secteur privé.
L’enregistrement au Centre National du Registre de Commerce (CNRC) : Concernant les employeurs, presque la
totalité possède un registre de commerce (environ 84%). Ces employeurs sont généralement patrons dans
des entreprises privées et emploient des salariés. Ils ne peuvent pas échapper à l’enregistrement car ils sont
souvent assujettis à des contrôles de la part de l’Etat. Le cas des indépendants est différent, presque la
moitié de ces derniers (45%) exercent leur activité de manière informelle (sans registre de commerce).
L’affiliation à la CASNOS : Concernant les employeurs des entreprises privées ou étrangères, presque les
¾ des employés sont affiliés à la CASNOS. Pour ceux qui ne le sont pas (Ils représentent 30%) les raisons
qui les poussent à ne pas s’assurer sont les suivantes : 7,4% des employeurs pensent que les procédures
sont compliquées. Cela renvoie à la complexité de la réglementation ; 16,7% pensent que le coût de
l’assurance est élevé. Et enfin 5,6% pensent que ce n’est pas nécessaire d’être assuré.
S’agissant des indépendants, les résultats sont différents. En effet, la majorité des indépendants ne sont
pas affiliés à la CASNOS (60%) : 14,4% d’entre eux trouvent que les procédures de l’affiliation sont
complexes ; 34,4% pensent que la sécurité sociale est couteuse et qu’ils n’ont pas les moyens d’être assurés
car les charges de sécurité sociale réduit leur bénéfices et 8,8% pensent que ce n’est pas nécessaire.
Le paiement des impôts : En ce qui concerne les employeurs, plus de la moitié payent les impôts (66,7%),
mais on note que ce paiement se fait pour la plus part (38,9%) sous le régime forfaitaire. Ce qui nous laisse
penser à l’existence de la fraude fiscale. Ces individus ne déclarent pas la totalité de leur vente pour payer
moins d’impôts.
En ce qui concerne les indépendants, plus de la moitié ne paye aucun impôt (50,9%). Le reste déclare leurs
impôts dans le cadre du régime forfaitaire.
Tableau 3 : paiement des impôts chez les indépendants
Paiement des impôts
Paiement au réel
Paiement au régime forfaitaire
Ne payent pas car exonéré
Ne payent aucun impôt
Autre
Source : Calculs personnel à partir des résultats de l’enquête.
Pourcentage valide
5
40,9
2,7
50,9
5
Taille du secteur informel : En nous basant sur la défintion du BIT (1993), le secteur informel englobe 400
individus dont 151 employeurs et indépendant (y compris les trvailleues à domicile) et 249 salariés.
L’emploi total non agricole étant de 942 actifs, le secteur informel représente donc 42,46% de l’emploi
total non agricole.
Le deuxième objectif de cette enquête était de voir si le secteur informel est un secteur de subsistance ou
au contraire un secteur dynamique en pleine croissance. A cette fin, nous nous basons sur la comparison
de 3 critères entre le secteur formel et informel à savoir le chiffre d’affaire, le niveau d’instruction et la
taille des entreprises.
Le chiffre d’affaire : Globalement les chiffres d’affaires dans le secteur informel sont faibles comparés à ceux
du secteur formel. Près d’un tiers (30,46%) des actifs du secteur informel dispose d’un CA inférieu au
salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG). On constate également que l’inégalité du revnu est
plus répandue dans le secteur formel que dans le secteur informel. Le tableau ci-dessous retrace la
répartion du chiffre d’affaire dans les deux secteurs selon le SMIG.
Tableau 2 : répartition du chiffre d’affaire par tranche dans le sceteur formel et informel :
CA annuel par intervalle
% dans le secteur formel
Inférieur au SMIG annuel (inférieur à 216000)
4,54
Entre une et deux foix le SMIG (216000- 432000)
23,48
Entre deux fois et quatre fois le SMIG (432000-864000)
36,36
Superieur au quadruple du SMIG (superieur à 864000)
35,6
Source : Résultat de l’enquête et nos calculs
% dans le secteur informel
30,46
29,13
19,20
20,52
Le niveau d’instruction : Un tiers des actifs formels a un niveau d’instruction superieur alors que seul 1/10 en
dispose dans le secteur informel. 32,45 % des employeurs et indépendants ont un très faible niveau
d’instruction (aucun ou primaire), cet inconvéniant peut expliquer leurs difficultés d’accès au marché du
travail formel.
Taille de l’entreprise : Les micro-entreprises sont largement dominantes dans les deux secteurs formel et
informel. 123 sur 130 dans le secteur formel et 150 sur 151 dans le secteur informel dont 97 n’emploient
aucun effectif (auto-emploi).
Il apparait ainsi au regard de ces 3 critères (niveau des revenus, niveau de capital humain approximé par le
niveau d’instruction et la très petite taille des unités productives) que le secteur informel se caractérise par
des faibles performances qui font de lui un secteur plutôt de subsistence.
Conclusion
Le secteur informel occupe une place importante dans l’économie mondiale. Il représente la moitié de
l’emploi mondial et croit plus vite que le secteur formel. Ce secteur caractérise les pays développés et en
grande majorité les pays en développement (Chambwera, Macgregor, Baker, 2011,3)
Le secteur informel est le principal pourvoyeur d’emplois et la première source de revenu dans la plupart
des pays du tiers monde. Les facteurs explicatifs de l’activité informelle ont été déterminés par de
nombreux chercheurs (Schneider 2012, Djnkov 2001,…) à partir des études faites sur ce phénomène.
La prédominance de l’emploi informel est frappante dans les pays en développement car les avantages
liées à l’activité informelle l’emportent sur ceux que peuvent en tirer les acteurs dans le secteur formel. En
effet, les réglementations contraignantes et excessives, la faible qualité des services publics et l’absence de
l’Etat de droit dissuadent les acteurs d’activer dans le secteur formel. (OCDE, 2009)
Nous avons tenté à travers cette étude qui traite le cas spécifique de la wilaya de Tlemcen de connaitre
l’ampleur et ses principales caractéristiques liées au profil des entrepreneurs en se basant sur une enquête
ménage.
Les résultats de l’enquête montrent que ce secteur domine les activités libérales et se caractéris par des
unités de très petite taille (micro-entreprises). Il est surtout présent chez les indépendants car plus que la
moitié des indépendants ne sont ni enregistrés, ni affiliés à la sécurité sociale et ne payent pas d’impôt.
Ces unités informelles opèrent dans différentes activités : les services, le commerce, le BTP, le textile.
Leurs sources de financement sont très limitées. Dans la plupart des cas, elles financent leur activité par
leur épargne personnelle ce qui ne leur permet pas de développer leur activité et augmenter ainsi leur
rentabilité.
Les indépendants informels sont privés des services qu’offrent le gouvernement comme la protection des
droits de propriété et des contrats ce qui les rend vulnérables face aux chocs. Mais la lourdeur
bureaucratique, la pression fiscale et la difficulté d’accès au financement ne les incitent pas à rejoindre le
secteur formel.(Chambwera, Macgregor, Baker, 2011,12)
Par ailleurs, notre enquête présente certaines limites et ouvre ainsi de nouvelles pistes de recherche.
En premier lieu, cette enquête est limitée d’un point de vue spatial. En second lieu, en vue de déterminer
dans quelle mesure les coûts de transaction influent sur l’ampleur et l’évolution du secteur informel, cette
enquête ne nous a pas fournit une explication complète sur les contraintes de la réglementation auxquelles
font face les entrepreneurs.
Afin de dépasser ces limitent et enrichir ce travail de recherche, il serait judicieux de compléter cette
enquête ménages par une enquête auprès des entreprises afin de cerner les principaux obstacles
réglementaires qui entravent l’activité des entreprises et découragent les acteurs à intégrer le secteur
formel.
Bibliographie
Anoop, S., Sonali, J, et Mohommad, A. (2012) Sortir de l’ombre. Finance et développement, 49 (2), 42-45.
Bellache, Y. (2010) L’économie informelle en Algérie, une approche par enquête auprès des ménages- le cas de Bejaia, thèse en
sciences économiques, Université de Bejaia et Université Paris Est Créteil.
BIT. (1972) Employment, Incomes and Equality. A Strategy for Increasing Productive Employment in Kenya, ILO, Genève.
BIT. (1993) Rapport pour la 15ème Conférence Internationale des Statisticiens du Travail, Bureau International du Travail,
Genève, 19-28 janvier.
BIT. (2002) Travail décent et économie informelle, Conférence Internationale du Travail, 87ème session, Bureau
International du Travail, Genève.
Bounoua, C. (1992) Une lecture critique du secteur informel dans les pays du tiers monde. Cahiers du CREAD, n° 30,
Alger, 91-107.
Chambwera, M., Macgregor, J. and Baker, A. (2011) The informal economy. International Institute for Environment and
Development, 1-16.
Charmes, J. (2005) Les origines du concept de secteur informel et la récente définition de l’emploi informel. 1-33.
http://info.worldbank.org/etools/docs/library/218175/IIES%20Secteur%20Informel.pdf
Coase, R. (1937) The nature of the firm. Economic Journal. 4, 386-405.
Djankov, S., Mukherjee, I., et Nenova, T. (2002) Going Informal: Benefits and costs. World Bank, 1-16.
Hammouda, N. (2002) Secteur et emploi informels en Algérie : définitions, mesures et méthodes d’estimation. Cahiers
du GRATICE, 22, Université Paris XII, 61-94.
Johnson, S., McMillan, J., Woodruff, C. and McMillan, J. (1999) Why do firms hide? Bribes and unofficial activity
after communism. Journal of Public Economics, 76 (2000), 1-32.
Marquez, A. (1990) The other path by Hernando De Soto. Boston college third world law journal, 10 (9), 204-213.
Morisson, C. (1995) Quel cadre institutionnel pour le secteur informel, Centre de développement de l’OCDE. cahier
de politique économique 10, 2-33.
North, D. (2003) The role of institutions in economic development, United Nations Economic commission for Europe,
Discussion paper series 2, 1-10.
North, D. (1990) Institutions institutional change and economic performance. New York, Cambridge University Press.
Schneider, F., Buhne A. and Montenegro, C. E. (2010) New Estimates for the Shadow Economies all over the
World, International Economic Journal. 24 (4), 443–461.
Williamson, O. (1979) Transaction-Cost Economics: The Governance of Contractural Relations. Journal of Law and
Economics 22 (2), 233-261.