Le secteur informel en Algérie - Erudite - Université Paris-Est
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Le secteur informel en Algérie - Erudite - Université Paris-Est
Le secteur informel en Algérie : évolution, caractéristiques et facteurs explicatifs Imène Klouche* et Samira Khendek**, Université de Tlemcen Résumé La présente étude se propose d’analyser le secteur informel en Algérie selon une perspective institutionnaliste pour comprendre dans quelle mesure les couts de transaction (couts de la réglementation : enregistrement, impôts et taxes…) contribuent au développement du secteur informel. Il y a lieu également d’analyser la nature des activités que recouvre ce secteur ; s’agit-il d’un secteur informel dynamique ou d’un secteur informel de subsistance ? Notre étude, qui se fonde sur les définitions du BIT du secteur informel de 1993 qui se focalise sur l’unité économique et du concept plus large de l’emploi informel introduit en 2002, mobilise essentiellement les données d’une enquête menée à Tlemcen en 2012 auprès d’un échantillon représentatif de 550 ménages répartis sur 16 communes, montre qu’il s’agit plutôt d’un secteur de subsistance au regard de la faiblesse des revenus et du capital humain des actifs qui s’y adonnent. Mots-clés : Algérie, coûts de transaction, emploi informel, secteur informel, Tlemcen. JEL: O17, D23. The informal sector in Algeria: evolution, characteristics and explanatory factors Abstract This paper proposes to analyze informal sector in Algeria according to an institutional perspective in order to understand how transaction costs (costs regulation, registration, taxes…) contribute in the development of informal sector. In the same time, this research paper discuses the nature of activities covered by this sector; whether it is a dynamic or a subsistence sector? Our study which is based on the ILO definition of informal sector adopted in 1993 that focuses on the economic units, and on the large concept of employment informal introduced in 2002, is using data of survey constituted from a representative sample of 550 households including 16 municipalities in Tlemcen on 2012, shows that it is an informal sector according to the low income and human capital of the informal workers. Keywords: Algeria, informal employment, informal sector, Tlemcen, transaction costs. Etudiante en magister sciences économiques, option "Analyse des institutions et du développement". E-mail : [email protected] ** Etudiante en magister sciences économiques, option « Analyse des institutions et du développement ». E-mail : [email protected] * Introduction Selon la Banque mondiale, l’emploi informel en Algérie représente 40% de l’emploi total non agricole. Cette taille fait de celui-ci un segment important de l’économie. Les études consacrées au secteur informel en Algérie n’appréhendent pas tous les segments de ce dernier mais insistent sur tel ou tel aspect de l’informalité selon leurs objectifs. Lorsqu’il s’agit d’économie parallèle on évoque (Henni, 1991), micro entreprises (Bennissad, 1994), travail à domicile (Lakjaa, 1997)… Une étude plus récente (Bellache, 2010) met en évidence l’hétérogénéité de ce secteur ainsi que la prédominance en son sein d’activités de subsistance. Dès lors, notre étude se propose d’analyser le secteur informel et l’emploi informel au sens des définitions du BIT de 1993 et 2002, pour savoir s’il s’agit d’un secteur informel de subsistance ou d’un secteur informel dynamique, d’une part, et tenter de comprendre dans quelle mesure les coûts de transaction (coûts de la réglementation : enregistrement, impôts et taxes…) contribuent au développement du secteur informel d’autre part. Cet article est constitué de trois parties dans un premier temps nous présenterons le secteur informel sur la base des définitions publiées par le BIT, dans un deuxième temps nous essaierons de cerner les facteurs qui expliquent l’émergence de l’économie informelle notamment le fardeau de la réglementation, puis dans un troisième temps nous estimerons la taille du secteur informel sur la base d’une enquête menée à Tlemcen. 1. Définition du secteur informel et de l’emploi informel Une littérature abondante traite du secteur informel mais sa définition reste toujours problématique. L’objet de cette section est de rappeler l’évolution des définitions du secteur informel émanant principalement du BIT. 1.1. Définition du BIT de 1972 Le concept de secteur informel a vu le jour suite au rapport du BIT publié en 1972 sur l’emploi au Kenya (BIT, 1972). En effet, le BIT s’est basé sur les études antérieures réalisées par Lewis, Jorgenson et Ranis qui ont démontré l’existence d’un secteur intermédiaire. Ils ont constaté une augmentation de la population urbaine qui n’était pas soutenue par l’augmentation du chômage apparent ou déguisé, et que cette main d’ouvre excédentaire était non pas absorbé par le secteur industriel moderne mais par des activités de très petites tailles appelées Secteur informel (Bounoua, 2002, 91). Dans son rapport, le BIT a souligné que dans les pays en développement, notamment le Kenya, le problème ne réside pas dans l’existence du chômage mais dans l’existence d’une population qui travaille sans être déclarée et ne bénéficie pas de ce fait des avantages des pouvoirs publics (Hammouda, 2002, 62). Le BIT a définit le secteur informel sur la base de 7 critères qui paraissent obsolète de nos jours, ils ont fait l’objet de nombreuses critiques à l’époque, jugés le plus souvent vastes, négatifs et contradictoires. (Bounoua, 2002, 95). Une autre critique a été celle de la non prise en compte des relations existantes entre les deux secteurs formel et informel, selon Charmes cette dichotomie est délibérée dans le but de faciliter l’analyse (Charmes, 1990, cité par Bellache, 2010, 32). 1.2. Définition du BIT de 1993 Etant donné les limites de la définition de 1972 qui est devenue incompatible avec une réalité dans laquelle les deux secteurs sont en étroite relation, le BIT a élaboré une nouvelle définition en 1993 suite à la 15ème conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) « Un ensemble d’unités produisant des biens et services en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités ayant un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail, lorsqu’elles existent, sont surtout personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme» (BIT, 1993) Les principaux objectifs de la 15 CIST ont été de : Donner une nouvelle image du secteur informel qui exclurait les activités illégales et souterraines, ceci suite à la 14eme CIST qui a eu lieu en 1987, où le représentant Kenya en a affirmé que les actifs informels exercent leur activité « sous le soleil brulant » sans volonté délibérée d’échapper à la réglementation, un autre objectif a été d’exclure les activités agricoles du champ de définition du secteur informel, et surtout d’inclure la pluriactivité (Charmes, 2005, 3). 1.3. Concept de l’emploi informel (BIT, 2002) Le BIT a révisé une nouvelle fois la définition du secteur informel, mais cette fois ci il a introduit un concept plus large celui de l’emploi informel qui englobe le secteur informel ainsi que l’ensembles des salariés informels dans les entreprises formelles, les travailleurs familiaux non rémunérés dans les entreprises formelles, les travailleurs domestiques rémunérés et les travailleurs indépendants produisant des biens destinés aux ménage. (Bellache, 2010, 34). En effet, selon la définition de 1993, le secteur informel se compose uniquement des individus qui activent dans le secteur informel, alors que le concept d’emploi informel prend en considération le travail non déclaré du secteur formel (Charmes, 2005, 7). 2. Les facteurs explicatifs du secteur informel Le secteur informel tire sa source de plusieurs facteurs (démographiques, économiques, culturels, sociopolitiques) mais les facteurs réglementaires et institutionnels, dans le contexte algérien, semblent jouer un rôle prépondérant dans son développement. 2.1. L’émergence de la théorie néo-institutionnelle L’économie néo-institutionnelle a vu le jour durant les années 1970 avec les travaux de Coase (1937), de Williamson (1979) et de North (1990). Cette théorie tire ses racines de l’institutionnalisme américain de la fin du 19 ème siècle (Veblen, Commons, Mitchell,…). Elle renouvelle l’approche institutionnaliste en se basant sur les institutions, comme un nouvel outil d’analyse qui fournit une meilleure explication des problèmes que rencontrent les économies et en particulier celles des pays en développement. 2.1.1 Définition des institutions Pour donner une définition claire et commune, nous allons nous référer à celle donnée par Douglass North : « les institutions sont les contraintes conçues par les humains et qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales. Elles sont constituées de règles formelles et de contraintes informelles » (North, 1990, 3-4). Les institutions formelles : Ce sont toutes les règles écrites, la constitution, les règlements, les lois. Elles sont simples et précises et elles ne représentent qu’une petite part dans la structuration des actions humaines. Leur exécution doit être assurée par une entité, généralement l’Etat ou ses administrations. Les institutions informelles : Elles occupent une grande place dans le façonnement des comportements humains. Elles intègrent la culture, la religion, les codes de conduite auto-imposés, les coutumes, les traditions, l’idéologie…. Contrairement aux règles formelles, les contraintes informelles sont beaucoup plus difficiles à cerner et surtout à modifier. Leur exécution est assurée par des individus appartenant à un même groupe ou, une communauté. (North, 2003, 8). 2.1.2 Le lien entre les institutions et les coûts de transaction Selon les partisans de la théorie néo-institutionnelle, les coûts de transaction expliquent l’existence des institutions. Le marché est caractérisé par des coûts de transactions élevés, les institutions sont donc indispensables pour la réduction de ces coûts. Un cadre institutionnel caractérisé par des règles formelles efficaces qui garantissent la protection des droits de propriété et des contrats, permettent de réduire les coûts de transaction et incitent les agents à investir et innover. . 2.2 . Les causes de l’informalité Il existe des facteurs qui poussent les individus à opérer dans le secteur informel à l’économie informelle et qui relèvent de la rationnalité. Les individus font un calcul en termes de coûts et bénéfices afin de choisir dans quel secteur ils vont opérer. S’ils trouvent que les coûts associés à la formalité dépassent ceux liés à l’activité informelle, ils opteront donc pour le secteur informel. (Djankov, lieberman, Mukherjee, Nenova, 2002, 1). Les principaux déterminants de l’informalité peuvent être résumés dans ce qui suit. 2.2.1. La faiblesse de l’emploi formel C’est un facteur qui explique l’évolution du secteur informel à la fois dans les pays développés et en développement. Ainsi, l’offre d’emplois formels sur le marché du travail ne peut plus absorber toute la demande car la population active croît à un rythme accéléré en particulier la main d’œuvre non qualifiée (Chambwera, Macgregor, and Baker, 2011, 4). La plupart des études théoriques associées au secteur informel définissent quatre principaux déterminants de l’économie informelle. 2.2.2. Imposition trop élevée Lorsque les taxes sont nombreuses et trop lourdes, les entreprises sont incitées à dissimuler une partie de leur revenu (Kaufmann, Johnson, 1999,7) Selon Schneider, le paiement des impôts et les cotisations sociales sont les déterminants clés de l’économie parallèle (Schneider, Buehn, Claudio, Montenegro, 2010, 445). Une étude faite en 1994 par le Centre de développement de l’OCDE, basée sur une enquête auprès d’un échantillon de micro-entreprises et d’indépendants dans sept pays en développement1, montre que l’Algérie a la pression fiscale la plus lourde (environ 90% des entreprises payent plus d’un impôt). Ceci peut expliquer la raison pour laquelle les entreprises pratiquent la fraude fiscale (Morisson, 1995, 14). D’après une enquête faite par la Banque mondiale auprès d’un échantillon d’entreprises situées dans 123 pays différents, le taux d’imposition fait partie des quatre obstacles qui entravent l’activité des entreprises. Ainsi, parmi les économies riches en ressources naturelles, l’Algérie a le taux d’imposition le plus élevé (72% des bénéfices) alors qu’il ne représente que 11 % des bénéfices au Qatar (Doing Business, 2011). Le graphe ci-dessous nous montre une comparaison entre les taux d’impositions totaux dans quelques pays. taux d'imposition total Graphique 1 : le taux d’imposition total sur les entreprises de type PME (en % des bénéfices) 100 62,9 50 72 42,7 32,3 49,6 0 Source : Mise à jour des auteurs à partir des données de Doing Business- 2013. Le rapport de Doing Business montre que depuis 2006 le taux d’imposition sur les entreprises est resté stable. Ainsi, dans toute la région MENA, l’Algérie a le taux d’imposition le plus élevé. A l’échelle mondiale, l’économie algérienne se classe à la 170 eme place parmi 185 pays concernant cet indicateur (Doing Business 2013). Les entreprises algériennes revendiquent l’élimination de la TAP (taxe sur activité professionnelle). Selon le Forum des Chefs d’Entreprises-principale organisation patronale- cette taxe est très contraignante et pénalisante pour les entreprises. Elle représente 2% du chiffre d’affaire. Les cotisations sociales sont aussi trop lourdes pour un secteur productif encore fragile. Les charges sociales s’élèvent à 35% dont 9% sont à la charge de l’employé. 2.2.3. Le poids de la réglementation La complexité de l’environnement des affaires décourage l’enregistrement des entreprises (Chambwera, MacGregor, Baker, 2011, 3). 1 Algérie, Equateur, Jamaique, Niger, Swaziland, Taillande et Tunisie Lorsque le cadre institutionnel n’est pas propice à la création des entreprises de manière formelle, les entrepreneurs préfèrent opérer dans le secteur informel et éviter le fardeau de la réglementation. De Soto souligne que l’ampleur du secteur informel au Pérou s’explique en grande partie par l’inefficience du cadre institutionnel. En effet, les lois et règlements du pays étaient non propices au développement d’un secteur formel performant et dynamique. (Alina Marquez, 1990, 211). Il existe beaucoup d’avantages liés au secteur informel. Les agents peuvent échapper à la réglementation excessive. Cette dernière est constituée de deux types de coûts : indirects et directs0 Les coûts indirects sont mesurés par le temps nécessaire pour l’accomplissement de toutes les procédures requises pour la création d’une activité. Par exemple, la réglementation imposée pour le démarrage d’une entreprise est mesurée par le nombre de procédures, le temps et le coût nécessaires pour le fonctionnement formel d’une entreprise. Les coûts directs sont les pots -de- vin que payent les entreprises aux fonctionnaires de l’Etat en vue de faciliter et alléger les procédures administratives (Djankov et al, 2002, p4). En effet, selon Johnson et Kaufmann (1999), les entrepreneurs dissimulent une partie de leur revenu (en ne déclarant qu’une partie de leurs ventes) pour échapper à la corruption de la part des bureaucrates. Ces fonctionnaires profitent de leur position pour exproprier les entreprises. Dès qu’ils voient qu’une entreprise dégage des bénéfices importants, ils tentent de l’exproprier via la corruption. 2.2.4 La réglementation liée à la création d’une entreprise en Algérie La création d’entreprise en Algérie est un processus à la fois compliqué, lent et couteux. Le démarrage d’une entreprise : en 2013, l’Algérie se classe à la 156ème position parmi 185 pays. Elle perd une place par rapport à 2012 et trois places par rapport à 2011. Depuis 2006, le nombre de jours (25) et de procédures nécessaires(14) pour le commencement de l’activité pour une entreprise sont restés les mêmes. Figure 2 : le nombre de jours et de procédures nécessaires pour le démarrage d’une entreprise en 2013. 25 20 15 10 5 0 25 6 Le nombre de procédures 11 12 14 6 10 4 7 Les délais 6 Source : Mise à jour des auteurs à partir de Doing Business Dans la région MENA, l’Algérie fait partie des trois pays où la réglementation liée à l’entrée d’une entreprise en activité est la plus lourde. L’octroi du permis de construction : Selon les rapports de Doing Business, l’Algérie se classe à la 152ème position concernant cet indicateur. Le délai et les procédures dont doit s’acquitter une entreprise qui souhaite construire un entrepôt sont très longs en Algérie par rapport aux autres pays comme le montre le graphique ci-dessous. Figure 3 : le nombre de procédures et délai nécessaires pour l’obtention d’un permis de construction. 281 300 250 200 151 150 50 17 le nombre de procédures 97 88 100 143 15 17 14 19 le délai 0 Source : Mise à jour des auteurs à partir des données de Doing Business. Ce graphe illustre que parmi les pays de l’OCDE et de la région MENA l’Algérie est le pays qui présente le plus grand nombre de procédures et le plus long délai pour l’obtention d’un permis de construction. La réglementation en Algérie apparait ainsi lourde et excessive. Dans ce sens, des études de Friedman et al (2000) ont montré que l’augmentation d’un point dans le poids de la réglementation entraine une augmentation de 12% de la taille de l’économie souterraine. Une réglementation excessive sur le marché du travail peut aussi inciter les entreprises à embaucher des personnes sans les déclarer. (Singh, JainChandra, Mohommad, 2012, 44). 2.2.5 les services publics et l’Etat de droit La qualité des services publics offerts par le gouvernement est un déterminant important du secteur informel car elle influence le choix des individus (Schneider, Buehn, Montenegro, 2010, 446). Les individus qui activent dans le secteur informel ne peuvent pas bénéficier des services publics (protection contre les vols et les crimes, accès au financement, protection des droits de propriété...). C’est l’un des inconvénients de ce secteur. Toutefois, dans les pays où l’Etat de droit ne règne que de manière sélective et où le système judicaire est incapable de faire respecter les contrats et les droits de propriété, les coûts de transaction liés à la formalisation sont beaucoup plus élevés que ceux du secteur informel. Dans ce cas, les individus préfèrent opérer dans le secteur informel puisque le secteur formel ne leur offre pas de meilleures opportunités (Djankov et al, 2002, 8). La difficulté d’accès au financement représente également un grand obstacle pour la formalisation. En effet, tant que les causes de la pauvreté se maintiennent (faibles infrastructures, sources de financement insuffisantes….) les possibilités de formalisation restent faibles (Chambwera, Macgregor, Baker, 2011, 9). L’accès au financement est très important pour la croissance et le développement d’une entreprise. De ce fait, les entrepreneurs qui opèrent dans le secteur informel ont des ressources financières très limitées et ne peuvent pas emprunter auprès des banques à cause des documents exigés (état financier, garanties,…) et du coût de l’emprunt. 3. Le secteur informel en Algérie résultats préliminaires d’une enquête auprès des ménages Cette section a pour objet de présenter et d’analyser les premiers résultats d’une enquête menée, dans la wilaya de Tlemcen en 2012, auprès d’un échantillon de 550 ménages dans le but d’appréhender la réalité du secteur informel et de cerner ainsi ses principales caractéristiques ainsi que son poids relatif en termes d’emplois. 3.1 Localisation géographique de la wilaya de Tlemcen Selon le RGPH de 2008, la wilaya de Tlemcen compte une population de 949135 habitants, sa superficie est de 9061 km².Elle est située à l’extrême ouest de l’Algérie. Du point de vue administratif, Tlemcen est compte 53 communes regroupées en 20 dairates. Ainsi, elle compte 7 communes frontalières avec le Maroc, soit une zone frontalière de 170 km s’étallant de Marsa Ben mhidi à El Bouihi, on y compte également Msirda Fouaga, Bab El Assa, Souani, Maghnia et Béni Boussaid. 3.2 Méthodologie de l’enquête Le type d’enquête choisi pour appréhender le secteur informel et l’emploi informel est une enquête ménages, car cette approche facilite le contact avec les individus interrogés et permet une meilleure collecte des données notamment sur le travail à domicile et la pluriactivité. Un échantillon de 16 communes sur les 53 que compte la wilaya de Tlemcen a été retenu, soit 550 ménages. Le choix de ces 16 communes s’est fait sur la base de trois critères : un critère géographique qui distingue les communes urbaines et rurales, un critère démographique qui renvoie à l’importance de la population et un critère économique qui renvoie à l’importance de l’activité économique dans ces communes. Étant donné qu’il s’agit d’une enquête auprès des ménages, on a privilégié le critère démographique au détriment du critère économique. Par conséquent, les communes retenues sont les communes les plus peuplées de Tlemcen dont 11 communes urbaines et 6 rurales, à l’exception de certaines communes frontalières telles que Msirda Fouaga et Bab El Assa qui malgré le nombre réduit des habitants, disposent d’une situation géographique privilégiée (proche du Maroc) qui favorise le commerce de contrebande. Le tableau suivant synthétise la répartition des questionnaires (ménages enquêtés) par commune. Tableau 1 : Répartition des questionnaires administrés par commune. Communes Type de commune Tlemcen Urbaine Maghnia Urbaine Mansourah Urbaine Chetouane Urbaine Remchi Urbaine Sebdou Urbaine Ghazaouate Urbaine Hennaya Urbaine Nedroma Urbaine Sebra Urbaine Ouled Mimoune Urbaine Beni Mester Rurale Sidi Abdelli Rurale Ain Youcef Rurale Bab El Assa Rurale Msirda Fouaga Rurale Total 16 communes Total communes Source : RGPH, DPAT (2008) et nos calculs population % 140158 114634 49150 47600 46990 39800 33774 33356 32498 28555 26389 18651 18222 13234 10147 5693 658860 21,27 17,39 7,45 7,22 7,13 6,04 5,12 5,06 4,93 4,33 4,00 2,83 2,76 2,00 1,54 0,86 100 (69,41% population totale) 100 949135 Classement selon nombre d’entités économiques 01 02 04 10 03 06 07 09 05 08 19 13 20 12 16 29 Nombre de questionnaires administrés 97 70 40 39 39 32 30 27 27 23 22 15 15 14 30 30 550 3.3. Questionnaire et déroulement de l’enquête Le questionnaire est structuré en 3 modules soit un total de 65 questions et selon un système de filtres par arborescence. L’enquête a débuté officiellement le 09/09/2012 et s’est prolongé jusqu’au 28/11/2012. Celle-ci a été précédée de deux séances de formations de deux heures chacune durant le mois de juin 2012. Sept enquêtrices et un enquêteur ont participé à l’enquête. La deuxième étape fut celle de la vérification des questionnaires, 15 questionnaires ont été invalidés pour cause d’incohérence. Enfin, la troisième étape concernait la saisie des 550 questionnaires validés sur le logiciel Access. 3.4. Quelques résultats de l’enquête L’enquête a porté sur 550 ménages, soit 2790 individus dont 923 actifs non agricoles ; les salariés (cadres et employés) représente plus de la moitié des actifs (64,57%) ; les employeurs et indépendants représentent le tiers des actifs (36,61%) ; on a également comptabilisé 16 tacherons, 7 aides familiaux et 3 apprentis. Les employés: Selon le critère de la sécurité sociale, il nous a été possible de classer les employés (activant dans le secteur privé ou public) en deux groupes : ceux qui opèrent dans le secteur formel et ceux qui opèrent dans le secteur informel. La plupart des employés travaillent dans le secteur formel. Ils représentent ainsi 84% de l’effectif total des employés. C’est un résultat raisonnable puisque la majorité de ces derniers est employée dans le secteur public (71%). Employeurs et indépendants Afin de connaitre l’ampleur du secteur informel, nous nous sommes basées sur trois critères intrinsèques : La possession ou la non possession d’un registre de commerce, l’affiliation ou non à la CASNOS et enfin le paiement ou non des impôts. Ceci dit, avant de procéder à cette étape nous avons d’abord trié les employeurs en deux groupes (privés et publics) pour n’en prendre que les employeurs du secteur privé. L’enregistrement au Centre National du Registre de Commerce (CNRC) : Concernant les employeurs, presque la totalité possède un registre de commerce (environ 84%). Ces employeurs sont généralement patrons dans des entreprises privées et emploient des salariés. Ils ne peuvent pas échapper à l’enregistrement car ils sont souvent assujettis à des contrôles de la part de l’Etat. Le cas des indépendants est différent, presque la moitié de ces derniers (45%) exercent leur activité de manière informelle (sans registre de commerce). L’affiliation à la CASNOS : Concernant les employeurs des entreprises privées ou étrangères, presque les ¾ des employés sont affiliés à la CASNOS. Pour ceux qui ne le sont pas (Ils représentent 30%) les raisons qui les poussent à ne pas s’assurer sont les suivantes : 7,4% des employeurs pensent que les procédures sont compliquées. Cela renvoie à la complexité de la réglementation ; 16,7% pensent que le coût de l’assurance est élevé. Et enfin 5,6% pensent que ce n’est pas nécessaire d’être assuré. S’agissant des indépendants, les résultats sont différents. En effet, la majorité des indépendants ne sont pas affiliés à la CASNOS (60%) : 14,4% d’entre eux trouvent que les procédures de l’affiliation sont complexes ; 34,4% pensent que la sécurité sociale est couteuse et qu’ils n’ont pas les moyens d’être assurés car les charges de sécurité sociale réduit leur bénéfices et 8,8% pensent que ce n’est pas nécessaire. Le paiement des impôts : En ce qui concerne les employeurs, plus de la moitié payent les impôts (66,7%), mais on note que ce paiement se fait pour la plus part (38,9%) sous le régime forfaitaire. Ce qui nous laisse penser à l’existence de la fraude fiscale. Ces individus ne déclarent pas la totalité de leur vente pour payer moins d’impôts. En ce qui concerne les indépendants, plus de la moitié ne paye aucun impôt (50,9%). Le reste déclare leurs impôts dans le cadre du régime forfaitaire. Tableau 3 : paiement des impôts chez les indépendants Paiement des impôts Paiement au réel Paiement au régime forfaitaire Ne payent pas car exonéré Ne payent aucun impôt Autre Source : Calculs personnel à partir des résultats de l’enquête. Pourcentage valide 5 40,9 2,7 50,9 5 Taille du secteur informel : En nous basant sur la défintion du BIT (1993), le secteur informel englobe 400 individus dont 151 employeurs et indépendant (y compris les trvailleues à domicile) et 249 salariés. L’emploi total non agricole étant de 942 actifs, le secteur informel représente donc 42,46% de l’emploi total non agricole. Le deuxième objectif de cette enquête était de voir si le secteur informel est un secteur de subsistance ou au contraire un secteur dynamique en pleine croissance. A cette fin, nous nous basons sur la comparison de 3 critères entre le secteur formel et informel à savoir le chiffre d’affaire, le niveau d’instruction et la taille des entreprises. Le chiffre d’affaire : Globalement les chiffres d’affaires dans le secteur informel sont faibles comparés à ceux du secteur formel. Près d’un tiers (30,46%) des actifs du secteur informel dispose d’un CA inférieu au salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG). On constate également que l’inégalité du revnu est plus répandue dans le secteur formel que dans le secteur informel. Le tableau ci-dessous retrace la répartion du chiffre d’affaire dans les deux secteurs selon le SMIG. Tableau 2 : répartition du chiffre d’affaire par tranche dans le sceteur formel et informel : CA annuel par intervalle % dans le secteur formel Inférieur au SMIG annuel (inférieur à 216000) 4,54 Entre une et deux foix le SMIG (216000- 432000) 23,48 Entre deux fois et quatre fois le SMIG (432000-864000) 36,36 Superieur au quadruple du SMIG (superieur à 864000) 35,6 Source : Résultat de l’enquête et nos calculs % dans le secteur informel 30,46 29,13 19,20 20,52 Le niveau d’instruction : Un tiers des actifs formels a un niveau d’instruction superieur alors que seul 1/10 en dispose dans le secteur informel. 32,45 % des employeurs et indépendants ont un très faible niveau d’instruction (aucun ou primaire), cet inconvéniant peut expliquer leurs difficultés d’accès au marché du travail formel. Taille de l’entreprise : Les micro-entreprises sont largement dominantes dans les deux secteurs formel et informel. 123 sur 130 dans le secteur formel et 150 sur 151 dans le secteur informel dont 97 n’emploient aucun effectif (auto-emploi). Il apparait ainsi au regard de ces 3 critères (niveau des revenus, niveau de capital humain approximé par le niveau d’instruction et la très petite taille des unités productives) que le secteur informel se caractérise par des faibles performances qui font de lui un secteur plutôt de subsistence. Conclusion Le secteur informel occupe une place importante dans l’économie mondiale. Il représente la moitié de l’emploi mondial et croit plus vite que le secteur formel. Ce secteur caractérise les pays développés et en grande majorité les pays en développement (Chambwera, Macgregor, Baker, 2011,3) Le secteur informel est le principal pourvoyeur d’emplois et la première source de revenu dans la plupart des pays du tiers monde. Les facteurs explicatifs de l’activité informelle ont été déterminés par de nombreux chercheurs (Schneider 2012, Djnkov 2001,…) à partir des études faites sur ce phénomène. La prédominance de l’emploi informel est frappante dans les pays en développement car les avantages liées à l’activité informelle l’emportent sur ceux que peuvent en tirer les acteurs dans le secteur formel. En effet, les réglementations contraignantes et excessives, la faible qualité des services publics et l’absence de l’Etat de droit dissuadent les acteurs d’activer dans le secteur formel. (OCDE, 2009) Nous avons tenté à travers cette étude qui traite le cas spécifique de la wilaya de Tlemcen de connaitre l’ampleur et ses principales caractéristiques liées au profil des entrepreneurs en se basant sur une enquête ménage. Les résultats de l’enquête montrent que ce secteur domine les activités libérales et se caractéris par des unités de très petite taille (micro-entreprises). Il est surtout présent chez les indépendants car plus que la moitié des indépendants ne sont ni enregistrés, ni affiliés à la sécurité sociale et ne payent pas d’impôt. Ces unités informelles opèrent dans différentes activités : les services, le commerce, le BTP, le textile. Leurs sources de financement sont très limitées. Dans la plupart des cas, elles financent leur activité par leur épargne personnelle ce qui ne leur permet pas de développer leur activité et augmenter ainsi leur rentabilité. Les indépendants informels sont privés des services qu’offrent le gouvernement comme la protection des droits de propriété et des contrats ce qui les rend vulnérables face aux chocs. Mais la lourdeur bureaucratique, la pression fiscale et la difficulté d’accès au financement ne les incitent pas à rejoindre le secteur formel.(Chambwera, Macgregor, Baker, 2011,12) Par ailleurs, notre enquête présente certaines limites et ouvre ainsi de nouvelles pistes de recherche. En premier lieu, cette enquête est limitée d’un point de vue spatial. En second lieu, en vue de déterminer dans quelle mesure les coûts de transaction influent sur l’ampleur et l’évolution du secteur informel, cette enquête ne nous a pas fournit une explication complète sur les contraintes de la réglementation auxquelles font face les entrepreneurs. Afin de dépasser ces limitent et enrichir ce travail de recherche, il serait judicieux de compléter cette enquête ménages par une enquête auprès des entreprises afin de cerner les principaux obstacles réglementaires qui entravent l’activité des entreprises et découragent les acteurs à intégrer le secteur formel. Bibliographie Anoop, S., Sonali, J, et Mohommad, A. (2012) Sortir de l’ombre. Finance et développement, 49 (2), 42-45. Bellache, Y. (2010) L’économie informelle en Algérie, une approche par enquête auprès des ménages- le cas de Bejaia, thèse en sciences économiques, Université de Bejaia et Université Paris Est Créteil. BIT. 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