Les parcours d`emploi des seniors : offre et demande de travail
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Les parcours d`emploi des seniors : offre et demande de travail
Les parcours d’emploi des seniors : offre et demande de travail après 50 ans Didier BLANCHET Groupe de travail du COE – 14/01/2009 Objectifs • Trajectoires d’emploi des seniors – Essentiellement la sortie d’emploi – Est-ce encore une trajectoire d’emploi ? • Déplacer la question – Plutôt se demander pourquoi ces trajectoires sont si courtes – …et les pistes pour, si on le souhaite, les rallonger. • Suppose de regarder à la fois du côté de l’offre et de la demande Plan • • • • • Quelques éléments statistiques Le côté offre Le côté demande Intégrer les deux dimensions Que nous reste-t-il à mieux comprendre ? Quelques éléments de constat Ages de sortie d’activité des hommes en Europe (Source: Romans, 2008) Ages de sortie d’activité des femmes en Europe (source : Romans, 2008) Pour la France, un phénomène qui s’est développé progressivement depuis les années 1970 100 90 90 80 80 70 70 60 60 E U -1 5 F ra n c e Jap an US 50 50 40 40 30 30 20 20 6 0 -6 4 10 5 5 -5 9 10 0 0 1970 1980 1990 2000 1970 1980 1990 2000 Ce qui est évidemment à relier au développement des préretraites, après puis avant 60 ans (source DARES) 450 400 350 Milliers 300 Préretraités de 60 à 64 ans 250 200 Preretraités de 55 à 59 ans 150 Dispensés de recherche d'emploi 100 50 0 1973 1978 1983 1988 1993 1998 Les facteurs de la sortie précoce • La faiblesse du taux d’emploi ne découle pas d’une plus forte exposition à la perte d’emploi • Mais de la très faible probabilité de retrouver un emploi après l’avoir perdu • Ce qui nous différencie fortement du cas US, par exemple Proba. transition emploi↔non-emploi (France, période 1990-2002, générations 1930 à 1940) 60 50 2.a Hommes 2.b Femmes % 40 30 20 10 0 50 55 60 65 Emploi vers non-emploi 50 55 Non-emploi vers emploi 60 65 Probabilités mensuelles de retour à l’emploi des chômeurs (d’après Cohen et al., 1997) 40 35 30 25 Bas Moyen 20 Elevé Très élevé 15 10 5 0 25-49 50-64 Hommes, FR 25-49 50-64 Femmes, FR 25-49 50-64 Hommes, US 25-49 50-64 Femmes, US Les explications : du côté de l’offre La piste des déterminants financiers • Un courant de recherche important a cherché à expliquer la faiblesse du taux d’emploi des seniors par l’effet incitatif au départ des systèmes de retraite et de préretraite (Gruber et Wise, OCDE…) • Avec un certain succès Taxation implicite et taux de non-emploi des seniors selon Gruber-Wise (1999) Est-ce suffisant ? • Les réformes des retraites mises en œuvre ont été dans le sens de réduire ce type d’effet • Mais les effets qu’on anticipe sont, en fait, bien plus modérés qu’on ne pourrait le souhaiter • Trois raisons : – Même dans un cadre d’arbitrage purement financier, les effets incitatifs des réformes sont ambigus – Des facteurs non financiers peuvent aussi contribuer à la préférence pour le départ précoce : santé, conditions de travail – Et il y a la contrainte de la demande Effet modéré des réformes (source: Buffeteau-Godefroy, 2005) • Cas de la génération 1965-1974 : impact des deux réformes sur l’âge de liquidation. Secteur privé Secteur public Impact de la réforme 1993 +1 année Impact de la réforme 2003 +0,2 année +2,2 ans Ambigüité des incitations dues au cumul des réformes 1993 et 2003 : le cas du secteur privé Taux de remplacement A B’ B B’’ Avant réforme Avant réformes Après réforme Après réformes Age de la retraite L’importance des facteurs « non financiers »: trois illustrations • Enquête Share • Une approche par évaluation contingente • Evaluation par A. Bozio des effets de la réforme 1993 L’enquête Share : le souhait d’un départ précoce est plutôt élevé en France (en % des actifs occupés) Espagne Italie France Grèce Autriche Danemark Allemagne Suède Suisse Pays-Bas 67 60 57 57 54 45 43 43 33 31 Et il dépend significativement de la santé et des conditions de travail Globalement satisfait de son travail Reçoit reconnaissance méritée pour son travail Bonne ou très bonne santé Salaire jugé correct Reçoit soutien dans les situations difficiles Opportunité de développer de nouvelles compétences Faibles chances de pouvoir garder son emploi Travail physiquement pénible Pression due à la charge de travail Peu de liberté dans la conduite du travail Faibles perspectives d’avancement Crainte d’être limité par problème de santé avant l’âge de la retraite -20 -15 -10 -5 0 5 10 15 20 Enquête sur les intentions de départ à la retraite en France (1) (Source: C. Afsa) Niveau de surcote proposé 0% 5% 10 % 15 % 20 % 30 % 40 % % prêt à reporter d’un an pour ce montant de surcote 13.4 10.4 9.8 6.7 9.4 8.2 8.5 Enquête sur les intentions de départ à la retraite en France (2) • Un rôle des incitations financières non négligeable: 23% acceptent de reporter pour des niveaux de surcote réalistes • Mais très fort pourcentage de personnes qui se déclarent insensibles à ces incitations • Ceci est amplifié pour les individus faisant face à de mauvaises conditions de travail : la surcote qu’ils demandent pour accepter de reporter d’un an est majorée en moyenne de 10 points Inertie face aux déplacement des incitations financières Ages de départs après réforme 1993 (source :A. Bozio) Groupe A : durée à 60 ans=151 Groupe B : durée à 60 ans=152 Génération 1934 Génération 1935 Groupe touché par réforme Du côté de la demande Trois motifs de faiblesse de la demande pour travailleurs âgés. 1. « Discrimination », jouant plutôt à l’embauche 2. Excès du salaire (effectif ou demandé) sur la productivité (observée ou potentielle) 3. Pas de problème économique ou de prévention spécifiques vis-à-vis de cette catégorie de main d’œuvre, mais incitation à gérer les sureffectifs en jouant sur cette catégorie de main d’œuvre, car socialement plus acceptable (préretraites…) Ces motifs se superposent : probable que les trois jouent un rôle, mais jusqu’à quel point ? Quantifier ces trois motifs ? • Effet induit des préretraites : suggéré par histoire et comparaison internationale. Pas d’autre test possible. • Discrimination : quelques indices sur données US (effet de l’ADEA), évidence indirecte d’après testing. Problème toutefois d’identifier la discrimination pure. • Ce qui se prête le moins mal à l’analyse empirique : l’écart productivité-salaire. Tester l’écart salaire-productivité sur données françaises • Soupçon d’un gap important d’après diverses données de salaire internationales : mais comparabilité douteuse et effet de composition (ce sont les plus qualifiés qui restent tardivement en emploi) • Autre approche : fonction de production estimées sur données micro. L’écart salaire-productivité : quelques résultats Ecart salaire/prod., travailleurs jeunes Ecart salaire/prod., seniors (>55) Pas d’écart Pas d’écart USA Hellerstein, Neumark et Troske (1999) Hellerstein et Neumark -10% (2004) 20% France Crépon, Deniau et Perez-Duarte (2003) -10/15% 10% Aubert et Crépon (2004) Pas d’écart 5 à 10%, mais pas significatif Interpréter ce résultat • Aubert-Crépon (2004) suggèrent qu’il n’y aurait pas d’écart majeur productivité/salaire pour les individus en emploi • Mais peut aussi découler de ce que les entreprises utilisent au mieux les systèmes de sortie anticipée pour trier les travailleurs qui restent productifs et les autres. • Donc insuffisant pour écarter l’existence d’un problème de productivité relative derrière le sous emploi des seniors – Qui peut soit résulter d’un pur effet d’usure – Soit du fait que ces travailleurs sont, par position, plus exposés à des chocs d’obsolescence: nouvelles techologies, concurrence internationale Un test indirect de la productivité relative des seniors ayant perdu leur emploi • Le salaire de réembauche – Non observable en France – Mais observable aux Etats-Unis • En règle générale, a fait l’objet de nombreux travaux US, dont certains donnent infos séparées sur le cas des seniors : étude de Farber, 2003. Donne perte de l’ordre de 30% en moyenne (variable selon conjoncture). Perte de salaire après épisode de chômage (hommes 55-64 ans, US, d’après Farber, 2003) Baisse du salaire hebdomadaire moyen (en log) 0 -0,1 Ancienneté = 11-20 ans -0,2 -0,3 -0,4 Ancienneté > 20 ans -0,5 -0,6 81-83 83-85 85-87 87-89 89-91 91-93 Année de la perte d'emploi 93-95 95-97 97-99 99-01 Perte de salaire après chômage : quelques commentaires • A noter que ce n’est pas tant l’âge qui explique l’ampleur de la perte que l’ancienneté dans le poste antérieur. Le problème est plutôt la perte de de capital humain spécifique ou le fait que l’emploi qu’on perd était davantage susceptible d’être un emploi avec lequel on était bien apparié. • Peut tenir à discrimination, mais celle-ci est en principe contrôlée dans le cas US (ADEA) et peu probable qu’elle explique l’ampleur du gap. • Résultats seraient sûrement comparables dans le cas de la France si on forçait la réentrée sur le marché du travail passé ces âges : aux âges médians, Lefranc (2003) trouve des effets des épisodes de chômage sur le salaire très comparables entre la France et US. Intégrer les deux dimensions de l’offre et de la demande Des explications complémentaires • Un ensemble qui fait système avec création d’un cercle vicieux • par exemple Choc initial sur la demande de travail des seniors conduit à ⇒ mise en place d’une couverture passive ⇒ qui réduit l’offre de travail et la motivation des seniors ⇒ ce qui développe stéréotypes des employeurs à leur sujet ⇒ et diminue l’incitation de ces employeurs à les former ou à maintenir leur capital humain ⇒ ce qui renforce l’exposition aux chocs de productivité… Effet de système : un schéma résumé Social protection (benefit levels) Facility of reducing senior employment Preferences LABOUR DEMAND LABOUR SUPPLY EMPLOYMENT RATE Stereotypes Productivity Training Sortir du cercle vicieux (1) ? • Le briser en un point peut théoriquement suffire • Par exemple action sur l’offre de travail via le scénario de durcissement des barèmes – Devrait en effet conduire tôt ou tard à recréer marché du travail pour les seniors : l’offre finira par récrééer sa propre demande – Mais avec quel délai et à quel coût ? Sortir du cercle vicieux (2) ? • Actions sur positives sur l’offre : – Financière : dynamiser les surcotes, mais pb du coût financier (Hairault, Langot et Sopraseuth, 2008) – Non financière : conditions de travail, santé. Egalement coûteux (mais peut aussi constituer un but en soi). • Actions parallèles sur la demande : – Pénalités financières : difficulté à les calibrer sans effets pervers (ex. Delalande, voir Behaghel, Crépon et Sédillot, 2005) – Incitations financières positives : allègements de charge seniors, subvention à la formation (coût financier, à nouveau) – Lutte contre discrimination, action sur stéréotypes. • De manière générale : agir simultanément en plusieurs points du cercle vicieux devrait-être plus efficace que le jeu sur un levier unique Quelques pistes à explorer plus en détail • Besoin de davantage d’évaluation ex post des effets des réformes : ne peut-être satisfait que progressivement • Eclairage sectoriel (Estrade, 2007) • Voir en quoi consistent les trajectoires d’emploi des seniors dans les pays où ces trajectoires ne se résument pas à un aller simple pour la retraite: – Quelle flexibilité salariale ou de la durée du travail ? – Quels changements de secteur, avec quel rôle pour la formation ? • Penser en termes de bouclage : à ce jour, pas d’outils proposant une simulation un peu globale de l’ensemble des interdépendances qui ont été décrites.