Analyse de "Le Monde selon Monsanto".

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Analyse de "Le Monde selon Monsanto".
Université Libre de Bruxelles
Faculté de Philosophie et Lettres
Première Master ELICIT
Année académique 2011-2012
Histoire du film documentaire
Analyse de "Le Monde selon Monsanto" réalisé par Marie-Monique Robin
Van Leeckwyck Robin
1
Table des matières
Histoire du film documentaire ................................................................................................................ 1
Analyse de "Le Monde selon Monsanto" réalisé par Marie-Monique Robin ..................................... 1
I.
Introduction ..................................................................................................................................... 3
II.
Motivations ..................................................................................................................................... 3
1.
Réalisatrice .................................................................................................................................. 3
2.
Objectif ........................................................................................................................................ 4
III.
Analyse ........................................................................................................................................ 5
1.
Résumé ........................................................................................................................................ 5
2.
Modus Operandi.......................................................................................................................... 5
3.
Du fond ........................................................................................................................................ 5
4.
De la forme .................................................................................................................................. 6
IV.
a.
Déconstruction des gestes ...................................................................................................... 7
b.
Mouvement ............................................................................................................................. 7
c.
Bande sonore........................................................................................................................... 8
d.
De la monstration à la démonstration .................................................................................... 8
e.
Universalité du propos ............................................................................................................ 9
f.
Accumulation de preuves ........................................................................................................ 9
g.
Hybridité du contenu............................................................................................................. 10
Réception................................................................................................................................... 11
1.
Un nouveau genre ..................................................................................................................... 11
2.
Sortie du livre ............................................................................................................................ 12
3.
Bonne période ........................................................................................................................... 12
V.
Conclusion ..................................................................................................................................... 13
VI.
Références bibliographiques ..................................................................................................... 14
Annexe ................................................................................................................................................... 15
Fiche Technique................................................................................................................................. 15
2
I.
Introduction
Depuis l'invention du cinématographe en 1895, l'Homme n'a eu de cesse de vouloir fixer le monde
qui l'entoure sur pellicule. Les premiers films sont avant tout des scènes de la vie quotidienne des
réalisateurs ou des phénomènes naturels. Très vite, le public se désintéressa de ce genre de films
(appelés documentaires) au profit de séquences écrites, tout droit sorties de l'imagination de
l'Homme. Ainsi, le cinéma se divise en deux catégories : le documentaire et la fiction.
Le genre documentaire va alors subir de nombreux changements ; que ce soit au niveau du fond ou
de la forme, plusieurs genres documentaires vont apparaître de ce fait là. Le documentaire évolua de
la révélation de la vérité et de la recherche stylistique à la dénonciation de certaines situations et au
questionnement métafilmique.
Le présent travail consiste en une analyse d'un nouveau genre documentaire : "Le Monde selon
Monsanto". Ce nouveau genre n'en est en réalité pas un puisqu'il s'agit de la fusion de plusieurs
genres. Malgré tout, le sujet abordé apporte à cette fusion un nouvel élan novateur et prend une
place de plus en plus prépondérante dans notre société : l'écologie.
La première étape de l'analyse se fait par la contextualisation du documentaire réalisé par MarieMonique Robin. Ensuite, les différents procédés utilisés sont mis en avant afin de déterminer si la
réalisatrice opère correctement. Enfin, il semble important de s'attarder sur la réception du film par
le public. Une conclusion rappelle les éléments importants.
II.
Motivations
1. Réalisatrice
Marie-Monique Robin, née en 1960, est écrivaine, journaliste et réalisatrice. Diplômée en sciences
politiques et en journalisme, elle débute sa carrière dans des agences de presse. Très vite, elle quitte
ces sociétés pour prendre son indépendance. Elle a déjà réalisé une quarantaine de documentaires
liés à divers problèmes qui concernent tout le monde, directement ou indirectement. Ses premiers
films traitent
de situations où les droits de l'homme sont bafoués ("Mama Coca", "Sida et
Révolution" ou encore "Escadrons de la mort, l'école française"). Depuis 2004, ses réalisations se
3
concentrent plus sur la biodiversité et sur le fait que des industries privées s'approprient peu à peu
des droits sur le vivant ("Argentine, le soja de la faim", "Les pirates du vivant" ou "Blé : chronique
d’une mort annoncée ?"). Les documentaires révèlent un grand travail d'enquête sur le terrain et
mettent le doigt sur des sujets souvent épineux.
Fille d'agriculteurs (à qui le livre "Le Monde selon Monsanto" est d'ailleurs dédié), elle a conscience
des problèmes qui peuvent survenir dans une exploitation agricole et les dangers que peuvent
représenter les industries agroalimentaires. Ainsi les méfaits de Monsanto, entreprise accumulant les
procès pour pollution et empoisonnement, sont finement analysés et passés au peigne fin dans ce
film réalisé en 2008.
2. Objectif
Un extrait de la préface, écrite par Nicolas Hulot, résume assez bien les objectifs du livre ainsi que du
film : "L'enquête de Marie-Monique Robin est serrée, elle est construite au laser, les faits sont là,
indubitables, les témoignages nombreux et concordants, les écrits dévoilés, les archives décryptées.
Son livre n'est pas un pamphlet pourri de fantasmes ou de ragots. Il fait surgir un réel terrifiant. Au
moment où la firme nord-américaine se dote d'une ambition encore plus "totalisante" que les
précédentes - imposer les organismes génétiquement modifiés (OGM) à la paysannerie et à la
consommation alimentaire mondiale -, ce livre indispensable autorise à se demander, tant qu'il est
encore temps, s'il faut continuer à permettre à une société comme Monsanto de détenir l'avenir de
l'humanité dans ses éprouvettes et d'imposer un nouvel ordre agricole mondial"1.
Il est aussi intéressant de définir les circonstances qui poussent les réalisateurs à monter des films
portant sur un tel sujet. Les motivations sont doubles pour ce documentaire. D'une part, MarieMonique Robin a déjà réalisés trois films sur la biodiversité (ceux précédemment cités) dont
l'enquête approfondie conduit inéluctablement vers Monsanto. Et d'autre part, Yudhvir Singh, porteparole d'un syndicat paysan du nord de l'Inde, lui a déclaré : "Vous devriez faire une enquête sur
Monsanto. Nous avons tous besoin de savoir qui est réellement cette multinationale américaine qui
est en train de mettre la main sur les semences et, donc, la nourriture du monde ..."2.
1ROBIN Marie-Monique (2008), Le Monde selon Monsanto
2 ROBIN Marie-Monique (2008), Le Monde selon Monsanto
4
III.
Analyse
1. Résumé
"Le Monde selon Monsanto" se base essentiellement sur les recherches faites par Marie-Monique
Robin sur un moteur de recherche. De là, elle va revenir sur le passé de cette compagnie chimique
afin d'expliquer ce qu'elle est devenue. La réalisatrice va passer en revue chaque produit vendu par
Monsanto, que ce soit les cultures OGM, l'herbicide round-up ou encore l'hormone de croissance
bovine. Elle oppose alors les propos de Monsanto sur ses produits et les déclarations de certains
scientifiques qui ont tiré la sonnette d'alarme. Elle termine finalement par exposer les dégâts causés
par les cultures OGM de par le monde (Inde, Paraguay,...).
2. Modus Operandi
Elle a suivi une double démarche. Elle a tapé sur un moteur de recherche "Monsanto" ainsi que de
nombreuses autres associations de mots. C'est par ce moyen qu'elle a construit son film et son livre,
mais c'est aussi un moyen qui permet au spectateur ou au lecteur de suivre sa trace pour vérifier la
véracité de ce qui est dit. Et par la suite, elle a voyagé dans divers pays afin de rencontrer ceux dont
le nom se retrouve sur internet. Ces rencontres lui ont permis de valider ou non ce qu'elle avait
trouvé sur le net en confrontant des interviews de victimes, de scientifiques ou encore d'employés
de Monsanto.
La plupart des documentaires qui dénoncent certains faits tentent de les expliquer par le passé. En
effet, l'état du monde au jour d'aujourd'hui n'est que la résultante de ce qui s'est déroulé
précédemment. Ainsi, Marie-Monique Robin tente d'expliquer les pratiques frauduleuses de
Monsanto par le passé de cette société.
3. Du fond
Il est très difficile d'analyser ce genre de documentaire sans des connaissances approfondies en
génétique, ou du moins en science. De nombreuses personnes, pas nécessairement des anti OGM,
ont critiqué les propos tenus par la réalisatrice. L'AFIS (association française pour l'information
scientifique) a d'ailleurs proposé une analyse des arguments non valides tenus par Marie-Monique
Robin. Dans le domaine scientifique, les articles rédigés par les scientifiques doivent être publiés
pour être admis par la communauté scientifique. Or, la réalisatrice s'appuie sur des documents qui
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n'ont pas encore été approuvé par d’éminents scientifiques. Sa démarche n'est pas parfaite du point
vue scientifique. 3
En ce qui concerne le genre, ce documentaire se situe à la limite de plusieurs genres : en effet, il
passe par la dénonciation d'inégalités sociales, de mensonges de l'administration, la réalisatrice joue
son propre rôle dans le film, ...
Il s'agit donc d'un film éminemment militant ("[...] film militant réalisé par un particulier qui dénonce
le plus souvent un état de fait et, comme ce dernier, il est un sous-genre du film politique. Le film
politique à proprement parler est en général une fiction qui traite explicitement du gouvernement de
la cité et de l’exercice du pouvoir, de sa conquête et de la dénonciation de ses excès."4), dénonçant
les abus de Monsanto ainsi que les dérives de certaines organisations ou administrations nordaméricaines (Ministère de l'Agriculture, Food and Drug Administration, ...). Il peut aussi être perçu
comme un "je" documentaire. Marie-Monique Robin effectue un travail de mémoire individuel.
Encore une fois, il est utile de rappeler qu'il s'agit d'un nouveau genre : le documentaire écologique
et qu'il peut prendre de nombreuses formes.
4. De la forme
La structure particulière du film va maintenant être analysée. Le film peut se décomposer en
plusieurs parties, chaque partie porte sur l'un des produits vendus par Monsanto. La première
séquence est souvent une publicité de Monsanto ou des déclarations de celle-ci. En partant du nom
du produit, elle l'introduit dans un moteur de recherche sur internet. Elle choisit alors les faits et les
documents qui lui semblent les plus fiables. Les documents sont analysés de long en large. A partir de
là, soit elle tombe sur le nom de quelqu'un qui travaille pour Monsanto (directement ou
indirectement), soit sur quelqu'un que Monsanto a essayé de faire taire (scientifiques ou victimes).
Elle se rend chez ces personnes pour les interviewer et pour essayer de leur soutirer un maximum
d'informations. Et ainsi de suite. En structurant d'une manière claire et précise ce film, il est dès lors
possible d'analyser les différents procédés filmiques.
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4
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article832
ANDRIN Muriel (2011), Syllabus de "Histoire du Film Documentaire"
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a. Déconstruction des gestes
Marie-Monique Robin se met en scène dans son propre film. Elle expose chaque étape de son
enquête. Le spectateur se posera dès lors la question de savoir pourquoi. Cette mise en scène
permet véritablement à la réalisatrice de structurer son film d'une part, et de faciliter la
compréhension du spectateur de l'autre. En effet, une simple voix off aurait certainement perturbé
le spectateur qui se serait perdu parmi ces tonnes d'informations. Il n'est pas face à une voix
inconnue énumérant de nombreux faits et interviewant de temps à autre quelqu'un. Le spectateur se
trouve face à une personne physique. L'identification est alors plus facile; ceci rejoint donc l'autre
raison pour laquelle la réalisatrice se met en scène. Si le spectateur est vraiment intéressé ou se pose
toujours des questions sur le film, il lui est à son tour possible de reproduire chaque recherche sur
internet et il peut alors constater la véracité des faits mis en avant par la réalisatrice.
Il s'agit donc d'une implication personnelle qui permet une meilleure structuration et permet aussi
aux spectateurs d’effectuer, à leur tour, des recherches sur internet.
b. Mouvement
Le film s'attarde à démontrer une seule chose à l'aide de nombreux exemples. Il se peut donc que le
spectateur trouve le film redondant malgré la diversité des preuves. Une mise en scène bien précise
permet d'éviter les moments creux et de ne pas perdre le spectateur. Le procédé est simple et fait
référence au début du cinéma. En effet, lorsque Marie-Monique Robin doit se rendre à un endroit
bien précis, elle montre le trajet effectué. Ce procédé est utilisé depuis toujours dans le
documentaire, de Robert Flaherty qui se rend en bateau au Groenland dans "Nanook of the north" à
Agnès Varda qui dans "Les glaneurs et la glaneuse" se rend d'un endroit à l'autre en voiture. C'est ce
que les spécialistes appellent le cinéma protensif, qui va de l'avant. Chaque trajet en voiture est
montré.
Il est dès lors plus facile pour le spectateur qui n'a pas bien suivi les quelques minutes précédant le
voyage de comprendre où va la réalisatrice et de contextualiser l'endroit en question. De plus, ce
procédé permet d'appuyer les faits en prouvant qu'une enquête a été menée et qu'il ne s'agit pas
d'interviews « bidons ».
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c. Bande sonore
De plus, ce trajet en voiture est toujours accompagné d'une musique. Ces séquences ont deux
objectifs, le premier étant de rappeler le lieu où elle va, le second permettant au spectateur de se
reposer. Il est aussi intéressant d'écouter attentivement chaque musique. En effet, lorsqu'elle se
rend au Texas, il s'agit d'une musique à sonorité "cowboy" alors que quand elle se rend au Mexique,
le ton est plus latino. Le procédé n'est pas récurrent mais permet toutefois d'associer l'image au son
et d'accrocher le spectateur. Ce sont d'ailleurs, mis à part le thème principal, les seules scènes
accompagnées de musique.
Quant au thème principal, présent sur le menu du dvd, dans une seule séquence du film et au
générique, il s'agit d'une musique à consonance étrange. Elle n'effraie pas le spectateur mais le met
dans une situation de malaise. Ce procédé n'est pas utilisé de façon redondante (et heureusement)
mais permet toutefois d'associer le thème du film à la musique.
d. De la monstration à la démonstration
Le film s'attarde à nous montrer les effets néfastes des OGM vendus par Monsanto. L'accent est fort
mis sur la dangerosité de cette firme. Le film n'est pas loin du film "Why we fight" de Frank Capra qui
sépare notre monde en deux. D'un côté, Monsanto qui représente les nouvelles technologies comme
les solutions du futur et de l'autre, la réalisatrice, qui s'occupe de nous ouvrir les yeux afin de nous
révéler que seul Monsanto est responsable des maux de notre temps. Heureusement, le procédé est
bien plus strict et les arguments mis en avant sont fiables et confirmés par des scientifiques de haut
rang.
Marie-Monique Robin prend souvent comme point de départ des publicités de Monsanto ou encore
des promesses de la société (tirées du document "The Pledge" disponible sur leur site internet). Elle
montre donc les différents produits vendus par Monsanto ainsi que les endroits où sont cultivés les
OGM et où sont utilisés les produits. Les différents utilisateurs (qui se révèlent être des victimes par
la suite) témoignent des problèmes rencontrés. Pour finir, elle demande à des scientifiques de
comparer les promesses de Monsanto à la réalité. Elle passe donc de la monstration des faits à la
démonstration que Monsanto n'est qu'une multinationale dont l'unique objectif est de faire du
profit.
8
Ce qui permet finalement de mettre un terme à cette enquête (et qui a d'ailleurs bien été compris
par la réalisatrice) est le dernier intertitre. Celui-ci explique que Monsanto a refusé de passer une
interview avec Marie-Monique Robin. Pour une fois, elle ne lit pas ce qui est à l'écran. Elle laisse
entendre ce que Monsanto lui a expliqué par téléphone (que le film nuirait à l'image de la
compagnie). Ceci confirme implicitement tout ce qui vient d'être dit.
e. Universalité du propos
Les arguments avancés proviennent du monde entier. La réalisatrice insiste bien sur le fait que
Monsanto est un problème mondial. Tous les pays sont touchés par les produits de cette firme.
L'inde, les Etats-Unis, le Mexique,... , la réaction devra donc venir de l’ensemble de la population
mondiale.
Une des nombreuses façons de dénoncer un sujet est d'en montrer les conséquences dans le monde
entier. Ce documentaire utilise bien ce procédé en démontrant par A+B que les méfaits de Monsanto
sont bels et bien présents. Une dérive à cette manière d'agir est d'en montrer les conséquences les
plus insoutenables à la vue. Mais Marie-Monique Robin évite de tomber dans ce procédé; elle reste
dans l'entre deux. Par exemple, il serait facile de retrouver toutes les personnes atteintes d'un cancer
ou de maladies dermatologiques les unes plus horribles que les autres. Ou encore de passer deux
minutes à nous montrer les malformations des foetus au Vietnam. Elle agit donc avec modération sur
ces nombreuses scènes, elle ne veut pas dégouter mais continuer à tisser son propos.
L'analyse d'un documentaire passe souvent par l'énumération des procédés utilisés. Mais il semble
tout aussi utile de préciser quelles méthodes sont habituellement utilisées pour arriver au même
objectif. Elle reste bien dans son objectif principal qui est de dénoncer les méfaits de Monsanto de
par le monde sans entrer dans une structure d'agression.
f. Accumulation de preuves
Les exemples sont nombreux. Des OGM aux pesticides en passant par les hormones, Marie-Monique
Robin nous expose que Monsanto contrôle la plupart des produits utilisés en agriculture. Les preuves
utilisées sont fort nombreuses. La technique n'est pas loin de celle de l'accumulation. Elle insiste sur
les problèmes en exposant de nombreux arguments. Certes, ils sont tous fondés et appuyés par des
preuves mais ils nous assomment par leur nombre, le spectateur n'a même plus le temps de les
analyser et de les mémoriser tellement ils sont vite passés en revue.
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Il est aussi intéressant d'analyser chaque scène qui présente ce procédé. La première fois où il est
utilisé, c'est lorsque la réalisatrice se trouve à une conférence à Anniston (lieu où ont été enterrés
des déchets). Chaque personne va alors donner son taux de produits toxiques dans le corps. Et entre
chaque prise de parole, Marie-Monique Robin intercale des images d'un scientifique qui énonce les
conséquences de la présence de ce produit dans le corps. Il s'agit donc d'une sorte de montage
parallèle entre chaque dose dite par un habitant d'Anniston et chaque conséquence énumérée par
un scientifique. Elle l'utilise à quatre reprises dans le film. Une seconde fois lorsque James Maryanski
explique ce qu'est le principe d'équivalence en substance. Encore une fois, il s'agit presque d'un
montage en parallèle entre les dires de James Maryanski et les dires de trois autres scientifiques qui
démontrent que ce principe est infondé. Une troisième fois lorsque Samuel Epstein dénonce les
données erronées concernant l'hormone bovine. Entre chaque argument, un verre de lait, qui se
remplit petit à petit, est inséré. Une dernière fois lorsque les paysans indiens donnent le montant
total auquel s'élève leur dette. Cette fois-ci, pas de montage en parallèle mais une rotation de la
caméra qui effectue au final un tour de 360°, permettant de donner la parole à tout le monde.
Ce procédé permet encore une fois de passer de la monstration à la démonstration en opposant les
propose de Monsanto à ceux des scientifiques. Ce type de montage permet aussi de rendre plus
simple la compréhension par le spectateur mais aussi de garder une certaine dynamique au film.
g. Hybridité du contenu
Afin de se rapprocher au mieux de la réalité, Marie-Monique Robin utilise de nombreux supports
audiovisuels. Ceci lui permet d'insister sur la dualité de deux mondes, celui proclamé par Monsanto
et le monde réel. Ainsi, elle insère de nombreuses publicités produites par Monsanto, ces publicités
ayant pour but de montrer les bienfaits des différents produits vendus. En passant de round-up aux
OGM, ces scènes lui permettent d'embrayer directement avec le monde réel et d'opposer le discours
de Monsanto à la situation actuelle. D'autre part, de nombreuses images d'archives sont utilisées.
Ces images démontrent clairement les intentions de Monsanto ainsi que la politique de
déréglementation des Etats-Unis (et ainsi l'implication de l'administration américaine dans cette
machine à sous). Même si pour de nombreux documentaristes (Lanzmann), l'utilisation d'images
d'archives peut conduire à une transformation des propos, la réalisatrice nous propose des scènes
cohérentes et complètes évitant donc les déformations de propos. Par exemple, Michaël Moore qui
prend une scène d'un militaire pour ouvrir son film est complètement hors sujet (dans "Bowling for
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Columbine"). Ici, les scènes font partie du tout que constitue ce film enquête. Seule la scène
concernant les hélicoptères durant la guerre du Vietnam peut être remise en question. Il y a aussi
une scène d'animation qui permet d'expliquer clairement ce qu'est le soja round-up ready sans
devoir passer par de nombreuses explications orales.
Il est aussi important d'insister sur l'énonciation de la réalisatrice. Il s'agit véritablement d'un double
discours. Elle reprend les textes trouvés sur internet et les montre aux spectateurs. Et en plus de
cela, elle lit les documents elle-même. De surcroît, elle va même jusqu'à rendre le texte flou sauf ce
qu'elle est en train de lire (qu'elle agrandit au contraire). Le spectateur n'a plus rien à faire ; tout est
montré et dit.
IV.
Réception
1. Un nouveau genre
Ce film peut être rapproché d'une vague de documentaires bien précis. Depuis peu, de nombreux
réalisateurs dénoncent les méfaits écologiques. Les sujets sont nombreux comme l'énergie (d'autant
plus avec des catastrophes écologiques comme celle de Fukushima), l'eau, le développement
durable, les déchets, la biodiversité et enfin l'agriculture. Tous ces thèmes sont bien entendu liés et
ont le même objectif. Des films tels que "Solutions locales pour un désordre global", "Océans", "Nos
enfants nous accuseront" ou encore "Home" connaissent un succès grandissant. En effet, l'écologie
arrive au centre des débats entre politiciens. De plus la nature, sans aucune trace humaine, regorge
de trésors inestimables et d'une beauté incroyable. Cette nouvelle mouvance rejoint en quelque
sorte l'objectif premier du film documentaire : montrer l'exotique, ce qui sort de notre ordinaire ou
même comment l'Homme vit en harmonie avec la nature ("Moana" de Flaherty). Avec ceci comme
nouveauté : "ces choses que vous voyez vont bientôt disparaître si vous ne faites rien". L'objectif de
ces réalisateurs est simple, nous faire dire " comment peut-on laisser faire tout cela?".
Le sens de nouveau genre documentaire peut être pris de deux manières distinctes. Comme ce qui
vient d'être explicité d'une part mais aussi du point de vue de la communication et de la production
de ce documentaire d'autre part. Il est intéressant de s'attarder sur la production de ce film (Arte
dans notre cas) ainsi que la manière dont il a été exploité (à la télévision sur cette même chaîne). Il
s'avère qu'Arte produit et diffuse une très large gamme de documentaires. "Diffusé la première fois
sur ARTE, le mardi 11 mars 2008 à 21h, ce documentaire va connaître un retentissement important. Il
donnera naissance, sous la direction d'ARTE, à un blog de la réalisatrice, à un livre et à un DVD.
11
Récemment, le mardi 5 janvier 2010 à 22h25, il a été rediffusé sur la chaîne culturelle" explique
Sophie Barreau-Brouste5 . C'est un procédé couramment utilisé, Arte propose un documentaire à la
télévision, sorte de test de l'audimat, pour savoir s'il sera projeté en salle et sorti en dvd.
2. Sortie du livre
Il est fort intéressant de constater que parallèlement à la sortie du film documentaire, un livre
reprenant les mêmes faits a été publié . Une approche sur la différence entre ces deux formes de
diffusion de l'information (ou même en temps qu'art) semble intéressante. Les différences notables
permettent de mettre en exergue la fonctionnalité de ces deux modes de diffusion qui sont fort
dissemblables. La quatrième de couverture du livre ainsi que le dos du dvd mettent en évidence la
première différence : la longueur de l'enquête. La quatrième de couverture reprend exactement le
même texte auquel d'autres phrases plus précises ont été ajoutées. La seconde différence provient
du format. D'une part, un dvd de 109 minutes, de l'autre un livre de 350 pages contenant une
préface et des notes complémentaires, ce qui permet de véritablement affirmer les propos. Cette
dernière différence permet à l'auteur du livre de décrire avec précision et de montrer toutes les
preuves nécessaires à sa démonstration. Le film, lui, sert principalement à montrer les faits dans les
grandes lignes, et est censé susciter la curiosité du spectateur qui une fois averti plongera avec
entrain dans le livre. Cette double sortie permet deux choses. La première est de permettre à MarieMonique Robin d'exposer son propos. La seconde permet une diffusion beaucoup plus large de ce
propos. Cette manière de procéder se soucie grandement de la réception du propos par le
spectateur. En effet, il importe fort peu à Marie-Monique Robin de créer cette "oeuvre" mais bien
plus de la diffuser au plus grand nombre. Ainsi, cette stratégie commerciale est finement jouée et a
permis d'ouvrir de nombreux débats (ce qui est bien évidemment le but premier).
3. Bonne période
Le film sort en 2008, année sujette aux débats concernant les OGM. Ces organismes génétiquement
modifiés effraient une grande partie de la population et divisent politiciens et chercheurs. Ce genre
de documentaire permet souvent de se faire une idée précise, bien que parfois faussée, sur certains
sujets. En effet, il ne faut pas oublier qu'il faut faire la distinction entre les OGM de Monsanto et les
OGM qui proviennent parfois de laboratoires soucieux de leur impact. Les amalgames sont vite faits.
5
BARREAU-BROUSTE Sophie (2011), Arte et le documentaire
12
Ainsi, la très bonne réception que reçut ce film, accompagné du livre qui fut traduit dans quinze
langues, est peut être due à cette peur des OGM.
En pleins débats sur les OGM, la sortie de ce documentaire permet de mettre une image sur les
discussions. Ainsi, la projection du film permet à de nombreuses associations, écologistes ou non,
d'illustrer leur propos pour engager un débat. Le livre, véritable enquête montrant et démontrant
les faits, accompagne parfaitement le film et donne des preuves encore plus accablantes à propos de
la firme Monsanto.
Ce qui peut paraître pour un avantage est aussi un inconvénient. Les nombreux débats sur les OGM
ont permis l'exportation du film dans de nombreux pays et sa diffusion dans la plupart des groupes
écologistes. Malheureusement, ce film fût considéré comme le film emblème du mouvement anti
OGM et n'a pas été perçu comme la réalisatrice l’aurait souhaité. D'une part, la première partie,
concernant tous les procès intentés contre Monsanto, et qui ont été perdus, n'ont pas frappé les
esprits. Plus personne n'en parle. D'autre part, la seconde partie, consacrée à la plupart des produits
vendus par la société, n'a engendré des discussions que sur les OGM alors que tous les produits
posent problème. L'exemple le plus concret est le round-up. Produit extrêmement nocif pour
l'environnement, il est toujours vendu dans la plupart des magasins et personne n'y prête attention.
V.
Conclusion
Ce travail met en évidence trois points importants qui permettent d'analyser au mieux ce
documentaire dans tout ce qu'il touche. Le premier élément est bien évidemment les événements
qui ont poussé à la réalisation de "Le Monde selon Monsanto". Marie-Monique Robin est dans une
optique d'enquête. Elle veut révéler au monde ce qu'est cette société et quels sont ses liens avec
divers problèmes qui ont lieu un peu partout sur la planète.
Le second élément met en avant l'héritage des documentaires plus anciens. Ce sont souvent les
mêmes procédés qui reviennent. Par exemple, le fait de filmer les trajets remontent à Flaherty, la
déconstruction des gestes est toujours présente pour faciliter la compréhension ou encore le fait de
filmer les conséquences de par le monde afin d'universaliser son propos. A cela s'ajoute des procédés
plus particuliers comme l'hybridité du contenu ou le fait de se mettre en scène dans son propre film.
Il s'agit donc de recourir aux procédés typiques du documentaire pour démontrer son propos.
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Finalement, il est toujours intéressant d'analyser la réception d'un film par le public. Des
circonstances particulières (débats sur les OGM) ont permis une large diffusion du film. De plus,
celui-ci est accompagné d'un livre, ce qui permet de retracer précisément l'enquête de la réalisatrice.
Un autre point, situé peut être un peu loin du champ de l'analyse, est la diffusion de documentaire
en premier lieu à la télévision et ensuite au cinéma et en dvd.
"Le Monde selon Monsanto" constitue donc un documentaire correspondant bien aux objectifs de la
réalisatrice. Les différents procédés mis en place permettent de démontrer son postulat de départ. Et
malgré les circonstances extérieures, il reçut un accueil chaleureux du public bien que le sujet
essentiel (qui est les méfaits de Monsanto) n'a pas été perçu comme tel, le public se concentrant
plutôt sur les OGM.
VI.
Références bibliographiques
BARREAU-BROUSTE Sophie (2011), Arte et le documentaire, de nouveaux enjeux pour la création, Le
bord de l'eau
ANDRIN Muriel (2011), Syllabus de "Histoire du film documentaire, ULB
ROBIN Marie-Monique, Le Monde selon Monsanto, 2008, Arte tv
ROBIN Marie-Monique (2008), Le Monde selon Monsanto, De la dioxine aux OGM, une
multinationale qui vous veut du bien, Editions La Découverte/ Arte editions
Imdb, Le Monde selon Monsanto, http://www.imdb.fr/title/tt1189345/combined, visité le
26/11/2011
AFIS, Le Monde selon Monsanto, http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article832 , visité le
26/11/2011
Agora vox, Le Monde selon Monsanto, http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/le-mondeselon-monsanto-37003, visité le 26/11/2011
Wikipédia, Marie-Monique Robin, http://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Monique_Robin, visité le
4/12/2011
Arte tv, Blog de Marie-Monique Robin, http://blogs.arte.tv/LemondeselonMonsanto /frontUser.do?method=getHomePage, visité le 4/12/2011
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Annexe
Fiche Technique
Titre complet : Le Monde selon Monsanto – de la dioxine aux OGM, une multinationale qui vous veut
du bien
alisatrice et scénariste : Marie-Monique Robin
Année de sortie : 2008
Durée : 108 min
Musique originale : Olivier Auriol
Image : Etienne Carton de Grammont, Bernard Cazedepats, Arnaud Mansir, Guillaume Martin,
Frédéric Vassort
Montage : Françoise Boulègue
Maquillage : Marie-Laure Margnoux
Technicien du son : Jérôme Boiteau, Anne Bourcier, Marc Duployer
Effets Visuels : Sebastien Tessier
Sociétés de production : Image et Compagnie, Arte France (co-production), Office national du film du
Canada (ONF) (co-production), Shen Studios / Productions Thalie (co-production), Westdeutscher
Rundfunk (WDR) (co-production)
Distributeurs : Arte (2008) (Allemagne) (TV), Yleisradio (YLE) (2008) (Finlande) (TV)
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