Conclusion (in French)
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Conclusion (in French)
CONCLUSION GENERALE Conclusion générale •RLP@8@(0JÎH :0*gÂH gÆF\JT T. Zieliñski Etant donné que la présentation de chaque terme finit par une conclusion et que chacune des deux parties relatives aux craintes et aux courages en est pourvue également je me limite ci–dessous à exposer les idées les plus générales qui peuvent être considérées comme fruit de la présente étude. Son objet a été d’analyser le vocabulaire des craintes et des courages dans les épopées d’Homère. La reconstruction a permis de considérer la place importante des sentiments et en particulier des lexèmes des craintes et des courages dans les déscriptions homériques des comportements humains et de déterminer les différences entre ces lexèmes grâce à l’analyse au moyen des catégories telles que le pôle klitique et ekklitique, la collectivité et l’individualité, la cause du sentiment, son objet, son résultat, son siège, ses liaisons avec des dynamismes psychiques, ses somatisations, ses connexions avec d’autres sentiments et ses oppositions à d’autres sentiments. Au cours de cette démarche j’ai pu arriver à constater aussi le caractère épistémologique de la crainte et du courage. Si l’on compare le vocabulaire de la crainte avec celui du courage, on constate que le premier est plus développé et mieux attesté. Le nombre total des contextes analysés est 849 (la crainte: 617, le courage: 232, c’est–à–dire environ 2,66 : 1) 1 , le nombre des termes est 57 (la crainte: 43, le courage: 14, c’est–à–dire environ 3 : 1). Dans le cas du courage, bien qu’il soit moins représenté, je n’ai noté aucun hapax. Cela signifie que les conclusions relatives aux courages ont plus souvent caractère de reconstruction, celles relatives aux craintes dans certains cas sont de caractère plutôt hypothétique. Les mots avec le plus grand nombre des contextes sont *X@H (289/129), "Æ*fH (129/68), n`$@H (113/58) et hV:$@H (40/40) pour les craintes et J8−<"4 (147/88), hVDF@H (96/50) et •86Z (141/48) pour les courages, 1 Il résulte du nombre total 1481 (craintes: 1052, courages: 429, c’est–ŕ–dire environ 2,45 : 1) que ce sont les lexčmes des courages qui apparaissent plus souvent dans un sens extérieur au critčre appliqué (courage comme attitude). 325 LA CRAINTE ET LE COURAGE DANS L’ILIADE ET L’ODYSSEE si l’on ne compte pas les contextes avec hL:`H et :X<@H, deux termes lesquels je propose d’interpréter comme éner- gies ou dynamismes psychiques klitiques. Ces nombres témoignent de la richesse du vocabulaire et sa disposition prouve la stratification hiérarchique du vocabulaire utilisé. Tout autre est la question de sa- voir si le vocabulaire grec pourrait être traduit en langues modernes, en français par exemple, en utilisant les termes qui y sont disponibles et que j’ai évoqués dans l’introduction. Les résultats de ma classification complétés par l’interprétation des termes analysés et de leurs rapports avec les sièges et les dynamismes d’activités psychiques peuvent être présentés sous forme de tableau de manière suivante. I Craintes terme (contextes/analysés) Ð6<@H (5/5) B"BJ"\<g4< (26/14) •B@B"BJ"\<g4< (1/1) JDgÃ< (15/15) *4"JDgÃ< (3/3) B"D"JDgÃ< (1/1) BgD4JDgÃ< (1/1) ßB@JDgÃ< (4/4) Õ4(gÃ< (30/21) •B@ÖÕ4(gÃ< (1/1) nD\FFg4< (12/2) FJL(gÃ< (52/8) 6"J"FJL(gÃ< (2/2) JD`:@H (40/28) •:n4JD@:gÃ< (1/1) BgD4JD@:gÃ< (1/1) ßB@JD@:gÃ< (2/2) n`$@H (113/58) •:n4n@$gÃFh"4 (1/1) BJZFFg4< (44/15) 6"J"BJZFFg4< (7/7) ßB@BJZFFg4< (1/1) ¦6B8ZFFg4< (4/4) 6"J"B8ZFFg4< (1/1) BJ@4gÃ< (1/1) *4"BJ@\g4< (1/1) JVD$@H (28/26) ßB@J"D$gÃ< (1/1) hV:$@H (40/40) 326 sičge dynamisme hL:`H, 6D"*\0 hL:`H hL:`H (?) hL:`H, nDX<gH 6D"*\0, μJ@D nDX<gH nDX<gH hL:`H, nDX<gH, 6−D hL:`H, <`@H hL:`H, μJ@D <`@H, nDX<gH, hL:`H, 6D"*\0 interprétation hésitation regard anxieux crainte dans le regard crainte physique crainte collective crainte animale crainte physique crainte de disparition crainte – frisson crainte d’imagination, aversion crainte répulsive crainte de répulsion crainte paralysante crainte – tremblement inquiétude pour une personne crainte réactive crainte ŕ distance ou crainte pour panique souvent collective panique collective crainte de disparition idem ? crainte d’immobilisation crainte d’imagination crainte collective [sens factitif: crainte écrasante] crainte totale crainte collective crainte d’étonnement CONCLUSION GENERALE *X@H (289/129) hL:`H, nDZ<, 6−D hL:`H, μJ@D, <`@H ßB@*g\*g4< (13/13) •JL.XFh"4 (11/11) •8"8b6J0:"4 (1/1) BgD4*g\*g4< (8/8) "Æ*fH (129/68) 6−*@H (114/79) BgD46Z*gFh"4 (2/2) FX$"H (9/9) μJ@D, 6D"*\0 hL:`H, nDX<gH, 6−D hL:`H .gFh"4 (13/8) *\g:"4 (13/13) BgD4*\T (5/5) ÏB\.gFh"4 (4/4) ¦B@B\.gFh"4 (1/1) (1) crainte de perte (2) crainte ambivalente (3) crainte pour (1) = *X@H, crainte qui pousse ŕ la fuite (2) crainte massive, oppressive (1) crainte animale (2) anxiété immobilisante ? angoisse angoisse crainte pour conscience ŕ plusieurs niveaux crainte klitique profonde [renforcement du précédant] (1) timidité (2) conscience (1) crainte ekklitique (2) crainte de respect [sens factitif faire fuir] crainte pour crainte d’inhibition [le seul contexte est théometrique] II Courages terme (consičge textes/analysés) •(0<@D\0 (3/3) •86Z (141/48) nDX<gH, μJ@D 6VDJ@H (13/13) hVDF@H (96/51) hL:`H, nDX<gH, μJ@D, 6D"*\0, FJZh@H dynamisme <`@H – hL:`H hL:`H, :X<@H ¦B4h"DFb<T (1/1) J`8:0 (12/12) hL:`H, 6D"*\0 ¦B4J@8:< (2/2) •<"J8−<"4 (3/3) ¦B4J8−<"4 (2/2) •<*D@JZH (3/3) ²<@DX0 (6/6) J8−<"4 (147/88) hL:`H :X<@H hL:`H, nDX<gH, μJ@D 6D"*\0, hL:`H, μJ@D, 6−D inteprétation courage aveugle, réactif, de parade courage militaire défensif ou offensif force ou puissance physique, terme intermédiaire entre FhX<@H et ²<@DX0, puissance durative, puissance oppresive courage inchoatif (chasse la crainte, suscite l’assurance et la confiance) factitif, peut ętre opposé au factitif *g4*\FFgFh"4 contextes surtout militaires, courage d’achčvement proche du ¦B4J8−<"4: avoir le courage de se soummettre ŕ l’écoute résistance courage de rester en position de soumission intégralité du courage ou l’image psychique du courage courage d’élite, beauté morale, métaphysique, honneur surtout individuel, rarement militaire, courage d’ętre énergies ou dynamismes psychiques klitiques, hL:`H est responsable des sentiments tandis que :X<@H est un dynamisme volitif Le travail ultérieur pourrait consister ŕ soumettre cette proposi- 327 LA CRAINTE ET LE COURAGE DANS L’ILIADE ET L’ODYSSEE tion ŕ la recherche plus avancée afin de considérer son utilité pour la psychologie. Cependant il est facile de voir que le caractčre général des mots qui dénotent les craintes et les courages (des lexčmes des craintes et des courages) s’exprime en cela que l’on peut distinguer les niveaux extręmes au sein des stratifications. Pour la crainte ce sont les craintes réactives équivalentes aux fuites et les craintes pour, du côté du courage ce sont les courages réactifs, forces et les courages vécus – le courage d’ętre ou pour ętre. Les couches médianes sont occupées par les craintes organiques et psychologiques et dans le cas du courage – la résistance et l’endurance. La thčse avancée dans l’introduction que les lexčmes des craintes et des courages constituent dans l’Iliade et l’Odyssée un monde psychique étalé ŕ niveaux multiples trouve sa confirmation. Il est visible que le rôle des deux sentiments change en fonction du niveau auquel le lexčme dénotant le sentiment concret se situe. La chose étonnante est que le plus haut niveau est répresenté dans le cas de la crainte par plusieurs termes 1 et dans le cas du courage 2 par le terme attesté par le plus grand nombre des contextes. Il y a pourtant une différence entre les craintes et les courages pour lesquels on ne 1 C’est pourquoi je ne peux pas ętre d’accord avec J. de Romilly, La crainte et l’angoisse ... , p. 100 lorsqu’elle constate que (...) on remarquera que les plus intérieurs, les plus moraux [des mots désignant la crainte] manquent ŕ Homčre, qui n’emploie ni :XD4:<" ni nD@<J\H. Qu’il y ait lŕ un trait caractéristique de la psycholo- gie homérique n’est pas douteux. Il est vrai qu’Homčre n’utilise pas les deux mots dont parle J. de Romilly, mais l’usage qu’il fait des termes BgD4*g\*g4<, "Æ*fH, 6−- *@H, BgD46Z*gFh"4, FX$"H, .gFh"4, BgD4*\T, ÏB\.gFh"4 me semble y corres- pondre. Je renvoie encore ŕ la glose donnée par Hésychius: 6Z*g"q 8ØB"4 / 60*g`H (Q 159)q 60*gbF4:@H, ßBÎ 60*g:@<\"< B\BJT<, 6"Â nD@<J\*@H –>4@H / 6Z*g- Fh"4q nD@<J\.g4< (Plat. Civ. 344 E), 8LBgÃFh"4 / 6−*@H (Plat. Civ. 605 D)q 60*g- \". BX<h@H, 8bB0. nh@DV. FL((X<g4". † <0FJg\". hgD"Bg\". nD@<J\H <schol. Dion. Chrys. VII 52>. 2 Je crois qu’il est difficile de réduire le courage chez Homčre ŕ la bravoure (cf. F. Buffičre, Les mythes d’Homčre ... , p. 357) ou au courage passionnel et brutal (E. Smoes, Le courage chez les Grecs ... , p. 284). Il est vrai que Buffičre et Smoes parlent seulement de l’Iliade, mais męme le texte de l’Iliade offre des passages qui font exception ŕ ces constatations. Je doute qu’il ait fallu attendre les philosophes pour lui [au courage] conférer un statut éthique (E. Smoes, Le courage chez les Grecs ... , p. 284). En revanche je suis d’accord avec Smoes lorsqu’il parle d’une mystique du guerrier (p. 284). 328 CONCLUSION GENERALE note presque jamais de somatisations. Cela reste peut–ętre en rapport avec le fait que les courages sont plus souvent individuels que les craintes (ce qui récompense peut–ętre le fait qu’ils sont moins représentés). Ce trait a été d’abord observé au cours de l’analyse des craintes: d’une part plus un sentiment est individuel, moins il possčde de manifestations extérieures et d’autre part plus un sentiment est individuel, plus son caractčre est lié ŕ la fonction de hiérarchisation. Il faudrait examiner si cette coďncidence, qui a été confirmée par l’analyse des courages, peut ętre interprétée en tant que principe. La lecture de l’Iliade et de l’Odyssée et leur analyse ont permis de voir une perspective riche, compliquée et profonde. Les couches extręmes de la crainte s’éloignent l’une de l’autre et il en est de męme pour les couches du courage. Elles se distinguent tellement que l’on pourrait se demander si la distance n’est pas plus grande que lors- qu’on compare la crainte et le courage du męme niveau. Si les senti- ments sont inhérents aux niveaux concrets de la personnalité des hé- ros cela veut dire qu’ils ont un caractčre foncier. Ils correspondent ŕ l’image de l’homme homérique de maničre complčte puisqu’ils en- globent tous ses niveaux, ayant une étendue qui va de sa réalité la plus concrčte, corporelle et physique jusqu’ŕ sa dimension la plus ab- straite, celle d’outre–tombe. Il me semble qu’aprčs avoir appliqué la méthode du passage du concret vers l’abstrait 1 il est permis de formuler ŕ titre de reconstruction le trait élémentaire de la psychologie homérique des sentiments dans son aspect lexicographique, ŕ savoir que les sentiments ont le caractčre ontologique. De la dynamique et du fonctionnement des lexčmes des craintes et des courages il résulte que les craintes et les courages apparaissent comme manifestation de la personne 2 et de son intégrité 3 dans laquelle ils trouvent leur origine et leur enracinement. Le fait que l’âme est décrite tantôt sous son aspect 1 La męme méthode a été adoptée par M. Mauss, Les techniques du corps, p. 365. T. Kobierzycki, Psychologia Męstwa ... , p. 18 observe avec regret que la vaillance, l’honneur et le courage sont considérés aujourd’hui comme catégories de situation [et non de la personne]. 3 Cf. (...) a bodily function, sleep, affects the whole person (...). R. Renehan, The Meaning of GS9! in Homer ... , p. 278. 2 329 LA CRAINTE ET LE COURAGE DANS L’ILIADE ET L’ODYSSEE volitif, tantôt sous son aspect émotionnel ou intellectuel peut ętre expliqué par ce que les noms des facultés de l’âme sont uniquement une maničre de classer les faits psychiques. (...) raison, volonté et sentiment ne sont ni les parties de l’âme, ni ses instruments ou organes, mais seulement ses noms par lesquels on tient compte de la diversité des états de l’âme. 1 Ma proposition personnelle est de considérer chez Homčre la richesse des fonctions et dynamismes psychiques 2 . Il faut souligner également qu’ŕ la différence du corps l’âme homérique est indivisible 3 . Ce caractere a été nié par la conception de Bruno Snell que j’ai discutée dans mon introduction 4 oů j’ai cité aussi quelques critiques de cette postition 5 . Dans mon travail j’ai pu profi- ter de l’analyse de Zieliński de la psychologie homérique publiée en 1922 6 . Je rappelle qu’elle a été méconnue jusqu’en 1968, l’année oů elle a été citée par Jarcho 7 , et qu’elle a malheureusement 1 W. Lutosławski, Nieśmiertelność duszy ... , p. 120. Cf. aussi categories of function de C. P. Caswell, A Study of Thumos ... , p. 2. 2 Cf. K. Dąbrowski, Funkcje i struktura emocjonalna osobowości. 3 Ce trait sera repris par la philosophie et, chose intéressante, par Parménide et ses continuateurs pour ce qui est de l’ętre (cf. par exemple DK 30 B 9). 4 On peut encore ajouter qu’il est un procédé méthodologique douteux de vouloir prouver la non–existence d’une chose. Cf. aussi (...) we must look everywhere in Homeric epic before we can safely say that something is missing (...). E. L. Harrison, Notes on Homeric Psychology, p. 80 et (...) the sheer absence of a few lexical items is not necessarily going to have repercussions at the ontological level. R. Gaskin, Do Homeric Heroes Make Real Decisions?, p. 10. De plus je rencontre parfois des faits accomplis comme hombre moderno (...) nuestro verbo (...) un hombre más moderno (...) nuestro “alma” y “cuerpo” (J. S. Lasso de la Vega, Psicologia Homerica, pp. 239–240) ou our accepted beliefs of Homeric eschatology (J. Warden, QKO/ in Homeric Death–Descriptions, p. 95). J’insiste sur l’utilisation du pronom notre – ŕ qui se rapporte–t–il? 5 Ainsi l’affirmation de J. Bremmer, The Early Greek Concept of the Soul, p. 8 que Snell’s analysis has been corrected, supplemented, and refinded, but not superseded (...) n’est pas tout ŕ fait exacte. 6 Faut–il encore espérer retrouver la suite de ses recherches sur les passions positives dont il parle ŕ la page 15, n. 3 de son article Psychologia homerycka? 7 Il écrit: außerhalb der Sowjetunion blieb diese Arbeit leider völlig unbekannt, obwohl sie in vielem Schlußfolgerungen späterer Veröffentlichungen vorwegnahm (...). V. N. Jarcho, Zum Menschenbild der Nachhomerischen Dichtung, p. 147, n. 1. 330 CONCLUSION GENERALE continué ŕ l’ętre aprčs 1 . J’aimerais que mon étude contribue ŕ faire connaître l’analyse et les résultats obtenus par Zieliński il y a 80 ans 2 . J’ai essayé de tirer les conséquences de la description de l’étrange rencontre d’Ulysse avec Ajas 3 qui montre que les sentiments continuent ŕ durer aprčs la mort. C’est fait prouve qu’ils ont le caractčre ontologique 4 . J’ai voulu démontrer aussi que le ręve d’Achille du livre XXIII de l’Iliade était une expression du vécu d’Achille aprčs la perte de l’ami plus qu’une opinion scientifique d’Achille ou d’Homčre sur la vie d’outre–tombe. On peut lier cette description au caractčre de la poésie homérique mais ce n’est pas nécessaire 5 , car 1 L’exemple en est J. Bremmer, The Early Greek Concept of the Soul, p. 24, n. 29 qui cite Jarcho (Jarkho) mais qui ignore (volontairement ?) l’article de T. Zieliński bien qu’il lise le russe comme il peut résulter de sa note 56, p. 35. 2 Deux articles se rapprochent le plus de tous de celui de Zieliński par leurs idées et perspectives: T. Nissen, Die Physiologie und Psychologie der Furcht in der Ilias, 1924 et E. Ehnmark, Some Remarks on the Idea of Immortality in Greek Religion, 1948. Cela doit ętre effet d’une synchronie acausale, si on peut emprunter l’expres- sion de C. G. Jung. 3 Bien entendu on peut poursuivre l’analyse et chercher dans quelle mesure Ajas ne parle pas parce qu’il n’a pas bu de sang. Mais Ulysse le sait bien et pourtant il est étonné de voir Ajas rester éloigné. Ulysse explique le silence d’Ajas par sa colčre. Cf. A. Krokiewicz, Moralność Homera ... , p. 176 pour qui ce silence est méprisant. 4 Cette constation exigerait plus qu’une remarque. Hélas, faute de place je suis obligé de me limiter ŕ noter que tout son contraire se trouve chez Aristote pour qui lorsque ce sujet [individuel] se corrompt, n’y a–t–il plus ni souvenir ni amour: ce ne sont pas lŕ, disions–nous, des attributs de cette pensée en soi, mais du composé qui a péri (...). Aristote, De l’âme 408 b 27–29. On peut ajouter aussi que si l’âme homérique n’était qu’un double du corps, la psychologie homérique serait sans grande différence avec celle des Egypciens chez qui dčs l’époque thinite, on pensait que (....) l’intégrité du corps était indispensable ŕ la persistance de l’âme et, par conséquent, ŕ la survie de l’individu (...) Toutefois les destinées de ces deux ętres jumeaux étaient liées si intimement qu’ŕ laisser le cadavre se décomposer, le double se serait décomposé avec lui. Guide du visiteur au musée du Caire, cité d’aprčs Notes et variantes in: M. Proust, t. 2, p. 1546 [n. 2]. Cependant cette croyance ŕ la différence des Grecs a con- duit les Egypciens ŕ l’usage de la momification. 5 Cf. l’explication au moyen de “functional” level (E. L. Harrison, Notes on Homeric Psychology, p. 68) ou: What eventually wins the reader’s heart is not the impressive intellectual qualities of their style and design, but their pervading compassionateness, even tenderness, for suffering humanity. (...) In turning from the direct comments of the lyric poets and the philosophers to the dramatists’ portraits of Odysseus, 331 LA CRAINTE ET LE COURAGE DANS L’ILIADE ET L’ODYSSEE on peut indiquer une démarche semblable dans le roman par excellence moderne 1 . Il faut rappeler que les lexčmes des sentiments sont souvent liés ou męme remplacés dans les descriptions homériques par les somatisations. Ce fait, de męme que la fréquente connexion des lexčmes des sentiments avec leurs sičges et avec les dynamismes psychiques, de- mande qu’on analyse de plus prčs le rôle des somatisations ainsi que celui de termes tels que hL:`H, nDZ< (nDX<gH), 6D"*\0, <`@H, μJ@D, 6−D etc. pour la dynamique et le fonctionnement des senti- ments. Par exemple est–ce que l’observation que les sentiments de bienveillance se placent dans le hL:`H (cf. VI, 51) et ceux de malve- illance dans les nDX<gH (cf. VI, 61) relčve d’un fait singulier ou ex- prime–t–elle une rčgle plus générale? En attendant qu’une telle ana- lyse soit faite je propose de voir leur répartition comme cela résulte des deux tableaux ci–dessus (sičge [s], dynamisme psychique [dp]). termes hL:`H B"BJ"\<g4< Õ4(gÃ< FJL(gÃ< JD`:@H ¦6B8ZFFg4< BJ@4gÃ< JVD$@H hV:$@H *X@H [dp] [dp] [s ?] [s] [s] [dp] [s] [dp] [s] [dp] nDZ< nDX<gH μJ@D 6D"*\0 6−D FJZh@H <`@H :X<@H <`@H – hL:`H Craintes [dp] [s] [dp] [dp] [s] [dp] [s] [dp] [dp] [s] [dp] [dp] [s] [s] [dp] [dp] [dp] one again meets the problem of how far each author’s personal feelings are involved in his creations. (W. B. Stanford, The Ulysses Theme, p. 40 & p. 102) ou encore: Obviously, there are different levels of insight into words and their ways in the Iliad corresponding to the different levels visible in the epic (...) (T. F. Carney, Homeric Epic and Psychosynthesis, p. 115). 1 Cf. Je criais: «Grand–mčre, grand–mčre», et j’aurais voulu l’embrasser; mais je n’avais prčs de moi que cette voix, fantôme aussi impalpable que celui qui reviendrait peut–ętre me visiter quand ma grand–mčre serait morte. «Parle–moi»; mais alors il arriva que, me laissant plus seul encore, je cessai tout d’un coup de percevoir cette voix. M. Proust, A la recherche du temps perdu, t. 2, p. 434. On peut ajouter que tout comme Patrocle pour Achille, la grand–mčre de M. Proust était pour lui: ma grand–mčre c’était encore moi–męme, moi qui ne l’avais jamais vue que dans mon âme. (t. 2, p. 439) ou encore d’autres exemples cités dans l’Introduction. 332 CONCLUSION GENERALE BgD4*g\*g4< "Æ*fH 6−*@H [dp] [s] [s] [dp] [s] [s] Courages •86Z hVDF@H J`8:0 J8−<"4 [s] [dp] [dp] [s] [dp] [s] [s] [s] [s] [s] [s] [dp] [dp] [s] [dp] [dp] [s] [dp] [dp] Je rappelle aussi que le vocabulaire ne constitue qu’une partie de la réalité psychique des sentiments et c’est pourquoi mon étude n’est qu’une contribution ŕ la recherche intégrale dans le domaine de la psychologie homérique des sentiments. Si donc le champ aussi réduit que le vocabulaire des craintes et des courages permet de considérer l’importance de ces deux sentiments dans les descriptions homériques on peut supposer que l’analyse des intentions des sentiments, de leurs perceptions, dispositions, verbalisations, somatisations, des mots dé- signant les sentiments de maničre générale, métaphores et scčnes oů les sentiments sont en jeu sans apparition des termes qui les dénotent – et cela pour la crainte et le courage dans un premier temps et pour les autres sentiments dans un second temps – contribuerait dans une mesure plus grande encore ŕ apprecier le rôle des sentiments dans l’ontologie de l’homme 1 . C’est alors seulement que l’on aurait le mo- yen de pleinement se prononcer au sujet de la psychologie homérique des sentiments. Si la différenciation des craintes et des courages est un fait il en résulte qu’on peut s’attendre ŕ une systématique semblable pour des lexčmes dénotant les autres sentiments. Mais la portée de recherche sur la psychologie homérique peut présenter également de l’importance pour la psychologie en général. Les conclusions qui résultent de la description homérique peuvent constituer un argument pour celles des théories contemporaines des sentiments qui les considčrent comme des phénomčnes ŕ plusieurs niveaux. Puisque les théories de caractčre ou théories sociales sont insuffisantes pour comprendre les niveaux plus élevés de la réalité affective on peut se rapporter ŕ la 1 Cf. par exemple L’irréductibilité de la conscience affective ŕ l’intellectuelle apparaît clairement dans l’angoisse. F. Alquié, La conscience affective, p. 51. Cf. aussi (...) Achilles’ decision (...) All that is required of him is courage (...). R. Gaskin, Do Homeric Heroes Make Real Decisions?, p. 14. 333 LA CRAINTE ET LE COURAGE DANS L’ILIADE ET L’ODYSSEE théorie homérique de l’âme, qui est, je suis enclin ŕ le croire maintenant, possible ŕ réconstituer et ŕ ętre mise en parallčle avec les théories psychologiques. Elle pourrait męme devenir un outil de vérification de la psychologie moderne 1 , ce qui serait un changement radical par rapport ŕ la situation oů l’on essaie d’appliquer les outils de la psychologie moderne ŕ la psychologie homérique et oů, par conséquent, on s’expose au reproche d’anachronisme. Par ailleurs je me situe du côté de ceux qui donnent tort ŕ ce reproche. Dans son livre Achilles in Vietnam ... J. Shay 2 a montré que seule est anachronique l’interprétation sociale (par exemple ce qui concerne l’attitude sociale vis–ŕ–vis de l’ennemi 3 ), sinon le niveau psychologique est commun ŕ l’époque d’Homčre et ŕ celle d’aujourd’hui 4 . Au cours de mon analyse j’ai signalé que par exemple le 1 Cf. Homer has seen things that we in psychiatry and psychology have more or less missed. J. Shay, Achilleus in Vietnam ... , p. xiii. 2 Avant Shay c’est G. Devereux, Achilles’ ‘suicide’ in the Iliad qui a montré les ressemblances de comportement observés dans l’Iliade avec ceux de la seconde guerre mondiale. Cf. aussi Summing up, my paper does not discuss what “Homer” meant do to. It deals with what he did in fact do: he made his Achilles psychologically credible. (p. 4) et: Achilles’ fight against Hector is a combat with his own mirror–image: a suicide disguised as revenge. (p. 11). Cf. aussi T. F. Carney, Homeric Epic and Psychosynthesis. 3 Cf. The duel [between Diomędęs and Glaukos] ends with their exchange of gifts, which would constitue a punishable offense in any modern army, or at least call for a psychiatric examination. J. Shay, Achilleus in Vietnam ... , p. 108 et le Chapter 6: Dishonoring the Enemy, pp. 103 sq. Pour l’explication de ce changement sociologique de la mentalité cf. les pp. 111–115 & p. 118. 4 Pour l’objection d’anachronisme cf. par exemple If some things do not occur in Homer though our modern mentality would lead us to expect them, we are entitled to assume that he had no knowledge of them (...). B. Snell, The Discovery of the Mind ... , p. IX et Homeric psychology and physiology must be (...) studied without importing preconceptions from other cultures (...) our own everyday presuppositions and use of psychological words (...). A. W. H. Adkins, From the Many to the One ... , p. 13 ou encore (...) perspectivas anacrónicas (...) una interpretación posterior y anacrónica en la psicología homérica, p. 241. J. S. Lasso de la Vega, Psicologia Homerica, p. 239 & p. 241. On peut se demander si l’application de la sociologie ou de la psycholo- gie sociale par B. Snell et A. W. H. Adkins n’est pas un anachronisme au plus haut degré encore. L’objection d’anachronisme a été éloignée entre autres par J. Griffin, Homer on Life and Death, pp. 104–105: It is heartening to find that the ancient commentators, whose work is so little regarded in most recent writings on Homer, very often found in 334 CONCLUSION GENERALE rôle du toucher dans l’élimination de la crainte tel que le relčve Homčre est semblable ŕ celui qu’on lui attribue dans les pédagogies et thérapies modernes. Autre exemple est la possibilité de l’explication des monologues intérieurs de l’Iliade et de l’Odyssée (par exemple 20, 17 sq.) ŕ l’aide du concept sujet – objet en soi de Dąbrowski 1 . En fait les sentiments n’ont pas pour autant changé leurs caractéristiques depuis Homčre ainsi que je peux juger d’aprčs l’application des termes klisis et ekklisis de von Monakow – Mourgue et de la perspective de stratification des sentiments de Scheler ŕ la lecture des épopées 2 . Evidemment la plupart des problčmes ne sont pas formulés ni posés ouvertement par Homčre. Sa poésie n’est pas un traité systéma- tique et le monde est abordé plutôt dans les descriptions littéraires que dans les déclarations scientifiques 3 . Néanmoins ŕ partir des textes de l’Iliade et de l’Odyssée il est possible de proposer ou du moins de chercher les réponses aux questions posées actuellement. Lorsque je lis dans un traité moderne que (...) elle [émotion] exprime sous un as- pect défini la totalité synthétique humaine dans son intégrité. Et par lŕ il ne faut point entendre qu’elle est l’effet de la these passages the same qualities of emotion and pathos as we shall find there. While that of course does not prove that we are right, it is some re- assurance that native speakers of ancient Greece shared our perceptions; they are at least not the mere anachronisms of the twentieth century. ou H. Pelliccia, Mind, body, and speech ... , p. 28: This account may seem anachronistically to resemble certain features of Platonic psychology. Anachronistic or not, I think that the psychology presented in the Phaedrus provides a useful analogy to Homer’s (...). 1 Cf. K. Dąbrowski, Les dynamismes principaux de la desintégration ŕ niveaux multiples, pp. 231–232. Pour l’application de ce concept ŕ l’śuvre d’Homčre cf. R. Zaborowski, Sur la méthode descriptive ... , p. 30. 2 Męme si G. Zanker dans sa critique de J. Shay, Achilleus in Vietnam ... émet quatre réserves, il finit par dire que literary scholars will be fascinated to find the Iliad used sometimes as an exemplar for modern war practice (...). Scholar will be grateful to see a respected psychiatrist reminding us that Homer’s original audien- ces, with their frequent experience of warfare in the service of their local lords, would have been particularly alert to any psychological improbabilities in Homer’s portrayal of combat, and proving, in short, that Homer’s powers of psychological observation are penetratingly accurate (p. 377). 3 Cf. Homčre (...) fait de la poésie descriptive. F. Buffičre, Les mythes d’Homčre ... , p. 29. Cf. aussi R. Zaborowski, [critique de:] J. de Romilly, Hector, p. 109. 335 LA CRAINTE ET LE COURAGE DANS L’ILIADE ET L’ODYSSEE réalité humaine. Elle est cette réalité–humaine elle–męme se réalisant sous la forme «émotion». (...) Elle a son essence, ses structures particuličres, ses lois d’apparition, sa signification. 1 , cette observation me fait penser ŕ celle d’un lecteur de deux épopées 2 . La recherche sur la psychologie homérique pourrait dépasser le cadre des études purement philolo- giques, lexicographiques ou historiques pour ętre prise en considéra- tion non seulement dans l’étude de l’histoire de la psychologie mais aussi au sein de la psychologie męme 3 et de l’ontologie 4 . Tadeusz Zieliński avait l’habitude de dire au sujet de ses recherches en para- phrasant le fameux propos platonicien: Que nul n’entre ici s’il n’est psychologue 5 . Une fois décrite la psychologie homérique des sentiments, elle pourrait contribuer ŕ la recherche de l’essence et de la nature des sentiments. On pourrait aussi chercher des points communs de la psycho- logie homérique des sentiments avec la psychologie des sentiments d’Aristote (Ethique ŕ Nicomaque, Grande Morale, Ethique ŕ Eu- dčme, Rhétorique), de Thomas d’Aquin (Somme théologique, qu. 22–48: Les passions de l’âme], de René Descartes (Les passions de l’âme), de Spinoza (De l’origine et de la nature des 1 J.–P. Sartre, Esquisse d’une théorie des émotions, p. 11. Il en va de męme pour l’essence de la crainte saisie par J.–P. Sartre, Esquisse d’une théorie des émotions, p. 36 de maničre suivante: le véritable sens de la peur (...) une conscience qui vise ŕ nier (...) un objet du monde extérieur et qui ira jusqu’ŕ s’anéantir, pour anéantir l’objet avec elle. De mon côté je propose de considérer les sentiments klitiques comme renforçant le sujet et les sentiments ekklitiques comme l’affaiblissant. Cf. mes conclusions phénoménologiques in: R. Zaborowski, Uczucia w filozofii greckiej ... . 3 Cf. par exemple l’avis de T. Gelzer, How to Express ... , p. 1: If this were not the case, the Homeric poems today would be of interest only to specialists in historical ethnology and semiotics, and would be unable to have any immediate impact as poetry on present day readers – which is manifestly not the case. 4 Cf. (...) nous découvrirons, dans la conscience affective, et dans la réflexion sur elle, une voie vers l’ontologie (...). F. Alquié, La conscience affective, p. 63. Cf. aussi The Homeric epics may contain a ‘philosophy of’ man (...). J. H. Lesher, Perceiving and Knowing in the Iliad and Odyssey, p. 1. 5 D’ailleurs L’interprétation psychologique n’en exclut aucune autre, mais elle établit une position humaine affirmant la supręme unité de l’esprit, les nombreuses et essentielles analogies spirituelles des hommes de tous les temps et de partout. G. Aigrisse, Psychanalyse de la Grčce antique, p. 12. 2 336 CONCLUSION GENERALE sentiments in: Ethique), de T. Ribot (La psychologie des sentiments) ou de J.–P. Sartre (Esquisse d’une théorie des émotions) pour ne citer que les au- teurs bien connus. On pourrait voir si vraiment la crainte et le courage forment une opposition ou si ce n’est qu’une opinion couramment ad- mise (mes analyses 1 me conduisent ŕ croire qu’il convient plus d’op- poser la crainte ŕ la folie, ŕ la colčre ou au désir 2 et le courage ŕ la honte 3 ). Les deux textes homériques ont sűrement un caractčre initiatique 4 . Selon moi il s’agirait de l’initiation ŕ la mort: dans l’Iliade le moment de la mort est présenté dans une description poétique du côté de l’homme vivant, dans l’Odyssée j’observe une tentative d’envisager le moment de la mort du côté d’outre–tombe. Si l’Iliade peut exprimer une expérience vécue, l’Odyssée n’en est qu’une intuition pressentie 5 . _______ 1 Cf. R. Zaborowski, Uczucia w filozofii greckiej ... et Lęk w dialogu Platona – Fajdros. 2 C’est en quelque sorte la perspective des Stoďciens qui distinguent quatre passions principales: la peine et le plaisir, la crainte (n`$@H) et le désir (¦B4hL:\"). DL VII, 110– 111. Mais pour eux ces quatre BVh0 trouvent ses opposés sous forme de gÛBV- hg4"4. Ainsi l’opposé de la crainte est la circonspection (¦<"<J\"< (...) J¬< *r gÛ8V- $g4"< Jè n`$å). DL VII, 110–111. 3 Pour les Stoďciens la honte est une forme de la crainte: "ÆFPb<0 *¥ n`$@H •*@- >\"H. DL VII, 112. 4 Cf. The ancient Greeks revered Homer, the singer of tales, as a doctor of the soul. J. Shay, Achilles in Vietnam ... , p. 188. 5 Cf. (...) la muerte es una experiencia final (...) Tenemos que distinguir dos niveles: el nivel del entender o de la consciencia y el nivel de la experiencia. J. Garzón Díaz, La muerte ... , p. 380. Cf. aussi (...) that the Homeric world is a world of bodies, and the Platonic a world of immaterial souls. E. Ehnmark, Some Remarks on the Idea of Immortality in Greek Religion, p. 6. 337