le chemin initiatique
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LE CHEMIN INITIATIQUE Louis TREBUCHET Le Tao qui peut être dit n’est pas l’éternel Tao Le Nom qui peut être dit n’est pas l’éternel Nom Ce qui n’a pas de nom est le début du ciel et de la terre Le nommé est l’apanage des dix mille choses de la création Celui qui est sans désirs peut voir le mystère Celui qui est plein de désirs peut voir la manifestation 2008 « Le Tao qui peut être dit n’est pas l’éternel Tao » ainsi commence le Tao Te King, le livre de la Voie du milieu. La voie qui peut être décrite n’est pas l’éternelle Voie. Ainsi notre chemin initiatique est impossible à décrire tant il est intime et personnel, tant ses paysages et ses étapes relèvent d’un domaine impossible à illustrer parfaitement par le discours rationnel. La seule chose que l’on puisse faire c’est de raconter sa propre aventure, comme vient de le faire notre frère Jean-Philippe. « La maçonnerie cela ne se raconte pas, cela se vit » nous disait un jour ici notre frère Pierre. Alors je vais seulement tenter de vous dire comment je le vois, moi, et comment je le vis, ce chemin initiatique. Un cheminement Car pour moi c’est un chemin, un chemin de montagne souvent ardu et rocailleux, quelque fois plat et facile ou glissant et malaisé, avec des cols ouvrant sur des paysages sublimes et des combes encaissées dans une ombre angoissante, et de rares virages dégagés où en se retournant on peut voir le chemin parcouru. Mais on n’en voit jamais le bout, comme une voie d’alpiniste où derrière chaque sommet apparaîtrait un autre sommet à conquérir. Il y a d’autres voies initiatiques que la notre, le Tao que je viens de citer, ou la Tarika Soufi chez les musulmans. Nous ne sommes qu’une des nombreuses voies initiatiques que le monde a connu. En quoi notre chemin est-il initiatique, quelle est notre spécificité, et d’abord que veut dire initiatique ? Comme nous l’indique le Tao, on ne peut pas définir cette notion, mais on peut au moins dire ce qu’elle n’est pas. Notre chemin initiatique n’est pas un cursus d’enseignement. Il ne s’agit pas d’acquérir une succession de savoirs, ou de réponses toutes faites. Tout au plus nous apporte-t-il quelques questions et réponses ésotériques : « mes frères me reconnaissent comme tel », « je ne sais qu’épeler », « nous avons laissé nos métaux à la porte du Temple.» Et encore ces échanges n’auraient aucun sens s’ils étaient destinés à être appris par cœur pour pouvoir répondre à l’interrogation écrite de passage au degré suivant. Ils servent en fait à nous mettre sur la voie d’une étape de travail personnel, d’un objectif de transformation intérieur, et à nous permettre de découvrir les moyens et les outils qui nous permettront de tenter d’y accéder. Ce n’est pas vraiment non plus un apprentissage. L’apprenti regarde son maître d’apprentissage et apprend les tours de mains, les manières de faire, et aussi bien sûr les valeurs, qu’il s’entraine à recopier le plus parfaitement possible. Certes il y a un peu de cela dans notre apprentissage, on observe nos frères et ils nous apportent quelque chose. Mais ce n’est pas un tour de main que l’on peut recopier à l’identique. Il nous faut comprendre intérieurement et profondément de quoi il s’agit car sur notre chemin initiatique il n’y a aucune solution générale, aucun tour de main universel, il n’y a que des accomplissements personnels et intimes. D’autres, comme notre passé Grand Maître Alain Pozarnik, l’appellent une méthode, la méthode maçonnique. Ce n’est pas faux, mais personnellement je n’aime pas tellement ce mot avec ce qu’il connote de strict et d’intellectuel. Bien que l’échelonnement des 33 degrés du R E A A soit fixe, et particulièrement bien agencé à mon sens, l’expérience montre que chacun peut réagir aux incitations ésotériques d’un degré à un moment différent qui lui est propre. On 1 percute parfois immédiatement sur un des aspects d’un degré mais parfois bien après avoir été initié au degré suivant. La méthode n’a donc rien de strict. Et surtout elle n’a rien d’intellectuel, ou tout au moins de rationnel au sens cartésien du terme. Le chemin initiatique fait appel beaucoup plus aux qualités du cœur, à l’intuition, à la perception symbolique. Ce n’est pas non plus un plan de carrière similaire à l’avancement dans l’armée, avec les barrettes qui viennent progressivement s’empiler sur les épaulettes jusqu’à ce qu’on atteigne le monde merveilleux et presque inaccessible dans lequel les étoiles viennent remplacer les barrettes sur des épaulettes usées par les combats ! Dans le monde militaire, et à juste titre, on ne devient commandant que quand on connait parfaitement le métier de capitaine et qu’on l’exerce bien. Enfin ce serait l’idéal ! Sur notre chemin il ne s’agit pas de cela du tout. Qui peut dire « Je suis un parfait apprenti, c’est pour cela que j’ai été élevé au grade de compagnon » ? Qui peut dire « Je connais parfaitement tout le degré de compagnon, c’est pour cela que je devrais être maître depuis longtemps » Je crois que l’on ne possède jamais parfaitement un degré, que même la notion de connaissance d’un degré est une aberration. Il me semble que, d’un bout à l’autre de notre chemin initiatique, il n’y a pour chacun qu’une voie sur laquelle il tente de progresser, mais que chaque initiation à un degré nous propose un coup de projecteur différent sur la voie et le paysage autour. Quand on semble mûr pour se poser une nouvelle question, aborder un autre aspect de son travail intérieur, le rite propose un nouvel éclairage. Mais le nouvel éclairage n’éteint pas les précédentes lumières, et n’arrête pas les précédents chantiers, car les chantiers commencés ne seront jamais totalement finalisés. Le terme qui me semble convenir le mieux est donc celui de voie, voie avec un e, chemin. Un chemin comme celui de Lafontaine, montant, rocailleux, malaisé, sur lequel le rite nous permet de découvrir nos propres moyens d’avancer, des éclairages nouveaux qui nous permettrons d’imaginer nos propres étapes, de construire nos réponses personnelles aux situations et aux questions éternelles et communes à toute l’humanité. C’est donc un chemin que l’on parcourt seul, car personne ne peut le faire à notre place. Personne ne peut conduire à notre place le travail intérieur qui nous fera avancer vers de nouvelles perceptions intimes et de nouveaux comportements personnels. Personne ne peut apporter de manière satisfaisante des réponses toutes faites à des questions qui jaillissent au plus profond de chacun d’entre nous. A l’inverse de la voie initiatique soufie, dans laquelle il est essentiel de pouvoir tracer l’arbre généalogique de filiation de maître à apprenti, il n’y a pas de maître, ou de gourou, dans notre voie initiatique. C’est toute la loge qui est le maître de chacun des frères de la Loge. On est donc seul sur ce chemin, mais pas solitaire. Au contraire, ce lien de transmission, qui joue d’ailleurs dans tous les sens dans l’atelier, car quel maître n’a jamais découvert une perception nouvelle en écoutant un apprenti ou un compagnon, est un des éléments fondamentaux qui donne vie à notre fraternité. Enfin je crois que l’on peut dire que sur ce chemin chaque étape peut à juste titre s’appeler une initiation car une étape ne peut correspondre qu’à un nouvel abandon de ses métaux, un nouveau dépouillement intérieur. Et c’est bien notre progression dans cette voie initiatique qui nous permettra de transformer les épreuves de notre vie en nouveau dépouillement, en nouvel abandon de métaux, en nouvelle prise de conscience. 2 Car dans le fond, après avoir passé en revue tout ce que le chemin initiatique n’est pas, il y a une chose positive que l’on peut enfin dire de la voie initiatique c’est qu’elle à eu un début, qu’elle a été initiée, commencée, par une initiation. Et pour moi le moment premier, le symbole premier de l’initiation, c’est l’abandon des métaux, ou même antérieurement le bandeau, qui ont en commun une signification essentielle : l’éveil de la conscience. J’ai mis personnellement du temps à comprendre que les étoiles ne sont pas allumées le soir par l’allumeur de réverbère du Petit Prince, qu’elles brillent aussi le jour mais qu’on ne les voit pas parce que la lumière du soleil les cache. Ainsi le bandeau sur les yeux, symbole de cette nécessité de masquer le soleil pour voir ces milliers d’étoiles qui nous envoient une lumière qui vient de très loin dans le passé, et l’abandon des métaux dont le rituel d’initiation nous dit qu’ils « symbolisent tout ce qui brille d’un éclat trompeur » sont bien le premier acte d’éveil à ce que l’on ne voyait pas, à ce qui était caché par le soleil aveuglant, et quelquefois trompeur, de notre éducation et de notre civilisation. Ma vision personnelle de l’initiation est celle d’une porte ouverte sur les étoiles, d’un éveil de la conscience sur ce qui est caché en arrière plan du monde dans lequel nous vivons. Où cela nous mène-t-il ? Au plus profond de nous-mêmes, bien sûr, vous le savez tous ! Bo’az, le fil-àplomb, V I T R I O L , tous ces symboles de l’apprenti nous y conduisent. Tout au long de notre chemin initiatique le travail à accomplir sera intérieur. Et l’outil essentiel qui nous sera donné pour ce travail est le symbole, le langage symbolique. Pour cet éveil de la conscience qu’est l’initiation, pour cet élargissement progressif du champ de conscience qu’est la voie initiatique, le symbole est essentiel, car lui seul permet d’exprimer toutes les harmoniques de la réalité, tous les plans qui se cachent derrière l’aspect pragmatique et matériel du monde, tous ces arrière-plans que l’initiation nous entraine à percevoir. Une des caractéristiques du langage symbolique est qu’il est toujours porteur de multiples significations. Ainsi le fil-à-plomb nous conduit en même temps dans les profondeurs intérieures et dans les hauteurs célestes, « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » nous dit la table d’émeraude. La terre de V I T R I O L est à la fois notre propre profondeur et les grands espaces du monde, et la pierre cachée pourrait bien être cet endroit profond d’où nous pourrons le mieux percevoir et sentir tout ce qui nous entoure. Ainsi le silence nous conduit à mieux écouter, à mieux comprendre les harmoniques profondes de ce que dit l’autre, ainsi le bandeau nous conduit à mieux voir la profondeur de l’univers qui nous entoure. On pourrait utiliser ici un symbole qui n’appartient pas à notre tradition, mais aux ésotérismes des religions du Livre, ésotérisme chrétien, Kabbale ou tarika soufi : La danse des sept voiles. La bien-aimée, c'est-à-dire la Vérité inatteignable mais constamment recherchée, abandonne ses voiles les uns après les autres. Chaque dépouillement initiatique, chaque étape sur notre chemin fera tomber un voile qui masquait un aspect de soimême, ou une perception de l’univers extérieur, ou les deux à la fois. Mais allons plus loin : à quoi va nous conduire tout ce travail pour élargir notre champ de conscience, pour mieux percevoir l’insondable profondeur de l’autre, comme de l’univers ? Eh bien je crois que cela nous conduit à construire petit à petit notre propre éthique personnelle. Car la conscience conduit à la conscience… Je n’ai pas pu résister à cette formule facile qui joue sur les deux 3 sens du mot conscience : la conscience de l’homme qui, contrairement à l’animal a conscience d’exister, et la conscience morale, celle qui nous dit le bien et le mal, qui nous donne bonne ou mauvaise conscience. Approfondir notre conscience de nous-mêmes, des autres et du monde va nous permettre de transformer notre conscience morale, de la libérer de son asservissement à des présupposés qui nous ont été inculqués par la société ou la religion, ce que j’appelle une morale, pour lui donner un vrai fondement personnel, ce que j’appelle une éthique, issue d’une compréhension de plus en plus profonde de nous-mêmes et de ce qui nous entoure. Ce sera de cette manière que chaque franc-maçon écossais deviendra de plus en plus capable de « continuer au dehors l’œuvre commencée dans le Temple » Mais pour en arriver là, il reste une étape essentielle, celle de la construction de sa propre spiritualité, de sa propre vision spirituelle du monde qui en quelque sorte mettra de l’ordre dans tout ce que perçoit cette conscience de plus en plus aiguisée, et structurera l’enchevêtrement du bien et du mal dans cette éthique que chacun de nous se construit. Car à quoi servirait de mieux percevoir l’univers, si ce n’est pour trouver un sens à sa vie ? A quoi servirait d’être de plus en plus à l’écoute des autres si c’est pour continuer à les asservir et à les manipuler ? Il s’agit bien d’une spiritualité car la voie initiatique ouvre l’esprit sur ce qu’il y a au-delà de la simple matérialité, mais ce n’est pas une religion car elle n’apporte pas de révélations toutes faites. Elle n’apporte pas de réponses, mais aide à se poser des questions. Elle n’impose pas de dogmes, mais aide à réfléchir. Elle ne propose pas de gourous, mais l’aide des frères de la Loge. Elle ne conduit pas à une croyance, mais permet de reconstruire sa propre cohérence intérieure. Cette spiritualité, héritière de la Gnose néoplatonicienne en ce qu’elle permet à chacun d’avancer vers sa propre vision du Grand Architecte de l’Univers en utilisant la voie symbolique, est aussi héritière du Siècle des Lumières en ce qu’elle incite chacun à garder sa propre cohérence en ne se laissant imposer aucun dogme. C’est en avançant sur cette voie spirituelle que nous construirons progressivement notre étique personnelle, notre propre conception du devoir, du bien et du mal. « Funde merum genio » enjoignait le plus ancien rituel imprimé de la Grande Loge des Anciens : Fonde le Vrai par toi-même. Élargir son champ de conscience, construire sa propre vision du principe de la Grande Architecture de l’Univers, élaborer sa propre notion du bien et du mal, on conçoit bien que tout ceci est un travail intérieur qui n’aura jamais de fin, car cette Vérité en quelque sorte infinie est inaccessible à l’Homme et se reculera sans cesse comme l’horizon se refusera toujours au voyageur. La première sentence du Tao l’exprime ainsi : Le Tao qui peut être dit n’est pas l’éternel Tao Le Nom qui peut être dit n’est pas l’éternel Nom Ce qui n’a pas de nom est le début du ciel et de la terre Le nommé est l’apanage des dix mille choses de la création Ainsi les merveilles de la création peuvent être nommées et nous sont accessibles, mais la compréhension du ciel et de la terre nous est inaccessible. Ainsi nous peinerons sur notre chemin initiatique vers un but qui se reculera toujours. Mais si le but est inaccessible, l’essentiel, mes frères, n’est-ce-pas le chemin ? 4