mmigration clandestine : 52 Somaliens retrouvés morts dans le golfe
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mmigration clandestine : 52 Somaliens retrouvés morts dans le golfe
DE LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME A LA LUTTE CONTRE LA PIRATERIE La Somalie sombre dans un engrenage chaotique Dr. Djibril DIOP Université de Montréal (Québec) [email protected] Résumé Région stratégique pour la navigation maritime internationale, la Corne l’Afrique est devenue en espace de quelques années, l’une des zones le plus dangereuses du monde. En effet, en outre d’être un refuge de groupes terroristes, la Somalie pays sans loi, est devenue le réceptacle d’une piraterie affreuse. Alors que la pauvreté qui est la résultante de cette insécurité permanente favorise une émigration clandestine à travers une traversée périlleuse dans le golfe d’Aden. Mots clés : Piraterie, terrorisme, immigration clandestine, golfe d’Aden, Somalie. INTRODUCTION Jusque-là, la Somalie c’est signalée par le chaos qui y règne et la montée de l’islamisme radical, notamment depuis le renversement du dictateur Mohamed Siad Barre en 1991. Mais depuis quelques années, les côtes somaliennes ont la sinistre réputation d'être des plus dangereuses au monde à cause des pirates qui y sévissent. Ces bandits des mers intensifient les abordages, profitant du désordre politique dans le pays. Juchés sur de petites embarcations très rapides, des groupes armés jusqu'aux dents foncent à la tombée de la nuit ou au lever du jour sur leur proie, arraisonnant navires marchands comme voiliers qui entrent en mer Rouge depuis l'océan Indien ou en provenance du canal de Suez. Le nombre d'attaques est tel qu’il a fini par perturber dans cette zone stratégique pour le trafic maritime international. Parallèlement, face à l’insécurité et à la paupérisation croissante, une frange importante de la population cherche coûte que coûte à fuir, dans une traversée souvent dramatique à travers le golfe d’Aden, vers le Yémen. Au-delà de l’analyse géostratégique globale, ce texte structuré en trois parties, tente de cerner les connexions entre ces différents éléments dans ce pays déchiré par plus d’une décennie de guerre civile. La première fait l’état du contexte régional, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme depuis 2001 ; la deuxième une analyse ce fléau qu’est devenu, la piraterie, venue se greffer aux autres maux qui gangrènent ce pays ; quant à la troisième partie, elle essaie de saisir la dimension de l’émigration clandestine, qui se présente comme résultante de ce contexte trouble, dans la région. LA CORNE DE L’AFRIQUE : UN CŒUR GEOSTRATEGIQUE TROUBLÉ La Somalie : un pays en décomposition avancée Coincée entre l’Océan Indien, l’Océan pacifique à l’Est, la Mer Méditerranéenne et la Mer Rouge au Nord et au Nord-Est le Moyen-Orient, la Corne de l’Afrique constitue cœur stratégique à chaque crise pétrolière (Carte 1). Soucieux de protéger les routes maritimes, de veiller sur l’équilibre régional, en particulier sur l’Irak et l’Iran, de maintenir une présence en Asie où les tensions entre l’Inde et la Chine d’une part et le Pakistan et l’Inde d’autre part sont récurrentes, de contrôler le débouché de la mer Rouge et du canal de Suez, et de pouvoir intervenir si nécessaire en Afrique, les États-Unis y maintiennent une présence militaire active1. 1 La Ve flotte à la Méditerranéen et la VIe dans l’Océan Indien. 1 Dans ce cadre, la Somalie qui a sombré dans une guerre civile avec ses 300 000 victimes, depuis l’éviction du dictateur Mohamed Siad Barre en 1991, reste un pays sans gouvernement depuis plus de 17 ans. Dans la donne de l'après-11 septembre, la Somalie, devenue un refuge pour les groupes islamiques de diverses obédiences est devenue une cible pour Washington. Car l’organisation de Ben Laden aurait toujours des ramifications bien implantées dans certaines régions sous contrôles des chefs de guerre locaux, en particulier près du cap Kaambooni, à la frontière avec le Kenya. Les membres d’Al-Qaïda auraient assuré l’entraînement des combattants de certains clans Somaliens qui ont combattu les forces américaines en 1993, lors de l’expédition Restor Hope (Smith, 1993)2. Après les combats meurtriers entre le général Aïdid et Ali Mahdi, dans la capitale Mogadiscio, c’est au tour de Kismayo de tomber, le 15 mai 1992 aux mains des combattants du général Aïdid, alliés à ceux du colonel Jees. Ensuite c’est le tour de Baïdoa, Hargeisa, Bardéra, Huddur, Merca, d’entrer dans cette guerre intestine des clans rivaux. Ainsi, c’est tout le pays qui est détruit, et où la loi des plus forts prime (Campagne, 1993). En effet, dans ce contexte trouble de nombreux groupes islamistes ont émergé un peu partout dans le pays. Cette tendance a conduit à la création de tribunaux islamiques qui appliquent la Sharia dans un pays sans loi. Beaucoup de ces tribunaux se sont regroupées pour former l’Union des tribunaux islamiques (UTI). Cette organisation qui compte quelques milliers de combattants « rivalise » avec gouvernement de transition » issu de la conférence d'Arta 3, à la suite d’une longue négociation entre les différentes factions somaliennes, et qui a abouti à l’élection d’Abdullahi Yusuf comme Président par intérim et Ali Mohamed Gedi, Premier ministre (Prunier, 2000). Compte tenu de l’insécurité ambiante dans la capitale, ce 2 En octobre 1993, une mission de routine des Rangers et du commando Delta, des forces spéciales américaines chargées de capturer des chefs de guerre dans un quartier de Mogadiscio dans le cadre de l’intervention Restor Hope, avait tourné au désastre : deux hélicoptères lourds avaient été abattus, et dix-sept soldats avaient été tués, le corps de l'un d'eux avant été traîné dans les rues derrière un « technical » véhicule de miliciens. Cet épisode a fait l'objet du « film La Chute du faucon noir ». 3 Cette conférence s’est tenue sous le patronage du président djiboutien en 2000, en l'absence des principaux seigneurs de guerre de Mogadiscio et de représentants du Somaliland. 2 gouvernement constitué par d’anciens seigneurs de guerre a été installé à Baïdoa, et une partie à Nairobi, au Kenya. Mais miné par des querelles intestines, en aout 2006, Gedi était obligé de présenter un cabinet réduit. Ce qui maintien un climat de suspicion et de tension permanente dans le pays. En effet, l’espoir de voir la stabilité revenir dans ce pays est bien mince, surtout après 14 tentatives d’instauration d’un gouvernement normal, depuis 1992. Outre la guerre civile, le pays est durement frappé, ces dernières années, par la famine et la sécheresse. Ainsi, craignant une contagion de l’islamisme fondamentale dans toute la Corne de l’Afrique, l’armée éthiopienne, avec le soutien des États-Unis, vient à la rescousse du gouvernement somalien, par intérim, en difficulté face aux milices islamistes, qui avaient pris le contrôle de Mogadiscio, en juin 2006, contraignant le gouvernement somalien, à signer un accord de paix temporaire, le 5 septembre 20064. Dès le 12 décembre 2006, les premiers affrontements directs éclatent entre les islamistes et les troupes éthiopiennes. Depuis, avec un contingent de plus de 7000 hommes, l’armée éthiopienne tente de rétablir l’ordre et la paix dans ce pays déchiré par plusieurs années de guerre civile5. Dans ce prolongement, en mars 2007, l’Union africaine décide d’envoyé une force d’interposition de 3000 hommes en Somalie6. Une coalition internationale contre le terrorisme La situation dans toute la Corne de l'Afrique, depuis les attentats du 7 août 1998 contre les ambassades américaines à Dar es Sam en Tanzanie et Nairobi au Kenya, mais surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, est devenue une préoccupation majeur pour Washington dans sa « guerre mondiale contre le terrorisme ». En outre, les Américains ont le souvenir de l'attentat meurtrier, en 2000, contre un des bâtiments de l'US Navy, le destroyer USS-Cole, dans la rade d'Aden, en face de Djibouti au cours duquel, dix-sept militaires ont été tués. C’est aussi dans ce golfe, le 6 octobre 2002, que le pétrolier français, le Limburg, a été attaqué. Cette situation a ravivé la hantise d'un djihad maritime, de nature à menacer les approvisionnements occidentaux en pétrole (Leymarie, 2003)7. Ainsi, Djibouti, du fait de sa position géographique a pris, depuis, une importance stratégique déterminante. Dans ce pays, Washington a trouvé un utile point d'appui avec des capacités d'entraînement, un port et un aéroport modernes. L'US Army a pu s'exercer en terrain libre à des « mini-guerres » en prélude à l'offensive en Irak de mars 2003 (Leymarie, 2003). En effet, le Yémen et la Somalie sont considérés, par les Américains, comme des bases de repli potentielles pour les membres du réseau Al-Qaïda et affiliés. Dans ce contexte que, Djibouti, aux approches de la mer Rouge et du golfe Arabo-persique, au voisinage d'un Soudan à peine sorti de sa dérive islamiste (Soudan, 2002), d'une Éthiopie et d’une Érythrée querelleuses8 et d'une Somalie toujours anarchique, a accueilli en octobre 2002, la coalition international de lutte contre le terrorisme : la Combined Joint Task ForceHorn of Africa (CJTF-150-HOA) avec comme nom de code « Enduring Freedom », (Liberté immuable)9. C’est à la suite de la visite, le 26 juillet 2002, du général Tommy Frank, commandant en chef des forces américaines du CENTCOM, au Président Omar Guelleh, que deux mois plus tard, 900 GI’s appartenant au bataillon du QG de la IIe division de marine, basée à camp Lejeune en Caroline du Nord, débarquent à Djibouti (Ouzani, 2003). Aujourd’hui, ce pays accueille un contingent de 1 800 militaires américaines stationnés au camp Lemonnier, occupé à l'origine par la Légion étrangère française, autour de navires amphibies croissant au large dans le 4 Al-Ittihaad al-islamiya est la plus connue des organisations islamistes somaliennes armées. Formée au début des années 1990, elle est liée depuis 1993 au réseau Al-Qaïda. En 1997, les troupes éthiopiennes avaient envahi le territoire somalien pour détruire plusieurs de ses bases. 5 Pourtant c’est récemment que l’Éthiopie a admis la présence de ses troupes en Somalie. 6 Composée essentiellement de forces Burundaises et Ougandaises. 7 Depuis l'attentat contre le pétrolier français Limburg, les primes d'assurance des navires transitant par le Yémen ont été multipliées par cinq. 8 Les hostilités entre l’Éthiopie et l’Érythrée sont nées d’un différend frontalier après l’indépendante de cette dernière, le 24 mai 1993. 9 Ce dispositif aéronaval vise à empêcher toute infiltration d'éléments du réseau Al-Qaïda fuyant les combats en Afghanistan de s’exfiltrer vers les pays de la Corne de l’Afrique par al surveillance des espaces aérien, maritime et terrestre de six pays de la Corne de l’Afrique (Érythrée, Éthiopie, Soudan, Djibouti, Kenya, et Somalie) et un pays du Moyen-Orient, le Yémen. 3 golfe d’Aden. Outre les forces américaines, cette coalition est constituée d’éléments britanniques, espagnols, canadiens, français et allemands. Elle patrouille dans le golfe d'Aden et le long des côtes somaliennes et yéménites (Carte 2). Ce dispositif a pour mission, d’intervenir, en cas de besoin, pour éliminer toute menace terroriste contre les intérêts des États-Unis et de ses alliés. C’est ainsi qu’un missile tiré depuis Djibouti par un drone, Predator de la Central Intelligence Agency (CIA), a permis d'éliminer, le 4 novembre 2002, six membres du réseau AlQaïda, dont un de ses chefs, Simane el-Harithi, dans la province de Marib, au Yémen, de l'autre côté du détroit (Leymarie, 2003). La seconde opération, un mois plus tard, a été l’arraisonnement, par une frégate espagnole, d’un navire nordcoréen transportant des missiles Scud de moyenne portée au Yémen. Ce dernier, allié stratégique des États-Unis dans cette guerre contre le terrorisme, a fini par récupérer sa cargaison encombrante. Dans le prolongement de ce Task-force, les États-Unis ont mis en place en juin 2003, une initiative anti-terroriste pour l’Afrique de l’Est (IAEA) dont le but est de juguler la menace terroriste dans la région pour un coût total de 100 millions $ US au titre de laquelle, les États-Unis apportent leur coopération aux pays de la Corne de l’Afrique en matière de sécurité (Diop, 2004). Ce programme d’assistance consiste à lutter contre le terrorisme dans plusieurs domaines prioritaires : la sécurité des côtes et des frontières, la formation d'agents de police, d'immigration et de douanes, la sécurité portuaire et aéroportuaire, la création d'une banque de données sur les terroristes, le démantèlement des réseaux financiers des terroristes et la sensibilisation de la population au travers de programmes d'enseignement, d'assistance et d'information mis en place par l’USAID. Les attentats de Mombasa 4 en novembre 2002, sont venus renforcer ce dialogue entre les États-Unis et les pays situés aux abords d’une Somalie, plongée dans le chaos. En effet, Washington considère toujours, la Somalie comme une des bases opérationnelles de groupes islamistes radicaux. C’est ainsi que, le lundi 3 mars 2008, l’aviation américaine a effectué un raid sur la ville de Dobley, dans le sud de la Somalie, à 720 km au sud de Mogadiscio, près de la frontière kenyane. Cette opération dont la cible était un grand chef islamique, Hassan Turki, a fait six victimes civiles, et blessée une dizaine d’autres. LA PIRATERIE : UN MAL QUI GANGRENE LA CORNE La Corne de l’Afrique minée par des actes de piraterie Le littoral de la Corne de l'Afrique est considéré comme l'un des plus dangereux couloirs maritimes du monde à cause de la piraterie. Ainsi, la Somalie en décomposition avancée est devenue un nid de pirates, qui font trembler les marins et les compagnies d’assurance du monde entière compte tenu de sa position dans le golfe d’Aden. En effet, les groupes islamiques et les clans somaliens combattants ont abandonné la pêche, autrefois principale activité, pour se lancer dans cette activité « lucratif » déstabilisant le trafic maritime dans toute la Corne de l’Afrique, aussi bien pour les petits pêcheurs que les gros armateurs qui préfèrent rester discrets pour ne par voir leurs primes d’assurances augmenter ou effrayer leurs actionnaires (Brisard, 2006). Cette zone stratégique qui ouvre la voie vers le Canal de Suez est devenue, en espace de quelques années, un véritable repère de pirates redoutables. Sur plan global, en 2005, on a recensé officiellement 205 actes de piraterie et de brigandage, contre moins de 90 en 1994, sur tous les océans du monde. Mais ces chiffres sont loin de refléter la réalité, car on estime que plus de 30 % des attaques ne sont jamais déclarées. Les pirates des mers du XXIe siècle constituent un fléau difficile à enrayer dans différentes régions du monde. Le Bureau maritime international (BIM), basé à Kuala Lumpur en Malaisie, évalue à plus de 4 000 actes de piraterie ont été perpétrés ces 20 dernières années contre des navires marchands, le plus souvent des cargos. Organisés en bandes et puissamment armés, dotés de matériel sophistiqué, ils sévissent essentiellement sur les autoroutes maritimes du commerce planétaire à travers lesquelles circulent 97 % des marchandises et 60 % des produits pétroliers. Les points les plus dangereux se situent essentiellement dans les régions d'Asie du Sud et du Sud-Est (la mer de Chine méridionale, les côtes indiennes et le détroit de Malacca, entre la Malaisie et l'île indonésienne de Sumatra, à la sortie de Singapour, vers l'Orient), le long des côtes de l'Amérique du Sud, des Caraïbes, dans le golfe d'Aden et la mer Rouge et niveau du golfe de Guinée autour du Nigeria (Kane et Martin, 2005). En effet, il n'y a pas que les côtes somaliennes qui sont dangereuses (Carte 3). Mais si jusqu’en 2004, les zones les plus touchées par ce phénomène se trouvaient en Asie du sud-est, au large de l’Indonésie et de Sumatra, rompus au métier des armes par plus d’une décennie de guerre civile, et prêts à tout, les pirates Somaliens ont très vite battu tous les records : attaques en mer (12), prises d’otages (241) d’utilisation d’armes de guerre : kalachnikovs et lance-roquettes (29) (Brisard, 2006). Dans la Corne de l’Afrique, la zone la plus exposée aux activités de piraterie, est située au large de la ville de Bossasso, au nord de la Somalie. Selon un rapport du BMI, six attaques ou tentatives d’attaque sur dix y avaient lieu dans ces eaux, malgré la présence de bâtiments de la coalition internationale dans la zone. Les actes de piraterie au large des côtes somaliennes ont plus que doublé en 2008 par rapport à 2007. Selon BMI, au moins 55 bateaux ont été attaqués dans le golfe d'Aden et l'océan Indien depuis janvier 2008 par des pirates somaliens, dont les 24 au cours du premier semestre. 5 Depuis le procès de dix pirates Somaliens à Mombasa 10, les pirates se montrent de plus en plus agressifs et de plus en plus audacieux, n’hésitant plus à tuer leurs prisonniers. C’est ainsi que les 3700 kilomètres de côtes somaliennes sont devenus infréquentables. À partir de vaisseaux détournés servant de « bateau-mère », ils lancent désormais des attaques à plusieurs kilomètres des côtes. Ainsi, selon le BMI, en deçà de 200 milles (370 km) de la côte, il y a danger. Par exemple, le 18 mars 2006, les pirates somaliens n’ont pas hésité à ouvrir le feu sur deux bâtiments de l’US Navy, un croiseur et un destroyer, pourtant armés de 226 missiles et 39 canons de tous calibres. En riposte la marine américaine avait tué un pirate et arrêté douze autres (Brisard, 2006). En outre, ils auraient des complices dans plusieurs ports d’Afrique de l’Est qui les informer des mouvements des navires et des dates où ils transiteront dans les eaux somaliennes. C’est comme ça qu’ils ont réussi à attaquer, le 5 novembre 2005, un luxueux paquebot de croisière, le Seabourn Spirit avec ses 151 passagers, essentiellement des Américains, alors qu’il voguait à 70 milles de la côte 11. Car avec la pauvreté, tout s'achète, y compris un capitaine de port. La même année, le MV Semlow un navire affrété par le Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui venait de décharger ses 850 tonnes de riz pour les victimes somaliennes du tsunami de décembre 2004, a été retenu en otage avec ses dix membres d’équipage pendant 99 jours (du 26 juin au 2 octobre 2005). Deux autres navires du PAM ont été arraisonnés la même année. Ce qui obligea les convois du PAM à passer par la route avec toutes les complications que cela engendre. La multiplication des incidents en 2005, ont eu des conséquences importantes sur le Kenya voisin. Car de nombreux cargos étrangers préfèrent éviter la zone, ce qui a engendré une perte estimée à 110 millions d’euros pour les ports kenyans (Brisard, 2006). Depuis, la tendance va, en s’amplifiant. En effet, dès le 21 janvier 2006, à 85 km au large de la Somalie, les pirates mettent la main sur un boutre indien et ses 16 membres d’équipage et réclament une rançon de 50 000 $ US avant de les libérer. En fin janvier de la même année, le Courbet, une frégate française participant à la coalition, CJTF-150, avait mis en fuite, une bande de pirates qui abordait un cargo turc. Dans ce prolongement, le 13 mars 2008, le MV Rozen qui venait de décharger sa cargaison dans le port de Marca, au sud de Mogadiscio, est arraisonné par des pirates dès que le cargo a repris la haute mer. Ensuite, le 5 avril 2008, un destroyer américain et une frégate néerlandaise n’ont pu empêcher une petite dizaine de pirates somaliens de capturer un chalutier sud-coréen, le Dong-Won avec ses 25 membres d’équipage. Une rançon 400 000 $ US a été demandée au 10 « Ce groupe de guerriers somaliens qui promet de kidnapper dix marins kenyans, pour ensuite les échanger contre les dix suspects jugés à Mombasa. Coïncidence ou pas, quelques jours plus tard, dix autres présumés pirates somaliens arrêtés par la marine américaine seront libérés et rapatriés dans leur pays », (Brisard, 2006). 11 Andrew Mwangura, coordinateur du Programme d’Assistance des Marins du Kenya, cité par Brisard J-C., 2006. 6 propriétaire pour libérer le navire et son équipage. Le même mois, le Ponant, un navire français, est attaqué et la somme de 2 millions $ US est réclamée en rançon par les pirates. Le 21 août 2008, c’est le tour d’un tanker japonais, l’Irene, avec ses 13 membres d’équipage (le capitaine slovène, 10 marins philippins et deux Russes), de tomber dans les guêpiers des pirates Somaliens. Retenu dans le village de pêcheurs d'Ely (nord-est de la Somalie), seuls les seize Philippins et les trois Croates qui étaient aussi à bord du tanker ont été libérés. L'attaque du thonier français le Drennec au début du mois de septembre 2008 marque une nouvelle gradation dans l’escalade de la violence de cette flibuste des temps modernes. En effet, le même jour, un tanker de 137 mètres battant pavillon panaméen, le Golden Elizabeth, avec 13 marins philippins à bord, échappait de justesse à une embuscade. Deux jours plutôt, un autre bâtiment de pêche, le thonier espagnol Plaja Anzora, avait déjoué une attaque lancée à partir de quatre hors-bords. Le lundi 15 septembre, c’est le tour un chimiquier de Hong-Kong avec 22 hommes d’équipage, d’être intercepté au large des côtes somaliennes par un commando lourdement armé de Kalachnikov et de lance-roquettes RPG-7. Dans la même période, le Great Creation, un autre cargo immatriculé à Hong-Kong avec ses 25 hommes d'équipage, 24 Chinois et le commandant de nationalité sri-lankaise, est capturé, deux jours après un cargo grec avec 25 marins philippins. Le 27 septembre, un navire japonais, le MV Stella Maris retenu avec ses 21 membres d'équipage retenu pendant trois mois, ainsi qu’un pétrolier malaysien, le MT Bunga Melati Dua, de la société malaysienne International Shipping Corporation, depuis août, sont relâchés avec leurs équipages, après paiement d'une rançon de deux millions $ US pour chaque navire. Le lendemain, 28 septembre, c’est le tour d’un navire égyptien, le MV Al-Monsourah, en otage pendant trois semaines avec ses 25 membres d'équipage, de recouvrer la liberté après paiement d’une rançon de 1,2 million $ US. Mais c’est l’arraisonnement, le jeudi 26 septembre 2008, d’un navire Ukrainien, le MV Faïna battant pavillon du Belize, au large des côtes somaliennes, avec son équipage (trois marins russes, dix-sept ukrainiens et un letton), qui déclencha un véritable émoi et fait monter la tension d’un cran12. Ce navire qui se dirigeait vers le port de Mombasa au Kenya, transportait des armes, 33 de chars de conception soviétique, T-72, 150 lance-roquettes, des batteries anti-aériennes, environ 14 000 munitions et des blindés de transport de troupes. Or, personne ne souhaite voir ces armes tomber dans les mains des milices combattantes somaliennes. Car les ports de Hobyo et Harardhere, près d’où est ancré le cargo, à 500 km au nord de Mogadiscio, sont contrôlés par des factions armées dont certaines sont liées aux milices islamistes. Compte tenu de ce chargement particulier, les pirates réclament une rançon de 20 millions $ US (13,6 millions d'euros) en échange du navire, soit environ dix fois le montant habituellement réclamé. Dans un premier temps, le Soudan était désigné comme destination de cette cargaison avant un démenti de Nairobi et une mise au point des autorités ukrainiennes 13. Ainsi, six navires de guerre américains appartenant à la Ve flotte, dont l'USS Howard, ont établi un périmètre de surveillance « activement » à vue, autour du bateau, pour éviter tout débarquement de la cargaison. Cet incident intervient moins d'une semaine après l'opération commando français ayant permis la libération d’un voilier. Ainsi, depuis le début de l’année 2008, les pirates opérant au large des côtes somaliennes ont amassé près de 30 millions $ US (21,5 millions d’euros), selon Roger Middleton du Centre de recherche Chatham House, basé à Londres (CRCH). Cette somme est constituée par les rançons payées en échange de la libération des navires et de leurs équipages. Une partie de cette somme colossale est recyclée pour le financement de la guerre qui oppose le gouvernement intérimaire et les insurgés islamistes. Le Risk Intelligence, une société danoise spécialisée dans la sécurité maritime, évoluait en fin septembre, 374 le nombre de personnes détenues par les pirates, contre 292 pour l’ensemble de l’année 2007. Cette vague sans précédent d’actes de piratage a motivé le déploiement d'une force navale multinationale pour lutter contre le phénomène au large des côtes somaliennes, 12 Un membre de l’équipage serait décédé à bord d'une crise d'hypertension. Dans un moment le Soudan était désigné come destination de cette cargaison. De nombreux acheteurs potentiels existent au Soudan: l'armée soudanaise, les forces de défense sudistes des anciens rebelles du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) et une multitude de groupes rebelles actifs dans la province du Darfour (ouest) en guerre civile. 13 7 qui a fini par perturber le trafic maritime international dans le golfe d'Aden, voie d'entrée dans le canal de Suez, où transitent chaque année, 20 000 navires (Kane et Martin, 2005). Une coalition international contre la piraterie dans la Corne de l’Afrique Le droit maritime international est strict et précis. La piraterie ne concerne que les attaques en haute mer ou dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État. En eaux territoriales, on ne peut alors, parle que de brigandage. De plus, il est interdit de pénétrer dans les eaux nationales (jusqu’à 12 milles nautiques, soit 22,224 km) d’un État sans son autorisation, même pour porter secours à un navire en détresse (Terroir et al, 2005). Ainsi, pour disposer de la capacité de poursuivre les pirates somaliens, dans les eaux territoriales somaliennes, il faudrait recevoir le feu vert de l’État somalien. Or, la Somalie n’a plus d’État central depuis 1991. Dans sa décomposition, la région du Somaliland au nord s’est autoproclamée indépendante en 1997, puis c’est le tour du Puntland, à l’est sur la Corne, de faire de même en 1998 (Carte 1), alors que le reste du pays plongeait dans l’anarchie. En quelques années, le golfe d'Aden et le détroit du Bab al Mandeb, la « porte des pleurs », sont devenus le calvaire des tankers, des vraquiers et autres plaisanciers, mais aussi des pêcheurs yéménites, fréquemment dépouillés par des bandes armées somaliennes et érythréennes (Brisard, 2006). A l’entrée de la mer rouge vers le canal de Suez, la Somalie occupe une sa position stratégique pour le trafic maritime dans la Corne de l’Afrique. Éviter cette région revient à faire un long détour autour au sud du continent africain. Ce qui signifie perte de temps, donc d’argent. Ainsi, certains armateurs préfèrent prendre le risque de rencontrer des pirates en passant par la zone. D’autres viennent pêcher dans ces eaux particulièrement riches en poissons. C’est le cas des Sud-Coréens, des Chinois, des Japonais, mais aussi des Français et des Espagnols14. Ces gros chalutiers ramassent, en toute illégalité, des tonnes de thon, de requins et autres gros pélagiques, avec souvent la complicité de sociétés « bidons » contrôlées par des Somaliens basés en Malaisie ou en Thaïlande (Brisard, 2006). En effet, ces dernières vendent des licences de pêche pour deux mois à 9000 $ US. Avec une Somalie qui n’a plus d’État, donc plus de marine militaire, n’importe qui peut venir pêcher dans ses eaux. Ainsi, en une nuit les chalutiers peuvent débarquer dans leurs cales ce que les pêcheurs locaux attrapent en un an. C’est pour lutter contre ce pillage « des vrais pirates qui transportent des armes dans les eaux de Somalie et qui méritent d'être mis à l'amende » 15, qu’une partie des jeunes somaliens ont décidé d’agir en pratiquant cette activité. Les pirates le plus souvent drogués au khat et équipés de kalachnikovs et de lances raquettes RPG-7, surgissent de nulle part, en pleine nuit ou au petit matin, sur des embarcations rapides souvent maquillées en bateaux de pêche ou de transport, et attaquent par surprise. Ils camouflent leurs puissants hors-bords, dotés de moteurs de 200 CV avec une coque rigide, sous des bâches dans des boutres ou dans des « bateaux-mère », et errent dans les eaux internationales du golfe d'Aden à la recherche de victimes. Désormais équipés de radios, de radars, de GPS et parfois même de l’AIS (Automatic Indentification System) qui permet d’identifier à distance les navires, mais aussi leur positionnement, leur vitesse, la route et la destination, ils peuvent se replier rapidement dans un port somalien en cas de difficultés. En effet, de mieux en mieux équipés, les pirates somaliens n’hésitent plus à attaquer à des centaines de kilomètres de leurs bases, navires de plaisance comme chalutiers, comme ce fut la cas de la tentative d'abordage, début septembre, du un thonier français Le Drennec, près des Seychelles, à 750 kilomètres des côtes somaliennes (Waber et Guisnel, 2008). Ainsi, la piraterie locale, artisanale, est devenue au large des côtes somaliennes, une véritable industrie de la raquette. Les pirates se partagent la zone en trois secteurs : le golfe d'Aden, le large du petit port d'Eyl, près de la pointe de la Corne de l'Afrique, refuge des forbans, et l'océan Indien. Comme solution à cette situation lancinante, si certains navires de croisière, russes et israéliens, n'hésitent plus à embarquer des armes, d’autres préférèrent l’escorte par des bâtiments de guerre jusqu’à la sortie du golfe d'Aden. Pour 14 En effet, cette zone fréquentée par une vingtaine de thoniers français et une trentaine d'espagnols. Hazan Mzee, un vieux pêcheur Somalien, cité par Jean-Christophe Brisard, 2006. 15 8 l’instant, le BMI recommandation aux bateaux d’éviter de croiser les navires comme « Burum Ocean » et « Athena », des bateaux de pêche fabriqués en Russie, capturés en haute mer, et qui servent souvent de « bateaux mères » aux pirates (Brisard, 2006). Ils utilisent aussi des dhows, des bateaux à voile, largement utilisés dans la mer d’Arabie, le golfe Persique et en mer Rouge. Par ailleurs, des sociétés privées de sécurité comme « Secure-Marine », proposent une sorte de barrière électrifiée qui se place tout autour des navires et dissuaderait des pirates qui voudront s'approcher, par un choc non mortel de 9 000 volts. Par ailleurs, avec la multiplication des attaques16, après le raid spectaculaire contre les preneurs d'otages en avril, du Ponant, un voilier de croisière17, l'armée française à lancer une seconde opération commando en cinq mois, pour libérer un couple de français18 retenu en otage pendant deux semaines sur leur voilier de 16 mètres, le Carré d'As, immatriculé au Venezuela, et arraisonné le 2 septembre dans le golfe d'Aden. Cette opération, d’une dizaine de minutes, a été lancée dans la nuit du 15 au 16 septembre par le commando « Hubert » d’une trentaine de marins déployés sur la frégate Courbet, sous la supervision du Commandement des opérations spéciales (COS). En Zodiac, avec l'assistance de l'armée allemande, qui a mis à disposition un PC volant, un avion équipé de radar et de caméras à infrarouges, qui permis, notamment d'assurer les liaisons radio, et de la Malaisie, le commando a capturé six pirates et tué un autre19. Au même moment, un ressortissant français trouvait la mort dans l'attaque de son voilier, une marina, près de Caracas, au Venezuela, le 16 septembre 2008. Cette attaque, ainsi que celles en Somalie et au large des Seychelles, illustre bien l'ampleur du phénomène. C’est ainsi que les autorités françaises ont appelé à une mobilisation internationale pour lutter pour contrer ce qui est devenu une véritable industrie du crime, par la mise en place d’une « police des mers » sous mandat de l'ONU» 20. Déjà, lors du XXIIIe Sommet Afrique-France, du 2 décembre 2005 à Bamako, le Président Chirac s’était engagé à soutenir la traque des pirates dans la région. En effet, sans une aide extérieure, le gouvernement somalien par intérim est impuissant face à ce phénomène. Confronté à une insurrection sanglante, il a été jusqu'ici, incapable de maîtriser les pirates. En fin septembre, plus d’une dizaine de navires et une cinquantaine d'otages de toutes nationalités, étaient encore entre les mains des pirates. Mais si jusque là, un détail de taille bloquait : obtenir officiellement le droit de poursuite jusque dans les eaux territoriales somaliennes pour combattre ce fléau, désormais, depuis le 2 juin 2008, c’est chose faite. En effet, la France et les États-Unis ont obtenu ce droit de poursuite à travers la résolution 1816 du Conseil de sécurité de l'ONU. Ainsi, la chasse aux pirates s'organise au large de la Somalie. Des navires d’une coalition multinationale sont déjà opérationnels depuis le 26 août sur une partie du golfe d'Aden21. Dans cette perspective, l'Union européenne songe aussi, à mener une opération militaire au large des côtes somaliennes pour venir à bout de la piraterie qui menace la navigation commerciale dans le golfe d'Aden, avec une flotte constituée de trois frégates, d'un navire de ravitaillement et de trois navires de surveillance. Ces vaisseaux iraient rejoindre les bâtiments de guerre américains déjà déployés dans le secteur22. Le quartier général devant coordonner cette opération navale dénommée « EuNav » - Aden, est à l’étude23. Plusieurs pays, notamment, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne, ont déjà donné leur aval pour participer cette flotte en collaboration avec l’OTAN. Dans ce prolongement, le Conseil de sécurité a adopté, le 7 octobre, une résolution appelant les États à lutter contre la piraterie au large 16 Depuis le début de l'année 2008, les attaques sont légion, à tel point que même le « rail », point de passage des pétroliers et autres grands navires marchands dans le golfe d’Aden, n'était plus à l'abri, malgré la présence des forces de la coalition anti-terrorisme, le CJTF-150. 17 A cette occasion, les militaires français avaient poursuivi les pirates dans leur fuite jusqu'en territoire somalien. 18 Un couple de Français, Jean-Yves et Bernadette Delanne, originaires de Polynésie. 19 Cette opération, selon le Président Nicolas Sarkozy, est un avertissement pour tous ceux qui se livrent à cette activité criminelle. 20 Le sujet aurait été évoqué à New York, lors de l'Assemblée générale de l'ONU en fin septembre 2008. 21 Le Commodore Bob Davidson de la marine canadienne, qui commande actuellement la CJTF-150, supervise aussi les forces navales multinationales qui patrouillent dans la zone. 22 En aout 2008 l’US Naval Central Command avait ordonné la mise en place d’une Maritime Security Patrol Area (MSPA) dans le golfe d’Aden. 23 Sept quartiers généraux d'opération militaire (OHQ) sont à l’étude, notamment : Northwood (Royaume-Uni), Potsdam, Berlin (Allemagne) ; Rome (Italie), Larissa (Grèce), Mont-Valérien (France) <http://bruxelles2.overblog.com/>, Consulté le 06 octobre 2008. 9 de la Somalie. Ce texte, proposé la France, fournit ainsi la couverture juridique, aux États qui souhaiteraient créer une force aéronavale contre la piraterie. Cette nouvelle résolution va un peu plus loin que le texte voté en juin, autorisant la création d’une force navale internationale pour escorter les navires au large de la Somalie. Par ailleurs, les autorités yéménites ont décidé de mobiliser 1000 soldats et déployer 16 vaisseaux militaires sur leurs côtes. En outre, elles ont prévu de créer trois centres régionaux de lutte contre la piraterie à Hodeida, Aden et Mukkala. Pour combattre le phénomène dans un cadre régionale, le Yémen fait appel également, aux pays riverains du golfe d’Aden, pour la mise en place d'un centre régional d'échange d'informations. ADEN : LE GOLFE DE LA MORT L’émigration clandestine des Somaliens vers le Yémen Alors que l’Europe, préoccupée par les flux de l’immigration africaine, à travers la Méditerranée (vers les îles Canaries-espagnole et Lampedusa-italienne), la communauté internationale reste insensible à la tragédie qui se déroule dans le golfe d'Aden, qui sépare la Somalie du Yémen, où chaque année, des centaines de Somaliens trouvent la mort (Carte 1). La lutte contre le terrorisme et la piraterie a fait éclipser cet autre drame, qui frappe ce pays de plein fouet sans qu’il y ait d’échos. Les candidats à l'immigration clandestine cherchent à fuir l'insécurité, la pauvreté et le chômage dans un pays dévasté par plusieurs années de guerre civile. Selon les estimations faites par le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), 21 201 Somaliens et 9 854 Éthiopiens, soit au moins 31 192 personnes, ont traversé le golfe d'Aden, dans des conditions périlleuses depuis le début de l'année 2008. Au moins 228, sont morts et 262 portés disparus. En 2006, ils étaient 23 000 à s’embarquer sur les côtes somaliennes pour le Yémen, dont 360 ont trouvé la mort et 150 portés disparus, contre 30 000, en 2007, selon le HCR et Médecins sans frontières (MSF)24. En 2007, entre le 1er et le 28 septembre, 50 bateaux de clandestins, près de deux par jour, sont arrivés sur les côtes yéménites depuis la Somalie transportant 4 741 personnes, soit une augmentation de 70 % par rapport à l'année précédente, lorsque 30 bateaux étaient arrivés transportant 2 961 personnes pendant tout le mois de septembre 2006. L’automne, est particulièrement favorable pour la traversée, avec la fin de la saison des tempêtes, qui dure de mai en août. Ainsi, avec l'intensification du conflit somalien, la sécheresse et la famine, qui touchent presque toute la Corne de l'Afrique, le nombre de personnes arrivant au Yémen est en constante augmentation. Le Yémen, qui compte près de 19 millions d’habitants, accueille ainsi près de 88 000 réfugiés sur son sol, dont 84 000 Somaliens, alors que seulement 9 000 Somaliens y sont officiellement immatriculés comme réfugiés. Avec ses 2 400 kilomètres de côtes, le Yémen a du mal à faire face à cette déferlante. Les clandestins une fois sur le sol yéménite tente d’organiser une existence proche de la misère, vivant de menus services dans les grandes villes du pays comme Aden, Taez ou Sanaa. Alors que sur les côtes somaliennes, les migrants Éthiopiens avec des Somaliens déplacés, candidats au départ, s’entassent durant des mois, notamment dans la ville de Bossasso, dans le Puntland, en attendant de réunir les 50 à 70 $ US nécessaires à la traversée25. Selon les autorités, cette ville portuaire accueille plus de 22 000 déplacés Somaliens et plus de 5 000 migrants, essentiellement des Éthiopiens. En octobre 2006, 1 300 Éthiopiens avaient été renvoyés de force, vers leur pays, toutefois sans changer la situation (Aït-Hatrit, 2006). De même, les autorités ont tenté de prendre des mesures contre les passeurs, mais avec des moyens limités les résultats ont été insignifiants 26. C’est dans ce contexte que Djibouti, plus au nord, est devenu un autre point d’embarquement pour le Yémen. La traversée du golfe d’Aden : un voyage périlleux 24 Rapport « No choice » rendus publics à la veille de la Journée internationale des réfugiés 2008. En fait le tarif varie selon que l’on voyage en petits bateaux rapides, pour qui la somme varie entre 130 et 150 $ US et les bateaux plus grands et surchargés, pour 50 à 70 $ US. 26 Le 25 septembre 2006, le président du Puntland avait signé un décret interdisant le trafic d’êtres humains. 25 10 Depuis le début de 2007, environ 50 000 Somaliens et Éthiopiens ont traversé le golfe d'Aden. Selon MSF, un réfugié sur vingt trouve la mort pendant la traversée constitués aux deux tiers de Somaliens et au tiers d'Éthiopiens (Waber et Guisnel, 2008)27. Au cours de la traversée, qui peut durer de 12 à 48 heures, selon le type d’embarcation, les migrants doivent affronter de nombreux dangers. En effet, les passeurs n'hésitent pas à battre les voyageurs, parmi lesquels se trouvent des femmes et des enfants, qu'ils entassent dans des petites embarcations où ils sont privés d'eau et de nourriture, et même d'air pour ceux qui se trouvent à fond de cale. Il arrive aussi, bien que chacun ait versé entre 70 et 200 $ US, qu’ils soient abandonnés à la dérive sans nourriture ni eau ou jetés par-dessus bord pendant la traversée28. Un autre danger guette ceux qui parviennent jusqu’aux côtes yéménites. Pour éviter les patrouilles, certains se jettent en eau profonde, ce qui se traduit par de nombreuses noyades. Il arrive souvent aussi, que les forces de sécurité yéménites ouvert le feu sur les immigrants une fois arrivés sur les côtes, comme ce fut le cas en décembre 2006, près de la ville de Belhaf. Ainsi, en juin, la marine américaine a secouru au large du Yémen une embarcation à la dérive avec à bord 70 immigrants venant de Somalie. Auparavant, en avril, 22 immigrants sont morts noyés au large des côtes du Yémen. Le 10 septembre, ce sont au moins 26 personnes qui ont trouvé la mort, sur les 120 qui s’étaient entassés dans une embarcation de fortune. Le même scénario s’est produit en miseptembree, lorsque 52 Somaliens ont trouvé la mort alors qu'ils tentaient de traverser le golfe. Après avoir dérivés pendant 18 jours, selon le HCR, quarante huit d'entre eux, sont morts sur le bateau, un a disparu en tentant de rejoindre, à la nage, les côtes du Yémen, pour appeler à l'aide, alors que quatre autres sont décédés à l'hôpital où ils avaient été admis avec six autres survivants après leur sauvetage. Ces passagers avaient un âge compris entre 2 et 40 ans. Une autre de l'embarcation avec 71 passagers à bord, dont le moteur est tombé en panne a dérivé pendant 18 jours avec ses occupants sans nourriture ni eau. Cette embarcation qui avait quitté le 3 septembre les côtés somaliennes n’est arrivée sur que le 21 septembre, sauvée par des gardes-côtes yéménites. Selon le HCR, plus de 1 400 clandestins ont péri en 2007, en tentant de traverser le golfe d'Aden, contre 28 300 qui ont pu arriver à bon port sur les côtes yéménites. Ainsi, dans le golfe d'Aden, la tragédie continue dans l’indifférence totale. CONCLUSION Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la Corne de l’Afrique est devenue une préoccupation majeure pour Washington et ses alliés dans la « guerre mondiale contre le terrorisme ». C’est ainsi que, pour faire face à la situation, ils mettent en place un dispositif aéronaval dont la mission est de surveiller les espaces aériens, maritimes et terrestres des pays de la région, notamment la Somalie, pays entré en décrépitude avancée par plusieurs années de guerres civiles, ce qui favorisa l’installation de mouvements islamistes radicaux qui ne visent qu’à l’instauration d’un pouvoir régit par la loi islamique, la Sharia. Dans ce contexte anarchique, malgré l’espoir né avec la mise en place d’un gouvernement fédéral intérimaire, au début des années 2000, la piraterie est venue se superposer au chapelet de maux qui gangrènent le pays. Par ailleurs, si l’on savait la piraterie et la contrebande présentent dans la région, mais désormais, hyper-armés, entraînés et aguerrie aux méthodes de l'abordage en pleine mer, en espace de quelques années, les pirates ont transformé les eaux somaliennes, en une zone de non-droit. Le problème, c’est que ce phénomène a ses connexions avec les réseaux islamistes et les clans combattants. En effet, les centaines de milliers de $ US rançonnés par les pirates serviraient à l’achat d’armes, plaçant le pays dans un cercle vicieux qui ne pourra être brisé qu'à la seule condition de trouver une solution à la question somalienne dans son ensemble. En effet, selon Ahmadou Ould-Abdallah représentant spécial de l'ONU pour la Somalie, la résolution des problèmes de la Somalie permettra d'éradiquer la piraterie, car « le problème est global ». Alors que de nombreux Somaliens, fuyant 27 Le Devoir, vendredi - 20 juin 2008. Daniel Grand Clément a filmé un ces voyages hors du commun, des côtes de Somalie aux plages du Yémen, sur une barque de dix mètres, surchargée de 128 immigrants clandestins, entassés, épuisés, malades, fouettés par des passeurs sans pitié qui n`hésitent pas à jeter des hommes à la mer. Ce film « Les martyrs du golfe d’Aden » a été lauréat du Grand Prix du Figra 2008. 28 11 l'insécurité et la pauvreté, tentent de regagner les côtes yéménites dans l’espoir d’échapper au guêpier somalien et d’une vie meilleure, mais trouvent la mort, chaque année, dans une traversée périlleuse. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES AIT-HATRIT S. A., 2006 ; « Somalie-Yémen : l’autre rive de l’immigration africaine », vendredi 15 décembre 2006, <http://www.afrik.com/article10873.html>, Consulté le 06 octobre 2008. BRISARD J-C., 2006 ; « Le grand retour des pirates », Paris, in Revue Navires et Histoire n°36, juin-juillet, National Geographic. CAMPAGNE J-C., 1993 ; Dépêches de Somalie, Paris, Seuil, 81 p. 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