Le Front national démasqué par l`histoire

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Le Front national démasqué par l`histoire
Le Front national
démasqué par l’histoire
L’extrême droite, en France,
trouve ses fondements
vers la fin du XVIIIe siècle.
Jusqu’à la 1re guerre mondiale,
le concept droite/gauche
n’a pas de sens :
il y a des courants républicains,
anarchistes, socialistes,
royalistes…
Il prend sa signification
par la place qu’occupent
les députés à l’Assemblée
Constituante.
Le terme «extrémisme»
apparu en France en 1917
désignait les «Bolchéviques»
(extrême gauche).
C’est en réaction qu’est utilisé
celui d’extrême-droite.
Le terme «fascisme» vient
des faisceaux Mussolini
et «nazisme» de la montée
de l’hitlérisme.
Après l’écrasement de la «Commune»
s’ouvre une nouvelle période : la 3e République est proclamée en 1875 sous la bannière de l’ordre moral.
1940 – 1945 :
la fièvre fasciste
La tentative de coup d’État du général Boulanger en 1889 marque la naissance d’un
courant «national populiste» dont s’inspire
aujourd’hui le Front national.
La base idéologique repose sur quelques
principes :
• Les clivages politiques et les institutions
parasites menacent la Nation.
• Seul le Peuple sain (le vrai Français) peut
la sauver. Pour cela il lui faut un guide qui
réalise l’union de tous après avoir exclu
les profiteurs (immigrés, financiers véreux,
syndicats, associations…) ce qui implique
de combattre l’idéologie de lutte des
classes.
L’affaire Dreyfus (1894-1905) catalyse
l’antisémitisme et la xénophobie. Le juif est
à l’origine de tous les maux, il est «mercantile, cupide, intrigant, subtil, rusé ; l’aryen (au
contraire) est enthousiaste, héroïque, chevaleresque, désintéressé, franc» selon Édouard
Drumont (1844-1917). C’est le peuple juif qui
a crucifié le Christ en le livrant aux Romains
(position également de l’église catholique
jusqu’aux années 60).
Les anti-Dreyfusards véhiculent «la gloire de
Cinq aspects caractérisent ces mouve- l’armée» restée largement monarchiste et bonapartiste. Elle est le creuset de la grandeur
ments :
• Le culte de l’autorité (religieuse, militaire, du Peuple et de son identité raciale.
Pour comprendre l’état d’esprit de cette pépolitique, économique, familiale)
• Un nationalisme exacerbé menant à l’im- riode, il faut se rappeler les «expositions coloniales» où sont montrés les bons sauvages,
périalisme
ces sous-hommes à qui nous apportons la
• Une conception identitaire du peuple : civilisation !
xénophobe, raciste conduisant à la priorité L’exaltation du soldat et de la guerre annonnationale
cent la propagande de 1914 et l’union sa• Un projet économique reniant les classes crée. La pensée se résume en un slogan qui
sociales
résonne encore aujourd’hui : «La France aux
• Une morale et/ou une religion intégristes. Français».
Leurs valeurs : hiérarchie, ordre, propriété,
Les ligues factieuses
famille.
Pour eux l’organisation des sociétés hu- Elles naissent dans la période boulangiste et
maines obéit à des règles immuables, condui- se développent jusqu’à la 2e guerre mondiale.
sant à considérer l ‘appartenance à la Nation «L’Action française», fondée en 1898 est la
plus importante. Charles Maurras, son princicomme relevant de l’hérédité et de l’ethnie
e
Au XIX siècle, la société française est domi- pal dirigeant, considère l’Eglise comme pilier
née par l’idéologie libérale et conservatrice central de la société. «Nationaliste chauvin»
du capitalisme. Le syndicalisme naissant est royaliste, il est partisan de l’ordre, de l’autorité et de la hiérarchie héréditaire et catholique.
réprimé.
Dans cette période droitière une nouvelle Il entend s’implanter dans le prolétariat
approche de la question des races émerge : grâce au syndicalisme jaune, créé en 1899.
supériorité de la race blanche, refus du métis- Il est soutenu par le patronat et une partie
de l’Eglise. Ce syndicalisme, à l’opposé des
sage.
Origines et bases
idéologiques
des extrêmes droites
Charles Maurras (1868-1952), fer de lance
du mouvement Action française, autour de
Léon Daudet, Jacques Bainville et Maurice
Pujo. Nationaliste et contre-révolutionnaire,
l’Action française prône alors une monarchie
héréditaire, antiparlementaire et décentralisée, mais également un antisémitisme d’État
et devient le principal mouvement intellectuel
et politique d’extrême droite sous la Troisième
République.
aspirations des salariés, décline rapidement.
Maurras dispose d’une presse quotidienne,
d’un groupe d’intellectuels (Barrès, Daudet…)
et d’une influence dans les publications catholiques. Entre les 2 guerres, l’organisation
entretient une certaine agitation notamment
à partir des «Camelots du Roi» équipes musclées pour affronter les Républicains.
Dans les années 30, de multiples organisations fascistes se créent. Les «Croix de feu»
du colonel De Larocque, antiparlementaires,
nationalistes, anticommunistes, favorables
à un pouvoir fort, n’hésitent pas à recourir à
l’assassinat. Après leur dissolution en janvier
1936, elles laissent la place au Parti social
français. Soutenu par le patronat il se donne
une vitrine syndicale avec les syndicats professionnels français. Son programme social :
retour des femmes au foyer, réadaptation
obligatoire pour les chômeurs, organisation
unique producteurs/employeurs (typique
d’un mode d’organisation fasciste) quotas
pour l’embauche d’immigrés, recours limité
à la grève…
Le fascisme revendiqué par ces groupes
est relativement faible malgré la multitude de
groupuscules. On peut citer «les jeunesses
Le Front national démasqué
patriotes» de Taittinger (champagne) le «parti populaire français» de Jacques Doriot, dissident du parti communiste, «la cagoule» créée par Eugène Schuller (père de Liliane Bettencourt) fi nancée par Mussolini…
L’émeute fasciste de 1934
et la riposte ouvrière
Les ligues factieuses ont soudé leur action. Elles ont des hommes dévoués à l’assemblée, au sénat et même dans le gouvernement Daladier. Nombre de cadres de la police, encouragés par le préfet de police Chiappe, sont gagnés au fascisme.
L’émeute est déclenchée le 6 février au soir, place de la Concorde avec une rapidité et une violence inouïes. Elle vise la Chambre des députés que les émeutiers tentent de prendre d’assaut. 25.000 travailleurs parisiens contre-manifestent aux Champs Élysées. Des heurts violents les opposent aux émeutiers et à la police. Le putsch fasciste a échoué.
Grèves et manifestations se multiplient les jours suivants. Le cabinet Daladier démissionne, remplacé par le gouvernement Doumergue ouvertement réactionnaire et qui compte dans ses rangs Pétain et Laval. Le 9 février, à l’appel du Parti communiste et de la CGTU, 50.000 travailleurs manifestent à Paris. La police attaque, 6 ouvriers tombent sous les balles. Le 12 février, Cours de Vincennes et place de la Nation, deux cortèges se forment : l’un à l’appel de la CGTU et du Parti communiste, l’autre à l’appel de la CGT et de la SFIO. Ils se rejoignent aux cris d’ «unité d’action» Dans toute la France les manifestations sont massives.
Dans le Finistère elles connaissent un franc succès : de 6.000 à 12.000 à Brest selon les sources. Dans les autres villes : 2.000 à 3.000 à Morlaix, 700 à Pont de Buis, près de 1.000 à Quimper. Grand moment d’émotion Manifestation fasciste le 4 février 1934, à Paris.
à Pont-Labbé quand les 2.200 manifestants accueillent 300 ouvrières venues à pied des conserveries de Lesconil, drapeau rouge en tête. Malgré quelques problèmes à Brest, l’unité s’est faite ; «Les 2 CGT conjuguèrent leurs efforts et leurs troupes se fusionnèrent avec enthousiasme» commente «Le Breton socialiste».
La collaboration
La crise, les effets des politiques menées, les scandales fi nanciers, le dysfonctionnement des institutions ont fourni un terreau propice aux ligues d’extrême droite. Elles seront offi ciellement dissoutes en janvier 1936 mais serviront, clandestinement, de soutien au régime de Vichy avec l’armée, l’Eglise et le patronat.
En 1940 le suffrage universel est supprimé. Une légion de combattants est créée, inspirée de l’idéologie de Maurras. On y trouve d’anciens membres des ligues, des capitalistes, d’anciens syndicalistes anti-communistes agissant au sein de la CGT. Belin, ancien dirigeant CGT de cette tendance, sera ministre de Pétain.
Une charte du travail développe une idéologie de collaboration de classes. Les grandes entreprises et les banques vont participer intensivement à la collaboration avec l’Allemagne nazie.
L’après-guerre
À la libération l’extrême droite est discréditée mais, à la faveur de la guerre froide et de l’anticommunisme, elle redresse la tête et de multiples groupuscules se créent : «le parti paysan», le «centre national des indépendants et paysans» CNIP etc…
En 1953 Tixier Vignancourt crée le «Rassemblement national». Il s’alliera à Poujade créateur de «l’union de défense des commer-
çants et artisans» (UDCA) qui se transformera en organisation politique d’extrême droite. Se retrouveront en son sein des pétainistes, des maurrassiens, des partisans de l’Algérie française. En 1956 la liste recueillera 11,6 % aux législatives et 52 députés dont Jean-Marie Le Pen. Elle fournira les activistes de l’OAS.
La résurgence de la droite extrême ne
relève pas de phénomènes accidentels.
Elle provient quand les dominants, aristocratie puis bourgeoisie et aujourd’hui tenants du grand capital, tenant de grands
leviers financiers, devant une crise systémique n’admettent pas la possibilité de
conquêtes par les dominés. Alors la bête
immonde reprend vie.
Le Front national
Fondé en 1972, il reprend une tradition populiste et le slogan du Parti populaire français de Doriot : «ni droite ni gauche». Se retrouvent dans ses rangs des anciens «d’occident», «d’ordre nouveau», mouvements d’extrême droite dissous dans les années 60/70, des négationnistes, des intégristes catholiques, des néo nazis, d’anciens membres de l’OAS, de la LVF (légion des volontaires français), des royalistes. Ils mettent Jean-Marie Le Pen à la direction du parti.
Il reste une dizaine d’années en marge de la vie politique. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 et une certaine incapacité à gérer la crise mais aussi l’aide de Mitterrand qui y voyait un moyen de diviser la droite, va favoriser son émergence sur la scène politique.
En 1978 aux élections législatives, il obtient 1,6 % avec le slogan : «1 million de chômeurs c’est 1 million d’immigrés en trop». L’opposition à l’immigration va devenir le thème central de son idéologie.
par l’histoire
Cette idéologie contourne l’expression d’un
racisme trop primaire. Elle vise à gagner le
vote des travailleurs en désignant une cause
simpliste et populiste du chômage : les immigrés. Cette instrumentalisation a pour objectif
de disputer au PCF la défense des catégories
populaires à travers un registre racial et non
social. Le FN cumule dans son programme
toutes les caractéristiques de la droite extrême : ultralibéralisme économique, rôle de
l’État réduit globalement à la police, la justice, l’impôt et la défense, anticommunisme
radical, conservatisme moral, idéologie autoritaire.
En 1986 il obtient 9,65 % des suffrages et,
avec un scrutin devenu proportionnel 35 députés à l’Assemblée.
Sous couvert de préférence nationale, il
s’est fait le champion du racisme et du combat contre l’immigré. Pour conforter son audience il se dote d’organisations en réseau,
noue des relations avec des fractions intellectuelles issues de la nouvelle droite dont
certains membres le rejoindront.
C’est seulement à partir du début des années 1990 que les thématiques sociales
commencent réellement à émerger au sein du
FN. Samuel Maréchal, responsable jeunesse
au FN, dans son ouvrage «ni droite ni gauche,
Français» reprend les thèmes du PPF de
Doriot : les clivages politiques conduisent à
diviser la société française. Il faut rassembler
patrons et salariés afin de parvenir à la paix
sociale.
Le Front national
et le syndicalisme
À l’image de l’Union générale des travailleurs
que préconisait le groupuscule néo fasciste
«Ordre nouveau» dès le début des années 70,
le FN entend investir le syndicalisme. Son objectif est clair : il vise la constitution de fractions UGT partout où c’est possible.
De nombreuses tentatives :
• En 1975, Le PFN, parti des forces nouvelles né d’une scission du FN, lance, en
plein cœur du conflit du «Parisien libéré»
l’association pour un syndicalisme libre :
échec.
• En 1977 le patron d’une entreprise du Gard
intente un procès à la CGT au motif qu’elle
n’est «qu’une équipe de bandits syndicalistes politisés» : échec
• En 1995 Brunot Mégret reprend l’offensive.
Le concept de préférence nationale sert
de toile de fond à la démarche du FN qui
s’engage dans la soi-disant défense des
travailleurs sous le slogan «produisons
français», il est toujours pour la limitation
du droit de grève et dénonce les syndicats
marxistes : échec.
Après l’échec de ses tentatives d’entrisme
dans les syndicats, notamment la CFTC et
FO, il tente de créer ses propres structures,
des pseudos syndicats pour y développer
ses thèmes sécuritaires et anti immigrés. Ainsi on voit apparaître FN RATP, FN transports,
FN police mais aussi des amicales, des asso-
ciations selon le secteur d’activité… tout en
dénonçant les grèves, en remettant en cause
les prestations sociales ou en préconisant
la retraite par capitalisation. Leur absence
dans les luttes et l’action en justice de la CGT
conduisent ces tentatives à l’échec.
sance de notre civilisation… et le printemps
de la France. Elle revendique le retour à un
État fort (Vichy n’est pas loin !). Dans ces
perspectives le clivage droite gauche n’a plus
de raison d’être, il est remplacé par celui des
nationaux contre les mondialistes.
La tactique du FN
Il cherche à attirer des syndicalistes dans
ses rangs. Selon un sondage Louis Harris
pour «Liaisons sociales» à la présidentielle de
2012 : 25 % d’adhérents FO, 16 % de l’UNSA, 15 % de la CFTC, 12 % de la CFDT, 11 %
de la CGC et 9 % de la CGT auraient voté
pour Marine Le Pen, il n’est donc plus question de lancer des syndicats estampillés FN.
En 1995 Jean-Marie Le Pen atteint 15 % et 16,8 6% en 2002 où il arrive deuxième
à l’élection présidentielle. Des turbulences
apparaissent autour de 2 lignes politiques :
l’une de refus de toute alliance avec la droite
traditionnelle, l’autre s’inscrivant dans une
perspective de recomposition de la droite
avec l’UMP.
L’ambiguïté qui règne sur la nature du FN
(fasciste, populiste, réactionnaire, acceptable ou pas ?) tient au fait qu’il s’agit d’un
conglomérat attrappe tout. Aucune doctrine
cohérente ne caractérise le fascisme et ses
divers descendants d’extrême droite. Le FN
entretient cette ambiguïté car il en a besoin
pour rassurer et tenter de se construire une
respectabilité.
Le fait que ce soit Marine Le Pen ne change
rien, au contraire. Elle tente de mener une
politique de dédiabolisation en développant
un discours national populaire. Elle parle de
lutte contre le chômage, de détresse sociale,
de défense du pouvoir d’achat, de protectionnisme. Elle se fait le chantre d’un nouvel
ordre économique et social pour la renais-
Dans la lignée
des extrêmes droites
Comme ses prédécesseurs, le FN préconise
un repli identitaire et xénophobe. L’immigration est présentée comme une invasion du
territoire. Derrière la défense de la laïcité dont
il se prévaut, se cache une attaque en règle
contre l’Islam au nom des valeurs de la République. Face à ce danger, le FN serait le parti
de la résistance. Avant guerre, le juif était
la «Cinquième colonne» Aujourd’hui c’est
l’arabe et plus largement le musulman qui
incarne cette invasion. Le FN déplore aussi la
déchristianisation, comme le faisait Maurras
en 1926.
Si le discours s’est adapté, le fond n’a pas
changé : autoritarisme, démagogie, opportunisme, xénophobie, populisme restent le
fonds de commerce.
Ses positions affirmées, ses pratiques,
ses origines, la lignée historique dans
laquelle il se place le désignent comme
un grave péril, un danger mortel pour la
démocratie. Il doit être combattu sans
faiblesse.
30 janvier 2014. Rassemblement devant le siège de la CGT à Montreuil.