La bonne combinaison… Terrain de recherches et théâtre de tensions

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La bonne combinaison… Terrain de recherches et théâtre de tensions
© CIAT / D. Noguera
La bonne
combinaison…
Les variétés modernes des plantes cultivées ne sont pas
forcément les mieux adaptées aux nouvelles pratiques
agroécologiques.
B
Partenaires
ienvenues pour les sols tropicaux souvent pauvres en
matière organique et en éléments minéraux nutritifs, les pratiques
alternatives à l’usage intensif de fertilisants font leurs preuves en matière
d’agriculture. L’incorporation de charbon de bois concassé (biochar) dans le
sol imite les terres noires très fertiles
créées par les populations pré-colombiennes. Le biochar, très stable, perdure
dans le sol pendant des siècles. Il procure divers avantages : il améliore la
capacité d’échange cationique1, celle
de rétention de la matière organique et
modifie les communautés de microorganismes. Une autre pratique bénéfique consiste à maintenir des densités
en vers de terre élevées dans les sols
cultivés. Ceux-ci favorisent généralement la croissance des plantes par différentes actions : en apportant des
éléments nutritifs, en stimulant l’activité
microbiologique, en contrôlant les
agents de maladies, en libérant des
© IRD / P. Lavelle
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phythormones2, en stimulant les symbioses et en augmentant la porosité du
sol, ce qui facilite le développement des
racines et augmente la disponibilité en
oxygène du sol, leur effet le plus connu
des agriculteurs.
Toutefois, cette « ingénierie écologique »
pourrait ne pas faire bon ménage avec
les variétés modernes de plantes cultivées, sélectionnées pour avoir une production maximale en présence d’une
forte fertilisation et dans des sols
appauvris en faune. Démonstration
faite par des chercheurs colombiens et
français sur cinq variétés de riz. « Diana
Noguera, doctorante colombienne
financée par l’IRD, a mené des expériences en serre au Centre international
d'agriculture tropicale (Ciat) de Cali
(Colombie). Elle a comparé la réponse
des différents riz aux vers de terre et au
charbon de bois », rapporte Sébastien
Barot, écologiste des sols à l’IRD. Les
semences de riz utilisées pour les essais
proviennent de la banque du Ciat :
Ver de terre, Pontoscolex corethrurus.
quatre variétés asiatiques (Oryza sativa
var. Azucena, Line 30, Nipponbare)
dont une plus rustique qui est adaptée
localement (Donde Lo Tiren) et une africaine (Oryza glaberrima).
« Cette expérience a confirmé notre
hypothèse. Les cinq variétés de riz ont
bien des réponses très différentes aux
vers, au charbon de bois et à la combinaison des deux », poursuit Sébastien
Barot. Par exemple, la variété de riz
sélectionnée en Colombie par les agriculteurs, « Donde Lo Tiren » est celle
qui répond le mieux (+ 119 %), en
termes de biomasse totale, aux vers de
terre. Par contre, la variété qui répond
le mieux en termes de production de
grains (+ 75 %) est l’une de celles sélectionnées avec des méthodes modernes
(Line 30). « Les rendements sont multipliés jusqu’à 4 fois lorsqu’on choisit la
meilleure façon de combiner variétés et
traitements », note le chercheur.
L’ensemble des résultats suggère que la
sélection variétale moderne conduirait
à la perte, par les plantes cultivées, de la
Région du Pará au Brésil
Terrain de recherches
et théâtre de tensions
© IRD / M. Grimaldi
Le Pará est un laboratoire grandeur nature sur les fronts
pionniers amazoniens pour les chercheurs de l'IRD
et leurs partenaires. Les changements environnementaux
et économiques à l'œuvre s'y accompagnent de situations
sociopolitiques souvent conflictuelles.
D
éforestation, mise en culture
puis conversion en pâturages
extensifs, le Pará est soumis
au cycle destructeur, et souvent violent,
engendré par l’extension de la frontière
agricole au Brésil. « Les dynamiques à
l’œuvre sont représentatives de la logique d’expansion et d’appropriation inégalitaire des
ressources qui prévaut
sur tous les fronts pionniers du pays », explique
le pédologue Michel Grimaldi, décrivant comment cet Etat amazonien
est devenu un terrain de
recherche privilégié pour
les scientifiques de l’IRD
et leurs partenaires1.
L’objectif des chercheurs
est d’identifier des leviers
socio-économiques permettant de concilier la
fourniture de biens et
celle de services écosystémiques. Autrement dit,
trouver les moyens pour
Sur les fronts de déforestation, la forêt, ici en arrière-plan, côtoie les pâturages,
exploiter le milieu naturel
au premier plan, et, entre les deux, la culture de riz pluvial (déjà récolté).
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 60 - juin/juillet/août 2011
capacité d’interagir de façon positive
avec les organismes du sol. À l’avenir,
développer une agriculture durable
nécessitera la sélection de variétés sur
leur faculté à tirer parti des pratiques
agroécologiques au lieu de se focaliser
sur l’augmentation de production de
grains ou la capacité à utiliser les
engrais. « Pour créer les riz du futur, il
sera judicieux de croiser des variétés
anciennes (pour la biomasse totale)
avec des variétés modernes (pour les
grains), ajoute le chercheur. On cherche
à augmenter la production de biomasse
totale (tiges, feuilles, racines, en plus
des grains) dans un souci de durabilité
des cultures. » Restituée au sol, celle-ci
va nourrir les vers de terre, se minéraliser lentement et donc bénéficier à la
plante cultivée. Ce processus est le plus
proche de ce qui se passe dans la
nature où les plantes dépendent
étroitement du recyclage de la matière
organique réalisé par les bactéries,
champignons, vers de terre.
Pour aller plus loin, les chercheurs
de façon durable, sans compromettre
définitivement les équilibres environnementaux. Et ce n’est pas une mince
affaire, car les enjeux sont démesurés, à
l’échelle de cette région deux fois plus
vaste que la France. « L’immigration de
paysans pauvres vers l’Amazonie est
encouragée par les autorités depuis les
années 70 pour s’affranchir d’une
réforme agraire nécessaire dans les
régions agricoles historiques », raconte
le chercheur. Les petits agriculteurs
convergent de tout le pays pour
conquérir des parcelles sur la forêt primaire, d’abord sur les berges des
fleuves et maintenant le long des
grands axes routiers. Ils participent,
comme les riches propriétaires, à la
déforestation et à l’expansion de l’élevage bovin extensif au détriment des
cultures vivrières. « Dans les années 90,
avec l’émergence d’organisations
représentatives des petits exploitants et
la mise en place de politiques
publiques, des initiatives de régularisations foncières, d’accès au crédit et de
diversification de la production agricole
ont vu le jour », rapporte-t-il. Des centaines de communautés rurales ont
alors été stabilisées au sein de lotissements censés promouvoir l’agriculture
familiale et multifonctionnelle et diminuer la déforestation. « Mais passé
l’engouement initial, ces politiques
montrent leurs limites, rapporte-t-il. La
plupart des familles sont incitées à
tourner le dos à un mode d´exploitation
durable des terres, sous la pression des
coupeurs de bois, des producteurs de
Croissance de plants de 5 variétés
de riz sous différents traitements
au CIAT de Cali (Colombie).
explorent désormais une autre hypothèse née de l’analyse de leurs résultats :
puisque les variétés de riz répondent différemment aux vers au niveau de leur
production de grain, cela signifie que
ces organismes constitueraient une
pression de sélection significative pour
les plantes. Ainsi, au cours de l’évolution, certaines caractéristiques végétales
qui restent à déterminer ont sans doute
été façonnées par les vers de terre. ●
1. Elle représente la capacité d'un sol à échanger des ions positifs avec les plantes.
2. Substance biologique qui régule la croissance
et le développement des plantes.
Contact
[email protected]
UMR Bioemco (IRD / CNRS / École
Normale Supérieure / Université Paris 6 /
Université Paris 12 / AgroParisTech /
Inra)
charbons de bois et des grands éleveurs
qui rachètent leur terre. Les petits
agriculteurs n´ont alors pas d´autre
issue que de contribuer à l´avancée du
front pionnier, par l´exploitation de
terres vierges. » Victime de ces tensions
extrêmes, un couple d’exploitants
acquis à la gestion raisonnée du milieu,
et suivi depuis plusieurs années par les
scientifiques, vient d’être assassiné.
« Ce crime, survenant après tant
d’autres comparables dans le Pará, met
un terme à une expérience ancienne,
démontrant la viabilité économique
d’un mode de production basé sur l’utilisation rationnelle des divers produits
de la forêt », déplore-t-il. Il illustre surtout la fragilité des actions raisonnées
face à des acteurs déterminés à s’approprier les ressources naturelles en
dehors de toute régulation environnementale ou légale.
●
1. Programme AMAZ (IRD et CNPq – conseil
national du développement scientifique et
technologique), institutions partenaires au
Brésil : UFPA (Université Fédérale du Pará),
UFRA (Université Fédérale Rurale d´Amazonie) et MPEG (Musée du Pará Emílio
Goeldi).
Contact
[email protected]
IRD, UMR BIOEMCO (IRD, CNRS,
Ecole normale supérieure, Université
Pierre et Marie Curie - Paris 6,
Université Paris-Est, AgroParisTech,
INRA).
I n v e s t i s s e m e n t s d ’ a v e n i r : 1 ère v a g u e
Labex, Equipex,
IHU
et Institut Carnot associant l’IRD
Partenaires
Dans le cadre du Grand Emprunt, les
investissements d’avenir du ministère de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche
(Labex, Equipex, etc.) visent à renforcer la
compétitivité de la France en matière de recherche,
formation et valorisation. En s’associant à ces
dispositifs l’IRD fera bénéficier la recherche pour
le développement au sud de cet effet levier.
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© IRD / R. Oslisly
Les archéologues
aussi font de la prévention
Profiter des travaux d’aménagement du territoire pour détecter et préserver le
patrimoine archéologique d’un site. C’est le credo de l’archéologie préventive.
L
© IRD / R. Oslisly
a Conférence internationale
sur l'archéologie préventive
au Cameroun (24 au 26 mai
2011, Yaoundé) a fourni de nombreuses preuves des bénéfices de cette
pratique. Tirant parti des excavations
pratiquées à l’occasion de projets
d’aménagement, celle-ci offre aux
spécialistes la possibilité d’intervenir
Poterie datée entre 800 et 200 ans
avant le « présent ».
avant toute dégradation du patrimoine. « Nous avons découvert près de
600 sites, collecté des milliers d’objets
qui contribueront à la construction de
la longue histoire du Cameroun,
résume Richard Oslisly, archéologue à
l’IRD. Les fouilles réalisées avec des
archéologues juniors camerounais sont
très formatrices et le matériel récolté
ira enrichir, après étude, le futur musée
national. » De plus les bailleurs de fonds
sont enclins à financer largement ce
type d’opération.
Depuis 10 ans le chercheur explore,
avec ses collègues des universités de
Ngaoundéré et de Yaoundé, le sous-sol
du territoire camerounais pour sauver
les traces du passé, aussi précieuses
que les minerais africains convoités par
le monde entier. La synthèse de leurs
travaux, publiée en 2010, donne un
éclairage sur une période s’étalant sur
les derniers 50 000 ans.
« Concernant l’archéologie préventive
et de sauvetage, le chantier de l'oléoduc Tchad-Cameroun est désormais
une référence en Afrique centrale »,
affirme Richard Oslisly. Longue de plus
de 1 200 km, cette infrastructure a
livré des données sur des régions
jusque-là inconnues et inaccessibles.
Sur 335 sites, 56 ont été datés au
carbone 14, ce qui permet aux spécialistes de dire que la séquence chronologique s’y échelonne de l’âge de la
pierre moyen à l’âge de la pierre récent
(– 50 000 à – 2 000 ans) et de l’âge du
Fer ancien à l’âge du Fer récent (600
avant J.-C. à 1 000 après J.-C.) et à la
période précoloniale (1 000 à 1 800).
Charbon de bois, tessons de poteries,
pierres taillées, pointes de flèches en
fer, objets en céramique sont soigneusement prélevés et répertoriés. Ces
vestiges et leur datation renseignent
ainsi sur les peuplements anciens et les
différentes phases d’occupation.
« L’analyse
des
poteries
dites
Malongo1 permet de suivre l’expansion
littorale de populations bantoues qui
ne connaissaient pas le fer. Parties
du nord de la côte camerounaise
(entre 1 200 et 1 000 avant J.-C.), elles
cheminent sur plus de 1 300 km en
Début des travaux d’archéologie préventive sur le site de Dibamba
près de Douala, future centrale thermique
(Cameroun, avril 2008).
traversant la Guinée équatoriale et le
Gabon (présence attestée entre 400 et
300 ans avant J.-C.) pour aboutir à
Pointe Noire au Congo », livre Richard
Oslisly.
Dans l’avenir, l’archéologue ne va pas
chômer. D’autres grands travaux sont
programmés dans la sous-région africaine : barrages, mines, chemin de fer,
ports, routes. Autant de chantiers passionnants en perspective car le financement des fouilles archéologiques est
prévu. Gageons que cette expérience
positive sensibilisera les décideurs politiques à la protection et à la transmission aux générations futures de ce
patrimoine culturel archéologique. ●
1. Décors en zig-zag très particuliers obtenus
par impressions avec des peignes.
Contact
[email protected]
IRD, UMR Patrimoines locaux (IRD /
Muséum National d'Histoire Naturelle).
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 60 - juin/juillet/août 2011