La pierre des maçons d`autrefois
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La pierre des maçons d`autrefois
La pierre des maçons d’autrefois Henri RAMONEDA Tous droits de reproduction interdits – 2010 ISBN 2- 9517056-0-3 1 L’Ordre des Francs-Maçons est une association d’hommes sages et vertueux, dont l’objet est de vivre dans une parfaite égalité, d’être intimement unis par les liens de l’estime, de la confiance et de l’amitié, sous la dénomination de Frères, et de s’exciter les uns les autres à la pratique des vertus. D’après cette définition, il est de la sagesse et de l’intérêt de toutes les Loges de n’admettre à la participation de nos Mystères, que des sujets dignes de partager tous ces avantages, capables d’atteindre le but proposé, et dont elles n’aient point à rougir aux yeux des Maçons de tout l’Univers. Le Régulateur du Maçon, 1801. L’histoire du rite français est naturellement indissociable de l’histoire de la franc-maçonnerie. Afin d’éclairer la compréhension de ce rite, il paraît nécessaire de relever les principaux évènements marquants de son histoire, car il n’existe pas de définition propre ni unique pour les rites maçonniques en général. On a fait des maçons les héritiers des maîtres d’œuvre babyloniens, égyptiens, grecs et romains. Incontestablement, de nombreux historiens associent la maçonnerie opérative aux guildes de bâtisseurs. Les origines historiques de la maçonnerie médiévale ont suscité d’innombrables travaux plus ou moins sérieux. Il est généralement admis qu’au Moyen Age, le métier de tailleur de pierre implique de se déplacer d’un chantier à un autre. A cette époque, l’artisan mène bien souvent une vie nomade, mouvementée et imprévisible. Il doit quitter sa famille et rejoindre ses compagnons pour la durée d’un chantier. Par obligation, une forme organisée du métier se met progressivement en place. La guilde des métiers devient une fraternité, formant en quelque sorte une famille, liée par des intérêts communs et renforcée par des serments. L’enseignement est donné en loge, c’est-à-dire dans le local où se réunissaient les maîtres d’œuvre ; elle trouve place dans le chantier même de l’édifice religieux car elle n’existe que pour la durée des travaux. Les guildes de bâtisseurs apparaissent vers le XIIIe siècle en Italie, en Allemagne, en France, et en Grande-Bretagne. Ces corporations artisanales, 2 sont destinées non seulement à défendre les privilèges du métier de bâtisseur mais aussi à conserver les secrets du métier. Les textes nous confirment l’existence en 1275 d’un véritable congrès de “maçons” à Strasbourg pour décider la continuation des travaux, longtemps interrompus, de la cathédrale. Erwin de Steinbach fut nommé architecte en chef des travaux et maître en chaire. Aux côtés des guildes, il faut également mentionner les confréries. L’Ordre des Frères Pontifes, fondé en 1176, a eu une importance significative. Il semble bien que les Frères Pontifes, en 1265, bâtirent à Paris le pont Saint-Esprit, associant charpentiers et maçons. Cet Ordre s’incorpora à celui de Saint-Jean de Jérusalem en 1278. A ce propos, Pierre d’Aubusson, Grand Maître de l’Ordre des Hospitaliers de Jérusalem1, accueillit les Compagnons2 lors du siège de Rhodes3 en 1480. Ces derniers étaient munis de leurs outils, emblèmes du travail et portaient le tablier. il convient de remarquer que les maîtres d’œuvre et leurs compagnons manifestaient une édifiante dévotion à la religion catholique. Au cas où il existerait encore quelques doutes à ce propos, il s’avère indispensable de citer les statuts des tailleurs de pierre de Venise (1317) qui révèlent le désir de contribuer : “A la gloire de Dieu et de la glorieuse Vierge Marie, toujours notre avocate.” Il serait aisé de multiplier les citations attestant la piété des Maçons. Les règlements des tailleurs de pierre d’Allemagne commencent par ces mots : “Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et de la glorieuse Mère Marie, et aussi des Quatre Couronnés4 pour mémoire éternelle.” Le texte précité stipule également : “On ne recevra aussi dans l’Ordre aucun ouvrier ni maître qui ne s’approche du Saint-Sacrement, et qui n’observe pas la loi chrétienne.” Dans le même ordre de notions, plus personne ne conteste la présence des ecclésiastiques dans les loges opératives. Ils remplissaient les fonctions de “chapelain”. D’ailleurs, c’est un prêtre qui a rédigé en 1390 le premier poème maçonnique connu également sous les noms de manuscrit Regius (Royal) ou manuscrit Haliwell, du nom de son premier éditeur. Qui sont alors ces opératifs qui pratiquaient des “métiers francs” ? L’épithète de “franc” désignait, au Moyen Age, tout individu libéré de certaines servitudes féodales, municipales ou royales. Les “francs-mestiers” étaient, précisément, des corps professionnels dont les membres avaient acquis ces privilèges : c’est ainsi qu’à Paris, dans le ressort de la prévôté royale, les tailleurs de pierre échappaient à diverses obligations municipales, comme celle du guet en particulier. Ces constructeurs se groupèrent en associations qui étaient essentiellement des sociétés d’assistance mutuelle fournissant des aides en cas de besoin ou bien une sépulture décente pour certains. Voilà pourquoi nous ne possédons que des statuts généraux concernant ces associations. En Allemagne, nous connaissons, par exemple, les statuts et règlements de la confraternité des tailleurs de pierre relatifs à l’assemblée de Ratisbonne du 25 avril 1459. Ces 3 textes confirment l’existence de confréries germaniques de bâtisseurs connues sous le nom de loges (hütten) et reconnaissant la sollicitude des “Grandes loges” (Haupthütten) qui étaient au nombre de cinq : Cologne, Strasbourg, Vienne, Zurich, Magdeburg. La dernière grande assemblée des maçons allemands s’est tenue à Strasbourg en 1564. Si cette corporation, par le passé a su prouver ses capacités professionnelles, c’est avec beaucoup de curiosité que les historiens évoquent certains aspects qui demeurent encore obscurs. En effet, quels sont les secrets du maçon médiéval ? Tout d’abord ce sont des secrets professionnels jalousement gardés. On ne possède aucun traité médiéval d’architecture, sauf l’album de Villard de Honnecourt, incompréhensible pour le non-spécialiste. On a ensuite des marques de reconnaissance. On y retrouve des symboles ésotériques dont l’origine se perd dans la nuit des temps : le cercle, la pyramide, la croix latine, la croix ansée, l’étoile à cinq branches, le trident. Apparaissant vers l’époque des croisades, ces marques se rencontrent à l’extérieur des édifices religieux jusqu’à la fin du XVIe siècle, après, elles se dissimulent au bas des piliers ou le long des joints horizontaux. C’est dans ce contexte d’effervescence intellectuelle, de découvertes architecturales, qu’apparaît le langage ésotérique des constructeurs médiévaux, lié à de nouveaux savoirs. En ces temps lointains, ces associations de bâtisseurs incarnaient une nouvelle dimension professionnelle, morale et spirituelle. Les grandes cathédrales gothiques en sont la manifestation éclatante et les associations de constructeurs couvraient toute l’Europe. La cathédrale de Prague a été construite, au XIVe siècle, par l’architecte français Mathieu d’Arras. Au XVIe siècle, la plupart des grandes cathédrales sont achevées et on assiste au déclin progressif des communautés artisanales conservant les secrets de l’architecture gothique. Mais le caractère unique du métier est fidèlement conservé en Écosse. C’est à cette époque qu’apparaît la référence à l’art de mémoire. En 1598, William Schaw, Maître des travaux de la Couronne écossaise, publie des statuts réglementant l’organisation et la conduite des maçons. Il est clair que les statuts des loges écossaises5, liés au métier de maçon, sont similaires à ceux des corporations professionnelles du continent. Une épitaphe en latin située sur la tombe de William Schaw dans l’abbaye de Dunfermline nous révèle ce qui suit : “A Dieu Très Saint et Très Haut. Sous ce bas monceau de pierres, gît un homme illustre pour sa rare expérience, son admirable rectitude, l’intégrité inégalée de sa vie, et ses qualités affirmées, William Schaw, Maître des Travaux du Roi, Maître des Cérémonies et Chambellan de la Reine. Il mourut le 18 avril 1602, ayant séjourné pendant cinquante deux ans. Dans son vif désir de s’améliorer l’esprit, il voyagea en France et dans de nombreux autres royaumes. Accompli dans tous les Arts Libéraux, il excellait en Architecture. Les Princes le tenaient particulièrement en estime pour ses talents manifestes. Que ce soit dans sa vie professionnelle ou dans les affaires, il était non seulement infatigable et invisible mais aussi 4 consciencieux et honnête. Sa capacité innée à servir et à mettre les autres devant leur devoir lui ont valu de gagner la bienveillante affection de chaque brave homme qui le connaissait. A présent il demeure au Ciel pour toujours.” Au début du XVIIe siècle, malgré l’affiliation d’un architecte de grand renom, Inigo Jones6, disciple britannique de Palladio, les constructeurs cèdent, peu à peu, la place dans l’Ordre aux “Accepted Masons”, admis en nombre croissant : nobles ou bourgeois. Ces derniers deviennent membres de l’organisation anglaise de freemasons7. Le passage de la maçonnerie des constructeurs de cathédrales à la maçonnerie spéculative s’est opéré en Grande-Bretagne et elle apparaît comme le berceau de la franc-maçonnerie. En 1670, par exemple, à Aberdeen (Écosse), plus des trois quarts des membres ne sont plus des vrais constructeurs, mais des personnages influents, gentilshommes en majorité. En Angleterre, c’était un grand honneur d’être admis parmi les freemasons. Les maçons libres et acceptés étaient fascinés par tout un rite de mots de passe, signes, attouchements. Ils pratiquaient le secret et les symboles des rites compagnonniques : le soleil, la lune, la salière, le vinaigre, le coq, les trois pas, le baiser, la croix. La maçonnerie était déjà auréolée de mystères et d’attraits. La réception symbolique à la “construction” des maçons acceptés prenait une dimension significative et pour s’en convaincre mieux vaut encore se référer à quelques modifications de la constitution primitive, qui furent approuvées le 27 décembre 1663, lors de la réunion des maçons à Londres. Ces nouvelles clauses stipulent8 : 1. Nul, quel que soit son rang, ne sera reçu freemason si ce n’est dans une loge composée d’au moins cinq freemasons... 2. Nul ne sera reçu s’il n’est sain de corps, de naissance honorable, de bonne réputation et fidèle observateur des lois du pays… 3. Nul freemason ne sera admis dans une loge s’il n’est muni d’un certificat du maître de la loge dans laquelle il a été reçu ; ce certificat, écrit sur parchemin, constatera l’époque et le lieu de la réception... Chose digne de remarques, jusqu’au bout les tailleurs de pierre anglais demeureront fidèles au christianisme. La dernière Charte connue (1694) d’York stipule : “Le premier article de vos instructions est que vous serez fidèles à Dieu et à la Sainte Église, et que vous n’emploierez ni hérésie ni erreur dans votre entendement”. De plus, les anciens devoirs et statuts d’York peuvent être intéressants à citer, car ils révèlent un usage fort ancien chez les freemasons anglais : “L’un des anciens prend le Livre, celui ou celle qui doit être fait maçon pose les mains sur le Livre, et alors les instructions sont données”. Le caractère foncièrement chrétien des Old Charges9 de la maçonnerie anglaise est indiscutable. Voilà donc qu’une crise majeure ébranla la très ancienne Confraternité des 5 Maçons Libres Acceptés d’Angleterre. Sir Christopher Wren10, chef de la loge Saint-Paul, élu Grand Maître en 1685 de toute l’Angleterre, réélu en 1698, fut destitué le 20 décembre 1702 du titre d’Architecte de la Couronne à la mort du roi. Il se démit alors de sa dignité de Grand Maître. Toutefois, les maçons de ce temps, choqués du traitement infligé à leur et excellent Grand Maître, ne voulurent pas lui choisir un successeur, ni continuer leurs réunions. Ce malaise va laisser des traces durables dans la vénérable institution qui enregistra subitement de très nombreuses désaffections au sein des assemblées. Dans le but d’augmenter le nombre toujours décroissant des membres de la Confraternité, la vieille loge Saint-Paul décida, en 1703, de recruter davantage de maçons acceptés. Ainsi, nous voyons la loge londonienne prendre la décision suivante : “Les privilèges de la maçonnerie ne seront plus désormais réservés seulement aux ouvriers constructeurs, mais, comme cela se pratiquait déjà, ils seront étendus aux personnes de tous les états11 qui voudront y prendre part, pourvu qu’elles soient dûment présentées, que leurs admissions soit autorisées et qu’elles soient initiées d’une manière régulière.” Une telle initiative ne dénoua nullement cette crise et même longtemps après la disgrâce de Sir Christopher Wren, les maçons demeurèrent très élogieux à son égard. Encore de nos jours, les historiens12 lui attribuent un rayonnement prodigieux et le considèrent plus que jamais comme un homme remarquable. Il incarne toujours le souvenir du sauveur de la cathédrale Saint-Paul. Et pour la noble cause, en 1707, William Benson fut élu à la grande maîtrise. Les maçons achevèrent cependant la cathédrale de Saint-Paul en 1710 et à dater de cette époque, ils cessèrent leurs assemblées générales. Malgré l’autorité du nouvel Inspecteur des bâtiments de sa majesté le roi Georges Ier, il ne put éviter que ce climat de défiance ne s’étendît dans toutes les loges du pays. A cela, s’ajoutèrent de nombreuses dissensions politiques et religieuses. Ces querelles troublèrent la fin du règne de la reine Anne (1714), et des révoltes éclatèrent, de 1715 à 1719, en faveur de son frère, le Prétendant Jacques III. En 1715, il n’existait plus à Londres que quelques loges en activité. C’est alors que Jean-Théophile Désaguliers13 conçoit le projet de restaurer la maçonnerie. Au mois de février 1717, une poignée de maçons acceptés se réunissent à la taverne The Apple tree où, ils se constituent en Grande Loge provisoire. C’est la première fois que le titre de Grande Loge est donné à une assemblée générale de maçons. Jusque-là on se servait de l’expression “General Lodge”. La maçonnerie spéculative se réalise officiellement le 24 juin 1717, à la SaintJean d’été. Cet acte solennel marque l’avènement de la maçonnerie obédientielle. Quatre Loges londoniennes, rassemblées dans la cour de la cathédrale Saint Paul et aux noms pittoresques, ceux des tavernes où se réunissaient les maçons acceptés : L’Oie et le Gril, La Couronne, Le Pommier, 6 Le Gobelet et les Raisins, forment la Grande Loge Londres et élisent un Grand Maître qui aura juridiction sur l’ensemble des loges. Elle instaure une autorité maçonnique centrale et prétend dès lors, avoir seule le pouvoir de reconnaître les ateliers nouvellement créés. Selon les anciennes loges de Londres, d’York et de Westminster, c’était répudier le vieux principe de la maçonnerie traditionnelle : “Le maçon libre dans une loge libre”. Peu de temps après, la Grande Loge de Londres prend le titre de Grande Loge d’Angleterre “Mère Grande Loge du Monde” ayant en principe le pouvoir de condamner et d’exclure du corps maçonnique toutes les loges irrégulièrement constituées. En 1719, lors de son installation comme Grand Maître de la Grande Loge, Désaguliers parle d’égalité, admet l’épithète de “frère” et établit les toasts dans les réunions. Toujours sous son impulsion, les loges organisent des banquets, des fêtes et créent un fond de Secours pour les malades. Le 17 janvier 1723, la Grande Loge se donne des Constitutions14 qui deviennent, dès lors, la charte régulière reconnue par tous les francs-maçons dans tous les pays. L’examen attentif du livre des Constitutions nous confirme la reprise des anciennes chartes de la maçonnerie opérative anglaise de la fin du Moyen Age. L’histoire légendaire est soigneusement conservée : “L’Ordre remonte à Adam, qui enseigna la géométrie à ses fils, puis il est fait allusion à Noé, aux Égyptiens, aux Grecs, aux Romains, et aux Saxons.” On peut souligner l’expression de James Anderson15, rédacteur des Constitutions, pour qui la franc-maçonnerie est au centre de l’union vers laquelle tous les hommes peuvent converger sans pour cela ne renoncer à aucune de leurs croyances particulières. En effet, les Obligations stipulent (article VI-2) : “Que vous démêlés particuliers ne franchissent jamais le seuil de la loge, évitez plus encore les controverses sur les religions, les nationalités ou la politique.” Certes, si les liens de métiers s’atténuent, par contre, les symboles ésotériques deviennent fort nombreux : l’équerre, le niveau, la perpendiculaire, le compas, les pierres brutes et taillées, les colonnes ornées des lettres J et B, l’étoile flamboyante. Aux règles religieuses pratiquées par les maçons d’autrefois, James Anderson substitue de simples conditions morales et spirituelles. En collationnant et révisant les vieux manuscrits gothiques des Old Charges, il fait de la tolérance le fondement de la maçonnerie des Modernes. Il est d’ailleurs à noter qu’il devra modifier plus tard le texte du fameux article premier, qui scandalisait les Anciens. Il est illusoire de croire que la maçonnerie des “Moderns” s’est développée ex nihilo à Londres en 1717. Depuis longtemps, les “Accepted Masons” perpétuaient la tradition maçonnique par une chaîne ininterrompue depuis le Moyen Age. La loge de Saint Paul conservait les anciennes formalités. Les Anciens, réagiront tardivement mais très efficacement. Ils soulèveront certaines irrégularités commises par les Modernes, lesquels ont altéré les rituels, interverti les mots d’apprenti et de compagnon, modifié les usages et 7 introduit diverses couleurs dans l’habillement des maçons. De plus, quelques loges de Londres, mécontentes de la façon d’agir de la Grande Loge d’Angleterre, se sépareront de la Grande Loge des Modernes et s’uniront avec les “Antients York Masons”16. Bien que les actions de stratégie se suivent et se ressemblent, ils constituent en 1739, dans Londres même, une deuxième Grande Loge qui prend le titre de : “Grande Loge des Francs-Maçons d’Angleterre, selon les Anciennes Constitutions”. C’est en 175617 que Laurence Dermott publie la première Constitution des “Antients” intitulée “Ahiman Rezon” signifiant : “Lois des Frères désignés ou choisis”. Si Anderson a introduit le mot “Land mark”, Dermott note le “Royal Arch”, une sorte de maçonnerie supérieure. Les rapports entre les deux principales obédiences demeureront inexistants. D’ailleurs, voici comment Laurence Dermott18 s’exprime sur les “Moderns”, dans la troisième édition : “Lors de l’année 1717, quelques joyeux compagnons (Désaguliers19 et autres) qui n’avaient passé que par un seul grade de la Confrérie, lequel, même, ils avaient à peu près oublié, résolurent de former une loge pour rechercher, en se communiquant entre eux, ce qui leur avait été autrefois enseigné ; se proposant d’y substituer, quand la mémoire leur manquerait, quelques autres innovations, ce qui, à l’avenir devait passer dans leur société pour de la maçonnerie. Lors de cette réunion, on questionna les personnes présentes pour savoir si quelqu’une d’entre elles connaissait le grade de Maître ; et comme il fut répondu négativement, on convint qu’on remédierait à cet inconvénient par la composition d’un nouveau grade, et que tous les fragments de l’ancien Ordre qu’on pourrait trouver, seraient réformés ou appropriés à l’esprit de la nation. On crut convenable d’abolir l’ancien usage de s’occuper en loge de l’étude de la géométrie, et il parut à quelques uns des jeunes frères, qu’un bon couteau et une bonne fourchette dans les mains d’un habile frère, appliqués sur des matériaux convenables, donneraient une plus grande satisfaction, et ajouteraient plus à la gaieté que l’échelle la plus solide et le meilleur compas. Il existait encore un autre usage qui déplaisait aux jeunes architectes : c’était celui de porter des tabliers, qui semblaient travestir des hommes du monde en ouvriers ; on proposa, en conséquence, que les frères n’en portassent plus à l’avenir. Cette proposition fut rejetée par les membres plus âgés, qui déclarèrent que, puisque des anciens usages il ne leur restait plus que la décoration du tablier pour faire croire qu’ils étaient des maçons, ils voulaient pour cette raison, le conserver et le porter. On proposa différentes cérémonies ridicules, dont on admit quelques unes. Après les avoir observées pendant plusieurs années, on inventa encore des marches ridicules. Les confraternités des anciens et des modernes maçons sont devenues présentement les deux plus grandes corporations de l’univers : les anciens, sous le titre de francs et acceptés maçons, suivant les anciennes constitutions ; et les modernes, sous le titre de francs-maçons d’Angleterre. Ils diffèrent extrêmement dans leurs travaux, cérémonies, connaissances, langue maçonnique et organisation qu’ils aient, cependant, des dénominations semblables, de sorte qu’ils ont toujours été et continuent d’être deux différentes sociétés entièrement indépendantes l’une de l’autre.” 8 Durant tout le XVIIIe siècle, trois formes de maçonnerie s’opposent donc en Grande-Bretagne : la maçonnerie anglaise des Modernes, la maçonnerie anglaise des Anciens, et la maçonnerie des Jacobites, c’est-à-dire des partisans des Stuart20 détrônés à partir de 1688. Mais il y a un temps pour chaque chose et toute querelle doit avoir une fin. Plus tard, les trois courants britanniques fusionneront en une et seule maçonnerie : d’une part quand les grands seigneurs stuartistes se seront finalement ralliés à la dynastie hanovrienne, à la mort du dernier des Stuart21 et d’autre part quand le duc de Sussex, promu Grand Maître des Modernes et le duc de Kent, promu Grand Maître des Anciens en 1813 constitueront la Grande Loge Unie d’Angleterre. Les constituants de la Grande Loge Unie d’Angleterre fondent la “Lodge of Reconciliation” dont l’œuvre a été “l’Act of Union”. Cinq années plus tard, en 1818, ils consacrent la loge d’instruction, la “Perseverance Lodge”, qui deviendra le berceau en 1823 de “l’Émulation Lodge of Improvement”. En Grande-Bretagne, émergeront les rites de Bristol, Logic, Stability et d’autres encore. Depuis cette période, l’unité et la diversité de la maçonnerie anglaise font preuve de tolérance et de respect à l’égard de chaque initié. Les vieilles querelles sont oubliées. A l’inverse des maçons français, les maçons anglais mènent une œuvre philanthropique respectable. L’essentiel de la problématique de l’avènement des Modernes, hormis la novation obédientielle pyramidale, est contenu dans le fait que l’appartenance maçonnique se dévoile aisément dans la société civile. D’ailleurs, l’anecdote la plus marquante de cette époque est la publication du document intitulé : “Masonry Dissected” de Samuel Prichard. Cet acte fut un véritable coup de tonnerre et fit durant de nombreuses années la une de la presse britannique. Il révèle, pour la première fois, les catéchismes maçonniques dès 1730 à Londres. Il convient de noter que cette divulgation va devenir très bénéfique pour l’Ordre maçonnique et permettre l’intensification des événements. Dès cette époque, nous trouvons hors de Grande-Bretagne des loges rattachées à la Mère Grande Loge. On remarque que les premières loges d’inspiration anglaise s’établirent en France dans les villes ayant des relations commerciales suivies avec l’Angleterre : Dunkerque, Paris, Bordeaux, Valenciennes, le Havre. Les registres de la Grande Loge d’Angleterre mentionnent, à la date du 3 avril 1732, que la patente régulière a été délivrée à la loge parisienne “Au Louis d’Argent”. Le même registre fait état, à la date du 3 juillet 1733, de l’installation à Valenciennes de la Parfaite Union. Les loges françaises pratiquent le rite anglais des Modernes en deux grades. Ce n’est qu’en 1738 que la Grande Loge d’Angleterre reçoit au troisième grade. En 1735, les loges parisiennes, déjà assez fournies en effectifs, sollicitent de la Grande Loge d’Angleterre l’autorisation de fonder une Grande Loge Provinciale. Cette autorisation ne sera accordée qu’en 1743 à la Grande Loge anglaise de France. Dès lors, s’opère une mutation fondamentale au sein de la maçonnerie traditionnelle. Elle devient le point de départ du processus de l’écossisme 9 symbolique et ésotérique. Le port de l’épée apparaît en 1743 dans les loges françaises. En 1756, la Grande Loge anglaise de France prend le titre de Grande Loge de France sous l’autorité de Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont. Par la suite, les maîtres des loges parisiennes se déclarent inamovibles. La querelle du vénéralat inamovible sera la cause fondamentale des désordres de la Grande Loge du comte de Clermont22. Que faisaient les francs-maçons dans les loges au XVIIIe siècle ? Rien, ou presque rien, comme peuvent encore l’écrire certains historiens. On notera que, contrairement à cette réponse baroque, si l’on s’en tient aux “Livres d’Architecture” qui ont été conservés : les francs-maçons ouvraient les travaux, ils lisaient la correspondance, ils procédaient éventuellement à des augmentations de salaire, ils entendaient un morceau oratoire qui rehaussait l’intérêt des frères, et ils fermaient les travaux. Puis ils participaient au banquet. Il est certain que l’avènement des hauts grades conféra à la francmaçonnerie universelle ses lettres de noblesse. Il souleva un engouement auprès des frères et suscita rapidement une très forte demande d’admissions. C’est un certain André-Michel Ramsay, chevalier dans l’Ordre de Saint-Lazare, secrétaire de Madame Guyon, disciple de Fénelon et précepteur de James III Stuart, qui ajoute la foi à la morale. Il introduit l’ésotérisme chevaleresque et rosicrucien. Le 26 décembre 1736, dans une assemblée solennelle de la Grande Loge Provinciale de France, il prononce un discours destiné à lier les fondements de la maçonnerie à l’ancienne splendeur de la chevalerie. Il prend pour thème les quatre qualités qui, selon lui, sont exigées du franc-maçon : l’humanité, la morale, le secret et le goût des beaux-arts. Qualités essentielles dans un Ordre, dont la base est la sagesse, la force et la beauté. Il n’hésite pas à proclamer : “Quelque temps après la période des croisades, notre Ordre s’unit intimement avec les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem23. Dès lors, nos loges portèrent toutes le nom de loges de SaintJean. Cette union se fit à l’exemple des Israélites, lorsqu’ils élevèrent le second Temple. Pendant qu’ils maniaient la truelle et le mortier d’une main, ils portaient de l’autre l’épée et le bouclier.” André Michel de Ramsay, dans la dernière partie de son discours parle que le flambeau a été maintenu grâce à la Grande-Bretagne qui “fut le siège de notre Ordre, la conservatrice de nos lois et la dépositaire de nos secrets.” Comme disaient si bien les highlanders d’Écosse, il demeure l’étincelle qui embrasa la franc-maçonnerie en France, en Europe et aux États-Unis d’Amérique. Les hauts grades obtinrent un immense succès, et donnèrent un nouveau souffle à la maçonnerie. Peu à peu, ils se développèrent en divers régimes. Charles Édouard Stuart, de passage à Arras en 1745, accordera aux francsmaçons de cette cité une bulle d’institution pour un Souverain Chapitre primatial et métropolitain de Rose-Croix24. En voici la teneur25 : “Nous, Charles Édouard Stuart, prétendant roi d’Angleterre, de France, d’Écosse et d’Irlande, et, en cette qualité, Sérénissime Grand Maître du Chapitre de Hérédon, connu sous le titre de Chevalier de l’Aigle, du Pélican, et, depuis nos 10 malheurs et nos infortunes, sous celui de Rose-Croix : Voulant témoigner aux Maçons artésiens combien nous sommes reconnaissant envers eux des preuves de bienfaisance qu’ils nous ont prodiguées avec les officiers de la garnison de la ville d’Arras, et de leur attachement à notre personne pendant le séjour de six mois que nous avons fait en cette ville, nous avons, en leur faveur, crée et érigé, créons et érigeons, par la présente bulle, en la dite ville d’Arras, un Souverain Chapitre primatial et métropolitain de Rose-Croix, sous le titre distinctif d’Écosse Jacobite, qui sera régi et gouverné par les chevaliers Lagneau, de Robespierre, tous deux avocats, Hazard et ses deux fils, tous trois médecins, J.B. Lucet, notre tapissier, et Jérôme Tellier, notre horloger, auxquels nous permettons et donnons pouvoir de faire, tant par eux que par leurs successeurs, non-seulement des chevaliers de Rose-Croix mais même de créer un chapitre dans toutes les villes où ils croiront pouvoir le faire, lorsqu’ils en seront requis, sans cependant par eux ni par leurs successeurs, pouvoir créer deux chapitres dans une même ville, quelque peuplée qu’elle puisse être ; et pour que foi soit ajoutée à notre présente bulle, nous l’avons signée de notre main, et à icelle fait apposer le nom secret de nos commandements, et fait contresigner par le secrétaire de notre cabinet, le jeudi 15ème jour du 2ème mois, l’an de l’incarnation 1745.” De retour en France, après avoir été défait à Culloden, le Prétendant, en reconnaissance du bon accueil qui a été fait par les maçons de Toulouse à Sir Samuel Leckhart, un de ses aides de camp, constituera en cette ville, en 1747, un chapitre sous le titre : “Les Ecossais Fidèles”. Ce chapitre, adoptera par la suite, un rite à neuf degrés, dit de la “Vieille Bru”. Indubitablement, la maçonnerie écossaise prendra une rapide extension. Saint-Martin et Willermoz ont fait le plus grand nombre de recrues à l’écossisme templier. Ce qui est exact, c’est que Louis-Claude de Saint-Martin a été d’abord un fidèle élève du mystique Jacques Martinès de Pasqually, fondateur de l’Ordre des “Élus Cohens”. Dès la publication du premier livre de Saint-Martin : “Des Erreurs et de la Vérité” (1775), il s’éloigne de Martinès et de Willermoz. Il est déjà en possession de ses grandes intuitions théosophiques, qu’il développera dans ses autres ouvrages : “Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers” (1782), “L’Homme de Désir” (1790), “Le Ministère de l’Homme Esprit” (1802). Cette vie intérieure intense est menée malgré de longs voyages en France, en Angleterre, en Italie. C’est en 1788, à Strasbourg, qu’il découvre les écrits de Jacob Boehme et les traduira en français. Le cas de Saint-Martin est assez extraordinaire. C’est d’abord un maçon mystique qui a fini par conclure à la vanité des initiations occultistes et des cérémonies théurgiques26. Jean-Baptiste Willermoz, lui est une personnalité très différente. Il est devenu franc-maçon dès l’âge de vingt ans, en 1750. Membre fondateur du Grand Orient de France en 1773, il devient une des figures les plus marquantes de la franc-maçonnerie lyonnaise qui devient le carrefour européen de la maçonnerie templière, en raison de la position géographique de la ville, au contact de l’Italie du Nord, des cantons suisses et de l’Allemagne occidentale. Il 11 s’intéresse à tous les courants hermétiques et plus particulièrement à l’ordre templier de la Stricte Observance qui, dès 1760, est très puissante en Allemagne. Elle est organisée par le baron Charles de Hund. Ce dernier ne pouvant révéler ses “Supérieurs Inconnus”, il est écarté de la grande maîtrise en 1772. Dès lors, le duc Ferdinand de Brunswick-Lunebourg devient le Grand Maître de la Stricte Observance et parmi les frères, notons Goethe et Mozart27. La franc-maçonnerie templière représente l’élite de la société de l’époque. Sa démarche a pour but de faire revivre au récipiendaire la naissance de l’Ordre du Temple, son destin tragique et sa survie secrète, ainsi que la vengeance à tirer des responsables de son martyre. Son élévation est calquée sur la chevalerie avec armure, ses costumes reconstituent ceux des Croisés. Ils attribuent neuf grades avec noms latins, blasons et devises. La Stricte Observance templière divise l’Europe en neuf provinces puis en diocèses, en commanderies, en préfectures et régénère la spiritualité de ceux qui construisent le Temple et de ceux qui ont mission de le défendre. Initié au rite templier pendant l’été 1774 à Lyon, Willermoz découvre les statuts, les rituels et les grades de l’Ordre. Il est désormais Baptista Eques ab Eremo, c’est-à-dire “le chevalier venu de la solitude”. Avec le concours de ses frères lyonnais, ils forment un Directoire Ecossais, qui a autorité sur la province d’Auvergne. Aussitôt, Jean-Baptiste Willermoz, devenu le chef d’une Province “templière”, entre en rapport avec la province de Bourgogne, dont le centre est Strasbourg et avec la province d’Occitanie, dont le chef-lieu est Bordeaux. Au milieu de 1775, une alliance est signée entre le Grand Orient de France et les trois Directoires Ecossais. De plus, il reçoit le 8 novembre 1778 une recrue de choix : Joseph de Maistre. Avec la logique qu’il met à poursuivre son œuvre maçonnique, Jean-Baptiste Willermoz convoque en 1778 à Lyon un Convent des Gaules, qui met sur pied l’Ordre maçonnique des “Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte”. Le Convent de Wilhelmsbad en 1782 sera défavorable à la reconnaissance d’une filiation temporelle entre templiers et francs-maçons. En désavouant l’origine templière de l’Ordre maçonnique, le rite est désormais “rectifié” et organisé définitivement. Les hauts grades du régime rectifié professent l’esprit des templiers et sont un approfondissement de la pensée chrétienne. On voit également se développer, toujours en France, des maçonneries capitulaires autour de divers Conseils, celui de Rose-Croix, des Chevaliers d’Orient, puis celui des Empereurs d’Orient et d’Occident. Parallèlement à J.B. Willermoz, Estienne Morin, négociant en vins à Bordeaux, sera l’artisan émérite du rite de perfection28. Morin quitte Bordeaux au printemps de 1762. Le bateau sur lequel il voyage est pris par les Anglais, l’obligeant malgré lui à se rendre à Londres et puis en Écosse. Il parviendra le 20 janvier 1763, à Saint-Marc en l’île de SaintDomingue. Muni du pouvoir de propager en Amérique les hauts grades 12 écossistes, il y rencontre Andrew Francken, dont le nom passera à la postérité. Ce dernier fonde à Albany, près de New York, le 20 septembre 1767, une loge de Perfection sous le nom d’Ineffable. Francken délivre à cette loge une patente par autorité de Morin dans laquelle ce dernier est qualifié de Grand Inspecteur de toutes les loges affiliées aux degrés supérieurs de la maçonnerie, du Maître Secret au 29ème degré, et confirmé par le Grand Conseil des Princes Maçons, dans l’île de la Jamaïque. Les degrés de ce rite sont transcrits dans plusieurs recueils, rédigés à la main par Francken, lesquels contiennent les textes réglementaires ainsi que les rituels écossistes. Installé à Kingston depuis 1765, cité de l’exquise île de la Jamaïque, Morin rejoint l’Orient éternel en 1771. Grâce à Estienne Morin, sur le continent américain, à Charleston, en Caroline du Sud, apparaît désormais le 31 mai 1801, le premier suprême conseil du rite écossais ancien et accepté avec 33 degrés. Les Constitutions, statuts et règlements établis le 1er mai 1786 sont révisés par le Convent Universel des Suprêmes Conseils réunis à Lausanne et adoptés dans sa séance plénière du 22 septembre 1875. Le rite écossais ancien et accepté est le plus répandu dans le monde. Loin du sérieux manifesté par les illustres Jean-Baptiste Willermoz et Estienne Morin, les Mesmer, Cagliostro, Saint-Germain, et autres, amèneront dans les loges une foule de superstitions et traîneront derrière eux une poussière de supercheries peu glorieuses. A telle enseigne, que de nombreux francs-maçons n’hésiteront pas à s’attribuer, contre espèces et monnaies trébuchantes, certains grades supérieurs. C’est dans un contexte de rivalités et de foisonnements cabalistiques, alchimiques, magiques, mystiques, occultistes, théurgiques que le Grand Orient de France réforme et rationalise les usages maçonniques. Le 26 juin 1773, les statuts de l’Ordre du Grand Orient de France sont adoptés, sous la présidence du duc de Luxembourg et sous les auspices de la Grande Loge Nationale. Il crée une première Commission le 27.12.1773 pour examiner les grades écossistes. Une seconde Commission est à nouveau établie le 24.3.1776. Le Grand Orient de France institue le 18 juin 1782 une Chambre de grades et adopte le 19 mars 1784 les statuts et règlements généraux du Grand Chapitre Général de France, comprenant les trois grades du rite obédientiel : Apprenti, Compagnon et Maître ; et les quatre ordres capitulaires29 : Élu Secret, Grand Élu Écossais, Chevalier d’Orient, et Chevalier de Rose-Croix. Le 7.4.1786, apparaît le rite moderne en sept grades. Cette régulation d’ensemble fournit des rituels qui conservent les anciens usages dans leur antique et respectable tradition. Le 2 Février 1784, sept Chapitres de Rose-Croix établis à Paris (La Réunion des Amis Intimes, Les Amis Intimes, Les Frères Unis de Saint-Henri, L’Amitié, L’Harmonie, Salomon et la Trinité) constituent le Grand Chapitre Général de France sous la présidence de J.L. Graffin, avocat, huissier et commissairepriseur. Il en résulte d’une part, que ces sept Chapitres de Rose-Croix sont établis dans la même ville contrairement au principe originel, et d’autre part, 13 que ses membres fondateurs étaient dépourvus d’une quelconque affiliation avec le Souverain Chapitre primatial et métropolitain de Rose-Croix fondé en 1745 par Charles Édouard Stuart. Le 24 Mars 1785, suivant les uns, le 24 Septembre 1785, suivant les autres, le Grand Chapitre Général de France scelle un pacte d’union en treize articles avec le Grand Chapitre de France présidé par le Dr Humbert Gerbier de Werschamp, médecin et conseiller du roi. Il s’avère que la patente du Grand Chapitre de France avait été fabriquée à la demande expresse du Grand-Maître perpétuel et par les soins d’un marchand d’ornements maçonniques qui demeurait place Dauphine. Cette patente avait été revêtue de signatures déraisonnables dans un cabaret, près du grand Châtelet. Quelle que soit la sonorité des noms aristocratiques dont retentirent alors les voûtes du Grand Chapitre Général de France naissant au sein du Grand Orient de France, il est bon de rappeler à tous les chevaliers de Rose-Croix les exigences morales avec lesquelles se doivent d’agir tous les francs-maçons. La franchise et la bienveillance demeurent l’apanage de francs-maçons, plus humbles sans doute, mais en même temps plus soucieux de leur dignité, plus fidèles à la foi jurée. A la veille de la Révolution, beaucoup de loges avaient pour Vénérables des abbés, des chanoines, des bénédictins, des cisterciens. Même la loge parisienne des Neuf Sœurs, véritable lieu de rencontre des philosophes, constituée en 1776 par le mathématicien Jérôme Lalande, et le bénédictin Robin30, ne comptait pas moins de treize ecclésiastiques. Les plus grands noms s’y retrouvaient : le prince Camille de Rohan, futur Sénéchal de l’Ordre de Malte, le docteur Guillotin, promis à une fâcheuse notoriété, Sieyès, Camille Desmoulins, Danton, Condorcet, Lacépède, Cabanis, le sculpteur Houdon. La plupart des loges françaises avaient leur aumônier. Les jours de fêtes maçonniques, les francs-maçons se rendaient à la messe. On faisait chanter des services funèbres pour les frères défunts. La loge des Neuf Sœurs, citadelle des “Lumières”, fit chanter un Te Deum pour le rétablissement de la santé du duc de Chartres, un moment altérée. A la réception de François-Marie Arouet, dit Voltaire, dans la loge “les Neuf Sœurs”, le matin du 7 avril 1778, dans la salle de l’ancien noviciat des jésuites située rue du Pot-de-fer à Paris, ce fut le chanoine Cordier de Saint-Firmin qui eut la faveur de le proposer à l’initiation. Cette démarche singulière31, si naturelle à chatouiller l’amour-propre de Voltaire, fut de courte durée. Voltaire32 était alors âgé de 84 ans. La chronique de l’événement décrite bien plus tard, mais avec beaucoup de fidélité par le frère Juge, nous apprend que la salle était richement ornée de tentures bleues et blanches ; que plus de deux cent cinquante visiteurs décoraient les colonnes ; que la cérémonie s’est déroulée sous la présidence de son Vénérable, le célèbre astronome et physicien Jérôme Lalande et, qu’à ses côtés, on pouvait apercevoir, entre 14 autres, le buste du Grand Maître du Grand Orient de France, le duc de Chartres, futur duc d’Orléans, futur Philippe Égalité, ainsi que le buste du philosophe Helvétius, qui mort bien avant l’inscription officielle de cette loge, figure dans le tout premier tableau de ses membres fondateurs. Il faut bien avouer qu’il n’a jamais été question, ce mardi 7 avril 1778 à Paris, d’une cérémonie d’initiation, mais uniquement de réception. Cet événement maçonnique de celui qui était considéré comme l’un des esprits les plus éclairés, les plus remarquables de l’époque, a été, en dépit du secret, largement diffusé, de sorte qu’il a eu un impact considérable. Assurément, la franc-maçonnerie connaissait alors l’une de ses périodes les plus fastes ; selon Marie-Antoinette : “Tout le monde en était”33. On comptait déjà, à travers la France, six cent cinquante loges ; sans pouvoir dénombrer avec exactitude les loges féminines d’adoption, et qui, depuis que le Grand Orient de France leur avait donné son aval, n’arrêtaient pas de se créer34. Néanmoins, la cérémonie d’admission de Voltaire avait quelque chose de particulier. En dehors de la personnalité du nouveau membre de la loge des Neuf Sœurs et des illustres figures dans l’assistance dont celle de Benjamin Franklin, l’ambassadeur des Insurgents d’Amérique, les questions qui furent posées à Voltaire étaient d’ordre philosophique. Il y répondit brillamment ; ensuite, le poète Roucher, très en vogue, y lut un poème ; on y présenta un ouvrage scientifique ; un ordre du jour vraiment intéressant en ces temps. Certes, le nom d’une femme y fut prononcé. Lorsqu’on remit à Voltaire les gants blancs, il se tourna vers le marquis de la Villette, en lui disant : “Puisque ces gants sont destinés à une personne pour laquelle on me suppose un attachement honnête, tendre et mérité, je vous prie de les présenter à Belleet-Bonne”. Cette Belle-et-Bonne n’était autre que sa jeune filleule, récemment mariée au marquis de la Villette. Cinquante-trois jours plus tard, le 30 mai 1778, Voltaire mourait. Seule la loge des Neuf Sœurs décida de lui rendre l’éloge habituel, le 28 novembre 1778. Or, à cette cérémonie, pour laquelle tous les frères étaient décorés des ornements maçonniques, on voit participer, pour la première fois dans l’histoire de la franc-maçonnerie française, deux femmes. Il s’agit de la marquise de la Villette, et de Madame Denis, la nièce et la compagne de Voltaire, à la fin de sa vie. Mais les défunts, même glorieux, passent vite. C’est aux vivants que l’on s’intéresse. Le discours du frère Roucher, d’une impiété ostentatoire, lors de la cérémonie funèbre dans le temple du Grand Orient de France, vint aux oreilles du roi, dès le lendemain. Le Grand Orient réagira dans les quarante-huit heures. Il retira à la loge l’usage spacieux du temple de la rue du Pot-de-fer. Mais pendant tout le temps que dura cette interdiction, les frères de la loge se retrouvaient quand même. Une question se pose, où donc se réunissaient-ils ? Semble-t-il au pavillon de Madame Helvetius35, connu sous le vocable de la 15 dame d’Auteuil. A l’endroit même que le Mémoire du Grand Orient de France, indiquant les griefs principaux retenus contre la loge des Neuf Sœurs, mentionne, pour “une publicité non appropriée d’une fête maçonnique donnée”. Vinrent les États Généraux et 1789. Tout ce que Paris comptait de conspirateurs et d’agitateurs se retrouva bien vite dans les loges maçonniques. Louis Philippe, duc de Chartres, Grand Maître du Grand Orient de France installé depuis 1773, finança les émeutes de 14 juillet, durant la prise de la Bastille. La Révolution nobiliaire de 1789 proposa toute une série de réformes souhaitables, mais les Cahiers de Doléances de février 1789 demandaient pour la plupart la dissolution des Corporations. L’un des Constituants, Isaac Le Chapelier, membre de la loge la Parfaite Union de Rennes, fit voter le 14 juin 1791 une loi supprimant les règles corporatives et interdisant toute coalition professionnelle. Il faut donc admettre que dès l’automne 1793, la quasi-totalité des loges françaises furent fermées. Les rares loges qui continuaient à se réunir épisodiquement n’avaient de maçonnique que le nom, car elles étaient devenues de simples clubs politiques. Hélas, trois fois hélas, entre 1793 et 1794, nombre de personnalités maçonniques furent arrêtés et montèrent à l’échafaud. La Convention chargea Barrère d’ouvrir une enquête sur les activités suspectes des loges. C’est également au pavillon de la sublime dame d’Auteuil36, qu’en 1793, le médecin Georges Cabanis distribua entre quelques francs-maçons, “afin qu’ils restent libres de leur destin” ce qu’il appela “le pain des frères” : du poison mélangé à une dose d’opium. Nicolas de Condorcet en reçut sa part et l’utilisa peu après. Et ce fut dans ce même pavillon que vinrent se cacher un certain nombre de persécutés. C’était l’hécatombe37, toujours au nom du bonheur général imposé. Beaucoup de frères eurent la tête tranchée par l’horrible invention du docteur Guillotin, qui soit dit en passant, lui aussi fut membre de la loge des Neuf Sœurs. Chamfort, Condorcet et bien d’autres se suicidèrent, victimes de cette Révolution qu’ils avaient appelée de leurs vœux. Ce n’est qu’en 1795 que les francs-maçons français purent se réunir. Alexandre-Louis Roettiers de Montaleau, ancien directeur de la Monnaie, se dévoua au Grand Orient de France pour rassembler ce qui était épars. Ce grand personnage, qui refusa la Grande Maîtrise, descendait d’une famille attachée aux Stuart : son bisaïeul, sous Charles II, fut graveur général des monnaies de Grande-Bretagne ; son grand-père abandonna cette charge pour le suivre en France. Son père, quant à lui, fut porté sur les fonts baptismaux, à Saint-Germain, par Jacques III, chevalier de Saint-Georges, le Prétendant. Grâce à son vénérable courage et ses dispositions extraordinaires, AlexandreLouis Roettiers de Montaleau sauva certaines archives du Grand Orient de France en 1792, les préservant du vol et de l’incendie. Toujours est-il que le réveil du rite français fut de courte durée. Cette époque 16 vit s’établir le rite écossais ancien et accepté, venu des îles françaises d’Amérique. Ratifiés le 31 mai 1801, sous l’égide du Suprême Conseil de Charleston en Amérique du Nord, les 33 degrés furent introduits à Paris en 1804 par le comte de Grasse de Rouville, marquis de Tilly. Si dans un même jardin, toutes les essences peuvent pousser et fleurir, les dignitaires du Grand Orient de France, en adoptant les hauts grades du rite écossais ancien et accepté, renoncèrent progressivement à pratiquer les hauts grades du rite français. Il faut bien reconnaître que le rite français38 du Grand Orient de France est semblable au rite écossais en sept grades pratiqué en 1751 par la loge Saint Jean d’Écosse. En 1762, cette loge souveraine prit le nom de Mère Loge Écossaise de France à l’Orient de Marseille et devint très vite la rivale de la Grande Loge de France dite “de Clermont”. En 1811, elle comprenait 400 membres, et ses loges filles en Provence, au Levant, aux îles et même en Italie témoignaient de son rayonnement. Elle organisa le rite écossais39, comprenant les trois grades de la maçonnerie bleue : Apprenti, Compagnon et Maître ; et elle institua le Grand Souverain Chapitre Ecossais comprenant les quatre hauts grades de la maçonnerie écossaise : Maître Élu dit des Neuf, Maître Parfait Ecossais dit Vrai d’Ecosse, Chevalier de l’Epée dit de l’Orient ou de l’Aigle, Souverain Prince de Rose-Croix. En 1814, la Mère Loge Écossaise de France à l’Orient de Marseille fut compromise avec les cadres de l’empire napoléonien et ses travaux se terminèrent après l’exil de leur vénérable Thibaudeau. Tout comme un symbole pour marquer l’envol de l’Aigle et du Pélican vers d’autres cieux, le Souverain Chapitre primatial et métropolitain de Rose-Croix d’Arras et la Mère Loge Écossaise de France à l’Orient de Marseille disparurent quelques années plus tard40 sans avoir jamais consenti à se dessaisir de leur titre originel. Tel est le caractère principal de l’histoire du rite français. Que nous transmet ce rite ? Il souligne son attachement aux fondateurs de la maçonnerie moderne et au-delà des mythes et des emblèmes. Force est de reconnaître que l’inventaire est cohérent : respect des règles morales, transmission d’une culture fraternelle, cérémonies d’admission, de pratiques solennelles, d’une emblématique liée au métier, enfin, des signes, mots, attouchements. Le rite français conserve les anciens usages et les éléments de base survenus au cours du XVIIIe siècle comme les voyages conduits par le “Frère Terrible”, les purifications, les épreuves telles que celles du sang et du calice d’amertume, le cercle d’épées, le coussin sur lequel est tracée une équerre, la dénomination loge Saint-Jean, le compas, l’étoile à cinq branches, le soleil, la lune et le maître de la loge41, la remise de deux paires de gants et du tablier, l’indication de la marche du grade qui s’exécute du pied droit, la communication du mot J, le signe guttural, le signe pectoral, la batterie par trois coups dont les deux premiers sont plus rapprochés, et enfin l’instruction 17 du tableau de loge. Le rite français se distingue même lorsqu’on s’adresse au Vénérable, il convient donc de réserver la locution “Très Vénérable”. Tous les Maîtres sont couverts d’un chapeau de ville, de couleur sombre. Il faut se rendre à l’évidence : tout ce corpus emblématique témoigne d’une tradition et d’un échelonnement des valeurs maçonniques. Il est important de préciser que le serment des trois premiers grades est prêté sur le glaive, symbole de l’honneur, posé sur l’évangile de Saint-Jean et devant le Grand Architecte de l’Univers. Evidemment, le G.A.D.L’.U. n’est pas un simple concept, il ne relève pas d’une assertion fonctionnelle, et il est encore moins un objet. Le rite français lui confère une définition claire et précise : il symbolise le Verbe qui régit la marche de l’Univers. En ce sens, l’espace sacré est exalté dans ces rituels et cela sans exclusive. On comprend dès lors pourquoi, lors de la réception, le profane doit répondre à une question par : “Ma force est en Dieu”. Contrairement à certaines mauvaises applications, les mots sacrés ne doivent pas être prononcés, ni lus, ni écrits, et cela au même titre que le tétragramme sacré. Notons que les purifications du premier grade par l’eau et le feu sont le témoignage johannique d’un processus initiatique entrepris depuis le Moyen Age par les bâtisseurs. Au grade d’Apprenti : inspiré de la maçonnerie anglaise, l’Orient représente le Soleil, la Lune et le Maître de la loge. Une bougie de cire blanche se trouve sur le plateau du Vénérable. Les trois lumières qui éclairent la loge sont en fait sur les trois colonnes (1x3). Le second Surveillant se trouve au pied de la colonne J, laquelle est à gauche en entrant. Les Apprentis siègent au Septentrion. Ils sont âgés de trois ans et reçoivent leur salaire près de la colonne J. Le maître de la loge se nomme Très Vénérable. Au grade de Compagnon : six lumières éclairent la loge. Elles sont situées sur les trois colonnes (2x3). Le premier Surveillant se trouve au pied de la colonne B, laquelle se trouve à droite. Les Compagnons siègent au Midi. Ils sont âgés de cinq ans et reçoivent leur salaire près de la colonne B. Trois fenêtres sont décrites à l’Orient, au Midi, à l’Occident. Le maître de la loge se nomme Très Vénérable. Au grade de Maître : neuf lumières éclairent la loge. Elles sont situées sur les trois colonnes (3x3). Les Maîtres siègent au Septentrion ou au Midi. Ils sont âgés de sept ans et plus et reçoivent leur salaire dans la chambre du milieu. Trois portes sont décrites à l’Orient, au Midi, à l’Occident. Le maître de la loge se nomme Très Respectable. Au grade d’Élu Secret : une bougie jaune dans un chandelier est placée dans le premier appartement ; dans le deuxième appartement six grandes lumières sont disposées sur le mur, et un chandelier à neuf branches se trouve du côté du Midi. Les Élus Secrets sont âgés de neuf semaines sur sept ans. Le maître 18 de la loge se nomme Très Sage ; le premier Surveillant “Grand Inspecteur” ; le second Surveillant “Sévère Inspecteur”. Au grade de Grand Élu Écossais : une bougie jaune dans un chandelier est placée dans le premier appartement ; dans la voûte secrète, vingt sept lumières éclairent la loge en trois groupes de 9 (un groupe de neuf lumières près de l’Orient, trois par trois, du côté Midi ; un groupe de neuf lumières à l’Occident, par huit et un, près du premier Grand Surveillant ; un groupe de neuf lumières à l’Occident, sur deux lignes par six et trois, près du second Grand Surveillant). Sept lumières sur un chandelier à sept branches en or éclairent la troisième chambre, appelée le Temple dans sa perfection. Les Grands Élus Écossais sont âgés de neuf ans. Le maître de la loge se nomme Très Grand ; le premier Surveillant “Premier Grand Surveillant” ; le second Surveillant “Second Grand Surveillant”. Au grade de Chevalier d’Orient : une bougie jaune dans un chandelier est placée dans le premier appartement ; dans le troisième appartement soixante dix lumières éclairent la loge en dix groupes de sept. Les Chevaliers d’Orient sont âgés de dix semaines d’années. Le maître de la loge se nomme Souverain Maître ; le premier Surveillant “Premier Général” ; le second Surveillant “Second Général” ; l’orateur “Grand Orateur” ; le secrétaire “Grand Maître des Dépêches” ; le garde des sceaux “Grand Maître Garde des Sceaux” ; le trésorier “Grand Maître des Finances” ; le maître des cérémonies “Grand Maître du Palais”. Au grade de Rose-Croix : une bougie jaune dans un chandelier est placée dans le premier appartement ; dans le deuxième et le quatrième appartement trente trois lumières éclairent la loge en trois groupes de onze. Les chevaliers de Rose-Croix sont âgés de trente trois ans. Le maître de la loge se nomme Très Sage et Parfait Maître ; le premier Surveillant “Très Excellent et Parfait Premier Surveillant” ; le second Surveillant “Très Excellent et Parfait Second Surveillant” ; les officiers “Très Puissants et Parfaits” ; les chevaliers “Très Respectables et Parfaits”. Le dernier grade du rite français comprend tout ce qui est relatif à la RoseCroix. Le symbole de la croix engendre la rose. C’est aussi poser la rose des vents sur la croix des saisons. D’ailleurs la croix place l’homme au centre de l’univers et la rose place le cœur au centre de l’homme. La rose au centre représente le monde physique sublimé et l’épreuve de la croix surmontée fait passer de la matière à l’esprit. Cette dernière exaltation est l’axe et le sommet du rite, avec le nombre sept. Ce nombre est le plus élevé des grades symboliques en raison de sa haute valeur traditionnelle. Les sept marches du Temple invitent le récipiendaire vers la maîtrise de soi-même ; la réunion du nombre 4 et 3 représente la perfection ; sept frères rendent une loge juste et parfaite. Le serment des quatre derniers grades est prêté sur le glaive, symbole de l’honneur, posé sur le livre de la Sagesse et devant le Grand Architecte de l’Univers. 19 L’honnêteté obligerait de dire, ce qui ne semble pas toujours dit, que le rite français, anciennement rite écossais en sept grades, demeure indiscutablement la meilleure bibliothèque de l’art royal. Les chevaliers de Rose-Croix sont en fait les gardiens intemporels de la tradition primordiale. Les anciens usages sont éprouvés, logiques, codifiés et conservés. Par la suite, les “Frères troispoints” du Grand Orient de France42 les ont altérés. La meilleure façon de revenir aux sources et à la tradition des maçons d’autrefois, c’est de se reporter sans cesse aux anciens documents pour travailler avec les principes de la franc-maçonnerie moderne. Ils s’adressent particulièrement aux agnostiques épris de spiritualité et aux croyants dénués de sectarisme, car le franc-maçon demeure l’ami du pauvre et du riche, s’ils sont vertueux43. D’après cette définition, la meilleure attitude du franc-maçon paraît donnée par Théodore Roosevelt, Président des Etats-Unis (1933-1944), lequel demanda à son Secrétaire d’Etat Root depuis combien de temps il se tenait à l’écart des Loges ? “Longtemps” répondit ce dernier. “Eh bien, dit Roosevelt, allons ce soir dans ma Loge. Il y a un excellent Vénérable ; c’est le jardinier de mon voisin.” Au point de vue historique, et par préalable, la franc-maçonnerie universelle, chantée par Kipling, est une véritable institution fraternelle, spirituelle et humaniste. Elle conserve la tradition en ses principes et son origine. _______ 1. Même de nos jours, les Hospitaliers n’oublient pas cependant leur mission d’assistance. En 1676, l’Ordre avait fondé une école d’anatomie et de chirurgie, ainsi qu’un jardin botanique où étaient cultivées, puis mises en pots, des dizaines de plantes. L’Hôpital de la Valette, qui possédait un excellent service chirurgical (l’aseptie y était pratiquée méthodiquement) pouvait accueillir jusqu’à 900 malades en cas d’urgence. Les patients étaient servis dans de la vaisselle d’argent, non par luxe, mais parce que ce 20 métal est un antiseptique puissant. Pour lutter contre les épidémies, les Hospitaliers avaient mis au point un système efficace de quarantaine. Les certificats de quarantaine délivrés par le Grand Maître faisaient autorité dans tout le bassin méditerranéen. Avec les Sacrées Infirmeries, les hôpitaux de l’Ordre, à Rhodes, à Malte et à La Valette eurent une excellente réputation. 2. Quelle mystérieuse rencontre que celle des Hospitaliers et des Compagnons au siège de Rhodes en 1480. Ce n’est pas surprenant que les Maçons, bâtisseurs des rosaces des cathédrales aient pris le symbole de la rose. Au Moyen Age, la rose fut le symbole du secret. Ce qui est dit “sous la rose” (sub rosae) signifiait sous le sceau du secret. D’où l’expression découvrir le “pot aux roses”. Vers le XIIe siècle, l’emblème de la Rose-Croix est issu du comte Raymond IV de Toulouse. La croix rouge de saint Georges rappelle l’importance de la traditionnelle fête du Livre et de la Rose en Catalogne et l’apparition de l’Ordre de la Jarretière en Angleterre. Signalons que le grand collier de l’Ordre est composé de roses blanches, de roses rouges et des chardons, dont, précise-ton, la plante recueille, par ses cavités, la “rosée”. 3. L’île de Rhodes (rosa vient du grec rhodos), appartenant jadis aux chevaliers de Malte, doit son nom à la prolifération des roses. Ajoutons que la couleur rose ne fait pas partie des sept couleurs naturelles provenant de la décomposition de la lumière par le prisme. Paracelse (1493-1541), le père de la médecine hermétique, emploie le symbole de la rose pour décrire la régénération de l’homme : la nature entière peut s’ouvrir à nos yeux, l’univers se présente ainsi comme un texte à déchiffrer. Cette recherche puise ainsi “à l’ensemble des facultés, des sciences, des arts, de la nature entière”. Autrement dit, c’est la lecture des secrets de la nature pour se consacrer essentiellement à la recherche de la Médecine universelle. 4. Soit dit brièvement, les “Quatre Couronnés” furent quatre sculpteurs martyrisés sous Dioclétien pour avoir refusé de fabriquer des idoles. Une Loge londonienne porte précisément le nom d’Ars Quatuor Coronatorum, elle est d’ailleurs célèbre par ses précieuses contributions érudites à l’histoire de la franc-maçonnerie. 5. Aitchison’s Haven, Édimbourg, Haddington, Kilwinning, Stirling, Saint Andrews, Dunfermline, Glasgow, Dundee, Dumfries. 6. Nommé par le roi Jacques Ier en 1607, Intendant Général des bâtiments de la Couronne et Grand Maître d’Angleterre avec mission de présider les loges. 7. Abréviation de freemen masons. Le terme de freemason 21 ne signifie pas autre chose que maçon libre, c’est-à-dire ayant accompli valablement son apprentissage et ayant acheté le métier. 8. Chalmers I. Paton, The origin of freemasonry, the 1712, theory exploded. Londres, 1871. 9. Les Anciens Devoirs de la maçonnerie opérative anglosaxonne. 10. Chevalier, Maître ès-arts du collège de Wadnam, professeur d’astronomie à Oxford, docteur de droit civil, président de la Royal Society. 11. Professions. 12. Bernard Oudin, Histoires de Londres, Paris, Ed. Perrin, 2003. 13. Prédicateur attaché à la cour du Prince de Galles. Né à la Rochelle, fils d’un pasteur huguenot réfugié en Angleterre, il a été reçu maçon accepté vers 1714 par la loge Saint Paul. Élu Grand Maître le 24 juin 1719, il présida la réception de S.A.R. Frédéric, Prince de Galles, en 1737, dans une loge réunie au palais de Kew. 14. Dates des cinq éditions : 1723, 1738, 1756, 1767, 1784. 15. Né à Aberdeen (Écosse), il devint en 1710 ministre d’une église presbytérienne de Londres, là où le père de J.T. Désaguliers avait exercé son ministère. Cette église accueillait de nombreux huguenots d’origine française. Comme de nombreux investisseurs, James Anderson, perdit presque toutes ses économies dans le krach financier de 1720, relatif à la faillite de la Compagnie des Mers du Sud. En 1721, la Grande Loge de Londres le chargea de la rédaction des Constitutions parues en 1723. Tout en continuant son ministère, il fut Vénérable de la loge n°17. 16. Maçons Anciens d’York. 17. Dates des quatre éditions : 1756, 1764, 1778, 1787. 18. Député Grand-Maître de la Grande Loge des Maçons Anciens d’York. 19. Les amis du pasteur Jean-Théophile Désaguliers provenaient en grand nombre de la Royal Society. Évidemment, les dix premiers Grands Maîtres de la Grande Loge de Londres appartenaient à la Royal Society. Cette influence était ressentie par les Anciens comme une confiscation de la Corporation. 20. Jacques II Stuart, après sa capitulation à Limerick, se réfugie en France, au château de Saint-Germain-en-Laye et ce n’est qu’en 1713, Louis XIV l’ayant abandonné au traité d’Utrecht, qu’il dut quitter Saint-Germain et se réfugier dans l’État Pontifical à Rome. 21. Que les Stuart se soient servis des Loges dans un dessein politique est fort probable. D’ailleurs, le général 22 Monk, principal artisan de la Restauration de 1660, était un “maçon accepté” de la loge opérative d’Édimbourg. 22. Sous l’autorité de Pény Martin, la Grande Loge de France dite “de Clermont” se maintiendra en activité jusqu’au seuil de la Révolution. Elle abandonna tous ses pouvoirs au Grand Orient de France le 21 mai 1790. 23. Devenus par la suite chevaliers de Rhodes et enfin chevaliers de Malte. 24. Que l’on ne doit pas confondre avec l’Ordre de la RoseCroix de Johann-Valentin Andreae (1586-1654), abbé d’Adelberg (Allemagne). Il publia en 1616 les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, personnage mythique signifiant le Chrétien à la Rose et à la Croix. Au cours d’un voyage et de la visite d’un château, Johann-Valentin Andreae retrace les étapes de l’œuvre alchimique. Dans ce conte allégorique apparaît “une femme d’une merveilleuse beauté, dont la robe, toute bleue, était constellée gracieusement d’étoiles d’or comme le firmament”. Sur l’Ordre de la Rose-Croix, la meilleure réponse paraît donnée par Fulcanelli, alchimiste du XXe siècle, célèbre auteur des Demeures Philosophales : “Les adeptes porteurs du titre, sont seulement frères par la connaissance et par le succès de leurs travaux. Comme les adeptes ne reconnaissent aucun degré hiérarchique, il s’en suit que la Rose-Croix n’est pas un grade, mais la seule consécration de leurs travaux sur la sagesse depuis les origines.” 25. François Favre, Documents maçonniques recueillis et annotés, Paris, A. Teissier, 1866. 26. Le philosophe et franc-maçon, Joseph de Maistre s’exprime ainsi : “Les sociétés d’illuminés sont surtout fréquentes chez les protestants. Les esprits religieux n’étant pas satisfaits de la Réforme cherchent quelque chose de plus substantiel et s’attachent à des idées mystiques”. 27. Mozart souhaita instaurer l’ère nouvelle de la francmaçonnerie mixte en lui proposant une tradition égyptienne. Il avait bien représenté une initiation double, masculine et féminine, dans ses “Ethiopiques”, à l’exemple de Tamino et Pamina. Il commença même en rédiger les statuts, mais la mort l’empêcha de poursuivre son projet maçonnique. 28. Appelé à l’origine rite des hauts secrets par Estienne Morin. Francken le nommera plus tard rite de perfection. 29. Publiés sous le titre de régulateur des chevaliers maçons et diffusés par les libraires de Paris : Caillot et Brun. 30. Inscrit au tableau des Officiers et des membres fondateurs du Grand Orient de France. 31. Dans son Dictionnaire philosophique (1764), à l’article “ initiation”, Voltaire parle avec dédain de “nos pauvres francs-maçons”. 23 32. On dit même qu’à Londres, Voltaire, avait été en étroites relations avec certains cercles maçonniques, étant le protégé de lord Bolingbroke et de lord Chesterfield, lesquels organisèrent une collecte pour traduire et imprimer son “Henriade” et allèrent jusqu’à le présenter au roi Georges Ier. Cependant, Montesquieu avait bel et bien été initié à Londres par le même lord Chesterfield ; il avait publié les “Lettres persanes”, et en Europe de nombreuses têtes couronnées lisaient, le crayon à la main, “L’Esprit des lois”. 33. La mouvance maçonnique française de l’époque, ouverte aux influences mystiques, se rapprochait plus du New Age de la fin du XXe siècle. 34. On peut dire qu’en 1774, lorsque le Grand Orient récupéra les loges féminines d’adoption, il ne faisait que suivre, et non devancer une tendance générale. Certes, à ce moment le rituel fut changé, on n’était plus à l’Orient mais à son climat, et la Vénérable de la loge siégeait en Asie, mais ce rituel établi par des frères instruits et dévoués ne manquait pas d’élévation, et s’il était éternellement question de la pomme, du serpent, d’Adam et Ève, on y faisait aussi allusion à l’arche et aux traditions noachites. 35. Née en Lorraine en 1719, au château de Ligniville, Madame Helvétius a eu 20 frères et sœurs. Sa famille, les Ligniville d’Auricourt, était d’une haute lignée, mais sans fortune. Grâce à la bonté d’une parente, Madame de Graffigny, la jeune fille évita d’entrer dans un couvent. C’est bien plus tard que le chemin de Mademoiselle d’Auricourt croisa celui de Claude-Adrien Helvétius, fils du médecin de la reine. 36. Beaucoup de francs-maçons très importants ont fréquenté assidûment la maison d’Auteuil. Tel Benjamin Franklin, qui avait pris, le 22 mai 1779, le premier maillet de la loge des Neuf Sœurs, à la suite de Lalande, héritant en même temps du tablier d’Helvétius. Il encouragea donc l’organisation de fêtes académiques : à l’une d’elles, Le Changeux présenta le premier baromètre enregistreur. Franklin, l’inventeur du paratonnerre, introduisit Thomas Jefferson, le futur Président des États-Unis d’Amérique. Avant de repartir, il demanda Madame Helvétius en mariage, comme l’avait fait également Turgot, de dix ans plus jeune qu’elle. Mais la dame d’Auteuil, comme ils l’appelaient, les refusa tous deux sous le prétexte poli de rester fidèle à la mémoire de son défunt. 37. Libre de son temps, de sa personne, et disponible pour la franc-maçonnerie, la princesse de Lamballe, fut malheureusement mise en pièces lors du régime de la terreur. 24 38. Le nom du rite moderne donné par le Grand Orient de France en 1786 porte également le nom de rite français. Ce régime devint public dès son édition en 1801 sous le titre de Régulateur du Maçon. 39. Rituels rendus publics en 1812. Fac-similé, Éditions du Prieuré, 1993. 40. Vers 1812-1815. 41. Le soleil, la lune et le maître de la loge s’inscrivent ainsi dans la tradition de pensée du manuscrit Graham, 1726. 42. Le Second Empire voit la pénétration d’un schisme historique dans les loges françaises. En 1877, le Grand Orient de France, à la suite d’un discours du pasteur protestant Desmons, supprime la formule “A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers”, considérée comme attentatoire à la liberté de pensée. Dès lors, le Grand Orient de France s’oriente vers des activités profanes, plus particulièrement politiques, et vers l’anticléricalisme de combat. De ce fait, il cesse par la-même d’être un corps maçonnique régulier. Désormais, la Grande Loge Unie d’Angleterre rompt tout contact avec le Grand Orient de France. 43. La Franc-maçonnerie est un Ordre initiatique, philosophique et fraternel. Cet Ordre est apolitique, non religieux, et bien entendu : non-sectaire. Ce qui ne veut pas dire que chaque membre est tenu de ne pas avoir d’opinion politique, syndicale, ou de ne pas pratiquer une religion. Chacun est libre de ses pensées et de ses engagements dans le monde profane. Dans le Temple, il est avant tout uniquement franc-maçon. Etant donné que toutes les professions, toutes les nationalités, la plupart des courants politiques ou religieux, se côtoient dans la plus grande convivialité, imaginez ce qui arriverait si chaque membre faisait état de ses convictions au mépris de celles des autres. BIBLIOGRAPHIE -Cahiers des Travaux de la Loge nationale de recherches Villard de Honnecourt (Grande Loge Nationale Française). -Jean-Emile Daruty, Recherches sur le R.E.A.A., précédées d’un historique de l’origine et de l’introduction de la Francmaçonnerie en Angleterre, en Ecosse et en France, Demeter, 1988. -François Guy Hourtoulle, Franc-maçonnerie et Révolution, Editions Carrère, 1989. 25 -Les Constitutions d’Anderson, (traduit par De La Tierce 1742), Editions Romillat, 1993. -Patrick Négrier, Textes fondateurs de la Tradition maçonnique, 1390-1760, Editions Grasset & Fasquelle, 1995. -Jean Palou, La Franc-maçonnerie, Payot 1964. -Roger Priouret, La Franc-maçonnerie sous les Lys, Grasset, 1953. -David Stevenson, Les Origines de la Franc-maçonnerie, le siècle écossais 1590-1710, Editions Télètes, 1993. Henri RAMONEDA Tous droits de reproduction interdits – 2010 ISBN 2- 9517056-0-3 26