La pierre des maçons d`autrefois

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La pierre des maçons d`autrefois
La pierre des maçons d’autrefois
Henri RAMONEDA
Tous droits de reproduction interdits – 2010
ISBN 2- 9517056-0-3
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L’Ordre des Francs-Maçons est une association d’hommes sages et
vertueux, dont l’objet est de vivre dans une parfaite égalité,
d’être intimement unis par les liens de l’estime, de la confiance et
de l’amitié, sous la dénomination de Frères, et de s’exciter les uns
les autres à la pratique des vertus.
D’après cette définition, il est de la sagesse et de l’intérêt de
toutes les Loges de n’admettre à la participation de nos Mystères,
que des sujets dignes de partager tous ces avantages, capables
d’atteindre le but proposé, et dont elles n’aient point à rougir aux
yeux des Maçons de tout l’Univers.
Le Régulateur du Maçon, 1801.
L’histoire du rite français est naturellement indissociable de l’histoire de la
franc-maçonnerie. Afin d’éclairer la compréhension de ce rite, il paraît
nécessaire de relever les principaux évènements marquants de son histoire,
car il n’existe pas de définition propre ni unique pour les rites maçonniques en
général.
On a fait des maçons les héritiers des maîtres d’œuvre babyloniens, égyptiens,
grecs et romains. Incontestablement, de nombreux historiens associent la
maçonnerie opérative aux guildes de bâtisseurs. Les origines historiques de la
maçonnerie médiévale ont suscité d’innombrables travaux plus ou moins
sérieux. Il est généralement admis qu’au Moyen Age, le métier de tailleur de
pierre implique de se déplacer d’un chantier à un autre.
A cette époque, l’artisan mène bien souvent une vie nomade, mouvementée et
imprévisible. Il doit quitter sa famille et rejoindre ses compagnons pour la
durée d’un chantier. Par obligation, une forme organisée du métier se met
progressivement en place. La guilde des métiers devient une fraternité,
formant en quelque sorte une famille, liée par des intérêts communs et
renforcée par des serments. L’enseignement est donné en loge, c’est-à-dire
dans le local où se réunissaient les maîtres d’œuvre ; elle trouve place dans le
chantier même de l’édifice religieux car elle n’existe que pour la durée des
travaux.
Les guildes de bâtisseurs apparaissent vers le XIIIe siècle en Italie, en
Allemagne, en France, et en Grande-Bretagne. Ces corporations artisanales,
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sont destinées non seulement à défendre les privilèges du métier de bâtisseur
mais aussi à conserver les secrets du métier. Les textes nous confirment
l’existence en 1275 d’un véritable congrès de “maçons” à Strasbourg pour
décider la continuation des travaux, longtemps interrompus, de la cathédrale.
Erwin de Steinbach fut nommé architecte en chef des travaux et maître en
chaire.
Aux côtés des guildes, il faut également mentionner les confréries. L’Ordre des
Frères Pontifes, fondé en 1176, a eu une importance significative. Il semble
bien que les Frères Pontifes, en 1265, bâtirent à Paris le pont Saint-Esprit,
associant charpentiers et maçons. Cet Ordre s’incorpora à celui de Saint-Jean
de Jérusalem en 1278. A ce propos, Pierre d’Aubusson, Grand Maître de l’Ordre
des Hospitaliers de Jérusalem1, accueillit les Compagnons2 lors du siège de
Rhodes3 en 1480. Ces derniers étaient munis de leurs outils, emblèmes du
travail et portaient le tablier.
il convient de remarquer que les maîtres d’œuvre et leurs compagnons
manifestaient une édifiante dévotion à la religion catholique. Au cas où il
existerait encore quelques doutes à ce propos, il s’avère indispensable de citer
les statuts des tailleurs de pierre de Venise (1317) qui révèlent le désir de
contribuer : “A la gloire de Dieu et de la glorieuse Vierge Marie, toujours notre
avocate.” Il serait aisé de multiplier les citations attestant la piété des Maçons.
Les règlements des tailleurs de pierre d’Allemagne commencent par ces mots :
“Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et de la glorieuse Mère Marie, et
aussi des Quatre Couronnés4 pour mémoire éternelle.” Le texte précité stipule
également : “On ne recevra aussi dans l’Ordre aucun ouvrier ni maître qui ne
s’approche du Saint-Sacrement, et qui n’observe pas la loi chrétienne.”
Dans le même ordre de notions, plus personne ne conteste la présence des
ecclésiastiques dans les loges opératives. Ils remplissaient les fonctions de
“chapelain”. D’ailleurs, c’est un prêtre qui a rédigé en 1390 le premier poème
maçonnique connu également sous les noms de manuscrit Regius (Royal) ou
manuscrit Haliwell, du nom de son premier éditeur.
Qui sont alors ces opératifs qui pratiquaient des “métiers francs” ? L’épithète
de “franc” désignait, au Moyen Age, tout individu libéré de certaines servitudes
féodales, municipales ou royales. Les “francs-mestiers” étaient, précisément,
des corps professionnels dont les membres avaient acquis ces privilèges : c’est
ainsi qu’à Paris, dans le ressort de la prévôté royale, les tailleurs de pierre
échappaient à diverses obligations municipales, comme celle du guet en
particulier.
Ces constructeurs se groupèrent en associations qui étaient essentiellement
des sociétés d’assistance mutuelle fournissant des aides en cas de besoin ou
bien une sépulture décente pour certains. Voilà pourquoi nous ne possédons
que des statuts généraux concernant ces associations. En Allemagne, nous
connaissons, par exemple, les statuts et règlements de la confraternité des
tailleurs de pierre relatifs à l’assemblée de Ratisbonne du 25 avril 1459. Ces
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textes confirment l’existence de confréries germaniques de bâtisseurs connues
sous le nom de loges (hütten) et reconnaissant la sollicitude des “Grandes
loges” (Haupthütten) qui étaient au nombre de cinq : Cologne, Strasbourg,
Vienne, Zurich, Magdeburg. La dernière grande assemblée des maçons
allemands s’est tenue à Strasbourg en 1564.
Si cette corporation, par le passé a su prouver ses capacités professionnelles,
c’est avec beaucoup de curiosité que les historiens évoquent certains aspects
qui demeurent encore obscurs. En effet, quels sont les secrets du maçon
médiéval ? Tout d’abord ce sont des secrets professionnels jalousement
gardés. On ne possède aucun traité médiéval d’architecture, sauf l’album de
Villard de Honnecourt, incompréhensible pour le non-spécialiste. On a ensuite
des marques de reconnaissance. On y retrouve des symboles ésotériques dont
l’origine se perd dans la nuit des temps : le cercle, la pyramide, la croix latine,
la croix ansée, l’étoile à cinq branches, le trident. Apparaissant vers l’époque
des croisades, ces marques se rencontrent à l’extérieur des édifices religieux
jusqu’à la fin du XVIe siècle, après, elles se dissimulent au bas des piliers ou le
long des joints horizontaux.
C’est dans ce contexte d’effervescence intellectuelle, de découvertes
architecturales, qu’apparaît le langage ésotérique des constructeurs
médiévaux, lié à de nouveaux savoirs. En ces temps lointains, ces associations
de bâtisseurs incarnaient une nouvelle dimension professionnelle, morale et
spirituelle. Les grandes cathédrales gothiques en sont la manifestation
éclatante et les associations de constructeurs couvraient toute l’Europe. La
cathédrale de Prague a été construite, au XIVe siècle, par l’architecte français
Mathieu d’Arras.
Au XVIe siècle, la plupart des grandes cathédrales sont achevées et on assiste
au déclin progressif des communautés artisanales conservant les secrets de
l’architecture gothique. Mais le caractère unique du métier est fidèlement
conservé en Écosse. C’est à cette époque qu’apparaît la référence à l’art de
mémoire. En 1598, William Schaw, Maître des travaux de la Couronne
écossaise, publie des statuts réglementant l’organisation et la conduite des
maçons. Il est clair que les statuts des loges écossaises5, liés au métier de
maçon, sont similaires à ceux des corporations professionnelles du continent.
Une épitaphe en latin située sur la tombe de William Schaw dans l’abbaye de
Dunfermline nous révèle ce qui suit : “A Dieu Très Saint et Très Haut. Sous ce
bas monceau de pierres, gît un homme illustre pour sa rare expérience, son
admirable rectitude, l’intégrité inégalée de sa vie, et ses qualités affirmées,
William Schaw, Maître des Travaux du Roi, Maître des Cérémonies et
Chambellan de la Reine. Il mourut le 18 avril 1602, ayant séjourné pendant
cinquante deux ans. Dans son vif désir de s’améliorer l’esprit, il voyagea en
France et dans de nombreux autres royaumes. Accompli dans tous les Arts
Libéraux, il excellait en Architecture. Les Princes le tenaient particulièrement
en estime pour ses talents manifestes. Que ce soit dans sa vie professionnelle
ou dans les affaires, il était non seulement infatigable et invisible mais aussi
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consciencieux et honnête. Sa capacité innée à servir et à mettre les autres
devant leur devoir lui ont valu de gagner la bienveillante affection de chaque
brave homme qui le connaissait. A présent il demeure au Ciel pour toujours.”
Au début du XVIIe siècle, malgré l’affiliation d’un architecte de grand renom,
Inigo Jones6, disciple britannique de Palladio, les constructeurs cèdent, peu à
peu, la place dans l’Ordre aux “Accepted Masons”, admis en nombre croissant :
nobles ou bourgeois. Ces derniers deviennent membres de l’organisation
anglaise de freemasons7.
Le passage de la maçonnerie des constructeurs de cathédrales à la maçonnerie
spéculative s’est opéré en Grande-Bretagne et elle apparaît comme le berceau
de la franc-maçonnerie. En 1670, par exemple, à Aberdeen (Écosse), plus des
trois quarts des membres ne sont plus des vrais constructeurs, mais des
personnages influents, gentilshommes en majorité.
En Angleterre, c’était un grand honneur d’être admis parmi les freemasons.
Les maçons libres et acceptés étaient fascinés par tout un rite de mots de
passe, signes, attouchements. Ils pratiquaient le secret et les symboles des
rites compagnonniques : le soleil, la lune, la salière, le vinaigre, le coq, les
trois pas, le baiser, la croix. La maçonnerie était déjà auréolée de mystères et
d’attraits. La réception symbolique à la “construction” des maçons acceptés
prenait une dimension significative et pour s’en convaincre mieux vaut encore
se référer à quelques modifications de la constitution primitive, qui furent
approuvées le 27 décembre 1663, lors de la réunion des maçons à Londres.
Ces nouvelles clauses stipulent8 :
1. Nul, quel que soit son rang, ne sera reçu freemason si ce n’est dans une
loge composée d’au moins cinq freemasons...
2. Nul ne sera reçu s’il n’est sain de corps, de naissance honorable, de bonne
réputation et fidèle observateur des lois du pays…
3. Nul freemason ne sera admis dans une loge s’il n’est muni d’un certificat du
maître de la loge dans laquelle il a été reçu ; ce certificat, écrit sur parchemin,
constatera l’époque et le lieu de la réception...
Chose digne de remarques, jusqu’au bout les tailleurs de pierre anglais
demeureront fidèles au christianisme. La dernière Charte connue (1694) d’York
stipule : “Le premier article de vos instructions est que vous serez fidèles à
Dieu et à la Sainte Église, et que vous n’emploierez ni hérésie ni erreur dans
votre entendement”. De plus, les anciens devoirs et statuts d’York peuvent
être intéressants à citer, car ils révèlent un usage fort ancien chez les
freemasons anglais : “L’un des anciens prend le Livre, celui ou celle qui doit
être fait maçon pose les mains sur le Livre, et alors les instructions sont
données”. Le caractère foncièrement chrétien des Old Charges9 de la
maçonnerie anglaise est indiscutable.
Voilà donc qu’une crise majeure ébranla la très ancienne Confraternité des
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Maçons Libres Acceptés d’Angleterre. Sir Christopher Wren10, chef de la loge
Saint-Paul, élu Grand Maître en 1685 de toute l’Angleterre, réélu en 1698, fut
destitué le 20 décembre 1702 du titre d’Architecte de la Couronne à la mort du
roi. Il se démit alors de sa dignité de Grand Maître. Toutefois, les maçons de ce
temps, choqués du traitement infligé à leur et excellent Grand Maître, ne
voulurent pas lui choisir un successeur, ni continuer leurs réunions. Ce malaise
va laisser des traces durables dans la vénérable institution qui enregistra
subitement de très nombreuses désaffections au sein des assemblées.
Dans le but d’augmenter le nombre toujours décroissant des membres de la
Confraternité, la vieille loge Saint-Paul décida, en 1703, de recruter davantage
de maçons acceptés. Ainsi, nous voyons la loge londonienne prendre la
décision suivante : “Les privilèges de la maçonnerie ne seront plus désormais
réservés seulement aux ouvriers constructeurs, mais, comme cela se pratiquait
déjà, ils seront étendus aux personnes de tous les états11 qui voudront y
prendre part, pourvu qu’elles soient dûment présentées, que leurs admissions
soit autorisées et qu’elles soient initiées d’une manière régulière.”
Une telle initiative ne dénoua nullement cette crise et même longtemps après
la disgrâce de Sir Christopher Wren, les maçons demeurèrent très élogieux à
son égard. Encore de nos jours, les historiens12 lui attribuent un rayonnement
prodigieux et le considèrent plus que jamais comme un homme remarquable.
Il incarne toujours le souvenir du sauveur de la cathédrale Saint-Paul.
Et pour la noble cause, en 1707, William Benson fut élu à la grande maîtrise.
Les maçons achevèrent cependant la cathédrale de Saint-Paul en 1710 et à
dater de cette époque, ils cessèrent leurs assemblées générales. Malgré
l’autorité du nouvel Inspecteur des bâtiments de sa majesté le roi Georges Ier,
il ne put éviter que ce climat de défiance ne s’étendît dans toutes les loges du
pays. A cela, s’ajoutèrent de nombreuses dissensions politiques et religieuses.
Ces querelles troublèrent la fin du règne de la reine Anne (1714), et des
révoltes éclatèrent, de 1715 à 1719, en faveur de son frère, le Prétendant
Jacques III.
En 1715, il n’existait plus à Londres que quelques loges en activité. C’est alors
que Jean-Théophile Désaguliers13 conçoit le projet de restaurer la
maçonnerie. Au mois de février 1717, une poignée de maçons acceptés se
réunissent à la taverne The Apple tree où, ils se constituent en Grande Loge
provisoire. C’est la première fois que le titre de Grande Loge est donné à une
assemblée générale de maçons. Jusque-là on se servait de l’expression
“General Lodge”.
La maçonnerie spéculative se réalise officiellement le 24 juin 1717, à la SaintJean d’été. Cet acte solennel marque l’avènement de la maçonnerie
obédientielle. Quatre Loges londoniennes, rassemblées dans la cour de la
cathédrale Saint Paul et aux noms pittoresques, ceux des tavernes où se
réunissaient les maçons acceptés : L’Oie et le Gril, La Couronne, Le Pommier,
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Le Gobelet et les Raisins, forment la Grande Loge Londres et élisent un Grand
Maître qui aura juridiction sur l’ensemble des loges. Elle instaure une autorité
maçonnique centrale et prétend dès lors, avoir seule le pouvoir de reconnaître
les ateliers nouvellement créés. Selon les anciennes loges de Londres, d’York
et de Westminster, c’était répudier le vieux principe de la maçonnerie
traditionnelle : “Le maçon libre dans une loge libre”.
Peu de temps après, la Grande Loge de Londres prend le titre de Grande Loge
d’Angleterre “Mère Grande Loge du Monde” ayant en principe le pouvoir de
condamner et d’exclure du corps maçonnique toutes les loges irrégulièrement
constituées. En 1719, lors de son installation comme Grand Maître de la
Grande Loge, Désaguliers parle d’égalité, admet l’épithète de “frère” et établit
les toasts dans les réunions. Toujours sous son impulsion, les loges organisent
des banquets, des fêtes et créent un fond de Secours pour les malades.
Le 17 janvier 1723, la Grande Loge se donne des Constitutions14 qui
deviennent, dès lors, la charte régulière reconnue par tous les francs-maçons
dans tous les pays. L’examen attentif du livre des Constitutions nous confirme
la reprise des anciennes chartes de la maçonnerie opérative anglaise de la fin
du Moyen Age. L’histoire légendaire est soigneusement conservée : “L’Ordre
remonte à Adam, qui enseigna la géométrie à ses fils, puis il est fait allusion à
Noé, aux Égyptiens, aux Grecs, aux Romains, et aux Saxons.”
On peut souligner l’expression de James Anderson15, rédacteur des
Constitutions, pour qui la franc-maçonnerie est au centre de l’union vers
laquelle tous les hommes peuvent converger sans pour cela ne renoncer à
aucune de leurs croyances particulières. En effet, les Obligations stipulent
(article VI-2) : “Que vous démêlés particuliers ne franchissent jamais le seuil
de la loge, évitez plus encore les controverses sur les religions, les nationalités
ou la politique.”
Certes, si les liens de métiers s’atténuent, par contre, les symboles ésotériques
deviennent fort nombreux : l’équerre, le niveau, la perpendiculaire, le compas,
les pierres brutes et taillées, les colonnes ornées des lettres J et B, l’étoile
flamboyante. Aux règles religieuses pratiquées par les maçons d’autrefois,
James Anderson substitue de simples conditions morales et spirituelles. En
collationnant et révisant les vieux manuscrits gothiques des Old Charges, il fait
de la tolérance le fondement de la maçonnerie des Modernes. Il est d’ailleurs à
noter qu’il devra modifier plus tard le texte du fameux article premier, qui
scandalisait les Anciens.
Il est illusoire de croire que la maçonnerie des “Moderns” s’est développée ex
nihilo à Londres en 1717. Depuis longtemps, les “Accepted Masons”
perpétuaient la tradition maçonnique par une chaîne ininterrompue depuis le
Moyen Age. La loge de Saint Paul conservait les anciennes formalités. Les
Anciens, réagiront tardivement mais très efficacement. Ils soulèveront
certaines irrégularités commises par les Modernes, lesquels ont altéré les
rituels, interverti les mots d’apprenti et de compagnon, modifié les usages et
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introduit diverses couleurs dans l’habillement des maçons. De plus, quelques
loges de Londres, mécontentes de la façon d’agir de la Grande Loge
d’Angleterre, se sépareront de la Grande Loge des Modernes et s’uniront avec
les “Antients York Masons”16.
Bien que les actions de stratégie se suivent et se ressemblent, ils constituent
en 1739, dans Londres même, une deuxième Grande Loge qui prend le titre de
: “Grande Loge des Francs-Maçons d’Angleterre, selon les Anciennes
Constitutions”. C’est en 175617 que Laurence Dermott publie la première
Constitution des “Antients” intitulée “Ahiman Rezon” signifiant : “Lois des
Frères désignés ou choisis”. Si Anderson a introduit le mot “Land mark”,
Dermott note le “Royal Arch”, une sorte de maçonnerie supérieure. Les
rapports entre les deux principales obédiences demeureront inexistants.
D’ailleurs, voici comment Laurence Dermott18 s’exprime sur les “Moderns”,
dans la troisième édition : “Lors de l’année 1717, quelques joyeux compagnons
(Désaguliers19 et autres) qui n’avaient passé que par un seul grade de la
Confrérie, lequel, même, ils avaient à peu près oublié, résolurent de former
une loge pour rechercher, en se communiquant entre eux, ce qui leur avait été
autrefois enseigné ; se proposant d’y substituer, quand la mémoire leur
manquerait, quelques autres innovations, ce qui, à l’avenir devait passer dans
leur société pour de la maçonnerie. Lors de cette réunion, on questionna les
personnes présentes pour savoir si quelqu’une d’entre elles connaissait le
grade de Maître ; et comme il fut répondu négativement, on convint qu’on
remédierait à cet inconvénient par la composition d’un nouveau grade, et que
tous les fragments de l’ancien Ordre qu’on pourrait trouver, seraient réformés
ou appropriés à l’esprit de la nation. On crut convenable d’abolir l’ancien usage
de s’occuper en loge de l’étude de la géométrie, et il parut à quelques uns des
jeunes frères, qu’un bon couteau et une bonne fourchette dans les mains d’un
habile frère, appliqués sur des matériaux convenables, donneraient une plus
grande satisfaction, et ajouteraient plus à la gaieté que l’échelle la plus solide
et le meilleur compas. Il existait encore un autre usage qui déplaisait aux
jeunes architectes : c’était celui de porter des tabliers, qui semblaient travestir
des hommes du monde en ouvriers ; on proposa, en conséquence, que les
frères n’en portassent plus à l’avenir. Cette proposition fut rejetée par les
membres plus âgés, qui déclarèrent que, puisque des anciens usages il ne leur
restait plus que la décoration du tablier pour faire croire qu’ils étaient des
maçons, ils voulaient pour cette raison, le conserver et le porter. On proposa
différentes cérémonies ridicules, dont on admit quelques unes. Après les avoir
observées pendant plusieurs années, on inventa encore des marches ridicules.
Les confraternités des anciens et des modernes maçons sont devenues
présentement les deux plus grandes corporations de l’univers : les anciens,
sous le titre de francs et acceptés maçons, suivant les anciennes constitutions
; et les modernes, sous le titre de francs-maçons d’Angleterre. Ils diffèrent
extrêmement dans leurs travaux, cérémonies, connaissances, langue
maçonnique et organisation qu’ils aient, cependant, des dénominations
semblables, de sorte qu’ils ont toujours été et continuent d’être deux
différentes sociétés entièrement indépendantes l’une de l’autre.”
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Durant tout le XVIIIe siècle, trois formes de maçonnerie s’opposent donc en
Grande-Bretagne : la maçonnerie anglaise des Modernes, la maçonnerie
anglaise des Anciens, et la maçonnerie des Jacobites, c’est-à-dire des partisans
des Stuart20 détrônés à partir de 1688. Mais il y a un temps pour chaque
chose et toute querelle doit avoir une fin. Plus tard, les trois courants
britanniques fusionneront en une et seule maçonnerie : d’une part quand les
grands seigneurs stuartistes se seront finalement ralliés à la dynastie
hanovrienne, à la mort du dernier des Stuart21 et d’autre part quand le duc de
Sussex, promu Grand Maître des Modernes et le duc de Kent, promu Grand
Maître des Anciens en 1813 constitueront la Grande Loge Unie d’Angleterre.
Les constituants de la Grande Loge Unie d’Angleterre fondent la “Lodge of
Reconciliation” dont l’œuvre a été “l’Act of Union”. Cinq années plus tard, en
1818, ils consacrent la loge d’instruction, la “Perseverance Lodge”, qui
deviendra le berceau en 1823 de “l’Émulation Lodge of Improvement”. En
Grande-Bretagne, émergeront les rites de Bristol, Logic, Stability et d’autres
encore. Depuis cette période, l’unité et la diversité de la maçonnerie anglaise
font preuve de tolérance et de respect à l’égard de chaque initié. Les vieilles
querelles sont oubliées. A l’inverse des maçons français, les maçons anglais
mènent une œuvre philanthropique respectable.
L’essentiel de la problématique de l’avènement des Modernes, hormis la
novation obédientielle pyramidale, est contenu dans le fait que l’appartenance
maçonnique se dévoile aisément dans la société civile. D’ailleurs, l’anecdote la
plus marquante de cette époque est la publication du document intitulé :
“Masonry Dissected” de Samuel Prichard. Cet acte fut un véritable coup de
tonnerre et fit durant de nombreuses années la une de la presse britannique. Il
révèle, pour la première fois, les catéchismes maçonniques dès 1730 à
Londres. Il convient de noter que cette divulgation va devenir très bénéfique
pour l’Ordre maçonnique et permettre l’intensification des événements.
Dès cette époque, nous trouvons hors de Grande-Bretagne des loges
rattachées à la Mère Grande Loge. On remarque que les premières loges
d’inspiration anglaise s’établirent en France dans les villes ayant des relations
commerciales suivies avec l’Angleterre : Dunkerque, Paris, Bordeaux,
Valenciennes, le Havre. Les registres de la Grande Loge d’Angleterre
mentionnent, à la date du 3 avril 1732, que la patente régulière a été délivrée
à la loge parisienne “Au Louis d’Argent”. Le même registre fait état, à la date
du 3 juillet 1733, de l’installation à Valenciennes de la Parfaite Union. Les loges
françaises pratiquent le rite anglais des Modernes en deux grades. Ce n’est
qu’en 1738 que la Grande Loge d’Angleterre reçoit au troisième grade.
En 1735, les loges parisiennes, déjà assez fournies en effectifs, sollicitent de la
Grande Loge d’Angleterre l’autorisation de fonder une Grande Loge Provinciale.
Cette autorisation ne sera accordée qu’en 1743 à la Grande Loge anglaise de
France. Dès lors, s’opère une mutation fondamentale au sein de la maçonnerie
traditionnelle. Elle devient le point de départ du processus de l’écossisme
9
symbolique et ésotérique. Le port de l’épée apparaît en 1743 dans les loges
françaises. En 1756, la Grande Loge anglaise de France prend le titre de
Grande Loge de France sous l’autorité de Louis de Bourbon-Condé, comte de
Clermont. Par la suite, les maîtres des loges parisiennes se déclarent
inamovibles. La querelle du vénéralat inamovible sera la cause fondamentale
des désordres de la Grande Loge du comte de Clermont22.
Que faisaient les francs-maçons dans les loges au XVIIIe siècle ? Rien, ou
presque rien, comme peuvent encore l’écrire certains historiens. On notera
que, contrairement à cette réponse baroque, si l’on s’en tient aux “Livres
d’Architecture” qui ont été conservés : les francs-maçons ouvraient les
travaux, ils lisaient la correspondance, ils procédaient éventuellement à des
augmentations de salaire, ils entendaient un morceau oratoire qui rehaussait
l’intérêt des frères, et ils fermaient les travaux. Puis ils participaient au
banquet. Il est certain que l’avènement des hauts grades conféra à la francmaçonnerie universelle ses lettres de noblesse. Il souleva un engouement
auprès des frères et suscita rapidement une très forte demande d’admissions.
C’est un certain André-Michel Ramsay, chevalier dans l’Ordre de Saint-Lazare,
secrétaire de Madame Guyon, disciple de Fénelon et précepteur de James III
Stuart, qui ajoute la foi à la morale. Il introduit l’ésotérisme chevaleresque et
rosicrucien. Le 26 décembre 1736, dans une assemblée solennelle de la
Grande Loge Provinciale de France, il prononce un discours destiné à lier les
fondements de la maçonnerie à l’ancienne splendeur de la chevalerie. Il prend
pour thème les quatre qualités qui, selon lui, sont exigées du franc-maçon :
l’humanité, la morale, le secret et le goût des beaux-arts. Qualités essentielles
dans un Ordre, dont la base est la sagesse, la force et la beauté.
Il n’hésite pas à proclamer : “Quelque temps après la période des croisades,
notre Ordre s’unit intimement avec les chevaliers de Saint-Jean de
Jérusalem23. Dès lors, nos loges portèrent toutes le nom de loges de SaintJean. Cette union se fit à l’exemple des Israélites, lorsqu’ils élevèrent le second
Temple. Pendant qu’ils maniaient la truelle et le mortier d’une main, ils
portaient de l’autre l’épée et le bouclier.” André Michel de Ramsay, dans la
dernière partie de son discours parle que le flambeau a été maintenu grâce à
la Grande-Bretagne qui “fut le siège de notre Ordre, la conservatrice de nos
lois et la dépositaire de nos secrets.” Comme disaient si bien les highlanders
d’Écosse, il demeure l’étincelle qui embrasa la franc-maçonnerie en France, en
Europe et aux États-Unis d’Amérique. Les hauts grades obtinrent un immense
succès, et donnèrent un nouveau souffle à la maçonnerie. Peu à peu, ils se
développèrent en divers régimes.
Charles Édouard Stuart, de passage à Arras en 1745, accordera aux francsmaçons de cette cité une bulle d’institution pour un Souverain Chapitre
primatial et métropolitain de Rose-Croix24. En voici la teneur25 : “Nous,
Charles Édouard Stuart, prétendant roi d’Angleterre, de France, d’Écosse et
d’Irlande, et, en cette qualité, Sérénissime Grand Maître du Chapitre de
Hérédon, connu sous le titre de Chevalier de l’Aigle, du Pélican, et, depuis nos
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malheurs et nos infortunes, sous celui de Rose-Croix : Voulant témoigner aux
Maçons artésiens combien nous sommes reconnaissant envers eux des preuves
de bienfaisance qu’ils nous ont prodiguées avec les officiers de la garnison de
la ville d’Arras, et de leur attachement à notre personne pendant le séjour de
six mois que nous avons fait en cette ville, nous avons, en leur faveur, crée et
érigé, créons et érigeons, par la présente bulle, en la dite ville d’Arras, un
Souverain Chapitre primatial et métropolitain de Rose-Croix, sous le titre
distinctif d’Écosse Jacobite, qui sera régi et gouverné par les chevaliers
Lagneau, de Robespierre, tous deux avocats, Hazard et ses deux fils, tous trois
médecins, J.B. Lucet, notre tapissier, et Jérôme Tellier, notre horloger,
auxquels nous permettons et donnons pouvoir de faire, tant par eux que par
leurs successeurs, non-seulement des chevaliers de Rose-Croix mais même de
créer un chapitre dans toutes les villes où ils croiront pouvoir le faire, lorsqu’ils
en seront requis, sans cependant par eux ni par leurs successeurs, pouvoir
créer deux chapitres dans une même ville, quelque peuplée qu’elle puisse être
; et pour que foi soit ajoutée à notre présente bulle, nous l’avons signée de
notre main, et à icelle fait apposer le nom secret de nos commandements, et
fait contresigner par le secrétaire de notre cabinet, le jeudi 15ème jour du
2ème mois, l’an de l’incarnation 1745.”
De retour en France, après avoir été défait à Culloden, le Prétendant, en
reconnaissance du bon accueil qui a été fait par les maçons de Toulouse à Sir
Samuel Leckhart, un de ses aides de camp, constituera en cette ville, en 1747,
un chapitre sous le titre : “Les Ecossais Fidèles”. Ce chapitre, adoptera par la
suite, un rite à neuf degrés, dit de la “Vieille Bru”. Indubitablement, la
maçonnerie écossaise prendra une rapide extension.
Saint-Martin et Willermoz ont fait le plus grand nombre de recrues à
l’écossisme templier. Ce qui est exact, c’est que Louis-Claude de Saint-Martin a
été d’abord un fidèle élève du mystique Jacques Martinès de Pasqually,
fondateur de l’Ordre des “Élus Cohens”. Dès la publication du premier livre de
Saint-Martin : “Des Erreurs et de la Vérité” (1775), il s’éloigne de Martinès et
de Willermoz. Il est déjà en possession de ses grandes intuitions
théosophiques, qu’il développera dans ses autres ouvrages : “Tableau naturel
des rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers” (1782), “L’Homme
de Désir” (1790), “Le Ministère de l’Homme Esprit” (1802). Cette vie intérieure
intense est menée malgré de longs voyages en France, en Angleterre, en
Italie. C’est en 1788, à Strasbourg, qu’il découvre les écrits de Jacob Boehme
et les traduira en français. Le cas de Saint-Martin est assez extraordinaire.
C’est d’abord un maçon mystique qui a fini par conclure à la vanité des
initiations occultistes et des cérémonies théurgiques26.
Jean-Baptiste Willermoz, lui est une personnalité très différente. Il est devenu
franc-maçon dès l’âge de vingt ans, en 1750. Membre fondateur du Grand
Orient de France en 1773, il devient une des figures les plus marquantes de la
franc-maçonnerie lyonnaise qui devient le carrefour européen de la maçonnerie
templière, en raison de la position géographique de la ville, au contact de
l’Italie du Nord, des cantons suisses et de l’Allemagne occidentale. Il
11
s’intéresse à tous les courants hermétiques et plus particulièrement à l’ordre
templier de la Stricte Observance qui, dès 1760, est très puissante en
Allemagne. Elle est organisée par le baron Charles de Hund. Ce dernier ne
pouvant révéler ses “Supérieurs Inconnus”, il est écarté de la grande maîtrise
en 1772.
Dès lors, le duc Ferdinand de Brunswick-Lunebourg devient le Grand Maître de
la Stricte Observance et parmi les frères, notons Goethe et Mozart27. La
franc-maçonnerie templière représente l’élite de la société de l’époque. Sa
démarche a pour but de faire revivre au récipiendaire la naissance de l’Ordre
du Temple, son destin tragique et sa survie secrète, ainsi que la vengeance à
tirer des responsables de son martyre. Son élévation est calquée sur la
chevalerie avec armure, ses costumes reconstituent ceux des Croisés. Ils
attribuent neuf grades avec noms latins, blasons et devises. La Stricte
Observance templière divise l’Europe en neuf provinces puis en diocèses, en
commanderies, en préfectures et régénère la spiritualité de ceux qui
construisent le Temple et de ceux qui ont mission de le défendre.
Initié au rite templier pendant l’été 1774 à Lyon, Willermoz découvre les
statuts, les rituels et les grades de l’Ordre. Il est désormais Baptista Eques ab
Eremo, c’est-à-dire “le chevalier venu de la solitude”. Avec le concours de ses
frères lyonnais, ils forment un Directoire Ecossais, qui a autorité sur la
province d’Auvergne. Aussitôt, Jean-Baptiste Willermoz, devenu le chef d’une
Province “templière”, entre en rapport avec la province de Bourgogne, dont le
centre est Strasbourg et avec la province d’Occitanie, dont le chef-lieu est
Bordeaux. Au milieu de 1775, une alliance est signée entre le Grand Orient de
France et les trois Directoires Ecossais. De plus, il reçoit le 8 novembre 1778
une recrue de choix : Joseph de Maistre. Avec la logique qu’il met à poursuivre
son œuvre maçonnique, Jean-Baptiste Willermoz convoque en 1778 à Lyon un
Convent des Gaules, qui met sur pied l’Ordre maçonnique des “Chevaliers
Bienfaisants de la Cité Sainte”.
Le Convent de Wilhelmsbad en 1782 sera défavorable à la reconnaissance
d’une filiation temporelle entre templiers et francs-maçons. En désavouant
l’origine templière de l’Ordre maçonnique, le rite est désormais “rectifié” et
organisé définitivement. Les hauts grades du régime rectifié professent l’esprit
des templiers et sont un approfondissement de la pensée chrétienne.
On voit également se développer, toujours en France, des maçonneries
capitulaires autour de divers Conseils, celui de Rose-Croix, des Chevaliers
d’Orient, puis celui des Empereurs d’Orient et d’Occident. Parallèlement à J.B.
Willermoz, Estienne Morin, négociant en vins à Bordeaux, sera l’artisan émérite
du rite de perfection28.
Morin quitte Bordeaux au printemps de 1762. Le bateau sur lequel il voyage
est pris par les Anglais, l’obligeant malgré lui à se rendre à Londres et puis en
Écosse. Il parviendra le 20 janvier 1763, à Saint-Marc en l’île de SaintDomingue. Muni du pouvoir de propager en Amérique les hauts grades
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écossistes, il y rencontre Andrew Francken, dont le nom passera à la postérité.
Ce dernier fonde à Albany, près de New York, le 20 septembre 1767, une loge
de Perfection sous le nom d’Ineffable. Francken délivre à cette loge une
patente par autorité de Morin dans laquelle ce dernier est qualifié de Grand
Inspecteur de toutes les loges affiliées aux degrés supérieurs de la
maçonnerie, du Maître Secret au 29ème degré, et confirmé par le Grand
Conseil des Princes Maçons, dans l’île de la Jamaïque. Les degrés de ce rite
sont transcrits dans plusieurs recueils, rédigés à la main par Francken, lesquels
contiennent les textes réglementaires ainsi que les rituels écossistes.
Installé à Kingston depuis 1765, cité de l’exquise île de la Jamaïque, Morin
rejoint l’Orient éternel en 1771. Grâce à Estienne Morin, sur le continent
américain, à Charleston, en Caroline du Sud, apparaît désormais le 31 mai
1801, le premier suprême conseil du rite écossais ancien et accepté avec 33
degrés. Les Constitutions, statuts et règlements établis le 1er mai 1786 sont
révisés par le Convent Universel des Suprêmes Conseils réunis à Lausanne et
adoptés dans sa séance plénière du 22 septembre 1875. Le rite écossais
ancien et accepté est le plus répandu dans le monde.
Loin du sérieux manifesté par les illustres Jean-Baptiste Willermoz et Estienne
Morin, les Mesmer, Cagliostro, Saint-Germain, et autres, amèneront dans les
loges une foule de superstitions et traîneront derrière eux une poussière de
supercheries peu glorieuses. A telle enseigne, que de nombreux francs-maçons
n’hésiteront pas à s’attribuer, contre espèces et monnaies trébuchantes,
certains grades supérieurs.
C’est dans un contexte de rivalités et de foisonnements cabalistiques,
alchimiques, magiques, mystiques, occultistes, théurgiques que le Grand
Orient de France réforme et rationalise les usages maçonniques. Le 26 juin
1773, les statuts de l’Ordre du Grand Orient de France sont adoptés, sous la
présidence du duc de Luxembourg et sous les auspices de la Grande Loge
Nationale. Il crée une première Commission le 27.12.1773 pour examiner les
grades écossistes. Une seconde Commission est à nouveau établie le
24.3.1776. Le Grand Orient de France institue le 18 juin 1782 une Chambre de
grades et adopte le 19 mars 1784 les statuts et règlements généraux du Grand
Chapitre Général de France, comprenant les trois grades du rite obédientiel :
Apprenti, Compagnon et Maître ; et les quatre ordres capitulaires29 : Élu
Secret, Grand Élu Écossais, Chevalier d’Orient, et Chevalier de Rose-Croix. Le
7.4.1786, apparaît le rite moderne en sept grades. Cette régulation d’ensemble
fournit des rituels qui conservent les anciens usages dans leur antique et
respectable tradition.
Le 2 Février 1784, sept Chapitres de Rose-Croix établis à Paris (La Réunion des
Amis Intimes, Les Amis Intimes, Les Frères Unis de Saint-Henri, L’Amitié,
L’Harmonie, Salomon et la Trinité) constituent le Grand Chapitre Général de
France sous la présidence de J.L. Graffin, avocat, huissier et commissairepriseur. Il en résulte d’une part, que ces sept Chapitres de Rose-Croix sont
établis dans la même ville contrairement au principe originel, et d’autre part,
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que ses membres fondateurs étaient dépourvus d’une quelconque affiliation
avec le Souverain Chapitre primatial et métropolitain de Rose-Croix fondé en
1745 par Charles Édouard Stuart.
Le 24 Mars 1785, suivant les uns, le 24 Septembre 1785, suivant les autres, le
Grand Chapitre Général de France scelle un pacte d’union en treize articles
avec le Grand Chapitre de France présidé par le Dr Humbert Gerbier de
Werschamp, médecin et conseiller du roi. Il s’avère que la patente du Grand
Chapitre de France avait été fabriquée à la demande expresse du Grand-Maître
perpétuel et par les soins d’un marchand d’ornements maçonniques qui
demeurait place Dauphine. Cette patente avait été revêtue de signatures
déraisonnables dans un cabaret, près du grand Châtelet.
Quelle que soit la sonorité des noms aristocratiques dont retentirent alors les
voûtes du Grand Chapitre Général de France naissant au sein du Grand Orient
de France, il est bon de rappeler à tous les chevaliers de Rose-Croix les
exigences morales avec lesquelles se doivent d’agir tous les francs-maçons. La
franchise et la bienveillance demeurent l’apanage de francs-maçons, plus
humbles sans doute, mais en même temps plus soucieux de leur dignité, plus
fidèles à la foi jurée.
A la veille de la Révolution, beaucoup de loges avaient pour Vénérables des
abbés, des chanoines, des bénédictins, des cisterciens. Même la loge
parisienne des Neuf Sœurs, véritable lieu de rencontre des philosophes,
constituée en 1776 par le mathématicien Jérôme Lalande, et le bénédictin
Robin30, ne comptait pas moins de treize ecclésiastiques. Les plus grands
noms s’y retrouvaient : le prince Camille de Rohan, futur Sénéchal de l’Ordre
de Malte, le docteur Guillotin, promis à une fâcheuse notoriété, Sieyès, Camille
Desmoulins, Danton, Condorcet, Lacépède, Cabanis, le sculpteur Houdon.
La plupart des loges françaises avaient leur aumônier. Les jours de fêtes
maçonniques, les francs-maçons se rendaient à la messe. On faisait chanter
des services funèbres pour les frères défunts. La loge des Neuf Sœurs,
citadelle des “Lumières”, fit chanter un Te Deum pour le rétablissement de la
santé du duc de Chartres, un moment altérée.
A la réception de François-Marie Arouet, dit Voltaire, dans la loge “les Neuf
Sœurs”, le matin du 7 avril 1778, dans la salle de l’ancien noviciat des jésuites
située rue du Pot-de-fer à Paris, ce fut le chanoine Cordier de Saint-Firmin qui
eut la faveur de le proposer à l’initiation. Cette démarche singulière31, si
naturelle à chatouiller l’amour-propre de Voltaire, fut de courte durée.
Voltaire32 était alors âgé de 84 ans. La chronique de l’événement décrite bien
plus tard, mais avec beaucoup de fidélité par le frère Juge, nous apprend que
la salle était richement ornée de tentures bleues et blanches ; que plus de
deux cent cinquante visiteurs décoraient les colonnes ; que la cérémonie s’est
déroulée sous la présidence de son Vénérable, le célèbre astronome et
physicien Jérôme Lalande et, qu’à ses côtés, on pouvait apercevoir, entre
14
autres, le buste du Grand Maître du Grand Orient de France, le duc de
Chartres, futur duc d’Orléans, futur Philippe Égalité, ainsi que le buste du
philosophe Helvétius, qui mort bien avant l’inscription officielle de cette loge,
figure dans le tout premier tableau de ses membres fondateurs.
Il faut bien avouer qu’il n’a jamais été question, ce mardi 7 avril 1778 à Paris,
d’une cérémonie d’initiation, mais uniquement de réception. Cet événement
maçonnique de celui qui était considéré comme l’un des esprits les plus
éclairés, les plus remarquables de l’époque, a été, en dépit du secret,
largement diffusé, de sorte qu’il a eu un impact considérable.
Assurément, la franc-maçonnerie connaissait alors l’une de ses périodes les
plus fastes ; selon Marie-Antoinette : “Tout le monde en était”33. On comptait
déjà, à travers la France, six cent cinquante loges ; sans pouvoir dénombrer
avec exactitude les loges féminines d’adoption, et qui, depuis que le Grand
Orient de France leur avait donné son aval, n’arrêtaient pas de se créer34.
Néanmoins, la cérémonie d’admission de Voltaire avait quelque chose de
particulier. En dehors de la personnalité du nouveau membre de la loge des
Neuf Sœurs et des illustres figures dans l’assistance dont celle de Benjamin
Franklin, l’ambassadeur des Insurgents d’Amérique, les questions qui furent
posées à Voltaire étaient d’ordre philosophique. Il y répondit brillamment ;
ensuite, le poète Roucher, très en vogue, y lut un poème ; on y présenta un
ouvrage scientifique ; un ordre du jour vraiment intéressant en ces temps.
Certes, le nom d’une femme y fut prononcé. Lorsqu’on remit à Voltaire les
gants blancs, il se tourna vers le marquis de la Villette, en lui disant : “Puisque
ces gants sont destinés à une personne pour laquelle on me suppose un
attachement honnête, tendre et mérité, je vous prie de les présenter à Belleet-Bonne”. Cette Belle-et-Bonne n’était autre que sa jeune filleule, récemment
mariée au marquis de la Villette.
Cinquante-trois jours plus tard, le 30 mai 1778, Voltaire mourait. Seule la loge
des Neuf Sœurs décida de lui rendre l’éloge habituel, le 28 novembre 1778. Or,
à cette cérémonie, pour laquelle tous les frères étaient décorés des ornements
maçonniques, on voit participer, pour la première fois dans l’histoire de la
franc-maçonnerie française, deux femmes. Il s’agit de la marquise de la
Villette, et de Madame Denis, la nièce et la compagne de Voltaire, à la fin de sa
vie.
Mais les défunts, même glorieux, passent vite. C’est aux vivants que l’on
s’intéresse. Le discours du frère Roucher, d’une impiété ostentatoire, lors de la
cérémonie funèbre dans le temple du Grand Orient de France, vint aux oreilles
du roi, dès le lendemain. Le Grand Orient réagira dans les quarante-huit
heures. Il retira à la loge l’usage spacieux du temple de la rue du Pot-de-fer.
Mais pendant tout le temps que dura cette interdiction, les frères de la loge se
retrouvaient quand même. Une question se pose, où donc se réunissaient-ils ?
Semble-t-il au pavillon de Madame Helvetius35, connu sous le vocable de la
15
dame d’Auteuil. A l’endroit même que le Mémoire du Grand Orient de France,
indiquant les griefs principaux retenus contre la loge des Neuf Sœurs,
mentionne, pour “une publicité non appropriée d’une fête maçonnique
donnée”.
Vinrent les États Généraux et 1789. Tout ce que Paris comptait de
conspirateurs et d’agitateurs se retrouva bien vite dans les loges maçonniques.
Louis Philippe, duc de Chartres, Grand Maître du Grand Orient de France
installé depuis 1773, finança les émeutes de 14 juillet, durant la prise de la
Bastille. La Révolution nobiliaire de 1789 proposa toute une série de réformes
souhaitables, mais les Cahiers de Doléances de février 1789 demandaient pour
la plupart la dissolution des Corporations. L’un des Constituants, Isaac Le
Chapelier, membre de la loge la Parfaite Union de Rennes, fit voter le 14 juin
1791 une loi supprimant les règles corporatives et interdisant toute coalition
professionnelle.
Il faut donc admettre que dès l’automne 1793, la quasi-totalité des loges
françaises furent fermées. Les rares loges qui continuaient à se réunir
épisodiquement n’avaient de maçonnique que le nom, car elles étaient
devenues de simples clubs politiques. Hélas, trois fois hélas, entre 1793 et
1794, nombre de personnalités maçonniques furent arrêtés et montèrent à
l’échafaud. La Convention chargea Barrère d’ouvrir une enquête sur les
activités suspectes des loges.
C’est également au pavillon de la sublime dame d’Auteuil36, qu’en 1793, le
médecin Georges Cabanis distribua entre quelques francs-maçons, “afin qu’ils
restent libres de leur destin” ce qu’il appela “le pain des frères” : du poison
mélangé à une dose d’opium. Nicolas de Condorcet en reçut sa part et l’utilisa
peu après. Et ce fut dans ce même pavillon que vinrent se cacher un certain
nombre de persécutés. C’était l’hécatombe37, toujours au nom du bonheur
général imposé. Beaucoup de frères eurent la tête tranchée par l’horrible
invention du docteur Guillotin, qui soit dit en passant, lui aussi fut membre de
la loge des Neuf Sœurs. Chamfort, Condorcet et bien d’autres se suicidèrent,
victimes de cette Révolution qu’ils avaient appelée de leurs vœux.
Ce n’est qu’en 1795 que les francs-maçons français purent se réunir.
Alexandre-Louis Roettiers de Montaleau, ancien directeur de la Monnaie, se
dévoua au Grand Orient de France pour rassembler ce qui était épars. Ce
grand personnage, qui refusa la Grande Maîtrise, descendait d’une famille
attachée aux Stuart : son bisaïeul, sous Charles II, fut graveur général des
monnaies de Grande-Bretagne ; son grand-père abandonna cette charge pour
le suivre en France. Son père, quant à lui, fut porté sur les fonts baptismaux, à
Saint-Germain, par Jacques III, chevalier de Saint-Georges, le Prétendant.
Grâce à son vénérable courage et ses dispositions extraordinaires, AlexandreLouis Roettiers de Montaleau sauva certaines archives du Grand Orient de
France en 1792, les préservant du vol et de l’incendie.
Toujours est-il que le réveil du rite français fut de courte durée. Cette époque
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vit s’établir le rite écossais ancien et accepté, venu des îles françaises
d’Amérique. Ratifiés le 31 mai 1801, sous l’égide du Suprême Conseil de
Charleston en Amérique du Nord, les 33 degrés furent introduits à Paris en
1804 par le comte de Grasse de Rouville, marquis de Tilly. Si dans un même
jardin, toutes les essences peuvent pousser et fleurir, les dignitaires du Grand
Orient de France, en adoptant les hauts grades du rite écossais ancien et
accepté, renoncèrent progressivement à pratiquer les hauts grades du rite
français.
Il faut bien reconnaître que le rite français38 du Grand Orient de France est
semblable au rite écossais en sept grades pratiqué en 1751 par la loge Saint
Jean d’Écosse. En 1762, cette loge souveraine prit le nom de Mère Loge
Écossaise de France à l’Orient de Marseille et devint très vite la rivale de la
Grande Loge de France dite “de Clermont”. En 1811, elle comprenait 400
membres, et ses loges filles en Provence, au Levant, aux îles et même en Italie
témoignaient de son rayonnement. Elle organisa le rite écossais39,
comprenant les trois grades de la maçonnerie bleue : Apprenti, Compagnon et
Maître ; et elle institua le Grand Souverain Chapitre Ecossais comprenant les
quatre hauts grades de la maçonnerie écossaise : Maître Élu dit des Neuf,
Maître Parfait Ecossais dit Vrai d’Ecosse, Chevalier de l’Epée dit de l’Orient ou
de l’Aigle, Souverain Prince de Rose-Croix. En 1814, la Mère Loge Écossaise de
France à l’Orient de Marseille fut compromise avec les cadres de l’empire
napoléonien et ses travaux se terminèrent après l’exil de leur vénérable
Thibaudeau.
Tout comme un symbole pour marquer l’envol de l’Aigle et du Pélican vers
d’autres cieux, le Souverain Chapitre primatial et métropolitain de Rose-Croix
d’Arras et la Mère Loge Écossaise de France à l’Orient de Marseille disparurent
quelques années plus tard40 sans avoir jamais consenti à se dessaisir de leur
titre originel. Tel est le caractère principal de l’histoire du rite français.
Que nous transmet ce rite ? Il souligne son attachement aux fondateurs de la
maçonnerie moderne et au-delà des mythes et des emblèmes. Force est de
reconnaître que l’inventaire est cohérent : respect des règles morales,
transmission d’une culture fraternelle, cérémonies d’admission, de pratiques
solennelles, d’une emblématique liée au métier, enfin, des signes, mots,
attouchements.
Le rite français conserve les anciens usages et les éléments de base survenus
au cours du XVIIIe siècle comme les voyages conduits par le “Frère Terrible”,
les purifications, les épreuves telles que celles du sang et du calice
d’amertume, le cercle d’épées, le coussin sur lequel est tracée une équerre, la
dénomination loge Saint-Jean, le compas, l’étoile à cinq branches, le soleil, la
lune et le maître de la loge41, la remise de deux paires de gants et du tablier,
l’indication de la marche du grade qui s’exécute du pied droit, la
communication du mot J, le signe guttural, le signe pectoral, la batterie par
trois coups dont les deux premiers sont plus rapprochés, et enfin l’instruction
17
du tableau de loge.
Le rite français se distingue même lorsqu’on s’adresse au Vénérable, il convient
donc de réserver la locution “Très Vénérable”. Tous les Maîtres sont couverts
d’un chapeau de ville, de couleur sombre. Il faut se rendre à l’évidence : tout
ce corpus emblématique témoigne d’une tradition et d’un échelonnement des
valeurs maçonniques. Il est important de préciser que le serment des trois
premiers grades est prêté sur le glaive, symbole de l’honneur, posé sur
l’évangile de Saint-Jean et devant le Grand Architecte de l’Univers.
Evidemment, le G.A.D.L’.U. n’est pas un simple concept, il ne relève pas d’une
assertion fonctionnelle, et il est encore moins un objet. Le rite français lui
confère une définition claire et précise : il symbolise le Verbe qui régit la
marche de l’Univers. En ce sens, l’espace sacré est exalté dans ces rituels et
cela sans exclusive.
On comprend dès lors pourquoi, lors de la réception, le profane doit répondre à
une question par : “Ma force est en Dieu”. Contrairement à certaines
mauvaises applications, les mots sacrés ne doivent pas être prononcés, ni lus,
ni écrits, et cela au même titre que le tétragramme sacré. Notons que les
purifications du premier grade par l’eau et le feu sont le témoignage
johannique d’un processus initiatique entrepris depuis le Moyen Age par les
bâtisseurs.
Au grade d’Apprenti : inspiré de la maçonnerie anglaise, l’Orient représente le
Soleil, la Lune et le Maître de la loge. Une bougie de cire blanche se trouve sur
le plateau du Vénérable. Les trois lumières qui éclairent la loge sont en fait sur
les trois colonnes (1x3). Le second Surveillant se trouve au pied de la colonne
J, laquelle est à gauche en entrant. Les Apprentis siègent au Septentrion. Ils
sont âgés de trois ans et reçoivent leur salaire près de la colonne J. Le maître
de la loge se nomme Très Vénérable.
Au grade de Compagnon : six lumières éclairent la loge. Elles sont situées sur
les trois colonnes (2x3). Le premier Surveillant se trouve au pied de la colonne
B, laquelle se trouve à droite. Les Compagnons siègent au Midi. Ils sont âgés
de cinq ans et reçoivent leur salaire près de la colonne B. Trois fenêtres sont
décrites à l’Orient, au Midi, à l’Occident. Le maître de la loge se nomme Très
Vénérable.
Au grade de Maître : neuf lumières éclairent la loge. Elles sont situées sur les
trois colonnes (3x3). Les Maîtres siègent au Septentrion ou au Midi. Ils sont
âgés de sept ans et plus et reçoivent leur salaire dans la chambre du milieu.
Trois portes sont décrites à l’Orient, au Midi, à l’Occident. Le maître de la loge
se nomme Très Respectable.
Au grade d’Élu Secret : une bougie jaune dans un chandelier est placée dans le
premier appartement ; dans le deuxième appartement six grandes lumières
sont disposées sur le mur, et un chandelier à neuf branches se trouve du côté
du Midi. Les Élus Secrets sont âgés de neuf semaines sur sept ans. Le maître
18
de la loge se nomme Très Sage ; le premier Surveillant “Grand Inspecteur” ; le
second Surveillant “Sévère Inspecteur”.
Au grade de Grand Élu Écossais : une bougie jaune dans un chandelier est
placée dans le premier appartement ; dans la voûte secrète, vingt sept
lumières éclairent la loge en trois groupes de 9 (un groupe de neuf lumières
près de l’Orient, trois par trois, du côté Midi ; un groupe de neuf lumières à
l’Occident, par huit et un, près du premier Grand Surveillant ; un groupe de
neuf lumières à l’Occident, sur deux lignes par six et trois, près du second
Grand Surveillant). Sept lumières sur un chandelier à sept branches en or
éclairent la troisième chambre, appelée le Temple dans sa perfection. Les
Grands Élus Écossais sont âgés de neuf ans. Le maître de la loge se nomme
Très Grand ; le premier Surveillant “Premier Grand Surveillant” ; le second
Surveillant “Second Grand Surveillant”.
Au grade de Chevalier d’Orient : une bougie jaune dans un chandelier est
placée dans le premier appartement ; dans le troisième appartement soixante
dix lumières éclairent la loge en dix groupes de sept. Les Chevaliers d’Orient
sont âgés de dix semaines d’années. Le maître de la loge se nomme Souverain
Maître ; le premier Surveillant “Premier Général” ; le second Surveillant
“Second Général” ; l’orateur “Grand Orateur” ; le secrétaire “Grand Maître des
Dépêches” ; le garde des sceaux “Grand Maître Garde des Sceaux” ; le
trésorier “Grand Maître des Finances” ; le maître des cérémonies “Grand Maître
du Palais”.
Au grade de Rose-Croix : une bougie jaune dans un chandelier est placée dans
le premier appartement ; dans le deuxième et le quatrième appartement
trente trois lumières éclairent la loge en trois groupes de onze. Les chevaliers
de Rose-Croix sont âgés de trente trois ans. Le maître de la loge se nomme
Très Sage et Parfait Maître ; le premier Surveillant “Très Excellent et Parfait
Premier Surveillant” ; le second Surveillant “Très Excellent et Parfait Second
Surveillant” ; les officiers “Très Puissants et Parfaits” ; les chevaliers “Très
Respectables et Parfaits”.
Le dernier grade du rite français comprend tout ce qui est relatif à la RoseCroix. Le symbole de la croix engendre la rose. C’est aussi poser la rose des
vents sur la croix des saisons. D’ailleurs la croix place l’homme au centre de
l’univers et la rose place le cœur au centre de l’homme. La rose au centre
représente le monde physique sublimé et l’épreuve de la croix surmontée fait
passer de la matière à l’esprit.
Cette dernière exaltation est l’axe et le sommet du rite, avec le nombre sept.
Ce nombre est le plus élevé des grades symboliques en raison de sa haute
valeur traditionnelle. Les sept marches du Temple invitent le récipiendaire vers
la maîtrise de soi-même ; la réunion du nombre 4 et 3 représente la perfection
; sept frères rendent une loge juste et parfaite. Le serment des quatre derniers
grades est prêté sur le glaive, symbole de l’honneur, posé sur le livre de la
Sagesse et devant le Grand Architecte de l’Univers.
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L’honnêteté obligerait de dire, ce qui ne semble pas toujours dit, que le rite
français, anciennement rite écossais en sept grades, demeure indiscutablement
la meilleure bibliothèque de l’art royal. Les chevaliers de Rose-Croix sont en
fait les gardiens intemporels de la tradition primordiale. Les anciens usages
sont éprouvés, logiques, codifiés et conservés. Par la suite, les “Frères troispoints” du Grand Orient de France42 les ont altérés.
La meilleure façon de revenir aux sources et à la tradition des maçons
d’autrefois, c’est de se reporter sans cesse aux anciens documents pour
travailler avec les principes de la franc-maçonnerie moderne. Ils s’adressent
particulièrement aux agnostiques épris de spiritualité et aux croyants dénués
de sectarisme, car le franc-maçon demeure l’ami du pauvre et du riche, s’ils
sont vertueux43. D’après cette définition, la meilleure attitude du franc-maçon
paraît donnée par Théodore Roosevelt, Président des Etats-Unis (1933-1944),
lequel demanda à son Secrétaire d’Etat Root depuis combien de temps il se
tenait à l’écart des Loges ? “Longtemps” répondit ce dernier. “Eh bien, dit
Roosevelt, allons ce soir dans ma Loge. Il y a un excellent Vénérable ; c’est le
jardinier de mon voisin.”
Au point de vue historique, et par préalable, la franc-maçonnerie universelle,
chantée par Kipling, est une véritable institution fraternelle, spirituelle et
humaniste. Elle conserve la tradition en ses principes et son origine.
_______
1. Même de nos jours, les Hospitaliers n’oublient pas
cependant leur mission d’assistance. En 1676, l’Ordre avait
fondé une école d’anatomie et de chirurgie, ainsi qu’un
jardin botanique où étaient cultivées, puis mises en pots,
des dizaines de plantes. L’Hôpital de la Valette, qui
possédait un excellent service chirurgical (l’aseptie y était
pratiquée méthodiquement) pouvait accueillir jusqu’à 900
malades en cas d’urgence. Les patients étaient servis dans
de la vaisselle d’argent, non par luxe, mais parce que ce
20
métal est un antiseptique puissant. Pour lutter contre les
épidémies, les Hospitaliers avaient mis au point un système
efficace de quarantaine. Les certificats de quarantaine
délivrés par le Grand Maître faisaient autorité dans tout le
bassin méditerranéen. Avec les Sacrées Infirmeries, les
hôpitaux de l’Ordre, à Rhodes, à Malte et à La Valette
eurent une excellente réputation.
2. Quelle mystérieuse rencontre que celle des Hospitaliers et
des Compagnons au siège de Rhodes en 1480. Ce n’est pas
surprenant que les Maçons, bâtisseurs des rosaces des
cathédrales aient pris le symbole de la rose. Au Moyen Age,
la rose fut le symbole du secret. Ce qui est dit “sous la
rose” (sub rosae) signifiait sous le sceau du secret. D’où
l’expression découvrir le “pot aux roses”. Vers le XIIe siècle,
l’emblème de la Rose-Croix est issu du comte Raymond IV
de Toulouse. La croix rouge de saint Georges rappelle
l’importance de la traditionnelle fête du Livre et de la Rose
en Catalogne et l’apparition de l’Ordre de la Jarretière en
Angleterre. Signalons que le grand collier de l’Ordre est
composé de roses blanches, de roses rouges et des
chardons, dont, précise-ton, la plante recueille, par ses
cavités, la “rosée”.
3. L’île de Rhodes (rosa vient du grec rhodos), appartenant
jadis aux chevaliers de Malte, doit son nom à la prolifération
des roses. Ajoutons que la couleur rose ne fait pas partie
des sept couleurs naturelles provenant de la décomposition
de la lumière par le prisme.
Paracelse (1493-1541), le père de la médecine hermétique,
emploie le symbole de la rose pour décrire la régénération
de l’homme : la nature entière peut s’ouvrir à nos yeux,
l’univers se présente ainsi comme un texte à déchiffrer.
Cette recherche puise ainsi “à l’ensemble des facultés, des
sciences, des arts, de la nature entière”. Autrement dit,
c’est la lecture des secrets de la nature pour se consacrer
essentiellement à la recherche de la Médecine universelle.
4. Soit dit brièvement, les “Quatre Couronnés” furent quatre
sculpteurs martyrisés sous Dioclétien pour avoir refusé de
fabriquer des idoles. Une Loge londonienne porte
précisément le nom d’Ars Quatuor Coronatorum, elle est
d’ailleurs célèbre par ses précieuses contributions érudites à
l’histoire de la franc-maçonnerie.
5. Aitchison’s Haven, Édimbourg, Haddington, Kilwinning,
Stirling, Saint Andrews, Dunfermline, Glasgow, Dundee,
Dumfries.
6. Nommé par le roi Jacques Ier en 1607, Intendant Général
des bâtiments de la Couronne et Grand Maître d’Angleterre
avec mission de présider les loges.
7. Abréviation de freemen masons. Le terme de freemason
21
ne signifie pas autre chose que maçon libre, c’est-à-dire
ayant accompli valablement son apprentissage et ayant
acheté le métier.
8. Chalmers I. Paton, The origin of freemasonry, the 1712,
theory exploded. Londres, 1871.
9. Les Anciens Devoirs de la maçonnerie opérative anglosaxonne.
10. Chevalier, Maître ès-arts du collège de Wadnam,
professeur d’astronomie à Oxford, docteur de droit civil,
président de la Royal Society.
11. Professions.
12. Bernard Oudin, Histoires de Londres, Paris, Ed. Perrin,
2003.
13. Prédicateur attaché à la cour du Prince de Galles. Né à la
Rochelle, fils d’un pasteur huguenot réfugié en Angleterre, il
a été reçu maçon accepté vers 1714 par la loge Saint Paul.
Élu Grand Maître le 24 juin 1719, il présida la réception de
S.A.R. Frédéric, Prince de Galles, en 1737, dans une loge
réunie au palais de Kew.
14. Dates des cinq éditions : 1723, 1738, 1756, 1767,
1784.
15. Né à Aberdeen (Écosse), il devint en 1710 ministre
d’une église presbytérienne de Londres, là où le père de J.T.
Désaguliers avait exercé son ministère. Cette église
accueillait de nombreux huguenots d’origine française.
Comme de nombreux investisseurs, James Anderson, perdit
presque toutes ses économies dans le krach financier de
1720, relatif à la faillite de la Compagnie des Mers du Sud.
En 1721, la Grande Loge de Londres le chargea de la
rédaction des Constitutions parues en 1723. Tout en
continuant son ministère, il fut Vénérable de la loge n°17.
16. Maçons Anciens d’York.
17. Dates des quatre éditions : 1756, 1764, 1778, 1787.
18. Député Grand-Maître de la Grande Loge des Maçons
Anciens d’York.
19. Les amis du pasteur Jean-Théophile Désaguliers
provenaient en grand nombre de la Royal Society.
Évidemment, les dix premiers Grands Maîtres de la Grande
Loge de Londres appartenaient à la Royal Society. Cette
influence était ressentie par les Anciens comme une
confiscation de la Corporation.
20. Jacques II Stuart, après sa capitulation à Limerick, se
réfugie en France, au château de Saint-Germain-en-Laye et
ce n’est qu’en 1713, Louis XIV l’ayant abandonné au traité
d’Utrecht, qu’il dut quitter Saint-Germain et se réfugier dans
l’État Pontifical à Rome.
21. Que les Stuart se soient servis des Loges dans un
dessein politique est fort probable. D’ailleurs, le général
22
Monk, principal artisan de la Restauration de 1660, était un
“maçon accepté” de la loge opérative d’Édimbourg.
22. Sous l’autorité de Pény Martin, la Grande Loge de
France dite “de Clermont” se maintiendra en activité
jusqu’au seuil de la Révolution. Elle abandonna tous ses
pouvoirs au Grand Orient de France le 21 mai 1790.
23. Devenus par la suite chevaliers de Rhodes et enfin
chevaliers de Malte.
24. Que l’on ne doit pas confondre avec l’Ordre de la RoseCroix de Johann-Valentin Andreae (1586-1654), abbé
d’Adelberg (Allemagne). Il publia en 1616 les Noces
chymiques de Christian Rosenkreutz, personnage mythique
signifiant le Chrétien à la Rose et à la Croix. Au cours d’un
voyage et de la visite d’un château, Johann-Valentin
Andreae retrace les étapes de l’œuvre alchimique. Dans ce
conte allégorique apparaît “une femme d’une merveilleuse
beauté, dont la robe, toute bleue, était constellée
gracieusement d’étoiles d’or comme le firmament”.
Sur l’Ordre de la Rose-Croix, la meilleure réponse paraît
donnée par Fulcanelli, alchimiste du XXe siècle, célèbre
auteur des Demeures Philosophales : “Les adeptes porteurs
du titre, sont seulement frères par la connaissance et par le
succès de leurs travaux. Comme les adeptes ne
reconnaissent aucun degré hiérarchique, il s’en suit que la
Rose-Croix n’est pas un grade, mais la seule consécration de
leurs travaux sur la sagesse depuis les origines.”
25. François Favre, Documents maçonniques recueillis et
annotés, Paris, A. Teissier, 1866.
26. Le philosophe et franc-maçon, Joseph de Maistre
s’exprime ainsi : “Les sociétés d’illuminés sont surtout
fréquentes chez les protestants. Les esprits religieux n’étant
pas satisfaits de la Réforme cherchent quelque chose de
plus substantiel et s’attachent à des idées mystiques”.
27. Mozart souhaita instaurer l’ère nouvelle de la francmaçonnerie mixte en lui proposant une tradition égyptienne.
Il avait bien représenté une initiation double, masculine et
féminine, dans ses “Ethiopiques”, à l’exemple de Tamino et
Pamina. Il commença même en rédiger les statuts, mais la
mort l’empêcha de poursuivre son projet maçonnique.
28. Appelé à l’origine rite des hauts secrets par Estienne
Morin. Francken le nommera plus tard rite de perfection.
29. Publiés sous le titre de régulateur des chevaliers maçons
et diffusés par les libraires de Paris : Caillot et Brun.
30. Inscrit au tableau des Officiers et des membres
fondateurs du Grand Orient de France.
31. Dans son Dictionnaire philosophique (1764), à l’article “
initiation”, Voltaire parle avec dédain de “nos pauvres
francs-maçons”.
23
32. On dit même qu’à Londres, Voltaire, avait été en
étroites relations avec certains cercles maçonniques, étant
le protégé de lord Bolingbroke et de lord Chesterfield,
lesquels organisèrent une collecte pour traduire et imprimer
son “Henriade” et allèrent jusqu’à le présenter au roi
Georges Ier. Cependant, Montesquieu avait bel et bien été
initié à Londres par le même lord Chesterfield ; il avait
publié les “Lettres persanes”, et en Europe de nombreuses
têtes couronnées lisaient, le crayon à la main, “L’Esprit des
lois”.
33. La mouvance maçonnique française de l’époque, ouverte
aux influences mystiques, se rapprochait plus du New Age
de la fin du XXe siècle.
34. On peut dire qu’en 1774, lorsque le Grand Orient
récupéra les loges féminines d’adoption, il ne faisait que
suivre, et non devancer une tendance générale. Certes, à ce
moment le rituel fut changé, on n’était plus à l’Orient mais à
son climat, et la Vénérable de la loge siégeait en Asie, mais
ce rituel établi par des frères instruits et dévoués ne
manquait pas d’élévation, et s’il était éternellement question
de la pomme, du serpent, d’Adam et Ève, on y faisait aussi
allusion à l’arche et aux traditions noachites.
35. Née en Lorraine en 1719, au château de Ligniville,
Madame Helvétius a eu 20 frères et sœurs. Sa famille, les
Ligniville d’Auricourt, était d’une haute lignée, mais sans
fortune. Grâce à la bonté d’une parente, Madame de
Graffigny, la jeune fille évita d’entrer dans un couvent. C’est
bien plus tard que le chemin de Mademoiselle d’Auricourt
croisa celui de Claude-Adrien Helvétius, fils du médecin de
la reine.
36. Beaucoup de francs-maçons très importants ont
fréquenté assidûment la maison d’Auteuil. Tel Benjamin
Franklin, qui avait pris, le 22 mai 1779, le premier maillet
de la loge des Neuf Sœurs, à la suite de Lalande, héritant en
même temps du tablier d’Helvétius. Il encouragea donc
l’organisation de fêtes académiques : à l’une d’elles, Le
Changeux présenta le premier baromètre enregistreur.
Franklin, l’inventeur du paratonnerre, introduisit Thomas
Jefferson, le futur Président des États-Unis d’Amérique.
Avant de repartir, il demanda Madame Helvétius en
mariage, comme l’avait fait également Turgot, de dix ans
plus jeune qu’elle. Mais la dame d’Auteuil, comme ils
l’appelaient, les refusa tous deux sous le prétexte poli de
rester fidèle à la mémoire de son défunt.
37. Libre de son temps, de sa personne, et disponible pour
la franc-maçonnerie, la princesse de Lamballe, fut
malheureusement mise en pièces lors du régime de la
terreur.
24
38. Le nom du rite moderne donné par le Grand Orient de
France en 1786 porte également le nom de rite français. Ce
régime devint public dès son édition en 1801 sous le titre de
Régulateur du Maçon.
39. Rituels rendus publics en 1812. Fac-similé, Éditions du
Prieuré, 1993.
40. Vers 1812-1815.
41. Le soleil, la lune et le maître de la loge s’inscrivent ainsi
dans la tradition de pensée du manuscrit Graham, 1726.
42. Le Second Empire voit la pénétration d’un schisme
historique dans les loges françaises. En 1877, le Grand
Orient de France, à la suite d’un discours du pasteur
protestant Desmons, supprime la formule “A la Gloire du
Grand Architecte de l’Univers”, considérée comme
attentatoire à la liberté de pensée. Dès lors, le Grand Orient
de France s’oriente vers des activités profanes, plus
particulièrement politiques, et vers l’anticléricalisme de
combat. De ce fait, il cesse par la-même d’être un corps
maçonnique régulier. Désormais, la Grande Loge Unie
d’Angleterre rompt tout contact avec le Grand Orient de
France.
43. La Franc-maçonnerie est un Ordre initiatique,
philosophique et fraternel. Cet Ordre est apolitique, non
religieux, et bien entendu : non-sectaire. Ce qui ne veut pas
dire que chaque membre est tenu de ne pas avoir d’opinion
politique, syndicale, ou de ne pas pratiquer une religion.
Chacun est libre de ses pensées et de ses engagements
dans le monde profane. Dans le Temple, il est avant tout
uniquement franc-maçon. Etant donné que toutes les
professions, toutes les nationalités, la plupart des courants
politiques ou religieux, se côtoient dans la plus grande
convivialité, imaginez ce qui arriverait si chaque membre
faisait état de ses convictions au mépris de celles des
autres.
BIBLIOGRAPHIE
-Cahiers des Travaux de la Loge nationale de recherches
Villard de Honnecourt (Grande Loge Nationale Française).
-Jean-Emile Daruty, Recherches sur le R.E.A.A., précédées
d’un historique de l’origine et de l’introduction de la Francmaçonnerie en Angleterre, en Ecosse et en France,
Demeter, 1988.
-François Guy Hourtoulle, Franc-maçonnerie et Révolution,
Editions Carrère, 1989.
25
-Les Constitutions d’Anderson, (traduit par De La Tierce
1742), Editions Romillat, 1993.
-Patrick Négrier, Textes fondateurs de la Tradition
maçonnique, 1390-1760, Editions Grasset & Fasquelle,
1995.
-Jean Palou, La Franc-maçonnerie, Payot 1964.
-Roger Priouret, La Franc-maçonnerie sous les Lys, Grasset,
1953.
-David Stevenson, Les Origines de la Franc-maçonnerie, le
siècle écossais 1590-1710, Editions Télètes, 1993.
Henri RAMONEDA
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ISBN 2- 9517056-0-3
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