1 Jean-Pierre Devroey, Introduction à la conférence publique de la

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1 Jean-Pierre Devroey, Introduction à la conférence publique de la
Jean-Pierre Devroey, Introduction à la conférence publique de la Chaire Verhaegen 2013, « La longue
marche des femmes en franc-maçonnerie », par Cécile Révauger, le 25 mars 2013.
La Chaire Théodore Verhaegen fut fondée en 1983 sous l’impulsion du Professeur Hervé Hasquin
avec le soutien du Grand Orient de Belgique. Il en fut le premier directeur. Dans cette année qui
marquait le cent-cinquantième anniversaire de l’obédience, la chaire visait à évoquer les origines
historiques de l’Université libre de Bruxelles, créée en 1834 à l’initiative de maçons belges de la loge
des Amis Philanthropes, et à en diffuser les valeurs fondatrices. Depuis 2011, une ASBL qui associe le
Grand Orient de Belgique, l’ULB et la VUB, permet de consolider et d’élargir les activités de la Chaire
dans les deux universités.
Le thème de cette année – La longue marche des femmes en maçonnerie – illustre à merveille une
des valeurs de la triade révolutionnaire dans laquelle des maçons belges et des professeurs de l’ULB
s’illustrèrent – avec parfois bien des contradictions : l’égalité entre hommes et femmes. Pour ces
savants épris de progrès, l’instruction était la première pierre à poser pour œuvrer à l’émancipation
féminine. La première école secondaire pour filles, le Cours d’éducation fut fondée par la Ville de
Bruxelles sous l’instigation de maçons, Henri Bergé, plus tard recteur de l’ULB et grand maître du
Grand Orient de Belgique, et Jean-François Tielemans, co-fondateur de l’Université. L’école avait à sa
tête Isabelle Gatti de Gamond qui sera, peu de temps avant sa mort en 1905, initiée à Paris par la
loge Diderot.
C’est également Henri Bergé qui fit adopter en 1876 la loi ouvrant les portes de l’enseignement
supérieur aux femmes. En 1880, l’ULB appuie l’ouverture d’une section de régente au Cours
d’éducation, dans laquelle viennent enseigner de nombreux professeurs comme Léon
Vanderkindere, Hector Denis, Henri Witmeur, etc. La même année 1880, pour la première fois, des
jeunes femmes, l’institutrice Emma Leclercq, Marie Destrée et Louise Popelin, sont admises à
s’inscrire en candidatures en sciences naturelles.
Contradiction ? La Faculté de médecine de l’ULB juge, la même année, « possible, mais pas
désirable » que des femmes puissent pratiquer l’art de guérir.
Toutefois, en 1882, Isala Van Diest est admise à achever ses études de 3e doctorat en médecine
qu’elle avait commencée à l’Université de Berne. Marie Popelin entame des études de droit et Henri
Lafontaine, sénateur socialiste et futur Prix Nobel de la Paix 1913, crée une association pour un
« Barreau des femmes ».
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Beaucoup reste encore à faire pour réaliser ces idéaux d’émancipation et d’égalité entre hommes et
femmes. En 1892, Lafontaine participe à la création à Bruxelles, à l’ULB « laboratoire de la pensée
libre », de la Ligue belge du droit des femmes.
L’année suivante, la voie vers l’égalité dans la vie publique s’élargit avec la création d’une section
féminine au Parti Ouvrier, en même temps qu’une Ligue des femmes chrétiennes.
Mais ce chemin n’ouvre pas encore aux deux sexes la porte des loges. En France, Maria Deraisme,
initiée par une loge du nord de la France en 1882, a fondé une obédience mixte, Le Droit Humain,
avec Georges Martin. Les Amis Philanthropes débattent à 3 reprises en 1900 et 4 en 1903 de la
question de l’entrée des femmes en maçonnerie. En 1903, à Charleroi … en Pennsylvanie, la jeune
émigrée belge Marie Bourgeois, qui avait épousé à dix-sept ans le mineur et militant socialiste
français Louis Goaziou, est initiée dans la première loge du Droit Humain aux Etats-Unis, Alpha.
En février 1905, des Frères interrogent le Grand Orient sur la manière d’interpréter l’article 1 des
Statuts de l’Ordre qui fixe comme seule condition pour l’initiation « d’être honnête homme » et
affirme que « la Maçonnerie forme une société d’hommes probes ». Quel sens faut-il donner à
« homme » : l’être humain ou la personne du sexe masculin. Tandis qu’une longue procédure de
réflexion (elle dure, d’une certaine manière encore…) débute au Grand Orient, et que l’interprétation
étroite du mot « homme » l’emporte dès 1905, dans les rangs des Amis Philanthropes, beaucoup
estiment que rien dans les statuts ne s’opposent à accueillir des femmes comme visiteurs. Les
maçons belges sont certes acquis au principe de l’initiation des femmes (sous quelle forme ? dans
des loges mixtes ou dans des loges d’adoption ?), mais, comme à l’égard du suffrage universel,
beaucoup d’entre eux pensent qu’il faut d’abord propager les principes maçonniques dans la famille,
donner du temps au temps, avant de songer à initier des femmes.
Toutefois, au sein de la loge des Amis Philanthropes, de nombreux frères veulent œuvrer
concrètement à la création d’une maçonnerie mixte en Belgique. Un premier projet de tenue mixte
échoue en 1905, après le décès subit d’Isabelle Gatti de Gamond. Il aboutira cinq ans plus tard. Le 21
novembre 1910, à l’invitation du Vénérable Maître Henri Lafontaine et de sa commission, le Grand
Maître du Droit Humain Henri Martin frappe à la porte du temple des AP, accompagné d’une
douzaine de sœurs pour y présenter une conférence sur la mixité en maçonnerie. Une partie des
frères quitte la réunion dans le désordre et la première tenue mixte d’une loge du GOB se poursuit. À
la suite de cet incident, 118 frères des AP démissionneront pour créer une nouvelle loge, peu
favorable à la mixité, Les Amis Philanthropes n°3. Tandis que le Grand Orient songe encore à susciter
la création de loges d’adoption réservée aux femmes, le premier atelier du Droit Humain en Belgique,
Egalité, est fondé le 22 février 1911.
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Pour entendre le commencement et la suite de cette longue histoire de la déambulation des femmes
en maçonnerie (le 11 juillet 1773, un frère de la Vraie et Parfaite Harmonie à Mons proposait
« d’admettre aux travaux les maçonnes d’adoption »), je suis très heureux d’accueillir notre
conférencière de ce soir, Cécile Révauger, professeur à l'Université de Bordeaux III et première
femme à occuper la chaire Verhaegen. Avant de demander à Jean-Philippe Schreiber de vous la
présenter, il me reste l’agréable devoir de lui remettre en témoignage de gratitude, la médaille de
l’Université, et de remercier très chaleureusement tous ceux qui ont préparé cet événement, en
particulier Ariane Robyn et Jean-Philippe Schreiber.
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