CHAPITRE 4 Croissance, progrès technique et emploi

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CHAPITRE 4 Croissance, progrès technique et emploi
1 / La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet
CHAPITRE 4 :
CROISSANCE, PROGRES TECHNIQUE ET EMPLOI
A chaque grande étape de l’évolution technique, une bonne partie de l’opinion s’inquiète des effets des
changements. Ainsi, en 1579 apparaissait à Dantzig un métier à tisser permettant de fabriquer de nombreux
rubans de façon « industrielle ». Mais le conseil de la ville, par crainte de secousses sociales, le fit détruire, et,
pour éviter qu’il ne renaisse, décida de noyer son inventeur.
Tout au long des siècles, que de peurs et de rejets suscités par le progrès technique ! De l’empereur Tibère à
Montesquieu, de Colbert aux luddistes – les partisans de la destruction des machines – ce n’est qu’un seul
refus, celui de la suppression des emplois qu’entraîne la substitution d’une machine à des bras. La peur du
progrès technique n’a décidément pas d’âge.
Jusqu’en 1684, les machines étaient ainsi interdites en France. Mais le rejet se poursuit au 18ème siècle. Faut-il
rappeler que les métiers de Vaucanson ont été brisé en 1744, que John Kay, l’inventeur de la « navette
volante », fut chassé de nombreuses villes anglaises avant de venir se réfugier en France ? De même, les
machines baptisées « Jenny », qui se substituaient aux rouets, furent-elles détruites.
Mais l’opposition la plus forte fut celle des canuts qui, en 1831, soulevèrent une insurrection : ces 2 000
ouvriers lyonnais attaquèrent une usine de Saint-Etienne pour briser les machines. Cette révolte fut suivie à
Lyon d’une autre révolte tout aussi violente, ralliée au cri de : « Vivre en travaillant ou mourir en
combattant ». D’ailleurs, très significatif est le fort soutien de l’opinion publique à la classe ouvrière contre les
machines tout au long du 19ème siècle.
Les effets du progrès technique dans la sidérurgie
« Je travaille dans la sidérurgie à Fos-sur-Mer depuis son ouverture en 1972. A l’époque, nous étions 7200 salariés. Nous ne
sommes plus que 3200 personnes aujourd’hui, et nous produisons deux fois plus d’acier qu’il y a trente ans. Pour le grand public,
l’image de la sidérurgie est vieillotte. En réalité, c’est une industrie high-tech. Evidemment, certains métiers ont disparu. Rares
sont aujourd’hui les opérations manuelles. L’ouvrier qui jugeait autrefois à l’œil (et à l’expérience) si la plaque d’acier avait
l’épaisseur et la densité requises s’en remet aujourd’hui à son ordinateur. Les progrès technologique sont à l’origine d’environ
2000 suppressions d’emplois. Ceux-ci correspondent aux postes les moins qualifiés, en particulier dans la manutention.
Parallèlement à ces suppressions d’emplois, de nouveaux métiers sont nés. Des « animateurs sécurité » surveillent aujourd’hui les
conditions de travail. Des commerciaux travaillent dans l’usine pour suivre la qualité des produits pour le compte des clients. Des
emplois ont aussi été créés dans le domaine du contrôle financier. Ces fonctions n’ont pas compensé en nombre celles qui ont
disparu. Elles correspondent aussi à des formations différentes. »
Source : D. PLUMION, contremaître chez Sollac, cité dans L. BACOT (coord.), Le Petit Economiste illustré, Bréal, 2002.
a. Expliquez les effets négatifs et positifs des gains de productivité sur l’emploi dans la sidérurgie.
b. Le manutentionnaire qui a perdu son poste pourra-t-il occuper un poste de commercial ?
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Section 1. Productivité, croissance et emploi
Les pays les plus riches et les plus développés sont aussi ceux où :
•
le niveau de productivité est le plus élevé
•
le revenu par tête est le plus élevé
•
le niveau de chômage est le plus faible (comparativement aux pays pauvres, dont
certains connaissent un chômage endémique)
Cette conjonction de situations montre qu’il existe bien une relation positive, voire un cercle vertueux
entre croissance, productivité et emploi.
1.1. Gains de productivité et extension des marchés
1.1.1.
Les mécanismes de fixation des prix
Doc 1 p 110 « Le marché et la fixation des prix à court terme »
Rappels sur la régulation d’un marché concurrentiel :
La notion de marché d’un point de vue économique correspond à un lieu de
rencontre (fictif ou réel) des demandeurs et des offreurs d’un même produit
(bien ou service, le bien étant matériel et le service étant immatériel), à
chaque produit correspondant un marché spécifique ; sur le marché, des
mécanismes de marché et/ou institutionnels (prix administrés par l’Etat)
permettent la détermination du niveau de prix, celui-ci pouvant être analysé
comme un indicateur de rareté du produit échangé sur ce marché (si l’offre
est abondante par rapport à la demande exprimée, le prix est faible, et
inversement).
Les prix ont trois fonctions essentielles dans une économie de marché :
-
transmettre l’information du marché aux offreurs et aux demandeurs
(quoi produire par exemple) ;
déterminer la répartition des revenus ;
permettre de choisir les combinaisons productives les plus efficaces (les
méthodes de production présentant le coût le plus faible).
Les prix et leurs variations sont les variables déterminantes sur des marchés
concurrentiels, et constituent le régulateur de l’économie. En effet, une variation des
prix modifie le comportement des offreurs et des demandeurs, qui ajustent les
quantités offertes et demandées en fonction de la variation des prix. Le système de prix
représente donc le système d’information qui oriente les comportements des offreurs et
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des demandeurs, et permet donc au marché d’être équilibré grâce aux mécanismes de
marché.
Dans une situation de concurrence, les mécanismes de marché permettent l’équilibre
entre :
•
L’offre : celle-ci correspond à la quantité de produits que les vendeurs
souhaitent vendre à un prix donné. L’offre est en général une fonction
croissante du prix ;
•
La demande correspond à la quantité agrégée (somme des demandes
individuelles des acheteurs) de produits (biens et services) que les
acheteurs sont prêts à acquérir pour un niveau de prix donné. A chaque
niveau de prix correspond à priori un niveau de demande différent. La
demande est en général une fonction inverse du prix : la demande
augmente quand le prix baisse, et inversement.
En situation concurrentielle, la régulation de chaque marché est donc
assurée par l’intermédiaire du prix du marché : il existe théoriquement
pour chaque marché (c’est-à-dire pour chaque produit) une situation
d’équilibre entre offre et demande sur le marché pour un niveau de prix
appelé prix d’équilibre, qui satisfait les offreurs et les demandeurs. Cet
équilibre se détermine grâce au jeu de la « loi de l’offre et de la
demande ».
Cette loi de l’offre et de la demande consiste en l’existence de réactions opposées des
vendeurs et des acheteurs sur le marché d’un produit lorsque le prix varie sur ce
marché. Si, par exemple, le prix augmente, la demande baisse et l’offre augmente. La
condition nécessaire du retour à l’équilibre est ici la baisse du prix.
La rencontre entre offre et demande sur un marché, et la loi de l’offre et de la
demande (réactions opposées des vendeurs et des acheteurs à une variation du prix
du marché) débouchent sur des mécanismes de marché qui permettent, par un
processus dit « de tâtonnement », la détermination du prix d’équilibre du marché :
par un processus d’ajustements successifs de l’offre et de la demande engendrés par
une variation des prix, les quantités offertes et demandées s’équilibrent au niveau du
prix d’équilibre du marché (défini simplement comme le prix qui permet d’égaliser
l’offre et la demande sur un marché donné).
Les prix et leurs variations sont donc les variables déterminantes sur des marchés
concurrentiels, et constituent le régulateur de l’économie. En effet, une variation des
prix modifie le comportement des offreurs et des demandeurs, qui ajustent les
quantités offertes et demandées en fonction de la variation des prix. Le système de
prix représente donc le système d’information qui oriente les comportements des
offreurs et des demandeurs, et permet donc au marché d’être équilibré grâce aux
mécanismes de marché.
Ces mécanismes d’ajustement des marchés par les prix supposent que ceux-ci soient
flexibles, à la hausse comme à la baisse. Cette flexibilité est garantie dans la théorie
néoclassique par l’existence d’un degré fort de concurrence. La concurrence est
d’autant plus forte que le marché se rapproche de l’idéal de la Concurrence pure et
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parfaite défini par les économistes néoclassiques, dont les hypothèses sont les
suivantes :
1) L’atomicité du marché : les offreurs et demandeurs sont très nombreux et
de petite taille, et ne peuvent de ce fait pas influer sur les conditions du
marché (quantités offertes et demandées, niveau du prix).
2) L’homogénéité du produit : toutes les firmes proposent des produits que
les acheteurs jugent identiques ; il n’y a pas de différenciation du produit par la
marque, le conditionnement.
3) La libre entrée sur le marché : n’importe quel producteur ou demandeur a
accès librement au marché ; il n’y a pas de barrières à l’entrée sur le marché
pour de nouveaux entrants potentiels.
4) La transparence du marché (information pure et parfaite) : tous les
participants du marché connaissent parfaitement et gratuitement toutes les
informations sur le marché (quantités offertes et demandées pour chaque
niveau de prix, prix du marché).
5) La parfaite mobilité des facteurs de production : d’une branche d’activité
à une autre, les capitaux et le travail sont mobiles et peuvent se déplacer d’une
branche à une autre.
A long terme, la fixation des prix va dépendre essentiellement de l’évolution des coûts de
production :
Doc 2 p 100-111 « La fixation des prix à long terme »
L’évolution des coûts dépend de l’évolution de la productivité et de la manière dont les entreprises
affectent les gains de productivité générés par l’investissement et le progrès technique et/ ou
l’amélioration des qualifications des actifs et/ou les économies d’échelle etc.
1.1.2.
Les effets des gains de productivité : baisse des prix et
augmentation des salaires réels
Les gains de productivité générés par le progrès technique ont permis de fait une baisse des prix de
vente et une hausse des salaires sur le long terme : ceci se traduit par une augmentation du pouvoir
d’achat des salaires, qui avait été mise en évidence par Jean FOURASTIE. Comment observer cette
hausse du pouvoir d’achat ?
Doc 4 p 111 « La hausse des salaires »
La hausse des salaires nominaux résulte, outre les gains de productivité, de mécanismes de hausse
institutionnalisée du fait de la négociation collective dans le cadre de la société salariale par exemple
les mécanismes d’indexation des salaires sur les prix ; mais ceux-ci ne permettent que de garantir le
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maintien du salaire réel. Mais ce qui permet d’expliquer que le pouvoir d’achat du salaire (salaire
réel) ait été multiplié par pratiquement 5 en un siècle est l’accroissement de la productivité.
1.1.3.
L’extension des marchés : une relation positive entre gains de
productivité et croissance
On peut parler d’un cercle vertueux croissance-gains de productivité. La notion de cercle vertueux
implique que la relation de causalité soit bilatérale : celle-ci repose sur une relation (tant
microéconomique que microéconomique) positive entre volume de production et productivité ; on
peut analyser la relation entre croissance et gains de productivité dans les deux sens :
Gains de productivité ⇒ évolution de la production ;
Augmentation de la production ⇒ évolution de la productivité.
1.1.3.1.
Les effets des gains de productivité sur la demande :
l’extension des marchés
L’extension des marchés désigne l’accroissement du volume de la production écoulé
grâce à une augmentation de la demande sur les différents marchés de biens et de
services.
Doc 5 p 112 « L’extension des marchés »
La hausse du pouvoir d’achat permet l’extension des marchés du fait de deux phénomènes :
La demande augmente sur les marchés déjà existants si le marché n’est pas
saturé, c’est-à-dire si la demande n’est pas inélastique au prix ;
La demande augmente pour des nouveaux produits dus au progrès technique
(innovations de produit). Il faut qu’une condition soit satisfaite : l’élasticité de
la demande par rapport au prix doit être forte, càd qu’une petite baisse du
prix entraîne une augmentation plus que proportionnelle de la demande ;
On peut identifier un autre facteur explicatif de l’extension des marchés, que nous étudierons
ultérieurement dans l’année : l’ouverture des économies (marchés extérieurs)
L’extension des marchés traduit donc l’existence d’une relation positive entre
accroissement de la productivité et accroissement de la production :
Hausse de la productivité ⇒ accroissement du pouvoir d’achat ⇒ extension de la taille
des marchés ⇒ augmentation de la production sur les marchés de biens et de services
(ce qui suppose que l’offre soit élastique à la demande)
1.1.3.2.
L’accroissement de la production favorise l’accroissement de
la productivité : les rendements d’échelle croissants
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Le problème posé est en fait le suivant: quel est l’effet de l’augmentation de la production sur la
productivité ? Cela revient à se demander si les rendements d’échelle sont croissants ou décroissants.
Dans certains cas, en l’absence de progrès technique, l’accroissement de la production s’accompagne
d’une baisse de la productivité : c’est le cas dans l’agriculture, qui se caractérise par des rendements
agricoles décroissants (qui ont été mis en évidence par RICARDO au 19ème siècle, qui y voyait les
prémices de l’état stationnaire, ou certains physiocrates comme TURGOT).
Loi des rendements décroissants : loi énoncée d’abord par le français TURGOT puis par
l’anglais RICARDO. Lorsqu’un seul facteur de production est utilisé en quantités
croissantes (les autres facteurs restant fixes), son rendement décroît et la production
croît de plus en plus lentement.
Considérons un agriculteur qui cultive du blé sur un champ de 10 hectares. Pour cela, sa terre étant
de mauvaise qualité, il utilise un engrais. On observe que la production augmente comme suit,
lorsqu’il augmente la quantité d’engrais :
PRODUCTIVITE
NOMBRE DE TONNES
D’ENGRAIS
PRODUCTION DE BLE (EN
QUINTAUX)
RENDEMENTS PAR TONNE
D’ENGRAIS
MARGINALE DE CHAQUE
0
1
2
3
4
5
6
100
240
400
510
580
600
600
/
240
200
170
145
120
100
/
140
160
110
70
20
0
TONNE D’ENGRAIS
Cet exemple montre que l’accumulation du capital a des effets limités sur l’accroissement de la
productivité ; seul le progrès technique peut donc permettre l’accroissement de la productivité (par
des innovations de procédé et organisationnelles) et donc la perpétuation du processus
d’accumulation du capital (grâce aux profits supplémentaires générés par les gains de productivité).
Rendements décroissants ou rendements croissants ? Lequel l’emporte ? L’observation des faits
observables sur le long terme montre que l’accroissement de la production s’accompagne d’un
accroissement de la productivité :
Doc 7 p 113 « Productivité et croissance en France »
Ce document montre que l’accroissement de la productivité (par tête et horaire) augmente plus
fortement que la production en volume.
D’un point de vue microéconomique, on observe qu’une augmentation de la production
en volume peut s’accompagner d’une augmentation moins que proportionnelle de la
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quantité de facteurs de production mis en œuvre dans la combinaison productive : ce
phénomène est appelé rendements d’échelle croissants.
On en vient alors à évoquer les économies d’échelle, phénomènes déjà étudié en classe de Première
ES :
Les économies d’échelle :
On se rend compte que quand les quantités produites augmentent, le coût moyen a d’abord
tendance à baisser : ce phénomène s’appelle un rendement d’échelle croissant (ou économie
d’échelle), et traduit le fait que le coût total augmente moins que proportionnellement par rapport à
la quantité produite. En d’autres termes, le coût moyen diminue. Cela est dû à un meilleur étalement
des coûts fixes sur un volume de production plus important (en d’autres termes, le coût fixe moyen
CF/q diminue, ce qui se répercute sur le coût unitaire, qui a donc tendance toutes choses étant
égales par ailleurs à baisser).
Les déséconomies d’échelle :
A partir d’un certain seuil de production, le coût moyen recommence à augmenter : c’est le
phénomène des déséconomies d’échelle (ou rendements d’échelle décroissants). Un rendement
d’échelle décroissant traduit le fait que le coût total augmente plus que proportionnellement par
rapport à la quantité produite. Cela est dû au fait que, passé un certain seuil de production (ici
graphiquement le point Q), l’entreprise est obligée d’acquérir des biens de production
supplémentaires (du capital fixe : des machines supplémentaires, des locaux plus grands…). Ceci se
traduit par une augmentation du coût fixe moyen, qui entraîne toutes choses étant égales par
ailleurs une augmentation du coût moyen.
En définitive, et notamment grâce au progrès technique, l’accroissement de la
production s’accompagne d’un accroissement de la productivité.
1.2 Gains de productivité et croissance économique
1.2.1.
Les gains de productivité ne génèrent pas automatiquement la
croissance
Doc 9 p 113 - 114 « Gains de productivité et demande »
Une augmentation de la productivité ne se traduit pas par une augmentation de la demande dans les
cas suivants :
Une augmentation du pouvoir d’achat des ménages peut ne pas se traduire par une
augmentation de la demande si les ménages augmentent leur propension à épargner ;
Les entreprises peuvent affecter la totalité de leurs gains de productivité à l’augmentation des
profits : c’est notamment le cas quand les taux d’intérêt sont élevés il faut se désendetter
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le plus vite possible pour limiter le coût de l’endettement (taux de prélèvement financier =
intérêts et frais financiers/VA), et les entreprises qui ont une capacité nette de financement
peuvent préférer placer leurs profits sur des produits d’épargne plus rémunérateurs que
l’investissement productif : dans ce cas, le taux d’intérêt joue le rôle de coût d’opportunité, et
le taux d’autofinancement peut dépasser 100%) ;
Les entreprises peuvent utiliser les gains de productivité pour investir à l’étranger
(Investissement Direct à l’Etranger) : dans ce cas, c’est la FBCF du pays d’accueil de l’IDE qui
augmente, ce qui favorise l’accroissement de la demande dans le Reste du monde ;
Un gain de productivité affecté à la baisse des prix ne permet pas forcément d’accroître la
compétitivité- prix des produits nationaux sur les marché domestique et les marchés
extérieurs si dans le même temps les entreprises du reste du monde augmentent davantage
leur productivité que les entreprises nationales et peuvent donc baisser les prix de leurs
produits plus que les prix des produits nationaux dans ce cas, malgré la baisse des prix des
produits nationaux, leur prix relatif (prix du produit national/ prix du produit étranger)
augmente et les produits nationaux deviennent relativement plus chers.
En tout état de cause, on observe bien que le compromis mis en place dans le cadre de la société
salariale pendant les Trente glorieuses (compromis fordiste : acceptation de l’organisation
taylorienne- fordienne et de la dégradation des conditions de travail en échange de la hausse des
salaires nominaux) a vécu, et que les entreprises n’affectent pas leurs gains de productivité de la
même façon que pendant les trente glorieuses :
Doc 10 p 114 « Le partage des gains de productivité »
Cette nouvelle affectation des gains de productivité est davantage favorable aux profits, et est moins
favorable à l’accroissement du pouvoir d’achat des salariés (qui représentent presque 90% des
actifs).
L’offre ne s’ajuste pas automatiquement à la hausse en cas d’augmentation de la demande : pour
que les gains de productivité engendrent de la croissance, il faut que l’offre intérieure et la demande
globale augmentent simultanément.
Ceci suppose que :
l’offre soit élastique à la demande : dans le cas contraire, si l’offre est inélastique à la
demande, la hausse de la demande engendre de l’inflation par la demande ;
la hausse de la demande puisse être satisfaite par des entreprises résidentes suffisamment
compétitives (dans le cas contraire, une augmentation de la demande intérieure est satisfaite
par un accroissement des importations).
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Ceci suppose que les entreprises résidentes soient en mesure d’investir pour que l’offre soit élastique
à la demande et que cette offre soit compétitive vis-à-vis des produits offerts par les pays étrangers.
Or dans les années 1970, du fait notamment de la forte inflation, ce n’était plus le cas.
1.2.2.
Les modifications du partage de la valeur ajoutée depuis les
années 1980
Le début des années 1980 a donné lieu à un virage libéral qui s’est traduit par un certain nombre de
changements en ce qui concerne la politique économique, tant en ce qui concerne ses composantes
conjoncturelles que structurelles : en France, cette politique économique a été nommée
« désinflation compétitive ».
Concrètement les politiques économiques menées, ainsi que les modifications dans l’affectation des
gains de productivité, ont eu pour but de restaurer la rentabilité économique des entreprises
conformément à l’esprit du théorème de SCHMIDT. Le but était de faire baisser la part du coût du
travail dans la valeur ajoutée des entreprises afin de permettre la hausse du taux de marge :
Doc 11 p 114 « L’évolution du taux de marge »
Si les profits augmentent plus vite que les salaires, cela engendre une modification de la répartition
de la valeur ajoutée.
La baisse de la part des salaires dans la VA s’explique par :
•
•
•
•
•
La rigueur salariale de la politique de désinflation compétitive (par
exemple avec la mesure emblématique de la désindexation des
salaires sur les prix de 1983)
Les restructurations et la substitution du capital au travail
Les délocalisations
L’externalisation
La politique de baisse des charges sociales pour favoriser l’emploi
(notamment sur le travail à temps partiel et les bas salaires)
La baisse de la part des revenus mixtes dans la VA s’explique par l’extension du salariat et la
diminution du nombre d’indépendants (notamment les agriculteurs exploitants).
Le partage de la valeur ajoutée entre revenus du travail et revenus du capital
conditionne pour partie l’évolution des composantes de la demande intérieure et donc le
niveau de l’activité économique.
Pendant les Trente Glorieuses et même pendant les premières années de crise, le partage de la
valeur ajoutée s’est déformé en faveur des salariés car les salaires ont bénéficié de fortes hausses
dans le contexte de plein-emploi dû à la croissance économique. Ces hausses ont continué malgré la
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montée du chômage pendant la décennie 1970. Les salariés ont été les principaux bénéficiaires de la
prospérité à laquelle ils ont participé non seulement par leur travail mais aussi par la consommation
(qui s’est accrue grâce à l’élévation de leur pouvoir d’achat).
Depuis le début des années 1980, le niveau élevé du chômage a donné aux chefs d’entreprise une
position de force qui a autorisé une stratégie de ralentissement des hausses de salaires permettant
de faire reculer la part des salariés au profit des détenteurs du capital. Aujourd’hui, les chefs
d’entreprise subissent parfois la pression des détenteurs du capital qui souhaitent toujours plus de
profit, ce qui les incite à substituer du capital au travail et à licencier. Cette course au profit peut être
dangereuse car ce qui est bon pour les actionnaires d’une entreprise ne l’est pas forcément pour la
société dans son ensemble.
1.3. Les effets du progrès technique sur l’emploi : le progrès technique, ami
ou ennemi de l’emploi ?
Docs 12 à 17 pp 115-117
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Section 2 : emploi et chômage
2.1 Le marché du travail
2.1.1.
2.1.2.
Le modèle néoclassique de la CPP : le marché du travail est un
marché comme les autres
Doc 18 p 118 « Le modèle néoclassique »
Les nouvelles théories du marché du travail : une remise en cause du
modèle néoclassique
2.1.2.1.
La rigidité des salaires et ses facteurs explicatifs
Doc 21 p 120 « De nouvelles théories du marché du travail »
Les nouvelles théories du marché du travail montrent que le marché du travail ne fonctionne pas
selon les principes idéalisés de la Concurrence pure et parfaite : le salaire n’est pas flexible à la
baisse, non pas en raison de mécanismes institutionnels (exemple : le salaire minimum), mais du fait
du comportement rationnel des offreurs et des demandeurs de travail qui peuvent juger avantageux
de ne pas diminuer les salaires, mais au contraire de maintenir les salaires au-dessus du niveau de
salaire qui résulterait normalement de la rencontre entre l’offre et la demande de travail.
En quoi la théorie des contrats implicites et la théorie du salaire d’efficience contredit-elle la théorie
néoclassique standard ?
Pour la théorie des contrats implicites, les travailleurs ont une aversion plus
grande pour les risques que les employeurs. Ils préfèrent des salaires rigides avec un
risque de chômage à une situation de salaires fluctuants et d’emploi assuré. Ils
acceptent donc d’être au départ un peu moins payés que le salaire d’équilibre du
marché. Le salaire peut donc être différent de la productivité marginale : s’il lui est
supérieur, la réalisation du plein-emploi ne peut se faire, et un chômage involontaire
est donc possible.
La théorie du salaire d’efficience vise quant à elle à montrer que si le salaire est
supérieur à la productivité marginale, le phénomène est lié à un comportement
rationnel des firmes vis-à-vis de leurs salariés. Entre les salariés et l’entreprise, il y a
une asymétrie de l’information, car la firme ne connaît pas exactement la qualité de la
personne embauchée, ni l’intensité de son travail. En offrant un salaire plus élevé, la
firme peut alors espérer attirer les meilleurs candidats et une offre excédentaire sur le
marché du travail ne l’incitera pas à baisser ce prix. Si la pratique se généralise, le prix
du marché devient alors supérieur à la productivité marginale et le marché est
déséquilibré. Le travailleur sait qu’il aura du mal à trouver un emploi s’il se retrouve à la
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porte. En outre, le coût élevé de la formation incite les entreprises à garder un certain
temps leur main d’œuvre, une fois celle-ci formée.
2.1.2.2.
Le marché du travail, un marché hétérogène : dualisme et
segmentation du marché du travail
Le marché du travail ne correspond pas à l’idéal du marché de CPP : le marché du travail n’est pas
homogène, il est segmenté.
Doc 19 p 119 « Le dualisme du marché du travail »
Doc 20 p 119 « Un marché segmenté et réglementé »
Selon les économistes PIORE et DOERINGER (début des années 1970), le marché du travail aurait
éclaté en deux segments principaux (= théorie de la segmentation du marché du travail).
En résumé, qualifier le marché du travail de dual signifie que ce marché est coupé en deux sousmarchés cloisonnés. Le marché primaire permet à l’entreprise de se constituer un noyau dur
d’actifs (fidélisation de la main-d’œuvre et satisfaction des revendications syndicales). Ce marché
primaire comprend deux strates :
Strate inférieure : salariés bénéficiant d’une forte stabilité, de salaires
corrects, fortement syndiqués et faiblement qualifiés (exemple : ouvriers d’usine
durant les Trente glorieuses) ;
Strate supérieure : qualification importante, peu syndiqués, fortement
mobiles, mais leur instabilité est volontaire (exemple : cadre).
Sur les marché primaire, les emplois sont stables et souvent bien rémunérés (CDI). Sur le
marché secondaire la précarité est présente aux côtés des mauvaises conditions de travail
(CDD, intérim ,stages, externalisation). Mais cela permet de diminuer les coûts et d’assurer la
flexibilité. On estime ainsi qu’au début de la décennie 2000, en France, le marché secondaire
représente 30% environ des actifs occupés en France.
La fonction publique française est un excellent exemple de segmentation. L’Etat segmente son
propre marché du travail. L’objectif est d’acheter du travail en dehors des règles et du droit : ainsi on
distingue les personnels titulaires et non titulaires, les titulaires faisant alors partie du marché
primaire.
Ce dualisme provoque un dualisme social :
-
Salariés du marché primaire bénéficient d’un système de
relations
professionnelles
développé ;
l’échange
employés/patrons porte sur les salaires, mais aussi sur les
conditions de travail, les avantages extraprofessionnels, etc. ;
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-
Sur le marché secondaire au contraire les négociations sont
atomisées (aucune relation institutionnalisée ne soutient le
salarié) et l’échange se limite au salaire contre travail (pas de
négociation par exemple sur la protection sociale).
2.2. Le chômage
2.2.1.
Les limites de la définition officielle du chômage
L’enquête Emploi de l’INSEE utilise la définition internationalement reconnue du BIT (Bureau
International du Travail) pour comptabiliser le nombre de chômeurs :
Doc 22 p 121 « L’indicateur et ses limites »
La comptabilisation des chômeurs au sens du BIT exclut de fait les chômeurs découragés et les actifs
en situation de sous-emploi.
Le sous-emploi au sens du BIT désigne la situation des actifs qui travaillent
involontairement moins que la durée normale du travail dans leur activité et qui sont à la
recherche d’un travail supplémentaire ou disponibles pour un tel travail (il correspond
notamment aux personnes qui travaillent à temps partiel subi et les personnes en
situation de chômage technique).
Le sous-emploi concerne en 2003 pratiquement 1,2 millions d’actifs. Il s’est beaucoup développé
depuis les années 1980, et les frontières entre emploi, chômage et inactivité se brouillent du fait d’un
certain nombre de mutations structurelles du marché du travail (notamment l’allongement de la
durée du chômage, la mise en place de structures d’emploi aidé et de dispositifs institutionnels d’aide
aux actifs les plus touchés par le chômage, et le développement des formes d’emploi atypique :
emploi précaire et travail à temps partiel).
2.2.2.
Les facteurs explicatifs du chômage1
Doc 23 p 121 « Les causes du chômage »
Le chômage français, et de façon générale européen, serait dû à des rigidités. Ainsi, le secrétariat de
l’OCDE a tenté dès les années 1980 d’analyser les principales causes du chômage en Europe :
1
Tout d’abord une législation trop restrictive en matière de sécurité de l’emploi et des
conditions de travail ;
Voir le dossier du Monde Economie du mardi 7 juin 2005 « Les pistes de l’emploi ».
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Ensuite la négociation collective qui permet aux partenaires sociaux de fixer des
niveaux de salaires collectifs supérieurs à la productivité ou à la performance
individuelle : en échappant au jeu du marché, ces salaires tendent donc à en exclure
les travailleurs peu qualifiés ;
Dans le même sens, les procédures d’extension des conventions collectives aux
entreprises non signataires imposent une progression des salaires plus élevée que la
productivité. Cette pratique est courante dans la plupart des pays européens, encore
que la portée de cet élargissement et son application pratique varie d’un pays à l’autre ;
Autre rigidité constatée : le niveau élevé du salaire minimum légal qui tend à exclure du
travail les jeunes et les travailleurs peu qualifiés ;
Enfin le poids élevé des charges sociales, qui découragent le recrutement et dont la
générosité dissuade les intéressés de rechercher un emploi et le poids élevé de la
fiscalité pour les entreprises et l’impôt sur le revenu qui peut avoir les mêmes effets.
Le coût du travail élevé dans les pays de l’OCDE et en particulier en France serait responsable du
chômage pour les libéraux. Qu’en est-il ? Pour répondre à cette question, voici quelques éléments de
réponse apportés par un dossier du Monde Economie (« Le coût du travail, une boîte noire à
déchiffrer », mardi 14 septembre 2004, pp 1 à 3) :
Le coût du travail, une fausse évidence à manipuler avec
précaution
L'éloignement, la formation, les risques de pillage intellectuel... pèsent aussi
Devoir de rentrée : sachant que le coût horaire d'un ouvrier chinois est 39 fois inférieur à celui d'un ouvrier
français, de combien faut-il diminuer les émoluments de ce dernier pour que l'entreprise qui l'emploie s'abstienne de
licencier ou de délocaliser ? De combien d'heures sa durée hebdomadaire de travail doit-elle être augmentée pour que son
pays, la France, reste compétitif ? N'en déplaise à ceux qui pensent que la solution est simple, la résolution de cette
équation est loin d'être facile.
L'exploitation des comparaisons internationales pose déjà question. En effet, la plupart des données prennent en
compte le coût nominal du travail et non pas le coût unitaire du travail, c'est-à-dire le coût du travail divisé par la richesse
produite par un salarié. Certes, les économistes en conviennent, si ces incertitudes ont parfois conduit à des résultats
contradictoires, elles ne remettent pas fondamentalement en cause le classement des pays à main-d'oeuvre chère et à
l'inverse celui des pays à main-d'oeuvre bon marché. Cette distinction est loin d'être négligeable. Ainsi, comme le
souligne Philippe Askenazy, économiste chargé de recherche au CNRS, « le différentiel de coûts entre les pays d'Europe
de l'Ouest et les nouveaux adhérents, par exemple, se dégonfle de façon significative. Nous ne sommes plus dans un
rapport de 1 à 10 mais plutôt de 1 à 2».
Objectivement, même en prenant en compte cette nuance, la Chine reste imbattable en matière de dumping
salarial. « Si les entreprises ne voyaient que le facteur coût, elles ne s'implanteraient pas en Chine mais dans des pays
encore moins chers comme le Laos, s'enflamme Philippe Askenazy. Si personne n'y va, c'est aussi parce qu'il n'y a pas de
marché intéressant à conquérir. »
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La différence sur le coût de la main-d'oeuvre peut aussi être minorée pour d'autres raisons. Les coûts dus à
l'éloignement, aux différences de productivité, aux risques de pillage intellectuel, de formation, de turnover... ont fait
déchanter plus d'une entreprise ayant répondu aux sirènes de la délocalisation.
Diminuer le coût du travail serait-il donc un combat perdu d'avance ? « Il est certain que des délocalisations ont
lieu à cause du niveau élevé des coûts salariaux », analyse l'économiste Patrick Artus dans une étude CDC Ixis datée du
1er septembre. Seulement « l'écart de niveau entre la France, l'Allemagne et les pays émergents est si considérable qu'il
imposerait une très forte baisse de salaire horaire pour éviter les délocalisations ».
Un choix difficile à faire politiquement et qui aurait, par ailleurs, des conséquences importantes. « Diminuer le
salaire horaire, c'est prendre le risque de casser la consommation, à moins de poursuivre l'allégement des charges sociales,
voire de subventionner certaines embauches, estime Pierre Cahuc, professeur d'économie à l'université Paris-I, mais cette
voie qui présente l'avantage de préserver le pouvoir d'achat des travailleurs coûte cher. »
La pertinence d'une stratégie de réduction des salaires permettrait-elle, à défaut de rivaliser avec les pays
émergents, de sauver la compétitivité de la maison France vis-à-vis, au moins, d'autres grands pays de l'Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) ? Une compétitivité en péril qui n'a fait que s'aggraver selon les
détracteurs des 35 heures depuis précisément la mise en place de la réduction du temps de travail (RTT). Pour Gilbert
Cette, professeur d'économie associé à l'université de Méditerranée, ancien conseiller technique au cabinet de Martine
Aubry, les travaux de l'OCDE, une organisation plutôt libérale, n'ont pas prouvé une telle dégradation. « Entre 1997 et
2002, le coût relatif de la main-d'oeuvre industrielle en France a baissé de 13 points, contre un recul de 1,6 point pour
l'ensemble de la zone euro. Grâce à la modération salariale et un peu de gain de productivité, la position de la France s'est
donc maintenue pendant cette période. » Un avis que ne partage pas Michel Martinez, économiste à l'institut de
conjoncture Rexecode. « L'explosion des coûts due aux 35 heures a affecté lourdement les bas salaires. La modération
salariale a joué seulement sur les salaires, au-delà des allégements de charges. »
Loin de la polémique, la baisse du salaire horaire par la hausse de la durée du travail (sans augmentation de
salaire) peut-elle réellement avoir un effet sur l'emploi et la croissance ? « Rien n'est moins sûr, conclut Patrick Artus. A
production inchangée, cette baisse a, sans doute, peu d'effets sur la productivité horaire. En revanche, elle réduit l'emploi
et la masse salariale ainsi que la demande intérieure. D'un autre côté, cette politique améliore la compétitivité et limite les
délocalisations : le solde des deux effets est donc difficile à évaluer. »
Le coût du travail, une boîte noire à déchiffrer
La réalité est plus complexe que la simple équation 35 heures/ compétitivité/ délocalisation
Un de plus. Après la tourmente provoquée à l'automne 2003 par l'ouvrage de Nicolas Baverez La
France qui tombe (Perrin), c'est au tour de l'ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI) de
tirer la sonnette d'alarme. Dans un rapport sur « les freins à la croissance », qu'il devrait remettre dans
quelques jours à Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie et des finances, Michel Camdessus, aujourd'hui
membre de la fondation UMP, pourfend la réduction du temps de travail. Dévoilé par La Tribune, le 9
septembre, le rapport dénonce notamment le « déficit de travail » qui entraînerait inexorablement la France
sur le chemin du déclin. « L'essentiel des différences avec les performances de nos partenaires s'explique par la
moindre quantité de travail que nous fournissons », affirme Michel Camdessus. Une antienne que le
gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne manquera pas de saisir, au moment où Gérard Larcher, ministre
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délégué aux relations du travail, poursuit des discussions sur les possibles aménagements à la loi sur les 35
heures. Scandé depuis des mois, notamment par le Medef, l'argument invoqué de la réduction du temps de
travail (RTT) comme nuisible à la compétitivité risque de profiter encore de ce nouveau coup de butoir.
Les affaires Bosch, Doux et toutes les autres entreprises qui ont défrayé la chronique cet été en jouant
sur la menace des délocalisations pour renégocier à la hausse leurs accords de RTT, ont déjà commencé ce
travail de sape. Les délocalisations seraient le revers de la médaille des 35 heures. Elles sont en tout cas
devenues la préoccupation numéro un des Français, selon un sondage publié par La Tribune le 6 septembre. «
Pour donner du boulot à tout le monde, il faut des usines », a martelé Nicolas Sarkozy, jeudi 9 septembre. Le
ministre de l'économie a d'ailleurs promis des mesures anti-délocalisations dans le projet de budget 2005 qu'il
devrait présenter le 22 septembre.
RTT, coût du travail élevé, perte de compétitivité, délocalisation : l'enchaînement logique serait donc
implacable.
Trop simple. D'abord parce que ces éléments contiennent en eux-mêmes tant d'incertitude sur leur
ampleur, leurs effets, leurs imbrications, qu'il est quasi impossible d'éviter le biais idéologique dans
l'interprétation des faits. Si, par exemple, le constat de l'accélération de la productivité aux Etats-Unis sur la
décennie et de son ralentissement sur la même période en Europe et en France est partagé, la mesure exacte de
ces deux mouvements, et surtout leurs causes, continuent de faire débat.
Au-delà même de l'incertitude sur les données de base qui servent à calculer la productivité, telle que le
temps de travail effectivement réalisé, les patrons savent bien que la statistique ne sait guère rendre compte
d'éléments plus qualitatifs. « Les gains de productivité dépendent aussi du choix des cycles de production, de
l'organisation du travail, de la qualité des relations avec les salariés, des compétences, de la formation, etc. »,
témoigne Patrick van den Schrieck, patron de Sarbec Cosmetics, une PME du Nord - Pas-de-Calais.
Les chiffres ignorent aussi le fossé croissant entre durée du travail et production : si le lien a encore un
sens pour le travail posté, il n'en a plus guère pour les activités dématérialisées de plus en plus dominantes
dans les métiers à forte valeur ajoutée.
Quant au classement des économies nationales selon leur compétitivité, le simple fait qu'il se trouve
chamboulé au rythme des rapports que les institutions internationales publient jette le doute sur la possibilité
de comparaisons fiables.
S'il fallait encore enfoncer le clou, l'usage extensif du mot délocalisation par les politiques et les médias
désigne des réalités parfois très différentes. Des emplois peuvent être supprimés sans qu'il y ait délocalisation,
en raison de restructurations où le coût du travail n'est pas forcément en cause ; il peut aussi y avoir
délocalisation sans suppression d'emplois, lorsqu'une entreprise décide de créer une nouvelle activité dans un
autre pays plutôt que dans son pays d'origine. Selon un recensement effectué par l'Observatoire européen du
changement, un organisme basé à Dublin, 4,8 % seulement des suppressions d'emploi intervenues en Europe
depuis début 2002 correspondraient à des délocalisations au sens strict, c'est-à-dire à la suppression dans un
pays d'emplois immédiatement recréés dans un autre.
Trop chers les Français ? Certainement plus en tout cas que leurs collègues chinois ou indiens, et de
beaucoup. Dans ces conditions, le nivellement par le bas prôné par certains peut-il encore avoir un sens ? La
marge de manoeuvre acceptable socialement est en réalité dérisoire au regard des écarts salariaux avec les pays
pauvres.
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Confronté aux délocalisations chez son voisin chinois, « le Japon réussit pourtant à tirer son épingle du
jeu grâce à des exportations vers la Chine de produits électroniques destinés à l'industrie », constate Philippe
Askenazy, économiste, chargé de recherche au CNRS. « La différenciation de produits est bien la stratégie
optimale : il n'est pas possible de rendre compétitifs les pays européens pour la production de biens standards,
par la baisse des salaires », confirme Patrick Artus, responsable du service de la recherche de CDC Ixis.
Mais la spécialisation par le haut (services financiers, haute technologie) s'apparente à une course sans
fin, au fur et à mesure que les pays émergents acquièrent compétences et technologies. Si l'on voulait
véritablement se mettre à l'abri des délocalisations, il ne faudrait donc compter que sur la création d'emplois
de proximité. Une perspective pas vraiment exaltante.
QUESTIONS-RÉPONSES
Productivité
Qu'est-ce que le coût du travail ? Comment se calcule-t-il ?
Le coût du travail est constitué de toutes les dépenses induites par l'utilisation du facteur travail dans
l'entreprise. Il comprend le salaire brut (avec les primes, les congés payés et les cotisations sociales à la charge
des salariés) auquel s'ajoutent trois éléments : les avantages en nature, l'intéressement et la participation ; les
cotisations sociales patronales légales et conventionnelles ; les dépenses de formation, de transport, de
logement des salariés.
Le coût du travail se mesure par le coût salarial horaire - ou annuel - dans une branche ou au niveau
national. Cependant, pour réaliser des comparaisons internationales, il faut tenir compte de la productivité du
travail qui peut être différente selon les secteurs ou les pays. Un coût salarial supérieur n'est pas
obligatoirement un handicap si la main-d'oeuvre est plus productive. Pour cela, on utilise le coût salarial
unitaire (CSU) réel, c'est-à-dire le salaire moyen par tête multiplié par le nombre de salariés, rapporté à la
production.
Comment mesure-t-on la productivité ?
La productivité est la quantité de travail nécessaire pour produire une quantité de biens ou de valeurs
donnée. On peut la mesurer par heure ou par tête. Dans le premier cas, on divise la production (le produit
intérieur brut dans le cas d'une statistique nationale) par le nombre d'heures travaillées, et dans le second par
le nombre d'actifs occupés. Un pays qui réduit la durée du travail verra, à production inchangée, augmenter sa
productivité horaire. La productivité par tête, elle, varie selon la part des actifs occupés sur la population
totale. Si cette part diminue, par exemple du fait de l'exclusion des plus jeunes et des plus âgés du marché du
travail, la productivité par tête s'élève, mais la production par habitant diminue. Ce cas de figure est celui de la
France où les taux d'emploi des 15-24 ans et des plus de 55 ans sont les plus faibles des pays développés. Ce qui
explique, entre autres, le score élevé du pays en matière de productivité mais aussi ses mauvais résultats en
matière de production par habitant.
Au-delà des données quantitatives, des études soulignent l'importance du « qualitatif » dans les gains
de productivité réalisables : la motivation, la qualité de l'encadrement, l'organisation du travail, etc. Une
enquête rendue publique en septembre par Proudfoot Consulting, un cabinet de conseil spécialisé dans la
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conduite du changement, a ainsi pointé l'importance du critère « mauvais management » dans le nombre de
jours de travail perdus (définis comme des jours de travail où le salarié ne produit rien) chaque année, qui
apparaît comme la première cause des pertes de productivité. Pour la France, 42 % du temps improductif sont
liés « à la planification et au contrôle insuffisants ».
Peut-on comparer la productivité entre pays ou activités ?
Des incertitudes pèsent sur les données concernant le temps de travail, le nombre d'actifs, etc. Par
exemple, la durée du travail des travailleurs indépendants comptabilisés dans les actifs occupés est en réalité
impossible à cerner. Et cette catégorie pèse d'un poids différent selon les pays. Autre exemple, les intérimaires
sont comptabilisés dans les activités tertiaires, alors que la moitié d'entre eux travaillent dans l'industrie
manufacturière. Comment dès lors comparer la productivité de l'industrie avec celles d'autres secteurs ? Ces
difficultés incitent à ne considérer comme fiables que les comparaisons montrant des écarts ou des évolutions
importants.
2.2.3.
Le chômage, un phénomène inégalitaire
Doc 24 p 122 « Population active, emploi et chômage en France
Doc 26 p 122 « L’inégalité face au chômage en France »
Au niveau européen, de grandes disparités en terme de taux de chômage peuvent être observées.
En janvier 2005, le taux de chômage se monte dans la zone euro à 8.8% (même taux pour l’UE 25).
Toutefois on constate que l’Irlande (4.3%), l’Autriche (4.5%) et le Royaume-Uni (4.6%) ont les taux
les plus faibles. Les pays connaissant les taux les plus élevés sont : Allemagne (10%), France (10%),
Italie (8.7%) et Espagne (10.3%).
Les pays scandinaves affichent quant à eux des taux relativement faibles début 2005 (5.6% pour le
Danemark et la Suède) mais présentent surtout la particularité d’avoir divisé par deux leurs taux de
chômage depuis 1993. Leur solution ? Une flexibilité plus importante que dans les autres pays
européens. Le modèle danois est d’ailleurs qualifié de « flexsécurité ».
2.3. La flexibilité du marché du travail
2.3.1.
La flexibilité, un facteur de croissance ?
La relation entre flexibilité et emploi est complexe. On peut dire que quand elle permet une meilleure
affectation des ressources (allocation optimale des ressources), la flexibilité permet une croissance
plus forte génératrice de créations d’emplois. L’exemple des créations massives d’emplois aux EtatsUnis, dont le marché du travail se révèle être plus flexible que celui des pays européens, invite à
penser que la flexibilité peut favoriser la croissance et les créations d’emplois (environ 20 millions
d’emplois y ont été créés sur la décennie 1990) :
Doc 28 p 123 « Flexibilité et croissance économique »
19 / La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet
L’économie américaine, si elle crée beaucoup d’emplois, n’empêche pas forcément que ces emplois
soient mal rémunérés et ne permettent pas de dépasser le seuil de pauvreté.
2.3.2.
Les conséquences négatives de la flexibilité : précarité et
accroissement des inégalités entre travailleurs
La mise en œuvre de la flexibilité n’a pas que des effets positifs, notamment si l’accent est
uniquement mis sur la flexibilité externe avec l’objectif de comprimer le coût du travail.
2.3.2.1.
Flexibilité et précarité
Doc 31 p 125 « La précarité du travail en France »
La précarisation des statuts des travailleurs progresse : la part des emplois précaires a plus que
doublé depuis 1985 et constitue un des vecteurs de la remise en cause de la société salariale. Cette
précarisation est due au développement de la flexibilité quantitative externe. Elle a des conséquences
sur les revenus et sur le comportement économique des ménages touchés par la précarité : baisse
des revenus baisse de la consommation et de l’investissement (difficultés d’accès au crédit
notamment) effet récessif.
Par ailleurs, la flexibilité quantitative interne est souvent utilisée par l’entreprise pour faire coïncider
la présence de ses salariés avec les pics d’activité, de manière à maximiser la productivité du facteur
travail : par exemple, les caissières de supermarché (ou « hôtesses de caisse ») doivent être
présentes aux heures de pointe (moment où les clients font leurs courses) et sont souvent
embauchées à temps partiel. Ces horaires flexibles en fonction des besoins de l’entreprise ne vont
pas sans poser de problèmes dans la vie quotidienne, et fragilisent la vie familiale et la relation de
parenté, allant jusqu’à remettre en cause l’existence- même des couples.
2.3.2.2.
Flexibilité et segmentation du marché du travail : l’accroissement
des inégalités entre travailleurs
Le besoin de flexibilité a incité les entreprises à recruter des individus mieux formés et plus qualifiés
que par le passé, mais aussi plus aptes à la mobilité géographique et surtout professionnelle. Du
coup, l’écart s’est accentué entre la situation de ceux qui correspondent à ce profil et celle des
autres, dont l’accès à l’emploi est devenu de plus en plus difficile. C’est le cas bien sûr des jeunes
peu ou pas qualifiés : mais c’est également le cas des salariés plus âgés dont le niveau de formation
initiale est modeste et dont les qualifications ne correspondent pas aux profils des nouveaux métiers.
On le voit bien dans des secteurs en pleine mutation technologique, dans l’industrie mais aussi le
tertiaire (la banque par exemple), où les entreprises procèdent à d’importantes embauches de jeunes
qualifiés et, dans le même temps, écartent les anciens grâce à des dispositifs de préretraite totale ou
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progressive. […] En réalité, un peu à l’image des conséquences de l’automatisation sur le travail, le
développement de la flexibilité au sein de l’entreprise contribue à segmenter les populations : il n’a
pas fait disparaître les tâches les plus routinières et ces dernières sont souvent concentrées sur
quelques catégories de salariés qui restent ainsi en marge du segment primaire du marché du travail
et du « modèle de la réactivité ».
Lorsque l’entreprise est contrainte de réduire plus ou moins temporairement ses effectifs pour
satisfaire aux exigences de la flexibilité quantitative, elle s’efforce d’en limiter les effets et en
concentre la charge sur des types particuliers d’emploi et de main-d’œuvre : les emplois les moins
nécessaires à la bonne marche de l’entreprise, les personnes les plus aisément réembauchables…
Symétriquement, lorsqu’une entreprise développe la polyvalence de son personnel (ou d’une fraction
de celui-ci) pour satisfaire les besoins de flexibilité qualitative, c’est en tout dernier ressort qu’elle se
résoudra à se séparer d’un tel personnel. De toute évidence, les deux types de flexibilité sont
capables en certaines circonstances d’effets opposés sur la sécurité du travail. Des effets de
segmentation du marché du travail peuvent en résulter […] au plan macroéconomique. […] La
flexibilité quantitative est productrice d’un marché du travail de type secondaire, la flexibilité
qualitative génère un marché de type primaire.
La flexibilité quantitative interne alimente le segment primaire et la flexibilité externe
alimente le segment secondaire du marché du travail.
Quelle relation peut-on observer entre flexibilité et chômage ? La flexibilité permet-elle effectivement
de réduire le chômage comme l’affirment ses défenseurs (libéraux), ou a-t-elle des effets plus
mitigés (comme le soulignent notamment les keynésiens) ?
Le Danemark est souvent présenté comme un exemple : ce pays associe en effet flexibilité et
chômage faible.
Sur la période 1994-2000, le taux de chômage danois est passé de 10 % à moins de 5 %. Dans cette
évolution, les réformes du marché du travail ont joué un rôle essentiel. D’une manière générale, le
Danemark est aujourd’hui caractérisé par un régime d’assez grande flexibilité des licenciements (très
peu de législation sur la protection de l’emploi), d’une part, et de fortes dépenses en politiques
actives et passives - les dépenses « actives » des politiques de l’emploi sont celles qui financent les
services rendus aux chômeurs pour les aider à trouver un emploi (service public de l’emploi,
formation professionnelle) tandis que les dépenses « passives » sont constituées par les
indemnisations du chômage - (taux de remplacement de 90 %) de l’emploi qui rendent acceptable
cette flexibilité, d’autre part. Les dépenses en politiques actives et passives de l’emploi par chômeur
sont 2,5 fois plus élevées au Danemark qu’en France. On a pu appeler cette combinaison la « flexisécurité ». Ainsi, le Danemark partage avec le Royaume-Uni l’une des durées moyennes d’ancienneté
en emploi les plus faibles des pays de l’OCDE. Chaque année, près d’un quart de la force de travail
connaît au moins un épisode de chômage. Cette évolution a notamment pris la forme d’un
durcissement des conditions d’accès au système d’assurance chômage (passant de 6 mois à 12 mois
de cotisations) et d’une réduction de la durée maximale d’indemnisation (passant de 9 à 4 ans).
L’activation des dépenses passives a également été renforcée (la durée d’indemnisation sans
obligation d’entrer dans des programmes de retour à l’emploi passant de 24 mois à 12 mois, et
21 / La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet
même à 6 mois pour les moins de 25 ans). Enfin, l’administration des transferts a été largement
décentralisée au niveau régional afin d’assurer une meilleure adaptation des moyens aux spécificités
locales. Des réformes fiscales ont visé à réduire les trappes à inactivité (on est dans une situation de
trappe à inactivité lorsque l’incitation financière à reprendre un emploi est trop faible, compte tenu
des avantages sociaux ou fiscaux liés à l’inactivité). Ces réformes ont été conduites au Danemark de
la manière suivante :
un dialogue social très actif, puisque dans ce pays il n’y a pas de droit social émanant
de l’État en tant que tel. Par tradition, ce sont les partenaires sociaux qui établissent les
règles qui régissent leurs relations ;
l’accroissement des contraintes en matière d’indemnisation chômage a été très
progressif entre 1994 et 1999 ;
le durcissement des règles pour les chômeurs a été réalisé dans un contexte de reprise
de la croissance qui a permis d’éviter qu’il ait un aspect récessif.
Et la France : qu’en est-il en terme de flexibilité ?
RAYMOND TORRES, chef de la division analyse et politique
de l'emploi de l'OCDE : « La France n'a toujours pas choisi
un modèle de flexibilité »1
Nombre d'économistes affirment que l'une des causes du chômage français est l'insuffisance
de flexibilité. Les entreprises seraient, en particulier, dissuadées d'embaucher parce qu'il est
trop compliqué de licencier. Est-ce le cas ?
Le terme de flexibilité ne désigne pas partout la même réalité. Il y a d'abord la flexibilité que je
qualifierais de « numérique », qui consiste à faciliter à la fois les licenciements et les embauches - comme au
Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande. D'autres pays, à l'instar du Japon et de la Corée du Sud,
ont opté pour la flexibilité salariale, qui permet de préserver l'emploi pendant les périodes difficiles en
diminuant les salaires par des accords négociés. Il y a, enfin, la flexibilité fonctionnelle, qui consiste à jouer de
la formation et de la mobilité pour réaffecter les salariés là où l'on en a besoin, pratiquée dans les pays
scandinaves.
Il est donc difficile de dire qu'un pays est plus ou moins flexible qu'un autre, tout dépend de quelle
flexibilité on parle. Toutes ces formes ont leur efficacité contre le chômage, mais leur dosage correspond au
choix politique spécifique à chaque pays.
Quel a été, en France, le choix effectué ?
La spécificité française est justement... qu'il n'y a pas eu de choix clairement affirmé. La flexibilité
salariale est quasiment impossible dans le cadre de conventions collectives signées au niveau des branches et la
flexibilité fonctionnelle reste assez peu utilisée, car les conditions de la mobilité géographique et
professionnelle sont rarement réunies.
1
Le Monde Economie, dossier du 07-06-05.
22 / La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet
La seule variable d'ajustement a donc été l'extension des emplois précaires - contrats à durée
déterminée (CDD), stages, contrats aidés, intérim, d'autant que les obstacles au licenciement n'ont été que
partiellement levés. Le résultat est un marché du travail dual : d'une part, celui des emplois en contrat à durée
indéterminée (CDI), protégé mais peu fluide, puisque les employeurs sont réticents à embaucher sous cette
forme ; d'autre part, celui des emplois précaires, sur lequel les employeurs concentrent les limitations de
salaires, les suppressions et la rotation des emplois, et qu'ils n'ont pas intérêt à transformer en CDI. Dans la
mesure où ces formes d'emploi concernent toujours les mêmes personnes - en particulier les femmes, les
jeunes, les moins qualifiés -, celles-ci se trouvent dans une situation économique de plus en plus difficile.
Mais faciliter le recours aux licenciements ne crée-t-il pas aussi plus de précarité et de
pauvreté, comme au Royaume-Uni et aux Etats-Unis ?
L'approche anglo-saxonne consiste à limiter le plus possible le coût des licenciements et celui des
embauches, afin de fluidifier le marché au maximum. Le résultat est certes spectaculaire en termes de taux de
chômage - d'autant que celui-ci est faiblement indemnisé, ce qui incite les chômeurs à retrouver rapidement du
travail. Mais ces chiffres sont trompeurs, dans la mesure où ceux qui ne retrouvent pas de travail sont orientés
vers d'autres dispositifs sociaux qui gèrent des populations parfois plus nombreuses que les chômeurs. Il faut
donc plutôt comparer les taux d'emploi. La France en 2003, avec 62,8 %, fait toujours moins bien que les
Etats-Unis (71 %) et le Royaume-Uni (71,8 %), Mais il faut noter que le Danemark, la Suède, les Pays-Bas
atteignent des taux proches de 75 % avec une approche totalement différente de celle des Anglo-Saxons.
De quelle nature ?
Les Scandinaves et les Néerlandais ont associé à la flexibilité du marché du travail - la protection de
l'emploi ne concerne que les licenciements « abusifs » - un niveau de protection élevé des personnes ayant
perdu leur emploi : les chômeurs sont bien indemnisés sur une longue période, et surtout sont pris en charge
par un service de l'emploi compétent et efficace, sur la base d'un contrat individuel où, en échange de cet
appui, le demandeur d'emploi doit rechercher activement du travail. Si la recherche est infructueuse, le
chômeur doit suivre des formations orientées vers les emplois disponibles.
Le coût de ces dispositifs est important, 5 % du produit intérieur brut (PIB) au Danemark, mais c'est le
pendant indispensable à la flexibilité. Un service de l'emploi de ce type, réunissant les fonctions
d'indemnisation, de placement, de formation, doté d'un personnel nombreux et formé à la gestion d'individus,
et non de dossiers, est sans doute ce qui, dans le cas de la France, fait le plus défaut.
2.3.3.
Les formes de flexibilité sont en fait largement dépendantes des
relations professionnelles et des rapports de force
2.3.3.1.
La flexibilité fonctionnelle exige un certain consensus
-
Pays dans lesquels la flexibilité fonctionnelle est forte et la flexibilité quantitative faible
= ceux où il existe une certaine coopération entre syndicats et entreprises : mise en
place d’accords de réciprocité et négociations sur la sécurité de l’emploi contre une
certaine flexibilité fonctionnelle. Cette flexibilité est d’autant mieux acceptée par les
23 / La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet
salariés que ceux-ci bénéficient d’une sécurité de l’emploi et de possibilités de
promotion ;
-
Modèle suédois = modèle type : les salariés ont une grande polyvalence et bénéficient
d’une grande sécurité de l’emploi :
Doc
33 p 125 (la flexibilité
fonctionnelle)
conventionnelle exclu la flexibilité
Le syndicalisme suédois a su très vite accompagner les mutations du travail et est
parvenu à négocier la flexibilité, acceptant la flexibilité qualitative mais refusant que
l’effectif de l’entreprise soit une variable d’ajustement.
-
Allemagne était considérée comme une version atténuée du modèle suédois ; même si
elle augmente, la flexibilité quantitative y est faible, mais la stratégie de compromis du
syndicalisme allemand a rendu possible une flexibilité fonctionnelle assez forte ainsi
qu’une certaine flexibilité des rémunérations ;
-
Flexibilité fonctionnelle introduite parfois dans les entreprises sans passer par les
syndicats : de nombreuses entreprises tentent d’instaurer une communication directe et
ont créé des cercles de qualité ou groupes d’expression dans lesquels les salariés font
des propositions et sont amenés à accepter des modifications dans l’organisation de
leur travail. Il s’agit là aussi de rechercher un consensus à l’intérieur de l’entreprise.
Le modèle scandinave est fréquemment mis en avant. Danemark et Suède ont un point commun :
une décentralisation de l’assistance aux sans-emplois, calquée sur le modèle finlandais. Cependant
les deux pays se distinguent sur d’autres points. La Suède incite les chômeurs à suivre des plans de
formation (financés par les autorités), alors que le Danemark ne considère par cette solution comme
une réussite. En Suède, le gouvernement social-démocrate a instauré des déductions fiscales pour
les entreprises embauchant des chômeurs de longue durée, un congé sabbatique rémunéré (de trois
à douze mois, rémunérés par l’Etat) à condition que les entreprises remplacent par des chômeurs les
personnes en congé. Le Danemark quant à lui tente d’activer le plus tôt possible les chômeurs. Ces
derniers ont moins de choix pour les formations et les stages, plusieurs refus non justifiés pouvant
entraîner une suspension provisoire voire définitive des allocations chômage.
Résultat : ces pays ont un taux d’emploi (nombre de personnes ayant un emploi/population âgée de
15-64 ans) parmi les plus élevés en Europe (75% au Danemark, 73% en Suède). Le travail
semblerait mieux partagé dans ces pays.
2.3.3.2.
La flexibilité quantitative n’est pas négociée : elle est subie
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Flexibilité quantitative s’installe en dépit des relations professionnelles ;
24 / La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet
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Cette flexibilité n’est pas négociée car elle n’est pas négociable : elle est mise en place
lorsque les syndicats sont trop faibles ou lorsqu’ils ont d’autres objectifs ;
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Grande-Bretagne et Etats-Unis = pays où elle est le plus développée. Tradition
anglaise : syndicats sont corporatistes, et pointilleux sur la reconnaissance de la
qualification ; ils sont souvent plus attachés à la défense du métier qu’à celle des
individus qui l’exercent ;
-
France = version atténuée de celle de la Grande-Bretagne, la flexibilité quantitative y
est assez forte et la flexibilité qualitative y est assez faible. Les syndicats français sont
trop faibles pour refuser la flexibilité quantitative et trop contestataires pour négocier la
flexibilité qualitative.

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