La Charte des Droits fondamentaux de l`Union européenne
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La Charte des Droits fondamentaux de l`Union européenne
M. Nicolas Desrumaux DEA Droit International et Communautaire Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de DEA Droit International et communautaire La Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne Sous la direction de M. le Professeur Vincent COUSSIRAT-COUSTÈRE Université des Sciences juridiques, politiques et sociales Lille 2 Année 2000-2001 La Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne ~ Une alchimie à droit constant ~ Quelques remerciements… Ces quelques lignes sont les dernières que je rédige pour mon mémoire. Que ces mots soient les premiers à gagner mon lecteur, afin que je puisse à travers lui exprimer ma plus profonde reconnaissance pour toutes celles et tous ceux qui, durant l’année écoulée, m’ont apporté leur aide et leur soutien. Au quotidien ou occasionnellement. Fidèles amis ou simples connaissances. Anonymes. Dans les moments les plus difficiles comme dans les joies les plus simples, tous ont contribué, grâce à leur « alchimie »… à transformer cet ouvrage et ainsi – je l’espère – lui permettre d’atteindre sa maturité. Je remercie tout particulièrement mon Directeur, le Professeur Vincent Coussirat-Coustère, pour ses conseils et pour le temps qu’il a bien voulu m’accorder, ainsi que pour les documents qu’il a eu la gentillesse de mettre à ma disposition. Mes remerciements les plus profonds vont également à ma famille, à qui je dois de pouvoir poursuivre sur le sentier que je me suis tracé. Merci à Thibaut pour nos soirées de philosophie strasbourgeoise. Merci à Hélène pour sa bonne humeur, et pour la profondeur de ses engagements. Merci à Marc, à Katie, à Kevin, à Marjorie d’être tout simplement mes très chers amis. Merci à Lottie, à Aroa, à Karen, à Julien, à Caroline, à Béatrice et à Suzanne, à Frédéric et à Monika, à tous les autres étudiants de la promotion pour cette année passée ensemble, pour nos moments d’étude, en bibliothèque ou dans les centres, ainsi que pour nos moments d’évasion. Merci à Lina qui a bien voulu me relire… Merci à Ingrid… Merci également à Mme Florence Benoît-Rohmer, initiatrice de mon intérêt pour la Charte des Droits fondamentaux. Enfin, je remercie humblement tous ceux qui ne sont pas sur cette page, et qui méritent mille fois d’y être… La faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux développements contenus dans le présent mémoire. Les opinions développées doivent être considérées comme propres à leur auteur SOMMAIRE Introduction ………………………………………………………………………6 TITRE PREMIER : UNE CODIFICATION DU DROIT POSITIF ………….…….17 Premier chapitre : La diversité des sources de légalité ……………….19 Second chapitre : La lisibilité des droits consolidés …………………..57 TITRE SECOND : L’HARMONISATION DES MECANISMES DE GARANTIE ET D’EFFECTIVITE ……………………..96 Premier chapitre : Le principe d’application uniforme en matière de droits des personnes ……………………………………………97 Second chapitre : Des droits fondamentaux… à géométrie variable ? ……………………………………………………………………..136 Conclusion ……………………………………………………………………..170 1 TABLE DES ABREVIATIONS ~ Acad. Dr. internat. Académie de Droit international de La Haye. AEL Academy of European Law (Institut universitaire européen de Florence) AFDI Annuaire français de Droit International aff. ; aff. jtes affaire ; affaires jointes. AJDA Actualité juridique du droit administratif Ass. Arrêt d’assemblée Bull. CE Bulletin officiel des Communautés européennes CAA Cour administrative d’appel Cah Dr. eur. Cahiers de Droit européen CE ou TCE Traité instituant la Communauté européenne CEE ou TCEE Traité instituant la Communauté économique européenne CEIE Centre d’études internationales et européennes cf. Confer Chap. Chapitre Chron. Chronique CJCE Cour de Justice des Communautés européennes 2 CMLR Common Market Law Review CNRS Centre National de la Recherche Scientifique Coll. Collection COM Document classé de la Commission Comm. commentaire numéro Comm. EDH Commission européenne des Droits de l’Homme Concl. Conclusions Cour EDH Cour européenne des Droits de l’Homme DG Division Générale D. et R. Décisions et Rapports de la Commission européenne des droits de l’homme (depuis 1975). Dir. Directeur Gaz. Pal. Gazette du Palais GREEDI Groupe d’Etudes Européennes et de Droit International (Université de Lille II) e. a. et autres Ibid. précité à la note précédente. I.D.E.D.H. Institut de Droit européen des Droits de l’Homme JCP éd. G Juris-Classeur périodique – La Semaine juridique, édition Générale. JDI Journal du Droit international 3 JOCE Journal Officiel des Communautés européennes LGDJ Librairie Générale de Jurisprudence n° numéro Op. cit. précédemment cité OPOCE Office des publications officielles des Communautés européennes Ord. Ordonnance p. page pp. de la page … à la page … Prot. Protocole PUF Presses Universitaires de France RAE Revue des Affaires européennes RCADI Recueil des Cours de l’Académie de Droit International de La Haye RCDI priv Revue critique de droit international privé Rec. Recueil de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes et du Tribunal de Première instance Rec. Déc. Recueil de Décisions de la Commission européenne des droits de l’homme (1960-1974). Règl. Règlement Rép. Répertoire 4 Rev. Revue Rev. Trim. Dr. Homme Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme. RMUE Revue du Marché Unique européen RRJ Droit prospectif - Revue de la Recherche juridique RTD eur. Revue Trimestrielle de Droit européen s. suivant(s) SFDI Société française pour le Droit international TUE Traité sur l’Union européenne UE Union européenne v. voir vol. volume 5 INTRODUCTION Au fur et à mesure que l’intégration européenne se poursuit, de l’économie vers le politique, la question du degré de protection des droits de l’homme ou des droits fondamentaux (considérons ces deux expressions sinon comme identiques, au moins comme équivalentes) prend de plus en plus de place dans les préoccupations européennes1. Toutefois, dans une Union comprenant Quinze Etats membres, et peutêtre bientôt plus, instaurer la concorde autour de valeurs essentielles constitue un travail de titan… sinon un défi à la Sisyphe. 1 Reconnaissance communautaire des Droits de l’Homme. Depuis la Seconde guerre mondiale, les droits de l’homme sont un thème majeur de la vie interne des Etats et des relations internationales ; les droits de la personne sont une préoccupation consubstantielle de la création des Communautés. Le débat sur l’existence, la reconnaissance et la proclamation d’un corpus de droits fondamentaux communautaires se retrouve dans les prémisses mêmes de l’Union. Très rapidement, l’Assemblée puis le Parlement européen ont pris diverses initiatives dans le sens d’une meilleure protection des droits de l’homme2. A cet égard, une déclaration commune du 1 V. Constantinesco, Le renforcement des droits fondamentaux dans le traité d’Amsterdam, ronéoté. 2 Les résolutions et déclarations se sont multipliées, depuis le rapport n°39/67 sur la protection juridique des personnes privées dans la CE, dit « Rapport Deringer » (JOCE n° 103 du 2 juin 1967), jusqu’à la résolution du Parlement européen du 28 avril 1997, en passant par la Résolution sur l’Union européenne (JOCE n°C 179 du 6 août 1975, p. 28) ou la déclaration des droits et des libertés fondamentaux du 12 avril 1989 (JOCE n°C 120 du 16 mai 1989), le Parlement est toujours resté attaché à la nécessité de doter l’Union d’une Charte des droits fondamentaux, v. G. Cohen-Jonathan, Le Parlement européen et les Droits de l’Homme, Rev. Marché commun et de l’Union européenne, 1978, p. 387 ; J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, 2e éd. LGDJ, 2001, p. 16 et s., §§ 13 à 18. 6 Parlement européen, du Conseil et de la Commission sur les droits fondamentaux3 précède la Charte des Droits fondamentaux d’une vingtaine d’années. Face à cette prolifération d’instruments déclaratoires des droits de l’homme dans la Communauté, fruit des préoccupations des Institutions communautaires, la question de l’utilité de la Charte peut se poser. La Charte des droits fondamentaux de l’Union (ci-après la Charte), adoptée lors du dernier Conseil européen de Nice4, n’est-elle que la dernière étape d’un rabâchage institutionnalisé ? Rien n’est moins sûr : jusqu’à présent, chaque texte communautaire à portée déclaratoire ne s’intéressait guère aux mécanismes de garantie. La Charte innove en ce que non seulement elle contient des clauses d’articulation entre les droits, mais de plus elle fut rédigée comme si elle devait entrer en vigueur, et chaque droit qu’elle porte développer sa force obligatoire. 2 L’appropriation prétorienne des droits fondamentaux dans l’Union. La Cour de Justice des Communautés (CJCE) fut confrontée pour la première fois à la question des droits fondamentaux en 1959, dans son célèbre arrêt Stork5. La timidité qu’elle afficha alors fut corrigée à l’occasion de l’arrêt Stauder, au terme duquel la Cour contrôle le droit dérivé communautaire au regard des « droits fondamentaux de la personne compris dans les principes généraux du droit communautaire, dont la Cour assure le respect. »6 A l’inverse, l’arrêt Internationale Handellsgesellschaft7, du 17 3 Ce texte ne comporte que deux articles : « 1. L’Assemblée, le Conseil et la Commission soulignent l’importance qu’ils attachent au respect des droits fondamentaux tels qu’ils résultent notamment des constitutions des Etats membres ainsi que de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. 2. Dans l’exercice de leurs pouvoirs et en poursuivant les objectifs des Communautés européennes, ils respectent et continueront à respecter ces droits. » (JOCE n° C 103 du 27 avril 1977, p. 1) 4 Déclaration conjointe du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, proclamant la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, Faite à Nice, le 7 décembre 2000, (JOCE n°C 364, 31 décembre 2000, pp. 1-22). 5 CJCE, 4 février 1959, aff. 1/58, Stork c/ Haute Autorité de la CECA, Rec. 1959, p.43. 6 CJCE, 12 novembre 1969, aff. 29/69, Stauder, Rec. 1969, p. 419, cons. 2. 7 décembre 1970, marque le refus de la Cour de contrôler la validité d’un acte communautaire à l’aune des droits constitutionnels nationaux. La Cour rompt ainsi avec le postulat axiomatique selon lequel le transfert progressif de compétences souveraines ne peut conduire à une réduction du niveau de protection des droits fondamentaux garanti par les ordres constitutionnels nationaux8. Cependant elle reconnaît que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit, dont la sauvegarde s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres9. La réponse des cours suprêmes ne se fit pas attendre10. Et devant les risques de désintégration communautaire que présentaient les réticences nationales, la CJCE va reprendre et enrichir, dans les arrêts Nold et Hauer11, sa motivation antérieure : non seulement « la Cour […] ne saurait admettre des mesures incompatibles avec les droits fondamentaux reconnus et garantis par les constitutions de ces Etats. », mais de plus « les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme, auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré, peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire (…) »12. Sans pour autant s’estimer liée par eux, la CJCE a reconnu aux instruments internationaux de protection des droits de l’homme, auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré, une fonction d’orientation. Parmi ceux-ci, la Convention de Rome, du 4 novembre 1950, a un impact privilégié sur les droits fondamentaux communautaires. 7 CJCE, 17 décembre 1970, aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, Rec. 1970, p. 1125, concl. Dutheillet de Lamothe. 8 M. Dauses, La protection des Droits fondamentaux dans l’ordre juridique des Communautés européennes, RAE n° 4, 1992, p. 11. 9 CJCE, Internationale Handelsgesellschaft, op. cit., cons. 2. 10 Bundesverfassungsgericht (BverfGE), 29 mai 1974, « Solange I », note M. Fromont, Rev. Trim. Dr. eur. 1975, p. 316. 11 CJCE, 14 mai 1974, aff. 4/73, Nold, Rec. 1974, p. 491 ; CJCE, 13 décembre 1979; aff. 44/79, Hauer, Rec. 1979, p. 3727. 8 3 Le refus de l’adhésion à la CEDH. Devant l’influence croissante en Europe des droits fondamentaux tels qu’ils ressortent de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (ci-après CEDH), la question fut posée à la Cour de savoir si la Communauté pouvait adhérer au système conventionnel des droits de l’homme. Dans son avis 2/9413, du 28 mars 1996, la Cour répondit qu’ « en l’état actuel du droit communautaire, la Communauté n'a pas compétence pour adhérer à la [CEDH], car, d'une part, aucune disposition du traité ne confère aux Institutions communautaires, de manière générale, le pouvoir d'édicter des règles en matière de droits de l'homme ou de conclure des conventions internationales dans ce domaine et, d'autre part […] l'adhésion […] entraînerait un changement substantiel du régime actuel de la protection des droits de l’homme, en ce qu'elle comporterait l'insertion de la Communauté dans un système institutionnel international distinct ainsi que l'intégration de l'ensemble des dispositions de la convention dans l'ordre juridique communautaire », lequel « revêtirait une envergure constitutionnelle et dépasserait donc par sa nature les limites de l'article 235 du traité »14.Comme la Cour en déduit que l’adhésion à la CEDH ne peut se faire que par voie de révision des traités, toute incorporation formelle des droits y consignés est alors bloquée. 4 L’apport du Traité d’Amsterdam. La question de la consignation des droits fondamentaux dans les traités prendra une autre dimension avec le traité d’Amsterdam, signé le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1er mai 199915. Tout 12 CJCE, Nold, ibid., cons. 2, al. 1 et 2 ; CJCE, Hauer, ibid, cons. 3, al. 2. 13 CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, Adhésion de la Communauté à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rec. 1996, p. I-1759. 14 CJCE, avis 2/94, ibid, cons. 6. 15 V. F. Sudre, La Communauté européenne et les droits fondamentaux après le traité d’Amsterdam : vers un nouveau système européen de protection des droits de l’homme ?, JCP éd. G., 1998, I, p. 100. 9 d’abord, l’article 6, paragraphe 1 du Traité UE16 érige les trois principes de respect des droits de l’homme, de démocratie et de prééminence du droit en principes essentiels de l’ordre juridique communautaire. Ensuite, est instauré un mécanisme de contrôle juridictionnel visant à sanctionner toute « violation grave et persistante » de l’article 6, paragraphe 1 UE17. La Charte des droits fondamentaux s’inscrit dans cette logique d’instauration progressive d’un mécanisme de contrôle communautaire de violations des droits fondamentaux ; l’Union se dote d’un corpus de droits qui précisent la teneur des obligations seulement évoquées dans les articles 6 et 7 UE. En elle-même, la Charte pourrait être considérée comme un « niveau intermédiaire » de reconnaissance formelle des droits fondamentaux, s’insérant entre les dispositions évasives des traités et les dispositions techniques du droit dérivé ou les considérants casuistiques du juge communautaire. 5 Les lacunes du traité d’Amsterdam. Au sortir de la Conférence intergouvernementale d’Amsterdam, les traités n’ont été amendés ni pour permettre l’adhésion des Communautés à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, comme y invitait a contrario l’avis 2/9418, ni pour doter les Communautés ou l’Union d’un catalogue de droits fondamentaux propres. Le professeur Constantinesco en déduit que : « Ce double refus des Etats membres explique d’une part, que, faute d’une conception d’ensemble, le traitement des droits fondamentaux dans le traité d’Amsterdam ait pris l’allure d’une mosaïque de solutions ponctuelles et fragmentaires et que, d’autre part, l’appréhension des droits fondamentaux y ait été effectuée en fonction des seules impératifs internes de 16 « L’Union est fondée sur les principes de liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres. » 17 Mais à échéance sera sanctionné tout « risque clair de violation grave par un Etat membre des principes énoncés à l’article 6, paragraphe 1 » (art. 7, paragraphes 1 et 2 UE, tels que révisés par le traité de Nice du 9 décembre 2000, non encore en vigueur). 18 CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, op. cit. 10 l’Union. »19. A cette inacceptable situation d’incertitudes qui confine au vide juridique, les Conseils européens suivants allaient tenté de remédier… 6 Les mandats des Conseils européens. Sous présidence allemande, le Conseil européen de Cologne, des 3 et 4 juin 1999, décida de cerner le contenu des droits fondamentaux, à travers la rédaction d’une compilation. L’objectif affiché par le Conseil européen était « d’établir une charte de ces droits afin d’ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les citoyens de l’Union »20. Une « Enceinte » fut donc organisée par le Conseil de Tampere, les 15 et 16 octobre 1999, afin de déterminer la composition de ce groupe ad hoc ainsi que ses modalités de travail21. Laconique, les Conclusions du Conseil de Cologne laissaient peu de directives à la Convention. Elles insistaient beaucoup sur les sources : les droits de libertés et d’égalité, ainsi que les droits de procédure garantis par la CEDH, et par les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. Les droits économiques et sociaux tels que résultant de la Charte sociale européenne (CSE) et de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (CCDSF), seront également partiellement pris en compte. Oscillant entre abstraction et imprécision, les Conclusions des Conseils européens donnaient peu d’indications à l’organe chargé de la codification. 19 V. Constantinesco, Le renforcement des droits fondamentaux dans le traité d’Amsterdam, op. cit., p. 34. 20 Conclusions de la Présidence, Décision du Conseil concernant l’élaboration d’une charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, points 44 et 45 (Bull. UE n°6-1999, point I.18) et annexe IV, p. 43 (Bull. UE n°6-1999, point I.64). 21 Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Tampere, des 15 et 16 octobre 1999, Bull. UE n° 10-1999, points I.1 – I.16, spéc. point I.2 et annexe. 11 7 Les acteurs de la Charte. Institution nouvelle qui a appliqué des méthodes originales de préparation et d’adoption de la Charte, la « Convention »22 a d’abord posé un problème… de nom. Transgressant les mandats déterminés en sommets européens23, l’organe baptisé « Enceinte » s’est lui-même renommé « Convention », assemblée collégiale sous la direction d’un comité de rédaction, lui-même renommé « Présidium ». Mais plus que le nom, l’originalité de la Convention réside dans sa composition. Pour la première fois coopèrent dans un même organe les Institutions européennes24 et nationales, les parlements nationaux et le Parlement européen. La Convention n’avait rien d’un comité d’experts, c’était un organe officiel, chargé de « produire un texte ». En son sein, une « Task-force », composée de fonctionnaires des Institutions européennes25, effectue le travail préparatoire de recensement des droits ; le Présidium, composé d’un président26, de trois vice-présidents et d’un commissaire, organise les séances ; les « composantes » veillent à la cohérence de l’ensemble du projet. Des consultations des Etats candidats à l’adhésion sont organisées. Travaillant dans la plus stricte égalité, chacune des instances dépositaires de différentes légitimités a contribué à donner à la Charte sa richesse et son architecture particulière. 8 Le Conseil européen de Nice des 7 et 9 décembre 2000. Au terme de son exercice, la Convention a présenté le texte de la Charte au Conseil européen informel de Biarritz, lequel a donné son accord unanime au projet27. Le texte fut alors définitivement 22 Dans le reste de notre étude, ce terme désignera automatiquement l’organe qui a présidé à la rédaction de la Charte. 23 G. Braibant, La Charte des droits fondamentaux, Droit social n°1, janvier 2001, p. 70. 24 Curieusement, la Cour des Comptes ne disposait pas d’observateurs (v. Conclusions de la Présidence de Tampere, op. cit.). 25 Sous la présidence du professeur Jacqué, directeur du service juridique du Conseil. 26 En l’occurrence, il s’agissait de Roman Herzog, ancien Président de la Cour constitutionnelle allemande et ancien Président de la République Fédérale d’Allemagne. 27 Bull. UE, n° 10-2000, point 1.2.1. 12 arrêté. Lors du Conseil européen de Nice, conformément au programme établi lors du sommet de Cologne, le Conseil, le Parlement européen et la Commission proclamèrent la Charte des droits fondamentaux « en marge du Conseil européen ». Autrement dit, le texte est approuvé, sans toutefois revêtir de force contraignante « officielle ». Du point de vue formel, la Charte ne revêt donc qu’une valeur de déclaration politique. Le Conseil européen se félicite de cette proclamation, et espère la plus large diffusion de la Charte28. 9 Présentation de la Charte. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne comporte 54 articles, précédés d’un préambule introductif. En sus des dispositions générales reprises à la fin du texte (chapitre VII, articles 51 à 54), les articles sont regroupés autour de six valeurs fondamentales : la dignité (articles 1 à 5), les libertés (article 6 à 19), l’égalité (articles 20 à 26)29, la solidarité (articles 27 à 38), la citoyenneté (articles 39 à 46) et la justice (articles 47 à 50). La Charte est accompagnée d’un exposé des motifs, rédigé par le Présidium, qui précise les sources sur lesquelles se fonde la Charte des droits fondamentaux : en plus des sources indiquées par le Conseil de Cologne, cet exposé se réfère aux deux Pactes relatifs aux droits de l’homme, adoptés par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 16 décembre 1966, à la Convention d’Oviedo sur les Droits de l’Homme et la Biomédecine, à certaines jurisprudences des Cours de Luxembourg ou de Strasbourg… De l’avis de la 28 Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Nice des 7, 8 et 9 décembre 2001, points 2 et 11, Bull. UE n° 12-2000, points 1.3, 1.2.2, 2.2.1 et s. 29 Entre l’avant-projet de charte (Charte 4422/00 Convent 45) du 28 juillet 2000, d’une part, et le projet définitif de Charte (Charte 4487/00 Convent 50), tel qu’adopté par le Conseil européen de Biarritz des 13 et 14 octobre 2000, deux articles sont venus grossir les rangs des droits ayant trait à l’égalité. Il s’agit d’un article préservant la diversité religieuse, culturelle et linguistique (art. 22), et d’un article sur la protection des personnes âgées (art. 25). Certains droits sociaux furent donc révélés in extremis ! 13 Commission, cet exposé des motifs pourrait être un élément utile à l’interprétation ultérieure de la Charte30. 10 Contenu de la Charte – Méthode. Conformément aux Conclusions de Cologne, l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux visait à « ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les citoyens de l’Union ». La Convention était donc tenue d’effectuer un travail de révélation, et non de création ou d’innovation. Néanmoins, elle devait également procéder à l’adaptation des droits de l’homme à leur temps. C’est pourquoi, à la lumière des cultures, des sociétés européennes et de leurs mœurs, certains droits nouveaux sont codifiés dans la Charte, bien qu’ils n’aient pas encore été complètement ou explicitement consacrés comme droits fondamentaux. 11 Contenu de la Charte – Pragmatisme et ambitions. L’influence de la Convention européenne des droits de l’homme a été déterminante pour la Charte. Pragmatique, celle-ci reprend en substance les articles 2 à 14 de la CEDH31. Mais, pour pragmatique qu’elle soit, la Charte se montre également ambitieuse, dans la mesure où elle n’hésite pas, soit à révéler des droits nouveaux, soit à adapter des droits anciens aux relations sociales contemporaines. Au regard de la base de réflexion proposée par le Présidium32, les travaux de la Convention ont amené à la consécration explicite d’autres droits : la liberté de la recherche scientifique (article 13), la liberté d’entreprise (article 16), la propriété intellectuelle (article 17 § 2), les droits des enfants (article 24), une protection en cas de licenciement injustifié (article 30) l’accès aux services économiques d’intérêt général (article 36), le droit à une bonne administration (article 30 Communication de la Commission, du 13 septembre 2000, COM(2000) 559 final, sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, point 17, p. 6. 31 32 V. infra Titre I, Chap I, Section I, paragraphe 2. Charte 4112/00, Body 4 du 27 janvier 2000. Les documents de travail de la Convention sont disponibles sur le site du Conseil (http://www.consilium.eu.int/df/default.asp?lang=fr). 14 41). A l’inverse, certains droits sont quasiment absents de la Charte, soit que les débats ont amené à les considérer comme des objectifs, et non comme des principes ou des droits justiciables (c’est le cas du droit au travail33 ou du droit à une rémunération équitable34), soit qu’ils découlent d’autres droits consacrés (ainsi en est-il du droit de grève, inclus dans l’article 28 relatif à la négociation et aux actions collectives, ou du droit à un revenu minimum, couvert par l’article 34, paragraphe 3, au titre de l’assistance et de la sécurité sociales.) 12 Le statut juridique de la Charte. La nature juridique de la Charte laisse sceptique35. Les juristes les plus formalistes insisteront sur l’absence de proclamation officielle de la Charte et sur le choix laissé aux futurs Conseils européens de l’insérer dans les Traités36. Les positivistes rappelleront que la Charte est publiée au JOCE, série C, et constitue une codification du droit positif, c’est-à-dire à la fois une simplification et une consolidation du droit existant, déjà en vigueur. Pour notre part, nous axerons notre réflexions sur un simple constat : comme charte de droits dits fondamentaux, le texte litigieux ne saurait recevoir que le plus haut respect de la part des autorités nationales et communautaires, surtout les Institutions qui l’ont solennellement proclamé. Son observation s’impose par la nature même, non de l’instrumentum, mais des droits que cet instrument exprime. 33 Art. 1er de la Charte sociale européenne révisée ; art. 4 de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. 34 Art. 5 de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. 35 Sur les nombreuses contributions des instances, v. Communication de la Commission, du 11 octobre 2000, COM(2000) 644 final « Sur la nature de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », enregistré par la Convention comme Charte 4956/00, Contrib. 355, p. 4 et 5, points 4 à 8 ; v. infra nos développements § 72. 36 Ce qui n’est guère à l’ordre du jour : ni le Conseil européen de Stockholm ni celui de Göteborg ne mentionnent la Charte (v. http://ue.eu.int/presid/conclusions.htm). 15 13 Problématique : En somme, la Charte est marquée par une double hybridité. La première a trait au processus et aux méthodes de travail, qui tinrent compte de sources aux origines et à la portée diverses. La seconde se retrouve dans la codification de droits tirés du droit positif dans un instrument formellement déclaratoire ou, pour mieux dire, dans un instrument qui n’a pas encore reçu l’onction de la justiciabillité. Dès lors, nous pouvons nous demander quels sont l’intérêt et la portée juridique du travail de codification entrepris. Codifier les droits fondamentaux en vigueur dans l’Union se résume-t-il à compiler certains droits de l’ordre juridique communautaire, ou ne nécessite-t-il pas l’introduction de normes nouvelles, telles que les normes d’articulation ? Comment la Convention a-t-elle synthétisé l’ensemble des droits fondamentaux existants dans l’Union européenne, pour rédiger une Charte qui, bien qu’elle n’ait aucune certitude d’entrer en vigueur, demeure dynamique et garante de l’effectivité de la protection des personnes ? 14 Plan. Malgré ses lacunes et ses faiblesses, notamment son absence de valeur juridique formelle, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne synthétise, pour les rendre visibles, plus de cinquante années de progrès juridiques. Pour la première fois se retrouvent articulés, au sein d’un même texte, des droits et des principes de diverses natures et de sources variées : des droits civils, politiques, économiques, culturels, sociaux, et les droits des citoyens. Mettant en œuvre, de façon relativement nette, le principe d’indivisibilité des droits, la Charte rassemble et distille les valeurs communes aux peuples de l’Union. Elle constitue donc une véritable codification à droit constant (Titre premier). Mais unifier les droits fondamentaux dans l’Union est vain si le texte qui le permet ne s’intègre pas correctement parmi les autres textes de droit positif, si la revendication des droits, des principes et des libertés qu’il assure est empêchée soit par d’autres dispositions, soit par l’absence de normes d’articulation adéquates. La valeur de la Charte dépend avant tout de son efficience, et son respect est conditionné par l’harmonisation de normes procédurales propres à garantir son applicabilité directe (Titre Second). 16 TITRE PREMIER : UNE CODIFICATION DU DROIT POSITIF 15 Plan. Ainsi que le suggère la reprise des conclusions du Conseil européen de Cologne dans la contribution du Présidium37, la Charte est le fruit de la convergence de plusieurs sources de légalité hétéroclites. Si l’influence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est prééminente en droit communautaire, celles de la Charte sociale européenne est bien moindre, celle des Pactes des Nations-Unies inexistante. En dépit de la grande diversité des sources de légalité dont procède la Charte (chapitre I), les rédacteurs de ce texte sont parvenus à synthétiser les droits de l’Homme en vigueur dans l’Union, afin de les rendre lisibles, c’est-à-dire accessibles aux personnes directement concernées (chapitre II). 37 V. infra, chapitre I, paragraphes 19 et s., pp. 21 et s. 18 PREMIER CHAPITRE : LA DIVERSITÉ DES SOURCES DE LÉGALITÉ 16 Convention et sources de légalité. Le mandat donné à la Convention par le Conseil européen de Cologne demandait à celle-ci de rédiger une Charte afin de « réunir les droits fondamentaux en vigueur au niveau de l’Union […] de manière à leur donner une plus grande visibilité »38. La mission de la Convention consistait donc à accomplir un travail analytique et synthétique. D’une part, dans sa dimension analytique, la Convention devait recenser l’intégralité des droits de l’homme tels que garantis dans l’ordre juridique communautaire, c’est-à-dire, indépendamment de la nature juridique de la source de chaque droit, passer en revue chacune d’entre elles afin de répertorier les droits invocables par le particulier. D’autre part, dans sa dimension synthétique, la Convention s’efforçait de trouver une formulation satisfaisante tant pour les parties que pour les titulaires39 des droits, suffisamment courte pour être intelligible par un citoyen « raisonnable et moyennement avisé », et suffisamment riche pour ne pas trahir les subtilités inhérentes au régime des droits fondamentaux. Une lecture d’ensemble de la Charte tend à suggérer que cette mission, malgré quelques lacunes ou imprécisions (sur lesquelles nous reviendrons40) est accomplie. 38 39 Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Cologne, 3 et 4 juin 1999, point 44. Ainsi que le relève le Professeur Denys Simon, le choix sémantique peut revêtir une certaine importance : « on précisera que le vocabulaire de « titulaire » ou de « sujet » de droit est préféré à celui de « bénéficiaires », qui sent un peu la Charte octroyée » (RUDH, numéro spécial n°1-2 sur La Charte des droits fondamentaux, p. 26, note 27). Précisons que nous utiliserons indifféremment la variété sémantique mise à disposition dans le reste de ce mémoire. 40 Voir infra, titre II, chapitre second, section I, §2, B. 19 17 Pluralité des sources. S’agissant de l’analyse des droits fondamentaux tels que garantis dans l’Union, la Convention ne s’est pas contentée de passer en revue les textes purement communautaires, mais a retenu différents textes porteurs de droits fondamentaux. En effet, les droits de l’homme ne constituent pas des normes techniques. Au contraire, ils constituent une discipline transversale, dont le champ d’étude se déploie par delà les frontières théoriques et académiques de la distinction entre droit public et droit privé, par delà les frontières physiques des Etats membres et des Communautés, et enfin par delà les divergences culturelles, sociologiques et éthiques. Dès lors, limiter le recensement des droits fondamentaux à une catégorie d’instruments déterminés en fonction de leurs auteurs ne pouvaient qu’amoindrir la richesse et la dynamique propres aux droits fondamentaux. Aucun organe, quel que soit sa légitimité, ne peut prétendre au monopole d’édiction des droits fondamentaux de l’Union. C’est donc avec sagesse et objectivité que les membres de la Convention se sont inspirés, certes principalement, des instruments communautaires de protection des droits fondamentaux41. Ils ne négligèrent pas pour autant les instruments nationaux42, européens43 ou internationaux44 de garantie qui déploient leurs effets dans l’ordre 41 Citons simplement les traités sur la Communauté européenne et sur l’Union européenne, ainsi que leurs protocoles, la jurisprudence de la CJCE, la Convention Europol, les nombreux règlements et directives du Conseil et du Parlement européen, la jurisprudence de la Cour relative aux droits fondamentaux, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (bien qu’il s’agisse d’une déclaration politique), la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés. 42 Appréhendés essentiellement au titre des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, mais aussi des principes communs aux ordres juridiques nationaux, tel que le principe de légalité et de proportionnalité des délits et des peines (art. 49). Citons également la jurisprudence des Cours suprêmes nationales, pour leur apport à la protection des droits fondamentaux au niveau européen. 43 Ainsi, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (et ses protocoles), complétée par la jurisprudence de la Cour EDH, la Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine, la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981, la Charte sociale européenne, la Convention relative à la lutte contre la corruption. 20 juridique communautaire, ni les sources de droit les plus souples, telles que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, notamment celle relative aux principes généraux du droit. 18 Sources de légalité et droit communautaire. Incontestablement, la théorie classique des sources du droit international trouve ses limites en droit communautaire. Bien que ce dernier demeure encore lié par les traités fondateurs à ses origines de droit international, le droit communautaire s’est affranchi de ses racines pour constituer le modèle le plus intégré de droit régionalisé. Certaines sources de droit non écrit, telles que la coutume, ont perdu quasiment toute influence45. A l’heure où sont remis en cause les fondements mêmes de la théorie des sources46, prospèrent et croissent de nombreux ordres juridiques ayant chacun leurs sources propres. La Charte des droits fondamentaux se devaient de prendre l’exacte mesure de cette autonomisation des sources. 19 Recensement des sources. Cependant, la Charte constitue un texte de droits, non un historique du développement des droits fondamentaux de l’Union. Le texte énonce les droits garantis et non les sources. Dès lors, accomplir une « recherche en paternité » des droits de la Charte postule de se tourner vers les travaux préparatoires, 44 Au titre desquels nous trouvons la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, le statut de la Cour pénale internationale adopté à Rome le 17 juillet 1998, la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981. 45 Contra CJCE, 16 juin 1998, aff. C-162/96, Racke, Rec. 1998, p. I-3655. Dans cet arrêt est explicitement consacré en droit communautaire le principe de droit international rebus sic standibus, corollaire du principe pacta sunt servanda. 46 V. R. Monaco, Réflexions sur la théorie des sources du droit international, in J. Makarczyk, Theory of International Law at the Threshold of the 21st Century. Essays in honour of Krzysztof Skubiszewski, éd. Kluwer Law International, La Hague, 1996, pp. 517-529 ; G. Abi-Saab, Les sources du droit international ; essai de déconstruction, in Liber Amicorum Eduardo Jimenez d’Arechaga, Le Droit international dans un monde en mutation, Montevideo, 1994. 21 les notes et contributions des différentes instances consultées47. A cet égard, le Présidium a rédigé une intéressante contribution48, reprise dans un rapport du député François Loncle49, présentée sous forme de tableau synoptique sur le site Internet de la Commission50. Nous pouvons supposer que la contribution du Présidium retranscrit, sinon le résultat des débats, au moins les sources de légalité les plus éminentes parmi celles retenues par les groupes de travail.. 20 Sources internationales non pertinentes. Sur le plan juridique la dichotomie entre droits civils et politiques et droits culturels, économiques et sociaux trouve peu de justifications. C'est une division diplomatique, inspirée par le climat de guerre froide entre les Etats libéraux de l'Ouest et les démocraties sociales de l'Est, matérialisée dans les deux pactes des Nations Unies de 196651. D'une part, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) regroupe les droits de la personne et ceux inhérents au processus de participation politique. Ce sont des « droits 47 A ce jour, le site Internet du Conseil met à disposition 230 contributions, émanant de divers organes, depuis les institutions communautaires jusqu’aux cellules de la société civile, en passant par les représentants d’organisations internationales telles que le Conseil de l’Europe. Ces contributions sont disponibles à l’adresse http://www.consilium.eu.int/df/default.asp?lang=fr. 48 Cette contribution ne s’intègre pas au corps de la Charte. Adjointe à la Charte, elle n’en constitue qu’une explication, un commentaire, ainsi que le précise son entête : « Les présentes dispositions ont été établies sous la responsabilité du Présidium. Elles n’ont pas de valeur juridique et sont simplement destinées à éclairer les dispositions de la Charte. ». Pourtant, l’avocat général Léger, dans ses conclusions sous l’affaire C-353/99 P, Hautala c/ Danemark, France, Finlande, Suède et Royaume-Uni, se réfère explicitement à la « note explicative de la Charte » pour déterminer un lien entre l’article 45 de la Charte et l’article 255 CE (points 84 et 85) 49 F. Loncle, La Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, Les Documents d’information de l’Assemblée Nationale, Rapport n°2616, 2000, 96 p. 50 http://europa.eu.int/comm/justice_home/unit/charte/fr/charter02.html . 51 Assemblée Générale des Nations-Unies, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (16 décembre 1966, entré en vigueur le 3 janvier 1976) ; Pacte international relatif aux droits civiques et politiques (16 décembre 1966, en vigueur le 23 mars 1976). 22 de ». D'autre part, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) énumère des droits en rapport avec la situation matérielle de l’individu. Il s’agit, pour l’essentiel, des « droits à ». Si les Pactes traduisent en termes juridiques l’opposition entre marxistes et libéraux, ils ont toutefois le mérite de mettre l’accent sur la collectivisation des droits fondamentaux. En d’autres termes, les droits de l’homme ne sont plus exclusivement des droits individuels. Certains s’exercent et se déploient dans le corps social d’appartenance de l’individu. Bien que chaque Pacte ait l'avantage de consacrer expressis verbis certains droits comme fondamentaux, la classification opérée entre les deux familles s'avère dangereuse. En effet, dès lors qu'une distinction est opérée, la tentation d'une hiérarchisation existe, donnant à croire que certains droits sont plus fondamentaux que d'autres. En outre le mérite pédagogique de cette différenciation s'estompe devant l'exigence d'indivisibilité des droits de l'homme, principe maints fois affirmé dans les outils de protection. A l’inverse, la Charte des droits fondamentaux relègue cette classification au rang d’avatar historique ; son architecture en six titres empêchant toute catégorisation des droits selon la nomenclature des Pactes52. Dans l’ensemble, les Pactes sont sans incidence sur la rédaction et l’interprétation de la Charte. 21 Plan. Une lecture attentive de la contribution du Présidium révèle l’impact des sources de légalité de droit écrit sur la Charte, essentiellement européennes (section I). Cependant, il serait erroné d’éluder les sources de légalité les plus insaisissables (section II), notamment les jurisprudences des cours européennes, lesquelles ont influencé, à un degré moindre, la rédaction des droits consacrés. 52 V. infra titre I, chapitre II, section I. 23 SECTION I : PREEMINENCE DES CONVENTIONNELLES SOURCES 22 Prééminence du droit53 et Communauté de droit. Une lecture comparée de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne avec les principaux instruments européens de protection des droits révèle combien la première est influencée par les seconds. La Charte n’est pas avare de références aux articles européens contenus dans les principaux instruments de protection des droits fondamentaux, constitutifs d’une « Communauté de droit »54. La réalisation d’une telle Communauté constitue l’un des objectifs assignés aux traités, et, sur un plan politique, la raison d’être essentielle de l’intégration communautaire. En matière de droits de l’homme, constituer une Communauté régie par le droit est à la fois le moyen et la finalité, l’alpha et l’oméga, du développement harmonieux des Etats membres, dont la qualité d’Etat démocratique est une condition d’adhésion et du maintien dans les Communautés55 53 J.-Y. Morin, La « prééminence du droit » dans l’ordre juridique européen, pp. 643-689, in J. Makarczyk, Theory of International Law at the Threshold of the 21st Century. Essays in honour of Krzysztof Skubiszewski, éd. Kluwer Law International, La Hague, 1996, 1008 p. Cet auteur insiste sur les liens existants entre le « Rechtsstaat » allemand et la notion communautaire de « Communauté de Droit ». 54 55 V. CJCE, 23 avril 1986, aff. 294/83, Parti écologiste « Les Verts », Rec. 1986, p. 1339. V. notamment les articles 6, paragraphe 1, 7 et 49 TUE. Le respect des valeurs démocratiques communes constituent également, au terme du préambule de la CEDH, une condition d’entrée au Conseil de l’Europe. A l’occasion de la Conférence de Nice, la modification de l’article 7 UE, autorisant le déclenchement d’une procédure de sanction en cas de risque d’infraction aux dispositions de l’article 6 UE ou de manquement aux droits fondamentaux, complétant la possibilité de sanction en cas de « violations massives et répétées des droits de l’homme », renforce les mécanismes de garanties au sein de l’Union. V. D. Simon, Ubi jus ?, Europe n°3, mars 2000, p. 3. 24 23 Par l’acte d’adhésion, l’Etat reconnaît le travail d’intégration accompli par les Etats membres et accepte de contribuer à celui-ci56. Dans les traités fondateurs, les droits fondamentaux développés par l’Union représente qualitativement une part essentielle de cet acquis. Quantitativement, le droit originaire de l’Union est relativement pauvre en droits fondamentaux57. Au sein de l’ordre juridique instauré par le Conseil de l’Europe, les droits fondamentaux conventionnels sont également peu nombreux, mais d’une part, ils ont l’avantage d’être immédiatement identifiables, et d’autre part, ils ont bénéficié de l’impulsion donnée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après Cour EDH)58. Mais l’adhésion n’est pas une opération à sens unique ; ni le droit communautaire ni le droit conventionnel des droits de l’homme ne se contentent de pénétrer l’ordre juridique national du nouveau membre. Au contraire, c'est une opération bijective. D’une part l’Etat membre, bien qu'astreint par la clause de « stand-still »59, conserve une part des prérogatives inhérentes à sa souveraineté, rien ne l’empêche d’adopter des mesures d’ordre interne de protection des droits fondamentaux qui soient plus protectrices que celles en vigueur dans l’Union. D’autre part, le développement de ces derniers implique que les Etats membres, véritables maîtres des traités internationaux, modifient ces derniers pour les enrichir de nouvelles dispositions, modifiant ainsi le niveau de protection communautaire des droits fondamentaux. 56 V. l’article 49 UE, les Protocoles n°2 et 11 au traité d’Amsterdam, et les Déclarations n°50 et 57 au traité d’Amsterdam. 57 V. infra, cette section, paragraphe 1. 58 V. infra, ce chapitre, section II. 59 Au terme de l’article 10 CE : « 1. Les Etats membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission. 2. Ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité. » 25 24 Plan. Suite à ces interactions entre ordres juridiques, croissantes avec le nombre d'adhésions, le droit communautaire s'est enrichi des normes de protection des droits fondamentaux reconnues par les différents ordres nationaux et consignées dans divers instrumenta. Pour importante que soit la protection des droits des personnes, force est de reconnaître que tous les instruments consacrés par les diverses traditions nationales n'ont ni le même impact, ni le même intérêt. Pour la plupart, les droits contenus dans cette Charte de codification des droits fondamentaux trouvent leur origine soit dans les traités fondant l’ordre juridique communautaire (§1), soit dans la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (§2). §1) Les normes communautaires de protection des droits fondamentaux 25 Plan. Les traités constitutifs des Communautés européennes demeurent laconiques s'agissant de la protection des droits de l'Homme. Les références sises dans les traités sont générales et évasives60. Le principal avantage d'une telle imprécision réside dans la généralité des termes, lesquels préservent l’impulsion et le potentiel de développement des droits de l'homme61. Son principal inconvénient est qu'elle appelle, soit une intervention de niveau législatif, précisant les modes d’organisation de la garantie des droits fondamentaux, soit une interprétation du juge gardien de l'ordre juridique communautaire, précisant le sens et la portée de ces termes62. Réservant nos développements sur le rôle du juge à plus tard, nous nous consacrerons à étudier les 60 L’article F, paragraphe 1 du TUE, dans la version originale du traité de Maastricht, disposait : « L’Union respecte l’identité nationale de ses Etats membres, dont les systèmes de gouvernement sont fondés sur les principes démocratiques. » 61 A l'inverse, une clause fermée, reconnaissant par exemple les droits fondamentaux en vigueur au moment de la ratification du traité, pêche par sa stérilité et prive ces droits d'une part de leurs potentialités. 62 V. infra, section II, paragraphe 1. 26 dispositions pertinentes des traités communautaires (A), puis nous nous intéresserons au rôle joué en matière de droits de l'Homme par les Institutions titulaires du pouvoir normatif communautaire63 (B). A) Le droit originaire de l’Union 26 Le droit originaire matériel. Les droits de la personne, tels qu’ils ressortent des traités fondant les Communautés, sont peu nombreux. A l’inverse du développement des droits fondamentaux sur la scène internationale, ce ne sont pas les droits civils et politiques qui ont posé les jalons du développement des droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique communautaire. Dispositions éparses et désordonnées, il s’agit avant tout de libertés de nature économique, qui s’inscrivent dans la formation du Marché intérieur : la liberté de circulation, consentie au bénéfice des travailleurs communautaires64, la liberté d’expression de la presse et des médias65, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes66, les droits à l’information, à l’éducation et à l’organisation des consommateurs67. La prise en compte de préoccupations sociales se retrouve dans le traité CE, mais seulement à titre 63 Les Institutions participant au processus d’édiction des normes sont, au terme de l’article 249 CE, la Commission, le Conseil et, selon les procédures, le Parlement européen. 64 Art. 39 CE à 48 CE. Mais il existe d’autres dispositions se référant à la liberté de circulation des personnes : les articles 2 al 5 UE, 14 al. 2 CE et 18 CE. Cette liberté n’est pas restreinte par le protocole annexé au traité sur l’Union européenne et aux traités instituant les Communautés européennes (protocole n°17, Déclaration n°34). 65 Déclaration n°20 annexée au traité d’Amsterdam. 66 Art. 141 CE (v. également art. 2 et 3 CE et Protocole n°14 du Traité de Maastricht, et Déclaration n°28 jointe au traité d’Amsterdam). 67 Art. 153, paragraphe 1 CE. 27 programmatique68. Quant aux droits civils et politiques, ils font leur apparition avec le Traité de Maastricht : le droit à l’égalité de traitement69, le droit d’accès aux documents administratifs70, les droits du citoyen (droits de vote et d’éligibilité aux élections municipales71 et au Parlement européen72, droit de pétition devant le Parlement européen73, saisine du médiateur74, droit à une protection diplomatique et consulaire75). Certaines dispositions, bien qu’inscrites dans les traités, ne sont pas véritablement affirmées comme des droits fondamentaux, mais comme des droitsprogrammatiques, ou comme des objectifs que l’Union tâchera d’atteindre en suivant les principes fondamentaux y afférents. Bien souvent, ils sont simplement évoqués dans une déclaration ou dans un protocole annexé au traité. A leur nombre, citons la lutte contre les discriminations76 et contre l’exclusion77, la protection de l’environnement78, la cohésion économique et sociale79, la protection des minorités culturelles et linguistiques80, le droit à la santé81, l’insertion sociale des handicapés82, le respect des 68 Art. 136 et s. CE, formant le titre XI, lui-même consacré à la politique sociale, l’éducation, la formation professionnelle et la jeunesse. 69 Art. 13 CE. 70 Art. 207 et 255 CE, v. infra cette partie, chapitre II. 71 Art. 19, paragraphe 1 CE. 72 Art. 19, paragraphe 2 CE. 73 Art. 21 al 1 CE. 74 Art. 21 al 2 CE. 75 Art. 20 CE et Protocole n°6 au traité d’Amsterdam. 76 Art. 13 CE, précité. 77 Art. 136 et 137, paragraphe 1 CE. 78 Art. 175 et 176 CE, et Déclaration n°12 jointe au Traité d’Amsterdam. 79 Art. 158 CE. la cohésion économique et sociale ne peut se réaliser sans un minimum de droits sociaux fondamentaux, qu’elle préfigure. 80 Art. 30 et 149 CE. 81 Notamment, l’art. 152 CE. 82 Déclaration n°22 relative aux personnes handicapées. 28 convictions, notamment religieuses83… Toutes les politiques de l’Union centrées sur le développement social harmonieux de l’homme pourraient être abordées ici, mais nous nous en tiendrons à celles qui émanent des traités. 27 L’article 52 § 2 de la Charte. La portée pratique de la recherche du fondement communautaire de certains droits fondamentaux réside dans l’article 52 de la Charte. Celui-ci énonce : « Les droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le traité sur l’Union européenne s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci. » A première lecture, les rédacteurs ont ainsi entendu respecter scrupuleusement l’état actuel du droit positif des droits fondamentaux communautaires. Cependant, plusieurs questions se posent immédiatement. La première interrogation consiste à déterminer ce qu’est un droit « trouvant son origine dans les traités ». S’agit-il d’un droit dont la formulation réside exclusivement dans les traités, ou d’un droit consacré par les traités, mais inspiré d’autres instruments juridiques ou existant également en leur sein ? La Cour de Justice des Communautés, si elle devait se prononcer sur le sens et sur la portée de cette clause, ira-t-elle jusqu’à opérer une interprétation restrictive de cette clause de limitation, allant jusqu’à réduire celle-ci aux droits « purement » communautaires, ou l’étendra-t-elle aux droits partagés par les principales sources européennes de protection ? Nous pouvons supposer que la haute juridiction communautaire, devant la relative obscurité de l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, optera, comme elle le fit jusqu’à maintenant, pour une interprétation dynamique des droits fondamentaux. De sorte que le juge communautaire restreindra la portée de l’exception de l’article 52, paragraphe 2. Une telle interprétation est propre à assurer une protection croissante des bénéficiaires. 83 Déclaration n°11 annexée au traité d’Amsterdam, relative au statut des Eglises et des organisations non confessionnelles. 29 28 Une seconde série de questions se pose : comment combiner cette clause restrictive générale avec l’autre disposition de même nature que contient la Charte en son article 5384 ? En effet cette autre clause générale de limitation des droits fondamentaux dispose : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leurs champs d’application respectifs, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les Etats membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des Etats membres. » Dans la mesure où il ressort du texte de cet article qu’il s’applique, malgré sa formulation négative, à « toute disposition de la présente Charte », ne devrait-il pas restreindre également la portée de la limitation inscrite à l’article 52, paragraphe 2 de la Charte ? Cette hiérarchisation des clauses générales de restriction ne nous semble contrevenir ni à la lettre ni à l’esprit de la Charte, ni aux principes d’interprétation des traités85, et présente l’intérêt de donner pleine vigueur au respect des droits fondamentaux issus de la Convention. Elle pourrait même donner une piste de résolution d’éventuels conflits horizontaux entre des clauses de droit originaire restreignant l’exercice de certains droits communautaires, et d’autres dispositions, issues d’autres ordres juridiques, et garantissant un niveau supérieur de protection86. 84 V. infra, nos développements sur la soumission à la Convention européenne des droits de l’Homme comme standard minimum, Section II, paragraphe 1, B), ainsi que le paragraphe 143, p. 137. 85 Article 31 de la Convention de Vienne de 1962 sur le droit des traités entre Etats. 86 Cette interprétation est par ailleurs conforme à la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, qui a emprunté le droit à un procès équitable à la Convention européenne des droits de l’homme (CJCE, 17 déc. 1998, aff. C-185/95, Baustahlgewebe GmbH, Rec. 1998, p. I-8417) ou la règle rebus sic standibus au droit international général (CJCE, 16 juin 1998, Racke, op. cit.). 30 B) Le droit dérivé de l’Union 29 Richesse et souplesse. L’édiction de normes de droit dérivé fut l’occasion, pour les Institutions, de développer les droits fondamentaux des individus. En cinquante années d’intégration communautaire, la réalisation d’une « Union sans cesse plus étroite entre les peuples » présumait la reconnaissance de valeurs communes avant même que le souci de recenser les droits fondamentaux n’apparaisse. La souplesse du droit dérivé, adopté selon un processus moins lourd qu’une révision des traités, a permis aux institutions de faire face aux besoins croissants de droits fondamentaux. En effet, le développement économique, social, technologique, etc. induit une vigilance de tous les instants pour que les droits essentiels soient adaptés à leur époque. Ainsi depuis l’affirmation des premiers droits, par exemple les droits de la défense dans le Règlement 17 de 196287, d’autres textes de droit dérivé sont venus enrichir les droits de l’homme, tels ceux portant protection des données à caractère personnel88. De même, il fallut attendre la directive « Télévision sans frontière » du 3 octobre 198989, adoptée dans le sillon de la Convention de l’Europe sur la télévision transfrontalière, signée à Strasbourg le 5 mai 1989, pour que soit consacrée la liberté d’expression en droit communautaire. En définitive, le droit dérivé est souvent le lieu de cristallisation des 87 Règlement (CEE) n° 17/62 du Conseil, du 6 février 1962, Premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité CE, JOCE n° 13 du 21 février 1962, p. 204. V. l’article 48 de la Charte. 88 Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données, JOCE n° L 281 du 23 novembre 1995, p. 31. V. également l’article 8 de la Charte. 89 Directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires, et administratives des Etats membres relatives à l’exercice d’activité de radiodiffusion télévisuelle, JOCE L 298 du 17 octobre 1989, modifiée en dernier lieu par la directive 97/36 du 30 juin 1997, JOCE, n° L 202, du 30 juillet 1997. 31 droits fondamentaux émergents, parfois même en l’absence de toute volonté de consécration. 30 Droit dérivé et invocabilité des droits de l’homme. Malgré sa richesse, le droit dérivé des droits de l’homme ne constitue pas une source extrêmement efficiente de protection des droits fondamentaux. Tout d’abord, la diversité et l’originalité des normes communautaires s’organisent en un système normatif unique dans lequel se confondent les actes de type « législatif » et ceux de type « exécutif »90. Cet éclatement des fonctions législatives et exécutives91, qui ne facilite guère l’identification des droits fondamentaux92, se double ensuite d’une différence de justiciabilité entre normes communautaires, certaines étant dotées d’effet direct, tandis que d’autres en sont dépourvues. Cette divergence de régime juridique des normes, qui implique au contentieux une divergence d’invocabilité, ne recoupe pas non plus exactement la typologie des actes communautaires, telle qu’elle relève de l’article 249 (ex article 189) CE93. Sans doute est-ce à partir de ce constat que les Etats membres ont souhaité donner plus de lisibilité aux droits fondamentaux garantis dans l’Union, et que la Charte trouve son intérêt. En effet, codifier les droits fondamentaux en vigueur dans l’ordre juridique 90 Sans verser dans un statomorphisme excessif, nous pouvons considérer que certains actes normatifs communautaires se prêteraient plus facilement, par analogie dans l’ordre interne, à une intervention législative, d’autres à une intervention exécutive. 91 92 V. G. Isaac, Droit communautaire général, éd. Armand Colin, 1999, p. 117 et s. Au sein des ordres juridiques étatiques, les droits fondamentaux de la personne humaine sont généralement l’apanage de l’organe légisaltif, en tant qu’émanation de la volonté du peuple. Par exemple, le « Rechstaat » allemand est fondé sur la « Grundnorm », le principe du « Parliament sovereignty » britannique préserve la prérogative parlementaire d’édiction des droits fondamentaux, ou l’article 34 de la Constitution française déclare 93 Si tous les règlements sont d’effet direct, toutes les directives ne sont pas nécessairement dépourvues d’effet direct. Ainsi, lorsque les dispositions d’une directive non transposée dans les délais impartis sont suffisamment claires, précises et inconditionnelles, le particulier peut s’en prévaloir au contentieux devant son juge national. 32 communautaire, c’est reléguer au second plan toute velléité propre à la forme de l’acte et, à l’inverse, revaloriser le contenu du droit comme tel. Qu’importe que le droit consacré dans la Charte soit issu directement des traités, des principes généraux du droit communautaire ou des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, qu’il soit tiré d’un règlement ou individualisé dans une directive ! Comme droit fondamental, il mérite une protection maximale. Le principe d’unité des droits fondamentaux joue ici pleinement son rôle, au bénéfice des personnes concernées par le droit. Toute réserve sur le statut juridique de la Charte mise à part, la seule question que se posera le juge confronté à un litige sur la violation d’un droit fondamental sera celle de savoir si la personne a le statut de victime, autrement dit si elle est personnellement et individuellement concernée. Finalement, le principal mérite de la Charte est de codifier certains droits issus des traités ou du droit dérivé des traités, afin de transcender leur origine et de les qualifier par leur contenu matériel. Cependant, les sources textuelles de la Charte des droits fondamentaux ne se cantonnent pas aux traités fondateurs des Communautés, mais comptent parmi elles d’autres sources de droits écrits, déjà consacrée dans l’ordre juridique communautaire. Il s’agit des conventions formant le système conventionnel des droits de l’homme. §2) Le l’Homme. droit conventionnel des Droits de 31 Pertinence des instruments. C’est assurément de la CEDH que la Convention s’est le plus servie pour rédiger la Charte, en raison de son importance tant morale que juridique. Toutefois, un lecteur attentif trouvera les traces d’autres accords internationaux conclus au sein du Conseil de l’Europe, telle que la Charte sociale européenne (CSE) ou la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la 33 bioéthique94. Certes, l’absence de force contraignante de ces dernières explique la fugacité des références de la Charte. La relative désaffection de la Convention pour ces conventions ne préjuge pas de leur aptitude à déployer leur normativité dans la plupart des Etats membres de l’Union, ou à devenir du droit positif ; la Charte retranscrit simplement le droit en vigueur dans l’ordre juridique communautaire à un moment donné. 32 Plan. Ne souhaitant pas prendre le risque de voir rejeter un texte essentiel en raison de considérations économiques et sociales pour lesquelles certains Etats n'étaient pas prêts ou favorables, les rédacteurs de la Charte se sont cantonnés à des dispositions conférant des « droits de » et peu de « droits à »95. A l’instar de la Convention, ils ont préféré une Charte un peu plus pauvre mais dynamique, à une Charte trop riche… et rejetée par les Etats membres lors du Conseil européen. C’est pourquoi l'affirmation et le développement des droits civils et politiques de la Convention de Rome ne posa guère de difficultés (A), tandis que les droits économiques et sociaux relèvent moins de la CSE que de la jurisprudence sociale tirée de la CEDH (B)96. A) L’affirmation des droits civils et politiques 33 Charte, CEDH et droits civils et politiques. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne de sauvegarde des 94 Convention du Conseil de l'Europe, conclue à Oviedo le 19 novembre 1996, sur les Droits de l'Homme et la Biomédecine, telle que modifiée par son protocole additionnel du 12 janvier 1998, STE 164, éd. du Conseil de l’Europe, 20 p. 95 F. Sudre, Droit international et européen des droits de l’Homme, 4e éd. PUF, août 1999, coll. Droit fondamental, pp. 88 et s. 34 droits de l’Homme et des libertés fondamentales ont ceci de commun qu’elles consacrent une grande quantité de leurs dispositions à l’exercice des droits civils et politiques par les membres de la Cité, au sens platonicien du terme. Si la CEDH fait office de précurseur en la matière, force est de constater, à la lecture du texte brut de la Convention, que la quasi-totalité des droits y contenus sont des droits civils et politiques : les chapitres « Dignité » et « Libertés » garantissent la jouissance de droits civils, le chapitre intitulé « Citoyenneté » traduit les aspirations politiques de l’Union. La contribution du Présidium précitée insiste sur la similitude qui unit les dispositions des deux textes97. 34 Les avancées potentielles des droits issus de la CEDH. De ce fait, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne enregistre et perpétue des droits proclamés dans la CEDH, complétée par cinq protocoles. Les principaux droits que la doctrine considère comme fondateurs de l’ordre juridique européen des droits de l’homme se retrouvent dans la Charte. Qu’il s’agisse de droits intangibles98, tels que l’interdiction de la torture ou des traitements inhumains et dégradants ou le droit à la vie, de droits conditionnels99, comme les libertés de circulation (art. 2 du Protocole n°4) ou la liberté d’expression (art. 10 CEDH), ou même de droits processuels (art. 6 CEDH)… chaque droit du système conventionnel des droits de l’homme a un écho dans la Charte. Mieux encore, certains droits présentés dans la CEDH ont été élargis : le droit à la vie n’est plus limité par la peine de mort100, l’objection de conscience est en voie de 96 Nous nous consacrerons, dans ces deux parties, à une étude principalement textuelle de la Convention, agrémentée de quelques références jurisprudentielles. Nous mènerons plus loin une étude jurisprudentielle plus complète. 97 Nous y reviendrons à l’occasion de l’étude des dispositions matérielles. 98 P. Meyer-Bisch, Le noyau intangible des droits de l’homme, éd. Universitaires de Fribourg (Suisse), 1991, 272 p., spéc. pp. 31-74. 99 F. Sudre, op. cit., pp. 214 et s. 100 Art. 2 CEDH, art. 2 de la Charte. 35 généralisation101, le droit à un procès équitable ne voit plus son champ d’application limité aux matières civiles et pénales102, le principe de non-discrimination tend également à devenir un principe général103, le principe de la liberté de l’enseignement104. Ces avancées n’estompent pourtant pas la discrétion des droits économiques, sociaux et culturels. B) La discrétion des droits économiques, sociaux et culturels 35 Charte, CSE et droits économiques, sociaux et culturels. Comme nous l’avons déjà évoqué, la Convention européenne des droits de l’Homme demeure silencieuse sur les droits sociaux, en raison de son contexte d’adoption. Mais ce silence tient également au fait qu’à la même époque, fut adoptée à Turin une Charte sociale européenne développant quelques droits sociaux, notamment le droit professionnel105 et le droit à une protection sociale (c’est-à-dire le droit à la santé, à une sécurité sociale et à une assistance sociale et médicale)106. Ces droits se retrouvent dans la Charte des droits fondamentaux107. Cependant les droits énumérés par la CSE pêchent pour deux raisons au moins. La première est que la portée de la CSE est limitée par l’absence d’effet direct des droits consacrés. La seconde est que, contrairement à la Convention de Rome, la 101 Art. 4, paragraphe 3, b) CEDH (interdiction de l’esclavage et du travail forcé), art.10, paragraphe 2 de la Charte (liberté de pensée, de conscience et de religion). 102 Art. 6 CEDH, art. 47 de la Charte. 103 Art. 14 CEDH, tel que complété par l’art. 1 Prot. 12 du 4 novembre 2000. V. infra titre II, chap. II, section II, paragraphe 1, A). 104 Art. 2 Prot. 1 CEDH et art. 14 de la Charte. 105 Art. 1, paragraphe 2 CSE. 106 Respectivement aux articles 13, paragraphe 4, 11 et 20-1, b) CSE. 107 Le Préambule de la Charte mentionne « l’évolution de la société » et « le progrès social » comme source d’impulsion des droits fondamentaux, l’article 34 consacre le droit à la sécurité sociale et à l’aide sociale. 36 Convention de Turin ne dispose d’aucun moyen de contrôle juridictionnel108 du respect des engagements souscrits par les Etats. Mais tandis que la Charte ne faisait que reprendre des droits civils et politiques garantis par la CEDH, sans réel apport, la reprise des articles de la Charte sociale, et surtout leur attribution à toute personne sans discrimination, représentent un saut qualitatif important. En effet, la CSE proposait une adhésion « à la carte », tandis que la Charte des droits fondamentaux impose une obligation de respect tant aux Etats membres qu’aux Institutions. Ce faisant, les Etats membres qui n’avaient pas encore ratifié ces droits spécifiques dans la CSE se voient opposés un autre instrument juridique, auquel ils n’ont pas adhéré, et qui reprend en substance d’autres obligations auxquelles ils n’avaient pas (encore) consenties. 36 Charte, CEDH et droits économiques, sociaux et culturels. Soucieuse de combler une lacune en matière de droits sociaux fondamentaux européens, la Cour européenne des droits de l’Homme a employé la méthode d’interprétation dite évolutive pour consacrer, au nom du principe d’indivisibilité des droits fondamentaux, non pas certains droits économiques et sociaux sui généris, mais l’application au domaine social de certains droits civils et politiques. Est ainsi soulignée la dimension sociale des droits civils de la Convention européenne des droits de l’homme109. Depuis l’arrêt Airey du 9 108 Tout au plus pourrions-nous relever les rapports du Comité d’experts indépendants et du Comité d’experts gouvernementaux, et l’introduction d’une procédure de réclamation collective. Les rapports apprécient la conformité du droit positif des Etats avec les obligations découlant de la Charte sociale, puis proposent des recommandations au Comité des ministres, lequel adopte une résolution dépourvue de force contraignante. Quant au récent mécanisme de réclamation collective, il fut institué au bénéfice de trois catégories d’organisations, à l’occasion de la révision de la Charte. Ce système, exceptionnellement ouvert au bénéfice d’ONG nationales, doit encore faire ses preuves (V. I. Daugareilh, La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la protection sociale, Rev. Trim. Dr. eur. n° 37, janvier-mars 2001, pp. 124-125). 109 I. Daugareilh, La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la protection sociale, RTD eur., janvier-mars 2001, pp. 123 - 137, spéc. p. 126. 37 octobre 1979110, la jurisprudence du juge de Strasbourg a évolué : par exemple fut étendu au contentieux social le droit à un procès équitable sis à l’article 6 CEDH111, ou le principe de non-discrimination de l’article 14 CEDH112. Le juge, appelé à appliquer la Charte, trouvera en elle la confirmation de la réception, en droit communautaire, de droits sociaux développés dans le système conventionnel des droits de l’homme. En outre, recourir à des procédés d’interprétation non littéraux constitue un indice du caractère artificiel de la séparation, au sein de l’ordre européen des droits de l’homme, entre droits civils et politiques et droits économiques et sociaux. 37 La Charte des droits fondamentaux et l’élaboration d’une Europe sociale. C’est précisément ce caractère artificiel que dépasse la Charte des droits fondamentaux de l’Union en reprenant une part de la jurisprudence de la Cour EDH. Toutefois, la nature même des droits sociaux imposait aux rédacteurs de faire preuve de prudence. En effet, les Etats membres n’ont pas entendu renoncer à leur souveraineté en la matière, de sorte que les traités ne contiennent pas encore de disposition générale conférant une compétence normative aux Communautés. Sauf dans les domaines spécialisés ou techniques, dans lesquels ils ont entendu harmoniser leurs législations, les Etats demeurent maîtres de leurs politiques sociales. Sont alors apparus dans la Communauté deux risques liés à l’absence d’harmonisation : « l’harmonisation négative » et le dumping social, fruits d’une dérégulation compétitive non encadrée. Par 110 CourEDH, 9 octobre 1979, Airey, A 32, p. 11. Dans cet arrêt transparaît le principe de l’indivisibilité des droits de l’homme : « pour l’essentiel des droits civils et politiques, nombre d’entre eux ont des prolongement d’ordre économique et social. » 111 CourEDH, 26 mars 1992, Editions Périscope, A 234-B, § 40. En matière de licenciements injustes, v. CourEDH, 26 octobre 1993, Darnell, A 272 ; CourEDH, 17 mars 1997, Neigel c/ France, Rec. 1997-II ; en matière d’octroi de prestations, v. notamment CourEDH, 29 mai 1986, Feldbrugge, A 99. 112 CourEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche, Rec. 1996-IV, n°14. Dans cette affaire la Cour combine l’article 14 CEDH et l’article 1 du Protocole additionnel. Mais de nouvelles avancées sont 38 harmonisation négative, il faut entendre la volonté des Etats de comparer leurs normes nationales et d’aligner leurs législations sur le moins-disant social. Quant au dumping social, il désigne une pratique gouvernementale visant à subventionner indirectement les productions nationales, par le biais d’une diminution des prélèvements sociaux au bénéfice des entreprises exportatrices. Ces deux écueils ne pouvaient être efficacement évités que par une harmonisation positive113, dont les bases sont posées par la Charte des droits fondamentaux de l’Union114. 38 Politique sociale. Compte tenu de la faible protection dont jouissent les droits sociaux fondamentaux sur la scène européenne, il semble important, dans le droit fil des jurisprudences des Cours de Luxembourg et de Strasbourg, de préserver l’effectivité des droits consacrés, et ainsi de garantir la justiciabilité de tels droits115. Toutefois, cette nécessaire protection par le juge de droit commun semble insuffisante à remplir les objectifs sociaux inhérents au développement d’une Union sans cesse plus étroite passant, selon la célèbre expression de Robert Schuman116, par la réalisation de « solidarités de fait ». D’autres mesures doivent intervenir, au niveau du Conseil de l’Europe ou au niveau de l’Union européenne. Selon le Professeur De Schutter, « l’insertion de droits sociaux dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne constitue pas un substitut à une politique sociale européenne digne de ce désormais possibles : la formulation de l’article 1er du Protocole 12 suscite qu’est interdite toute discrimination dans la jouissance des droits reconnus par la loi, in extenso des droits sociaux nationaux. 113 O. De Schutter, La contribution de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la garantie des droits sociaux dans l’ordre juridique communautaire, numéro spécial de la RUDH, 15 septembre 2000, pp. 33 - 47. 114 Regroupés dans le chapitre IV « Solidarité », combiné avec le Préambule. 115 Selon Olivier De Schutter, op. cit, p. 42 : « Il convient [...] de présumer la justiciabilité des principes sociaux énumérés dans la Charte, même si cette justiciabilité n’est pas nécessairement à concevoir sur le modèle de celle reconnue aux droits sociaux proprement dits, c’est-à-dire sur le mode de l’invocabilité directe. » 116 R. Schuman, Discours au Salon de l’Horloge, 9 juin 1950. 39 nom. Une telle politique est nécessaire. Elle constitue le contre-poids obligé d’un espace de libertés. »117. Gageons que les responsables politiques sauront donner vie et corps à une Europe sociale soucieuse de promouvoir des droits sociaux dynamiques. Ainsi que nous pouvons nous en apercevoir, les sources textuelles des droits fondamentaux, telles qu’énumérées dans la contribution du Présidium sus-mentionnée, et telles qu’elles ressortent d’une lecture comparée des textes européens de protection des droits fondamentaux, sont d’une grande richesse. Le commentaire de la Charte élaboré par le Présidium laisse également la part belle à certaines sources moins explicites des droits fondamentaux, lesquelles peuvent être regroupées au sein d’un « fonds commun » de normes partagées par les Etats membres. SECTION II : FLUIDITE DU « FONDS NORMATIF COMMUN » 39 Préexistence d’un « fonds normatif commun ». Les normes de droit européen que recouvre l’expression « fonds normatif commun » constituent, bien qu’elles soient imprécises et encore partiellement obscures, un ensemble de valeurs partagées par les Etats membres de l’Union. Leur nature, leur nombre, leurs qualités demeurent encore indéterminés. Leur portée même est débattue en doctrine, toutefois la majorité des auteurs, s’inspirant de la jurisprudence des Cours européennes, s’accordent à leur donner une autorité inférieure aux traités mais supérieure au droit dérivé ou au droit interne118, de telle sorte que ces normes s’imposent à tous, y compris aux 117 O. De Schutter, op. cit., p. 47. 118 Si cela ne laisse pas de doute dans les ordres juridiques de tradition moniste, une nuance doit être apportée pour les Etats de tradition dualiste. Les premiers incorporent directement le traité dans leur ordre 40 Institutions de la Communautés. Le « fonds normatif commun », bien que non entièrement révélé, se décline en deux branches : d’une part la jurisprudence fondée sur les droits fondamentaux matériellement reconnus dans les traités, et d’autre part les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres119 telles que révélées par les principes généraux du droit120. 40 Plan. La Charte des droits fondamentaux comporte de multiples références, explicites ou implicites, à des sources fluides et évolutives des droits fondamentaux européens. Les premières sont évoquées de manière détaillées dans la contribution du Présidium : il s’agit des diverses jurisprudences rendues par les Cours européennes en la matière (§ 1). Les secondes se regroupent en un corps de normes aux potentialités multiples, dont certaines seulement sont révélées : les principes généraux du droit et les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres (§ 2). §1) La consécration de la européenne comme source de droit jurisprudence 41 Concurrence, complémentarité ou hiérarchie des Cours ? Dans la construction prétorienne des droits fondamentaux européens, deux cours interviennent : la Cour européenne des Droits de l’Homme et la Cour de Justice des Communautés juridique, sans mesure de transposition. Les seconds exigent qu’un acte de réception, émanant des autorités étatiques habilitées, transpose la norme en droit interne. Cependant, il ne s’agit là que d’une règle d’opposabilité, et non d’une règle de validité, l’Etat dualiste demeurant lié au plan international. 119 C. Grewe et H. Ruiz Fabri proposent une étude comparée complète des droits constitutionnels des Etats membres, v. Droits constitutionnels européens, PUF, coll. Droit fondamental, 1995, 661 p. 120 Nous employons ici une terminologie générique, particulièrement développée dans la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. D’autres lui sont synonymes : « principes fondamentaux », « principes communs », etc. La Cour de Strasbourg, quant à elle, a également employé l’expression : « principes reconnus par les nations civilisées ». 41 européennes. La première, juridiction de contrôle des engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe, est l’interprète authentique de la Convention européenne des droits de l’Homme. La seconde, juge de l’ordre juridique communautaire, est l’unique interprète des traités CE, CEEA, CECA et du traité sur l’Union européenne, dans la limite de ses compétences d’attribution. Toutes deux sont autonomes l’une de l’autre ; il n’existe aucun rapport hiérarchique entre les deux121. Or, si la Cour EDH a une vocation certaine à préciser le sens et la portée des droits fondamentaux contenus dans la Convention européenne des droits de l’Homme, la CJCE ne s’est pas cantonnée aux autres dispositions de droit matériel communautaire ; elle fut amenée, au fil des affaires, à se prononcer sur l’existence, la portée et l’étendue des droits fondamentaux garantis dans l’Union, y compris ceux issus de la Convention du 4 novembre 1950. C’est pourquoi une étude comparée des jurisprudences communautaires et conventionnelles des droits de l’homme met en exergue un étrange paradoxe : les deux jurisprudences sont certes complémentaires, mais également concurrentes122 et, malgré quelques divergences persistantes123, convergentes124. 42 Plan. Malgré ces quelques divergences, qui relèvent plus de l’incompréhension anecdotique que de l’incompatibilité intrinsèque des droits garantis, les jurisprudences des cours européennes ont donné une assise aux droits fondamentaux 121 J.-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’Homme, 2e éd. LGDJ, 1999, pp.485 et s., §§ 355 et s. ; P. Tavernier, Quelle Europe pour les Droits de l’Homme ?, éd. Bruylant, 1996, coll. Organisation internationale et Relations internationales, p. 93 et s. 122 L’interprétation de la CEDH par la Cour de Luxembourg emporte, exceptionnellement, des conflits avec la Cour de Strasbourg. V. par exemple, sur le droit au respect du domicile et son éventuelle extension aux locaux commerciaux et professionnels, les arrêts CJCE, 21 septembre 1989, aff. 46/87, Hoechst, Rec. 1989, p. 2859, et CourEDH, 30 mars 1989, Chapell, A 152 et 16 décembre 1992, Niemetz c/ Allemagne, A-251-B. 123 V. en dernier lieu CourEDH, 18 février 1999, Matthews c/ Royaume-Uni, Rec. 1999-I, et CJCE Ord. 4 février 2000, aff. C-17/98, Emesa Sugar c/ Aruba, Rec. 2000, p. I-665. 124 V. par exemple CJCE, Bausthalgewebe, op. cit. 42 dans l’Union. La pénétration des droits de la personne dans l’ordre juridique communautaire eut lieu soit directement, par le biais de la jurisprudence de la CJCE (A), soit indirectement, par l’attrait d’Etats membres, pris individuellement, devant la Cour EDH (B). A) La jurisprudence de la CJCE 43 Le contrôle des actes communautaires. Excepté par le biais de compétences d’attribution éparses et finalisées, les Communautés ne disposent pas, sur le plan interne, de compétence pour légiférer en matière de Droits de l’Homme. Certes, les articles 6 et 7 UE, évoqués précédemment, obligent l’Union européenne, les Communautés et les Institutions qui les administrent à respecter les droits fondamentaux. Mais une obligation de respect est, en elle-même, insuffisante à conférer une compétence d’édiction normative125. Ainsi, selon le Pr. Benoît-Rohmer, la protection des droits fondamentaux ne constitue pas en soi un objectif des Communautés126. Sans doute est-ce l’une des raisons théoriques qui font obstacle à la promulgation de la Charte comme corpus autonome de droits fondamentaux. Néanmoins, l’observation de la pratique institutionnelle, comme de la pratique 125 CJCE, 17 février 1998, aff. C-249/96, Grandt, Rec. 1998. C’est l’une des raisons par lesquelles la Cour de Justice a refusé, dans son avis 2/94 de 1996, l’adhésion de la Communauté européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour relève que la Communauté ne dispose que de compétences d’attribution, et doit agir dans les limites des compétences qui lui sont assignées. (CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, Adhésion de la Communauté à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rec. 1996, p. I-1759.). Pour une critique de cet arrêt, v. D. Simon, Rev. Europe, mai 1996, chron. n° 6. 126 F. Benoît-Rohmer, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Dalloz n°19, 10 mai 2001, pp. 1483-1492. Les objectifs horizontaux des Communautés sont définis à l’article 3 CE. Aucun de ses 21 alinéas ne mentionne expressément le développement des droits fondamentaux dans la Communauté. 43 juridictionnelle, révèle que de telles difficultés peuvent être considérées comme des scrupules, certes honorables sur le plan du droit institutionnel, mais en inadéquation avec la production normative communautaire en matière de droits fondamentaux sur les autres plans du droit communautaire. En effet, dès l’aube des Communautés, la Cour de Justice fut confrontée à la nécessité de contrôler l’action des Institutions et, dans le silence des traités, d’obtenir de celles-ci le respect des droits fondamentaux que les constitutions nationales garantissent à leurs ressortissants. La Cour affirme régulièrement que « le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux dont elle assure le respect. »127. Le truchement des principes généraux du droit permet la défense prétorienne des droits de l’homme, et la jurisprudence de la Cour de Justice comble certaines brèches laissées ouvertes par les traités. Depuis l’arrêt Nold128, la Cour de Justice des Communautés européennes, procédant par « retouches successives », a introduit dans l’ordre juridique communautaire quelques uns des droits de la CEDH les plus significatifs : le droit de propriété129, la liberté professionnelle130, la liberté syndicale131, la liberté de religion132, la liberté de pensée et d’expression133, le droit à la protection de la vie privée et familiale134, la liberté d’association135, le droit au juge136, 127 CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, op. cit. ; CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handellsgesellschaft, op. cit., 128 CJCE, 14 mai 1974, aff. 4/73, Nold, Rec. 1974, p. 491. 129 CJCE, 13 décembre 1979, aff. 44/79, Hauer, Rec. 1979, p. 3727. 130 CJCE, 8 octobre 1986, aff. 234/85, Ministère public de Fribourg c/ Keller, Rec. 1986, p. 2897. 131 CJCE, 8 octobre 1974, aff. 175/73, Union syndicale Service public européen – Bruxelles e.a., Rec. 1974, p. 917. 132 CJCE, 27 octobre 1976, aff. 130/75, Prais, Rec. 1976, p. 1589. 133 CJCE, 18 juin 1991, aff. C-260/89, ERT c/ DEP, Rec. 1991, p. I-2925. 134 CJCE, CJCE, 26 juin 1980, aff. 136/79, National Panasonic, Rec. 1980, p. 2033 ; CJCE, 18 mai 1989, aff. 249/86, Commission c/ République fédérale d’Allemagne, Rec. 1989, p. 1263 ; CJCE, 24 mars 1994, 44 le droit à un recours juridictionnel effectif137, le droit à un procès équitable138, le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales139. Comme l’observe H. Labayle, « C’est quasiment l’ensemble du catalogue fourni par la CEDH qui va progressivement investir le droit communautaire »140. 44 Le contrôle de l’exécution normative du droit communautaire. Le contrôle de la Cour de Justice des Communautés se porte également sur les actes des Etats membres lorsque ceux-ci mettent en oeuvre le droit communautaire. Bien que les principes d’autonomie procédurale141 et de subsidiarité142 visent à garantir, au bénéfice des Etats, une indépendance relative dans la mise en œuvre du droit communautaire, l’encadrement opéré par la Cour de Justice en matière de droits fondamentaux va croissant. Dans son célèbre arrêt Wachauf143, du 13 juillet 1989, le juge de Luxembourg annonce le principe d’un contrôle, en établissant que les Etats membres sont tenus d’appliquer le droit communautaire dans des conditions qui ne méconnaissent pas les droits fondamentaux communautaires. Cependant, l’exercice de ces droits aff. C-2/92, The Queen c/ Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Denis Clifford Bostock, Rec. 1994, p. I-955. 135 CJCE, 28 octobre 1975, aff. 36/75, Rutili c/ Ministère de l’Intérieur, Rec. 1975, p. 1219. 136 CJCE, 15 mai 1986, aff. 222/84, Johnston c/ Chief Constable of the RUC, Rec. 1986, p. 1651 ; CJCE, 15 octobre 1987, aff. 222/86, Heylens, Rec. 1987, p. 4097. 137 CJCE, 18 juin 1991, ERT, op. cit. ; CJCE, 5 octobre 1994, aff. C-23/93, TV 10, Rec. 1994, p. I-4795. 138 CJCE, 5 mars 1980, aff. 98/79, Pecastaing, Rec. 1980, p. 691. 139 CJCE, 10 juillet 1984, aff. 63/83, Kent Kirk, Rec. 1984, p. 2689. 140 H. Labayle, Droits fondamentaux et droit européen, AJDA 1998, n° spéc. p. 76. 141 V. notamment CJCE, 4 avril 1968, aff. 34/67, Lück, Rec. 1968, p. 369 : « le droit communautaire ne limite […] pas le pouvoir des juridictions nationales compétentes d’appliquer, parmi les divers procédés de l’ordre juridique interne, ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits individuels conférés par le droit communautaire ». 142 Tel que défini aux articles 2 UE et 5, paragraphe 2 CE et dans le Protocole n°7 au Traité d’Amsterdam. 143 CJCE, 13 juillet 1989, aff. 5/88, Wachauf, Rec. 1989, p. 2609. 45 fondamentaux communautaires trouve deux limites. La première réside dans l’arrêt Kremzow144, au terme duquel le contrôle communautaire n’a plus lieu dès lors que l’Etat agit en dehors du champ d’application du droit communautaire. la seconde est que les Etats membres peuvent invoquer les dispositions de leur ordre public interne pour priver les justiciables du bénéfice de certaines libertés qu’ils tirent des traités. La Cour apprécie la réalité de l’argument, son opportunité et la proportionnalité de la mesure restrictive de libertés adoptée par l’Etat membre145. Toutefois la Cour a très tôt posé en principe, dans l’affaire Rutili146, que les mesures restrictives justifiées par une exception d’ordre public ne peuvent échapper aux exigences des principes fondamentaux issus notamment de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, là où le droit communautaire était impuissant à restreindre les débordements de l’autonomie procédurale étatique147, le juge de Luxembourg s’approprie la CEDH et y puise des éléments de contrôle. En définitive, les Etats agissants dans le cadre du droit communautaire sont soumis aux droits fondamentaux communautaires, dont la Cour de Justice assure le respect, tandis que les Etats prenant des mesures hors du champ d’application du droit communautaire sont soumis au moins aux dispositions de la CEDH, dont la Cour EDH assure seule148 le respect. Reste à déterminer le sens et la portée des obligations assumées au titre de cette convention. 144 CJCE, 29 mai 1997, aff. C-299/97, Kremzow, Rec. 1997, p. I-2629. V. également CJCE, 11 juillet 1985, aff. jtes 60/84 et 61/84, Soc. Cinéthèque et a. c/ Fédération nationale des cinémas français, Rec. 1985, p. 2605, cons. 26. 145 La jurisprudence est extrêmement dense ; v. par exemple, en matière pénale, les arrêts CJCE, 4 décembre 1974, aff. 41/74, Van Duyn c/ Home Office, Rec. p. 1337 ; 18 mai 1982, aff. jointes 115 et 116/81, Adoui et Cornuaille, Rec. p. 1665 et 19 janvier 1999, aff. C-348/96, Donatella Calfa, Rec. p. I11. 146 Les arrêts de principes sont : CJCE, 28 octobre 1975, aff. 36/75, Rutili, Rec. p. 1219 ; v. également CJCE, 1er juin 1999, aff. C-319/97, Kortas, Rec. p. I-3143. 147 Ceci est patent dans l’arrêt CJCE, 29 mai 1997, Kremzow, op. cit., cons. 16 à 19 et dispositif. 148 Pour autant que l’Etat ait ratifié la CEDH. Au moment de la ratification française de 1974, tous les Etats de la CEE sont Hautes Parties à la CEDH. V. CJCE, 11 juillet 1985, Cinéthèque, précité. 46 B) La jurisprudence des organes de Strasbourg 45 Une interprétation dynamique. L’originalité du système conventionnel des droits de l’homme se reflète dans le dynamisme affirmé de son interprétation. La Cour de Justice des Communautés n’hésite pas à user des méthodes d’interprétation téléologique et systémique149 afin de déterminer le contenu et la portée des normes communautaires en litige. Quant à la Cour de Strasbourg, l’on a soutenu que son mérite propre serait d’employer régulièrement la méthode d’interprétation dynamique150, s’appuyant sur une Convention européenne des droits de l’homme considérée comme un « instrument vivant ». Selon le Pr. Sudre, cette méthode d’interprétation, abusivement qualifiée d’évolutive151, est en réalité axée sur l’efficience : « Dès lors que le dynamisme interprétatif du juge européen ne prend pas appui, du moins formellement, sur la convergence des droits internes […] l’interprétation dynamique est tout entière tendue vers l’effectivité des droits consacrés par la Convention – il s’agit de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs » - et si le juge européen prend quelques libertés avec le texte et le « sens ordinaire » des mots, c’est pour la protection du « bien commun » que sont les droits et libertés individuels. »152. Cependant, l’efficience n’est pas l’apanage de la méthode d’interprétation dynamique. L’efficience est une donnée de droit positif ; la méthode d’interprétation se rattache au droit procédural. Et si en filigrane, c’est la question d’un gouvernement des juges qui transparaît, souligner la dichotomie entre une lecture littérale de la Convention et son application concrète au terme de cinquante ans ne peut qu’aboutir à un tel constat. 149 150 V. infra, chapitre II, section II. La méthode d’interprétation dynamique consiste, quant à elle, à accentuer au fil du temps les obligations des Etats en matière de protection des droits fondamentaux. 151 F. Sudre, A propos du dynamisme interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme, JCP éd. G, n°28, 11 juillet 2001, pp. 1365 - 1368. Nous n’entrerons pas dans cette querelle sémantique, et notre propos tiendra pour synonymes les méthodes d’interprétation évolutive et dynamique. 152 F. Sudre, op. cit., p. 1368. 47 Aucune juridiction, si littérale ou conservatrice soit sa lecture des textes applicables, n’échappe à sa propre cinétique. Celle de la Cour de Strasbourg n’est pas ontologiquement différente de celle de la Cour de Luxembourg, et le dynamisme interprétatif de la première est repris dans la jurisprudence de la seconde153. 46 La Charte et la jurisprudence de la Cour EDH. Quel que soit le degré de dynamisme de la jurisprudence des Cours, la Charte des droits fondamentaux reprend à son compte les évolutions prétoriennes des juges de Luxembourg et de Strasbourg. Si le mandat de Cologne ne laisse aucun doute s’agissant de la jurisprudence communautaire, une interrogation demeure sur la référence à la Convention européenne présente dans la Charte. Une simple allusion à la jurisprudence conventionnelle des droits de l’homme fut préférée à une reprise claire et directe, au sein de l’article 52, paragraphe 3 de la Charte154. En effet ce dernier énonce : « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que celles que leur confère ladite convention […] ». Cet extrait présente ce que nous pourrions appeler une « obscure clarté », tant il est difficile d’en évaluer la portée. La référence aux « droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » peut s’entendre comme un renvoi, soit au texte nu, vidé de l’apport de la Cour EDH, soit à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, interprète authentique, intégrée au texte de la Convention, soit à la CEDH telle qu’interprétée par la CJCE, soit aux renvois de la CJCE à la jurisprudence de la Cour EDH. La seconde option demeure la plus probable, comme le laisse entrevoir la 153 V. J. Andriantsimbazovina, La Convention européenne des droits de l’Homme et la Cour de Justice des Communautés européennes : de l’emprunt à l’appropriation ?, Rev. Europe n°9, octobre 1998, pp. 37. 154 Op. cit. 48 contribution du Présidium155. Mais un doute survient en cas de jurisprudence contradictoire entre les Comités ou Chambres de Strasbourg, et les instances de Luxembourg. En dépit de l’absence antérieure de normes d’articulation entre les normes communautaires et conventionnelles des droits de l’homme, pour la première fois est affirmée une référence globale au sens et à la portée de la Convention européenne des droits de l’homme, et non un renvoi prétorien à un principe de la CEDH ou une simple reprise d’un attendu pertinent dans un arrêt de la Cour de Justice de Luxembourg. Il appartiendra à la CJCE de trancher le conflit « horizontal » latent dans cette clause156. En définitive, la reprise des normes conventionnelles des droits de l’homme dans la Charte des droits fondamentaux pose des problèmes autrement plus complexes que la simple régulation de rapports horizontaux entre ordres juridiques. L’emploi d’autres normes (les principes généraux du droit et les traditions constitutionnelles communes) apporte des pistes de solution… mais pose également de nouveaux problèmes. 155 En effet, le commentaire de l’article 52, paragraphe 3 du projet de Charte par le Présidium énonce : « Le paragraphe 3 vise à assurer la cohérence nécessaire entre la Charte et la CEDH en posant en principe que, dans la mesure où les droits de la présente Charte correspondent également à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée, y compris les limitations admises, sont les mêmes que ceux que prévoit la CEDH. […] La référence à la CEDH vise à la fois la Convention et ses protocoles. Le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de ses instruments, mais aussi par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ». Si la Charte intègre la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, pourquoi celle-ci n’est-elle mentionnée dans aucun article de la Charte ? 156 V. J.-P. Jacqué, La démarche initiée par le Conseil européen de Cologne, in numéro spécial de la RUDH, 15 septembre 2000, pp 3-7. 49 §2) Les principes généraux du droit communautaire et les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres. 47 Constitutionnalisation des droits fondamentaux. C’est à l’occasion du sommet de Maastricht que le Conseil européen a « constitutionnalisé » dans les Traités, d’une formule lapidaire, la technique retenue par la CJCE pour révéler, développer et garantir les droits des personnes. L’article 6, paragraphe 2 du TUE157 décrit le processus : les principes généraux du droit sont employés, à la fois pour extraire les droits fondamentaux communs des constitutions des Etats membres, et pour révéler les principes de la CEDH qui s’imposent dans l’ordre juridique communautaire. Ambivalents, les principes généraux du droit ont une fonction essentiellement révélatrice de droits et principes provenant d’autres sources. Ils ne constituent donc pas une source autonome de droits fondamentaux158. S’agissant des traditions constitutionnelles, apparues avant toute référence à la CEDH159, Franck Moderne remarque que « la technique de constitutionnalisation des droits fondamentaux, qui a permis de les inscrire dans la norme première et de les faire bénéficier de la protection renforcée que reçoit la Constitution dans les démocraties libérales contemporaines – avec en particulier la mise en place d’une justice constitutionnelle spécialisée confiée, selon le modèle kelsénien (devenu modèle européen), à un Tribunal constitutionnel unique, distinct et indépendant du pouvoir judiciaire – n’a rien d’insolite ni d’exceptionnel. […] On ne s’étonnera donc pas de la référence, dans la jurisprudence 157 Cité infra, note 277, p. 88. 158 V. par exemple CJCE, 22 mars 1961, aff. 42 et 49/59, SNUPAT, Rec. 1961, p. 156, qui s’appuie sur un « principe élémentaire de droit ». V. également D. Simon, Y a-t-il des principes généraux du droit communautaire ?, Droits n°14, 1991, pp. 73-86. 159 CJCE, 17 décembre 1970, aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, Rec. 1970, p. 1125, op. cit. p. 8. 50 de la Cour de Justice des Communautés européennes, aux « traditions constitutionnelles communes » des Etats membres. Ce n’est là qu’un hommage rendu à l’histoire des démocraties constitutionnelles, indissolublement liée à celle des droits de la personne humaine. »160. Finalement, les principes généraux du droit garantissent les droits de la personne par un emprunt d’une « constitution supranationale »161 à d’autres constitutions, nationales. 48 Révélation et utilité. Deux familles de normes aussi « fluides » que les principes généraux du droit communautaire ou les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres constituent une solution pour palier, au sein de l’ordre juridique communautaire, l’inefficience – voire l’absence même – des normes d’articulation entre droits fondamentaux communautaires et droits fondamentaux conventionnels des droits de l’homme. Une lecture d’ensemble de l’utilisation des principes généraux du droit par la CJCE met l’accent sur le passage d’une appropriation substantielle des normes de la CEDH à une application directe de cette convention dans l’ordre juridique communautaire162. De même, les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres ont permis un mouvement similaire d’appropriation de droits constitutionnellement protégés dans l’ordre juridique des Etats membres, pour hisser certains droits fondamentaux nationaux au sommet de la hiérarchie des normes communautaires. Plutôt que d’intégrer les seules normes communes aux droits constitutionnels nationaux, elle initia un alignement des standards de protection sur la 160 F. Moderne, La notion de droit fondamental dans les traditions constitutionnelles des Etats membres de l’Union européenne, in F. Sudre et H. Labayle, Réalité et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, éd. Bruylant, Bruxelles, 2000, pp. 60 – 61. 161 V. la thèse de J. Gerkräth, L’émergence d’un droit constitutionnel européen. Modes de formation des sources d’inspiration de la Constitution des Communautés et de l’Union, Université Robert Schuman, Strasbourg RG, 16 novembre 1996, 442 p., spéc. p. 416 et s. 162 J. Andriantsimbazovina, op. cit., pp. 4 et 5. V. infra les paragraphes 146, 162 et 172. 51 garantie la plus élevée. Ces normes étant par nature « désincarnées », il appartient au juge communautaire d’en révéler le contenu, le sens et la portée. 49 Plan. Au final, ces traditions constitutionnelles communes ont inspiré la rédaction de la Charte, sinon dans l’esprit de tous les droits, au moins dans certains d’entre eux tels que le droit à l’objection de conscience163, le droit à l’éducation164 ou le principe d’égalité des personnes en droit165. Etudiant conjointement les principes généraux du droit communautaire et les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, telles que révélés par le juge et telles que reprises dans la Charte des droits fondamentaux, nous pouvons, dans un premier temps, prendre la mesure de leur dynamisme (A), puis nous verrons quels changements apporte la Charte des droits fondamentaux dans la hiérarchie des normes communautaires (B). A) Deux sources dynamiques pour les droits fondamentaux communautaires 50 Des normes insaisissables mais nécessaires. La jurisprudence du juge de Luxembourg est jalonnée de l’emploi de ces deux sources non-écrites. Indissolublement liées les unes aux autres, les principes généraux du droit révèlent les traditions constitutionnelles communes, mais ne s’y résument pas. Leur imprécision et leur caractère non-exhaustif constituent à la fois leur faiblesse, en terme d’accessibilité et de clarté, et leur atout, en terme de potentialités et de mutabilité. S’agissant des principes généraux du droit communautaire166, c’est-à-dire des principes communs à l’ensemble 163 Art. 10, paragraphe 2 de la Charte. 164 Art. 14 de la Charte. 165 Art. 20 de la Charte. 166 Pourvu que nous acceptions de postuler leur existence. V., à nouveau, D. Simon, Y a-t-il des principes généraux du droit communautaires ?, op. cit. 52 des systèmes juridiques, nationaux ou internationaux, ceux-ci présentent surtout des difficultés d’identification167. S’agissant des principes généraux du droit international public, un précédent donne à penser qu’ils s’appliquent en droit communautaire168, toutefois les diverses œuvres de codification entreprises, par exemple par la Commission du Droit international des Nations-Unies ou par l’Institut du Droit international de Florence, amenuisent cette réserve de principes offerte au juge. S’agissant des traditions constitutionnelles communes, malgré les divergences de formulation169, il s’agit toujours pour la Cour de procéder, à base de droit comparé, à l’identification d’un patrimoine commun de droits fondamentaux. La Cour pourra même ériger une originalité constitutionnelle nationale en tradition constitutionnelle commune, pourvu que les autres Etats membres ne génèrent pas de dispositions de même nature qui lui soient contraires. 51 Autorité des sources non-écrites. Les principes généraux du droit communautaire, qu’ils soient spécifiques au système communautaire ou inspirés des traditions constitutionnelles communes, ont servi non seulement à vivifier le contenu matériel des droits fondamentaux, mais également à organiser, comme normes d’articulation, les rapports entre les ordres juridiques internationaux et nationaux. La casuistique de la Cour, source exclusive de révélation des normes non-écrites, témoigne de cette double fonction. En matière de révélations de principes généraux fondamentaux, l’arrêt Nold170, du 14 mai 1973, pose trois règles essentielles : 167 Selon le tableau dressé par G. Isaac in Droit communautaire général, op. cit., pp. 160-161. 168 CJCE, Racke, op. cit. 169 Ainsi la Cour s’inspire-t-elle des « règles reconnues par les législations, la doctrine et la jurisprudence des pays membres » (CJCE, 12 juillet 1957, aff. 7/56 et 7/57, Algéra, Rec. 1957, p. 81.), ou des « principes communs aux systèmes juridiques des Etats membres » (CJCE, 25 février 1969, aff. 23/68, Klomp, Rec. p. 43.) 170 CJCE, 14 mai 1974, Nold, op. cit. 53 l’application au niveau communautaire de la norme nationale la plus élevée171, l’intégration dans l’ordre juridique communautaire de dispositions de la CEDH172, et la relativité des droits fondamentaux173. Ces trois règles confèrent aux principes généraux du droit, portant reconnaissance d’un droit fondamental, une autorité croissante, bien supérieure à celle dont bénéficient, par exemple, les principes à caractère technique. Cependant, l’adoption de la Charte remet en cause cette position hiérarchique dans la pyramide des normes communautaires. B) La réorganisation des normes de droit 52 La Charte et les principes généraux du droit communautaire. L’un des dangers de la Charte réside dans ce que les principes généraux du droit communautaire risquent une disparition par codification. En effet, l’opération de retranscription nécessite une part de recentrage de l’esprit, c’est-à-dire une modification des concepts et des méthodes de raisonnement. Si les Hébreux l’ont déjà compris (ne dit-on pas du Talmud qu’il est « un renouvellement de la lettre par l’intelligence » ?), les Européens ne doivent pas perdre de vue que toute cristallisation des principes généraux du droit communautaire, dans le corps d’un texte, ne constitue pas un simple changement 171 La Cour, « tenue de s’inspirer des traditions constitutionnelles communes aux droits des Etats membres […] ne saurait admettre des mesures incompatibles avec les droits fondamentaux reconnus et garantis par les constitutions de ces Etats » (ibid. cons. 13). Feu le Recteur Issac y lit l’expression du principe du standard maximum (in Droit communautaire général, op. cit.). 172 « Les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’Homme auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire » (ibid, cons. 13 in fine). 173 Les droits de l’Homme ne sauraient être appréhendés comme « des prérogatives absolues : ils doivent être considérés, comme dans le droit constitutionnel de tous les Etats membres, en vue de la fonction sociale des biens et activités protégées. » Il est dès lors opportun de « réserver à l’égard de ces droits l’application de certaines limites justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté, dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à la substance de ces droits » (ibid, cons. 14). 54 d’échelle, mais bien une altération de la nature juridique de la norme retranscrite. Les conséquences se mesurent au niveau du contentieux. L’adoption de la Charte ne risquet-elle pas de rendre inutiles pour la Cour les principes généraux du droit ? En définitive, la Charte des droits fondamentaux pose aussi le problème de la pérennité des définitions classiquement retenues en doctrine pour les principes généraux du droit communautaire. 53 La Charte et les traditions constitutionnelles communes des Etats. Notre objectif n’est pas ici d’aborder un thème déjà traité, celui des difficiles rapports entre le droit international et le droit constitutionnel national. En l’absence d’une prise en considération des droits fondamentaux garantis par les constitutions nationales, le juge de droit commun pouvait être conduit à examiner la conformité d’actes communautaires avec les droits fondamentaux constitutionnellement protégés, ce qui aboutissait à remettre en cause tant l’unité d’interprétation que l’uniformité d’application du droit communautaire174. Toute la jurisprudence relative aux affaires So lange175 illustre combien sont délicats les rapports entre les ordres juridiques nationaux et communautaires. De même, un autre écueil menace le lecteur : celui de confondre le contenu matériel de la Charte, « symbole des valeurs communes qui fondent l’Union », avec les traditions constitutionnelles communes176. Par définition, la notion de « traditions constitutionnelles communes des Etats membres » est une notion autonome, 174 F. Picod, Les sources, in CEDECE, Réalité et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Faculté de Droit de Montpellier, 4 et 5 novembre 1999, éd. Bruylant, Bruxelles, coll. Droit et Justice, 2000, spéc. p.145 et s. 175 Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, (29 mai 1974) « Solange I », BverfGE 37, 271 ; (22 octobre 1986), « So lange II », BverfGE 73, 339 ; (7 juin 2000), « Solange III », EuGRZ, 2000, p. 328 et s., v. chron. W. Zimmer, De nouvelles bases pour la coopération entre la Cour constitutionnelle fédérale et la Cour de Luxembourg ?, Europe n°3, mars 2001, pp. 3-6. 176 Cette confusion est d’autant plus regrettables que nous pouvons, avec F. Moderne, relever un parallélisme des approches nationales dans l’identification des droits fondamentaux, mais surtout des divergences quant à la densité constitutionnelles des droits fondamentaux (F. Moderne, La notion de droit fondamental dans les traditions constitutionnelles des Etats membres de l’Union européenne, op. cit.). 55 propre au droit communautaire. Enfin, les nombreuses clauses de renvoi à la loi nationale, sur lesquelles nous reviendrons177, peuvent conduire à une inversion dans les influences respectives des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres et de la CEDH. Alors que l’article 6, paragraphe 2 UE plaçait logiquement la Convention de Rome en première place des droits fondamentaux, la Charte revalorise le rôle de la loi nationale, sans renvoi explicite au contrôle du droit matériel par le système conventionnel des droits de l’homme. 54 Conclusion du chapitre. Les sources de légalité qui ont dirigé la rédaction de la Charte, variées dans leur forme comme dans leur autorité, ont été diversement appréciées par la Convention, parfois en-deçà de leur véritable valeur, mais toujours avec la volonté de prendre en considération les rapports qui les lient. Les traités communautaires et la CEDH ont servi de matière première, enrichie par les jurisprudences des Cours européennes. La CSE et les autres déclarations politiques ont fixé des objectifs et orientent l’élan des droits des personnes. Enfin, les principes généraux du droit, notamment les traditions constitutionnelles communes, ont servi de catalyseurs. Ce foisonnement justifie la prudence avec laquelle il nous faut lire la contribution rendue par le Présidium, laquelle n’est que le reflet des aspirations propres aux auteurs de la Charte. Loin de jeter une lumière éclairante sur les conséquences de l’adoption de la Charte, ce commentaire ne fait que souligner les difficultés inhérentes tant au déroulement de l’exercice qu’à son aboutissement. Certes, consacrer les droits issus des traditions constitutionnelles communes donne à celle-ci une plus grande visibilité et permet au lecteur de la Charte d’en cerner le contenu. Mais ne prive-t-on pas ainsi la CJCE d’un précieux outil d’assouplissement de sa jurisprudence ? Le corps des traditions constitutionnelles ne risque-t-il pas de subir quelques modifications suite aux multiples adhésions que les Conseil européens annoncent pour 2008 ? Comment garantir pour l’avenir la visibilité des droits y consignés ? 177 V. infra, titre II, chapitre II, section I, paragraphe 1. 56 SECOND CHAPITRE : LA LISIBILITE DES DROITS CONSOLIDES 55 Le principe de transparence. La Charte des Droits fondamentaux étant censée rendre visibles les droits fondamentaux de l’Union pour les citoyennes et les citoyens, sa rédaction ne pouvait s’accomplir sans un minimum de clarté. Précisément, au nombre des principes généraux du droit garantis dans les Communautés se trouve le principe de transparence, qui recouvre et dépasse l’exigence de clarté. Plus précisément, le principe de transparence s’inscrit parmi les principes généraux du droit administratif et du due process, au même titre que le principe de confiance légitime178, la nonrétroactivité des sanctions et l’obligation de ne pas retirer ou abroger des actes qui ont conféré des droits ou des avantages, ou encore le principe des droits de la défense, qui s’applique aussi bien dans les procédures administratives, qu’au contentieux devant le juge de Luxembourg. Selon ce principe, la décision doit être prise au plus limpide et au plus proche possible du citoyen179. En conséquence, tout citoyen européen et toute personne morale établie dans un Etat membre a droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et à ceux de la Commission européenne180. Comme le fait remarquer l’avocat général Léger : « La connaissance par 178 V. J. Schwarze, Droit administratif européen, éd. Bruylant, OPOCE, 1994, 2 volumes, 1631 p. 179 Ainsi, dans cette acception, le principe de transparence se rapproche du principe de subsidiarité (article 5 CE), selon lequel la décision communautaire doit être prise à l’échelon le plus efficace le plus bas. Les Communautés n’interviendront donc que si et dans la mesure où elles disposent de moyens d’action plus efficace que les Etats membres, que si et dans la mesure où leur action est mieux adaptée que celle des Etats. 180 Art. 255, paragraphe 1 CE. Notons que le Conseil est la seule Institution pour laquelle il soit fait mention de sa capacité à contrebalancer le droit d’accès des particuliers aux documents administratifs par l’exigence d’efficacité des procédures institutionnelles (art. 207, paragraphe 3 CE). Par comparaison avec 57 les citoyens des activités de l'administration est une garantie de son bon fonctionnement. Le contrôle de ceux qui confèrent leur légitimité aux pouvoirs publics incite ces derniers à l'efficacité dans le respect de leur volonté initiale et peut ainsi susciter leur confiance, ce qui est un gage de paix publique autant que de bon fonctionnement du système démocratique. Au niveau le plus élevé de ce système, l'information des citoyens est aussi le plus sûr moyen de les associer à la gestion des affaires publiques »181. 56 Transparence et Traité CE. L’accès aux documents administratifs est organisé par les articles 207, paragraphe 3, alinéa 2, et 255 CE, ainsi que par une Déclaration annexée au traité d’Amsterdam182. L’article 207 CE a trait à l’organisation du Comité des représentants permanents (COREPER)183, en charge d’assister le Conseil lors de la préparation de travaux ou de l’exécution de mandats confiés par celui-ci, et à la collaboration avec le Secrétariat général184, placé sous la responsabilité d’un Secrétaire général, Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Au terme du paragraphe 3 de cet article, le Conseil adopte son règlement intérieur. L’alinéa second du paragraphe 3 intéresse plus spécifiquement les conditions d’accès aux documents : « Pour l’application de l’article 255, paragraphe 3, le Conseil élabore, dans ce règlement, les conditions dans lesquelles le public a accès aux documents du Conseil. Aux fins du présent paragraphe, le Conseil détermine les cas les dispositions régissant les autres institutions, les traités légitiment donc un certain niveau d’opacité au bénéfice du Conseil. 181 L’avocat général Léger reprend ici les conclusions de son confrère Tesauro sous CJCE, 30 avril 1996, aff. C-58/94, Pays-Bas c/ Conseil, Rec. 1996, p. I-2169. 182 Déclaration n°35 relative à l’article 119 A [art. 255 CE], paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, in Les traités de Rome, Maastricht et Amsterdam – textes comparés, éd. La documentation française, p. 276. 183 Art. 207, paragraphe 1 CE. 184 Art. 207, paragraphe 2 CE. 58 dans lesquels il doit être considéré comme agissant en sa qualité de législateur afin de permettre un meilleur accès aux documents dans ces cas, tout en préservant l’efficacité de son processus de prise de décision. En tout état de cause, lorsque le Conseil agit en sa qualité de législateur, les résultats et les explications des votes, ainsi que les déclarations inscrites au procès-verbal, sont rendus publics. »185 Ainsi, le Conseil est-il tenu de préserver l’équilibre entre l’efficacité des procédures décisionnelles186, qui impliquent une part de confidentialité, et le libre accès du public aux éléments fondant la décision. Toutefois, l’accès de tout un chacun187 aux documents est également circonscrit par la possibilité offerte à un Etat de demander à la Commission, ou au Conseil, de ne pas communiquer à des tiers un document émanant de cet Etat sans l’accord préalable de celui-ci188. En somme, les Etats ne souhaitent pas aller aussi loin dans les règles de transparence que celles qu’ils imposent aux Institutions, ni même à la Convention en charge de rédiger la Charte. 185 Notons que le Conseil est la seule Institution qui, ait, dans les traités, capacité à contrebalancer le droit d’accès des particuliers aux documents administratifs par l’exigence d’efficacité des procédures institutionnelles. Par comparaison avec les dispositions régissant les autres Institutions, les traités légitiment donc un certain niveau d’opacité au bénéfice du Conseil. V. F. Lafay, L’accès aux documents de l’Union : contribution à la définition d’une problématique de la transparence en droit communautaire, RTD. Eur. n°1, janvier-mars 1997, p. 44 et s. 186 Obligation liée au principe de bonne administration, mais qui ne se confond pas avec celui-ci. En effet, l’efficacité des procédures décisionnelles impose de faire un bilan coûts-avantages afin de déterminer l’adéquation entre les résultats obtenus et les procédures suivies, tandis que le principe de bonne administration (« good governance ») est plus général, et implique des considérations plus sociologiques, et par conséquent non-quantifiables, telles que la diligence. 187 Notons que la qualité de citoyen de l’Union n’est pas requise dans les traités pour l’accès aux documents administratifs. Il semble donc que l’accès aux informations relatives aux processus d’adoption des actes communautaires soit un des rares droits universels du traité. 188 Déclaration relative à l’article 119 A [art. 255 CE], paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, op. cit. 59 57 Transparence et juridiction communautaire. Outre ces considérations plus politiques que juridiques, le système communautaire souffre du fait que le juge de Luxembourg s’estime infondé à « adresser une injonction aux institutions ou se substituer à ces dernières dans le cadre du contrôle de légalité qu'il exerce. Cette limitation du contrôle de légalité s'applique dans tous les domaines contentieux que le Tribunal est susceptible de connaître, y compris celui de l'accès aux documents »189. Dans un arrêt Hautala190 faisant actuellement l’objet d’un pourvoi, le TPI a affirmé une obligation de diffusion des plus larges, avec cependant une exception : « les institutions refusent l'accès à tout document dont la divulgation pourrait porter atteinte à [...] la protection de l'intérêt public »191. Cependant, l’intérêt de la jurisprudence Hautala est d’imposer aux Institutions, en dépit de cette exception, le respect du principe de proportionnalité, et, dans le souci d’une bonne administration, d’opérer un arbitrage entre l’accès du public aux documents et la masse de travail que représenterait, pour l’administration concernée, la mise à disposition de ces documents192. En définitive, les Institutions se voient réserver une marge d’appréciation discrétionnaire, sans doute nécessaire, mais préjudiciable à la sécurité juridique. 189 TPI, Ord., 27 octobre 1999, aff. T-106/99, Meyer, Rec. 1999, p.II-3273, point 21 ; v. également TPI, 15 septembre 1998, aff. T-374/94, T-375/94, T-384/94 et T-388/94, European Night Services e.a. c/ Commission, Rec. 1998, p. II-3141, point 53 ; TPI, 19 juillet 1999, aff. T-14/98, Hautala c/ Conseil, Rec. p. II-2489 ; TPI, 12 juillet 2001, aff. T-204/99, Olli Mattila c/ Conseil et Commision, Non publié au Recueil. 190 TPI, 19 juillet 1999, Hautala c/ Conseil, ibid. 191 Plus particulièrement dans le domaine de l’ordre public des relations internationales (comme il ressort de l’espèce Hautala). 192 Confirmé récemment par l’attendu 68 de l’arrêt TPI, 12 juillet 2001, Olli Mattila c/ Conseil et Commision, op. cit. : « Il résulte de l'arrêt Hautala contre Conseil, précité, que le principe de proportionnalité permet au Conseil et à la Commission, dans des cas particuliers où le volume du document ou celui des passages à censurer entraînerait pour eux une tâche administrative inappropriée, de mettre en balance, d'une part, l'intérêt de l'accès du public aux parties fragmentaires et, d'autre part, 60 D’aucuns parmi les initiateurs de la Charte s’accordent à la créditer de la grande transparence de ses travaux193, phénomène unique dans l’histoire de l’élaboration des textes de ce type. Et, malgré les fluctuations et précisions croissantes de la jurisprudence de la Cour de Justice et du Tribunal de Première Instance, la Charte vient consacrer un droit général d’accès aux documents administratifs, formulé en ces termes : « Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union ou toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un Etat membre194 a un droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission »195. 58 Transparence et dynamique des droits fondamentaux. Finalement les rédacteurs de la Charte se sont retrouvés confrontés au défi de rédiger un texte soumis à deux impératifs contradictoires. Le premier consistait à rédiger, dans la plus grande transparence, une Charte qui consigne les droits de l’homme en vigueur dans l’Union, c’est-à-dire à se conformer au droit positif des droits fondamentaux reconnus dans l’ordre juridique communautaire. Le second impératif imposait de respecter la dynamique propre des droits de l’homme, lesquels sont tributaires du contexte socio- la charge de travail qui en découlerait (point 86). Le Conseil et la Commission pourraient ainsi, dans ces cas particuliers, sauvegarder l'intérêt d'une bonne administration ». 193 V. cependant Infra Section I, paragraphe 1er, A). 194 Les seules personnes exclues du champ d’application de cet article sont donc les personnes, physiques ou morales, qui sont dépourvues de tout lien de rattachement avec une situation intra-communautaire ; la politique en matière d’asile, de visas et d’immigration des ressortissants d’Etats tiers (Titre IV, articles 61 à 69 CE) ne connaît que des balbutiements d’harmonisation, et demeure encore en grande partie dépendante des politiques nationales des Etats membres (articles 63 al. 2, 64, 68 al 2 CE). 195 Article 42 de la Charte. Cet article reprend mot pour mot l’article 255, paragraphe 1er du traité CE, amputé des aménagements prévus aux paragraphes 2 et 3. Or, ces dérogations sont réintroduites par le jeu de la clause de limitation générale de l’article 52, paragraphe 2 CE. L’identité des termes employés dans ces deux dispositions ne laisse aucun doute : le droit d’accès aux documents constitue bien un droit « qui trouve son fondement dans les traités communautaires », il s’exercera donc « dans les conditions et limites définies dans ceux-ci ». 61 économique et doivent être constamment adaptés aux nécessités de leur temps. A la lecture du texte adopté, nous pouvons affirmer que le défi ainsi relevé est en grande partie remporté, même s’il pose des problèmes juridiques inédits, et que la Charte réussit le tour de force de « concilier l’inconciliable », traduit dans les deux impératifs sus-évoqués. 59 Principe ou droit fondamental ? Mieux encore, le principe de transparence, ainsi que son corollaire le droit de toute personne, relevant de la juridiction des Etats membres de l’Union européenne, d’accéder aux documents administratifs des Institutions participant au processus législatif, sont érigés en droits fondamentaux de l’Union européenne. Or, une étude de la jurisprudence récente du Tribunal de première instance tend à montrer les hésitations du juge communautaire à considérer le droit d’accès aux documents comme droit fondamental de l’Union européenne196. De même, la doctrine s’est révélée tout aussi hésitante197. Désormais, l’article 42 de la Charte lève toute ambiguïté : le droit d’accès aux documents administratifs compte indiscutablement au nombre des droits fondamentaux de l’ordre juridique communautaire. 196 TPI, 15 septembre 1998, European Night Services e.a. c/ Commission, op. cit. ; TPI, 19 juillet 1999, Hautala c/ Conseil, op. cit. ; TPI, Ord., 27 octobre 1999, Meyer, op. cit. ; TPI, 12 juillet 2001, Olli Mattila c/ Conseil et Commision, op. Cit.. La question était posée au Tribunal de la violation d’un « principe fondamental d’accès aux documents administratifs », dans l’affaire T-188/98, du 6 avril 2000, Aldo Kuijer c/ Conseil (Rec. 2000, p. II-1959 ), or celui-ci refusa de se prononcer. A l’inverse, le TPI a déjà considéré ce droit comme « principe général » (TPI, 19 mars 1998, aff. T-83/96, Van der Wal c/ Commission, Rec. 1998, p. II-545, point 48), cependant la Cour, saisie d’un pourvoi, a observé un prudent silence (CJCE, 11 janvier 2000, aff. jtes C-174 et C-189/98 P, Pays-Bas et Van der Wal c/ Commission, Rec. 2000, p. I-47.), de sorte que toute conclusion définitive sur la nature de droit ou de principe de l’accès aux documents administratifs doit être considéré comme hâtive. 197 Le professeur Constantinesco, en considérant l’insciption de droits opposables à l’administration communautaire comme droits de l’administré communautaire, suggère ainsi que l’accès du public aux documents est un droit fondamental (V. Constantinesco, Le renforcement des droits fondamentaux dans le traité d’Amsterdam, op. cit, ronéotypé.). 62 60 Plan. Selon la lecture que nous en adoptons, la Charte se présente soit comme un texte d’enregistrement des droits fondamentaux garantis dans l’Union, c’està-dire un texte stabilisateur de ces droits (Section I), soit comme un texte s’insérant dans le processus d’intégration communautaire, accentuant, par le biais de droits fondamentaux évolutifs, les liens tissés depuis cinquante ans entre les Etats membres (Section II). Toutefois, cette lecture antagoniste peut être dépassée ; nous tâcherons dans ce chapitre de circonscrire l’apparente incompatibilité entre les deux degrés de lecture, pour souligner la complémentarité existante entre eux. Section I : La Charte, outil de stabilisation 61 Stabilisation et sécurité juridique. La défense des droits fondamentaux de l’Union ne pouvait se faire sans un minimum de certitudes. Plus que dans les autres domaines du droit matériel, le principe de sécurité juridique s’impose198. L’Enceinte puis la Convention n’avaient pas pour tâche d’extraire des droits fondamentaux ex nihilo, mais, tel un scribe, de traduire les droits fondamentaux en vigueur afin de les consolider. Le fondement même du travail des groupes de rédaction de la Charte se retrouve dans le mandat de Cologne : « Le Conseil européen estime qu'à ce stade du développement de l'Union européenne il conviendrait de réunir les droits fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union dans une charte de manière à leur donner une plus grande visibilité »199. Leur mission principale se résume donc à une proposition : 198 CJCE, 18 février 1975, aff. 66/74, Farrauto, Rec. 1975, p. 157 ; CJCE, 9 juillet 1981, aff. 169/80, Société Gondrand, Rec. 1981, p. 1931. Les règles de prévisibilité et de clarté sont consubstantielles d’une « Communauté de droit ». 199 Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Tampere, des 15 et 16 octobre 1999, point 44, Bull. UE n° 10-1999, points I.1 – I.21 63 retranscrire le droit positif, afin d’obtenir un texte en accord avec ce qui existe déjà juridiquement. Or, les groupes de travail se sont rapidement rendus compte que le droit positif en question était mouvant. Et si la souplesse des droits fondamentaux est une caractéristique propre du droit garanti, leur devoir était aussi de retranscrire cette souplesse. Dans leurs efforts de codification, les rédacteurs de la Charte rencontrèrent un premier écueil, qui ne se trouvait pas dans les virtualités du droit, mais plutôt dans ses absences. Le mandat de Cologne n’interdisait pas de tenir compte des latences du droit, il imposait seulement de ne pas anticiper sur l’avenir en consignant, sous couvert de codification, des droits inédits. 62 Plan. Dès lors, les parties intervenantes à la rédaction de la Charte ont fourni une réflexion riche à deux niveaux : d’une part dans la formulation des droits existants, d’autre part dans l’articulation d’ensemble de ces droits, aux confluents des ordres juridiques nationaux, communautaires et conventionnels des droits de l’Homme. La Convention a forgé un texte à la rédaction trempée dans le souci de double cohérence : cohérence des droits entre eux et cohérence des droits avec le tissu juridique et social (§1). Si le texte de la Charte témoigne d’une cohérence propre, ses externalités laissent sceptique : l’ensemble des droits consacrés se conjugue-t-il avec le système juridique communautaire, dans lequel les droits sont sensés s’insérer ? L’« espace de liberté, de sécurité et de justice » sort-il fortifié de cet exercice ? (§2). §1) Le souci de cohérence 63 Plan. Tailler la Charte dans le marbre du droit positif demande une rigueur rédactionnelle et un souci de cohérence proches de l’excellence. La Convention a effectué, mieux qu’un travail de compilation, une véritable synthèse (lato sensu) des droits existants, tenant compte des évolutions techniques et sociales, mais aussi des 64 aspirations communes des bénéficiaires de la Charte. Plus que d’une Charte légale, c’est d’une Charte légitime dont a accouché l’Enceinte. Pour mener à bien ce travail de synthèse, et conformément à la transparence voulue par les instances politiques de l’Union, les différents organes des sociétés civiles européennes ont été invités à participer aux débats. L’invitation connut un succès mitigé (A). Dès lors, si l’entreprise de rédaction de la Charte participait du souci de rapprocher la Communauté du citoyen, la lisibilité du produit final varie selon les aspirations du lecteur (B). A) La participation civile aux débats 64 Consultation de la société civile. Le premier volet de l’application du principe de transparence aux organes de rédaction de la Charte fut la large consultation de la société civile, c’est-à-dire des organisations non-gouvernementales (ONG)200, associations, syndicats, unions d’entrepreneurs, etc… qu’ils soient nationaux, communautaires ou internationaux. Une telle proximité répond au souci d’impliquer toutes les structures sociales dans la rédaction d’une Charte qui ambitionne d’être complète, contemporaine, et proche des réalités socio-économiques de ses bénéficiaires. L’ouverture aux travaux de l’Enceinte, puis de la Convention, témoigne du vœu louable d’impliquer, dans la consignation des droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique communautaire, les diverses structures de défense et d’épanouissement de la personne. Par ailleurs, le fait que les organes se placent à l’écoute des structures sociales s’inscrit dans le courant de reconnaissance et de revalorisation des droits économiques, sociaux et culturels201. Plus de 70 associations aux objectifs divers, pour la plupart attachées à la défense des droits fondamentaux (mais sans exclusive) ont été entendues, 200 V. les deux motions des Organisations Non Gouvernementales dotées d’un statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe (Charte 4496/00, Contrib. 346, du 4 octobre 2000), disponible sur le site Internet du Conseil de l’Union européenne. 201 Op. cit., Chapitre I, Section I, paragraphe 2. 65 au nombre desquelles nous pouvons relever Amnisty International, l’Association des femmes de l’Europe méridionale, la Confédération européenne des syndicats, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), le Forum permanent de la société civile, ou des instances telles que le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations-Unies, etc. En réalité, il est difficile de mesurer l’impact réel des quelques 230 contributions rendues par les personnes consultées, qu’elles soient physiques ou morales, de droit public ou de droit privé. Et notre doute s’accroît à la lecture de la contribution du Présidium202, laquelle insiste surtout sur les sources formelles des droits garantis, et laisse peu de reconnaissance à la société civile. Devant travailler à droit constant, la Convention n’a pu faire siennes certaines propositions, bien que celles-ci s’inscrivent dans le courant de dynamisation des droits fondamentaux. Mais la mobilisation autour des droits fondamentaux devrait permettre de dessiner leurs perspectives d’évolution future. 65 Accès des particuliers aux débats sur la Charte. Le second volet du contrôle démocratique direct de la Convention par le citoyen réside dans sa capacité à accéder aux documents pertinents. Par le biais d’Internet, chaque citoyen de l’Union a pu suivre, en direct, l’évolution des débats au sein de l’Enceinte. L’élaboration des divers projets de Charte successifs par la Convention est jalonnée de plusieurs étapes, au terme desquelles la Convention a soumis ses réflexions au feu roulant des critiques, et a recueilli des opinions variées, émanant des associations attachées à la défense d’intérêts 202 Op. cit., v. surtout le commentaire de l’article 22 de la Charte, lequel maintient le secret autour des débats enflammés qui alimentent les références au patrimoine spirituel, philosophique et religieux de l’Europe (G. Braibant, La Charte des droits fondamentaux, Droit social n°1, janvier 2001, pp.69-75). 66 divers, voire du grand public203. En outre, comme le souligne le Commissaire Antonio Vitorino : « Toute personne qui le souhaitait a pu accéder aux salles de réunion de la Convention ou se procurer les documents écrits qu’elle produisait, en particulier les moutures successives du projet, et ceci par une simple consultation du site Internet du Conseil de l’Union européenne, dédié à l’élaboration de la Charte. »204. Cependant, nous pouvons soulever deux objections à la transparence affichée vis-à-vis du public. La première est que le Conseil ne met pas, à disposition des internautes, tous les documents qui lui sont parvenus. Ainsi, par exemple, un mouvement aussi controversé que la Church of Scientology n’a pas manqué de s’intéresser à l’élaboration de la Charte, ne serait-ce que pour tenter d’accroître à son profit le champ d’application de la liberté de pensée, de conscience et de religion, et ainsi faire valoir ses éternelles prétentions à être considérée comme église205. Or, le dossier des contributions de la Church of Scientology, sur le site Internet du Conseil, est vide. Notre propos n’est pas de défendre le droit de parole de ce mouvement, mais de constater un simple paradoxe : bien qu’une place lui ait été accordée par les autorités consultatives, aucune contribution de cette organisation n’est disponible. De même, la plupart des rapports émanant d’autres associations sont, sinon laudatifs, au minimum constructifs ou confortatifs. De là à supposer que le Conseil a censuré les critiques trop acerbes à l’endroit de la Charte, il n’y a qu’un pas... La seconde objection consiste à rappeler que tous les citoyens de la Communauté ne sont pas connectés à Internet. Par exemple, selon l’INSEE, moins de 10 203 Durant toute la durée des travaux, le Conseil a tenu une boîte aux lettres ouverte, ainsi qu’une adresse électronique pour les personnes ayant accès à Internet et désireuses de communiquer leurs avis, ou de poser des questions. 204 A. Vitorino, La Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, RDU n° 3/2000, p. 500. 205 Les rapports de la Commission d’enquête sur les sectes française, de 1995 et 1999, classe l’Eglise de Scientologie, démembrement métropolitain de la Church of Scientology, parmi les mouvements sectaires dangereux aux ramifications multiples (Rapport de la Commission d’enquête sur les Sectes de l’Assemblée nationale française, dit Rapport Gayart, du 20 décembre 1995, Rapport n°2468, Documents d’information de l’Assemblée nationale, 316 p.) v. également CAA Lyon, 28 juillet 1997, JCP éd. G 1998, II, n°10025. 67 % des ménages français disposent d’un micro-ordinateur connecté au réseau mondial206, avec une large proportion réservée aux familles de cadres. En définitive, la transparence des Institutions via Internet paraît surfaite, et l’accès aux informations est loin de s’être démocratisée… B) La stratification des niveaux de lecture 66 La recherche d’un consensus interétatique. Au niveau international tout d’abord, les représentants des différents Etats membres ainsi que ceux des différents organes consultés durent trouver un consensus autour de la formulation des droits fondamentaux. Selon les contributions de deux participants, MM. Fischbach207 et Braibant, Les débats menés au sein de la Convention, oscillant entre une approche maximaliste ou minimaliste des droits fondamentaux208, ont abouti à présenter un texte qui ménage toutes les susceptibilités nationales. Certes, chaque gouvernement demeure libre de discuter le contenu de la Charte, mais les principales pierres d’achoppement ont été écartées du chemin. Concrètement, le contenu des trois « corbeilles »209 a été 206 C. Rouquette, La percée du téléphone portable et d’Internet, Insee Première, n° 700, février 2000, 4 p. : « En mai 1999, 23 % des ménages résidant en France possédaient un micro-ordinateur, contre 19 % un an plus tôt. La part des ménages connectés à Internet depuis leur domicile a plus que triplé sur cette période d’un an, passant de 2 % à 7 %. » 207 Contributions du Conseil de l’Europe à la Charte des droits fondamentaux, par M. Fischbach, juge à la Cour européenne des droits de l’Homme, et M. Krüger, Secrétaire Général adjoint, du 17 décembre 1999 et du 21 février 2000 (http://www.consilium.eu.int/df/default.asp?lang=fr). 208 M. Fischbach, Le Conseil de l’Europe et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, RUDH n°1-2, 15 septembre 2000, p. 7. 209 Pour inélégante qu’elle paraisse, cette expression revient à plusieurs reprises dans les propos des intervenants des colloques de Paris (26 avril 2000) et de Strasbourg (15 et 16 juin 2000). V. G. Braibant, J.-P. Jacqué et O. De Schutter, in RUDH, op. cit. ; G. Braibant in La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 26 avril 2000 - Paris, DIAN n° 37/2000, 96 p. ; G. Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Droit social n° 1, janvier 2001, pp. 69-75. 68 discuté : les droits civils et politiques tels que consacrés par la CEDH, les droits propres du citoyen de l’Union européenne et les droits économiques, sociaux et culturels. Or, la grande variété des concepts, des systèmes juridiques, des niveaux de protection, etc., fut un handicap à l’harmonisation des droits exprimés. Ainsi, l’insertion de la Charte dans les ordres juridiques de tradition romano-germanique, habitués de longue date à la codification, se fera avec plus d’aisance que l’insertion de la même Charte dans les ordres juridiques de Common Law, pour lesquels la codification est un processus beaucoup plus récent.210 67 Charte unique, lecture plurielle. Nous pouvons dès lors nous demander si la Convention n’a pas sacrifié la lisibilité de la Charte sur l’autel du consensus interétatique. La Convention avait pour mission de rendre visible les droits fondamentaux dans l’Union, d’en faciliter l’accessibilité aux citoyens, c’est-à-dire, pour emprunter la terminologie de la Cour, à un citoyen « raisonnable et moyennement avisé ». Mais son style rédactionnel fut influencé par une autre exigence : faire en sorte de doter la Charte de suffisamment de technicité pour que les experts et les juristes puissent s’y référer utilement. Le danger réside dans l’illusion, pour le bénéficiaire, de lire la Charte avec le vocabulaire courant ; l’emploi de la terminologie juridique est souvent éloignée des préoccupations quotidiennes des citoyens. 68 Exemple. Ainsi, l’article 36 de la Charte énonce : « L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union. » Certes, cet article reprend l’article 16 CE, mais il n’est pas certain que tout un chacun sache ce 210 V. infra, Titre II, Chapitre II, Section II, § 2 in fine. 69 que recouvre la notion de « service d’intérêt économique général »211. La clause de renvoi au droit national, sous réserve de compatibilité avec le droit communautaire, laisse libre champ à toutes les interprétations. Le ressortissant français risque fort d’y voir une consécration des services publics à la française, le citoyen allemand une capacité d’accès aux « prestations de services »212, c’est-à-dire à la fois un accès et un contrôle citoyen sur les « Dienstleistungsunternehmen », entreprises fédérales chargées d’une mission d’intérêt général. Quant au citoyen britannique, sans doute s’interrogerat-il sur la portée pratique d’un « acces to services of general economic interest », dans la mesure où, au sein d’un secteur public britannique en grande partie privatisé, les critères d’identification sont obscurs. Finalement, une étude comparative des situations socioéconomiques des Etats membres reflète la variété communautaire, amplifiée par des divergences linguistiques et sémantiques profondes. Les bénéficiaires des droits conférés par la Charte n’en auront que plus de mal à les faire valoir dans les autres Etats membres de l’Union. Encore faut-il que celle-ci soit lisible et s’insère correctement au sein même de cet espace de liberté, de sécurité et de justice que bâtit l’ordre juridique communautaire. §2) L’insertion de la Charte dans « un espace de liberté, de sécurité et de justice » 69 Ambition et réalisme de l’espace de « liberté, sécurité et justice ». Conçue comme l’une des principales innovations du traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, la 211 La Commission a ressenti le besoin d’expliciter l’évolution de la notion dans deux communications de 2000, il est topique de remarquer que la première page de la communication est estampillée d’un tableau rappelant la différence entre « service public », « service universel », « service d’intérêt général » et « service d’intérêt économique général ». Une fois n’est pas coutume, la régulation communautaire implique une complexification juridique. 212 Qui est la traduction la plus fidèle du terme « Dienstleistung », figurant dans la version allemande de la Charte (http://www.europarl.eu.int/charter/default_de.htm). 70 mise en place d’un espace de liberté de sécurité et de justice revêt un intérêt direct pour le citoyen. Ce chapitre fut l’un des plus débattus de la Conférence intergouvernementale d’Amsterdam213. Il comporte deux éléments essentiels et interdépendants. Le premier concerne la défense des droits de l’homme et du principe de non-discrimination. Il regroupe la formalisation du contrôle juridictionnel des droits fondamentaux par la Cour de Justice, complétée par l’instauration d’un mécanisme de sanction contre un Etat nonrespectueux des Droits de l’Homme (art. F, paragraphe 1, devenu art. 6, paragraphe 1 UE214), et l’introduction d’une disposition générale sur la non-discrimination (art. 13 CE). Le second se nourrit du premier et a trait à la mise en place de l’espace de sécurité, liberté et justice proprement dit. Les problèmes rencontrés215 étaient à la mesure des ambitions affichées de construire cet espace sur les coopérations policière, douanière et judiciaire, et civile et pénale. Intégrer l’acquis du laboratoire Schengen était le préalable à un approfondissement du droit communautaire en ces domaines. Furent donc rédigés un titre IV dans la troisième partie du traité CE216, deux Protocoles et cinq déclarations annexés au traité217. Cette communautarisation partielle218 du « troisième pilier » 213 M. Petite, Le Traité d’Amsterdam, ambition et réalisme, RMU n°3, 1997, p. 24. 214 Op. cit, Introduction, § 4. 215 Qui ne concernent pas seulement l’harmonisation législative ou l’échange d’informations, mais également les mécanismes de prise de décision communautaire, la coopération dans la reconnaissance mutuelle et l’exécution des décisions nationales, etc. Sous la présidence néerlandaise, il devint clair que la création de l’espace de liberté, sécurité et justice ne pouvait tolérer que se développe, en marge des traités, un espace Schengen dont les attributions se recoupaient. 216 Titre IV : « Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes », comprenant les articles 61 à 69 CE. 217 Protocole n°2 intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, Protocole n°4 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande, Déclarations n°44, 45, 46 et 47, relatives respectivement aux articles 2, 4, 5 et 6 du Protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, et Déclaration de la France relative à la situation des départements d’outre-mer au regard du protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, in Les traités de Rome, Maastricht et Amsterdam, textes comparés, éd. La documentation française, 1999, p. 255 et s. 71 implique de profondes modifications dans les processus normatifs régissant ces matières219. La grande complexité de ces questions floue la perception du citoyen. Il n’est pas aisé de distinguer ce qui a été communautarisé par la Conférence d’Amsterdam de ce qui est demeuré du domaine de la coopération intergouvernementale, et nous ne saurions analyser l’apport des Institutions depuis le traité d’Amsterdam sans dépasser le cadre de cette étude220. Par contre, il est emblématique de constater que la Charte fait allusion à cet espace dans son préambule221, à côté des « valeurs » et des « principes » de l’Etat de droit. L’espace de liberté, de sécurité et de justice est en passe de devenir, plus que le leitmotiv d’une intégration européenne absconse, une réalité concrète et suffisamment garantie. 70 Plan. La question de l’interconnexion entre la Charte et l’espace de liberté, de sécurité et de justice pose les mêmes problèmes que ceux rencontrés par la « communautarisation » croissante de piliers intergouvernementaux. Les processus intergouvernementaux et communautaires ont chacun leur rythme propre. La « communautarisation » du « troisième pilier » dépend tant des calendriers établis par les 218 Au terme de l’article 42 UE, la communautarisation est appelée à progresser et à gagner d’autre matières, même si l’exigence d’unanimité du Conseil, posée dans cet article, est difficile à obtenir. 219 La plus grande innovation réside certainement dans la possibilité d’adopter des « décisions-cadre », nouvel outil juridique similaire à la directive (art. 34, paragraphe 2 sous b) et art. 35 UE). 220 Le Bulletin de l’Union européenne (ancien Bulletin des Communautés européennes), reprend chaque mois les principales avancées, décisions-cadre, conventions, conclusions des Conseils européens, etc., qui contribuent à l’édification de cet espace. 221 « Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’Etat de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l‘Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice. » (Préambule de la Charte, al. 2). 72 Conseils européens que de la bonne volonté des Etats réunis au sein du Conseil. De même, la question transversale des droits de l’homme connaît des impulsions ponctuelles, sous l’effet des jurisprudences des cours européennes. Finalement, toutes les interrogations relatives à l’insertion - on serait tenter de dire « l’enchâssement » - de la Charte dans l’espace de liberté de sécurité et de justice se résument à deux questions essentielles : la Charte formalise-t-elle les droits de l’espace de liberté, sécurité et justice (A) ? Et la codification est-elle suffisamment complète pour que la référence à d’autres instruments de protection des droits fondamentaux devienne obsolète (B) ? A) Une simple formalisation des droits existants ? 71 L’espace de liberté, sécurité et justice : terreau des droits fondamentaux. Le remodelage de la construction en piliers des traités par les Conférences intergouvernementales d’Amsterdam et (dans une moindre mesure) de Nice, qui n’a pas été jusqu’à leur abandon, est un élément supplémentaire de complication de la lecture des droits fondamentaux dans l’Union européenne. Ces derniers se retrouvent dispersés entre l’Union, les Communautés et les Etats membres, entre les piliers de coopération et le pilier d’intégration communautaire, entre les traités et les protocoles222. Les problèmes de lisibilité posés par cette internationalisation de la protection des droits de l’Homme au sein du droit communautaire ne sauraient être résolus sans une présentation des droits matériels de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Si le traité d’Amsterdam, à défaut d’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme, « absorbe » les droits fondamentaux issus de cette dernière223, il n’en demeure pas 222 V. Constantinesco, Le renforcement des droits fondamentaux dans le traité d’Amsterdam, op. cit., p. 34. 223 F. Sudre, La Communauté européenne et les droits fondamentaux après Amsterdam : Vers un nouveau système européen de protection des droits de l’Homme ?, JCP éd. G, n°1-2, 7 janvier 1998, p. 12 et s. ; V. également CJCE, 18 juin 1991, aff. C-260/89, ERT, Rec. 1991, p. I-2951, cons. 41 ; CJCE, 10 juillet 73 moins qu’il renforce ces droits de manière autonome. Ainsi, l’apparition des droits sociaux au sein du préambule du Traité sur l’Union européenne224 et de l’article 136 CE marque la volonté de poser les jalons d’une communautarisation des droits sociaux. En outre, la rédaction d’un titre VIII consacré à l’emploi225 permet à la Communauté d’engager une politique complémentaire de celles des Etats membres226, visant à garantir, selon les termes de l’article 136, « un niveau d’emploi élevé et durable », dans le respect des droits fondamentaux des personnes placées sous la juridiction des Etats membres227. Quant aux diverses manifestations du principe d’égalité, elles ne ressortent pas toutes de l’article 14 CEDH. Par exemple, la rédaction de l’article 141, paragraphe 4 CE228 constitue plus probablement une réponse des Etats membres à l’arrêt Kalanke229, qui ouvrait la voie à l’instauration de discriminations positives, qu’une prise en compte partielle de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. 1984, aff. 63/83, Kent Kirk, Rec. 1984, p. 2689 ; CJCE, 15 mai 1985, aff. 22/84, Johnston, Rec. 1984, p. 1651 ; CJCE, 18 mai 1989, aff. 249/86, Commission c/ RFA, Rec. 1989, p. 1263. 224 Le quatrième considérant du préambule du TUE est ainsi formulé : « Confirmant leur attachement aux droits sociaux fondamentaux tels qu’ils sont définis dans la Charte sociale européenne, […] et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 ». 225 Art. 125 à 130 CE. 226 Art. 127, paragraphe 1 CE. 227 Ainsi que le suggère le renvoi opéré dans l’article 125, paragraphe 1 CE à l’article 2 UE, complété de telle sorte que les droits fondamentaux soient pris systématiquement en compte dans les politiques de l’Union, y compris dans l’élaboration d’une stratégie coordonnée pour l’emploi. 228 Art. 141, paragraphe 4 CE : « [...] le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un Etat membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté [...] ». Cet article doit être rapproché de la Déclaration n°28 annexée au traité d’Amsterdam, laquelle précise que l’action des Etats membres vise surtout à « améliorer la situation des femmes dans la vie professionnelle. » in Les traités de Rome, Maastricht et Amsterdam – textes comparés, op. cit. p. 275. 229 CJCE, 17 octobre 1995, aff. C-450/93, Kalanke, Rec. 1995, p. I-3051. 74 72 La force contraignante de la Charte : un débat dépassé. La lisibilité des droits codifiés dépend également du paradoxe résultant de l’absence de force contraignante formelle de la Charte, et de la force contraignante des dispositions matérielles de la Charte. Les projets de textes communautaires portant droits fondamentaux ont toujours suscité quelques craintes parmi les gouvernements quand il s’est agi de leur opérabilité. Au-delà de ces craintes, deux écoles s’affrontent. Les tenants d’une force contraignante avancent le plus souvent des arguments tirés de l’efficience du contrôle du respect des droits de l’homme par le juge230, les détracteurs répondent que la force obligatoire de la Charte rendrait visible la césure entre l’ordre juridique du Traité de Rome et l’ordre juridique issu de la Convention de Rome, ou figerait les droits fondamentaux communautaires en les privant de leur dynamique231. Un tel débat nous semble stérile, au moins pour trois raisons. La première a trait à la nature même des droits : comme charte de droits dits « fondamentaux », les dispositions consignées ne peuvent que bénéficier de la plus haute considération, et garantir, au bénéfice des personnes, des droits s’inscrivant au plus haut niveau dans la hiérarchie des normes. La deuxième raison nous vient du mandat confié à Cologne par le Conseil européen : rendre visible les droits de la personne déjà en vigueur dans l’Union, c’est se référer essentiellement à du droit positif, donc déjà consigné dans d’autres instruments normatifs ayant force contraignante. Le troisième motif est d’ordre plus psychologique : comme le relève Guy Braibant232, « sur la question du caractère contraignant de la Charte, j’ai récemment dit qu’elle est non pas secondaire, mais seconde [...] au sens originel du terme : elle vient après » ; l’important réside dans la qualité rédactionnelle de la Charte : « [...] si nous avons une bonne Charte, elle sera dans deux ou trois ans juridiquement contraignante parce que la pression pour qu’elle soit contraignante ne 230 F. Loncle, Contribution au Colloque « La Charte des droits fondamentaux de l’Union euripéenne », du 26 avril 2000, DIAN 37/2000, p. 29 et s., spéc. pp. 31-33. 231 G. Cohen-Jonathan, Le Parlement européen et les Droits de l’Homme, RMCUE 1978, p. 390. 232 G. Braibant, in RUDH, 15 septembre 2000, p. 11. 75 pourra pas être ignorée. »233. Le refus de donner à la Charte une force obligatoire explicite, enregistré lors du sommet de Nice, ne serait donc qu’un différé, qui n’affecte le statut de la Charte que de manière formelle, et surtout temporaire234. B) La Charte comme norme unique de référence ? 73 La CJCE et la Charte. Résumer, c’est trahir. Le travail de codification à droit constant constitue par nature un travail de synthèse, mais une synthèse exagérée risquait d’éloigner la Charte des subtilités de l’acquis communautaire. Dès lors, pour un droit donné, le choix d’une formule très vaste reflète sans doute la valeur de ce droit et son étendue, toutefois une telle formulation sera passablement éloignée des réalités de ce droit, de ses subtilités et de son insertion dans l’ordre juridique communautaire. Par exemple, le droit à la liberté de circulation et de séjour est énoncé de manière extrêmement laconique : « Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. »235. Pour en saisir le sens et la portée, il faut se référer à l’article 52, paragraphe 2 de la Charte, qui opère un renvoi aux traités communautaires. Or, de nombreux articles concernent la liberté de circulation des personnes236, et lui apportent des tempéraments237, sans 233 G. Braibant, ibid. 234 Au jour où nous rédigeons ces lignes, la Cour de Justice a reçu les conclusions de l’avocat général Philippe Léger dans l’affaire Hautala, qui abondent en ce sens (v. Infra Section II, paragraphe 2, A, § 86). 235 Art. 45, paragraphe 1 de la Charte, emprunté à l’art. 18, paragraphe 1 CE. 236 Les articles 2 al 5 UE et 14 al 2 CE énoncent la liberté de circulation des personnes comme objectif de l’Union et de la réalisation du marché intérieur, l’article 18 CE en pose le principe même, les articles 39 à 55 CE déclinent la liberté de circulation en liberté de circulation des travailleurs, liberté de prestation de services, liberté d’établissement, et enfin l’article 183, paragraphe 5 prévoit la liberté de déplacement des ressortissants des pays et territoires d’outre-mer. 76 compter les innombrables textes de droit dérivé. Il appartiendra à la Cour de Justice, saisie d’un litige sur les restrictions apportées à ce principe de liberté de migration, d’apprécier, en même temps que l’étendue de la clause de renvoi, les limitations tolérables pour le droit litigieux. Indépendamment de la valeur juridique individuelle des droits et libertés reconnus dans la Charte, la Cour de Justice est actuellement incitée à s’interroger sur la valeur et la portée de la Charte dans son ensemble. Sur ce point, les avocats généraux près la Cour de Justice des Communauté ont été particulièrement plus diserts que la Cour. Réservant l’étude des conclusions des avocats généraux à plus tard238, nous pouvons relever que, dès le mois de février 2001, le Tribunal de Première instance a publié, dans un arrêt Mannesmannröhren-Werke239, ce qui demeure à ce jour l’unique référence jurisprudentielle à la Charte. Prudent, le Tribunal se garde de se prononcer sur la nature juridique de la Charte, ou des dispositions qu’elle contient, et lui dénie toute pertinence ratione temporis dans la mesure où la Charte fut adoptée postérieurement à l’établissement des faits240. Sur cette position, nous pouvons faire deux remarques. La première est que, implicitement, le Tribunal a accepté la recevabilité d’un argument qui, bien que tardif, est fondé sur la portée juridique de la Charte241. La seconde est que 237 Ainsi en est-il notamment de la réserve d’ordre public, de sécurité public et de santé public (art. 48, paragraphe 3, 55, 64, 186 et 297 CE), qui permet à un Etat de maintenir ou de réintroduire, sous certaines conditions, des entraves à la liberté de déplacement. 238 V. notamment infra les conclusions de l’avocat général Léger, sous l’affaire Hautala, Section II, paragraphe 2, A), § 86. 239 TPI, 20 février 2001, aff. T-112/98, Mannesmannröhren-Werke AG c/ Commission, Rec. 2001, p. II- 729. 240 TPI, Mannesmannrörhen-Werke AG, ibid., cons. 76 : « […] cette Charte a été proclamée par le Parlement européen, le Conseil et la Commission le 7 décembre 2000. Il s’ensuit que la Charte ne peut avoir aucune incidence sur l’appréciation de l’acte attaqué, qui était adopté antérieurement. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de rouvrir la procédure orale comme demandé par la requérante. » 241 TPI, Mannesmannrörhen-Werke AG, ibid., cons. 15. 77 l’argument soulignant l’antériorité des faits est un argument purement formel. En effet, s’agissant d’une codification à droit constant, la Charte reprend des droits déjà en vigueur dans l’ordre juridique communautaire. Par conséquent, le juge aurait très bien pu esquiver l’absence de reconnaissance formelle de la portée juridique de la Charte pour s’en tenir aux principes préexistants des droits de la défense. Et Laurence Idot de constater : « Il y a un grand décalage entre l’affirmation de beaux principes et la réalité »242. 74 La CJCE et l’espace de « liberté, sécurité et justice ». Dès lors, le silence de la juridiction communautaire n’apporte rien, si ce n’est une incitation à la vigilance. A tout le moins devons-nous admettre que les droits garantis dans la Charte ont une force contraignante certes, mais pas absolue. Ou, pour mieux dire, les prérogatives accordées dans la Charte des droits fondamentaux ont au minimum le même degré de normativité que leurs homologues issus d’autres sources de légalité communautaire. L’effectivité des droits fondamentaux dépend aussi de l’autorité que leur reconnaît le juge communautaire, et de la consécration de leurs sources. Or, nous l’avons vu, ces sources sont nombreuses, hétérogènes, et de portées variées243. C’est pourquoi nous pouvons augurer que la Cour de Justice continuera, en dépit de la Charte, à développer l’espace de liberté de sécurité et de justice, en puisant les droits y afférents à d’autres sources. Si nous admettons que la Charte dispose du potentiel nécessaire à l’impulsion des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire, les autres instruments de protection n’en perdent pas pour autant leur pertinence. Nous pouvons certes considérer la Charte comme source privilégiée pour l’espace de liberté, sécurité et justice, mais l’ériger au rang de norme unique de référence semble excessif. La Charte 242 L. Idot, Le Tribunal fait application de la jurisprudence Orkem, Rev. Europe, avril 2001, p. 29, comm. 141, pour une analyse plus complète de l’architecture et du fond de l’arrêt. La citation du Professeur Idot ne se rapporte pas précisément à la Charte, mais plus largement à l’ensemble du droit procédural. Mutatis mutandis, la citation demeure pertinente. 243 V. titre I, chapitre premier. 78 se doit d’accompagner les autres instrumenta, elle ne les remplace pas. Ce n’est que dans le respect de cet acquis communautaire qu’elle pourra révéler ses qualités, et servir la cause de l’intégration communautaire. SECTION II : LA CHARTE, OUTIL AU SERVICE DE L’INTEGRATION 75 Coopération loyale et non-régressivité. L’intégration des droits fondamentaux du droit communautaire serait vide de sens si n’étaient pérennisés les acquis. La révélation progressive des droits de la personne ne permet aucun retour en arrière. Or, la dynamique de révélation des droits fondamentaux communautaires bénéficient d’un double garde-fou. Le premier réside dans l’effet de cliquet propre au droit communautaire. En effet, l’article 10 CE établit le principe de coopération loyale244, lequel est une version « communautarisée » du principe de droit international de l’exécution de bonne foi. Il oblige les Etats a collaboré à l’intégration communautaire. Le second réside dans le principe de non-régressivité des droits fondamentaux, au terme duquel les Etats ne sauraient diminuer la protection acquise dans les instruments internationaux. Ce principe de non-régressivité se retrouve à l’article 53 de la Charte, et établit que, sauf dispositions plus favorables du droit de l’Union (art. 52 § 2), le renvoi aux droits originaux assure au minimum une garantie équivalente à la CEDH245. 244 D. Simon, Le système juridique communautaire, op. cit., notamment p 97, § 77. 245 Voir infra titre II, chapitre II. 79 76 Droits de la personne et application différenciée. A maints reprises fut affirmée la neutralité de la Charte à l’égard de la répartition des compétences entre la Communauté et les Etats membres246. L’article 52, paragraphe 2 de la Charte dispose : « La présente Charte ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour la Communauté et pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités. » Or, la normativité des droits fondamentaux n’est assurément pas une tâche nouvelle pour la Communauté : implicitement, notamment à travers le principe d’universalité et la nature transdisciplinaire des droits de la personne, ou pour garantir l’effet utile de dispositions des traités247, les Institutions ont été appelées à légiférer dans le domaine des droits fondamentaux. Partant, il serait naïf de déceler dans l’article 52 un verrou apposé sur la compétence communautaire en matière de droits des personnes. Et si les Etats conservent les compétences inhérentes à leur imperium, qui impliquent de les laisser progresser dans les voies qui leur semblent justes, la répartition internationale des compétences normatives en matière de droits fondamentaux ne les autorise pas à déroger aux instruments édictés par les Institutions communautaires. En d’autres termes, c’est à la Communauté qu’il appartient de décider et de mettre en œuvre une application différenciée des droits essentiels, ou non. 77 Plan. En dépit des faiblesses que nous n’avons pas manqué de relever tout au long de cette étude, il serait injuste de ne pas relever les domaines dans lesquels la Charte apporte une plus-value en matière de droits de la personne (§1). Cependant, l’exercice ayant prouvé ses limites, il conviendra ensuite de nous demander si la Charte ne révèle pas une impasse : celle de déterminer le socle de valeurs communes de l’Union (§2). 246 V. par exemple la communication de la Commission, du 13 septembre 2000, « Sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », COM(2000) 559 final, p. 8. 247 C’est particulièrement le cas de l’article 12 CE, qui porte sur le principe de non-discrimination nationale. V. Titre II, Chap II, Section II, paragraphe 1, A). 80 §1) L’enrichissement des droits existants 78 Plan. Mouler la Charte dans l’argile de l’intégration demande des qualités rédactionnelles empreintes de souplesse et d’élasticité. L’esprit de la Charte porte les traces de cette exigence, la lettre en véhicule les atouts. Le but étant de renouveler la formulation des droits fondamentaux afin d’en garantir l’adaptabilité, tout en respectant le sens des-dits droits, les rédacteurs de la Charte ont abandonné les dichotomies classiques (A), dont les vertus pédagogiques collaient mal à la réalité des droits fondamentaux communautaires. Reste à savoir s’ils lui ont substitué d’autres distinctions, plus utiles. Il semble que la Charte opère en effet une distinction entre les principes et les objectifs. Mais les ambiguïtés de cette différenciation sémantique font osciller le lecteur entre espoirs fondés et illusions déçues (B). A) Une remise en cause des divisions académiques 79 Le principe d’indivisibilité des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. La Charte n’est pas le premier texte à renoncer à la distinction, établie au milieu du siècle, entre droits civils et politiques d’une part et droits économiques, sociaux et culturels de l’autre. Dans un rapport rendu en 1999 par un groupe de réflexion de la Commission européenne248, traitant des avancées souhaitables des droits fondamentaux dans l’Union, est soulignée l’indivisibilité des droits « civils » et des droits « économiques et sociaux » dans le cadre communautaire : « Toute démarche visant la reconnaissance explicite des droits fondamentaux doit inclure à la fois les droits civils et sociaux. Ignorer leur interdépendance met en cause la protection des premiers comme des seconds. C’est pourquoi le principe d’indivisibilité a été 248 Rapport du groupe d’experts en matière de droits fondamentaux, présidé par M. Spiros Simitis, « Affirmation des droits fondamentaux dans l’union européenne – Il est temps d’agir. », Commission européenne, DG Emploi, relations industrielles et affaires sociales, OPOCE, février 1999, 19 p. 81 affirmé à maintes reprises. »249. Toutefois le principe d’indivisibilité ne signifie pas une simple juxtaposition des deux catégories de droits ; comme l’a développé la Cour européenne des droits de l’Homme dans sa jurisprudence, il n’y a pas de « cloisonnement étanche » entre droits civils et politiques d’une part, et droits économiques, sociaux et culturels d’autre part. La suppression de cette catégorie pédagogique certes, mais historiquement dépassée250 – exige un réexamen et une formulation nouvelle des droits civils et politiques, « de manière à y incorporer des points traditionnellement abordés dans le cadre clos des droits sociaux »251. L’expansion des droits fondamentaux opérée devra tenir compte des politiques sociales fondamentales, et la reconnaissance explicite des droits fondamentaux demeurer un processus ouvert. Dans un premier temps, les traités communautaires doivent incorporer les droits reconnus dans les articles 2 à 13 de la CEDH, tels que complétés par les Protocoles. Sont concernés le droit à la vie252, l’interdiction de la torture, des traitement inhumains et dégradants253, l’interdiction de l’esclavage, de la servitude et du travail forcé ou obligatoire254, le droit à la liberté et à la sûreté255, le droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial ainsi qu’à une audition publique et équitable256, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale257, le droit de se marier et de fonder une famille, le droit au respect de la vie privée et familiale258, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion259, le droit à la liberté d’expression260, le 249 Rapport précité, point 8 al 1, p. 15. 250 V. supra, Chapitre I, Section I, paragraphe 2. 251 Rapport précité, point 8 al 4, p. 15. 252 Art. 2 CEDH. 253 Art. 3 CEDH. 254 Art. 4 CEDH. 255 Art. 5 CEDH. 256 Art. 6 et 13 CEDH. 257 Art. 7, paragraphe 1 CEDH. 258 Art. 8 CEDH, complété par l’art. 5 du Protocole 7, du 22 novembre 1984. 259 Art. 9 CEDH. 82 droit à la réunion pacifique et à la liberté d’association261, le droit de propriété262, le droit de vote263, la liberté de circulation264. Dans un second temps, préconise le rapport, l’adhésion de l’Union à la CEDH traduira la mutation structurelle que connaît celle-ci, et il sera alors temps de compléter ce premier catalogue par le principe d’égalité de traitement (sans distinction fondée sur la race, le sexe, la couleur, l’ethnie, la nationalité, la culture, la langue, la conscience, la pensée, la religion, les convictions politiques, l’orientation sexuelle, l’âge ou le handicap), le libre choix professionnel, le contrôle de l’utilisation des données personnelles, le droit au regroupement familial, le droit d’action collective, le droit à la consultation, à la participation et à l’information, pour les décisions touchant les intérêts des travailleurs. 80 La structure de la Charte. Qu’il s’agisse de nouveaux droits sociaux ou de droits civils étendus au domaine social, les droits en question devaient, à terme, être regroupés en un texte unique. En définitive, le rapport Simitis annonçait l’originalité de l’ossature de la Charte des droits fondamentaux, loin des partitions standards entre droits civils et politiques d’une part, et droits économiques et sociaux d’autre part. Hormis la section consacrée aux « Dispositions finales », la séparation de la Charte en six chapitres, intitulés « Dignité », « Libertés », « Egalité », « Solidarité », « Citoyenneté » et « Justice », répond aujourd’hui à ce souci d’indivisibilité des droits fondamentaux.. En effet, paradoxalement, l’éclatement des droits en six chapitres sert la cause de l’unité conceptuelle de ces droits, dans la mesure où ces six chapitres ne révèlent pas d’antagonismes profonds, mais une complémentarité. Là où les droits justiciables - les droits civils et politiques - étaient traditionnellement opposés aux droits non-justiciables - les droits économiques, sociaux et culturels - la Charte, comme 260 Art. 10 CEDH. 261 Art. 11 CEDH. 262 Art. 1 du Protocole additionnel du 20 mars 1952. 263 Art. 3 du Protocole additionnel. 264 Art. 2 du Protocole 4, du 16 novembre 1963. 83 codification à droit constant, promet une justiciabilité265 aux premiers comme aux seconds. Intégrer un dualisme, quel qu’il soit266, c’était risquer d’aboutir à une acceptation partielle de la Charte par la Convention, et susciter chez les autorités nationales la tentation de fragmenter elles-mêmes la Charte. Au contraire, la partition en six chapitres, la dissémination et l’interpénétration des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux témoignent du souci d’obtenir, pour l’ensemble de la Charte, la plus grande justiciabilité. Ainsi est respecté le mandat de Cologne. Ainsi sont actualisés des droits, eux-mêmes porteurs de développements futurs. 81 Cette répartition des droits, si elle sert l’homogénéité des droits civils, politiques, sociaux et économique, porte cependant quelques inconvénients. Tout d’abord, le fractionnement tend parfois à l’éparpillement. Par exemple, tous les droits reconnus aux bénéfice des citoyens, et classés sous le chapitre « Citoyenneté »… ne concernent pas que la citoyenneté ! La possibilité de saisine du médiateur ou le droit de pétition devant le Parlement européen sont ouverts aux personnes résidents sur le territoire de la Communauté, in extenso aux ressortissants extra-communautaires. A cet égard, la classification retenue par la Convention semble un peu artificielle. En outre, opérer une partition en six chapitres est éloigné de la logique binaire de la tradition juridique française267, et ne se prête pas à une présentation commode, ni simplement 265 Surtout par le biais de l’article 47, paragraphe 1 de la Charte : « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article ». V. infra. 266 Ontologiquement, les droits fondamentaux ne se prêtent pas naturellement à une partition entre droits civils et politiques d’une part, et droits économiques, sociaux et culturels d’autre part. La doctrine a proposé d’autres distinctions tout aussi intéressantes, entre droits immédiatement exigibles et droits programmes, entre droits intangibles et droits susceptibles de dérogation, ou entre droits de générations différentes… V. P. Daillier et A. Pellet, Droit international public, 5e éd. LGDJ, 1994, p. 641, § 433. 267 Selon la célèbre méthodologie de MM. Aubry et Rau. 84 pédagogique268. Néanmoins, quelle présentation didactique la Convention aurait-elle pu trouver ? Lui était-il possible, compte tenu des délais impartis et de la diversité des sources, de trouver une présentation plus pertinente ? Il n’est pas aisé de clarifier les droits fondamentaux communautaires, et de rapprocher ainsi l’Union du citoyen, il est plus difficile encore de trouver des articulations suffisamment précises, souples et opérationnelles pour refléter la richesse des droits fondamentaux communs, dans le respect du processus d’intégration et de la dynamique des droits fondamentaux. D’autant que les droits fondamentaux se répartissent également entre d’un côté les principes, et de l’autre les objectifs. B) Entre « principes » et « objectifs », le ferment de l’avenir ? 82 Une distinction purement théorique ? La distinction opérée entre les « principes » et les « objectifs » a servi de moteur pour l’élaboration de la Charte, de clé pour résoudre certaines difficultés. Le texte final retient cette différence : déjà le préambule de la Charte mentionne côte à côte les valeurs et les principes269, suggérant ainsi un distinguo entre les deux. Nous pouvons toutefois nous interroger sur sa pertinence ainsi que sur son opérabilité. Selon le professeur Braibant, les droits sociaux ne doivent pas tous être considérés comme des objectifs politiques, et se répartissent entre droits, principes et objectifs, seuls les premiers étant ontologiquement justiciables. Cependant, l’éminent professeur objecte que « les principes ne doivent pas être considérés comme des droits de seconde zone. La différence entre les principes et les 268 Ce qui pourrait susciter une désaffection de la part du citoyen, qui éprouverait quelques difficultés à s’orienter entre les divers chapitres. 269 Préambule de la Charte, alinéa 2, précité. Les valeurs retenues, « universelles et indivisibles », sont la dignité humaine, la liberté, l’égalité et la solidarité. Les principes énoncés sont les principes de démocratie et d’Etat de droit. 85 droits tient à ce que les droits doivent être respectés et les principes mis en oeuvre »270. Valeurs, principes, objectifs... Ce que la Charte gagne en variété conceptuelle, elle le perd en lisibilité. Et nous pouvons alors nous demander quelle sécurité juridique la Charte apporte au particulier ? Comment ce dernier pourra-t-il, intuitivement, distinguer les principes justiciables, traduits en droits, des principes non-justiciables qui leurs sont juxtaposés ? Un indice de cette différenciation réside en ce que les droits attribués à des titulaires (« toute personne », « les travailleurs », etc.) sont justiciables, tandis que les principes non justiciables sont formulés en termes généraux, comme des obligations à la charge de l’Union271, sinon parfois des Etats272. Une seconde question se pose : Les principes retenus par la Convention sont-ils bien des principes authentiquement communautaires, sinon communs, appelés à perdurer ?273 Cette question en appelle deux autres : les objectifs assignés à l’Union, en terme de droits fondamentaux, constituent-ils de réels objectifs ou des utopies ? La priorité politique de la Communauté n’est-elle pas de s’élargir plutôt que d’accroître ses règles de protection des personnes ? En dépit de la proclamation de la Charte, la détermination d’une politique réellement intégrative des droits fondamentaux ne semble pas, en définitive, constituer un objectif premier des instances politiques de l’Union. 83 L’affirmation d’objectifs comme neutralisation douce des droits ? La remise en cause des distinctions académiques et l’établissement de nouvelles lignes de démarcation, entre principes et objectifs, laisse au lecteur le goût amer du scepticisme quant à la valeur ajoutée de la Charte. Du point de vue de la codification de règles juridiques, la Convention s’en est tenue aux règles juridiques existantes. Du point de 270 G. Braibant, Conclusions du colloque des 15 et 16 juin 2000, RUDH, op. cit., p. 68. 271 Par exemple, l’article 22 de la Charte énonce : « L’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique. » 272 La formulation extrêmement globale de l’article 13 ne peut qu’inclure les Etats au nombre des obligés : « Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée. ». V. infra. 273 V. infra, le paragraphe 2. 86 vue de l’essor des droits fondamentaux, la retranscription de leur évolution est plus sobre, et les objectifs affirmés empruntent plus au jeu politique qu’au domaine juridique. Or, en politique, affirmer des objectifs revient à gagner du temps, en reportant à plus tard la concrétisation des idées en droit. La déclaration incantatoire n’engage personne ; et affirmer que chacun « tendra à » signifie juridiquement que nul n’est tenu par quelque obligation que ce soit. C’est une neutralisation « douce » de certaines revendications sociales, que la Convention reconnaît comme sources virtuelles de droit pour l’avenir, mais qu’elle refuse de consacrer explicitement. Ceci est d’autant plus dommageable que, selon les conclusions du Présidium274, la référence à la CEDH dans l’article 53 inclut la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, laquelle accueille de plus en plus favorablement les revendications de certaines minorités275. C’est pourquoi, cette discrétion de la Convention au sujet de nouveaux droits s’analyse comme une neutralisation douce du droit, temporaire et susceptible de bien des aménagements jurisprudentiels276. Certes il est nécessaire de se fixer des objectifs ne serait-ce que pour s’assurer que les Quinze s’accordent sur l’avenir de l’Europe. Pourtant ceux-ci doivent, à plus ou moins long terme, trouver une formulation juridique, à peine de priver l’individu du bénéfice du droit escompté. La traduction juridique des objectifs est une nécessité sociale, et demeure inhérente à une compréhension dynamique des droits fondamentaux. Or, la Charte n’énonce pas d’objectif qui ne puisse être concrétisé, au mieux en principe, sinon en droit subjectif justiciable. Une élévation des objectifs au rang de principes fera de la Charte un second « instrument vivant » de la protection des droits fondamentaux en Europe, dans le sillage de la Convention européenne des droits de 274 Précitées, chapitre I, Section I, paragraphe 2. 275 V. V. Coussirat-Coustère, Chronique in AFDI, 1996, pp. 748-783 ; AFDI, 1997, pp. 559-592 ; AFDI, 1999, pp. 746-766. V. également infra, nos développements sous paragraphe 143, p. 137. 276 Par opposition au silence, qui demeure la formulation la plus difficile à interpréter, et à la négation des droits, qui constitue une neutralisation « dure » des droits. 87 l’homme. Ceci est d’autant plus nécessaire que le terme « d’objectif » est juridiquement ambigu : il est parfois employé en droit constitutionnel français comme synonyme de « droit subjectif ». §2) Un socle commun ? 84 Un socle de valeurs et de droits. Le développement d’un « espace de liberté, sécurité et justice » s’inscrit dans la logique d’un nouvel objectif de l’Union européenne inséré dans les traités par la révision d’Amsterdam277. Pour assurer la cohérence de la construction de cet espace, l’article 6, paragraphe 2 UE reprend à la lettre l’ancienne formulation du traité de Maastricht278 : l’Union respecte les droits fondamentaux tels qu’ils ressortent de la CEDH et des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, y compris dans la lecture prismatique qu’en donnent les principes généraux du droit communautaire. Avec M. Labayle, nous pouvons relever que : « L’essentiel est donc dit : un patrimoine commun de valeurs constitue le socle sur lequel l’Union européenne repose. »279. Bien que la Charte des droits fondamentaux fut accueillie à l’unanimité par les conférenciers s’exprimant au nom de leurs Etats, de nouvelles divergences de vue pourraient bien survenir dans un avenir proche. Les Quinze n’auront de cesse d’affirmer leur unité de point de vue, mais chacun tentera de promouvoir une 277 Art. 2 al 4 UE : « [L’Union se donne pour objectif] de maintenir et de développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration, ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. » 278 Art. 6, paragraphe 2 UE : « L’Union respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. » 279 H. Labayle, La Cour de Justice et l’espace de liberté, sécurité et justice, in R. Mehdi, L’avenir de la justice communautaire : enjeux et perspectives, éd. La documentation française, 1999, p. 69. 88 lecture « renationalisée » des droits fondamentaux y consignés. Quant aux Institutions, elles ont pris peu de risques à proclamer une Charte qui leur sera difficilement opposable au contentieux : les droits consignés sont déjà respectés par les organes normatifs de l’Union. Les obligations codifiées seront plus fréquemment opposées aux Etats membres, dans leur œuvre d’exécution normative du droit communautaire, qu’aux Institutions, ne serait-ce qu’en raison du fait que le juge communautaire de droit commun demeure le juge national. 85 Plan. Il nous incombe donc de nous demander par quels moyens la Charte peut servir l’intégration communautaire des valeurs partagées par la CEDH et par les traditions constitutionnelles communes, et de déterminer si elle renforce les liens juridiques, politiques, économiques et sociaux entre les Etats membres et entre les peuples (A). Puis, nous tenterons de mesurer l’impact de la Charte sur l’architecture juridictionnelle de l’Union (B). A) Des valeurs partagées par les Quinze 86 Charte et principes moraux communs. Sans doute est-ce M. L’Avocat général Philippe Léger, dans ses conclusions sous l’affaire C-353/99 P, Hautala, présentées le 10 juillet 2001280, qui relève le mieux la richesse et l’ambivalence de la valeur des droits consacrés dans la Charte : « Certes, il convient de ne pas ignorer la volonté clairement exprimée des auteurs de la charte de ne pas la doter de force juridique obligatoire. Mais, toute considération relative à sa portée normative mise à part, la nature des droits énoncés dans la charte des droits fondamentaux interdit de la considérer comme une simple énumération sans conséquence de principes purement moraux. Il importe de rappeler que ces valeurs ont en commun d'être unanimement 280 Conclusions de M. l’avocat général Léger sous CJCE, aff. 353/99 P, Hautala, non-publiées au Recueil. 89 partagées par les États membres, qui ont choisi de les rendre visibles en les consignant dans une charte, afin de renforcer leur protection. La charte a indéniablement placé les droits qui en font l'objet au plus haut niveau des valeurs communes aux États membres. Il est admis que les valeurs politiques et morales d'une société ne se retrouvent pas toujours en totalité dans le droit positif. Cependant, lorsque des droits, des libertés et des principes sont, comme dans la charte, décrits comme devant occuper le plus haut niveau des valeurs de référence au sein de l'ensemble des États membres réunis, il serait inexplicable de ne pas y puiser les éléments qui permettent de distinguer les droits fondamentaux des autres droits. Les sources de ces droits, énumérées dans le préambule de la charte, sont pour la plupart dotées d'une force contraignante au sein des États membres et de l'Union européenne. Il est naturel que les normes du droit positif communautaire tirent profit, en vue de leur interprétation, de la position des valeurs auxquelles elles correspondent dans la hiérarchie des valeurs communes. Comme le laissent supposer la solennité de sa forme et de la procédure qui a conduit à son adoption, la charte devrait constituer un instrument privilégié servant à l'identification des droits fondamentaux. Celle-ci est porteuse d'indices qui contribuent à révéler la véritable nature des normes communautaires de droit positif. »281. A son instar, nous pouvons relever combien la nature même des droits consolidés dans la Charte, commande de transcender leur impérativité morale pour leur conférer une force contraignante. Reste à attendre la réponse de la Cour qui, dans l’arrêt Hautala, se voit 281 Ibid., points 80 à 83. Que le lecteur veuille bien nous pardonner la longueur de cette citation, mais celle-ci révèle toute la subtilité d’une Charte qui, bien que dépouillée de valeur formelle, est rehaussée d’une valeur juridique et morale indéniable. Cet extrait des conclusions de l’Avocat général Léger constitue sans doute l’une des meilleures traductions de la lettre et de l’esprit de la Charte. 90 offrir l’occasion de dépasser le mandat confié à la Convention par les autorités politiques de Cologne et de Tampere. 87 Principes constitutionnels communs – Approche matérielle. En somme, selon l’avocat général Léger, il est possible, grâce à la Charte, de distinguer les droits fondamentaux des autres droits garantis au sein de l’Union. Cette présentation est parfaitement conforme au mandat des Conseils européens de Cologne et de Tampere. Mais elle postule que les valeurs communes dont s’agit soit toutes retranscrites dans la Charte, et qu’elles le soient entièrement. Or, dans la mesure où le droit interne est un droit vivant et mouvant, et dans la mesure où la Convention a du arbitrer entre certains principes pour ne retenir que ceux qui sont conformes au droit positif à un moment donné, l’intangibilité des principes énoncés n’est pas acquise. Et l’exercice devient plus ardu, et plus intéressant, dès lors qu’il s’agit, au for des ordres juridiques nationaux, d’extraire – pour les mettre en exergue – les valeurs communes aux Etats membres délaissées de la Charte. Comment identifier les principes dont il est question et qui sont fondamentaux tant pour la personne humaine que pour l’ordre juridique communautaire ? Dans l’ensemble des constitutions nationales, ces principes sont relativement peu nombreux, mais leurs implications sont immenses. Une approche matérielle de droit constitutionnel comparé européen nous permet de recenser des droits de première génération : la religion et la propriété viennent en tête, ensuite la liberté personnelle, le droit à la sûreté et la liberté d’association, et en troisième lieu l’inviolabilité du domicile, la liberté de réunion, la liberté de la presse et le droit au juge282. Ce fonds commun de libertés peut toutefois avoir une densité normative variable et une justiciabilité différenciée283. 282 C. Grewe et H. Ruiz-Fabri, Droits constitutionnels européens, PUF, coll. Droit fondamental, 1995, §§ 124 et s., pp. 158 et s. 283 C. Grewe et H. Ruiz-Fabri, ibid., p. 159. 91 88 Principes constitutionnels communs – Approche structurelle. Cependant, l’approche matérielle de droit constitutionnel comparé connaît également les limites propres à toute approche matérielle. Ne faudrait-il pas étendre le champ de nos investigations à l’ensemble des principes structuralistes des ordres juridiques nationaux, notamment les principes procéduraux communs, aptes à garantir l’effectivité de la jouissance des droits de l’homme ? Ces principes fondent un patrimoine commun pour les démocraties284 : sous des formulations diverse, nous retrouvons, outre le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le concept d’Etat de droit, l’existence d’un contrôle de constitutionnalité confié à une juridiction spécialisée (une cour constitutionnelle), la démocratie parlementaire, la séparation souple des pouvoirs avec responsabilité du gouvernement devant le Parlement et la possibilité de dissolution du Parlement, le renforcement de l’exécutif, le rôle croissant du juge et une certaine conception de la démocratie locale. Force est de constater que les dispositions de la Charte sont imprégnées de ces principes et valeurs communs, même si elle leurs donne une expression épurée de toute considération constitutionnaliste. Par l’alinéa 2 de son Préambule, la Charte se réfère à la quintessence des constitutions nationales, mais ne l’intègre qu’imparfaitement dans l’ordre juridique communautaire. B) L’impact de la Charte sur les rapports inter-institutionnels 89 Une proclamation conjointe des Institutions communautaires. Symbolique unité des Institutions face aux droits fondamentaux, la proclamation de la Charte des droits fondamentaux par les Institutions285 constitue un « message clair 284 C. Grewe et H. Oberdorff, Les constitutions des Etats de l’Union européenne, éd. La documentation française, coll. Retour aux textes, Paris, 1999, p. 16 et s. 285 C’est-à-dire par le Conseil, la Commission et le Parlement européen. La Cour de Justice et la Cour des Comptes sont exceptées, car ce sont des autorités judiciaires, dépourvues en principe de tout pouvoir 92 hautement symbolique »286 à destination des citoyens, des Etats membres et des Etats candidats à l’adhésion. En effet, même sans valeur juridique formelle, la Charte engage ainsi les trois organes chargés du « pouvoir législatif » communautaire, à respecter non seulement les droits codifiés, mais également les principes généraux qui les ont inspirés. Rédigée « comme si » elle devait s’insérer dans les traités, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ressemble parfois plus à un code de bonne conduite qu’à une déclaration de droits. Bien sûr, le dernier alinéa du Préambule287 suggère que l’intégralité des droits s’impose aux Institutions et aux organes. Mais les droits et principes directement opposables aux Institutions sont relativement peu nombreux : le droit d’accès aux documents administratifs288, le principe de bonne gouvernance289, le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial290, et les droits de la défense291. Les Institutions et organes de l’Union ne sont d’ailleurs expressément cités qu’à l’article 41, paragraphes 1 et 3. Le Parlement européen apparaît à l’article 39, lequel traite du droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement européen. En somme, la Charte semble bien plus sûrement opposable aux Etats membres qu’aux Institutions qui l’ont proclamée. politique, et donc de la capacité de proclamer une Charte. Leur devoir de réserve les oblige à ne pas porter d’appréciation globale sur le droit qu’on leur demande d’appliquer. Même si, paradoxalement, la substance des droits reconnus dans la Charte est révélée… par le juge ! 286 V. A. Gruber, La Charte des Droits fondamentaux et l’Union européenne : un message clair hautement symbolique, Petites Affiches n°15, 22 janvier 2001, pp. 4-17. 287 « En conséquence, l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés ci-après. » 288 Article 42 de la Charte. V. supra paragraphe 55 et s. 289 Article 41 de la Charte. V. CJCE, 27 mars 1990, aff. C-10/88, Italie c/ Commission, Rec. 1990, p. I 1229. Ce principe résulte également d’une lecture a contrario de l’article 43 de la Charte, portant droit de saisine du médiateur. 290 Bien que cet article n’aille pourtant pas jusqu’à consacrer un droit d’accès au prétoire de la Cour de Justice, les principes y contenus lui sont applicables. V. infra. 291 Article 48 de la Charte. 93 90 La Charte et les procédures normatives. Si les Etats comme les Institutions ont l’obligation morale de respecter les droits fondamentaux tels que consignés dans la Charte, leur justiciabilité intrigue. Deux questions essentielles, ayant trait aux rapports entre les Etats et les Institutions, conditionnent l’avenir de la Charte : les Etats membres pourront-ils invoquer la Charte à l’occasion d’un contentieux en manquement initié par la Commission, pour exciper d’une exception d’illégalité d’un règlement ou d’une directive ? Un recours en annulation pourra-t-il être introduit par une Institution ou un Etat au nom de l’un de ces droits fondamentaux s’il estime que celles-ci n’ont pas adopté ou ont incomplètement adopté les règlements ou directives nécessaires à la jouissance harmonieuse des droits fondamentaux ? Si la CJCE s’en tient à une lecture littérale des articles 220 et 226 à 228 CE292, la Charte n’étant pas encore incorporée dans les traités ne devrait pas bénéficier d’une invocabilité formelle dans le cadre d’un contentieux en manquement. A l’inverse, méconnaître la Charte pourrait constituer, non une violation du présent traité, mais une infraction à « toute règle de droit relative à son application »293. En somme, si la Charte n’est que potentiellement applicable au contentieux en manquement, elle nous semble immédiatement opposable aux Institutions au contentieux de la légalité. 91 Conclusion du chapitre. Par delà les problèmes de lisibilité et les conséquences néfastes liées à leur extrapolation, nous pouvons garder un sentiment de satisfaction globale : la Charte n’est pas le texte empreint de byzantinisme juridique que l’on craignait. Le mérite de sa rédaction, qui traduit également sa plus grande faiblesse, est qu’elle se situe à cheval sur trois ordres juridiques aux divergences avérées : l’ordre juridique national, l’ordre juridique communautaire et l’ordre juridique conventionnel des droits de l’homme. Texte de compromis, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ressemble parfois à un texte de compromission, surtout si nous 292 Lesquels fondent la base juridique du recours en manquement. 293 Art. 230 al. 2 CE (nous qui soulignons). 94 nous penchons sur les normes d’application contenue dans la Charte. Cependant la recherche de l’effectivité n’est pas un travail aisé, et la Charte peut encore, en la matière, révéler de bonnes surprises… 95 TITRE SECOND : L’HARMONISATION DES MECANISMES DE GARANTIE ET D’EFFECTIVITE 92 Plan. Curieux mélange d’argile et d’or, la Charte des Droits fondamentaux se caractérise aussi par un étrange paradoxe : d’une part elle synthétise, pour en assurer une lecture unitaire, un corpus de normes fondamentales disparates, déjà en vigueur dans l’Union, d’autre part la Charte réserve aux Etats une marge de manœuvre suffisante pour que ceux-ci préservent leurs identités nationales, lesquelles s’expriment notamment à travers les droits fondamentaux. Toutefois, cette latitude laissée par la Charte ne doit pas leurrer : si l’autonomie institutionnelle et procédurale est préservée en matière de droits fondamentaux, elle ne peut aller jusqu’à rendre en pratique impossible ou difficilement accessible l’accès à une garantie effective des droits294. Tout au plus offre-t-elle la possibilité d’adapter les droits de la personne au contexte social (chapitre II). Une question demeure : est-il opportun de préserver, dans une Europe sans cesse plus soudée et plus étroite, une « uniformité différenciée » des droits fondamentaux ? Le principe d’application uniforme des droits fondamentaux communautaires se concilie-t-il avec le choix politique de maintenir une « intégration dans la diversité »295 des droits processuels ? (chapitre I) 294 CJCE, 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal, Rec. 1978, p. 629. 295 La question du respect des spécificités nationales a connu un regain d’intérêt dans la doctrine, au point que la Revue du Marché commun et de l’Union européenne lui a consacré, à partir de janvier 2001, une rubrique régulière, sous la direction de Pierre Maillet et sous le titre « l’Intégration dans la Diversité »… 96 PREMIER CHAPITRE : LE PRINCIPE D’APPLICATION UNIFORME EN MATIÈRE DE DROITS DES PERSONNES 93 Application uniforme et principe d’universalité. Rechercher les éléments propres à assurer une application uniforme des droits de l’homme par le biais de la Charte nécessite tout d’abord de définir le groupe de titulaires aptes à bénéficier des droits conférés. Or en matière de droits fondamentaux, le principe d’universalité prime. Derrière ce principe se situe l’idée que partout, quelque chose est du à l’individu en raison de sa nature, de sa qualité irréductible et imprescriptible d’être humain. De célèbres textes se sont fait l’écho de ce principe d’universalité : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ou la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948 traduisent une vocation à l’universalité296. Toutefois, si les droits de l’homme tendent à l’universalité, ils sont freinés dans leur ascension par les réticences, les objections et les désaccords des Etats, et nous pouvons dire, avec le professeur Wachsmann, que si « les droits de l’homme sont donc un universalisme (ils s’adressent à tous les hommes, sans distinction), ils ne sont pas universels »297. Si la Charte des 296 Ce texte n’est pas exempt de critique. La DUDH concilie mal les doctrines libérales et marxistes et, selon F. Sudre, “ elle est avant tout l’expression de l’individualisme occidental et affirmer son universalité, c’est affirmer que la conception occidental a vocation à l’universalité […] le concept d’universalité n’est pas admis par tous et n’est pas… universel. ” (F. Sudre, Droit international et européen des droits fondamentaux, op. cit., p. 41, point 22). Il est aisé d’affirmer l’universalité comme idéal ou comme éthique, il est bien plus difficile, sinon impossible, de mettre en pratique ce principe ou de lui donner un contenu juridique. 297 P. Wachsmann, Les Droits de l’Homme, éd. Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1992, p. 45, cité par F. Sudre, ibid. 97 droits fondamentaux n’emprunte que peu de principes à la DUDH298, la majorité des droits qu’elle confère aux personnes demeurent emprunts de ce même esprit d’universalité que l’on retrouve dans la Déclaration. L’uniformité d’application de droits universels semble être le corollaire logique de l’affirmation du principe d’universalité. Sans le principe d’application uniforme, quelle portée aurait l’affirmation de libertés dans le chef de tout être humain ? Il serait vide de sens de proclamer des droits propres à l’essence même des personnes pour leur dénier ensuite toute effectivité. Sur la scène internationale, le principe « d’application uniforme effective » peut se manifester de deux façons : soit les autorités nationales reconnaissent et garantissent le droit en question au bénéfice de la personne concernée, soit elles se soumettent à une autorité extérieure et indépendante299. Or, si le Droit international des droits de l’homme est riche de textes revendiquant, dans le chef de tout être humain, des droits et libertés propres, peu sont dotés d’un système de contrôle juridictionnel, dominé par une cour habilitée à trancher les litiges les opposant aux personnes victimes d’une violation de leurs droits fondamentaux300. 94 Application uniforme et protection prétorienne des droits fondamentaux. Le système de contrôle de la Convention européenne des droits de 298 Seuls l’article 1er de la Charte, qui dispose : “ La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. ”, et l’article 20 : “ Toutes les personnes sont égales en droit. ”, peuvent être rattachés à la DUDH. 299 Nous pouvons classer les mécanismes internationaux de contrôle spécifiques aux droits de l’Homme en deux catégories, selon qu’ils emploient des techniques juridictionnelles (caractéristique du modèle européen), ou non-juridictionnelles (propre au système universel, par exemple le Comité des Droits de l’Homme, instauré par l’article 29 du Pacte international sur les droits civils et politiques). 300 Seules deux conventions, d’assise régionale, organisent un contrôle juridictionnel des droits de l’homme : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et la Convention interaméricaine des droits de l’homme. Leurs cours sont ouvertes aux particuliers, à l’inverse des juridictions interétatiques classiques, qu’elles soient diplomatiques ou juridictionnelles. 98 l’homme, reposant sur le principe de garantie collective301, a donné aux droits fondamentaux européens une dimension inégalée. La Cour européenne des droits de l’homme veille, non seulement au respect des droits issus de la CEDH, mais également à leur impulsion, selon le principe d’interprétation dynamique des droits de l’homme302. Les arrêts de la Cour, revêtus de l’autorité de chose interprétée303, réalisent l’adaptation prétorienne des droits de la Convention aux changements sociaux européens. Mais si la Cour de Strasbourg est la seule interprète authentique de la Convention, la Cour de Luxembourg, dans sa contribution à l’essor des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire, s’est également inspirée de la Convention européenne des droits de l’homme304, tantôt en reprenant à son compte la lettre, l’esprit, ou la jurisprudence relatifs à la CEDH, tantôt en émettant des divergences305. Si les craintes d’incompatibilités existent, les risques de heurts entre les jurisprudences respectives doivent être relativisés306. Il n’en demeure pas moins qu’au nom du principe d’application uniforme, une clarification de l’autorité respective des deux cours européennes demeure souhaitable. 301 V. Cour EDH, 18 janvier 1978, Irlande c/ Royaume-Uni, A 25. 302 Selon ce principe, les droits de l’homme sont évolutifs. Ils s’interprètent de manière contextuelle, à la lumière des valeurs propres de la société qui les a érigés en droits fondamentaux, de son développement technologique, économique et social. V. F. Sudre, A propos du dynamisme interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme, JCP éd. G, n° 28, 11 juillet 2001, pp. 1365-1368. 303 Cour EDH, 18 janvier 1978, Irlande c/ Royaume-Uni, op. cit., attendu 158. 304 En déduisant d’abord de celle-ci des « indications » (CJCE, 28 octobre 1975, Rutili, Rec. 1975, p. 1219 ; CJCE, 3 mai 1981, Pecastaing, Rec. 1981, p. 716), avant d’appliquer directement certains articles de la Convention dans l’ordre juridique communautaire (CJCE, 17 décembre 1998, aff. C-185/95 P, Bausthalgewebe GmbH, Rec. 1998, p. I-8417, s’agissant de l’article 6 CEDH ; CJCE, 8 juillet 1999, aff. C 235/92 P, Montecatini SpA, Rec. 1999, p. I-4539, s’agissant des articles 10 et 11 CEDH). 305 V. par exemple les jurisprudences CourEDH, 30 mars 1989, Chapell, A 152 et 16 décembre 1992, Niemietz c/ Allemagne, A 251-B, et CourEDH, Vermeulen et CJCE, Ord. 4 février 2000, Emesa Sugar c/ Aruba, Rec. 2000, p. I-665. 306 V. Constantinesco, Le renforcement des droits fondamentaux après Amsterdam, ronéotypé, op. cit. 99 95 En l’absence d’une adhésion formelle des Communautés à la CEDH307, aucune hiérarchie structurelle – par la subordination de la Cour de Luxembourg à la Cour de Strasbourg – ou matérielle – par une obligation de conformité de la jurisprudence communautaire à la jurisprudence conventionnelle des droits de l’homme - ne peut être instaurée. Si une telle adhésion paraît souhaitable308, avec les conséquences techniques qu’elle entraîne, il n’en demeure pas moins que les deux juridictions européennes des droits de l’Homme ont, dans l’ensemble, collaboré en bonne intelligence. Le principes d’universalité et d’application uniforme des droits de l’homme n’étant pas absolus, ils ne soumettent pas les jurisprudences respectives à une obligation de conformité, mais à une recherche de compatibilité. Or il n’est pas certain que la Charte des droits fondamentaux soit extrêmement rigoureuse à ce propos. 96 Plan. C’est surtout au regard des exigences propres aux principes d’application effective et d’application uniforme que la Charte laisse sceptique (section II). A l’inverse, s’agissant du principe d’universalité, la Charte respecte et encourage la reconnaissance de droits au bénéfice de tous les individus (section I) : la grande majorité des droits reconnus sont proclamés au bénéfice de « toute personne », sans discrimination. Cette universalité n’empêche pas la détermination de catégories de bénéficiaires spécifiques. SECTION I : L’UNIVERSALITE DES DROITS 97 Processus de spécification. La détermination de catégories de bénéficiaires spécifiques, dépassant les droits civils et politiques ou économiques et sociaux attribués 307 CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, Adhésion de la Communauté à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rec. 1996, p. I-1759, op. cit. 308 F. Benoît-Rohmer, L’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme, RUDH n°1-2, 15 septembre 1995, pp. 58-60. 100 à « toute personne », n’est pas un phénomène nouveau, même si la Charte en constitue une expression particulière. En effet, la dynamique propre aux droits fondamentaux invite à dépasser l’égalité purement arithmétique au profit d’une égalité différenciée. L’égalité ne signifie pas l’égalitarisme. Autrement dit, une conception purement égalitariste des droits de l’homme, laquelle attribue les mêmes droits à tout un chacun, ne reconnaît pas la situation spécifique de certaines personnes ou de certains groupes de personnes. La doctrine lui préférera une conception égalitaire des droits de l’homme, qui consiste à prendre en compte certaines caractéristiques propres à des minorités qu’il faut protéger. C’est pourquoi, loin de violer le principe d’universalité des droits fondamentaux, le processus de spécification l’honore et complète le catalogue de droits découlant de ce principe. 98 L’expression « processus de spécification » est attribuée, par Franck Moderne309, à M. Bobbio310, lequel conçoit ce processus de concrétisation comme « le passage graduel, chaque fois plus accentué, à une détermination ultérieure des sujets titulaires de droits fondamentaux ». Conformément à la fiction juridique de l’homo juridicus, les titulaires des droits dits de « première » ou de « deuxième » génération, voire de « troisième » génération, sont désignés en termes catégoriels (« homme », « citoyen ») ou en termes génériques (« tous », « chacun », etc.). Une telle généralisation faisait fi des situations concrètes, du contexte économique et social, ou de la situation culturel ou politique de la personne. Or, c’est précisément la lutte contre la discrimination qui invite à une différenciation, non pas péjorative et aliénante, mais appliquée de manière positive. Le but de ces discriminations positives est de garantir le droit à la différence de certaines minorités, et de prévenir toute violation des droits de 309 V. F. Moderne, La notion de droit fondamental dans les traditions constitutionnelles des Etats membres de l’Union européenne, in F. Sudre et H. Labayle, Réalité et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, op. cit. 310 V. N. Bobbio, L’Età dei diritti, Einaudi, Turin, 2e éd., 1992 ; N. Bobbio, Derechos del Hombre y Filosofia de la Historia, Anuario de derechos humanos, Madrid, n°5, pp. 27 et s., spéc. p. 37. 101 groupes sociaux considérés comme défavorisés311. Des régimes particuliers sont édictés et assurent la jouissance de droits fondamentaux propres aux catégories protégées312. En toute hypothèse, « l’idée sous-jacente, qui justifie l’apparition de nouveaux droits, est que ceux-ci sont nécessaires pour rétablir des équilibres que l’évolution sociale a perturbé et qu’en conséquence, la sélection des titulaires est la condition même de l’efficacité de ces droits. »313. 99 Plan. La Charte respecte le principe d’universalité et le consacre en la quasitotalité de ses dispositions. Toutefois elle sait également reconnaître diverses catégories de bénéficiaires (§1), leur réservant, ponctuellement mais expressément, la jouissance de droits et libertés propres. Or, le principe d’universalité, est-il besoin de le rappeler, n’est pas spécifique au droit communautaire. Si ce principe constitue le « Nombre d’Or » dans l’architecture interne de la Charte, il existe aussi au sein des autres ordres juridiques européens. Autrement dit, l’attribution de droits à toute personne implique des interconnexions entre l’ordre juridique communautaire et les autres ordres juridiques européens, déterminantes pour le déploiement de la Charte en Europe (§2). 311 Des régimes spéciaux ont ainsi été proclamés, au bénéfice des femmes, des enfants, des handicapés, des prisonniers, des personnes âgées, des minorités sexuelles, etc. 312 La question peut se poser de savoir si les catégories de « consommateurs » ou « d’usagers du service public » constituent ou non des catégories susceptibles de protection. Si quelques constitutions nationales ont admis une protection spécifique des individus ayant ces qualités, leur élection au titre de « minorités » laisse dubitatif. 313 F. Moderne, La notion de droit fondamental dans les traditions constitutionnelles des Etats membres de l’Union européenne, op. cit. 102 §1) Les différentes catégories de bénéficiaires 100 Typologie des catégories retenues. Cette question, qui semblait complexe au départ des travaux, a été résolue de manière pragmatique : chaque droit détermine ses titulaires. Dans le respect du principe d’universalisme, la plupart des droits reconnus sont conférés à « toute personne », c’est-à-dire tout individu ou toute personne morale relevant de la juridiction des Etats membres de l’Union, indépendamment de sa nationalité ou de son lieu de résidence. Toutefois les citoyens de l’Union bénéficient d’une protection spécifique. D’autres catégories de personnes sont protégées à raison d’une vulnérabilité particulière : les enfants (articles 24 et 32 de la Charte), les personnes âgées (article 25), les personnes handicapées (article 26) et les femmes enceintes ou jeunes mères (article 33, paragraphe 2). D’autres, enfin, sont protégés pour des motifs socio-professionnels : les travailleurs (articles 27, 28, 30 et 31). 101 Cependant, l’attribution de droits à certains groupes n’est pas complète ; la Charte n’épuise pas toute la logique du processus de spécification314. Tout d’abord, nous relevons des libertés fondamentales qui n’ont pas de titulaires déterminés315. Ceci tient au fait que certaines dispositions n’établissent pas des droits subjectifs qui puissent être directement invoqués par des individus, mais plutôt des principes opposables aux organes communautaires et aux autorités nationales dans l’exercice de leurs compétences316. Tel est le cas, par exemple, de l’accès aux prestations de sécurité sociale (article 34, paragraphe 1 de la Charte). Dès lors, s’il est délicat d’interpréter et d’évaluer la portée pratique de ce silence, il serait absurde d’affirmer des droits qui ne protègent personne. Les principes d’effet utile et d’universalité supposent dans ce cas 314 Ce qui complique tout de même la lisibilité d’ensemble de la Charte, v. titre I, chap. II. 315 Ce qui ne signifie pas que les bénéficiaires de ces dispositions soient indéterminables… 103 que tout individu puisse en être titulaire. Nous inclinerons donc en faveur d’un champ d’application ratione personae maximal. En outre, la Charte n’opère pas de cloisonnement étanche entre les différentes catégories sus-énumérées. Certains droits sont simultanément reconnus au bénéfice de plusieurs groupes de bénéficiaires. Au titre de ces droits partagés, nous relèverons le droit d’accès aux documents administratifs (article 42), la saisine du médiateur (article 43) et le droit de pétition devant le Parlement européen (article 44), alloués à la fois aux citoyens et citoyennes de l’Union et aux personnes résidents dans l’Union. D’autres droits des citoyens peuvent être étendus au bénéfice des ressortissants des pays tiers, à l’instar de la liberté de circulation et de séjour (article 45 § 2). 102 Plan. En matière de sélection des bénéficiaires, la Charte est donc relativement souple. Les rédacteurs de ce corpus européen de droits fondamentaux ont allié formulations générales et tournures particulières, non seulement pour garantir les droits présents dans le patrimoine des individus, mais également pour préserver – sans le révéler entièrement – un potentiel de droits nouveaux au bénéfice des minorités. A l’heure de la revalorisation de la place des femmes, le lecteur notera la « genderisation »317 de la Charte, qui porte protection des personnes (B), et non plus simplement des « hommes », désignation abusivement érigée au rang de terme universel. Toutefois, il nous faut au préalable cerner la géographie et les populations protégées : une distinction doit être opérée entre ressortissants communautaires et ressortissants extra-communautaires (A). 316 Communication de la Commission du 13 septembre 2000, COM(2000) 559 final, Communication sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, point 25, p. 8. 317 F. Benoît-Rohmer, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Dalloz n°19, 10 mai 2001, p. 1488. Toutefois, l’article 53 revient au terme générique de « droits de l’Homme » ; la parité n’a pas encore entièrement conquis la linguistique des hautes instances de l’Union ! 104 A) Ressortissants communautaires et ressortissants des Etats tiers 103 Charte et citoyenneté. L’insertion, dans une charte de droits dits fondamentaux, d’un chapitre protégeant spécifiquement le citoyen, qui constitue une exception au principe d’universalisme, est justifiée si l’on considère la citoyenneté comme fondement d’une protection plus avancée des droits de l’homme, par rapport au système général. Au sein de l’ordre juridique communautaire, la Charte des droits fondamentaux reprend, sans les développer ni les amoindrir, les droits des citoyens et citoyennes de l’Union déjà affirmés dans le droit originaire318. Cette absence de tout progrès n’est guère étonnante : d’une part, la Charte n’a pas vocation à développer l’acquis, mais a bien pour but de codifier le droit positif, d’autre part la citoyenneté et les droits y afférents sont un sujet délicat. La frilosité des Etats membres - dont a hérité la Convention - tient au fait que l’émergence de droits propres à la citoyenneté n’est pas indifférente de la forme politique de l’Union319. Au résultat, les citoyens et citoyennes disposent de droits propres et de droits partagés avec d’autres catégories de personnes. Les droits propres sont les droits de participation politique (la liberté de réunion et d’association au sein d’un parti politique européen320 le droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement européen321 ainsi qu’aux élections municipales322) et la liberté de circulation323. Les droits partagés sont des extensions de droits réservés dans les traités aux titulaires de la citoyenneté à d’autres catégories de bénéficiaires. Il s’agit des droits 318 Art. 17 à 22 CE. 319 V. D. Simon, Les droits du citoyen de l’Union, RUDH n°1-2, 15 septembre 2000, p. 22. 320 Art. 12, paragraphe 2 de la Charte. 321 Art. 39 de la Charte ; art. 19, paragraphe 2 CE. 322 Art. 40 de la Charte ; art. 19, paragraphe 1 CE. 323 Art. 45, paragraphe 1 de la Charte ; art. 18, paragraphe 1 CE. 105 à une bonne administration324, à l’accès aux documents du Conseil, du Parlement européen et de la Commission325, au médiateur326, et enfin le droit de pétition devant le Parlement européen327. 104 Ni la Charte ni le droit communautaire ne sont pourtant l’unique creuset de la citoyenneté européenne. Si nous nous reportons aux contributions du Conseil de l’Europe328, rédigées par le juge Fischbach, « grâce à la Convention [de Rome], toute personne en Europe a le droit de porter les violations alléguées de la Convention devant la Cour de Strasbourg, qui a mis en place ce qui est considéré comme le plus efficace des mécanismes internationaux en matière de protection des droits de l’homme. Son existence s’est avérée constituer une protection importante pour les citoyens européens. »329. Sans contester la véracité de ces propos, nous pensons utile toutefois de dissiper quelque risque d’ambiguïté. Le juge Fischbach se place à la fois sur le terrain de l’universalité (toute personne) et de la citoyenneté (les citoyens), sans préciser qu’il se réfère à la citoyenneté nationale. En effet, si la citoyenneté européenne se superpose à la citoyenneté nationale sans la remplacer, aucune disposition du traité n’offre à ses titulaires de base légale pour saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Or, la Charte attribue des droits spécifiques aux citoyens de l’Union. Comment comprendre la 324 Art. 41 de la Charte. Il est étrange qu’un droit universel (les quatre alinéas de l’article 41 se référant à « toute personne ») soit inséré dans un chapitre consacré à la citoyenneté... Est-ce une simple erreur matérielle ou l’insertion de ce droit dans ce chapitre se révèle-t-elle la moins… inappropriée ? En effet, le droit à une bonne gouvernance ne se rapporte ni à la dignité, li à l’égalité, ni à la solidarité, etc. 325 Art. 42 de la Charte, reprenant l’art. 255, paragraphe 1 CE. 326 Art. 43 de la Charte. 327 Art. 44 de la Charte. 328 Contributions du Conseil de l’Europe à la Charte des droits fondamentaux, par MM. Fischbach et Krüger, du 17 décembre 1999 et du 21 février 2000 (http://www.consilium.eu.int/df/default.asp?lang=fr). 329 Ibid., p. 2, crochets ajoutés par nous, soulignement de l’auteur. 106 combinaison des articles 6, paragraphe 2 UE330, des droits du citoyens codifiés dans la Charte et des clauses de standard minimum des articles 52 et 53 de la Charte ? S’il est encore prématuré d’y lire une possibilité d’ouverture du prétoire de Strasbourg aux citoyens de l’Union contre celle-ci ou contre les Communautés331, il n’est pas interdit de penser que la Cour EDH, saisie d’une question sur les implications de la citoyenneté de l’Union, ferait triompher son point de vue… dans la plus stricte légalité communautaire. 105 Principe d’universalité et ressortissants d’Etats tiers. Ainsi que nous l’avons évoqué plus haut, la Charte effectue une distinction, légitime mais laborieuse, entre les citoyens de l’Union, ressortissants communautaires, et les ressortissants d’autres Etats membres. Légitime, une telle distinction l’est au regard des règles classiques du droit international. Les Etats membres, regroupés en Union, sont appelés à établir des lois applicables sur le territoire de l’Union, et réglementant les relations entre leurs peuples respectifs. Par conséquent, en tant que reflet de cette réalité constitutive des Communautés, la Charte concerne au premier chef les ressortissants des Etats membres. Laborieuse, la distinction précitée l’est au regard des dispositions protégeant les droits des étrangers. La Communauté n’a pas reçu de compétence pour légiférer au bénéfice des ressortissants extra-communautaires. Cependant, cette incompétence ratione personnae n’entraîne pas d’incompétence ratione materiae pour autant. C’est pourquoi, dès l’instant où le ressortissant d’un Etat tiers tombe sous la juridiction d’un Etat membre, il peut bénéficier des dispositions que la Charte reconnaît à son endroit. 330 A toute fin utile, rappelons sa première proposition : « L’Union respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (...) » 331 V. CommEDH, 10 juillet 1978, CFDT c/ Communautés européennes, D. et R. n°13, p. 231 ; CommEDH, 9 décembre 1987, Tête, D. et R. n°54, p. 52 ; CommEDH, 9 février 1990, M & Co c/ République Fédérale d’Allemagne, D. et R. n° 64, p. 138 ; CommEDH, 10 janvier 1994, Heinz c/ Etats contractants également parties à la Convention sur le brevet européen, D. et R. n° 76 B, p. 125. 107 106 Malgré cela, il peut paraître choquant d’opérer, au sein d’une Charte consacrée aux droits fondamentaux, une différenciation sur le fondement de la nationalité332. La question peut ainsi se poser de savoir ce qui justifie que certains droits, proclamés comme étant fondamentaux, soient réservés aux citoyens communautaires333, citoyenneté dont nous savons qu’elle est établie sur le fondement de la nationalité des Etats membres334. Ceci est d’autant plus étonnant que les droits expressément consacrés aux ressortissants d’Etats tiers sont peu nombreux : la liberté professionnelle335, le droit d’asile336 (indirectement) et, sous certaines conditions, la liberté de circulation et de séjour337. Cependant, les étrangers non-communautaires pourront revendiquer la protection accordée par d’autres dispositions de la Charte, sur le fondement de leur appartenance à d’autres catégories, comme les droits attribués à « toute personne », ou sur la base d’autres qualités, par exemple en tant que « travailleurs ». Si la clause de non-discrimination338 joue pleinement, celle-ci peut être également une clé d’ouverture de l’ensemble des droits de la Charte à leur bénéfice. 332 Une telle distinction étant, paradoxalement, prohibée par la Charte (v. art. 21 de la Charte) ! 333 V. Supra, § 103. 334 L’article 2 literra 3 UE énonce, parmi les objectifs de l’Union : “ [...] renforcer la protection des droits et des intérêts des ressortissants de ses Etats membres par l’instauration d’une citoyenneté de l’Union. ”. L’article 17 CE dispose : « 1. Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. 2. Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le présent traité. » 335 Art. 15, paragraphe 3 de la Charte. 336 Art. 18 de la Charte. 337 Art. 45, paragraphe 2 : “ La liberté de circulation et de séjour peut être accordée, conformément au traité instituant la Communauté européenne, aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un Etat membre. ” (nous qui soulignons). Cet article est le seul de la Charte a être formulé sur le mode de l’éventualité. 338 Art. 21 de la Charte, op. cit. 108 107 Une interrogation demeure : qu’advient-il des accords conclus à titre individuel par les Etats membres ou des accords d’association établis entre la Communauté et des Etats tiers, et contenant des dispositions préférentielles, à la lumière de la clause de la nation la plus favorisée ? Cette dernière est-elle opposable aux Institutions communautaires ? Dans une organisation internationale d’intégration, estelle invocable contre les Etats membres, par le biais de l’article 21 qui prohibe toute discrimination ? Cette lecture audacieuse de la portée du principe de non-discrimination s’accorde bien mal avec le mandat de Cologne, prohibant toute remise en cause de la répartition des compétences entre l’Union et ses composantes339. Par contre, elle est conforme au principe d’universalité qui imprègne la Charte. B) Une Charte portant protection des “ personnes ” 108 Un accroissement des titulaires ? Les droits reconnus à « toute personne » ou dont « nul » ne peut être privé sont le droit à la vie (article 2 de la Charte), le droit à l’intégrité de la personne (art. 3 § 1), l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (art. 4), la prohibition de l’esclavage et du travail forcé (art. 5), le droit à la liberté et à la sûreté (art. 6), au respect de la vie privée et familiale (art. 7), à une protection des données à caractère personnel (art. 8), les libertés de pensée, de conscience et de religion (art. 10), d’expression et d’information (art. 11), et de réunion et d’association (art. 12 § 1), le droit à l’éducation (art. 14 § 1), la liberté professionnelle et le droit de travailler (art. 15 § 1), le droit de propriété (art. 17 § 1), le droit à une protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition (art. 19 § 2), l’accès à un service de placement (art. 29), le droit à une protection contre tout licenciement lié à la maternité (art. 33 § 2), aux prestations de sécurité sociale (art. 34 § 2), à une protection de la santé (art. 35), à une bonne administration (art. 41), à un recours effectif devant un tribunal impartial (art. 47), la présomption d’innocence et les 339 Conclusions du Conseil européen de Cologne, op. cit. et alinéa 5 du Préambule de la Charte. 109 droits de la défense (art. 48) ainsi que le bénéfice des principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines (art. 49), et du principe non bis in idem (art. 50). L’essentiel de la Charte est ici énuméré. Les droits concernés sont quasiment tous des droits civils ou politiques, et hérités de la CEDH340. 109 Cependant, au nombre des « personnes » bénéficiant de dispositions universelles, encore faut-il ajouter une distinction et un complément. La distinction se retrouve à maints reprises dans la Charte, sous l’expression “ toute personne physique ou morale ”341. Et ici réside une véritable innovation de la Charte : pour la première fois sont définis, expressément dans le texte d’un instrument, plusieurs droits fondamentaux au profit de personnes désincarnées. Certes, la jurisprudence de la Cour européenne avait déjà ouvert son prétoire aux groupements et associations, et le protocole additionnel a consacré le respect des biens de « toute personne physique ou morale »342. Mais c’est bien la première fois que les personnes morales sont protégées343, au sein d’un texte de droits fondamentaux, par des dispositions autres que patrimoniales, et au même niveau que les personnes physiques. Le complément quant à lui se situe dans l’expression « résidant ou ayant son siège social sur le territoire de l’un des Etats membres »344. Cette exigence de localité, sans restreindre véritablement l’universalité du droit, tend à le conditionner. Reste à apprécier la notion de « résidence » ; une simple 340 Telles qu’actualisées par la jurisprudence de la Cour, les dispositions reprises couvrent les articles 1 à 11 (excepté 4, paragraphe 3) et 13 CEDH, 1 et 2 du protocole additionnel, 1 du protocole 6, et 4 du Protocole 7. 341 En ses articles 42 (droit d’accès aux documents), 43, (saisine du médiateur), 44 (droit de pétition). 342 Art. 1 du Protocole additionnel à la CEDH. 343 Même si une partie de la doctrine déplore la pauvreté de leur protection : J. Dutheil de la Rochère, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Regards sur l’Actualité, janvier 2001, p. 6. 344 Aux articles 34, paragraphe 2 (Sécurité sociale), 39, paragraphe 1 et 40 (droits de vote et d’éligibilité au Parlement européen et aux élections municipales), 42 (droit d’accès aux documents administratifs), 43 (saisine du médiateur) et 44 (droit de pétition devant le Parlement européen) de la Charte. 110 élection de domicile ne devrait-elle pas permettre aux personnes de revendiquer le bénéfice du droit, lorsque celui-ci est un droit fondamental ? 110 Une dénaturation de la discrimination positive ? Lorsqu’une personne, physique ou morale, n’est pas désignée spécifiquement par la lettre de la Charte, elle peut revendiquer au moins les droits fondamentaux dont bénéficient « toute personne », ainsi que les principes qui l’imprègnent lorsque ceux-ci sont justiciables345. En dépit des efforts de la Convention pour accorder une discrimination positive à certaines catégories de titulaires, les choix opérés dans l’attribution des droits et des libertés est porteur de confusion : comme il existe des dispositions protégeant spécifiquement les personnes morales, le lecteur sera tenté, indépendamment du principe d’universalité, de considérer que la protection de « toute personne » se réfère uniquement aux personnes physiques. D’ailleurs, pourquoi réserver la protection des personnes morales aux droits d’accès aux documents, de saisine du médiateur et de pétition devant le Parlement européen… sans généraliser d’autres droits et libertés, tel le droit de propriété346, pourtant attribué à « toute personne physique ou morale » dans la CEDH ? Un tel manque de cohérence se comprend d’autant plus mal, dans une Charte codificatrice du droit existant, que la contribution du Présidium mentionne expressément l’article 1 du Protocole additionnel à la CEDH comme source du paragraphe premier de cet article ! Alors, pourquoi cet oubli générateur de confusion ? 345 V. la distinction proposée par G. Braibant entre droits, principes, et objectifs, op. cit. 346 Art. 17, paragraphe 1er de la Charte : « Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour une cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général ». La « juste et préalable indemnité » annoncée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, a muté en indemnité « en temps utile ». Le droit communautaire n’exclut donc pas une expropriation pour cause d’utilité publique sans contrepartie immédiate. 111 111 Mais il y a plus grave que le risque de confusion : le risque de banalisation de la discrimination positive. Autrement dit, les catégories sociales nominativement retenues dans la Charte sont critiquables dès lors qu’elles assimilent des sous-catégories porteuses de revendications différentes. Ceci est patent dans les droits formulés de manière indirecte, c’est-à-dire formulés comme des obligations générales à la charge des Etats. Par exemple, l’article 22 de la Charte énonce : « l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique. » Cela signifie-t-il que sont tolérés tous les mouvements qui se revendiquent d’une religion, quelques soient leur respect des droits de l’homme347? Qui appréciera, au nom de l’Union, le caractère religieux d’un mouvement ? En définitive, les droits fondamentaux peuvent pâtir, dans leur ensemble, des quelques incertitudes inhérentes à une protection indifférenciée. Cela n’empêche pas la Charte de constituer un standard minimum de droits… §2) La consécration d’un standard minimum 112 Plan. La portée universelle de la Charte des droits fondamentaux implique que celle-ci déploie ses effets dans divers ordres juridiques. Cependant, l’application de la Charte ne peut être monolithique. Chaque ordre juridique réceptionnera les droits consacrés à la mesure de ses considérations pour les droits de l’Homme, de la place qu’il leur accorde, des garanties qu’il organise, de l’interprétation qu’il en donne. De subtiles nuances peuvent ainsi émerger de la variété des considérations, qu’elles soient nationales, européennes, ou internationales. Cependant, sauf à dénaturer les droits garantis, ces variations ne doivent pas prendre de vastes proportions. C’est pourquoi, quelque soit l’ordre juridique dans lequel elle s’insère, la Charte, comme standard minimum, doit conserver une application homogène. Réservant l’étude de ses rapports avec le droit national à plus tard, nous nous consacrerons essentiellement à étudier 347 CourEDH, 18 décembre 1996, Valsamis c/ Grêce, spéc. §§ 25 et 26. 112 l’insertion de la Charte dans l’ordre juridique européen (A), puis nous verrons en quoi la Charte peut dynamiser le Droit international des droits fondamentaux (B). A) L’insertion de la Charte dans l’ordre juridique européen 113 Autonomie du droit de l’Union. Il est tout aussi important pour l’effectivité de la protection et de la reconnaissance des droits des personnes, que la charte s’intègre de façon harmonieuse dans l’ordre juridique européen que dans les ordres juridiques des Etats membres. Or cette intégration ne doit remettre en cause aucun principe fondateur de l’ordre communautaire, tel que le principe d’autonomie du droit communautaire, érigé en règle constitutionnelle du système communautaire par les arrêts Van Gend en Loos348 de 1963 et Costa contre ENEL349 de 1964, et par l’avis 1/91350. Dès lors, les traités communautaires constituent « plus qu’un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre Etats contractants »351. Cette caractéristique du droit originaire de l’Union plaide en faveur d’une applicabilité immédiate matérielle, sans mesure de transposition ni perte d’identité, des droits garantis par la Charte dans les divers ordres juridiques européens. S’agissant plus précisément de son intégration dans l’ordre juridique de l’Union, la Convention a rédigé la Charte « comme si » elle devait être intégrée dans les traités. Sans préjuger de la volonté politique des Etats membres, force est de constater que si l’on avait préparé la Charte comme l’on prépare une déclaration politique, le dernier chapitre de celle-ci, 348 CJCE, 5 février 1963, aff. 26/63, Van Gend en Loos, Rec. 1963, p. 3. 349 CJCE, 15 juillet 1964, aff. 6/64, Costa c/ ENEL, Rec. 1964, p. 1141. 350 CJCE, avis 1/91, 14 décembre 1991, Espace Economique Européen, Rec. 1991, p. I-6079. 351 CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos, précité. 113 portant les « dispositions générales », le plus difficile et le plus âprement négocié, aurait été superflu352. Ces clauses sont le ferment du futur succès de la Charte. 114 Charte et adhésion à la Convention européenne des droits de l’Homme. Depuis l’avis 2/94353, la question de l’adhésion des Communautés ou de l’Union354 à la CEDH pose des problèmes techniques. D’aucuns ont présenté, à tort, ce contre-temps comme un refus judiciaire de l’adhésion, ou l’établissement d’un catalogue de droits fondamentaux comme l’enterrement définitif de tout projet d’adhésion. L’adoption de la Charte n’interdit pas aux Communautés d’adhérer à la CEDH. Longtemps la doctrine a considéré qu’un saut qualitatif serait réalisé si les Communautés se dotaient d’un catalogue de droits fondamentaux ou adhéraient à la CEDH. Or, la première n’exclut pas la seconde. Au contraire, les multiples références de la Charte à des droits issus de la CEDH, ainsi que la clause de standard minimum incluse dans l’article 53, plaident en faveur d’une adhésion. Les obstacles techniques à l’adhésion semblent surévalués. Ainsi que le relève Juliette Lelieur355 au sujet du Colloque organisé par l’IHEE à Strasbourg, les 16 et 17 juin 2000 : « la plupart des orateurs de ces journées d’étude s’accordent pour dire que la révision “ constitutionnelle ” des traités de l’Union imposée par la Cour pour rendre possible l’adhésion est beaucoup plus simple qu’on ne le laisse entendre ; certains d’entre eux la considèrent d’ailleurs comme souhaitable, notamment Mme Benoît-Rohmer ». Et cette dernière de souligner les mérites de l’adhésion356 : 352 Communication de la Commission, COM(2000) 644 final, du 11 octobre 2000, Communication sur la nature juridique de la Charte des Droits fondamentaux, points 7 et 8, p. 5. 353 CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, Adhésion de la Communauté à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rec. 1996, p. I-1759. 354 Même si cette dernière n’a pas encore de personnalité juridique aussi complète que la Communauté. 355 J. Lelieur, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, L’Astrée n°12, octobre 2000, p. 83. 356 F. Benoît-Rohmer, L’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme, RUDH n°1-2, 15 septembre 1995, pp. 58-60. 114 soumettre les Institutions communautaires à un contrôle juridictionnel externe, dynamiser les droits de l’homme, offrir aux individus des garanties procédurales supplémentaires, éviter que la primauté du droit communautaire ne puisse être remise en cause par les Etats membres, et accroître la crédibilité politique internationale de l’Union. B) La Charte : un creuset pour le droit international classique 115 Charte et réserves aux traités. Nous savons que l’Etat français a systématiquement opposé aux Hautes Parties contractantes des réserves visant à protéger certaines dispositions constitutionnelles. La France entendait ainsi se réserver toute latitude pour mettre en jeu l’article 16 de sa Constitution, lequel prévoit la remise des pleins pouvoirs au Chef de l’Etat, sans causer aucune infraction aux traités ratifiés, desquelles elle pourrait avoir à répondre. Or la Charte n’autorise aucune exception, ni ne permet non plus aux Etats, bien que la garantie de la plupart des droits consacrés leur incombe, d’émettre quelque réserve que ce soit. Mieux encore, la Charte opère une remise en cause indirecte de certaines réserves, pourtant valides au regard du droit international classique, par le biais de la clause horizontale de l’article 53. Par exemple est remise en cause la très controversée réserve française à l’article 15 CEDH, permettant d’obtenir un certain nombre de dérogations à la CEDH en cas de conflits, « de guerre ou de danger public pour la vie de la nation ». De même, tous les Etats membres ayant ratifié la Charte sociale européenne n’ont pas intégré les mêmes droits, ou les ont assorti de réserves quand cela était possible. L’absorption des droits sociaux dans la Charte s’analyse donc comme une impulsion donnée à la reconnaissance des droits économiques et sociaux tels qu’issus de la CSE et incite à considérer les Etats liés par certaines clauses auxquelles ils n’ont pas (ou pas encore) consenti. 116 Pour novatrice qu’elle soit, cette considération souffre cependant deux précisions. La première est qu’il ne s’agit là que d’une interprétation. Extensive, cette 115 interprétation entre en concurrence avec d’autres interprétations possibles de la clause de standard minimum de l’article 53357. En effet, la remise en cause des réserves à la CEDH résulte d’une lecture évolutive tant de la lettre de l’article 53 que de l’esprit général de la Charte, mus par la dynamique de la reconnaissance croissante des droits fondamentaux dans l’Union. La seconde remarque consiste à considérer que la renonciation implicite des Etats membres aux réserves formulées dans le cadre du système conventionnel des droits de l’homme existait déjà en germe dans le traité sur l’Union européenne, en son article 6358. Ce dernier, en se référant à la Convention de Rome, présuppose une lecture unitaire de cette convention par les Etats membres de l’Union. La Charte des droits fondamentaux ne ferait que communautariser cette lecture unitaire, amputée de l’intervention du juge de Luxembourg359. 117 Charte, droits intangibles et jus cogens. Le jus cogens regroupe les normes impératives du droit international général auxquelles aucune dérogation n’est permise, et qui l’emportent en particulier sur les engagements contractuels. Les règles de jus cogens ne peuvent être écartées, sinon par des règles de même nature360. Bien sûr, nous ne prétendons pas que la Charte des droits fondamentaux codifie les règles de jus cogens. Il faut la considérer comme un nouvel élément confortatif des droits de la personne au cœur de l’ordre juridique international, participant de la reconnaissance croissante de quelques droits fondamentaux comme règles du droit des gens. Si nous admettons, à l’instar d’Augustin Mascheret, que « le domaine des droits intangibles de la personne humaine est sans aucun doute celui où le concept de jus cogens trouve 357 V. infra, nos développements paragraphe 143, p. 137. 358 Op. cit., Introduction, § 4. 359 Sur la théorie de l’adhésion « de fait » à la CEDH, v. G. Cohen-Jonathan, L’adhésion de la Communauté européenne à la CEDH, JTDE, n°17, 16 mars 1995, pp.49-53. 360 Art. 53 et 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. V. P. Daillier et A. Pellet, Droit international public, 5e éd. LGDJ, 1994, p.200 et s., § 129 ; F. Sudre, Droit international et européen des droits de l’Homme, 4e éd. PUF, coll. Droit fondamental, p. 59 et s., §§ 42 et 43. 116 véritablement sa raison et sa raison d’être »361, alors nous devons également admettre que la Charte présente certaines dispositions comme normes de jus cogens362. La Charte, dotée des qualités nécessaires pour devenir un standard de protection, déploie ses vertus fédératrices à travers plusieurs ordres juridiques qui se chevauchent et s’interpénètrent. Toutefois, elle semble bien incapable de clarifier, de renforcer ou d’harmoniser les systèmes procéduraux nationaux ou européens. L’effectivité de la protection des bénéficiaires en pâtit, mais toute protection n’est pas réduite à néant. SECTION II : L’EFFECTIVITE DE LA PROTECTION DES BENEFICIAIRES 118 Les méthodes d’interprétation. L’effectivité de la protection des bénéficiaires est largement conditionnée par le sens et la portée conférés aux dispositions, et partant par les méthodes d’interprétation des conventions internationales. Au sein de chaque ordre juridique, le juge livre une interprétation authentique et enrichissante des droits garantis. Et la Charte n’échappera pas à 361 A. Mascheret, Le noyau intangible des droits de l’homme : sources nationales et internationales, in P. Meyer-Bisch, Le noyau intangible des droits de l’homme, éd. Universitaires de Fribourg (Suisse), 1991, 272 p., spéc. pp. 40-43 et 63-66. 362 C’est indubitablement le cas de la dignité humaine, présentée comme étant inviolable et devant être protégée (art. 1 de la Charte), et du principe d’imprescriptibilité des crimes internationaux (art. 49). Le principe de liberté corporelle (art. 6 de la Charte) s’en rapproche désormais. Certains auteurs nient la pertinence du recours au concept de jus cogens en matière de droits de l’Homme : F. Sudre, Droit international et européen des droits de l’Homme, 4e éd. PUF, coll. Droit fondamental, p. 65, § 44. 117 l’interprétation jurisprudentielle363. Sans doute est-il nécessaire, pour anticiper les futures dimensions des droits conférés, de rappeler les méthodes d’interprétation mises à la disposition des juges. 119 L’interprétation évolutive. La Cour européenne des droits de l’homme dispose d’une méthode d’interprétation originale : l’interprétation dite évolutive. La caractéristique de ce mode d’interprétation réside dans sa dynamique. Selon le postulat de la Cour EDH, la CEDH est un traité-normatif, non un traité-contrat (les obligations assumées par les Hautes Parties contractantes ne sont pas soumises au principe de réciprocité). Par conséquent, les dispositions de la CEDH sont constamment réactualisées pour bénéficier d’un contenu concret, et s’évaluent à la lumière de l’évolution sociale et des progrès scientifiques et techniques364. Il s’ensuit, selon l’expression de L. Condorelli, un « processus de dilatation »365, qui permet aux droits fondamentaux de gagner de plus en plus d’ampleur366, et offre à la CEDH une portée extensive. Dans un article récent, le professeur Sudre a apporté une nouvelle critique à la méthode d’interprétation évolutive. Selon lui, « La Convention européenne des droits de l’Homme fait l’objet de la part du juge européen d’une interprétation progressiste qui concourt sans conteste au développement des droits garantis. Il apparaît, 363 Le Tribunal de Première Instance nous a déjà livré une première prise en compte de la Charte dans l’arrêt Mannesmannrörhen, op. cit., § 73. Si la Cour ne s’est pas encore prononcée, les conclusions des Avocats généraux l’y incitent instamment. V. par exemple : Conclusions de M. S. Alber sous aff. C340/99, TNT Traco, rendues le 1er février 2001, non publiées au Recueil, point 94, Conclusions de M. J. Mischo sous aff. jtes C-125/99 P et C-122/99 P, D. c/ Conseil, rendues le 22 février 2001, non publiées au Recueil, point 97, ou les conclusions Philippe léger sous Hautala, op. cit., chapitre précédent, § 86. 364 E. Kastanas, Unité et diversité, notions autonomes et marge d’appréciation des Etats dans la jurisprudence de la CEDH, éd. Bruylant, Bruxelles, 1996, 480 p. 365 L. Condorrelli, Commentaire de l’article 1 du Protocole n°1, in L.E. Pettiti, E. Decaux et P.-H. Imbert, La Convention européenne des droits de l’homme, éd. Economica, Paris, 1995, pp. 971-997. 366 Pour un exemple d’application, dans le domaine social, de droits civils et politiques, v. CourEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche, A n°14, Rec. 1996-IV, p. 1129. 118 contrairement à une idée reçue, que ce résultat est moins le produit d’une interprétation de la Convention qui s’appuierait sur l’évolution commune des systèmes juridiques nationaux que d’une démarche « constructive » du juge européen. »367. Ni le contrôle d’opportunité ni l’appréciation politique ne seraient donc totalement absents de la méthode d’interprétation dynamique. 120 Les méthodes d’interprétation systémique et téléologique. Pour garantir l’effectivité de la protection des bénéficiaires, le juge communautaire a lui aussi développer des méthodes d’interprétation des traités de Rome. La première est la méthode d’interprétation systémique368, selon laquelle le juge apprécie une disposition particulière du droit communautaire à l’aune de l’économie générale des traités. La seconde est la méthode d’interprétation téléologique369. Fondée sur le principe de l’effet utile des traités, cette seconde méthode permet de déduire, par une appréhension des finalités de la Communauté, des conséquences insoupçonnées, tout en manifestant dans l’interprétation du droit international une réserve plus grande. 121 Complémentarité des méthodes d’interprétation. Devant la diversité des logiques juridiques employées par les juges européens, et suivant les méthodes retenues, d’aucuns pourraient raisonnablement craindre un télescopage des jurisprudences dans l’interprétation des droits garantis, qui aboutirait à un risque d’incompatibilité, sinon de 367 F. Sudre, A propos du dynamisme interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme, JCP éd. G., n°28, 11 juillet 2001, p. 1365. 368 CJCE, 15 juillet 1964, aff. 6/64, Costa c/ ENEL, Rec. 1964 p. 1141. La méthode d’interprétation systémique se réfère à l’originalité du système communautaire pour établir le contenu des droits et obligations. 369 CJCE, 5 février 1963, aff. 26/62, Van Gend en Loos, Rec. 1963, p.3. La méthode d’interprétation téléologique signifie que la Cour se réfère aux objectifs et à l’effet utile des traités pour éclairer, compléter ou éventuellement édicter certains droits et obligations. 119 divergence entre la Cour de Strasbourg et celle de Luxembourg370. D’autant plus que les méthodes employées par les juges européens semblent s’éloigner des règles classiques de lecture fournies par le droit international général, notamment par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités.. loin d’être concurrentes, les méthodes d’interprétation des droits de l’Homme sont complémentaires. Que le juge raisonne de manière systémique, téléologique ou dynamique, son interprétation se fondera toujours sur la lettre et l’esprit des droits fondamentaux, à la lumière de leur développement en Europe. Ces droits ressortent notamment, non pas d’un minimum commun synthétisé par le juge à un moment donné – sorte « d’écart-type » calculé à partir de paramètres hétéroclites – mais d’une systémique des contentieux nationaux et internationaux qui dynamise la discipline unitaire des droits de l’Homme. Comme le relève Mlle RébeccaEmmanuèla Papadopoulou : « Le fait que la Cour interprète les textes […] en fonction de leur économie, de leur but ainsi que de leur place dans le système du traité afin de leur donner un maximum d’efficacité, démontre qu’elle a recours conjointement à l’interprétation téléologique et systématique. »371 On serait tenté de compléter : « […] et évolutive ». En somme, la gamme des méthodes d’interprétation des conventions internationales s’inscrit tout entière dans la dynamique des droits fondamentaux. 122 Plan. Oscillant entre harmonisation et respect de l’autonomie nationale, à cheval sur les ordres juridiques nationaux, communautaire, et conventionnel des droits de l’homme, la Charte vient troubler le processus d’intégration des droits fondamentaux en Europe, en enregistrant une certaine diffraction des mécanismes de garantie (§1). D’aucuns se consoleront de constater que, malgré cette dispersion des garanties procédurales, le droit d’accès au juge est à nouveau proclamé (§2). Malheureusement, 370 La doctrine s’accorde pourtant à dire que les risques sont sur-évalués : M. Darmon, La prise en compte des droits fondamentaux par la CJCE, Rev. de Science criminelle n°1, janvier 1995, pp. 27. Contra F. Benoît-Rohmer, L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., supra p. 59, qui aspire à une homogénéité de jurisprudence quasiment absolue. 371 R.-E. Papadopoulou, Principes généraux du droit et droit communautaire, éd. Bruylant, 1996, p. 56. 120 l’exceptionnelle variété des tribunaux et procédures nationaux risque de constituer une entrave à la revendication concrète des droits de l’homme par les titulaires, préjudiciable à l’intégration comme à l’effectivité des droits fondamentaux. §1) Une diffraction des mécanismes de garantie 123 L’intégration dans la diversité. L’intégration des droits fondamentaux en Europe n’est pas l’apanage de la Charte, non plus du système communautaire. Il est essentiellement le fruit de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La Convention européenne des droits de l’homme exprime une part de ce « patrimoine commun » des démocraties occidentales, et ses dispositions constituent le seuil minimal d’harmonisation des procédures internes des Hautes Partie contractantes. Les dispositions dont s’agit sont les articles 6 (droit à un tribunal indépendant et impartial) et 13 CEDH (droit à un recours effectif). La Convention de Rome n’a pas pour objectif une uniformité absolue des droits internes, qui conservent leurs caractéristiques spécifiques, quant au fond et quant à la procédure372. L’objectif réel de la CEDH est d’harmoniser les ordres juridiques nationaux en fonction du minimum commun de protection qu’elle définit373. 124 Intégration des procédures et objectifs. Au regard de l’œuvre accomplie par le système conventionnel, nous pouvons nous demander si la Charte ne se montre pas largement contre-productive. En effet, la justiciabilité des droits garantis par la Charte est obscurcie par un double renvoi aux législations et pratiques nationales374, mais également par la formulation indirecte de droits, présentés comme des principes ou des objectifs devant être atteints. C’est le cas de la dignité humaine (article 1 de la 372 CourEDH, 26 avril 1979, Sunday Times, A 30, § 61. 373 F. Sudre, Droit international et droit européen des droits de l’homme, op. cit., § 197, p. 290. 374 V. infra Titre II, chapitre II, section I, premier paragraphe. 121 Charte), du droit de se marier et du droit de fonder une famille (art. 9), de l’objection de conscience (art. 10 § 2), de la liberté et pluralisme des médias (art. 11 § 2), de la participation de partis politiques européens (art. 12 § 2), de la liberté des arts et des sciences (art. 13), de la création d’établissements supérieurs d’enseignement (art. 14 § 3), de la liberté d’entreprise (art. 16), de la propriété intellectuelle (art. 17 § 2), du droit d’asile (art. 18), de la diversité culturelle, religieuse et linguistique (art. 22), de l’égalité entre les hommes et les femmes (art. 23), du droit à une vie familiale (art. 33 § 1), du droit d’accès à la sécurité sociale et à une aide sociale (art. 33, §§ A et 3), du droit d’accès aux services d’intérêt économique général (art. 36), du principe de proportionnalité des délits et des peines (art. 49 § 3). Nul ne contestera la nécessaire justiciabilité des droits ici évoqués. Cependant, leur formulation passive laisse, en pratique, toute discrétion aux Etats membres pour organiser leur garantie effective de ces droits. 125 Plan. De la contradiction née entre les liberté procédurales nationales et l’harmonisation des droits processuels va naître un hiatus de la Charte, lequel risque de pérenniser l’hétérogénéité des procédures nationales (A) sans offrir toutefois les garanties propres au système de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires (B), qui souffre lui-même d’insuffisances. A) L’hétérogénéité des procédures nationales. 126 Le principe d’autonomie institutionnelle et procédurale. L’hétérogénéité des droits processuels nationaux est en grande partie due au principe d’autonomie institutionnelle et procédurale, principe structurel de l’ordre juridique communautaire. Selon ce principe, chaque ordre juridique national est libre d’organiser comme bon lui semble son système judiciaire. En effet, si le juge communautaire peut affirmer à son niveau la primauté de la norme communautaire, il n’a pas le pouvoir d’annuler la norme nationale contraire. Il appartient aux autorités nationales, et en particulier aux 122 juridictions nationales, de neutraliser, dans l’ordre juridique national, les effets de la norme déclarée incompatible avec les engagements des traités. Le célèbre arrêt International Fruit Company375 synthétise ainsi ce principe : « […] lorsque les dispositions des traités ou des règlements reconnaissent des pouvoirs aux Etats membres ou leur imposent des obligations aux fins de l’application du droit communautaire, la question de savoir de quelle façon l’exercice de ces pouvoirs et l’exécution de ces obligations peuvent être confiés à des organes déterminés, relève uniquement du système constitutionnel des Etats membres. »376. Ainsi, les Etats membres voient la préservation, au niveau communautaire, de leurs procédures nationales, quelles que soient les spécificités de celles-ci (la seule condition que les droits fondamentaux internationaux leur impose, jusqu’à présent, est de garantir l’effectivité d’accès à un tribunal377). Si ce principe a connu quelques aménagements, sinon un revirement378, il imprègne encore fortement les rapports judiciaires entre la Communauté et les tribunaux nationaux379. 127 L’absence de système communautaire de garantie des droits fondamentaux. Si nous pouvons relever, dans le système communautaire, les indices de mécanismes juridictionnels de garantie, force est de constater que la Charte ne contient aucune disposition procédurale d’harmonisation des procédures nationales. Les mécanismes existent, certes. Mais le système fait défaut. La Charte est respectueuse de 375 CJCE, 15 décembre 1971, aff. jtes 51 à 54/72, International Fruit Company, Rec. 1971, p. 1107. V. également CJCE, 4 avril 1968, aff. 34/67, Lück, Rec. 1968, p. 294. 376 Ibid., cons. 4. 377 V. notamment CJCE, 15 mai 1986, Johnston, op. cit. ; art. 13 CEDH. 378 V. infra Chapitre II, Section I, paragraphe 1, A), § 161 nos développements sur le principe d’encadrement de l’autonomie procédurale. 379 V. CJCE, 19 juin 1990, aff. C-213/89, Factortame, Rec. 1990, p. I-2433 : le juge national peut prendre des mesures provisoires dans l’attente de l’arrêt définitif de la Cour, notamment pour prévenir 123 l’architecture juridictionnelle existante, c’est-à-dire d’un ordre juridique communautaire dont les droits de l’Homme sont échafaudés au hasard de la casuistique, et des revendications présentées au prétoire380. En codifiant les droits fondamentaux clairsemés dans les textes communautaires, la Convention contribue à solutionner les incomplétudes du système communautaire en matière de droits de l’Homme, afin que s’accomplisse un véritable système communautaire de protection des droits fondamentaux. 128 Un juge communautaire des droits de l’Homme. Compte tenu du calendrier imparti à la Convention, nul ne pourra lui reprocher de ne pas avoir posé les fonds baptismaux d’une instance communautaire des droits de l’homme, et rien dans la Charte n’impose que les questions relatives aux droits fondamentaux soient tranchées par un juge particulier ou ad hoc381. Les seules obligations procédurales incombant aux juridictions des Etats membres, ainsi qu’aux chambres des juridictions et organes communautaires, sont des obligations d’indépendance, d’impartialité, de diligence et de publicité des audiences (art. 47 de la Charte). Toutefois, nous pouvons nous demander si l’instauration d’un tribunal communautaire spécialisé dans les droits fondamentaux serait de bon aloi. Le traité de Nice, en posant les prémisses d’une réforme de l’architecture juridictionnelle communautaire, a prévu l’instauration de chambres de l’imminence d’un préjudice grave et irréparable, pour garantir l’effectivité de l’arrêt futur ou pour préserver les intérêts présents. 380 Lesquelles ne recoupent pas nécessairement toutes les revendications contemporaines en matière de droits de la personne. V. FIDH, Une Charte des Droits fondamentaux pour l’Union européenne : un réel progrès ?, Rapport n°287, novembre 1999, pp.4 et s. 381 Au sujet de l’architecture juridictionnelle, notons que, curieusement, nulle disposition de la Charte ne garantit le double degré de juridiction… 124 recours spécialisées382. Or, rien dans le nouvel article 225 bis CE383 n’interdit la création d’une chambre spécialisée dans les droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle serait appelée à trancher les litiges relatifs à l’interprétation de la Charte. Néanmoins, les droits fondamentaux ne constituent pas une discipline cloisonnée, mais sont caractérisés par leur interdisciplinarité ; ils sont rarement violés de manière autonome, et certains se rattachent nécessairement à d’autres contentieux portant sur d’autres droits matériels384. C’est pourquoi, l’instauration d’une juridiction communautaire spécialisée dans les infractions aux droits essentiels, notamment les violations de la Charte, risquerait fort d’aboutir à un éclatement du contentieux, sans pour autant assurer l’harmonisation des procédures nationales. B) La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires 129 L’organisation d’un réseau judiciaire européen. La coopération judiciaire en matière civile est principalement organisée par les articles 61 et 65 CE, ainsi que par les conventions de Bruxelles et de Lugano, respectivement en date du 27 septembre 1968 et du 16 septembre 1988385. L’essentiel de la Convention de Bruxelles, pierre 382 Nouvel article 220 al 2 CE : « En outre, des chambres juridictionnelles peuvent être adjointes au Tribunal de première instance dans les conditions prévues à l’article 225 bis pour exercer, dans certains domaines spécifiques, des compétences juridictionnelles prévues par le présent traité. » 383 L’article 225 bis al 1 CE a un champ d’application particulièrement vaste : « Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et de la Cour ou sur demande de la Cour de Justice et après consultation du Parlement européen et de la Commission, peut créer des chambres juridictionnelles chargées de connaître en première instance de certaines catégories de recours formés dans des matières spécifiques. » 384 Ainsi en est-il de l’article 14 CEDH, jusqu’à une date récente, la Cour de Strasbourg n’a jamais accordé d’autonomie à cet article. V. titre II, chapitre II, section II, paragraphe 1. 385 Convention de Bruxelles, du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOCE n° C 27 du 26 janvier 1998, p. 1 (version consolidée) ; 125 angulaire de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière civile et commerciale, a été communautarisé dans un règlement du Conseil386. Ceci constitue la première étape de l’organisation d’un réseau judiciaire européen387, qui, si le titre exécutoire européen était adopté, intégrerait davantage les droits processuels des Etats membres, privant les procédures d’exequatur de toute utilité. D’autres textes normatifs constitutifs de ce réseau judiciaire européen sont attendus. Même si les contributions institutionnelles relatives à la mise en place du réseau judiciaire européen ne mentionnent pas la Charte, celle-ci aura une influence particulière sur la manière dont se construira cet espace. 130 L’inadéquation des procédures classiques en matière de droits fondamentaux. Les mécanismes mis en place par les Conventions de Bruxelles et Lugano ne permettent pas d’obtenir, dans l’Union, une totale satisfaction en matière de reconnaissance mutuelle des décisions de Justice, et partant d’effectivité du droit au juge. Cette insatisfaction survient particulièrement dans le domaine de l’état civil, et de manière criante en matière de régimes matrimoniaux. Jusqu’à ce jour, aucune procédure de reconnaissance mutuelle ne vient harmoniser les droits procéduraux des Etats membres. Dès lors, le droit communautaire ne protège pas contre l’absence de Convention de Lugano, du 16 septembre 1988, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOCE n° L 319 du 25 novembre 1988, pp. 9 – 33. 386 Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale JOCE n° L 12 du 16 janvier 2001 pp. 1 – 23. 387 V. Conclusions du Conseil européen de Tampere, points 33 à 38. V. également, la décision du Conseil, du 28 mai 2001, relative à la création du Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale, Bull. UE 5-2001, point 1.4.9. ; V. enfin, la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, du 23 mai 2001, COM(2001) 278 final, Mise à jour du tableau de bord pour l’examen des progrès réalisés en vue de la création d’un « espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union européenne », p. 17. 126 reconnaissance par l’administration d’une union légalement établie388 dans un Etat membre entre deux individus, dès lors que le couple use de sa liberté de circulation et d’établissement. La Cour européenne des Droits de l’homme continue de ménager la marge de manœuvre nationale en matière d’état civil389. Le système européen des droits de l’homme semble donc moins protecteur de la vie privée et de l’état des personnes appartenant à certaines minorités que ne le laisse espérer l’article 9 de la Charte. En définitive, y compris au sein de la Charte, la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires demeure incomplète. La possibilité pour toute personne de saisir le juge comblera-t-elle les lacunes des procédures européennes ? § 2 ) L’accès à un tribunal 131 L’article 47 de la Charte. Que les procédures nationales soient uniformisées ou hétéroclites, il n’en demeure pas moins que la Charte garantit à « toute personne » le bénéfice d’un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial. L’article 47, premier alinéa, de la Charte est ainsi formulé : « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. ». Calquant l’article 13 CEDH, la Convention transpose et développe un principe 388 Quel que soit le mode d’obtention, administratif ou judiciaire, du statut obtenu. V. CJCE, 31 mai 2001, aff. jtes C-122/99 P et C-125/99 P, D. et Suède c/ Conseil, non publié au Recueil. 389 V. Le refus de modification d’un état civil dans l’affaire CourEDH, 30 juillet 1998, Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni, Rec. 1998-V, §§ 75 et 76 ; v. V. Coussirat-Coustère, L’activité de la Cour européenne des droits de l’Homme en 1998 et 1999, AFDI 1999, pp. 756-757. 127 consubstantiel de tout ordre juridique390. Ce principe est présenté avec son corollaire ; le droit d’accès serait vain et inutile si le tribunal n’était indépendant et impartial. Cette obligation, déjà inscrite dans l’article 6, paragraphe 1 CEDH, se retrouve à l’alinéa 2 de l’article 47 : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter391 ». En définitive, l’article 47 synthétise les articles 6 § 1 et 13 de la Convention de Rome, tout en intégrant une partie de la jurisprudence communautaire392 et conventionnelle des droits de l’Homme393 garantissant l’accès à un tribunal. 132 Malheureusement, la reprise des articles 6 § 1 et 13 CEDH se double d’une malencontreuse subordination. En effet, la mention, à l’article 47 § 1 de la restriction « dans le respect des conditions prévues au présent article » semble subordonner le droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial au droit à un recours effectif. Or, le droit de recours effectif comme le droit à un tribunal indépendant et impartial sont bien deux droits interdépendants, certes, mais susceptibles de violations propres. La 390 Dès l’aube des Communautés, la Cour a admis le principe de l’ouverture d’un recours et le principe d’un contrôle communautaire sur le caractère juridictionnel d’une instance (CJCE, 30 juin 1966, aff. 61/65, Dame veuve Vaassen-Göbbels, Rec. 1966, p. 377.) 391 Si la Charte avait mentionné les avocats, comme il l’a été suggéré (J.-M. Burguburu , L’Europe, la Charte des Droits fondamentaux et les avocats – Charte des droits, Gaz. Pal. n°315, 10 novembre 2000, pp. 50-51), elle aurait suscité l’instauration à leur profit un monopole de représentation. 392 Notamment le droit d’accès à un tribunal : CJCE, 15 mai 1986, aff. 222/84, Johnston c/ Chief Constable of the RUC, Rec. 1986, p. 1651 ; CJCE, 15 octobre 1987, aff. 222/86, Heylens, Rec. 1987, p. 4097 ; CJCE, 3 décembre 1992, aff. C-97/91, Oleificio Borelli, Rec. 1992, p. I-6313. 393 Sur le droit à un tribunal, v. CourEDH, 21 février 1975, Golder, Rec. série A vol. 18, 124 p ou CourEDH, 28 mai 1985, Ashingdane, Rec. série A vol. 93, 89 p. Le paragraphe 3 de l’article 47 fait directement écho à l’arrêt Airey (CourEDH, 9 octobre 1979, Airey, Rec. série A vol. 32, 60 p.). 128 jurisprudence communautaire les a consacrés de manière autonome394. Par ailleurs, cette reprise des dispositions de la Convention de Rome est incomplète : l’article 6 § 1 évoquait quatre conditions pour que le tribunal soit adéquat : l’indépendance, l’impartialité, la base légale, et la compétence pour décider395. Manifestement, cette dernière condition n’est qu’implicite dans la Charte… 133 Plan. Quelles sont donc les tenants et les aboutissants de cette réécriture des principes contenus dans les articles 6 et 13 CEDH ? Plus qu’ailleurs dans la Charte, la codification à droit constant annoncée dans le mandat du Conseil européen de Cologne intrigue. En remaniant l’articulation des dispositions essentielles de la CEDH en matière procédurale, la Convention a certes réaffirmé le principe d’effectivité du recours juridictionnel (A), mais le travail d’actualisation des droits de la défense dans l’Union a abouti à un regrettable imbroglio (B). A) Le droit à un recours juridictionnel effectif 134 Consécration du droit devant les juridictions nationales. Déjà en 1950 les articles 13 et 6 § 1 de la CEDH établissent le principe d’accès du particulier à une instance indépendante et impartiale. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à ces articles, fournie, sanctionne régulièrement les cours suprêmes qui ne respectent pas le principe d’effectivité396. La Cour a développé ainsi, en même temps que son intervention dans l’organisation procédurale nationale, un ensemble 394 TPI, 27 juin 2000, aff. T-172/98, T-175/98 à T-177/98, Salamander e.a. Rec. 2000, p. II-2487. 395 Extrait de l’art. 6, paragraphe 1 CEDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera… » (nous qui soulignons). 396 V. CourEDH, 30 octobre 1991, Borgers c/ Belgique, Rec. série A vol. 214-B, 197 p ; CourEDH, 20 février 1996, Lobo Machado c/ Portugal, Rec. 1996-I, p. 195, et Vermeulen c/ Belgique, Rec. 1996-I, p. 224, CourEDH, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaïd c/ France, Rec. 1998-II, 640 p. 129 d’obligations négatives397. Or, la CJCE a démenti une part du raisonnement qui fonde cette jurisprudence398. Nous pouvons regretter que la Charte ne contienne pas de disposition prompte à régler les divergences existantes entre les Cours européennes concernant la portée du principe d’effectivité, tandis que la Cour de Strasbourg continue son œuvre normative en la matière399… 135 Quoi qu’il en soit, le droit d’accès effectif à un tribunal n’est pas absolu. Dans l’affaire Promédia400, de juillet 1998, la question fut posée au TPI de savoir si le droit d’accéder à un tribunal, qui constitue un droit fondamental, était susceptible d’abus. Autrement formulée, la question visait à déterminer les possibilités de sanction des particuliers coupables d’une forme de « harcèlement juridictionnel ». Le Tribunal retint que l’abus du droit au juge pouvait en effet constituer un abus de position dominante, à condition que l’action en justice ne vise pas réellement à défendre les droits allégués, mais constitue un moyen d’éliminer la concurrence401. Une lecture combinée des articles 47 (droit à un recours effectif), 53 (niveau de protection) et 54 (interdiction de l’abus de droit) de la Charte aboutit à une confirmation de la jurisprudence Promédia. Mais l’ancrage textuel de la théorie de l’abus de droit en droit communautaire demeure conditionné par l’appréciation in concreto des éléments 397 Par exemple, l’arrêt Vermeulen (ibid.) sanctionne la violation de l’indépendance de la Cour de cassation belge dans la mesure où son Avocat général participe au secret du délibéré, et où impossibilité est faite aux parties de répondre aux conclusions que rend celui-ci. 398 En ce qui concerne l’ordre communautaire, elle estime que l’avocat général rend ses conclusions en toute indépendance. Ne faisant pas partie de la formation de jugement, le tribunal conserve son indépendance et son impartialité (CJCE, Ord. 4 février 2000, Emesa Sugar, op. cit.). 399 V., en dernier lieu, Cour EDH, 7 juin 2001, req. N°39594/98, Kress c/ France, Non-publié au Recueil, note F. Sudre, JCP éd. G., n°31-35, 1er août 2001, II, 10578. 400 TPI, 17 juillet 1998, aff. T-111/96, Promédia, Rec. 1998, p. II-2937. 401 Cependant, le Tribunal semble retenir une interprétation restrictive de ces critères, ce qui a laissé la doctrine sceptique quant à la reconnaissance juridictionnelle de la théorie de l’abus de droit (D. Simon, Rev. Europe, octobre 1998, comm 310 , p. 10). 130 constitutifs de cet abus, et par la portée effective que le juge donnera à la Charte, notamment par son article 54. 136 Dilution du droit devant la CJCE. A l’échelle communautaire, devant la Cour de Justice cette fois, la portée du principe d’effectivité du recours juridictionnel, tel que découlant de la Charte, soulève quelques difficultés. Tout d’abord, si la Charte contient des droits reconnus dans l’Union, l’applicabilité de l’article 47 de la Charte au système juridictionnel communautaire s’impose logiquement. D’aucuns s’empresseront de réclamer alors l’ouverture du prétoire communautaire au particulier, sinon de déplorer les difficultés d’accès de la CJCE pour les personnes402. Cependant, l’extension des possibilités de saisine de la Cour au bénéfice des personnes n’est ni une conséquence logique de l’adoption de la Charte, ni même une réforme compatible avec le droit originaire de l’Union ; l’effectivité de l’accès au tribunal dans l’Union peut fort bien résulter de la saisine du juge national, juge communautaire de droit commun, avec possibilité de renvoi préjudiciel devant la Cour403. 137 En outre, l’affirmation du droit à un recours effectif, appliqué à la CJCE, pose un problème de science administrative. Si nous combinons l’article 47 avec l’article 41 (droit à une bonne administration), notamment son paragraphe 3404, nous pouvons y lire une obligation de réparation à la charge de la Communauté en cas de violation des principes de diligence, d’impartialité ou d’indépendance par la Cour de Justice. Cette lecture peut sembler extensive, voire audacieuse, elle correspond pourtant à une lecture complète de l’article 41, qui ne discrimine pas entre les Institutions 402 F. Benoît-Rohmer, L’adhésion de l’Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, op. cit., p. 59. 403 Tel qu’organisé par les art. 234 et s. CE. 404 Art. 47, paragraphe 3 de la Charte : « Toute personne a droit à la réparation par la Communauté des dommages causés par les institutions ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions, conformément aux principes généraux communs aux droits des Etats membres. » 131 concernées. La Cour de Justice ne pouvant être juge et partie, quelle instance pourra déterminer l’applicabilité de l’article 41 § 3 à la juridiction communautaire ? Quelle sera la teneur de la réparation ? Si en droit administratif, le retrait de l’acte faisant grief s’impose, la bonne administration judiciaire commande-t-elle l’ouverture du recours en révision405 ? B) Entre ombre et lumière : les droits de la défense 138 Les règles du procès équitable. L’article 47 de la Charte constitue un modèle de synthèse de dispositions de la CEDH, actualisées par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Cependant, son insertion dans les ordres juridiques européens frôle le byzantinisme juridique. En effet, cet article, bien qu’issu de dispositions de la CEDH, est formulé de manière plus vaste ; son interprétation se fait donc non seulement au regard de la Convention de Rome (conformément à l’article 52 § 3 de la Charte), mais également par le biais des traités communautaires (conformément à l’article 53 de la Charte). Quelques progrès peuvent être immédiatement relevés. Est affirmé le « droit à un recours effectif devant un tribunal », et non plus seulement devant une « instance nationale »406. La limitation aux contestations sur les droits et obligations de nature civile ou sur des accusations en matière pénale a été supprimée407. Quant à l’exigence de statuer dans un délai raisonnable, elle constitue non seulement la reprise d’une 405 Tel qu’organisé par les articles 98 à 100 du Règlement de procédure de la Cour (JOCE n°C 34 du 1er février 2001, modifié par JOCE n°L 119, du 27 avril 2001). 406 la Cour de Justice y lira-t-elle une obligation positive de ne pas fermer les tribunaux internationaux aux ressortissants ? 407 Les développements de la Cour concernant le caractère patrimonial du droit (CourEDH, 26 mars 1992, Editions Périscope, Rec. série A vol. 234-B, 20 p) ou l’autonomie de la matière pénale (CourEDH, 8 juin 1976, Engel e.a. c/ Pays-Bas, Rec. série A vol. 22, 142 p ou CourEDH, 27 février 1980, Deweer c/ Belgique, Rec. série A vol. 35, 68 p) n’en sont pas caduques pour autant. 132 obligation à la charge des Etats408, mais également la codification d’une jurisprudence de la Cour de Justice409. 139 Malgré ces progrès, un doute subsiste. Compte tenu de l’autonomie conceptuelle des droits à un recours effectif et à un tribunal indépendant et impartial, nous pouvons rester sceptique sur l’intérêt de la ventilation des articles 13 et 6 CEDH dans les articles 47 et 48 de la Charte. En effet, ni l’extension du champ d’application de l’article 6, ni la technicité des deux articles ne justifient un tel remaniement des dispositions de la Convention de Rome, lequel n’apporte aucune lisibilité supplémentaire. Au contraire, cette opération accuse une perte sèche de clarté. En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, la CJCE applique, sinon la lettre410, au moins les principes411 contenus dans ces dispositions de la Convention. Dès lors, selon qu’elle statuera sur au regard de la Charte ou sur le fondement de la CEDH, la Cour devra suivre deux raisonnements différents. En outre, ni les justiciables ni leurs conseils ne manqueront d’axer leurs prétentions sur le fondement de la Charte et de la CEDH. A combiner des dispositions formellement divergentes et matériellement similaires, la Cour risque d’en perdre son latin… Face à ce risque de confusion, la Cour de Luxembourg sera probablement amenée à privilégier une lecture unitaire des articles 47 et 42 de la Charte, et 6 et 13 de la CEDH, opérant un retour aux deux principes y contenus. Quoiqu’il en soit, ces quelques réflexions prospectives témoignent d’une 408 409 CourEDH, 24 novembre 1994, Kemmache c/ France, Rec. série A vol. 296-C, 193 p. CJCE, 17 déc. 1998, Baustahlgewebe GmbH c/ Commission, op. cit. ; CJCE, 8 juillet 1999, Montecatini SpA, op. cit. 410 411 ibid. Par exemple TPI, 27 juin 2000, Salamander, cons. 78, s’agissant du principe général de droit communautaire de droit à un recours effectif, qui s'inspire de l'article 13 de la CEDH, et TPI, 22 octobre 1997, aff. jtes T-213/95 et T-18/96, SCK et FNK c/ Commission, Rec. 1997, p. II-1739, cons. 56, quant au principe général du droit communautaire de respect d'un délai raisonnable dans la procédure précédant l'adoption de la décision litigieuse. 133 réalité : la Convention a échoué dans sa mission de rendre lisibles les droits processuels en vigueur dans l’Union. 140 Les garanties pour les accusés. Bien sûr, les droits fondamentaux processuels, garantis dans les ordres juridiques européens à tout prévenu, ont un écho dans la Charte. Relevons d’emblée le principe de la présomption d’innocence et les droits de la défense proprement dits412, le principe de la légalité et de la proportionnalité des délits et des peines413, et le principe non bis in idem414. Chacun de ces droits processuels a fait l’objet de développements par la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a assuré leur interprétation autonome415. La Charte prétendant faire un travail d’actualisation, il est étonnant qu’elle passe sous silence certains aspects des principes fondamentaux du droit pénal. Certes, l’article 7, paragraphe 1 de la CEDH, repris à l’article 49, paragraphe 1, est enrichi du principe d’application de la loi pénale plus douce aux infractions antérieures. Mais la sécurité juridique des personnes serait altérée si ce dernier principe venait remettre en cause des infractions passées en force de chose jugée. Le paragraphe 3 de l’article 49416, qui consacre le principe de proportionnalité des peines, est aussi vide de signification pratique que le paragraphe 2 de l’article 48417 ; ils ne posent aucun étalon de mesure permettant d’apprécier soit l’exigence de proportionnalité, soit le contenu matériel des droits de la défense. Nous avons ici un exemple flagrant d’aporie de la Charte par rapport à la CEDH : et si nous 412 Respectivement aux paragraphes 1 et 2 de l’article 48, de la Charte, reprenant, selon la contribution du Présidium, les paragraphes 2 et 3 de l’art. 6 CEDH. 413 Art. 49 de la Charte. 414 Art. 50 de la Charte. Notons la redondance de l’adjectif « pénal », qui semble exclure les affaires civiles. 415 v. V. Berger, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, 6e éd. Sirey, 1998, spéc. pp. 246-301, tandis que la Charte, curieusement, lie les principes de légalité et de proportionnalité. 416 Art. 49, paragraphe 1 de la Charte : « L’intensité des peines doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction. » 134 admettons que la liste de l’article 6, paragraphe 3 CEDH est imparfaite, ou incomplète, il semble encore plus dommageable pour la lisibilité et l’opérabilité des droits fondamentaux de procéder par formules lapidaires ou par vues de l’esprit. Car alors, le juge appelé à appliquer la Charte sera tenté d’employer sa définition nationale des droits de la défense, ou de la proportionnalité, ce qui n’est guère conforme à l’essence même de l’intégration communautaire. 141 Conclusion du chapitre. Les droits fondamentaux processuels, aptes à garantir l’effectivité des droits fondamentaux matériels, ressemblent plus à un salut donné à la CEDH qu’à une reprise après actualisation de ses dispositions les plus pertinentes. L’apport du chapitre « Justice » de la Charte est bien moindre que le commentaire du Présidium à son propos ! Dans ce domaine, la Charte des Droits fondamentaux accuse un cuisant échec, lequel affecte, voire neutralise, l’efficience de l’édifice de droits qu’escomptait révéler la Convention. Finalement, la Charte pérennise les lacunes d’un système communautaire de protection des droits de la personne en formation… Ainsi que nous allons le voir, elle en encourage aussi le caractère protéiforme. 417 Art. 48, paragraphe 2 : « Le respect des droits de la défense est assuré à tout accusé. » 135 SECOND CHAPITRE : DES DROITS FONDAMENTAUX… À GÉOMÉTRIE VARIABLE ? 142 La consécration d’un standard minimum. La question de la différenciation a souvent été abordée sous deux angles opposés à toute idée d’intégration communautaire : l’exception nationale et l’abstention constructive. L’exception nationale connaît diverses modes de concrétisation418, mais toujours la même finalité : l’inapplicabilité directe du droit communautaire. Quant au refus du blocage, il part du constat que pour des raisons de politique nationale, un Etat n’est pas encore prêt à la mesure communautaire envisagée, mais, soucieux de ne pas entraver la progression communautaire des autres Etats membres, il consent à ce que la mesure soit adoptée entre les autres Etats419. L’Etat abstentionniste ne bloque pas le processus d’intégration, et la norme litigieuse entre en vigueur, bien qu’elle lui soit temporairement inopposable. Cependant l’exigence d’aménagement de marges de manœuvre, qui encouragent une application du droit communautaire « à géométrie variable », trouve ses limites en matière de droits fondamentaux. En effet, aucun Etat ni aucune organisation internationale ne songerait, pour d’évidentes raisons de diplomatie internationale, à proclamer des droits fondamentaux comme justiciables puis en revendiquer une non-application. Dès lors, si de « géométrie variable » il est question, ce 418 L’épisode emblématique du Compromis de Luxembourg (1965-1966) peut s’analyser comme une ramification d’un processus complexe de préservation, en dépit de l’intégration, de bribes d’autonomie de la volonté étatique. Les Etats ont multiplié les clauses de sauvegarde, qu’il serait fastidieux d’énumérer ici. Citons à titre d’exemples l’exception d’ordre public national, récurrente dans les traités, les protocoles et déclarations joints aux traités, les régimes dérogatoires, etc. 419 Par exemple, la liberté de circulation des personnes, au cœur de l’intégration, a ainsi fait l’objet d’un Protocole organisant un régime spécifique de contrôle d’identité au Royaume-Uni et en Irlande (Prot. 3 annexé au Traité de Maastricht). 136 ne peut être que dans le sens d’une plus grande protection et d’une meilleure application420. La Charte des droits fondamentaux, socle de valeurs communes, fut donc rédigée comme standard européen offrant des garanties déjà avancées et à partir desquelles les Etats pourront progresser encore 143 L’article 53 de la Charte. Nous avons, tout au long, de notre étude, opéré de nombreuses références ponctuelles à l’article 53 de la Charte, sans souligner sa portée propre. Or, l’une des clés de la perfectibilité de la Charte réside dans cet article. Si la Charte accède un jour au rang de standard européen ou se voit qualifiée d’instrument vivant, cette victoire sera due à l’article 53. Celui-ci dispose : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les Etats membres, et notamment la [CEDH], ainsi que par les constitutions des Etats membres »421. Tandis que l’article 52, paragraphe 2 est formulé de manière positive, et fait office de clause de conformité, l’article 53 contient une formulation négative de la clause de standard minimum, prompte à accueillir en son sein les progrès constatés dans les autres instruments internationaux ou nationaux de protection des droits de l’homme, tout en laissant leurs lacunes et leurs incohérences sur le parvis. Par son entremise, la Charte participe de la fonction structurante d’un ordre juridique transnational des droits de l’homme, initié par la CEDH. 420 Conformément au principe de spécificité et à la dynamique des droits fondamentaux 421 La version précédente de cet article (art. 51 de Charte 4423/00 Convent 45, du 31 juillet 2000) ne faisait pas explicitement référence au droit de l’Union… et était donc susceptible d’une interprétation restreinte au volet des relations extérieures de l’Union ou de l’ensemble de ses Etats membres. Cette addition ouvre la porte à une extension de la Charte aux droits fondamentaux qui apparaîtront dans le droit dérivé. Il permet également d’inclure les droits nés des piliers intergouvernementaux ou de coopérations renforcées parmi les sources des futurs droits fondamentaux. 137 144 Exécution normative et aménagement des droits. La doctrine comme la jurisprudence ont progressivement contribué à minimiser le rôle des Etats membres dans le processus normatif permettant d’assurer l’application effective du droit communautaire. Or la réalisation de la primauté et de l’effet direct du droit communautaire passe par une étroite collaboration entre les autorités des Etats et les Institutions et organes de la Communauté. L’attitude des Etats membres, inspirée par le principe de collaboration loyale, n’est pas une soumission passive mais une collaboration active422. Dans la Charte, les clauses de renvoi à la loi témoignent du souci d’en appeler à la fonction exécutive des Etats. Leur formulation exprime la latitude laissée aux Etats. A priori les clauses de renvoi au droit national présentes dans la Charte sont plus liberticides que les formulations choisies dans d’autres instruments internationaux : affirmer un droit ou une liberté « conformément aux législations et pratiques nationales » ne signifie pas que ce même droit sera « protégé par la loi et les pratiques nationales »… La nuance est d’importance et peut avoir des conséquences pratiques importantes ; une clause de conformité au droit national inclura les restrictions et les privations précédemment prévues par les pouvoirs législatif et réglementaire. Ainsi, même si elles sont nécessaires à une bonne administration du droit, les clauses de conformité au droit national peuvent conduire à des abus du pouvoir exécutif communautaire confié aux Etats membres. 145 Plan. Nous verrons donc comment la Charte, distillant les valeurs communes fondamentales de l’Union, peut constituer une grille de lecture des droits de la personne pour un juge interne toujours prompt à diffuser une vision nationalisée des droits et des principes fondamentaux (Section II). Mais avant toute chose, voyons comment la Charte rebondit sur la souveraineté nationale, pour ménager aux Etats une 422 V. R. Kovar, Compétences des Communautés européennes, J.-Cl. Europe, vol. 2, fasc. 420, p. 22, §§ 90 et s. 138 marge de manœuvre dans l’application des droits garantis, sans pour autant perdre toute vocation intégrative (Section I). SECTION I : L’AMENAGEMENT DES DROITS ET LES CONDITIONS D’EXPRESSION DE LA SOUVERAINETE NATIONALE 146 Principe de subsidiarité et droits fondamentaux. Face à l’importance que revêtent les droits fondamentaux pour le citoyen, la question peut se poser de déterminer le niveau d’efficience optimum de la garantie de ces droits. Autrement dit, se pose non seulement la question de savoir qui appliquera la Charte, mais surtout celle de savoir quelle autorité l’appliquera le mieux. Nous avons rappelé auparavant que la Communauté dispose d’une compétence en matière de droits fondamentaux423. Or, cette compétence ne figure pas explicitement dans le traité, mais procède de la conjugaison utile de plusieurs dispositions et de jurisprudences de la Cour de Justice. Les Etats n’ayant pas renoncé à leur compétence souveraine en matière de droits essentiels de la personne, la compétence de la Communauté est partagée avec les Etats membres. Entre alors en lice le principe de subsidiarité, tel que défini à l’article 5 CE. Selon ce principe, le niveau d’efficience optimal est le niveau le plus efficace le plus bas. Autrement dit, la Communauté n’est appelée à intervenir par voie normative que si et dans la mesure où son action est plus efficace que celle des Etats membres. Or, théoriser le niveau d’intervention le plus efficient en matière de droits fondamentaux est une délicate opération, qui dépend essentiellement du contenu même des droits fondamentaux reconnus. Ce qui implique de se détacher au maximum d’appréciations de nature éthique ou politique, lesquelles déborderaient le champ de notre étude. 423 V. supra le paragraphe 48, et infra les paragraphes 162 et 172. 139 147 Par contre, une fois le corpus de droits identifié, nous pouvons déterminer, par subsidiarité juridictionnelle424, quel juge sera le plus apte à en faire respecter l’application effective. L’objectif essentiel qu’il nous faut ici nous fixer est de déterminer quel juge sera à même de fournir au justiciable, à la lumière des droits garantis, la protection la plus adéquate. Or, en l’absence de toute compétence expresse d’attribution, deux réponses sont possibles. Une lecture centripète des textes confiera à la Cour de Justice le monopole d’interprétation authentique de la Charte, conformément au principe d’uniformité du droit communautaire, et conformément à la mission de Cologne de codifier les droits fondamentaux en vigueur dans l’Union. Une seconde lecture centrifuge et décentralisatrice se fondera sur la multitude des clauses de renvoi à la loi et aux pratiques nationales. Ces clauses, qui émaillent la Charte, conditionnent la mise en œuvre de certains droits, sociaux pour la plupart. En ce qui concerne l’interprétation de ces exigences de conformité, le juge national semble le plus compétent pour déterminer le contenu de la norme nationale restrictive du droit. Les deux solutions peuvent sembler exclusives l’une de l’autre. Elles sont en réalité complémentaires. 148 Plan. L’adoption d’une charte de droits fondamentaux communautaires postule, conformément à la primauté de ce droit, l’application homogène, directe et immédiate des dispositions y contenues sur l’ensemble du territoire de l’Union. Cependant, ce principe ne s’oppose pas à ce que le droit communautaire lui-même, respectueux de la progressivité du transfert de compétences des Etats membres vers les Communautés, renvoie pour son application à la loi nationale (§1). Par contre, le renvoi à la loi nationale ne saurait constituer une cause d’exclusion du droit communautaire, lequel interviendra pour contrôler les restrictions apportées au droit (§2). 424 D. Simon, La subsidiarité juridictionnelle, notion-gadget ou concept opératoire ?, RAE n°1, janvier 1998, pp. 84-94. 140 §1) Les clauses spéciales de renvoi à la loi 149 Ambivalence du renvoi à la loi. Les clauses de renvoi à la loi ou aux pratiques nationales ne doivent pas être lues comme un retour à la souveraineté nationale, propice à un processus de désintégration communautaire. En effet, de tels renvois peuvent fort bien aboutir à une exécution normative du droit communautaire par les Etats membres425. Bien sûr, les velléités nationalistes constituent toujours une menace pour l’intégration européenne, et le Conseil européen de Nice, celui-là même qui vit proclamée la Charte des droits fondamentaux, a fait quasiment l’unanimité de la doctrine contre lui : d’aucuns l’ont considéré comme un retour à la coopération intergouvernementale426, d’autres comme un échec en raison de l’incapacité des Etats membres à simplifier l’architecture institutionnelle de l’Union427. Cependant, il serait excessif de considérer tout renvoi à l’ordre juridique interne comme une menace sur l’acquis communautaire ou comme un grippage de l’effet de cliquet. En matière de droits fondamentaux comme en matière de droit matériel, les Institutions ont besoin du relais des autorités nationales pour que soit appliqué le droit communautaire, tout comme l’ordre juridique communautaire a besoin des ordres juridiques nationaux pour que progresse l’Union. Les clauses de renvoi à la loi participent de cet équilibre d’ensemble. 425 R. Kovar, Compétences des Communautés européennes, JCP Europe, vol. 2, fasc. 420, p. 22 et s. 426 V. par exemple D. Simon, Nice, but not Nice, Rev. Europe, n°2, février 2001, p. 3 ; F. Berrod et M. Pietri, Nice ou la victoire des Etats membres, Rev. Europe, n°1, janvier 2001, pp. 3-6. 427 M. Wathelet, La charte des droits fondamentaux : un bon pas dans une course qui reste longue, Cah. Dr. eur., n°5-6, 2000, pp. 585-594. 141 150 Le renvoi à la loi dans la Charte. A cause de cette ambivalence, nous pouvons nous nous interroger lorsque certains droits, présentés comme universels428, sont relayés par une clause de renvoi à la loi nationale. Parmi les droits universels, sont concernés : la protection des données à caractère personnel (art. 8 § 2 de la Charte), le droit de se marier et le droit de fonder une famille (art. 9), l’objection de conscience (art. 10 § 2), la liberté de créer des établissements d’enseignement (art. 14 § 3), le droit de propriété (art. 17 § 1), le droit à protection de la santé (art. 35). D’autres droits, accordés à des catégories sociales, sont également conditionnés par une clause de renvoi à la loi et de conformité au droit communautaire : la liberté d’entreprise (art. 16), l’égalité entre homme et femme (art. 23 al 2, puisque le terme « mesure » peut également se référer au droit communautaire), le droit à la négociation collective et à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise (art. 27 et 28), le droit à une protection contre tout licenciement injustifié (art. 30), le droit à la sécurité sociale et à l’aide sociale (art. 34, §§ 1 et 3), le droit d’accès aux services d’intérêt économique général (art. 36), la liberté de circulation et de séjour des étrangers (art. 45 § 2). Enfin, un dernier groupe de prérogatives s’exercent « dans les mêmes conditions que les nationaux », c’est-à-dire qu’elles exigent une égalité de traitement ente ressortissants communautaires et non-communautaires : c’est le cas des droits de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen et aux élections municipales (art. 39 et 40), et du droit à protection diplomatique et consulaire (art. 46). 151 Plan. En dépit de la menace de « renationalisation » du droit communautaire, et malgré la diversité de leur formulation les clauses de renvoi à la loi partagent une double fonction : d’une part, ces clauses réservent une marge d’appréciation aux Etats membres (A), d’autre part elles constituent une garantie du respect de la diversité culturelle européenne (B). 428 V. supra chapitre précédent, section I, paragraphe 1, B) et nos développements sous section II, paragraphe 1. 142 A) La discrétion des Etats membres 152 Marge d’appréciation… ou retour à l’arbitraire ? Les clauses de renvoi à la législation nationale servent à la fois l’adaptation et l’effectivité des droits, mais elles ne doivent pas constituer un prétexte pour revenir à des pratiques discriminatoires. Rappelons simplement que l’absence de toute législation peut être aussi coupable que l’adoption de mesures nationales incompatibles avec le droit communautaire429, notamment l’expression communautaire du principe de non-discrimination. Par exemple l’article 9 de la Charte impose que « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille [soient] garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. ». Or, il existe en Europe deux groupes sociaux dont les revendications familiales sont aux antipodes les unes des autres : les homosexuels, qui revendiquent un droit à la différence, et les transsexuels, qui revendiquent un droit à l’assimilation430. Certes, cet article est moins restrictif que l’article 12 CEDH dont il est tiré431. Mais la totale absence de référence à ces minorités sexuelles ne permet aucune clarification de leurs droits fondamentaux respectifs, et la formulation de l’article 9 est par trop différente ce celle de l’article 12 CEDH pour que cet article corresponde à un droit garanti par la CEDH, donc interprétable conformément au droit conventionnel des droits de l’homme, éventuellement enrichi par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (art. 52, paragraphe 3 de la Charte). Par conséquent, les Etats membres auront toute latitude pour organiser la protection du droit au mariage et du droit de fonder une famille432, pourvue 429 V. Art. 169 à 171 CE 430 C’est-à-dire un droit à être assimilés au groupe sexuel dont ils réclament l’identité psychologique. 431 Art. 12 CEDH : « A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. ». Sont donc expressément visées dans la CEDH des personnes de sexes opposés. 432 A titre de nota bene, remarquons que la CEDH protège « le droit de se marier et de fonder une famille », tandis que la Charte protège « le droit de se marier et le droit de fonder une famille ». Concrètement, la Charte opère un découplage entre les deux droits, qui acquièrent une autonomie propre, 143 que cette protection soit non-discriminatoire et garantisse la jouissance effective de ces droits, y compris pour les minorités sexuelles. 153 Le verrou du contrôle de proportionnalité. Indépendamment du contrôle de la Cour de Justice sur la protection des droits fondamentaux, dans les matières régies par le traité, celle-ci s’est évertuée par sa jurisprudence, à couper court à tout emploi exagéré des prérogatives nationales, susceptible d’aboutir à une violation du droit communautaire. Ainsi, la Cour contrôle non seulement la nécessité433 de la mesure nationale, mais également sa proportionnalité. Autrement dit, la CJCE contrôle non seulement la légalité communautaire de la mesure nationale, mais également son adéquation. Certes, l’inconvénient du contrôle de proportionnalité est qu’il confine au contrôle d’opportunité, et se confond parfois avec lui434, cependant il ne s’y résout pas. En matière de droits fondamentaux, la Cour recherchera avec une acuité renforcée si l’Etat pouvait ou non atteindre le résultat escompté par l’instauration d’autres mesures, moins restrictives des droits et libertés personnelles, et le sanctionnera le cas échéant435. B) Une garantie de la diversité culturelle 154 L’intégration différenciée et l’avenir de l’Europe. Pour saisir la revalorisation de la diversité nationale, qui constitue a priori un obstacle à l’intégration bien qu’ils soient protégés par le même article. A cet égard, la Charte enregistre une progression des mœurs à l’échelle européenne. 433 CJCE, 10 juillet 1997, aff. C-261/95, Palmisani, Rec. 1997, p. I-4025, spéc. cons. 27. 434 C’est l’une des critiques adressées à la motivation de l’avis 2/94, du 28 mars 1996 (op. cit.) la Cour ayant axé son raisonnement sur « l’état actuel du droit communautaire », qu’elle n’a pas développé et qu’elle est seule à pouvoir apprécier. 435 Par exemple, en matière d’éloignement d’étrangers communautaires coupables d’infraction à la loi sur les stupéfiants, v. CJCE, 19 janvier 1999, aff. C-348/96, Calfa, Rec. 1999, p. I-11. La Cour estime qu’une expulsion à vie du territoire grec constitue une infraction disproportionnée. 144 communautaire, il semble judicieux de prendre en considération les mutations politiques récentes sur la scène européenne. L’adoption de la Charte des droits fondamentaux a lieu à une époque de crise identitaire de l’Europe. Les opinions publiques se désintéressent de la question européenne, qu’elles considèrent au mieux avec indifférence, au pire avec dédain. L’euphorie intégrative de l’après-Masstricht a fait long feu, et les indices se multiplient d’un retour aux préoccupations nationales. L’instauration d’un mécanisme de coopérations renforcées436, les interminables négociations au sein des Conseils européens437, la prolifération des agences communautaires décentralisées… sont emblématiques des profonds désaccords qui scindent les peuples européens sur l’avenir de l’Europe. Les Conférences intergouvernementales sont le théâtre de toutes les rivalités438. La revalorisation des divergences nationales et la préservation des spécificités locales apparaissent alors comme un nouvel atout, garantissant la richesse de l’Union, sans pour autant sacrifier le processus d’intégration. L’adoption d’un catalogue de droits fondamentaux homogénes dans leur contenu mais sans rigidité excessive s’inscrit dans une logique « d’intégration dans la diversité »439, et apparaît suffisamment fédérateur pour redonner du souffle à l’intégration. 155 Les droits fondamentaux et la garantie culturelle. Si les Etats membres sont suffisamment proches culturellement pour proclamer des droits fondamentaux similaires, la préservation de leur identité sociale et nationale peut justifier une demande de discrimination, non pour priver des ressortissants communautaires du bénéfice des droits consignés dans la Charte, mais pour dépasser les minima imposés, pour donner 436 Art. 40 et 43 UE, et art. 11 CE. 437 D. Simon, Nice, but not nice, Rev. Europe n°2, février 2001, p. 3. 438 D. Vignes, Nice, une vue apaisée. Réponse à deux questions, Rev. Marché commun et de l’Union européenne n°445, février 2001, p. 81. Notons la profonde divergence d’opinion avec D. Simon, ibid. 439 Titre d’une chronique apparue en janvier 2001 dans la Revue du Marché commun et de l’Union européenne. V. son édito, p. 1. 145 une forme locale à l’informe supranational. Les progrès réalisés devront aller dans le sens d’une amélioration des droits fondamentaux, dans un domaine particulier pour lequel l’Etat voudra accorder une meilleure protection au bénéfice de certaines catégories sociales, de minorités ou de personnes qui justifieront d’une situation particulière. Ce processus d’approfondissement sélectif des droits de l’homme ne sera acceptable que s’il s’agit de poser les prémisses d’une protection encore plus grande. 156 L’exception nationale. Toutefois la proclamation unitaire des droits fondamentaux ne doit pas constituer le moyen par lequel l’Europe uniformisera la pensée juridique des droits de l’Homme. Tous les Etats, dont la diversité constitue précisément la richesse, n’ont pas les mêmes préoccupations. Et certains reconnaissent comme fondamentaux des droits que d’autres considéreront encore comme matériels ou dérogeables, ou bien auxquels ils ne donneront pas le même sens ni la même portée. Dans cette acception, les droits fondamentaux constituent le reflet et l’aboutissement de l’histoire sociale et culturelle des nations, lesquelles peuvent opposer, à la reconnaissance des droits de l’Homme, leur préférence culturelle ou l’ordre des priorités. Il est vain de vouloir appliquer un modèle de protection des droits fondamentaux à un peuple qui ne se reconnaît pas en lui. Il est tout aussi vain, et même dangereux, de prétendre unifier les peuples dans une lecture uniforme des droits de l’homme. 157 Néanmoins, le respect de la souveraineté nationale ne saurait constituer un rempart infranchissable pour les droits fondamentaux communautaires. Ce qui prime, c’est l’efficience de la protection la plus élevée. Par conséquent, l’aménagement des droits par l’exécution normative du droit communautaire ou par l’imperium étatique ne saurait se concevoir de manière extensive. Elle ne vaudra que pour autant qu’à l’échelle nationale, les législations adoptées ou maintenues ne descendent pas en-deçà d’un certain seuil de protection. Ce qui n’empêche pas les Etats membres de maintenir certaines restrictions, au nom de principes parfois mal évalués. 146 §2) Les restrictions subsistantes 158 Entre liberté et sûreté. A l’instar des instruments classiques de protection des droits fondamentaux, la Charte recherche la conciliation de deux impératifs, complémentaires par nature, mais antagonistes dans leurs mises en application respectives : la proclamation de libertés et le maintien de la sûreté. Les libertés fondamentales ne sont effectivement acquises que si l’autorité publique se voit dotée des moyens de régler l’expression harmonieuse des libertés individuelles440. Son rôle est d’endiguer, par ses prérogatives exorbitantes du droit commun, les atteintes à la liberté d’autrui qui naîtraient d’un abus de droit de la part de personnes au détriment d’autres. En la matière, la Charte se montre extrêmement scrupuleuse : la multiplicité des clauses de renvoi à la législation nationale permet à chaque Etat d’adapter les droits et libertés consacrés à la nation qu’il réglemente. En outre, l’insertion d’une clause particulière de répression de l’abus de droit441 constitue une base juridique permettant aux Etats membres de l’Union de rétablir, au nom de l’intérêt général, des restrictions aux dispositions de la Charte. 159 Cependant, conformément à la jurisprudence des Cours européennes, le maintien ou la restauration de restrictions aux droits et libertés ne peut aller jusqu’à vider ces derniers de leur substance. Ainsi sont tolérées les immixtions des autorités nationales et des Institutions dans la jouissance des droits et libertés communautaires « à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis »442. La Cour de Luxembourg veille toujours à la nécessité et à la 440 V. J. Robert et J. Duffar, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, 7e éd. Monchrestien, p. 255. 441 Art. 54 de la Charte, reprenant l’article 17 CEDH. 442 TPI, 19 mai 1999, aff. T-34/96 et T-163/96, Connolly c/ Commission, RecFP 1999, p. II-463. 147 proportionnalité des restrictions aux droits fondamentaux adoptées par les autorités publiques. 160 Plan. La jurisprudence de la Cour de Justice ayant largement contribué à limiter le volet « purement procédural » du principe d’autonomie institutionnelle et procédurale (A), les Etats membres sont privés d’un moyen utile pour reconquérir une part de leur indépendance. Malgré cela, les Etats membres ne sont pas dépourvus de tout pouvoir législatif en matière de droits fondamentaux : ils pourront toujours intervenir dans les domaines non couverts par la Charte. Ils ont d’ailleurs contribué à alimenter les lacunes443 – qui ne peuvent, en matière de droits fondamentaux, qu’être trop nombreuses – disséminées au gré des thèmes abordés (B). A) Un principe d’autonomie procédurale… encadré. 161 L’encadrement prétorien de l’autonomie procédurale. Selon le professeur Simon, « le principe de primauté implique que la prévalence du droit communautaire sur la norme nationale incompatible soit assurée de façon uniforme et effective, mais aussi directe et immédiate. Il en résulte que l’autonomie procédurale est subordonnée à l’obligation de garantir un « standard minimum » […] l’inopposabilité du droit national contraire est érigée en prohibition absolue, applicable « de plein droit » (…) »444. Depuis l’arrêt Lück445, la Cour de Luxembourg a, dans divers 443 Au cours des débats, la France s’est montrée farouchement opposée à la reconnaissance d’un droit au bénéfice des minorités, tandis que le Royaume-Uni a réduit les droits sociaux à leur expression a minima. La formulation de certains droits a fait l’objet de débats parfois plus ardents que l’identification du droit lui-même, il en ressort, par exemple, la consécration d’un droit de travailler et non d’un droit au travail (V. G. Braibant, La Charte des droits fondamentaux, Droit social n°1, janvier 2001, pp.69-75). 444 D. Simon, Le système juridique communautaire, op. cit., p. 288, § 279, citant ensuite l’arrêt Simmenthal, op. cit. (v. également infra). 148 domaines446, accentué l’encadrement de l’autonomie procédurale. Ainsi la CJCE a-t-elle sanctionné, au nom du principe de non-discrimination nationale sis dans l’article 12 (ex art. 6) CE, certains droits procéduraux nationaux, lorsqu’ils imposaient le versement d’une caution judicatum solvi préalablement à l’introduction d’une action en justice devant les tribunaux internes447. Cet accentuation de l’encadrement est telle que l’on serait tenté de penser que, dans un avenir proche, s’opérera un renversement du principe d’autonomie procédurale… vers un principe d’encadrement procédurale448. Néanmoins, nous ne constatons ici qu’une tendance, laquelle peut encore s’infléchir. 162 La Charte et l’autonomie législative des Etats membres. Les clauses de renvoi à la loi nationale ne constituent pas un blanc seing pour les Etats membres. La multitude des clauses de renvoi à la loi nationale donne à croire que ceux-ci bénéficient, en conjugaison avec leur autonomie procédurale et institutionnelle, d’une grande latitude pour amoindrir la portée de certains droits. Cependant, l’effet utile des dispositions de la Charte et le principe de loyauté communautaire449 postulent que les Etats s’astreignent à un minimum de cohérence. De sorte qu’à l’occasion d’un recours en manquement, la Cour de Justice pourrait fort bien circonscrire, au nom du principe de coopération loyale, la latitude laissée aux Etats membres en matière de droits fondamentaux. De surcroît, par le jeu de la dynamique des droits fondamentaux, se profile à moyen ou long terme un devoir étatique d’ajustement progressif de ses 445 CJCE, 4 avril 1968, Lück, op. cit. 446 Par exemple en matière de répétition de l’indû (CJCE, 26 septembre 1996, aff. C-43/95, Data Delecta, Rec. 1996, p. I-4661), ou de protection juridictionnelle provisoire (CJCE, 19 juin 1990, aff. C-213/89, Factortame, Rec. 1990, p. I-2433). 447 CJCE, 26 septembre 1996, Data Delecta, ibid. Parmi les lacunes de la Charte figure l’absence du principe d’équivalence du traitement juridictionnel. 448 Sur l’affirmation de l’autonomie institutionnelle et procédurale, v. titre II, chap I, section II, § 1, A. 449 Art. 10 CE ; V. CJCE, 19 juin 1990, aff. C-213/89, Factortame, ibid., sur l’obligation d’assurer la protection juridictionnelle des droits découlant de l’effet direct du droit communautaire. 149 compétences souveraines par rapport à l’intégration communautaire des droits fondamentaux450. En définitive, si la lettre de la Charte laisse une grande marge de manœuvre au législateur national, son esprit commande la renonciation graduelle des prérogatives étatiques, au bénéfice d’un socle de droits de la personne de plus en plus vaste, de plus en plus solide, de plus en plus… communautaire. Mais nous n’en sommes pas encore arrivés à ce stade. Combler les lacunes de la Charte semble bien plus urgent. B) Les lacunes de la Charte 163 L’œuvre du Conseil de l’Europe. Si la Charte a le mérite de reprendre à son compte l’essentiel de la protection accordée aux personnes par les principales conventions du Conseil de l’Europe, d’aucuns déplorent qu’en certains domaines, la Charte offre un niveau de protection moindre que les instruments internationaux correspondants451. Même si ceux-ci sont dépourvus de force juridique contraignante, nous nous expliquons mal pourquoi leur reformulation dans la Charte est si peu fidèle à l’esprit comme à la lettre de ces instruments. Ainsi en est-il de la Charte Sociale européenne révisée452, ou de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine453. La première consacre un droit à gagner sa vie454, ou un droit de la mère et de l’enfant à une protection sociale et économique455, absents de la Charte. La 450 J. Dutheil de la Rochère, L’Europe a-t-elle besoin d’une Charte des Droits fondamentaux ?, Gaz. Pal. os n 159 et 160, 7 juin 2000, pp. 5-9. V. également supra, paragraphes 43 et 146, et infra paragraphe 172. 451 Et ceci contrairement à la clause de non-régressivité contenue dans l’article 53 de la Charte. 452 Charte sociale européenne (adoptée à Turin, le 18 octobre 1961, révisée en 1996). 453 Convention du Conseil de l’Europe sur les Droits de l’homme et la biomédecine, du 19 novembre 1996, entrée en vigueur le 1er décembre 1999. 454 Art 1, paragraphe 2 CSE. Ce qui est d’autant plus surprenant que le droit de gagner sa vie, ce qui implique le droit à un travail, a longtemps figuré dans le projet de Charte (v. Charte 4423/00, Convent 46 du 31 juillet 2000, 37 p). 455 Art. 17 CSE. 150 seconde prohibe « toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort »456. Mais la Charte ne reprend l’interdiction du clonage humain que dans son volet reproductif, et non thérapeutique (article 3, paragraphe 2, littera 4457, et plus subtilement dans l’article 21, paragraphe 1er portant clause générale de non-discrimination458). 164 De même, la clause de standard minimum (article 52, paragraphe 2 de la Charte) ne se réfère qu’aux droits correspondants à ceux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. On comprend mal pourquoi les rédacteurs de la Charte ont ainsi discriminé, non seulement entre les instruments internationaux de protection des droits de l’homme, mais également entre les conventions émanant du Conseil de l’Europe, pour ne retenir que la plus éminente. Quid des conventions portant coopération judiciaire ? Quid de la Convention sur l’exercice des droits de l’enfant de 1996 ? 459 Pour expliquer leur exclusion de cette clause, plusieurs hypothèses s’offrent à nous. Immédiatement, nous pensons à une omission. Mais cette hypothèse est peu vraisemblable, compte tenu tant de la qualité des membres qui composèrent l’Enceinte puis la Convention que des multiples contributions à l’élaboration de la Charte. Une seconde hypothèse réside dans le souci de préserver l’homogénéité d’application du droit dans l’ensemble des Etats membres. Mais à nouveau cette hypothèse tombe devant 456 457 Art. 1, paragraphe 1er du Protocole additionnel à la Convention d’Aviedo (Paris, 12 janvier 1998). Art. 3, paragraphe 2 de la Charte : « Dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés : […] - l’interdiction du clonage reproductif des êtres humains (…). » 458 V. infra, Section II, paragraphe 1, A). L’article 21, paragraphe 1 de la Charte mentionne l’interdiction de discrimination sur « caractéristiques génétiques ». 459 Pour ne citer que ces deux exemples : le Conseil de l’Europe est à l’origine d’un grand nombre de conventions ratifiées par les Etats membres (180 traités, protocoles disponibles sur http://conventions.coe.int/Treaty/FR/CadreListeTraites.htm). 151 l’unanimité des ratifications de la CSE460 et de la Convention sur la biomédecine par les Etats membres de l’Union, ou des conventions d’entraide judiciaire. Reste l’absence de système juridictionnel propre à garantir la justiciabilité de ces traités. En effet, la CEDH est la seule convention du Conseil de l’Europe à bénéficier d’un système juridictionnel complet et de nature constitutionnelle, doté d’un interprète authentique, unique461 et exclusif462. Dans cette hypothèse, il faut alors concevoir l’article 52 comme une clause d’articulation, non seulement entre les normes communautaires et conventionnelles des droits de l’homme, mais surtout comme une clause d’articulation entre systèmes judiciaires. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle ne renvoie pas à tous les instruments pertinents du Conseil de l’Europe. Et notre insatisfaction s’étiole quelque peu à la lecture de l’article 53, lequel reprend les « conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les Etats membres. » 165 Les droits oubliés. Certains droits reconnus dans des instruments européens de protection des droits fondamentaux ont été purement et simplement exclus de la Charte. Certes, le mandat de Cologne se limitait à la volonté de recenser les droits fondamentaux en vigueur dans l’Union, et non à emprunter à chaque convention européenne son niveau de protection le plus élevé. Néanmoins, nous nous expliquons mal pourquoi certains droits n’apparaissent pas dans la Charte... Ainsi en est-il du droit au logement, proclamé à l’article 31 CSE463, ou du droit à l’intégration sociale, présent 460 V. Charte sociale européenne – Recueil de textes, Editions du Conseil de l’Europe, 2e éd. septembre- 2000, 406 p. 461 L’adoption du Protocole n°11 à la CEDH a fait disparaître la Commission européenne des droits de l’homme, et a ainsi limité les risques de divergence d’interprétation des dispositions de la CEDH entre les organes de Strasbourg. 462 L’exclusivité d’interprétation de la CEDH par la Cour européenne des droits de l’homme n’empêche pas cependant la CJCE d’en fournir une interprétation valable dans l’ordre juridique communautaire. 463 Art. 31 CSE : « Toute personne a droit au logement. » 152 dans l’article 30 CSE464. Pouvons-nous trouver, dans d’autres clauses de la Charte, les moyens juridiques de combler ces manques ? Rien n’est moins sûr. Pour reprendre l’exemple du droit au logement, dans l’état actuel du droit de l’Union, il est peu probable qu’une lecture extensive de l’article 29 de la Charte conduise à considérer le « droit au placement » comme plus qu’un droit à une aide sociale d’accès au travail, qui couvrirait ainsi les deux lacunes de la Charte sus-évoquées. De même manque-t-il à la Charte465 un article garantissant le droit des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, voire un droit à l’autonomie locale ou régionale droits préservés par les instruments du Conseil de l’Europe telles que la Conventioncadre pour la protection des minorités nationales466 et la Charte européenne de l’autonomie locale467. Malheureusement pour les revendications des minorités et pour le droit à la discrimination positive, l’article 21 de la Charte est formulé de manière négative. Mais peut-être le juge en aura-t-il une lecture moins littérale… SECTION II : L’ESSOR DES DROITS FONDAMENTAUX NATIONAUX 166 L’exécution juridictionnelle. De même que les autorités législatives et administratives nationales doivent user de leurs pouvoirs conformément à leurs 464 L’article 30 CSE est ainsi libellé : « Toute personne a droit à une protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale. » 465 Ainsi que le relève à juste titre l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. V. Rapport révisé de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, du 27 septembre 2000, « Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Doc. n°8819, Charte 4499/00, Contrib 349, p. 3. 466 Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales, du 10 novembre 1994, entrée en vigueur le 1er février 1998. 467 Comité des ministres du Conseil de l’Europe, Charte européenne de l’autonomie locale, du 15 octobre 1985, en vigueur le 1er septembre 1988, éd. Conseil de l’Europe, série des Traités européens n°122, 7 p. 153 compétences d’exécution du droit communautaire, de même les juridictions nationales constituent le relais de la mise en ouvre du droit communautaire sur le terrain contentieux468. Ce juge communautaire de droit commun est ainsi investi, par une sorte de « détriplement » fonctionnel, d’une mission d’application du droit communautaire et de respect des droits conventionnels des droits de l’homme, en plus de son rôle d’autorité nationale469. C’est à lui d’assurer la prévalence du droit communautaire. Et le principe d’autonomie procédurale encadrée, face aux risques de fluctuation de la sanction effective de la primauté du droit communautaire, neutralise les effets centrifuges de l’autonomie procédurale470, notamment des clauses de renvoi à la loi nationale. 167 Cependant, l’harmonisation de l’exécution juridictionnelle des droits fondamentaux communautaires n’est pas acquise. Et nous pouvons douter du caractère opératoire du principe d’autonomie procédurale encadré en matière de droits fondamentaux. En effet, en opérant un renvoi à la loi nationale, la Charte des droits fondamentaux de l’Union procède à un renvoi à une loi constitutionnellement contrôlée, soit par voie d’action, soit par voie d’exception. La plupart des constitutions nationales disposant d’un catalogue de droits fondamentaux ou d’un Bill of Rights471, le juge national sera enclin à s’y référer plus qu’à la Charte, qu’il percevra à travers le prisme des droits nationaux. Or, si le droit constitutionnel national est moins avancé que celui de la Charte, lequel est doté d’une clause de renvoi à la législation nationale, le juge national sera incité d’y lire une clause de licéité des restrictions nationales, et non l’expression du principe de subsidiarité. C’est là toute l’ambiguïté d’une formule 468 V. D. Simon, Le système juridique communautaire, op. cit., p. 108, § 86. 469 V. O. B. Dord, Cours constitutionnelles nationales et normes européennes, Université de Paris X – Nanterre, 12 janvier 1996, 714 p. 470 D. Simon, La subsidiarité juridictionnelle, notion-gadget ou concept opératoire ?, RAE janvier 1998, p. 84. 471 Avec lesquels – est-il besoin de le préciser ? – la Charte devra coexister. 154 extrêmement vague : la garantie d’un droit « dans les cas et conditions prévus par […] les législations et pratiques communautaires. » 168 Liberté du juge international – entrave du juge national. Contrairement à son homologue de droit interne, le juge international est beaucoup plus libre dans son interprétation des droits fondamentaux. Si tous deux sont garants, dans leurs ordres juridiques respectifs, du respect du droit, le juge international est affranchi de la loi nationale472, tandis que le juge interne doit respecter le droit international, notamment à travers l’effet utile et la prévalence du droit communautaire473. La latitude laissée au juge international se retrouve également dans les méthodes d’interprétation laissées à sa discrétion : systémique, téléologique, évolutive474, … 169 Plan. Appelée à être prise en considération et mise en application tant par le juge national que par le juge communautaire, la Charte des droits fondamentaux peut trouver, dans la jurisprudence internationale, un terrain propice à l’harmonisation des droits fondamentaux garantis aux bénéfice des personnes, sans distinction. Ce faisant, elle contribue à la neutralisation des discriminations à rebours (§ 1), tout en permettant aux juges nationaux de prendre en considération des droits émanants d’autres ordres juridiques nationaux (§ 2). 472 Dont il peut s’inspirer, par exemple au titre des traditios constitutionnelles communes aux Etats membres, mais qu’il n’applique que sous contrôle des normes internationales ou communautaires. 473 CJCE, 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal, Rec. p. 629, cons. 21 : « Il découle de l’ensemble de ce qui précède que tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence de l’obligation d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure. » ; v. également les articles 55 et 56 de la Constitution française. 474 V. supra, titre II, chapitre I, section II. 155 §1) Le glas des discriminations à rebours 170 Discrimination à rebours et situations purement internes. En principe, le droit communautaire ne se préoccupe pas des situations purement interne, mais des mesures propres à compromettre la jouissance transfrontalière des droits et libertés garanties par le droit communautaire. Mais cela ne signifie pas que les réglementations internes en apparence ne déploient pas d’effet qui soient contraires à la réalisation d’un « espace de liberté, de sécurité et de justice ». Tout contrôle des mesures indistinctement applicables n’est pas abandonné. Lorsque de telles réglementations auront pour objet ou pour effet de priver les ressortissants communautaires du bénéfice d’un droit qu’ils tirent du droit communautaire, la Cour de Justice sanctionnera l’Etat. Toute différente est la question des discriminations à rebours, dans lesquelles ce sont les nationaux de l’Etat membre qui, sur son sol, sont défavorisés par rapport aux autres ressotissants de l’Union. Alors le droit communautaire n’a pas a priori vocation à intervenir475. Mais des hypothèses existent dans lesquelles le droit communautaire s’interposera entre le ressortissant national et le droit interne, empêchant ainsi la discrimination à rebours. Ainsi les discriminations à rebours seront prohibées par le droit communautaire, sous l’effet de deux mouvements. Le premier mouvement résulte des hypothèses, de plus en plus nombreuses, dans lesquelles l’Etat refuse fautivement, à son ressortissant, le bénéfice d’un droit ou d’une liberté auquel le droit communautaire confère un effet direct476. Le second mouvement vient de la nouvelle rédaction de l’impératif de non- 475 CJCE, 7 février 1979, aff. 115/78, Knoors, Rec. 1979, p. 399, pour une personne n’ayant jamais quitté son territoire national. Pareille situation est choquante, tout en étant parfaitement explicable en droit. 476 Une lecture combinée des arrêts Auer et Auer II (CJCE, 7 février 1979, aff. 136/78, Auer, Rec. 1979, p. 437, et CJCE, 22 septembre 1983, aff. 271/82, Auer II, Rec. 1983, p. 2727, note Bazex, RTD eur. 1984, p. 511) permet de constater que la Cour d’Appel de Colmar a refusé le bénéfice de l’égalité de traitement imposée par une directive non-transposée en considération de la nationalité du demandeur. 156 discrimination, laquelle voit sa nature évoluer vers un principe général de nondiscrimination, et sa portée s’étendre au champ des discriminations à rebours477. 171 Plan. En définitive, le fléau que constituent les discriminations à rebours pour l’application uniforme du droit communautaire, a trouvé dans la Charte un coup d’arrêt à son expansion. C’est essentiellement par le truchement d’un principe de nondiscrimination revalorisé (A) que la Charte abonde dans le sens d’une disparition des discriminations à rebours. Toutefois, resurgit une exigence essentielle d’invocabilité du droit communautaire au contentieux : celle de l’existence d’un élément d’extranéité communautaire. La nature des droits consacrés dans la Charte ne commande-t-elle pas d’apprécier de façon restrictive l’opposabilité des « situations purement internes » au contentieux des droits de l’homme (B) ? A) Une impulsion pour le principe de non-discrimination 172 Non-discrimination et droit européen. La non-discrimination, ainsi que son corollaire l’égalité de traitement, ne s’analysent pas seulement en tant que principes généraux de droit478 ; ils se retrouvent dans les traités constitutifs de l’ordre juridique européen. Ces deux aspects d’un même principe s’intègrent dans les libertés fondamentales pour lesquelles la Communauté européenne a développé une compétence normative479, et se déploient dans de nombreux domaines du droit matériel. Les articles 12, 13 et 141, paragraphe 3 du TCE en contiennent l’expression communautaire appliquée aux droits des personnes. D’autres dispositions du traité sur la Communauté 477 V. infra. 478 V. CJCE, 17 avril 1997, aff. C-15/95, EARL, Rec. 1997, p. I-1961 ; CJCE, 13 avril 2000, aff. C- 292/97, Karlsson, Rec. 2000, p. I-2760. 479 V. supra, nos développements aux paragraphes 43, 146 et 162. 157 européenne font également mention de ce principe480. Quant au système instauré par la Convention de Rome, il a veillé dès les origines à assurer une égalité de traitement (article 14 CEDH) qui, bien que dépourvue d’existence indépendante d’autres droits et libertés481, a difficilement acquis une autonomie dans la jurisprudence de la Cour EDH482. 173 L’originalité du principe de non-discrimination retranscrit dans la Charte tient à sa démarcation par rapport aux traités européens. Dans le système communautaire, la différence rédactionnelle avec l’article 13 CE peut susciter des craintes. En effet, l’égalité de traitement telle que l’explicite l’article 13 CE n’est pas aussi riche que celui retranscrit dans la Charte. Pour ce qui est du système conventionnel des droits de l’homme, comme le remarque le professeur Flauss483, l’article 21 de la Charte ne figure pas dans la liste des droits qui, selon le Présidium, ont le même sens et la même portée, ou le même sens et une portée plus grande, que les articles correspondants de la CEDH484. Mais les craintes évoquées demeurent surfaites. Dans l’ordre juridique communautaire, l’article 13 CE, bien qu’il soit formulé comme un pouvoir aux mains du Conseil, porte en germe les améliorations recensées dans l’article 21 de la Charte, à travers l’adverbe « notamment ». Le Tribunal a eu l’occasion 480 Mais appliqué à des droits économiques trop éloignés des droits fondamentaux pour que nous nous y intéressions dans cette étude. 481 La discrimination n’est interdite que pour autant qu’elle se pratique dans un droit ou une liberté. 482 M. Bossuyt, Article 14, in L.-E. Pettiti, E. Decaux et P.-H. Imbert, La Convention européenne des droits de l’homme, commentaire article par article, 2e éd. Economica, 1999, pp. 478-481. Comparer avec V. Coussirat-Coustère, AFDI, 1997, p. 590, point 59, et surtout AFDI, 1999, pp. 759-760, point 23. 483 J.-F. Flauss, Les Droits de l’homme dans l’Union européenne : chronique d’actualité 1999-2000 (1re partie), Petites Affiches, n° 155, 6 août 2001, p. 8. 484 V. Commentaire de l’article 52, paragraphe 2 de la Charte par le Présidium (Charte 4473/00, Convent 49 du 11 octobre 2000). 158 d’étendre le champ d’application du principe de non-discrimination485, la Cour celle d’énoncer le principe général de non-discrimination486. Et dans le système du Conseil de l’Europe, suite à l’adoption du Protocole n°12 à la CEDH, le 4 novembre 2000, une mise à jour de la contribution du Présidium s’impose. Par la teneur des droits énoncés, dans deux listes non exhaustives, le droit inscrit dans la Charte a certainement le même sens et une portée plus grande que le droit conventionnel des droits de l’homme ou son homologue communautaire. 174 Non-discrimination et Charte. En définitive, la Charte prend acte de la convergence des développements récents du principe de non-discrimination dans les ordres européens. L’article 21, paragraphe 1 de la Charte dispose : « Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. ». Simultanément avec la CEDH487, la Charte érige le principe de non-discrimination en principe structurel du droit communautaire ; auparavant, le principe de non-discrimination devait se conjuguer avec d’autres droits établis dans le traité, et dont une violation, ou une 485 Pour une application de ce principe aux situations familiales, v. TPI, 26 septembre 1990, aff. T-48/89, Beltrante e.a. c/ Conseil, Rec. 1990, p. II-493, cons. 34 ou même jour, aff. T-52/89, Piemonte c/ Conseil, Rec. 1990, p. II-513, cons. 34 ; les prémisses d’un contrôle communautaire d’un principe autonome d’égalité de traitement ont été posés par trois arrêts du TPI le 30 septembre 1998 : Chvatal e.a. c/ Cour de justice (aff. T-154/96, RecFP p. II-1579, cons. 126, 134-135), Losch c/ Cour de justice (aff. T-13/97, RecFP p. II-1633, cons. 113, 121-122) et Busacca e.a. c/ Cour des comptes (aff. T-164/97, RecFP p. II1699, cons. 49, 58-59). 486 CJCE, 23 novembre 1999, aff.C-149/96, Portugal c/ Conseil, Rec. 1999, p. I-8395, cons.91. 487 art. 1 du Protocole 12 CEDH : « La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, ou toute autre situation. » 159 application différenciée sur le fondement de critères prohibés, constituent une infraction au principe d’égalité de traitement. Désormais, la Charte consacre le droit à l’égalité de traitement comme un droit propre de la personne, bénéficiant d’une applicabilité directe, comme un droit autonome, qui n’est pas conditionné par la violation d’autres droits, comme un droit progressif, susceptible de déployer ses effets dans des domaines autres que ceux énumérés… et peut-être même comme norme d’articulation entre les ordres juridiques communautaires et conventionnels des droits de l’homme. 175 L’impulsion ainsi conférée au principe de non-discrimination n’est pourtant pas absolue. La Charte tolère, voire encourage les discriminations positives, notamment en ses articles 23 § 2 (droit du sexe sous-représenté), 24 (droit de l’enfant), 25 (droit des personnes âgées), 26 (intégration des personnes handicapées) et, dans une certaine mesure, en son article 22 (diversité culturelle, religieuse et linguistique). Ces discriminations positives s’inscrivent dans le processus de spécification des droits fondamentaux sus-évoqués488. Elles constituent une expression négative de l’égalité de traitement : deux individus placés dans deux situations objectivement différentes doivent être traitées différemment. Partant le principe d’universalité s’accorde avec le principe de non-discrimination. Bien que la Charte soit dépourvue de valeur juridique formelle, elle témoigne, non d’une révolution, mais d’une évolution dans la manière d’appréhender le principe de non-discrimination : s’estompent les limitations classiques du principe d’égalité de traitement (national, sexuel,…) au profit d’un principe de nondiscrimination véritablement universel… 488 V. titre II, chapitre I, section I. 160 B) L’opposabilité des situations purement internes au contentieux des droits de l’homme 176 Situations purement internes et non-discrimination. Les solutions classiques du droit communautaire admettent en principe l’existence des discriminations à rebours, avec le tempérament révélé notamment à l’occasion des jurisprudences Auer489, selon lequel une discrimination à rebours tombe devant l’effet direct des dispositions communautaires. Or, l’adoption de la Charte aura comme effet de réduire le dernier pré carré de souveraineté que constitue ce type de discriminations. En effet, rompant avec notre postulat de départ, la Charte ne constitue pas une codification à droit constant dans le domaine de la non-discrimination. Par sa formulation comme par sa place dans la Charte, le principe de non-discrimination est érigé en principe gouvernant l’ensemble des actions des Institutions comme des autorités nationales490. Il s’ensuit deux séries de conséquences. La première est que le principe de non-discrimination neutralise à terme toute discrimination à rebours, par « communautarisation » des dernières situations purement internes. Dès lors qu’une différence de traitement existera entre deux ressortissants, même nationaux, l’Etat aura manqué à une obligation tirée du droit communautaire, qui est d’assurer, conformément à la Charte, une égalité de traitement. L’élément d’extranéité sera, en quelque sorte, pré-constitué par l’adoption de l’article 21 de la Charte. La seconde série de conséquences est que, par retour de flammes, sauf disposition ayant même valeur que le principe de non-discrimination, peuvent également être interdites les discriminations positives. 489 CJCE, Auer I et Auer II, op. cit. 490 L’absence de référence, dans le premier paragraphe de l’article 21, au « domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne », laquelle figure en tête du second paragraphe, ne peut constituer un oubli… Ce qui témoigne bien de la volonté de la Convention de revaloriser le principe de non-discrimination. 161 177 Bien sûr, ce saut qualitatif du droit communautaire de la non-discrimination sera perçu, par les autorités nationales, avec plus ou moins de bonheur, et peut-être même décrié comme une forme d’impérialisme. N’en déplaise aux thuriféraires de la souveraineté nationale, la CJCE a déjà entamé, dans le domaine des droits sociaux, toute indépendance nationale. Dans l’arrêt Martinez Sala, du 12 mai 1998491, la Cour a lié au contentieux le principe de non-discrimination, la citoyenneté européenne et le bénéfice de prestations sociales, en termes clairs : « En tant que ressortissante d'un État membre résidant légalement sur le territoire d'un autre État membre, la requérante au principal relève du domaine d'application ratione personae des dispositions du traité consacrées à la citoyenneté européenne. […] Or, l'article 8, paragraphe 2, du traité attache au statut de citoyen de l'Union les devoirs et les droits prévus par le traité, dont celui, prévu à l'article 6 du traité, de ne pas subir de discrimination en raison de la nationalité dans le champ d'application ratione materiae du traité. Il en résulte qu'un citoyen de l'Union européenne qui, telle la requérante au principal, réside légalement sur le territoire de l'État membre d'accueil peut se prévaloir de l'article 6 du traité dans toutes les situations relevant du domaine d'application ratione materiae du droit communautaire (…) »492. Cette jurisprudence, certes controversée, pourrait éclairer les rapports entre les droits consacrés dans divers chapitres de la Charte et, mutatis mutandis, voir le critère de la citoyenneté européenne prendre le pas sur l’exigence de toute autre qualité dans les matières couvertes par le traité. 178 Situations purement internes et inapplicabilité du droit communautaire. Malheureusement, les indices d’une telle évolution sont minces. En effet, depuis 1998, l’attendu qui nous intéresse dans la jurisprudence Martinez Sala n’a pas été repris par la Cour de Justice. En outre, cette dernière fait elle-même une application litigieuse du principe de non-discrimination, ne lui permettant plus de 491 CJCE, 12 mai 1998, aff. C-85/96, Martìnez Sala, Rec. 1998, p. I-2691 492 CJCE, Martinez Sala, ibid., cons. 61 à 63. 162 déployer toutes ses potentialités au sein même du droit communautaire. Dans la dernière affaire en date, l’arrêt D. et Suède c/ Parlement, du 31 mai 2001, la CJCE a refusé de considérer l’octroi d’une allocation au fonctionnaire marié comme une discrimination sur le fondement de l’orientation sexuelle, alors que le requérant avait enregistré un partenariat légal avec un conjoint de même sexe dans son Etat d’origine493. La Cour a refusé de se prononcer sur l’effet d’une telle discrimination quant aux droits sociaux liés au statut national494. En définitive, si la Cour affirme que même l’état civil est inopposable aux autres Etats de l’Union, il y a peu d’espoir de la voir étendre le principe de non-discrimination à d’autres domaines relevant d’autres situations de droit interne. Devant les hésitations de la CJCE, ne serait-il pas souhaitable que les juges nationaux s’emploient à puiser dans leurs droits fondamentaux nationaux le complément nécessaire à la sauvegarde de l’effectivité du droit, indépendamment du lieu de survenance du litige ? 493 CJCE, 31 mai 2001, aff. jtes C-122/99 P et C-125/99 P, D. et Suède c/ Conseil, non publié au Recueil : « S’agissant […] de l’atteinte à l’égalité de traitement qui existerait entre les fonctionnaires en raison de leur orientation sexuelle, il apparaît que ce n’est pas non plus le sexe du partenaire qui constitue la condition d’octroi de l’allocation de foyer, mais la nature juridique des liens qui l’unissent au fonctionnaire. » (cons. 47). Mais le choix de se référer dans les statuts à la nature juridique des liens n’estil pas en lui-même discriminatoire, et fondée sur un ensemble de pratiques qui ne le sont pas moins ? Comme le remarque plus loin la Cour : « la situation qui existe dans les Etats membres de la Communauté quant à la reconnaissance des partenariats entre personnes de même sexe ou de sexe différent est marquée […] par une grande hétérogénéité des législations et par une absence générale d’assimilation entre le mariage, d’une part, et les autres formes d’union légale, d’autre part. » (cons. 50). 494 Ibid., la Cour a considéré que la revendication des bénéfices afférents à l’état civil constituait un moyen nouveau qui, partant, était irrecevable (cons. 53 à 57). 163 §2) Vers une extraterritorialité des droits fondamentaux nationaux ? 179 Extra-territorialité des droits de l’Homme. La question de l’application extra-territoriale du droit national a toujours constitué un nerf sensible pour les autorités nationales, lesquelles demeurent attachées à ce que les juges européens respectent les frontières de leurs juridictions respectives. Pourtant, l’application extraterritoriale du droit appliqué aux droits fondamentaux pose moins de difficulté, en raison d’une part du principe d’universalité, et de la multiplication, sur la scène européenne, des conventions portant reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires495, d’autre part. Au niveau communautaire, la promotion sur le territoire de l’Union de valeurs fondamentales nationales a subi un contre-coup dans l’arrêt D. et Suède c/ Conseil496, que nous venons d’évoquer. En effet, la Cour de Justice, arguant de la diversité des situations dans les différents Etats membres, a refusé de procéder à l’assimilation entre les personnes enregistrées selon un partenariat légale et les personnes mariées497. Or, une telle position 495 V. par exemple les nombreuses conventions conclues au sein du Conseil de l’Europe (http://conventions.coe.int/Treaty/FR/CadreListeTraites.htm). Des efforts sont également déployés pour que, suivant le modèle d’Europol, un corps de juristes européens, Eurojust, soit mis en place, ce qui devrait faciliter l’harmonisation des procédures et la reconnaissance mutuelle des décisions de justice. 496 CJCE, 31 mai 2001, D. et Suède c/ Conseil, op. cit. 497 Ibid., cons. 36 : « Au-delà de leur grande hétérogénéité, ces régimes d’enregistrement de relations de couple, qui n’étaient jusque-là pas reconnues par la loi sont, dans les Etats membres concernés, distincts du mariage. » et 37 : « De telles circonstances ne permettent pas au juge communautaire d’interpréter le statut de telle sorte que soient assimilées au mariage des situations légales qui en sont distinctes (…) ». Pourquoi la Cour ressent-elle de tels scrupules, lesquels vident le statut légal de sa substance et de son intérêt pour les partenaires ayant décidé de vivre au grand jour une union stable, après avoir elle-même constaté : « (…) une relation stable mais n’ayant d’existence qu’en fait entre partenaires de même sexe – hypothèse examinée dans l’arrêt Grant, précité – n’est pas nécessairement équivalente à un statut légal de partenariat enregistré (…) » (cons. 33.) ? 164 contrevient naturellement à la formulation extrêmement vaste de l’article 9 de la Charte498. Globalement, cette dernière pourrait trouver, dans la jurisprudence des Cours suprêmes des Etats membres, un écho suffisamment fort pour vaincre les réticences de la Cour de Luxembourg. Le juge suprême ne devrait-il pas s’inspirer des droits procéduraux contenus dans la Charte pour reconnaître à toute personne le bénéfice de celle-ci ? 180 Plan. Les droits de l’Homme étant susceptible de passer outre la perméabilité des ordres juridiques nationaux, la diffusion européenne des décisions de justice devrait assurer la promotion de la Charte sur le territoire communautaire. S’inscrivant parmi les mécanismes d’influence réciproque des juges nationaux, la Charte des droits fondamentaux de l’Union pourrait bien dynamiser la promotion internationale des droits fondamentaux nationaux (A). Cette opération étant bijective, il nous faudra également étudier la manière dont le juge national réceptionne les droits fondamentaux « importés » d’autres ordres juridiques (B). A) La promotion des valeurs nationales dans les autres Etats membres 181 Prohibition de l’extraterritorialité judiciaire. La question de l’extraterritorialité des droits fondamentaux nationaux est délicate, en ce qu’elle s’oppose d’une part au principe classique de souveraineté nationale, et d’autre part au principe de primauté communautaire. Lorsqu’une juridiction choisit une base juridique de droit interne afin d’appliquer, à un litige né en dehors de son territoire national mais à l’intérieur du territoire communautaire, une lecture nationale des droits de l’Homme, elle risque la censure des juridictions de l’Etat du for comme des juridictions 498 Pour mémoire, l’art. 9 dispose : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. ». V. Supra. 165 internationales. L’application extraterritoriale du droit national est en principe prohibée. Certes, des tempéraments existent, par exemple la clause d’attribution de compétence juridictionnelle de droit international privé. Toutefois nous n’aborderons pas de tels contentieux. 182 Assouplissement de l’interdiction. Cependant, l’adoption de la Charte peut également permettre aux droits fondamentaux nationaux de rayonner en dehors de la sphère des situations purement internes. Les situations économiques et sociales des justiciables dépassent les frontières théoriques. Dans certaines situations, le juge aura à appliquer ses droits fondamentaux à une situation comportant des éléments d’extranéité, afin de garantir une protection supérieure des personnes, parce que le droit communautaire comme le droit étranger seront alors considérés comme impuissants à assurer le degré voulu d’effectivité des droits de l’Homme. 183 Déviance des droits fondamentaux. La promotion des valeurs nationales a ceci de dangereux qu’elle peut suivre des objectifs beaucoup moins altruistes que la volonté de garantir un « nivellement par le haut » des droits de la personne. Lorsque les droits fondamentaux de deux personnes entrent mutuellement en conflit, le juge national peut rendre un arrêt tout à fait légal sur le plan des principes, et manifestement contraire à l’essence même des droits fondamentaux. L’hypothèse que nous envisageons ici est celle des enlèvements d’enfant, situations aussi délicates que médiatisées. En cette hypothèse, deux personnes titulaires chacune de la nationalité d’un Etat membre, ont ensemble un enfant. Suite à leur séparation, légale ou de fait, l’un des parents emmène l’enfant dans son Etat d’origine, dans la plus parfaite violation des droits de l’autre parent. Ce dernier demandera à la justice de l’Etat sur lequel son ex-conjoint s’est enfui, de garantir l’effectivité de son droit de visite ou de son droit de garde. Cependant, les procédures, en s’éternisant, pérennisent la violation première du droit, (l’enlèvement de l’enfant) en situation de droit : le juge national, au nom de son interprétation de l’intérêt 166 supérieur de l’enfant, qui consistera toujours à vivre dans un foyer stable499, opposera des refus de plus en plus nombreux à ce que la personne requérante voit son enfant. Autrement dit, le juge national peut, en appliquant une lecture des droits fondamentaux favorable à son compatriote, anéantir le droit à une vie familiale d’un autre ressortissant communautaire. Et si pareille violation judiciaire des droits fondamentaux communautaires ouvre à la victime un recours en responsabilité contre l’Etat de résidence de son enfant, les chances d’aboutir sont infimes, et les dommages et intérêts obtenus seront insuffisants à compenser l’intégralité du préjudice... En matière d’arbitrage entre droits fondamentaux de la vie privée, la Charte demeure malheureusement muette. B) La réception des droits fondamentaux reconnus par les autres Etats membres 184 Charte et réception des droits fondamentaux. La nature même de l’exercice de codification à droit constant présume de l’applicabilité de la Charte par le juge national. Toutefois, la question de l’autorité morale et juridique des droits fondamentaux étrangers peut être résolue. Au niveau national, le juge devra, pour appliquer la Charte, puiser à son tour, dans le fonds normatif commun500, une lecture communautaire des droits fondamentaux, y compris si ces droits sont garantis par sa constitution nationale. Ce devoir tient à l’exigence de coopération loyale501, qui s’impose à toutes les instances nationales, notamment le juge502. Un indice de cette obligation se retrouve également dans le choix rédactionnel de la Convention, qui se 499 V. par exemple les arrêts C. Cass. 1re civ., 15 juin 1995, Mme Rendou c/ M. Rendou et C. Cass. 1re civ., 12 juillet 1995, M. Chamée c/ Mme Chamée, RCDI priv. N°84(1), janvier-mars 1995, note H. MuirWatt, p. 137 et s. 500 V. supra titre I, chapitre I, section II. 501 Art. 10 CE 167 réfère, même dans les clauses de renvoi à la loi, « aux législations et aux pratiques nationales ». Le choix d’un pluriel suppose que doivent être prises en considération toutes les dispositions pertinentes des normes nationales. Quant aux modalités de la réception, elles dépendant du choix initial de l’Etat d’organiser son ordre juridique de manière moniste ou dualiste. 185 La réception des droits fondamentaux dans un Etat moniste – l’exemple de la France. Le Préambule de la Constitution de 1946, l’article 55, et surtout les articles 88-1 à 88-4 de la Constitution du 4 octobre 1958503, établissent en France un régime moniste avec primauté du droit international et du droit communautaire. De la clause de réciprocité de l’article 55, le Conseil Constitutionnel va déduire son incompétence pour contrôler la conformité d’une loi à un traité, renvoyant aux juges ordinaires504. L’article 54 quant à lui est inopérant : il n’offre au juge constitutionnel la possibilité d’un contrôle de constitutionnalité que de manière préventive505. Quant aux articles 88-1 à 88-4, ils comportent des dispositions suffisamment précises pour que l’application immédiate du droit communautaire originaire s’impose. Comme la Charte n’est pas encore intégrée dans les traités, bien qu’elle soit rédigée pour pouvoir l’être, elle ne peut bénéficier de la certitude propre à l’applicabilité immédiate du droit issu des traités. Certaines jurisprudences des juridictions suprêmes devront être adaptées pour 502 CJCE, 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal, Rec. p. 629. 503 Les articles 88-1 à 88-4 ont été modifiés par une loi constitutionnelle du 8 janvier 1999, afin d’affirmer une fois pour toutes la primauté du droit communautaire. 504 V. C. Cons, 15 janvier 1975, 74-54 DC, Interruption volontaire de grossesse, , in FAVOREU (I.) et PHILIP (L.), Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, Paris, 9e éd. Dalloz, 1997, pp. 305-329. 505 L’art. 54 organise un contrôle de constitutionnalité pour tout « engagement international », expression qui ne se résume pas aux traités… 168 assurer la pleine réceptivité des droits fondamentaux reconnus dans les instruments internationaux en vigueur dans les autres Etats membres506. 186 La réception des droits fondamentaux dans un Etat dualiste – l’exemple du Royaume-Uni. A l’inverse des Etats qui, tels la France, reconnaissent le principe de primauté des engagements internationaux sur la législation nationale, les Etats dualistes conditionnent l’introduction des engagements internationaux dans leur ordre juridique, par le double jeu de la réception et de la transposition. L’ensemble du droit communautaire originaire et dérivé fut introduit dans l’ordre juridique britannique par le European Communities Act, de 1972, et il fallut attendre le mois de novembre 1998 pour qu’il en soit de même avec la CEDH, grâce au Human Rights Act507. Mutatis mutandis, un tel acte de réception sera-t-il nécessaire pour incorporer la Charte ? Pour sécurisant qu’il soit, cet acte ne semble pas nécessaire. En effet, les droits fondamentaux consignés dans la Charte constituent des droits déjà en vigueur dans l’Union, et la plupart ont le même sens et/ou la même portée que les droits correspondants dans la CEDH. Partant, les deux Acts de 1972 et de 1998 semblent suffisants à permettre l’applicabilité des droits garantis dans la Charte. Or, de tels droits faisant amplement références aux législations et pratiques nationales, ainsi qu’aux « instruments internationaux auxquels les Etats ont coopéré ou adhéré »508, le juge britannique sera certainement amené à prendre en considération les droits fondamentaux tels que garantis dans les autres Etats membres. 506 Par exemple en matière d’applicabilité de la Convention internationale sur les droits de l’enfant, qui peut inspirer la lecture des articles 24 et 32 de la Charte, v. Cons. Etat, 29 juillet 1994, Préfet de SeineMaritime, RGDIP, 1995, pp. 502 et s., et quelques mois plus tard Cons. Etat, 22 septembre 1997, Demoiselle Ginar, AJDA, 1997, p. 815. 507 Notons qu’aucune disposition de la CEDH n’oblige une Haute Partie contractante à en assurer l’application immédiate dans leur ordre juridique interne, ni n’oblige les juges à s’y référer directement. 508 Art. 53 de la Charte. 169 CONCLUSION 170 187. Charte et codification. Au terme de cette étude, la Charte des Droits fondamentaux, riche de ses promesses, lourde de ses lacunes, apparaît plus comme un processus que comme un accomplissement. Les éloges et les critiques que chacun peut lui faire révèlent sa grande plasticité, tout en stigmatisant son criant défaut de sécurité juridique. Son absence de force contraignante formelle se heurte avec sa valeur juridique intrinsèque. En somme elle emprunte au « Grand Œuvre » une part de son occultisme : comme alchimie à droit constant, la Charte des droits fondamentaux extirpe les droits fondamentaux du « hyle »509, formé par la pluralité des instruments internationaux de protection, et contribue à accroître leur visibilité et leur applicabilité… sans parvenir finalement à les découpler de leur origine ni à en assurer une totale unité d’application. De ce point de vue, la Charte est encore à la recherche de sa propre perfectibilité. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’est pas cette Pierre philosophale qui fera l’unanimité des cultures juridiques européennes autour des droits fondamentaux. 188. Comme codification à droit constant, la Charte intrigue. La disparité de ses formulations, dans les processus de garanties comme dans les restrictions aux droits, principes et libertés, ne nous permet pas de conclure à la positivité d’ensemble de la Charte. Il appartiendra au juge, et, aussi curieux que cela puisse paraître, au juge national surtout, de donner à la Charte toute sa dimension contraignante. Or, s’il nous semble prématuré d’affirmer le caractère contraignant de l’ensemble de la Charte, il est par contre certain que la Charte des Droits fondamentaux ne constitue pas de la soft-law. Comme Charte de droits essentiels, fondamentaux par nature, elle contient des dispositions beaucoup trop impératives pour être reléguées à un rang infra-normatif. Qui plus est, ces dispositions sont garanties par un système juridictionnel – certes imparfait – mais tendant vers une efficience toujours plus grande. En somme, la Charte est déjà 509 Le chaos alchimique, duquel tout procède, qui pré-existe à la matière et constitue, symboliquement, l’origine matricielle de notre monde. 171 partiellement applicable, et acquérra par la pratique les parcelles de positivité qui lui manque. 189. Charte et constitution européenne. Cependant, il nous semble non seulement prématuré, mais surtout inadéquat, de considérer la Charte comme préambule d’une Constitution européenne en formation. Considérer la Charte sous cet angle, c’est appliquer à l’Union, une organisation internationale, des modèles de raisonnement étatiques. Le « statomorphisme » n’est-il pas une analogie hasardeuse, à l’heure où les Chefs d’Etat et de Gouvernement peinent à s’accorder sur la future forme de l’Union ? Annoncée comme préambule d’une Constitution de l’Union510, voire comme « catalogue de droits fondamentaux susceptible de préfigurer la déclaration des droits qui pourrait être insérée dans la future constitution européenne »511, la Charte emprunte au débat sur la nature future de l’Union sans se l’approprier. La question constitutionnelle n’était pas du ressort de la Convention ; elle ne sera pas non plus à l’ordre du jour des prochaines réalisations. 510 A. Gruber, La Charte des Droits fondamentaux et l’Union européenne : un message clair hautement symbolique, Petites Affiches n°15, 22 janvier 2001, p. 5 : « […] elle s’inscrit déjà dans une perspective d’avenir de l’Union comme le premier élément fondamental d’une constitution européenne qui pourrait être à terme une constitution de type fédéral. » 511 J.-F. Flauss, Les Droits de l’homme dans l’Union européenne : chronique d’actualité 1999-2000 (1re partie), op. cit., p.4. Le double emploi du conditionnel révèle toute la circonspection nécessaire à l’abord de ce thème. 172 BIBLIOGRAPHIE ~ Sommaire I. OUVRAGES ET MANUELS (par ordre alphabétique) ……………………………175 1.1. OUVRAGES GENERAUX ............…….………………………………………175 1.2. OUVRAGES SPECIALISES……………………………………………………176 II. THÈSES ET MÉMOIRES (par ordre alphabétique)……………………………….177 III. ARTICLES (par ordre alphabétique) ……………………………………………..178 3.1. ARTICLES GÉNÉRAUX ……………………………………………………..178 3.2. ARTICLES SPÉCIALISES …………………………………………….………185 IV. TEXTES DE BASE (par ordre alphabétique) …………………………………….187 V. DROIT DERIVE ET COMPLEMENTAIRE ……………………………………..189 5.1. RÈGLEMENTS ……………………………………………………………...189 5.2. DIRECTIVES………………………………………………………………..190 5.3. CONVENTIONS …………………………………………………………….191 VI. CONTRIBUTIONS INSTITUTIONNELLES (par ordre chronologique) ………..192 VII. CONTRIBUTIONS DES INSTANCES CONSULTEES (par ordre chronologique) ………………………………………………………………………………………..195 7.1. CONSEIL DE L’EUROPE …………………………………………………….195 7.2. SOCIÉTÉ CIVILE ……………………………………………………………195 173 VIII. COLLOQUES (par ordre chronologique) ………………………………………196 IX. JURISPRUDENCE (par ordre chronologique) …………………………………...197 9.1. COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME …………………………..197 9.2. COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ……………………199 9.3. COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ……………………199 9.4. TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE…………..……………………………203 9.5. CONCLUSIONS DES AVOCATS GÉNÉRAUX………………………………….204 9.6. JURIDICTIONS SUPRÊMES NATIONALES …………………………………….205 9.6.1. TRIBUNAL CONSTITUTIONNEL DE KARLSRUHE …………………..205 9.6.2. CONSEIL CONSTITUTIONNEL FRANÇAIS ………………………….206 9.6.3. COUR DE CASSATION FRANÇAISE ……………………………….206 9.6.4. CONSEIL D’ÉTAT FRANÇAIS …………………………………….206 X. ARTICLES DE PRESSE (par ordre chronologique)………………………………207 XI. SITES INTERNET (par ordre alphabétique) ……………..………………………208 ~ 174 I. OUVRAGES (par ordre alphabétique) 1.1. OUVRAGES GÉNÉRAUX BERGER (V.), Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, 6e éd. Sirey, 1998, 725 p. COHEN-JONATHAN (G.), Aspects européens des droits fondamentaux, 2e éd. Montchrestien, 1999, spéc. pp. 139-186. DAILLET (P.) et PELLET (A.), Droit international public, 5e éd. LGDJ, 1994, 1317 p. PÉTTITI (L.-E.), dir., DECAUX (E.) et IMBERT (P.-H.), La Convention européenne des droits de l’homme, commentaire article par article, 2e éd. Economica, 1999, 1230 p. 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Convention du Conseil de l'Europe, du 28 janvier 1981, pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, STE 180, éd. du Conseil de l’Europe, 8 p. Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (1989), in L. Dubouis et C. Gueydan, Grands textes de droit communautaire et de l’Union européenne, 4e éd. Dalloz, n° N2, pp. 816-823. Convention du 26 juillet 1995, établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, JOCE n° C 316 du 27 novembre 1995. Convention du 26 mai 1997, établie sur la base de l'article K.3 paragraphe 2, point c), du traité sur l'Union européenne relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne, JOCE n° C 195 du 25 juin 1997. 188 Statut de la Cour pénale internationale (Rome, 17 juillet 1998), in P.-M. Dupuy, Grands textes de Droit international public, 2e éd. Dalloz 2000, n°18, pp. 180-199. Convention du Conseil de l'Europe, conclue à Oviedo le 19 novembre 1996, sur les Droits de l'Homme et la Biomédecine, telle que modifiée par son protocole additionnel du 12 janvier 1998, STE 164, éd. Du Conseil de l’Europe, 20 p. Convention conclue le 26 juillet 1995 sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne portant création d'un Office européen de police (convention Europol), JOCE n° C 316 du 27 novembre 1995. Projet de Charte des Droits fondamentaux, version du 31 juillet 2000, commentée article par article par le Présidium, Charte 4423/00, Convent 46 du 31 juillet 2000, 37 p. Déclaration conjointe du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, proclamant la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, Faite à Nice, 7 décembre 2000, (JOCE n°C 364, 31 décembre 2000, pp. 1-22). V. DROIT DÉRIVÉ chronologique) ET COMPLÉMENTAIRE (par ordre 5.1. RÈGLEMENTS Règlement (CEE) n°1612/68 du Conseil relatif à la libre circulation des personnes à l’intérieur de la Communauté, JOCE n° L 257, du 19 octobre 1968, p. 2. Règlement (CEE) n°1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et à leurs familles qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE n° L 149, du 5 juillet 1971, p. 2. 189 Règlement de procédure de la Cour de Justice des Communautés européennes, du 19 février 1991, JOCE n° C 34 du 1er février 2001, modifié par JOCE n°L 119, du 27 avril 2001. Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale JOCE n° L 12 du 16 janvier 2001 pp.1 – 23. 5.2. DIRECTIVES Directive 77/187/CEE du Conseil, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements, JOCE n°L 61, du 5 mars 1977, p. 26. Directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, sur la protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l’employeur JOCE n° L 283 du 20 octobre 1980. Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la santé et de la sécurité au travail, JOCE n° L 183 du 29 juin 1989, p. 1. Directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires, et administratives des Etats membres relatives à l’exercice d’activité de radiodiffusion télévisuelle, JOCE L 298 du 17 octobre 1989. Modifiée en dernier lieu par la directive 97/36 du 30 juin 1997, JOCE, n° L 202, du 30 juillet 1997. 190 Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail, JOCE n° L 348 du 28 novembre 1992, p. 1. Directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, JOCE n° L 307, du 13 décembre 1993, p. 18. Directive 94/33/CE du Conseil, du 22 juin 1994, relative à la protection des jeunes au travail, JOCE n° L 216 du 20 août 1994, p. 12. Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données, JOCE n° L 281 du 23 novembre 1995, p. 31. Directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES, JOCE n° L 145 du 19 juin 1996, p. 4. 5.3. CONVENTIONS Convention de Bruxelles, du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOCE n° C 27 du 26 janvier 1998, p. 1 (version consolidée). 191 Convention de Lugano, du 16 septembre 1988, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOCE n° L 319 du 25 novembre 1988, pp. 9 – 33. VI. CONTRIBUTIONS chronologique) INSTITUTIONNELLES (par ordre Déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, du 5 avril 1977, sur les droits fondamentaux, JOCE C n°103, 27 avril 1977). Mémorandum de la Commission, du 4 avril 1979, sur l’adhésion des Communautés à la Convention européenne des droits de l’homme (Bull. CE, supplément 2/79) Déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et des représentants des Etats membres, réunis au sein du Conseil et de la Commission, contre le racisme et la xénophobie, du 11 juin 1986, JOCE n° C 158 du 25 juin 1986, pp. 1 – 3. Déclaration du Parlement européen, du 12 avril 1989, sur les droits et libertés fondamentaux (JOCE C n°120, 16 mai 1989, p.52) Déclaration du Conseil, du 29 mai 1990, relative à la lutte contre le racisme et la xénophobie, Bull. CE 5-1990, point 1.2.247, pp. 68-69. Résolution du Parlement européen sur les Conférences intergouvernementales dans le cadre de la stratégie du Parlement européen dans l’Union européenne (JOCE C n°324, 24 décembre 1990, p. 219). 192 Communication de la Commission et du Conseil, du 6 décembre 1993, portant code de conduite concernant l’accès du public aux documents (JOCE n° L 340, p. 41). Décision n°93/731/CE du Conseil, du 20 décembre 1993, relative à l’accès du public aux documents du Conseil (JOCE n° L 340, p. 43). Résolution du Parlement européen, du 18 janvier 1994, sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (JOCE n° C 44, du 14 février 1994). Décision n°94/90/CECA, CE et Euratom de la Commission, du 8 février 1994, relative à l’accès au public des documents de la Commission (JOCE n° L 46, p. 58). Résolution du Parlement européen du 10 février 1994, sur la Constitution de l’Union européenne (JOCE n° C 61, du 28 février 1994, p.155 ou n° C 44, du 14 février 1994) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, COM (1995), « L’Union européenne et les aspects extérieurs de la politique des droits de l’homme : de Rome à Maastricht et au-delà. », Bull. UE, suppl. 3/95, p. 28. Communication de la Commission, COM(1996) 443, « Sur les services d'intérêt général en Europe », JOCE n° C 281 du 26 septembre 1996, et Bull. UE 9-1996, point 1.3.4. Résolution du Parlement européen du 28 avril 1997 (JOCE n° C 132 du 28 avril 1997). Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Cologne, des 3 et 4 juin 1999, Bull. UE n° 6-1999, points I.1 – I.65. 193 Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Tampere, des 15 et 16 octobre 1999, Bull. UE n° 10-1999, points I.1 – I.16. Commission, note de secrétariat : la Charte des Droits fondamentaux, aspects horizontaux (12 janvier 2000), version ronéotypée. Résolution A5-0064/2000 du Parlement européen du 16 mars 2000 sur l’élaboration d’une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, publiée sous le procès verbal de la session plénière du 16 mars 2000. Communication de la Commission, du 13 septembre 2000, « Sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », COM(2000) 559 final, 11 p. Communication de la Commission du 20 septembre 2000, COM(2000) 580, sur « Sur les services d'intérêt général en Europe », Bull. UE n°9/2000, point 1.3.19. Résolution 1005/2000 du Comité économique et social, du 20 septembre 2000, Vers une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Bull. UE n°9/2000, point 1.2.3., p. 9. Résolution 140/2000 du Comité des Régions, du 20 septembre 2000, sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Bull. UE n°9/2000, point 1.2.4., p. 9. Résolution B5-767/2000 du Parlement européen sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, du 2 octobre 2000, publiée sous le procès-verbal de la session plénière du 3 octobre 2000. Communication de la Commission, du 11 octobre 2000, COM(2000) 644 final « Sur la nature de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », enregistré par la Convention comme Charte 4956/00, Contrib. 355, 8 p. 194 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, du 23 mai 2001, COM(2001) 278 final, « Mise à jour du tableau de bord pour l’examen des progrès réalisés en vue de la création d’un « espace de liberté, de sécurité et de justice » dans l’Union européenne », 44 p. VII. CONTRIBUTIONS DES INSTANCES CONSULTEES (par ordre chronologique) 7.1. CONSEIL DE L’EUROPE (documents ronéotypés) Contribution du Conseil de l’Europe à la Charte de l’Union européenne sur les Droits fondamentaux, Fischbach et Kruger, ronéotypé. Commission des Questions sociales, de la santé et de la famille, Assemblée parlementaire, doc. 8627 du 24 janvier 2000. Commission des questions politiques, Assemblée parlementaire, doc. 8615, 17 janvier 2000 Commission des questions juridiques et des Droits de l’homme, Assemblée parlementaire, doc. 8611 du 14 janvier 2000. 7.2. SOCIETE CIVILE FIDH, Une Charte des Droits fondamentaux pour l’Union européenne : un réel progrès ?, Rapport n°287, novembre 1999, 23 p. 195 VIII. COLLOQUES (par ordre chronologique) MEYER-BISCH (P., éd.), Le noyau intangible des droits de l’homme, éd. Universitaires de Fribourg (Suisse), 1991, 272 p., spéc. pp. 19-29. S.F.D.I., Colloque de Strasbourg, La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, Pédone, 1998, 344 p. S.F.D.I., Colloque de Bordeaux, Droit international et Droit communautaire. Perspectives actuelles, Pédone, 1999, 448 p. SUDRE (F.) et LABAYLE (H., dir.), Réalité et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Journée Nationale d’Etude de la Commission pour l’Etude des Communautés européennes, Faculté de Droit de Montpellier, 4 et 5 novembre 1999, éd. Bruylant, Bruxelles, coll. Droit et Justice, 2000, 531 p. Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne (BARRAU, dir.), La Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, 26 avril 2000, Paris, DIAN, 11e législature, n°37/2000, 94 p. C.E.I.E., La Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, 16 et 17 juin 2000, Institut de Droit international comparé, in numéro spécial de la RUDH, 15 septembre 2000. 196 IX. JURISPRUDENCE (par ordre chronologique) 9.1. COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CourEDH, 21 février 1975, Golder, Rec. série A vol. 18, 124 p. CourEDH, 8 juin 1976, Engel e.a. c/ Pays-Bas, Rec. série A vol. 22, 142 p. CourEDH, 6 septembre 1978, Klass, Rec. série A vol. 28, 72 p. CourEDH, 9 octobre 1979, Airey, Rec. série A vol. 32, 60 p. CourEDH, 24 octobre 1979, Winterwerp, Rec. série A vol. 33, 60 p. CourEDH, 27 février 1980, Deweer c/ Belgique, Rec. série A vol. 35, 68 p. CourEDH, 25 mars 1983, Silver, Rec. série A vol. 61, 87 p. CourEDH, 2 août 1984, Malone, Rec. série A vol. 82, 127 p. CourEDH, 28 mai 1985, Ashingdane, Rec. série A vol. 93, 89 p. CourEDH, 29 mai 1986, Feldbrugge, Rec. série A vol. 99, 96 p. CourEDH, 27 avril 1988, Boyle et Rice c/ Royaume-Uni, Rec. série A vol. 131. CourEDH, 23 novembre 1988, Brogan, Rec. série A vol. 145-B, 135 p. CourEDH, 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, Rec. série A vol. 161, 83 p. CourEDH, 24 avril 1990, Kruslin et Huvig, Rec. série A vol. 176-A et série A vol. 176B, 151 p. CourEDH, 30 octobre 1991, Borgers c/ Belgique, Rec. série A vol. 214-B, 197 p. CourEDH, 26 mars 1992, Editions Périscope c/ France, Rec. série A vol. 234-B, 20 p. CourEDH, 24 septembre 1992, Herczegfalvy, Rec. série A vol. 244, 167 p. 197 CourEDH, 16 décembre 1992, Niemietz c/ Allemagne, Rec. série A vol. 251-B, 87 p. CourEDH, 26 octobre 1993, Darnell, Rec. série A vol. 272, 29 p. CourEDH 23 novembre 1993, Poitrimol c/ France, Rec. série A vol. 277-A, 123 p. CourEDH, 21 septembre 1994, Fayed c/ Royaume-Uni, Rec. série A vol. 294 B,141 p. CourEDH, 24 novembre 1994, Kemmache c/ France, Rec. série A vol. 296-C, 193 p. CourEDH, 9 février 1995, Vereiniging Weekblad Bluf !, Rec. série A vol. 306-A, Rec. 1995, 129 p. CourEDH, 20 février 1996, Lobo Machado c/ Portugal, Rec. 1996-I, p. 195. CourEDH, 20 février 1996, Vermeulen c/ Belgique, Rec. 1996-I, p. 224. CourEDH, 7 août 1996, Chorfi c/ Belgique, Rec. 1996-III, p. 916. CourEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche, A n°14, Rec. 1996-IV, p. 1129. CourEDH, 15 novembre 1996, Cantoni c/ France, Rec. 1996-V, p. 1614. CourEDH, 15 novembre 1996, Chahal c/ Royaume-Uni, Rec. 1996-V, p. 1831. CourEDH, 17 décembre 1996, Ahmed c/ Autriche, Rec. 1996-VI, p. 2206. CourEDH, 18 décembre 1996, Valsamis c/ Grêce, Rec. 1996CourEDH, 17 mars 1997, Neigel c/ France, A n°32, Rec. 1997-II, p. 399. CourEDH, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaïd c/ France, Rec. 1998-II, 640 p. CourEDH, 30 juillet 1998, Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni, Rec. 1998-V. CourEDH, 18 février 1999, Matthews c/ Royaume-Uni, Rec. 1999-I. CourEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France, req. N°39594/98, non-publié au Recueil, note F. Sudre, JCP éd. G., n°31-35, 1er août 2001, II, 10578. 198 9.2. COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Comm. EDH, 11 janvier 1961, Autriche c/ Italie, D 788/60, Rec. Déc., vol I (aucune numérotation de page). Comm. EDH, 10 juillet 1978, CFDT c/ Communautés européennes, D. et R. n°13, p. 231. Comm. EDH, 9 décembre 1987, Tête, D. et R. n°54, p. 52. Comm. EDH, 19 janvier 1989, Dufay c/ Communautés, req. 13 539/88, non-publié au Recueil. Comm. EDH, 9 février 1990, M & Co c/ République Fédérale d’Allemagne, req. 13258/87, D. et R. n° 64, p. 138. Comm. EDH, 1er juillet 1993, Procola c/ Luxembourg, req. 14 570/89, D. et R. n° 75, p. 5. Comm. EDH, 10 janvier 1994, Heinz c/ Etats contractants également parties à la Convention sur le brevet européen, req. 21 090/92, D. et R. n° 76 B, p. 125. 9.3. COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES CJCE, 4 février 1959, aff. 1/58, Stork c/ Haute Autorité de la CECA, Rec. 1959, p.43. CJCE, 22 mars 1961, aff. 42 et 49/59, SNUPAT, Rec. 1961, p. 156. CJCE, 5 février 1963, aff. 26/62, Van Gend & Loos, Rec. 1963, p. 1. CJCE, 30 juin 1966, aff. 61/65, Dame veuve Vaassen-Göbbels, Rec. 1966, p. 377. CJCE, 4 avril 1968, aff. 34/67, Lück, Rec. 1968, p. 294. 199 CJCE, 11 juillet 1968, aff. 35/67, Van Eich, Rec. 1968, p. 481. CJCE, 12 novembre 1969, aff. 22/69, Stauder, Rec. 1969, p. 419. CJCE, 17 décembre 1970, aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, Rec. 1970, p. 1125, concl. Dutheillet de Lamothe. CJCE, 15 décembre 1971, aff. jtes 51 à 54/72, International Fruit Company, Rec. 1971, p. 1107. CJCE, 14 mai 1974, aff. 4/73, Nold, Rec. 1974, p. 491. CJCE, 18 février 1975, aff. 66/74, Farrauto, Rec. 1975, p. 157. CJCE, 28 octobre 1975, aff. 36/75, Rutili c/ Min de l’Intérieur, Rec. 1975, p. 1219. CJCE, 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal, Rec. 1978, p. 629. CJCE, 16 janvier 1979, aff. 151/78, Sukkerfabriken Nykoebing, Rec. 1979, p. 1. CJCE, 7 février 1979, aff. 115/78, Knoors, Rec. 1979, p. 399. CJCE, 7 février 1979, aff. 136/78, Auer, Rec. 1979, p. 437 CJCE, 13 février 1979, aff. 85/76, Hoffmann-Laroche, Rec. 1979, p. 508. CJCE, 27 septembre 1979, aff. 230/78, SPA Eridania e.a., Rec. 1979, p. 2749. CJCE, 25 octobre 1979, aff. 159/78, Commission c/ Italie, Rec. 1979, p. 3747. CJCE, 13 décembre 1979; aff. 44/79, Hauer, Rec. 1979, p. 3727. CJCE, 9 juillet 1981, aff. 169/80, Société Gondrand, Rec. 1981, p. 1931. CJCE, 22 septembre 1983, aff. 271/82, Auer II, Rec. 1983, p. 2727, note Bazex, RTD eur. 1984, p. 511. CJCE, 10 juillet 1984, aff. 63/83, Kent Kirk, Rec. 1984, p. 2689. CJCE, 13 novembre 1984, aff. 283/83, Racke, Rec. 1984, p. 3791. 200 CJCE, 11 juillet 1985, aff. jtes 60/84 et 61/84, Soc. Cinéthèque e.a. c/ Fédération nationale des cinémas français, Rec. 1985, p. 2605. CJCE, 23 avril 1986, aff. 294/83, Parti écologiste « Les Verts », Rec. 1986, p. 1339. CJCE, 15 mai 1986, aff. 222/84, Johnston c/ Chief Constable of the RUC, Rec. 1986, p. 1651, concl. M. Darmon. CJCE, 30 sept. 1987, aff. 12/86, Demirel c/ Ville de Schwabisch Gemund, Rec. 1987, p. 3719. CJCE, 8 octobre 1986, aff. 234/85, Keller, Rec. 1986, p. 2897. CJCE, 15 octobre 1987, aff. 222/86, Heylens, Rec. 1987, p. 4097. CJCE, 23 mai 1989, aff. 374/87, Orkem, Rec. 1989, p. 3283. CJCE, 13 juillet 1989, aff. 5/88, Wachauf, Rec. 1989, p. 2609. CJCE, 21 septembre 1989, aff. 46/87, Hoechst c/ Commission, Rec. 1989, p. 2859. CJCE, 27 mars 1990, aff. C-10/88, Italie c/ Commission, Rec. 1990, p. I 1229. CJCE, 19 juin 1990, aff. C-213/89, Factortame, Rec. 1990, p. I-2433. CJCE, 25 juillet 1991, aff. C-288/89, Collectieve Antennevoorziening Gouda e.a., Rec. 1991, p. I-4007. CJCE, 21 novembre 1991, aff. C-269/90, TU München, Rec. 1991, p. I-5469. CJCE, avis 1/91, 14 décembre 1991, Espace Economique Européen, Rec. 1991, p. I6079. CJCE, 31 mars 1992, aff. C-255/90, Burban, Rec. 1992, p. I-2253. CJCE, 3 décembre 1992, aff. C-97/91, Oleificio Borelli, Rec. 1992, p. I-6313. CJCE, 5 octobre 1994, C-404/92 P, X c/ Commission, Rec. 1994, p. I-4737. 201 CJCE, 17 octobre 1995, aff. C-450/93, Kalanke, Rec. 1995, p. I-3051. CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, Adhésion de la Communauté à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rec. 1996, p. I-1759, comm. D. Simon, Rev. Europe, mai 1996, chron. n° 6. CJCE, 17 avril 1997, aff. C-15/95, EARL, Rec. 1997, p. I-1961. CJCE, 29 mai 1997, aff. C-299/97, Kremzow, Rec. 1997, p. I-2629. CJCE, 25 juin 1997, aff. C-131/97, Romero, Rec. 1997, p. I-3659. CJCE, 10 juillet 1997, aff. C-261/95, Palmisani, Rec. 1997, p. I-4025. CJCE, 2 octobre 1997, aff. C-122/96, Austin, Rec. 1997, p. I-5325. CJCE, 12 mai 1998, aff. C-85/96, Martìnez Sala, Rec. 1998, p. I-2691. CJCE, 16 juin 1998, aff. C-162/96, Racke, Rec. 1998, p. I-3655. CJCE, 17 déc. 1998, aff. C-185/95, Baustahlgewebe GmbH c/ Commission, Rec. 1998, p. I-8417. CJCE, 19 janvier 1999, aff. C-348/96, Procédure pénale c/ Donatella Calfa, Rec. 1999, p. I-11. CJCE, 8 juillet 1999, aff. C 235/92 P, Montecatini SpA, Rec. 1999, p. I-4539. CJCE, 5 octobre 1999, aff. C-240/97, Espagne c/ Commission, Rec. 1999, p. I-6571. CJCE, 23 novembre 1999, aff.C-149/96, Portugal c/ Conseil, Rec. 1999, p. I-8395. CJCE, Ord. 4 février 2000, aff. C-17/98, Emesa Sugar c/ Aruba, Rec. 2000, p. I-665. CJCE, 13 avril 2000, aff. C-292/97, Karlsson, Rec. 2000, p. I-2760. CJCE, 31 mai 2001, aff. jtes C-122/99 P et C-125/99 P, D. et Suède c/ Conseil, non publié au Recueil. 202 9.4. TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE TPI, 26 septembre 1990, aff. T-48/89, Beltrante e.a. c/ Conseil, Rec. 1990, p. II-493. TPI, 26 septembre 1990, aff. T-52/89, Piemonte c/ Conseil, Rec. 1990, p. II-513. TPI, 18 septembre 1992, aff. T-121/89, X c/ Commission, Rec. 1992, p. II-2195. TPI, 6 décembre 1994, aff. T-450/93, Lisretal, Rec. 1994, p. II-1177. TPI, 23 février 1995, aff. T-535/93, F. c/ Conseil, RecFP 1995, p. II-163. TPI, 18 septembre 1995, aff. T-167/94, Nölle, Rec. 1995, p. II-2589. TPI, 22 octobre 1997, aff. jtes T-213/95 et T-18/96, SCK et FNK c/ Commission, Rec. 1997, p. II-1739. TPI, 19 mars 1998, aff. T-83/96, Van der Wal c/ Commission, Rec. 1998, p. II-545. TPI, 17 juillet 1998, aff. T-111/96, Promédia, Rec. 1998, p. II-2937. TPI, 30 septembre 1998, aff. T-154/96, Chvatal e.a. c/ Cour de justice, RecFP 1998, p. II-1579. TPI, 30 septembre 1998, aff. T-13/97, Losch c/ Cour de justice, RecFP 1998, p. II-1633. TPI, 30 septembre 1998, aff. T-164/97, Busacca e.a. c/ Cour des comptes, RecFP 1998, p. II-1699. TPI, 19 mai 1999, aff. T-34/96 et T-163/96, Connolly c/ Commission, RecFP 1999, p. II-463. TPI, 9 juillet 1999, aff. T-231/97, Nex Europe Consulting, Rec. 1999, p. II-2403. TPI, 6 avril 2000, aff. T-188/98, Aldo Kuijer c/ Conseil, Rec. 2000, p. II-1959. TPI, 27 juin 2000, aff. T-172/98, T-175/98 à T-177/98, Salamander e.a. Rec. 2000, p. II-2487. 203 TPI, 20 février 2001, aff. T-112/98, Mannesmannrörhen-Werke c/ Commission, Rec. 2001, p. II-729. 9.5. CONCLUSIONS DES AVOCATS GÉNÉRAUX Conclusions de M. TESAURO sous CJCE, 30 avril 1996, aff. C-58/94, Pays-Bas c/ Conseil, Rec. 1996, p. I-2169. Conclusions de M. Siegbert ALBER sous aff. C-340/99, TNT Traco, rendues le 1er février 2001, Non publiées au Recueil, point 94. Conclusions de M. Antonio TIZZANO sous aff. C-173/99, BECTU, rendues le 8 février 2001, Non publiées au Recueil, points 26 et s. Conclusions de M. Jean MISCHO sous aff. jtes C-125/99 P et C-122/99 P, D. c/ Conseil, rendues le 22 février 2001, Non publiées au Recueil, point 97. Conclusions de M. F. G. JACOBS, sous aff. C-270/99 P, Z. c/ Parlement européen, rendues le 22 mars 2001, Non publiées au Recueil, point 40. Conclusions de Mme Christine STIX-HACKL, sous aff. C-49/00, Commission c/ Italie, rendues le 31 mai 2001, Non publiées au Recueil. Conclusions de M. F. G. JACOBS, sous aff. C-377/98, Pays-Bas c/ Parlement européen et Conseil, présentées le 14 juin 2001, Non publiées au Recueil. Conclusions de M. L. A. GEELHOED, sous aff. C-413/99, Baumbast et R. c/ Secretary for the Home Department, présentées le 5 juillet 2001, Non publiées au Recueil. Conclusions de M. PHILIPPE LEGER, sous aff. C-353/99 P, Hautala, présentées le 10 juillet 2001, Non publiées au Recueil. 204 Conclusions de M. PHILIPPE LEGER, sous aff. C-309/99, Wouters, présentées le 10 juillet 2001, Non publiées au Recueil. Conclusions de M. L. A. GEELHOED, sous aff. C-313/99, Mulligan e.a., présentées le 12 juillet 2001, Non publiées au Recueil. Conclusions de Mme STICX-HACKL, sous aff. C-131/00, Ingemar Nilsson, présentées le 12 juillet 2001, Non publiées au Recueil. 9.6. JURIDICTIONS SUPRÊMES NATIONALES 9.6.1 Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe Bundesverfassungsgericht (BverfGE), 29 mai 1974, « Solange I », Rec. Des décisions du Bundesverfassungsgericht – 27, p. 271, note M. Fromont, Rev. Trim. Dr. eur. 1975, p. 316. BverfGE, 22 octobre 1986, « Solange II », EuGRZ, 1987, p. 10. BverfGE, 12 octobre 1993, « Ratification du traité de Maastricht », EuGRZ, 1994, p.13. BverfGE, 7 juin 2000, « Solange III », chron. W. Zimmer, De nouvelles bases pour la coopération entre la Cour constitutionnelle fédérale et la Cour de Luxembourg ?, Europe n°3, mars 2001, pp. 3-6 ; note C. Grewe, Le « traité de paix » avec la Cour de Luxembourg : l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 7 juin 2000 relatif au règlement du marché de la banane, Rev. Trim. Dr. eur., n°1-2001, janvier-mars 2001, pp. 1-17. 205 9.6.2. Conseil constitutionnel français C. Cons, 15 janvier 1975, 74-54 DC, Interruption volontaire de grossesse, in FAVOREU (I.) et PHILIP (L.), Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, Paris, 9e éd. Dalloz, 1997, pp. 305-329. 9.6.3. Cour de Cassation française C. Cass. 1re civ., 15 juin 1995, Mme Rendou c/ M. Rendou et C. Cass. 1re civ., 12 juillet 1995, M. Chamée c/ Mme Chamée, RCDI priv. N°84(1), janvier-mars 1995, note H. Muir-Watt, p. 137 et s. C. Cass., 2 juin 2000, Fraisse, comm. A. Rigaux et D. Simon, Rev. Europe, aoûtseptembre 2000, p. 3. 9.6.4. Conseil d’État français Cons. Etat, 29 juillet 1994, Préfet de Seine-Maritime, RGDIP, 1995, pp. 502 et s. Cons. Etat, Sect., 23 avril 1997, GISTI, RFDA n°5, mai 1997, p.596. Cons. Etat, 22 septembre 1997, Demoiselle Ginar, AJDA, 1997, p. 815. Cons. Etat, 29 juillet 1998, Esclatine, AJDA 1999, p. 69, obs. F. Rolin. Cons. Etat, Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, RFDA, novembre-décembre 1998, p. 1091, note D. Alland. 206 X. ARTICLES DE PRESSE (par ordre alphabétique) ADLER (A.), Ces nouveaux chantiers de l’Europe, Le Monde, 28 décembre 2000. AGENCE EUROPE, le Parlement a approuvé la Charte qui doit être proclamée à Nice - M. Vitorino insiste pour une référence à l'article 6 du traité, Strasbourg, 14 novembre 2000. BIANCO (J.-L.), L’Europe sera laïque ou ne sera pas, Libération, 6 octobre 2000, p.10. BLOME (N.), Die EU-Charta „wird die Rechtsprechung prägen“, Die Welt, 4 octobre 2000, p.8. BREHON (N.), Les conséquences du Traité de Nice, Le Monde, 6 février 2001. BOCEV (P.), Consensus sur une charte des droits fondamentaux, Le Figaro, 28 septembre 2000. CARÉ (J.-F.), PRANCHÈRE (P.), LÉVY (P.) et SARRE (G.), Non à la Charte européenne, Le Monde, 8 octobre 2000, p.19. COHEN-TANUGI (L.), Un succès pour l’Europe, Le Monde, 8 octobre 2000, p.19. De BRESSON (H.) et VERNET (D.), Français et Allemands poursuivent le débat sur un projet de Constitution européenne, Le Monde, 3 avril 2001, p.3. GEORIS (V.), A bout portant – Jean-Marie Dehousse, Le Soir, 27 septembre 2000, p.2. GUEZ (O.), Les droits des Européens mis en Charte, Libération, 27 septembre 2000, p.13. GIBB (F.), Rights damages « higher than at Strasbourg », The Times, 3 octobre 2000 207 KRIMM (R.), La Charte fondamentale européenne enfin achevée, Le Temps, 3 octobre 2000 LESEGRETAIN (C.), Les évêques européens critiquent le projet de charte des Quinze, La Croix, 24 octobre 2000, p.16. ROUQUETTE (C.), La percée du téléphone portable et d’Internet, Insee Première, n° 700, février 2000, 4 p. VERNET (D.), La fin du jardin à la française, Le Monde, 15 décembre 2000. VERHEST (S.), Bien, mais aurait pu mieux faire, La Libre Belgique, 27 septembre 2000, p.8. WERNICKE (C.), Charta mit Lücken, Die Zeit, 28 septembre 2000, p.9. Die Macht bändigen, Der Spiegel, 19 juin 2000, pp. 42-44. Kuchen vom ehrlichen Makler, Sueddeutsche Zeitung, 12 octobre 2000, p. 12. The EU’s charter, The Daily Telegraph, 4 octobre 2000, p.3. XI. SITES INTERNET (par ordre alphabétique) http://conventions.coe.int/Treaty/FR/CadreListeTraites.htm Listes des conventions, protocoles et accords conclus dans le cadre du Conseil de l’Europe. Les textes sont disponibles au format .HTML ou .DOC (Word®) . http://ue.eu.int/presid/conclusions.htm Portail d’accès aux Conclusions des Présidences des Conseils européens (depuis 1994). http://europa.eu.int 208 Portail d’accès aux sites de l’Union européenne, notamment des Institutions. http://europa.eu.int/comm/justice_home/unit/charte/index_fr.html Site de la Commission, division Justice et Affaires intérieures, consacré à l’élaboration de la Charte ainsi qu’à son explication. http://www.europarl.eu.int/charter/default_fr.htm Site du Parlement européen consacré à la Charte des droits fondamentaux. Il recense les contributions de la Société civile et leurs consacre de pleines pages. La Charte y est disponible dans les onze langues officielles. http://www.consilium.eu.int/df/default.asp?lang=fr Site du Conseil de l’Union européenne, consacré à la protection des droits fondamentaux dans l’Union, et contenant plus de 220 documents propres à l’Enceinte, à la Convention ainsi qu’aux principaux contributeurs. http://www.curia.eu.int/ Site de la Cour de Justice des Communautés européennes et du Tribunal de première instance. 209 ANNEXES (la numérotation renvoie aux pages) ~ Sommaire ANNEXES …………………………………………………..………………………. 211 1. CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPEENNE …………..212 2. CALENDRIER DE L’ « ESPACE DE LIBERTE, SECURITE ET JUSTICE », in COM (2001) 278 final, Mise à jour du tableau de bord pour l’examen des progrès réalisés en vue de la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union européenne ……………………………………..……………….228 210 INDEX (La numérotation renvoie aux paragraphes) Accès aux documents : 26, 55, 56, 59, Applicabilité immédiate : 113, 135, 148, 65, 101, 103, 110 161 Abstention constructive : 142 Asile : V. Visas, asile, immigration Abus de droit : 134, 158 Assemblée parlementaire : v. Parlement Accords internationaux : 28, 118, 143 européen Acquis communautaire : 73, 74, 103, Autonomie : 18, 53, 113, 140, 174 149 - ~ institutionnelle et procédurale : 44, Adhésion : 3, 5, 22, 23, 35, 79, 89, 95, 114 Amnisty International : 64 126, 134, 161à 163, 167 Autorités : 158 - ~ communautaires : 12, 101, 128 - ~ nationales : 12, 56, 93, 101, 126, 135, Amsterdam : v. Traité d'Amsterdam 149, 166, 177 - ~ morale : 31, 86, 90 Applicabilité directe : v. Justiciabilité 233 Banalisation : 111 CJCE : v. Cour de Justice des Communautés européennes Biomédecine : v. Convention d'Oviedo Clause d'articulation : v. Normes Bonne administration (exigence de ~) : d'articulation 11, 56, 103, 108, 144 Clause de la nation la plus favorisée : "Convention" : 6, 7, 13, 16, 17, 31, 63 à 107 66, 80, 86, 103, 128, 184 Cliquet (effet de ~ ) : 23, 75, 149 CCDSF : v. Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux Clonage : 163 CEDH : v. Convention européenne des Codification : 5, 6, 10, 13, 30, 52, 63, 64, droits de l'homme 83, 103, 110 Charte communautaire des droits sociaux Cohérence : 26, 63, 81, 110, 162 fondamentaux : 6 Cologne (Conseil européen de ~ ) : 6, 72, Charte sociale européenne : 6, 31, 35, 147, 165 115, 163 Comité des Représentants permanents Citoyen(ne) : v. Citoyenneté (COREPER) : 56 Citoyenneté : 9, 14, 16, 26, 33, 65, 66, Commission : 103 69, 73, 80, 81, 89, 100, 103, 106, 177 Communautarisation : 69, 116, 129, 176 234 Compétence(s) : 37, 41, 43, 76, 100, 105, Constitution : v. Droit constitutionnel 107, 146, 148, 162 Contexte : 58, 64, 68, 94, 98, 119 Compilation : v. Codification Contrôle : 55 Complémentarité : 121 - ~ de légalité : 43, 57, 90 Conclusions : - ~ démocratique : 65 - ~ de la Présidence : 6 - ~ juridictionnel : 35, 72, 93, 94, 114 - ~ des avocats généraux : 86 « Convention » : 6, 7, 8, 10, 12, 16, 17, Conflits horizontaux : 28, 46, 53 31, 45, 56, 61 et s., 81 et s., 103, 110, 113, 127, 131, 139, 164, 189 Conformité : 95, 150 Convention de Bruxelles : 129 et 130 Conseil : 65, 103, 129, 173 Convention de Lugano : 129 et 130 Conseil de l'Europe : 24, 31, 38, 104, 163 à 165, 173 Convention d'Oviedo : 9, 31, 163 Conseil européen (généralités) : 6, 8, 12, Convention européenne des droits de 154 l'homme (CEDH) : 3, 6, 11, 28, 31 à 34, 41, 43, 46, 51, 71, 79, 83, 94, 95, 114 et Consommateur : 26 115, 119, 123, 138, 143, 171, 174 Coopération intergouvernementale : 69, 235 149 Délai raisonnable : 139 Coopération loyale : v. Loyauté communautaire COREPER : v. Comité des Démocratie : 4, 22, 88, 123 Différenciation : v. Discrimination Représentants permanents Dignité : 9, 33, 80, 124 Corpus : v. Codification Discrétionnaire : 57, 76, 124, 152 Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) : 2, 25, 27, 41à 47, 51, 73, 86, 94, 116, 120, 135, 161 et 162, 179 Discrimination : 98, 106, 124, 142, 152, 154 et 155, 178 - ~ à rebours : 170, 171, 176 Cour européenne des Droits de l'Homme - ~ positive : 71, 98, 110, 111, 175 et (CourEDH) : 23, 37, 41, 44, 46, 79, 83, 176 94, 108, 119 et 120, 123, 138, 140 Domicile : v. Vie privée CourEDH : v. Cour européenne des Droits de l'Homme Données personnelles (protection des ~ ) : 79, 108, 150 Coutume : 18 CSE : v. Charte sociale européenne Déclaration : 8, 13 236 Droit : Droits - ~ communautaire général : 2, 3, 41, 43, - ~ civils et politiques : 20, 26, 33, 66, 51, 71, 113, 119, 134, 143, 166, 170 79, 80, 97, 108, 138 - ~ constant : 14, 64, 73, 80 - ~ collectifs : 20, - ~ constitutionnel : 2, 28, 43, 47, 51, 53, - ~ de la défense : 29, 55, 108, 140 87, 88, 113, 115, 143, 167 - ~ dérivé : 2, 4, 29, 30, 38 - ~ de l'enfant : 11, 100, 175, 183 - ~ de l'homme : occurrences trop - ~ des gens : v. jus cogens nombreuses (non répertorié) - ~ international : 28, 75, 105, 112, 115, - ~ des citoyens : v. Citoyenneté 117, 121, 126, 143 - ~ national : 38, 87, 112, 178 et 179 - ~ originaire : 23, 26 à 28, 30, 38, 71, 103, 104, 113, 135 - ~ positif : 12 à 14, 27, 45, 58, 72, 86, 103, 110 - ~ économiques, sociaux et culturels : 20, 35, 36, 64, 66, 71, 79, 80, 97, 115, 178 - ~ fondamentaux : occurrences trop nombreuses (non répertorié) - ~ intangibles : 34, 117 - Communauté de ~ : 22 - Etat de ~ : 88 Dumping : 38 - Prééminence du ~ : 4, 22 et s. Dynamique : 13, 17, 27, 32, 38, 45, 48, 58, 64, 83, 97, 112, 114, 116 Dualisme : 187 237 Education : 108 Elections : 79, 89, 150 Effectivité : v. Efficacité Eligibilité : v. Elections Effet direct : 35, 170 Eloignement, expulsion, extradition : 108 Effet utile : 76, 101, 119, 162, 168 Emploi : 71 Efficacité : 30, 38, 45, 72, 88, 93, 98, 124, 129, 131, 134, 140, 144, 146, 157, « Enceinte » : v. « Convention » 166, 178 Enfants : v. Droits de l'enfant - ~ des procédures décisionnelles : v. Bonne administration Environnement : 26 - ~ des contrôles juridictionnels : v. Justiciabilité Esclavage : 108 Espace de liberté, sécurité, justice : v. Egalité : 9, 80 - ~ de rémunération : 26 Liberté, sécurité, justice Etat civil : 130, 178 - ~ de traitement : v. Non-discrimination Exécution normative : 44, 144, 149, 157 Exécution juridictionnelle : 166 Elargissement : 82 Exception nationale : 142, 154 à 156 238 Extraterritorialité : 179 à 183 Humain : 93 Famille (droit de la ~ ) : v. Vie privée Immigration : v. Visas, asile et immigration Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) : 64 Impartialité : 108, 123, 128, 131, 134 et 135 Fonction structurante : 143 Imperium : v. Souveraineté Force contraignante : 8, 31, 72, 74, 86 Incantatoire : v. Programmatoire Garantie : 24, 94 Indivisibilité (principe d' ~ ): 14, 20, 36, Handicapés (protection des ~ ) : 26 78 à 80 Harmonisation : 38, 66, 90, 128, 163 Injonction : 57 Haut-Commissariat des Nations-Unies Instances : 19, 134 (UNHCR) : 64 Instrument(s) : 1, 12, 17, 27, 35, 72, 74, Hiérarchie 75, 86, 143 et 144, 158, 163 à 165, 186 - ~ des normes : 28, 48, 51, 72, 74, 95 Intangibilité : v. droits intangibles - ~ des juridictions : 41, 94, 95 Horizontalité : v. Conflits horizontaux 239 Intégration : 2, 3, 22, 29, 51, 69, 71, 78, Juge (droit au ~ ) : 122, 129 112, 123, 131, 142, 154, 162 Jus cogens : 117 Intégrité : 108 Justice : 9, 80, 141 Internationalisation : 71 Justiciabilité : 13, 30, 48, 72, 80, 82 et Internet : 19, 65, 83, 90, 101, 110, 118 et 120, 124, 142, 148, 161, 164 Interprétation : 9, 20, 25, 28, 41, 86, 112, 116, 118, 120, 128, 143, 168 - ~ authentique : 147 Lacune(s) : 36, 130, 141, 143, 165 Léger (Avocat général) : 86 - ~ dynamique : 27, 45, 94, 119 - ~ évolutive : 36, 45, 119 - ~ extensice : 135 Législateur : 25, 43, 56, 76, 89, 144, 162 Légitimité : 7, 17, 63 - ~ littérale : 36, Liberté, sécurité et justice : 38, 69, 71, - ~ restrictive : 28 74, 84 - ~ sytématique : 45, 120 - ~ téléologique : 45, 120 - ~ uniforme : 53; 139 Liberté(s) : 9, 33, 44, 79, 80, 108, 158 - ~ d'association : 79, 87, 103 - ~ de circulation et de séjour : 26, 73, 79, 101, 103, 106, 150 Invocabilité : v. Justiciabilité 240 - ~ de la presse et des médias : 87, 108, 124 Minorités (protection des ~ ) : 26, 97, 98, 152, 165 - ~ de la recherche et des arts : 11, 124 - ~ d'enseignement : 124, 150 - ~ d'entreprise : 11, Monisme : 186 Nature juridique : 39, 52 - ~ d'expression : 26, 29, 43, 79, 108 Nécessité : 153 Lisibilité : v. Visibilité Nice (Conseil européen de ~ ) : v. Traité de Nice Logement (droit au ~ ) : 165 Non-discrimination : 26, 34, 36, 69, 71, 107, 124, 150, 152, 161, 163, 170 et Loyauté communautaire : 75, 144, 162 Maastricht : v. Traité de Maastricht Manquement (recours en ~ ) : 90, 162 171, 173 et 174, 177 Non-régressivité : 76 Non-rétroactivité : v. Principes généraux du droit Marge d'appréciation : 57, 130, 142, 144, 152 Maternité : 100, 108, 163 Normes - ~ d'articulation : 1, 13, 14, 46, 48, 51, 81, 129, 164, 174 Médiateur : 26, 81, 101, 103, 110 - ~ procédurales : v. Procédure Mesure indistinctement applicable : 170 241 ONG : v. Organisation non- Organisation non-gouvernementale gouvernementale (ONG) : 64 Opérabilité : v. Efficacité Pactes des Nations-Unies : Opportunité (contrôle d' ~ ) : 44, 119, 152 - ~ droits civils et politiques (PIDCP) : 20, 93 - ~ droits économiques, sociaux et Opposabilité : 84, 89, 90, 100, 107, 142 culturels (PIDESC) : 20, Ordre juridique : 28, 66, 112, 118, 131, 140, 168 - ~ communautaire : 13, 16, 17, 26, 31, Parlement européen : 1, 7, 26, 89, 101, 103, 110, 150 48, 51, 53, 64, 72, 73, 87, 88, 103, 113 et 114, 126 - ~ européen : 34, 112, 113 - ~ international : 3, 104, 117 Parti politique européen : 103, 124 Pensée, conscience et religion (Liberté de ~) : 26, 43, 79, 87, 100, 111, 124, 149, 165 - ~ national : 23, 53, 87, 114, 126, 149 - ~ conventionnel : 23, 53, 72, 114, 116, 124 - ~ transnational : 143 Ordre public : 44 242 Personne(s) : 93, 97, 100, 103 Pratiques : - ~ âgées : 100 - ~ institutionnelles : 43 - ~ handicapées : 100 - ~ nationales : v. Renvoi à la loi - ~ morales : 100, 108 - ~ physiques : 108 Présidium : 7, 9, 11, 19, 46, 64, 83, 110, 141, 173 Pétition (droit de ~ ) : 81, 101, 103, 110 PIDCP : v. Pactes des Nations-Unies Présomption d'innocence : 108, 140 Prévisibilité : v. Principes généraux du droit - Sécurité juridique PIDESC : v. Pactes des Nations-Unies Primauté : 126 Piliers intergouvernementaux : 69 Principes constitutionnels communs : 87 Placement (service de ~ ) : 108 Politique communautaire : 71, 79, 82, 154 Positivité : v. Valeur juridique 243 Principes généraux du droit : 2, 17, 30, Protection sociale : v. Sécurité sociale 39, 43, 47, 48, 51, 52, 55, 84 Publicité : 57, 128 - ~ administratif : 55 - ~ confiance légitime : 55 Relations internationales : 1 - ~ coopération loyale : v. Loyauté communautaire Religion (liberté de ~ ) : v. Pensée, conscience et religion (liberté de ~ ) - ~ international : 50 - ~ non-rétroactivité : 43, 55, 79, 140 Renvoi à la loi : 53, 68, 73, 144, 148 et 149, 162, 166 - ~ sécurité juridique : 57, 140 Renvoi aux pratiques nationales : v. Renvoi à la loi Procédure : 14, 88, 114, 126 à 130, 140, 179 Réseau judiciaire européen : 129 Procès équitable : 34, 36, 43 Réserve(s) : 115, 116 Programmatoire : 26, 83 Ressortissant(s) : Proportionnalité : 44, 57, 108, 124, 140, 153, 159 - ~ communautaire(s) : 105, 177 - ~ d'Etats tiers : 105 Propriété (droit de ~ ) : 43, 79, 87, 108, 110, 150 Restrictions : 158, 159, 167 244 Révision : 3, 29 Santé (droit à la ~ ) : 108, 150 Sources : 13, 14, 18, 81 - ~ de légalité : 16, 74, 86 - ~ d'inspiration : 74, 83 Secrétariat général du Conseil : 56 Sécurité juridique : v. Principes génraux du Droit Sécurité sociale : 11, 26, 35, 101, 124, Souveraineté : 37, 76, 146, 157, 176 et 177, 181 Spécification (processus de ~ ) : 97, 98 150 Stabilisation : 61 Services d'intérêt économique général (SIEG) : 11, 68, 124, 150 Standard européen : 104, 112, 117, 142 et 143, 164 « Simitis » (Commission ~ ) : 79, 80 Statut juridique : v. Valeur juridique Situation purement interne 170, 176, 178, 182 Société civile : 63 Solidarité(s) : 9, 38, 80 Subsidiarité (principe de ~ ) : 146 Subsidiarité juridictionnelle : 147 Sûreté : 87, 108, 158 Système juridique : 3, 30, 53, 66, 119, 121, 123, 126 et 127, 135, 141, 164 245 Titulaires : 16, 93, 98, 100, 108, 110 Travailleurs (droit des ~ ) : 100, 106 Torture et peines inhumaines : 108 Tribunal de Première Instance (TPI) : 57, 59, 73 TPI : v. Tribunal de Première Instance "Troisième pilier" : v. Piliers Traditions constitutionelles communes : intergouvernementaux 2, 30, 39, 47, 48, 50, 53, 84 Unanimité : 84, 86, 89, 149, 164 Traité(s) : 71, 76, 138, 173, 177 Uniformité : 53, 147, 156, 171 - ~ d'Amsterdam : 4, 5, 69, 71, 84 - ~ de Maastricht : 26, 47, 84, 116 - ~ d'application : 93, 94 - ~ de Nice :1, 8, 71, 72, 128, 149 Union : occurrences trop nombreuses (non-répertorié) Traité CE : v. Droit originaire Universalité : 76, 93, 97, 100, 103 à 105 Traité UE : v. Droit originaire, Traité de 107, 112, 150, 175 Maastricht Valeur juridique : 12, 30, 73, 89, 175 Transparence : 55 à 59, 63 à 65 Vide juridique : 5 Transversal : 17, 75, 128 Visibilité : 10, 16, 50, 55, 67, 69, 71, 72, Travail (droit du ~ ) : 11, 43, 79, 106, 82, 139 et 140 108, 150 246 Victime : 30 Voie d'action : 166 Vie privée et familiale : 43, 79, 87, 108, Voie d'exception : 166 124, 130, 150, 152, 179, 183 "Visas, asile et immigration" : 69, 106, 124 Vote : v. Elections 247 TABLE DES MATIÈRES ~ Sommaire ………………………………………………………………………………..1 Table des abréviations ……………………………………………………………….…2 Introduction …………………………………………………………………………….6 TITRE PREMIER : UNE CODIFICATION DU DROIT POSITIF …..…………….17 Premier chapitre : La diversité des sources de légalité ……………………..19 Section I : Prééminence des sources conventionnelles ………………………………24 §1) Les normes communautaires de protection des droits fondamentaux ………26 A) Le droit originaire de l’Union ………………………………………….27 B) Le droit dérivé de l’Union ……………………………………………31 §2) Le droit conventionnel des Droits de l’Homme : la CEDH …………….….33 248 A) L’affirmation des droits civils et politiques …………………………….34 B) La discrétion des droits économiques et sociaux……………………….36 Section II : Fluidité du « fonds normatif commun » …………………………………40 §1) La consécration de la jurisprudence européenne comme source de droit …...41 A) La jurisprudence de la CJCE …………………………………….…….43 B) La jurisprudence des organes de Strasbourg …………………………..46 §2) Les principes généraux du droit communautaire et les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres ..……………………………..50 A) Deux normes dynamiques pour les droits fondamentaux communautaires …………………………………………………………..52 B) La réorganisation des normes de droit…………………………………54 Second chapitre : La lisibilité des droits consolidés ………………………….57 Section I : La Charte, outil de stabilisation …………………………………………..63 §1) Le souci de cohérence ……………………………………………………….64 249 A) La participation civile aux débats ……………………………………..65 B) La stratification des niveaux de lecture ………………………………..68 §2) L’insertion de la Charte dans « un espace de liberté, de sécurité et de justice » ………………………………………………………………………….70 A) Une simple formalisation des droits existants ? ………………………73 B) La Charte comme norme unique de référence ? ………………………..76 Section II : La Charte, outil au service de l’intégration ……………………………..79 §1) L’enrichissement des droits existants ………………………………………..81 A) Une remise en cause des divisions académiques ……………………….81 B) Entre « principes » et « objectifs », le ferment de l’avenir ?…………...85 §2) Un socle commun ? ………………………………………………………….88 A) Des valeurs partagées par les Quinze ………………………………...89 B) L’impact de la Charte sur les rapports inter-institutionnels …………...93 250 TITRE SECOND : L’HARMONISATION DES MECANISMES DE GARANTIE ET D’EFFECTIVITE ………………………………………………………………96 Premier chapitre : Le principe d’application uniforme en matière de droits des personnes ………………………………………………………………..97 Section I : L’universalité des droits ………………………………………………….100 §1) Les différentes catégories de bénéficiaires …………………………………103 A) Ressortissants communautaires et ressortissants des Etats tiers ……..105 B) Une Charte portant protection des “personnes” ……………………109 §2) La consécration d’un standard minimum…………………………………...112 A) L’insertion de la Charte dans l’ordre juridique européen ……………113 B) La Charte : un creuset pour le droit international classique …………115 Section II : L’effectivité de la protection des bénéficiaires …………………………117 §1) Une diffraction des mécanismes de garantie ……………………………….121 A) L’hétérogénéité des procédures nationales …………………………..123 B) La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires ………………..125 251 §2) L’accès à un tribunal ………………………………………………………127 A) Le droit à un recours juridictionnel effectif ……………..……………129 B) Entre ombre et lumière : les droits de la défense …………………….132 Second chapitre : Des droits fondamentaux… à géométrie variable ? …...136 Section I : L’aménagement des droits et les conditions d’expression de la souveraineté nationale………………………………………………………………..139 §1) Les clauses spéciales de renvoi à la loi …………………………………….141 A) La discrétion des Etats membres ……………………………….…….142 B) Une garantie de la diversité culturelle ………………………………..144 §2) Les restrictions subsistantes ………………………………………………..147 A) Un principe d’autonomie procédurale… encadré. ……………………148 B) Les lacunes de la Charte………………………………………………150 Section II : L’essor des droits fondamentaux nationaux …………………………...153 §1) Le glas des discriminations à rebours ………………………………………156 252 A) Une impulsion pour le principe de non-discrimination ……………….158 B) L’opposabilité des situations purement internes au contentieux des droits de l’homme…………………………………………………………161 §2) Vers une extra-territorialité des droits fondamentaux nationaux ?………....164 A) La promotion des valeurs nationales dans les autres Etats membres ………………………………………………………………….165 B) La réception des droits fondamentaux reconnus par les autres Etats membres……………………………………………………………..……167 Conclusion ……………………………………………………………………………170 Bibliographie …………………………………………………………………………173 Annexes ………………………………………………………………………………210 Index ………………………………………………………………………………….233 Table des matières ……………………………………………………………………248 253