Pauline Corre Doctorante à l`Université Paris II Panthéon

Transcription

Pauline Corre Doctorante à l`Université Paris II Panthéon
Pauline Corre
Doctorante à l’Université Paris II Panthéon-Assas
Sous la direction de Monsieur le Professeur Claude Blumann
Sujet de thèse : « Le statut d’Etat membre de l’Union européenne. Contribution à la
théorie de la Fédération européenne »
Ecole Doctorale de droit international, droit européen, relations internationales et droit
comparé
Proposition de contribution
Atelier n° 17 : Fédéralisme, identité communautaire et justice distributive
Titre : « La conception de la solidarité entre Etats membres par la Cour de Justice de
l’Union européenne, obstacle à la fédéralisation ? »
« Paix, Liberté, Solidarité ». Telle était en 2002 la proposition de la Commission pour une
nouvelle devise de l’Union européenne1. La solidarité est de toute évidence une notion au
cœur du projet européen depuis ses origines2, sans toutefois que ses multiples facettes soient
cernées avec précision tant par les institutions de l’Union que par les États membres. Concept
ayant pourtant une portée structurelle indéniable, il importe de s’attacher au contenu et aux
contours de la notion de solidarité dans l’Union européenne, plus particulièrement dans son
déploiement entre États membres de l’Union.
La solidarité n’est définie ni par le droit primaire ni le droit dérivé. Concept difficile à
circonscrire, la solidarité ne se confond cependant pas avec la loyauté3, qui se révèle être une
de ses déclinaisons. Elle ne correspond pas à la fidélité4, ni davantage à la fraternité5. A la fois
1
Communication Pour l’Union européenne, Paix, Liberté, Solidarité, COM(2002)728, du 04 décembre 2002,
citée par M. BLANQUET, « L’Union européenne en tant que système de solidarité : la notion de solidarité
européenne », in Solidarité(s), Perspectives juridiques, M. Hecquard-Théron (dir.), Toulouse, Presses de
l’Université de Sciences sociales de Toulouse, 2009, p. 155.
2
La Déclaration Schuman du 9 mai 1950 mentionne à deux reprises le terme de solidarité : reprise dans le
Préambule du Traité de Rome : « [L’Europe] se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité
de fait », Déclaration mentionnant également la « solidarité de production » du charbon et de l’acier.
3
A. BERRAMDANE y voit ainsi deux notions de nature différente : « Solidarité, loyauté dans l’Union
européenne », in La solidarité dans l’Union européenne, Eléments constitutionnels et matériels pour une théorie
de la solidarité en droit de l’Union européenne, C. Boutayeb (dir.), Paris, Dalloz, 2011, pp. 53-79.
4
V. M. BLANQUET, « Acceptation et consécration d’un concept communautaire : la fidélité communautaire »,
in Vers une culture juridique européenne, S. Poillot-Peruzzetto (dir.), Paris, Montchrestien, 1998, pp. 145-158.
5
M. BORGETTO, « Fraternité et solidarité : un couple indissociable ? », in Solidarité(s), Perspectives
juridiques, op. cit., pp. 11-33.
situation (rapport de d’interdépendance entre les membres d’un membre groupe) et
mécanisme (relation obligeant deux ou plusieurs personnes à répondre l’une de l’autre)6, la
solidarité s’avère être une notion relationnelle entre entités distinctes liées par l’appartenance
à un groupe ou à une entité qui les dépasse.
En droit de l’Union européenne, la portée normative de la notion de solidarité est variable et
indéterminée, s’imposant tantôt comme un principe ou un objectif7 de l’Union européenne,
tantôt comme paramètre d’action de l’Union. C’est également un critère des obligations des
États membres8. Enfin, le Préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne est venu ériger la solidarité au rang de « valeur indivisible est universelle » sur
laquelle se fonde l’Union9.
Historiquement, la solidarité est de consécration textuelle récente. La déclaration Schuman du
9 mai 1950 mentionnait ce concept explicitement consacré dans le Préambule mais ensuite
peu de références à la notion sont faites dans les Traités. Le concept se rencontre dans le
Traité de Maastricht mais la notion est valorisée explicitement pour la première fois dans la
Charte des droits fondamentaux de l’Union. Il est toutefois intéressant de noter que le projet
de traité établissant une Union d’États du 2 novembre 1921 (plan Fouchet I) prévoyait un
article XI, Titre II, énonçant au sujet des obligations des États membres : « Les États membres
se doivent solidarité, confiance réciproque et concours mutuel »10.
La solidarité prend place à plusieurs niveaux au sein de l’Union européenne : entre les
citoyens européens11, et explicitement selon les Traités, entre les États membres. Le traité de
Maastricht a inscrit la référence à cette exigence de solidarité entre États membres 12 ,
remplaçant l’ancienne formulation imposant des « relations plus étroites entre États
membres ». Si cette notion est souvent perçue comme
6
« inhérente au processus
M. BORGETTO, « Solidarité », in Dictionnaire de culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 1429.
Sur la différence juridique entre ces deux notions, v. C. BLUMANN, « Objectifs et principes en droit
communautaire », in Le droit de l’Union européenne en principes, Liber amicorum en l’honneur de Jean Raux,
Rennes, Ed. Apogée, 2006, pp. 39-69.
8
R. BIEBER, F. MAIANI, « Sans solidarité point d’Union européenne », RTDE, 2012, n° 2, p. 295.
9
Le Chapitre IV de la Charte des droits fondamentaux s’imposant à l’Union dans ses rapports avec ses citoyens
et intitulé « La solidarité » consacre cette valeur.
10
Cité par J.-C. MASCLET, « Préface », in La solidarité dans l’Union européenne, Eléments constitutionnels et
matériels pour une théorie de la solidarité en droit de l’Union européenne, op. cit., p. 2.
11
Préambule, TUE ; article 2, TUE.
12
Article 2, TCE, devenu l’article 3, TUE.
7
d’intégration »13, c’est parce que l’importance juridique accordée à la solidarité entre Etats
membres semble particulièrement révélatrice d’une éventuelle évolution fédérative de l’Union
européenne. Bien que la nature juridique de l’Union européenne demeure indéterminée14 et
porte encore aujourd’hui à discussion, l’analyse fédéraliste peut être retenue afin d’analyser la
notion de solidarité horizontale au sein de l’Union.
Ce « principe » ou « devoir » de solidarité entre Etats membres peut en effet être appréhendé
comme un élément constitutif statut du « membership »15 de membre de l’Union, lequel
pourrait comprendre les germes d’un statut d’Etat membre d’une Fédération. La Fédération a
été conceptualisée16 comme étant l’alternative à la classique dichotomie entre État fédéral et
Confédération. Selon Carl Schmitt, la Fédération « est une union durable, reposant sur une
libre convention, servant au but commun de la conservation politique de tous les membres de
la fédération »17. Olivier Beaud la définit comme une « association de plusieurs Etats unis
par une alliance générale et soumis en certains cas à des délibérations communes, mais dont
chacun est régi par des lois particulières »18. Elle crée alors pour ses membres un nouveau
statut 19, et garantit à ses États membres certains droits comme la conservation de leur
existence politique et de leur autonomie20. S’imposent également aux membres certaines
obligations particulières, dont un devoir de coopération et de solidarité afin de préserver la
Fédération en elle-même.
13
R. BIEBER, F. MAIANI, « Sans solidarité point d’Union européenne », RTDE, 2012, n° 2, p. 296. Voir
également la thèse de K. ABDEREMANE, La solidarité : un fondement du droit de l’intégration européenne,
sous la dir. de F. Hervouët, Université de Poitiers, 2010.
14
La doctrine demeurant foisonnante sur le sujet, voir par exemple : P-Y. MONJAL, « La nature juridique de
l’Union européenne : en attendant Godot (ou le droit institutionnel de l’Union à la recherche de son objet », Les
Petites Affiches, mai 1995, n° 57 ; M. PECHSTEIN, « Réflexions sur la nature juridique de l’Union
européenne », in De la Communauté de droit à l’Union de droit, Continuités et avatars européens, J. Rideau
(dir.), Paris, LGDJ, 2000 ; L. DUBOUIS, « La nature de l’Union européenne », in Constitution européenne,
démocratie et droits de l’homme, Actes de colloque, G. Cohen-Jonathan et J. Dutheil de la Rochère (dir.),
Bruxelles, Bruylant, 2003 ; O. DUBOS, « L’Union européenne : sphynx ou énigme ? », in Les dynamiques du
droit européen en début de siècle, Etudes en l’honneur de Jean-Claude Gautron, Paris, Pedone, 2004.
15
D. SIMON, Le système juridique communautaire, Paris, PUF, 3e ed., 2001, p. 57.
16
Notamment par C. SCHMITT, Théorie de la Constitution, Paris, PUF, ed. 1993, 576 p. ; O. BEAUD, Théorie
de la Fédération, Paris, PUF, 2e ed. 2009, 447 p. ; E. ZOLLER, « Aspects internationaux du droit
constitutionnel, contribution à la théorie de la Fédération d’États », Recueil des cours de l’Académie de droit
international, tome 294, 2002, pp. 49-155.
17
C. SCHMITT, Théorie de la constitution, op. cit., p. 512.
18
O. BEAUD, « Fédéralisme et fédération en France. Histoire d’un concept impensable », in Fédéralisme et
fédération en France. Histoire d’un concept impossible ?, Annales de la Faculté de droit de Strasbourg, vol. 3,
Strasbourg, PUS, 1999, p. 15.
19
Selon Carl Schmitt, la Fédération « modifie le statut politique global de chaque membre de la Fédération en
fonction des buts communs »19, elle « crée un nouveau ‘status’ pour chacun de ses membres », Théorie de la
constitution, op. cit., pp. 512 et s.
20
C. SCHMITT, Théorie de la constitution, op. cit., p. 515.
Le travail de fédéralisation de l’Union européenne prend notamment place à travers les
avancées jurisprudentielles des juges de Kirchberg. Si la Cour de Justice de l’Union a fait
valoir une vision au début extensive de la solidarité, ce mouvement paraît s’essouffler, les
juges ne semblant pas toujours percevoir les occasions en la matière, particulièrement en ce
qui concerne la solidarité entre Etats membres.
Ainsi, les occasions manquées de la Cour de Justice de l’Union européenne manifestent-elles
une évolution à reculons de l’institution pour établir une véritable solidarité entre ses
membres ? Ceci fait-il obstacle à l’évolution fédérative de l’Union européenne ?
Les juges de Luxembourg ont dans un premier temps consacré la notion de solidarité
horizontale et fait une lecture extensive de la notion (I). Il apparaît cependant plus récemment
que les juges se dessaisissent de ce concept, et si la solidarité demeure cependant présente,
elle ne semble pas être perçue dans son aspect horizontal comme structurelle et nécessaire à
l’évolution fédérative de l’Union européenne (II). Peut-on alors toujours en conclure que « la
solidarité ne serait ni un principe fondateur, ni une valeur fondatrice mais une
caractéristique sociétale de l’identité européenne »21 ?
I.
La conception initiale extensive de la solidarité entre États membres de
l’Union européenne
Peu circonscrite par les textes de droit primaire comme de droit dérivé, la Cour de Justice de
l’Union européenne s’est arrogé la notion de solidarité. Elle a dans un premier temps fait une
application de l’instrument à sa disposition que constitue la notion de solidarité entre États
membres à travers ses différentes déclinaisons (A). Les juges de Kirchberg ont dans un
premier temps fait valoir une lecture extensive du concept de solidarité, ménageant toute la
potentialité structurelle de la notion (B). Ce n’est que plus récemment que les juges se
montrent réticents à poursuivre ce mouvement.
A. La défense de la solidarité dans ses différentes déclinaisons entre États
membres par la CJUE
21
M. BLANQUET, « L’Union européenne en tant que système de solidarité : la notion de solidarité
européenne », in Solidarité(s), Perspectives juridiques, op. cit., p. 174.
La Cour de Justice de l’Union applique le respect de la solidarité entre États membres pour les
différentes matières faisant explicitement référence à ce concept dans les Traités. Ces
références textuelles se sont d’ailleurs multipliées depuis le Traité de Lisbonne : la notion de
solidarité semble connaître récemment une « ascension normative »22 par une utilisation plus
fréquente de la notion dans les Traités et l’insertion de l’exigence d’un « esprit » de solidarité
devant animer les relations entre États membres. L’article 194, TFUE, énonce que la politique
de l’Union dans le domaine de l’énergie doit remplir plusieurs objectifs « dans un esprit de
solidarité entre les États membres »23. La Cour de Justice a eu l’occasion de faire une
application positive de cette disposition dans ce domaine de l’énergie24. L’article 24, TUE,
énonce en son paragraphe 2 que l’Union conduit une PESC « fondée sur le développement de
la solidarité politique mutuelle des États membres », et en son paragraphe 3 que les États
membres appuient « activement et sans réserve » la politique en ce domaine « dans un esprit
de loyauté et de solidarité mutuelle ».
Le Titre VII, TFUE, consacre quant à lui la « clause de solidarité » dans un article 222,
TFUE : une action conjointe est engagée entre l’Union et les États membres en cas d’attaque
terroriste ou de catastrophe naturelle ou d’origine humaine dont serait victime un État
membre. Un Fonds de solidarité de l’Union européenne25 pour gérés les situations d’exception
comme les catastrophes naturelles pouvant affecter certains États ou certaines régions a été
instauré dans ce but.
La Cour de Justice est attachée à la défense de ce principe dans le domaine de l’Espace de
liberté, de sécurité et de justice (ELSJ)26. L’article 67, TFUE, énonce en effet dans son
paragraphe deux, que la politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle
aux frontières extérieures « est fondée sur la solidarité entre États membres ». L’article 80,
TFUE, affirme que ces politiques de l’ELSJ sont « régies par le principe de solidarité » 27 : la
22
C. BOUTAYEB, « La solidarité, un principe immanent au droit de l’Union européenne. Eléments pour une
théorie », in La solidarité dans l’Union européenne, Eléments constitutionnels et matériels pour une théorie de
la solidarité en droit de l’Union européenne, op. cit., p. 6.
23
Sur ce point, v. J. BOUDANT, « La solidarité européenne entre dépendance énergétique et stratégies
commerciales », in Vers la reconnaissance de droits fondamentaux aux États membres de l’Union européenne,
Réflexions à partir des notions d’identité et de solidarité, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 173-189.
24
CJCE, 6 septembre 2012, Parlement européen c/ Conseil, aff. C-490/10, non encore publié au Recueil.
25
Règlement (CE) n° 2012/2002 du Conseil du 11 novembre 2002, JOUE L 311 du 14 novembre 2002, pp. 3–8.
26
Dernière illustration sur le fondement de l’article 67, TFUE : CJUE, 14 juin 2012, ANAFE c/ Ministre de
l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités territoriales et de l’immigration, aff. C-606/10, non encore publié
au Recueil.
27
Le Programme de Stockholm confirme l’emploi de ce terme de « principe de solidarité » devant être respecté
dans les relations entre États membres, JOUE C 115 du 4 mai 2010.
Cour de Justice de l’Union emploie la solidarité érigée en principe28 sans que soit explicitée la
valeur normative d’un tel principe.
La Cour n’a jamais consacré la solidarité au rang des principes généraux du droit, et a même
refusé de se prononcer sur la question29. La solidarité, « pierre angulaire du système juridique
de l’Union européenne »30, demeure donc de nature normative indéterminée, bien que pour
certains sa constitutionnalité au sens formel et matériel paraisse peu douteuse31. « Principe
immanent de nature constitutionnelle » 32 , d’autres auteurs préfèrent y voir un véritable
« principe fondateur de l’Union européenne »33. L’imprécision jurisprudentielle sur ce point
n’a pas empêché les juges d’octroyer des effets étendus à la notion.
B. La conception extensive initiale de la solidarité entre États membres
La Cour de Justice de l’Union européenne s’est attachée à défendre la solidarité et a accordé
grande ampleur à cette notion dans son application dans les relations entre États membres. La
notion a effectivement bénéficié à ses débuts d’une « assise jurisprudentielle confortable et
précoce »34. La Cour a ainsi à plusieurs reprises sanctionné « le manquement aux devoirs de
solidarité acceptés par les États membres du fait de leur adhésion à la Communauté » 35. Elle
a en effet considéré que ce manquement « affecte jusqu’aux bases essentielles de l’ordre
juridique communautaire ». Le juge considère donc la solidarité entre membres comme un
devoir à la charge des États membres du fait de leur appartenance à cette entité particulière
28
Pour la seule illustration : CJCE, 21 décembre 2011, N.S., aff. jtes C-411/10 et C-493/10, Rec. I-13905.
La Cour de Justice ne s’est ainsi pas prononcée sur l’argument explicite de la requérante avançant le principe
de solidarité au rang des principes généraux du droit dans l’arrêt CJCE, 11 septembre 2003, République
d’Autriche c/ Conseil, aff. C-445/00, Rec. I-08549. Dans le sens contraire, v. A.-M. OLIVA, « La solidarité et la
construction européenne », in La solidarité en droit public, J.-C. Beguin, Y. Charlot et y. Laidie (dir.), Paris,
L’Harmattan, 2005, pp. 60 et s.
30
C. BOUTAYEB, « La solidarité, un principe immanent au droit de l’Union européenne. Eléments pour une
théorie », in La solidarité dans l’Union européenne, Eléments constitutionnels…, op. cit., p. 5.
31
C. BLUMANN, L. DUBOUIS, Droit institutionnel de l’Union européenne, Paris, Litec, 4e ed., p. 153.
32
C. BOUTAYEB, « La solidarité, un principe immanent au droit de l’Union européenne. Eléments pour une
théorie », in La solidarité dans l’Union européenne, Eléments constitutionnels…, op. cit., p. 10.
33
Les principes fondateurs de l’Union européenne, J. Molinier (dir.), Paris, PUF, 2005, pp. 250 et s.
34
C. BOUTAYEB, « La solidarité, un principe immanent au droit de l’Union européenne», loc. cit., p. 6.
35
CJCE, 7 février 1973, Commission c/Italie, aff. 39/72, Rec. p. 101, pt 24; CJCE, 7 février 1979, Commission c/
Royaume-Uni, aff. 128/78, Rec. p. 419, pt 12.
29
qu’est l’Union européenne. En ce sens, le concept de solidarité traduit bien cette « logique de
l’appartenance »36 des États à une organisation spécifique.
Les juges du Luxembourg ont également considéré que « le principe de solidarité est à la
base de l’ensemble du système communautaire »37, ou encore que le «principe de solidarité
est inscrit parmi les fondements de la Communauté»38. La solidarité s’avère alors perçue
comme un élément fondateur essentiel, caractéristique de la nature des Communautés,
devenues l’actuelle Union. Le concept a même été explicitement affirmé comme étant une
« valeur de base de l'ensemble du système communautaire » 39 . Non seulement principe
fondateur, la solidarité possède également la qualité de valeur fondatrice de l’Union
européenne, et justifie en ce sens un comportement particulier de la part des États membres
afin de préserver le système qu’ils ont choisi d’instituer.
Dotée de ce potentiel structurel fort, la solidarité se concrétise par l’assistance mutuelle,
prévue explicitement par les Traités40. Le lien entre les notions de solidarité et de concours
mutuel ont été rapidement explicitement affirmés par la Cour de Justice de l’Union41 : cette
assistance s’avère alors une obligation horizontale dans l’accomplissement des missions
fixées par les traités et une concrétisation du devoir de solidarité. La Cour énonce en ce sens
un devoir des États membres « d’assister tout autre État membre auquel il incombe une
obligation en vertu du droit communautaire »42.
L’ambivalence, voire la dualité, de la notion de solidarité apparaît alors : elle est à la fois une
garantie pour le bénéficiaire et une obligation pour celui qui la fournit. La solidarité, qui a pu
être analysée comme un « principe-valeur »,
est également et surtout « principe-
relationnel »43. Elle est alors un « principe modulateur, voire modérateur »44 dans l’exercice
36
M. BLANQUET, L’article 5 du Traité C.E.E, Recherches sur les obligations de fidélité des États membres de
la Communauté, Thèse, Paris, LGDJ, Tome 108, 1994, p. 423.
37
CJCE, 10 décembre 1969, Commission c/France, aff. jtes 6 et 11/69, Rec. p. 523.
38
CJCE, 29 juin 1978, BP c/Commission, aff. 77/77, Rec. p. 1513
39
CJCE, 10 décembre 1969, Commission c/ France, aff. 6/69 et 11/69, pt 16, Rec. p. 523.
40
L’article 351, TFUE, affirme qu’en cas d’incompatibilités entre la réalisation des objectifs de traités conclus
antérieurement à leur adhésion par le ou les États membres avec des États tiers, les États membres de l’Union
« se prêtent une assistance mutuelle » afin d’éliminer ces incompatibilités. L’article 42, paragraphe 7, TUE,
prévoit une « assistance par tous les moyens » entre États membres en cas d’agression armée de l’un d’entre eux
sur son territoire. Sur la notion de solidarité en matière de sécurité et de défense, voir N. FERNANDEZ SOLA,
« Les clauses d’assistance mutuelle et de solidarité du Traité sur l’Union européenne : contenu, délimitation et
garanties politiques et juridiques », in Liber amicorum, Mélanges en l’honneur du Professeur Joël Molinier,
Paris, LGDJ-Lextenso, 2012, pp. 203-220.
41
CJCE, 10 décembre 1969, Commission c. France, aff. 6 et 11/69, Rec. p. 523.
42
CJCE, 27 septembre 1988, Matteucci, aff. 235/87, Rec. p. 5589.
43
A. BERRAMDANE, « Solidarité, loyauté dans le droit de l’Union européenne », in La solidarité dans l’Union
européenne, Eléments constitutionnels…, op. cit., p. 56.
des obligations en tant que principe relationnel. Les juges ont en ce sens estimé que l'État
membre qui omet de prendre dans les délais requis « ensemble avec les autres États
membres » les dispositions dont l'application lui incombe porte atteinte à la solidarité
communautaire, en imposant aux autres États membres « la nécessité de remédier à ses
propres omissions, et en s'appropriant […] un avantage indu de compétition au détriment de
ses partenaires »45. Les États membres doivent donc respecter les intérêts légitimes des autres
États membres dans leur exécution des obligations découlant des traités, et ne pas se contenter
d’appliquer leurs obligations isolément.
Dans le prolongement de cette vision extensive de la notion de solidarité entre États membres,
les juges ont par ailleurs étendu l’application du principe de solidarité entre États membres
aux relations entre membres et futurs membres, estimant que la prise en considération de la
« solidarité entre les États membres actuels et futurs »46 s’impose à eux. Il existerait ainsi une
qualité de futur membre de l’Union européenne justifiant, du fait de l’intégration à venir et
afin de la faciliter, l’application de principes caractéristiques de l’Union.
La Cour de Justice de l’Union a également choisi d’étendre les implications de la solidarité
pour les États membres de l’Union, allant même jusqu’à affirmer « le principe plus général de
confiance mutuelle entre les autorités des Etats membres » 47 . Ce principe de confiance
mutuelle traduit une
subjectivisation de la notion de solidarité, dépassant les simples
obligations matérielles, positives et négatives pouvant résulter même de l’assistance mutuelle,
auxquelles doivent se soumettre les États membres48. Un Avocat général est allé jusqu’à
reconnaître l’existence d’une présomption de solidarité, affirmant que l'ordre juridique
communautaire serait fondé sur « la présomption, exprimée à l'article 10 CE, qu'un État
membre exécute loyalement ses obligations dans un esprit de solidarité » 49. Ainsi, si un État
membre s'arroge un privilège en ce qui concerne l'accomplissement de ses obligations
résultant du traité, il est porté atteinte à « la confiance mutuelle qui doit exister entre les
44
Ibid., p. 58.
CJCE, 7 février 1979, Commission c/ Royaume-Uni, aff. 128/78, Rec. p. 419.
46
CJCE, 28 novembre 2006, Parlement européen c/ Conseil, aff. C-414/04, Rec. I-11279, 2006, pt 45 ; CJCE,
28 novembre 2006, Parlement européen c/ Conseil, aff. C-413/04, Rec. p. I-11221, pt 68.
47
CJCE, 11 mai 1989, Wurmser, aff. 25/88, Rec. p. 1105.
48
CJUE, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c/Bundesasylamt, aff. C-394/12, non encore publié au Recueil ;
CJUE, 28 juin 2012, Melvin West, aff. C-192/12, non encore publié au Recueil ; CJUE, 15 novembre 2012,
Gothaer AllgemeineVersicherung AG et autres, aff. C-456/11, non encore publié au Recueil.
49
Conclusions du 18 novembre 2004 dans l’affaire Commission c/ République française, aff. C-304/02.
45
États membres et qui est une condition préalable essentielle à la mise en œuvre effective des
politiques communautaires »50.
Cette lecture extensive de la solidarité de la part des juges du Luxembourg peut se justifier par
le principe de fidélité communautaire51. La fidélité à la construction européenne, rejoignant la
notion de Bundestreue (principe de fidélité fédérale), caractéristique du fédéralisme
allemand52, serait la source du principe de solidarité entre États membres, dans un but de
conservation de l’entité européenne. Cette interprétation rejoint la notion de Fédération visant
à sa pérennité par les obligations qu’elle impose mais aussi les droits qu’elle garantit à ses
membres. La Cour de Justice ne semble cependant récemment pas retenir cette conception de
la finalité européenne, revenant sur sa position initiale en refusant de consacrer la solidarité
entre États membres comme structurelle de l’Union.
II.
La conception non structurelle de la solidarité et non perçue comme
indispensable à la fédéralisation de l’Union
Si la défense juridictionnelle de la solidarité entre États membres est une condition
existentielle de la Fédération, la Cour de Justice de l’Union européenne ne semble pas
percevoir la portée de la défense d’un tel principe. Ses prises de position récentes vont en
effet à l’encontre d’une consécration pleine et entière de la solidarité entre États membres (A).
Cette conception minimale tend même à traduire une absence de conception de la solidarité
comme principe structurant de l’Union européenne prenant place notamment dans les rapports
entre États membres. La probabilité d’une évolution fédérative peut alors sembler remise en
question (B).
A. La juridictionnalisation faible de la solidarité entre États membres,
pourtant essentielle à la Fédération européenne : le recul certain de la
CJUE au vu de la différenciation et du « retour des États »
50
Ibid.
M. BLANQUET, « Acceptation et consécration d’un concept communautaire : la fidélité communautaire », in
Vers une culture juridique européenne, S. Poillot-Peruzzetto (dir.), Paris, Montchrestien, 1998, p. 152.
52
Voir H.A. SCHWARZ-LIEBERMANN VON WAHLENDORF, « Une notion capitale du droit constitutionnel
allemand : la « Bundestreue » (fidélité fédérale) », RDP, 1979, pp. 769 et s.
51
Le recul de la Cour de Justice de l’Union européenne dans la consécration de la solidarité
entre États membres s’est exprimé à différentes occasions. La Cour a ainsi refusé de
reprendre, alors que l’y incitait l’avocat général Geelhoed 53 , l’expression faisant du
manquement aux devoirs de solidarité une atteinte aux bases essentielles de l’ordre juridique
de l’Union. La Cour a également admis que le « principe de solidarité financière entre États
membres » puisse être limité par un règlement54. En ce qui concerne sa déclinaison financière,
la garantie de la solidarité par le juge est donc subordonnée à la volonté des institutions de
l’Union, et la Cour refuse d’occuper un rôle de défenseur du principe de solidarité entre États
membres.
Après un mouvement audacieux la Cour a également rejeté l’extension du principe de
solidarité entre États membres aux relations entre membres actuels et membres futurs. Alors
que l’avocat général Maduro préconisait, au nom de « la nécessité de veiller au respect de la
solidarité entre États membres », aux futurs États membres de pouvoir déférer à la censure de
la Cour les actes adoptés entre la signature et l’entrée en vigueur du traité d’adhésion, en
fixant le point de départ du délai de recours à la date de prise d’effet dudit traité, la Cour a
refusé cette position55. L’avocat général observe pourtant dans ses conclusions que « le statut
d’observateur est insuffisant à garantir que les considérations de solidarité entre les États
membres soient correctement prises en compte dans le cadre du processus d’adoption desdits
actes. Or, le devoir de solidarité constitue un principe que, par leur adhésion à la
Communauté, les États membres ont accepté » et qui de ce fait doit être étendu aux futurs
membres de l’Union56. L’appartenance à l’Union européenne prohiberait en effet aux anciens
États membres au sein du Conseil de rompre arbitrairement l’équilibre entre avantages et
charges établi par les instruments d’adhésion au profit des futurs États membres. Cette
argumentation n’a pas su retenir l’intérêt des juges, qui refusent de se prononcer sur les
devoirs des États membres actuels ou futurs.
De plus, c’est notamment au nom de l’autonomie des États membres que la CJUE deviendrait
réticente à consacrer la solidarité57. La Cour se trouverait face à la conciliation et la mise en
53
Conclusions présentées le 29 avril 2004 dans l’affaire Commission c/ République française, aff. C-304/02.
CJUE, ord., 18 juillet 2013, I c/ Health Service Executive, aff. C-255/13, non encore publié au Recueil.
55
Conclusions présentées le 21 juin 2007, dans l’affaire République de Pologne c/ Conseil, CJCE, 23 octobre
2007, aff. C-273/04, Rec. p. I-8925.
56
Ibid., pt 51.
57
C. BOUTAYEB, « La solidarité, un principe immanent au droit de l’Union européenne. Eléments pour une
théorie », in La solidarité dans l’Union européenne, Eléments constitutionnels…, op. cit., p. 24.
54
balance nécessaire de ces deux principes : droit et garantie de l’autonomie des Etats, et de
l’autre devoir et obligation de solidarité et d’assistance mutuelle entre États membres de
l’Union. Elle pencherait alors plus récemment en faveur de la garantie de cette autonomie, au
nom du « retour des États »58 et au détriment de la solidarité entre membres.
Par ailleurs, le développement de la différenciation conduit alors à un double mouvement
contradictoire : approfondissement de la solidarité et dilution de celle-ci59. L’appréciation des
juges sur l’ampleur de la solidarité entre États membres témoigne de la volonté de permettre
la différenciation, renforçant une solidarité limitée à quelques uns au détriment d’une
solidarité entre tous les participants à l’Union. La Cour de Justice de l’Union s’est ainsi
assurée du plein effet de la solidarité dans le cadre de l’espace Schengen, affirmant qu’à
travers la coopération et la collaboration, les États participant ont décidé de mettre en place
« une réelle solidarité » faisant en sorte que les effets de la décision prise par un État membre
ne se limitent pas au seul territoire de cet État membre 60 . La solidarité financière est
également source d’exemple sur ce point. Ainsi, la différenciation entre Etats membres en
matière économique et monétaire se déploie, comme en témoigne le récent Traité sur la
stabilité, la coordination et la gouvernance, et ceci malgré les dispositions prévoyant « un
esprit de solidarité » entre membres en la matière : en ce qui concerne la politique
économique, l’article 122, TFUE, prévoit en effet l’adoption le Conseil de mesures
particulières par « dans un esprit de solidarité entre les États membres ». La Cour a refusé
dans son arrêt Pringle61 d’y voir la seule base juridique valable donnant compétence exclusive
à l’Union pour l’instauration du Mécanisme européen de stabilité. Afin de valider le
Mécanisme européen de Stabilité, la Cour affirme au sujet de l’article 125, TFUE que « le
souci de solidarité ne saurait, certes, pas fonder une obligation d’accorder une assistance
financière telle que celle pour laquelle le MES a été créé » : la solidarité est reléguée au rang
de préoccupation insusceptible de créer des obligations entre États membres. La lecture
extensive de l’article en question est rejetée au profit d’une interprétation minimale de la
notion de solidarité.
58
Sur la question voir A. BERRAMDANE, « Le traité de Lisbonne et le retour des États », JCP G, n° 9, 27
février 2006, pp. 23-28.
59
A. BERRAMDANE, « Solidarité, loyauté dans le droit de l’Union européenne », loc. cit., p. 64.
60
CJUE, 19 décembre 2013, Rahmanian Koushkaki c/Bundesrepublik Deutschland, aff. C-84/12, non encore
publié au Recueil.
61
CJUE, 27 novembre 2012, Thomas Pringle c/Gouvernment of Ireland, aff. C-370/12, non encore publié au
Recueil.
Le déclin de la notion de solidarité entre États membres se traduit notamment par l’incursion
de la notion de « courtoisie entre États membres », terminologie nettement moins
contraignante que celle de solidarité semblant s’intégrer dans les débats62.
Le mouvement de désaffection des juges de Kirchberg pour la solidarité entre États membres
entraîne des conséquences pour la fédéralisation éventuelle de l’Union européenne. Ce
positionnement jurisprudentiel semble traduire l’absence de vision fédéraliste au sein de
l’institution juridictionnelle.
B. La solidarité entre États membres évincée par la CJUE, obstacle à la
fédéralisation et à l’émergence d’une véritable identité européenne ?
Le défaut de juridictionnalisation ou de justiciabilité63 suffisante de la notion de solidarité
entre États membres ne permet actuellement pas une évolution fédérative de l’Union
européenne, alors que la solidarité est un concept possédant un potentiel transformateur
indéniable pour l’Union européenne64. Elle peut effectivement être analysée comme une
simple « technique de renforcement de rapports de dépendance entre membres »65 mais est
également dotée d’une portée plus large. En tant que droits pour les États membres de
bénéficier de la solidarité de leurs co-membres, et devoir à leur charge, elle traduit
l’originalité de la forme d’association que constitue la Fédération. En effet « l’idée de
solidarité ne signifie en soi pas grand chose »
66
, la portée du concept variant
considérablement selon qu’il soit envisagé « comme une simple technique ou au contraire
comme un véritable principe d’action politique »67. Dans le premier cas, la solidarité est
« objective et autonome »68 , fonctionnant sans qu’il soit nécessaire de se référer à d’autres
principes qui lui donnent sens. Dans le second cas, au contraire, elle est « agissante »69, c’est-
62
Voir les conclusions de l’Avocat général Sharpston du 17 décembre 2009 dans l’affaire Fundación GalaSalvador Dalí et VEGAP, aff. C-518/08, pt 64.
63
J. MOLINIER, Les principes fondateurs de l’Union européenne, Toulouse, Mission de recherche Droit et
Justice de l’Université de Toulouse, 2004, p. 213.
64
V. en ce sens M. ROSS, « Solidarity – A New Constitutionnal Paradigm for the EU ? », in Promoting
Solidarity in the European Union, Oxford University Press, 2010, pp. 23-45.
65
A. BERRAMDANE, « Solidarité, loyauté dans le droit de l’Union européenne », loc. cit., p. 78.
66
M. BORGETTO, « Solidarité », loc. cit., p. 1430.
67
Ibid.
68
Ibid.
69
Ibid.
à-dire fonctionne comme une construction dont la définition dépend étroitement d’autres
principes qui inspirent et déterminent son contenu et font ce qu’elle est. Ainsi, la solidarité à
la fois comportement et finalité prend-t-elle dans le cadre de la Fédération la fonction de
prescription70.
L’approfondissement de l’intégration de l’Union européenne appellerait à une solidarité plus
grande afin de protéger cet intérêt commun par lequel les membres sont davantage liés. Si
cette notion de solidarité constitue incontestablement «la base même de l’appartenance à une
Union fondée sur le droit »71, en ce qu’elle exprime la « Communauté de destin » ou d’intérêt
qui caractérise l’intégration, prenant place entre États membres elle doit être garantie par la
juridiction compétente afin de déployer ses effets fédératifs. La solidarité traduit cette logique
de l’appartenance fondant un statut d’État membre d’une Fédération et dépassant les seules
obligations textuelles des Traités. Ce statut de membre comporte en effet certains devoirs qui
s’imposent aux États, au rang desquels figure la solidarité (mais également une obligation de
coopération – obligation de mise en œuvre et d’action supplémentaire –, de collaboration, et
de loyauté fonctionnelle et structurelle)72. La réflexion sur le statut de membre de l’Union
européenne conduit au rapprochement avec celui de membre d’une Fédération, dans laquelle
les « co-États » membres (ou « sister State » dans une terminologie anglo-saxonne) doivent
respecter et se voient garanti juridictionnellement un devoir de solidarité horizontale. Les
membres de la Fédération doivent en effet porter assistance et soutien à leur « alter ego
fédératif »73.
La réciprocité impliquée par la solidarité doit donc être juridiquement encadrée, afin de
garantir la survie de l’entité fédérative. Pourrait-elle alors conduire à la reconnaissance d’un
des « droits fondamentaux des États membres » d’une Fédération74 ? La reconnaissance de
droits fondamentaux aux États relèverait en effet de « l’essence même de la Fédération » et
permet de mettre en lumière l’un des critères d’identification de cette forme d’association
politique75. La doctrine internationaliste du début du XXe siècle à l’origine de la réflexion
70
A. BERRAMDANE, « Solidarité, loyauté dans le droit de l’Union européenne », loc. cit., p. 54.
J.-V. LOUIS, T. RONSE, L’ordre juridique de l’Union européenne, Genève-Bruxelles-Paris, Helbing &
Lichtenhahn-Bruylant-LGDJ, 2005, p. 184.
72
Ibid. p. 431.
73
O. BEAUD, Théorie de la Fédération, op. cit. p. 215.
74
Sur la question, voir Vers la reconnaissance de droits fondamentaux…, op. cit., 332 p.
75
G. MARTI, « Droits fondamentaux des États et Fédération », in Vers la reconnaissance de droits
fondamentaux…, op. cit., p. 269.
71
considère que ces droits appartiennent à chaque État vis-à-vis des autres 76 sur la scène
internationale, donc d’autant plus dans le cadre d’une Union d’États telle que la Fédération.
Dans le cadre de l’Union européenne, la solidarité viendrait en ce sens compléter le respect de
l’identité nationale, instauré par le Traité de Maastricht, et le plus récent respect des fonctions
essentielles de l’État et de l’égalité77 entre États membres de l’Union78. Il semble cependant
que le principe de solidarité n’ait pas encore « le statut d’un droit social fondamental » mais
serait l’objet d’une « internalisation »79 dans le système de l’Union.
Par ailleurs consubstantielle à la création d’une entité qui se conçoit comme intégrée80, la
solidarité s’érige au rang des principes servant l’affirmation de l’identité de l’Union
européenne. C’est en ce sens qu’elle ne serait en réalité « ni un principe fondateur, ni une
valeur fondatrice mais une caractéristique sociétale de l’identité européenne »81. L’Union a
incontestablement marqué son originalité à l’égard des autres organisations internationales en
dégageant une identité propre fondée sur des principes qui lui sont spécifiques82. L’article 21,
TUE, emploie ainsi le principe de solidarité au service de l’affirmation de l’action et par ce
biais de l’identité de l’Union sur la scène internationale. Erigée au rang de principe dans les
relations entre États membres, la solidarité comporterait donc une portée identitaire nette, et
marquerait la spécificité de l’Union européenne face à d’autres organisations. La solidarité
entre États membres possèderait la même « fonction identificatrice des éléments de
qualification de l’Union européenne » que le principe de coopération loyale83.
La position distante des juges de Kirchberg traduit-elle un refus volontaire de ne pas engager
plus avant un mouvement de fédéralisation de l’Union européenne ? La position de la Cour de
Justice de l’Union n’est de toute évidence jamais irrémédiablement fixée et pourrait évoluer
76
PRADIER-FODERE, Traité de droit international public, Larose, 1894, p. 157, cité par F. POIRAT, « La
doctrine des ‘droit fondamentaux’ de l’État », Droits, n° 16, 1992, p. 83.
77
Article 4, TUE.
78
La solidarité n’impliquerait cependant pas pour les États membres de l’Union européenne de droit
fondamental à l’aide humanitaire selon T. GARCIA, « Existe-t-il dans le droit de l’Union européenne un droit
fondamental des États à l’aide humanitaire ? », in Vers la reconnaissance de droits fondamentaux…, op. cit., pp.
159- 171.
79
J.-D. MOUTON, « Vers la reconnaissance de droits fondamentaux aux États dans le système
communautaire ? », in Les dynamiques du droit européen en début de siècle, op. cit., p. 476.
80
A. LEVADE, « La valeur constitutionnelle du principe de solidarité », in La solidarité dans l’Union
européenne, Eléments constitutionnels…, op. cit., p. 42.
81
BLANQUET M., « L’Union européenne en tant que système de solidarité : la notion de solidarité
européenne », loc. cit., p. 174.
82
C. FLAESH-MOUGIN, « Typologie des principe de l’Union européenne », in Le droit de l’Union européenne
en principes, op. cit., p. 123.
83
E. NEFRAMI, « Le principe de coopération loyale comme fondement identitaire de l’Union européenne »,
RDUE, mars 2012, n° 556, p. 201.
vers une revalorisation juridictionnelle de la notion. Afin que la notion ne reste pas au rang de
figure rhétorique caractéristique du discours politique contemporain 84 , il conviendrait
cependant de lui accorder de réels effets juridiques, ce qui conforterait ainsi l’évolution
fédérative de l’Union européenne.
84
Y. BORGMANN-PREBIL, M. ROSS « Promoting European Solidarity : Betaween Rhetoric and Reality ? » in
Promoting Solidarity in the European Union, op. cit., p. 2.