Domaine de propagation de l`emphase en arabe et en berbère
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Domaine de propagation de l`emphase en arabe et en berbère
Quel domaine pour la propagation de l’emphase ? Mohamed Lahrouchi UMR 7023 – Structure Formelle du Langage [email protected] 1 I. L’emphase en arabe II. Le domaine de propagation de l’emphase III. Dérivation par phases IV. Encore des phases : alternances glides – voyelles hautes en berbère 2 I. L’emphase Appelée aussi "pharyngalisation" ou "dorsopharyngalisation", l’emphase désigne, au niveau articulatoire, à une constriction secondaire dans le pharynx qui accompagne la constriction principale du segment emphatique. Propriété phonémique de l’arabe Consonnes emphatiques incontestées : tˁ, dˁ, sˁ, ðˁ Autres consonnes : zˁ, rˁ 3 Arabe classique tin « dattes » tˁen « boue » sabba « il a insulté’ » sˁɑbbɑ « il a coulé » sajf sˁɑjf « épée » « été » afa:da « il a fait profiter » ɑfɑ:dˁɑ « il a fait coulé » 4 Arabe marocain tab dar sla dərb « il s’est repenti » tˁɑb « il a fait » « Salé » « quartier » dˁɑrˁ sˁlɑ dˁrˁəb «il est cuit » « il s’est tourné » « prière » « il a frappé » 5 Adaptation des emprunts Français a. salle moquette taupe ampoule b. piste stylo blouse ferme Arabe marocain sˁɑlˁ-ɑ moketˁ tˁobbɑ bolˁ-ɑ lapist stilu bluz-a firm-a 6 II. Domaine de propagation de l’emphase L’emphase pose problème aussi bien en arabe que dans les autres langues afroasiatiques (ex. berbère) par la difficulté qu'on a à capturer correctement le domaine de sa propagation (à partir d'une consonne emphatique vers le reste de la syllabe, du radical, du mot, de la phrase, etc.) 7 Syllabe : Broselow 1979 Radical : Benhallam 1980 Mot : Hassan 2005 Au delà du mot, l’emphase peut enjamber la frontière de mot : Ghazeli 1981, Bulshaisha 1985. Mot phonologique : Davis 1995, Watson 1999, Kenstowicz & Louriz 2009. Le domaine minimum est la syllabe ou le mot, le domaine maximum est la phrase : Elmedlaoui 1985. Le domaine de pharyngalisation peut varier en fonction du débit de la parole, du registre, du genre. 8 Bukshaisha (1985: 217–219) : « The pattern of emphasis spread (…) varies from dialect to dialect in Arabic: in Cairene emphasis usually affects the whole phonological word; in Abha (spoken in Saudi Arabia) emphasis rarely spreads beyond the adjacent vowel; in Qatari Arabic emphasis spreads bidirectionally over the whole word, and where the emphatic is the first segment of a word, emphasis may also spread leftward across the word boundary into the adjacent word » 9 Kenstoiwcz & Louriz (2009 : 45) : « In Arabic dialects, the emphatic feature tends to be realized over domains larger than the syllable maximally the phonological word. Emphasis can spread in both directions and dialects differ as to which segments if any block (or minimize) the propagation. In MA the process is restricted to the stem and does not affect inflectional suffixes except that a CV sequence must be realized uniformly as plain or emphatic ». 10 Arabe marocain (1) Le domaine de l’emphase indiqué en gras brˁɑ brˁew-a brˁew-at tˁɑjjɑb-a tˁɑjjɑb-at tˁbeb tˁbeb-a « lettre » dˁɑrˁ « maison » « petite lettre » dˁjorˁ « maisons » « lettres » dˁɑrˁ-o « sa maison » « cuisinière » dˁɑrˁ-hum «leur maison» « cuisinières » dˁewwɑr « quartier » « médecin » dˁwɑwer « quartiers » « médecin, fm. » 11 Arabe marocain (2) tˁɑb « il est cuit » tˁɑb-t « elle est cuite » tˁɑjb-at « elle a cuit » tˁɑjb-u « ils ont cuit » dˁɑrˁ dˁorˁ dˁewwerˁ dˁewrˁ-o « il a tourné » « tourne ! » « fais tourner ! » « tourne-le ! » 12 Arabe marocain (3) bjedˁ bedˁɑ bejjedˁ bejdˁɑt bejdˁɑt-u « blanc » « blanche » « faire un petit pont » « elle a fait un petit pont » « elle lui a fait un petit pont » 13 Tous les affixes échappent à l’emphase, excepté les infixes. Les pluriels internes sont entièrement emphatisés. Les suffixes des pluriels externes échappent à l’emphase. Un suffixe est emphatisé si en contact direct avec une consonne emphatique. Une consonne radicale emphatisée se désemphatise si elle est syllabée dans la position d’attaque de la voyelle suffixale suivante (ex. tˁbeb / tˁbeba «médecin ms/fm »). 14 Berbère (1) "aveugle" "bouteille" "oignon" "gros" N sg N sg, fm ɑbokɑdˁ t-ɑbokɑ ˁ ɑbotˁɑj t-ɑbotˁɑj-t ɑzˁɑlem t-ɑzˁɑlem-t odnɑj t-odnɑj-t N pl ibokɑdˁ-n ibotˁɑj izˁɑlem-n odnɑj-n N sg + ad ɑbukɑdˁ-ad ɑbotˁɑj-ad ɑzˁɑlem-ad odnɑj-ad 15 Berbère (2) Aoriste "attraper" ɑmzˁ "piétiner" ɑdˁr "planter" zzˁo "entourer" dowwr imperfectif imperfectif + as ɑmzˁ ɑmzˁ-as ɑdˁr ɑdrˁ-as zzˁo zzˁo-jas ttdowwɑr ttdowwɑr-as 16 Berbère (3) Tous les affixes sont emphatisés, y compris les suffixes du pluriel et du féminin. Les clitiques démonstratif –ad et datif –as échappent à l’emphase. Une consonne radicale emphatisée se désemphatise si elle est syllabée dans la position d’attaque de la voyelle suffixale suivante. 17 III. Dérivation par Phases Les phases sont des domaines morpho-syntaxiques interprétables phonologiquement et sémantiquement. vP phase (Chomsky 2001). nP phase (Marantz 2001, 2007). Tout xP (vP, nP, aP) peut correspondre à une phase (Marantz 2001, 2007, Marvin 2002, Samuels 2010). 18 Le domaine de propagation de l’emphase en arabe marocain et en berbère délimite dans la structure une phase xP, où x = v, n ou a, sujette aux principes habituels de la théorie, au premier rang desquelles le principe de l'impénétrabilité des phases "Phase Impenetrability Condition" (voir Chomsky 2001). Spell-out as you merge (Epstein et al. 1998, Epstein & Seely 2002) : tout morceau de la structure qui constitue une phase est envoyé à la phonologie qui l’interprète. 19 Pourquoi des phases morphosyntaxiques et pas des domaines phonologiques, ou des frontières morphémiques (juncture phonemes chez les struturalistes, voir Trager 1962) ou encore des cycles phonologiques (phonologie lexicale vs. postlexicale) ? Les cycles ou les domaines phonologiques sont ad hoc, non justifiés en dehors la phonologie. On peut créer autant de cycles ou de domaines phonologiques que l’on veut. 20 A l’inverse, les phases morphosyntaxiques sont justifiées indépendamment de leur rôle en phonologie. La phonologie ne peut donc pas créer des phases >> une grammaire plus contrainte. Les frontières sont des diacritiques, et pas de vrais objets phonologiques comme le sont par exemples les syllabes, les traits, etc. 21 • Arabe marocain ka j-brˁa « il est entrain de guérir » 22 • Arabe marocain dˁɑrˁ « maison » / dˁjorˁ « maisons » 23 • Berbère ɑbukɑdˁ-ad « cet aveugle » 24 IV. Encore des phases : alternances G – VH en berbère Les glides j and w et les voyelles hautes correspondantes sont en distribution complémentaire : gru ‘ramasse !’agraw ‘assemblée’ bri ‘égratigne !’ abraj ‘grains concassés’ iflu ‘planche’ iflwan ‘planches’ j et w au voisinage d’une voyelle, i et u ailleurs. Les voyelles i et u résistent à la semi-vocalisation au voisinage d’une autre voyelle : grujas et non *grwas ‘ramasse-lui !’ brijas et non *brjas ‘concasse les grains pour lui !’ iflujad et non *iflwad ‘cette planche’ Comment résoudre cette opacité phonologique ? 25 IV. Encore des phases : alternances G – VH en berbère vP et nP sont des phases en berbère. Dans agraw et abraj, U et I se réalisent comme glides au voisinage de /a/ parce que tous situés dans un même domaine de computation, la phase nP. Dans gru-j-as et bri-j-as, le clitique –as est situé en dehors de la phase vP. Autrement dit, gru et bri sont interprétés phonologiquement avant que –as ne soit ajouté. 26 Berbère gru-j-as « ramasse-lui! » 27 Berbère agraw « assemblée » 28 Berbère iflu-j-ad « cette planche » 29 Références Bendjaballah, S. 2012. La grammaire des gabarits. Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université Paris 7. Chomsky, N. 2001. Derivation by phase. In Ken Hale: A Life in Language, M. Kenstowicz (ed.), 1-52. Cambridge, Mass.: MIT Press. Guerssel, M. 1986. Glides in Berber and syllabicity. Linguistic Inquiry 17.1: 1-12. Epstein, S. et al. 1998. A derivational approach to syntactic relations. Oxford: OUP. Epstein, S. & D. Seely. 2002. Rule applications as cycles in level-free syntax. In Derivation and Explanation in the Minimalist Program, S. 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