adolescents« delinquants

Transcription

adolescents« delinquants
Vendredi 11 février 2011
CONFERENCE
ADOLESCENTS DITS « DELINQUANTS »
PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET PATHOLOGIQUE
« Qu’est-ce qui a bien pu leur passer par la tête ?! »
Voilà une question que nous nous sommes tous posés en lisant le journal
ou en écoutant quelqu’un raconter un fait divers. Nous nous demandons
comment de jeunes garçons ont pu commettre un vol, insulter un inconnu,
agresser une personne pour un peu d’argent, brûler un commerce ou pire
violer, tuer… D’où vient donc cette « délinquance » ?
Qu’est-ce qui, chez un adolescent, a déclenché autant de violence ?
Est-ce un agent perturbateur qui est apparu ou au contraire est-ce un
repère qui a disparu ?
1
La délinquance chez les jeunes est un phénomène complexe, lié au
développement de la société urbaine et industrielle, et à l'évolution des
mœurs dans le monde moderne. Elle est au cœur du débat public depuis la
fin des années 1990 en raison de sa croissance, dans un contexte marqué
par l'augmentation de la délinquance en général et du sentiment
d'insécurité. C'est une notion qui intéresse à la fois le juriste, le sociologue
et le psychologue.
La délinquance a longtemps été interprétée comme un phénomène
héréditaire, lié à des déficiences intellectuelles ou des troubles mentaux.
Mais ce trait est loin d'être déterminant. En effet, la délinquance juvénile
résulte d'un ensemble de facteurs dont l'impact est plus ou moins
important selon les individus.
Ces facteurs peuvent être regroupés en trois grands groupes : les
facteurs liés à la psychologie même de l'adolescent et à la fragilité qui
caractérise ce stade du développement humain ; les facteurs familiaux
; les facteurs sociaux (en particulier la vie scolaire) et économiques.
À la différence de l'homme adulte, qui supporte volontairement certaines
contraintes pour s'adapter à la société, le jeune délinquant rejette les
valeurs de cette société. Il la ressent comme injuste et impersonnelle, et
considère les règles sociales comme autant d'obstacles à la satisfaction de
ses désirs. Mais cette attitude de refus n'est au fond que l'exagération
d'une tendance naturelle à tous les adolescents. Ce phénomène peut en
outre
être
accentué
par
des
carences
éducatives,
dues
à
l'affaiblissement de l'autorité familiale, ou affectives, dans des situations
2
où les parents sont désunis et où l'enfant souffre des tensions et des
déséquilibres qui en découlent.
L'échec scolaire et, plus généralement, les difficultés d'insertion scolaire
et professionnelle jouent également un rôle considérable dans la
délinquance juvénile. L'adolescent qui se sent en marge va rechercher la
compagnie de jeunes qui lui ressemblent, ce qui favorise un phénomène
d'incitation et de passage à l'acte. Le groupe ainsi formé se substitue à la
famille qui fait défaut ou qui ne comprend pas les problèmes qui se posent
aux jeunes. La bande permet en quelque sorte d'échapper à la réalité
sociale du monde des adultes. L'adolescent cherche à s'y créer la position
à laquelle il aspire et qu'il ne trouve pas dans la vie scolaire.
Ces facteurs sont renforcés en milieu urbain, où les inégalités sociales sont
perçues de manière plus aiguë, où de multiples sollicitations peuvent
accentuer les tendances naturelles de l'adolescent à la révolte. Cela
explique la fréquence des vols d'objets associés à l'idée d'aisance
(automobiles, vêtements de marque, téléphones portables), et met en
lumière le rôle joué par les facteurs économiques et sociaux dans la
délinquance juvénile. Celle-ci apparaît en effet liée de manière structurelle
au fonctionnement de la société de consommation et à l'existence de
fortes inégalités sociales.
3
Il est difficile de déterminer statistiquement l'importance du phénomène de
délinquance chez les jeunes. En effet, toutes les infractions ne sont pas
signalées – les parents préférant souvent régler eux-mêmes les
problèmes que pose le comportement de leurs enfants. On doit tenir
compte en outre des modifications intervenues sur le plan législatif (selon
les périodes, certains actes sont pénalisés, tandis que d'autres sont
dépénalisés). Quelques grandes tendances marquent cependant l'évolution
de la délinquance juvénile en France (et de manière plus générale en
Europe et en Amérique du Nord). On a enregistré pendant la Seconde
Guerre mondiale une recrudescence de la délinquance juvénile, suivie
d'une accalmie dans les dix premières années de l'après-guerre. On
constate une reprise très nette à partir des années 1960 (avec l'apparition
des « blousons noirs ») puis, à partir des années 1980, une progression
de la délinquance juvénile tant au niveau quantitatif que qualitatif.
De manière générale, les évolutions récentes sont marquées par un
rajeunissement de l'âge d'entrée dans la délinquance et une
aggravation
des
actes
de
délinquance.
Toutefois,
certaines
caractéristiques de la délinquance juvénile restent inchangées. Ainsi les
délits contre les biens et la propriété (vols, cambriolages) représentent les
deux-tiers des infractions relevées chez les jeunes.
De même, les violences graves contre les personnes ne concernent qu'un
nombre relativement limité de mineurs délinquants. Dans ce cadre, les
statistiques criminelles font cependant ressortir une hausse des violences
contre les institutions (vandalisme contre les biens publics, formes
4
d'irrespect et d'agression contre les personnes représentant les
institutions), une augmentation des violences entre jeunes et le
développement du trafic de la drogue chez les mineurs. Enfin, les
statistiques criminelles permettent de constater la multiplication des
incivilités imputables aux mineurs : actes de désordre, insolence,
insultes, dégradations des lieux de vie, etc.
Des jeunes en crise d’identité
De nos jours, l’entrée du jeune dans notre société d’adultes en tant que
citoyen actif à part entière se fait plus tardivement qu’autrefois.
Actuellement, la situation économique induit souvent un état intermédiaire
d’inactivité, source de mal-être et donc de déviance.
L’adolescence est une phase de transition importante. Le jeune est en
pleine recherche d’identification avec assimilation et mimétisme d’un héros,
le plus souvent pris parmi des « stars » et qui deviennent ses références.
Dans certains cas, il y a un mimétisme du « grand frère » : pour les plus
jeunes, les héros sont les caïds de la cité.
Les personnalités publiques peuvent avoir un rôle important dans le
transfert de certaines valeurs humaines et de citoyenneté. Néanmoins, le
prestige social est aujourd’hui davantage lié à l’argent et aux valeurs
matérielles qu’au rôle que l’on joue au sein de la collectivité.
5
La construction de l’individu ne s’effectue plus par rapport au groupe et
donc au rôle qu’il devra y tenir, mais par rapport à la satisfaction de désirs
immédiats, que certains sont prêts à assouvir par la violence. La
construction du citoyen est par conséquent mécaniquement en crise.
L’adolescence est une période de dépréciation de soi. Cela peut amener le
jeune à prouver qu’il existe par la violence.
L’adolescence est aussi et surtout la période du déni, du refus du cadre et
des règles de la société avec un besoin de transgresser. Une grande
importance est en revanche accordée à l’avis et au comportement des
camarades et des modèles.
Mais si notre période est celle du déni systématique elle est également
celle de l’engagement, de l’adhésion aux grandes causes, humanitaires,
sociales, environnementales. C’est sur ces valeurs qu’il convient de
s’appuyer pour motiver les jeunes et ainsi les placer en situation de réussir.
Les facteurs individuels :
La cellule familiale, premier cercle de construction de l’individu
Même si elle ne peut être seule tenue pour responsable, une carence
familiale sous-tend fréquemment des problèmes de violences. La famille
est le premier lieu d’éducation et de socialisation de l’enfant. Ce
devrait être le premier cercle de structuration.
Mais,
de
nos
jours,
la
cellule
familiale
est
souvent
déstabilisée :diminution du temps consacré aux enfants, absence des
6
grands-parents, disparition de l’autorité paternelle, divorces, voire
parents contre-modèles….L’apprentissage de la violence peut aussi
se faire à travers les violences intra-familiales.
De nombreuses études ont montré que la puberté et l’entrée dans
l’adolescence sont des périodes charnières sur le chemin de la
maturité, ce sont des moments difficiles pour le jeune qui voit son corps
changer en même temps que son regard sur le monde.
Il est en proie à des angoisses dont il a du mal à parler avec son
entourage (famille, camarades…). La puberté fait ressurgir les conflits
refoulés de l’enfance, fait émerger la sexualité, donne une certaine
force physique et submerge l’adolescent qui plie sous les le poids des
doutes et des peurs.
En général, la plupart des adolescents passe cette « crise » sans trop de
problèmes, mais pour d’autres les complications s’accumulent : un
manque de repères, un environnement instable sur lequel ils ne
peuvent s’appuyer, un défaut de mentalisation et de mise en sens des
émotions, des troubles psychologiques et c’est la rupture, le passage
à l’acte, les diverses formes de délits.
Un bouleversement psychologique…
Sous les différents termes utilisés, se retrouvent les mêmes idées
générales : l’adolescent est confronté à un corps qu’il ne reconnaît pas
et qu’il ne maîtrise plus, il est surpris par son propre développement
7
(notamment au niveau de la zone génitale).
De plus le jeune garçon est soumis au regard de sa famille qui observe sa
« métamorphose » (Freud, 1924) et de ses camarades qui nagent eux
aussi en pleine incertitude mais à qui il se compare obligatoirement pour ne
pas se sentir trop différent malgré tout.
C’est lors de l’entrée dans la puberté que renaissent les conflits entre le Ca
et le Moi, instances qui avaient jusqu’alors trouvé un équilibre durant la
période de latence.
Dans son « Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent » Philippe
Jeammet (1985) (professeur en pédopsychiatrie et chef du service de
psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte à l'Institut mutualiste
Montsouris) explique que le jeune garçon va renforcer l’interdit oedipien en
mettant de la distance (physique et psychique) entre ses parents et lui
afin de se protéger et de les protéger de lui.
La plupart des auteurs ayant étudié la période de l’adolescence s’accorde à
dire que les processus pubertaires sont chaotiques, troublants,
balayant tout ce qui existait jusqu’alors.
Ch. De Chauvelin (2000) les décrit comme « extrêmement traumatiques et
désorganisateurs », des termes forts qui laissent imaginer le désarroi dans
lequel ils plongent l’adolescent.
Philippe Gutton fait partie des auteurs qui ont beaucoup travaillé sur le
8
versant clinique de la puberté, il distingue deux grands processus
pubertaires : un processus négatif marquant le retour en vrac de l’infantile
jusque là refoulé et un processus positif qu’il nomme « adolescens » et qui
a pour but de réparer, de reconstruire le jeune pour le guider vers l’adultité.
« L’adolescens utilise les procédures d’idéalisations rôdées de l’enfance
(…) l’idéal du Moi et l’identification ». C’est un processus de
reconstruction après le choc pubertaire, de création, de demandes
d’amour…
Ces deux processus peuvent être successifs ou simultanés, ils sont en
général inconscients, mais peuvent devenir tout-puissants dans le
conscient quand ils ne sont pas mentalisables (produisant des cassures de
développement). Ils peuvent aussi resurgir à l’âge adulte s’ils n’ont pas pu
s’effectuer correctement dans l’enfance.
Mais pour que l’enfant puisse devenir un adolescent qui avance vers
l’âge adulte, le processus « adolescens » doit être reçu par des parents
qui ont eux-mêmes dépassé leur travail d’adolescence (Gutton reprend
ici les termes de « parents suffisamment bons » de Winnicott).
Dans le cas contraire, l’entrée dans l’adolescence de leur enfant
viendra réactiver chez eux une situation problématique et ils ne seront
pas en mesure de l’aider au mieux, ils revivront leurs propres conflits.
On comprend mieux désormais les sentiments d’étrangeté et d’angoisse
qui envahissent l’adolescent et l’obligent à une perpétuelle remise en cause
9
de tout ce qu’il croyait connaître. Le jeune en plein changement cherche
des réponses dans son environnement et tente d’apaiser ses
angoisses autant que possible. Dans sa quête d’identité et de
normalité, l’adolescent entre souvent en conflit avec ses proches,
l’amène à intégrer un groupe où se crée un idéal du moi collectif. Dans ces
bandes, la violence peut être une façon d’affirmer son autorité, sa
puissance, d’endurcir les plus faibles…C’est une manière de se rassurer et
de s’assurer le contrôle sur des lieux et des personnes. Nous avons d’ores
et déjà pu observer que chez les « délinquants », violence et respect se
confondent : ils pensent que si quelqu’un n’ose pas s’opposer à eux
et les craint, c’est qu’il les respecte.
Délinquance et violence des adolescents
La délinquance des mineurs peut prendre plusieurs formes : vols avec ou
sans
violence,
agressions
physiques
et
morales,
agressions
sexuelles, homicides, dégradations matérielles… Ils commettent des
délits parce que l’expression verbale de leurs angoisses et de leurs
conflits intra - psychiques est impossible. Ces jeunes ne parviennent
pas à dire à l’autre quelle est la source de leur malaise.
D’un point de vue sociologique, elle est considérée comme le reflet que
nous donnent les jeunes de la violence de notre société occidentale
actuelle.
D’un point de vue clinique, la délinquance regroupe les notions
10
d’agressivité, de pulsion, de mécanismes de défense et de souffrance. Car
le phénomène de délinquance augmente chez les adolescents, notamment
les violences sexuelles. On l’associe volontiers aux cités, aux banlieues…
C’est en réalité à la précarité sous toutes ses formes qu’il faut l’associer. La
précarité peut être matérielle en raison du niveau social des parents,
sociale si le jeune est isolé du monde extérieur, ou encore affective quand
les parents délaissent voire maltraitent leur enfant.
TAT (Le Thématic Apperception Test (T.A.T) est une épreuve projective qui permet
l’exploration des modalités de fonctionnement psychique du sujet.)
11
CONCLUSION
Beaucoup de nos travaux en qualité de psy nous permettent de
comprendre ce qui amène un adolescent à enfreindre la loi.
Ce travail de recherche qui permet une exploration détaillée du
fonctionnement psychique des jeunes cela apporte des éléments de
réponses.
Certains diagnostics révèlent des comportements inadaptés pathologiques
chez certains sujets qui les conduisent à des actes délictueux.
Les résultats en valent la peine : recevoir des nouvelles d’un jeune qui s’en
est sorti, qui suit une formation, qui est devenu autonome est une
récompense pour moi qui l’a vu évoluer pendant sa thérapie elle donne aux
adolescents dit « délinquants » une chance de grandir et de faire le point
sur leurs comportements inadaptés, et leur donne l’opportunité de ne plus
être vus comme des « délinquants » avec l’espoir que ces jeunes ne
récidiveront pas et n’iront pas vers plus de violence.
J’insiste sur le fait que chercher à comprendre les raisons qui
poussent un adolescent à commettre un délit ne signifie pas que l’on
tente d’excuser son comportement.
J’ai conscience que les faits reprochés à ces jeunes délinquants par
la Justice sont parfois d’une extrême gravité et il serait indécent vlis12
à-vis de leurs victimes de dire qu’il faut excuser le comportement du
jeune parce qu’il a eut une enfance difficile ou pour d’autres raisons.
Chacun a droit à une deuxième chance parait-il, par mon travail, je
leur en donne au moins une, peut-être la première…
Merci pour votre écoute, je donne la parole à Jean Pierre
ROSENSVEIG, président du Tribunal pour Enfants de Bobigny et de Défense
des Enfants International – France
13

Documents pareils