Tout d`abord, je voudrais remercier toutes celles et ceux sans qui cet
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Tout d`abord, je voudrais remercier toutes celles et ceux sans qui cet
Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 « Les Appels de l'Orient » ou, Comment 'Enrichir' Le Droit? Nathaniel Berman Watson Institute Brown University "Journée d'Etude Autour de Passions et Ambivalences: Le Colonialisme, le Nationalisme et le Droit International (Paris: Pedone 2008) Tout d’abord, je voudrais remercier toutes celles et ceux sans qui cet évènement n’aurait pas été possible. En première place, bien entendu, Mikhail Xifaras et Emmanuelle Jouannet, les organisateurs, mais également les collègues distingués qui ont bien voulu participer à cette demi-journée, et dont certains ont fait de longues voyages pour venir : Barbara Delcourt, Julie Saada, Olivier Le Cour Grandmaison, et Martti Koskenniemi. C’est vraiment un immense plaisir pour moi de pouvoir discuter des questions qui nous concernent tous avec des spécialistes aussi renommés venus de disciplines aussi diverses. A vous toutes et tous, merci. Permettez-moi de démarrer avec une petite anecdote. En 1925, les Cahiers du Mois, une revue littéraire parisienne, a adressé un questionnaire à plus d’une centaine d’intellectuels venus (eux-aussi) de diverses disciplines. La revue a publié les résultats de cette enquête dans un numéro spécial intitulé « Les Appels de l’Orient. » Cette publication peut être comprise comme un véritable portrait de l’imaginaire français - et même européen – en ce qui concerne les relations entre les soi-disant « Orient » et « Occident ». Un portrait qui date des années 1920 mais qui garde aujourd’hui toute sa valeur. Le portrait du Zeitgeist, l’esprit du temps, qui en ressort est plein d’ambivalences. Des ambivalences profondes, entre peurs et fascinations pour l’Autre; cet Autre, à l'époque dénommé « l’Orient » mais qui couvrait le monde non-européen dans son entier, ou presque: du Maroc (qui, soit dit en passant, se trouve largement à l'ouest de la France) jusqu'à la Chine, en passant par la Russie, l’Iran, et tout le reste encore. Sur la couverture de la revue, on trouvait une phrase écrite en lettres arabes. Le lecteur nonarabophone devait fouiller loin dans la revue pour comprendre que ces signifiants, qui devaient lui paraître quelque peu exotiques, constituaient un soi-disant « proverbe arabe » dont le sens était: « Attire l'Orient à toi, 1 Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 pour qu'il ne soit pas attiré loin de toi. » Ce dicton, ou bien le fait qu’il ait été mis en exergue, constitue déjà une sorte de vue d’ensemble du Zeitgeist de l’époque… et du notre encore aujourd’hui: à la fois désir et peur du nonEuropéen, et l’intuition que cette relation relève du registre de la passion et non de la seule rationalité, qu’elle relève tout autant de la séduction réciproque que du dialogue raisonné. Les questions posées aux intellectuels étaient non moins révélatrices de ces ambivalences. J’en citerai ici deux plus particulièrement: • « Pensez-vous que l'Occident et l'Orient soient complètement impénétrables l'un à l'autre? » .... [Une question loin d’être innocente, vue l’idéologie de "la pénétration pacifique" qui marquait alors la pensée coloniale française, au moins dans sa version « de gauche »]. • « Etes-vous d'avis ... que l'influence de l'Orient puisse constituer pour la pensée et les arts français un péril grave et qu'il serait urgent de la combattre, ou, pensez-vous que ... nous puissions ... demander à la "connaissance de l'Est" un enrichissement de notre culture générale et un renouvellement de notre sensibilité? » .... [et je vous prie de garder à l’esprit ces mots « enrichissement » et « renouvellement » sur lesquels je reviendrai] Si j’ai choisi de commencer par « Les Appels de l’Orient », c’est parce que depuis que je travaille sur le droit international moderne, c'est-à-dire le droit tel qu’on le connait depuis la Première Guerre Mondiale, j’ai toujours été guidé par l’intuition que les rapports de l’imaginaire occidental à ses divers Autres sont fondamentaux pour comprendre ce droit – ses triomphes comme ses échecs, ses formes émancipatrices comme ses élans dominateurs. Ainsi, ai-je toujours procédé en posant à ce droit un défi qui consiste en l’interrogation suivante: « racontez-moi vos fantasmes sur l’Autre, mesdames et messieurs les internationalistes, et je vous dirai alors qui vous êtes ; je vous dirai le sens profond de vos immenses édifices juridiques, composés de doctrines inédites, d’institutions sans précédents, et de traités innovants. Dites moi comment vous imaginez, comment vous fantasmez, donnez-moi la gamme de vos Autres, et d’abord vos Autres-voisins, ces 2 Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 nationalistes séparatistes de l’Europe centrale et de l’est, et je vous expliquerai alors le sens profond de la variété des régimes politico-juridiques que vous leur avez préparés – allant de l’autodétermination pour certains, à la protection des minorités pour d'autres, en passant par l’administration internationale imposée sur telle région et l’échange de populations sur telle autre. Racontez-moi ensuite comment vous imaginez la gamme de vos Autres-lointains (ces colonisés ou post-colonisés imaginés comme lointains, quelque part dans un Orient fantasmé). Et je vous expliquerai alors le sens des divergences entre vos colonies et vos Protectorats, vos Mandats A, B, et C, vos Tutelles onusiennes, et jusqu’à vos récentes MINUK et compagnie… Ces édifices imposants ne se résument pas à de simples réponses ponctuelles, ni à des structures exigées par des principes prétendument fondamentaux, qu’ils soient juridiques ou philosophiques. Au contraire, ils traduisent plutôt des manières de gérer, voire de sublimer les ambivalences profondes de vos rapports aux Autres. Mais à quel prix pour ces Autres ? Quel prix matériel ? Quel prix humain ? Prix en sang. Prix en richesses. J’y reviendrai. Restons-en, pour l’heure, aux « Appels de l’Orient. » J’ai affirmé que les ambivalences et les fantasmes exprimées dans cette enquête de 1925 à propos des relations Orient-Occident pouvait fournir une clef pour comprendre l’internationalisme moderne et tout particulièrement la manière dont il a procédé (et procède encore) à « s'enrichir » et a "se renouveler" par le biais de sa relation à ses Autres, tant voisins que lointains. Mais pour démontrer ceci, lisez avec moi tout d'abord une des réponses à l’enquête des « Appels de l’Orient », celle de l’écrivain franco-grec Alexandre Embiricos : « L'Orient a fécondé l'Occident. L'Asie a toujours été la source intarissable qui a déversé ses flots de vie et ses grandes visions dynamiques sur la Terre. Mais c'est l'Occident qui, en apposant son sceau à cette richesse informe et en l'animant de sa volonté, lui a donné une signification. Sans l'Occident, … le monde se débattrait dans la confusion et le chaos. Mais combien inutile et décharnée, … serait la puissante armature occidentale si la sève barbare ne venait bouillonner dans les digues inflexibles au moyen desquelles les frustes énergies de l'univers sont captées au profit des réalisations supérieures. L'Asie est le subconscient du monde. » 3 Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 Il y aurait beaucoup à dire sur cette expression d’un certain orientalisme qui se voulait humaniste, sur l’identité sexuée et l’activité sexuelle attribuées à l’Orient et l’Occident, sur les bénéfices mutuelles attribués à leur relation, et sur le rôle prédominant finalement attribué à l’Occident, et cela de manière très claire. Mais je m'en abstiens pour l'instant pour en arriver rapidement à un autre penseur de la même époque, le juriste strasbourgeois Robert Redslob, un des grands penseurs juridiques de la question nationaliste de l’entre deux guerres – un discours où le nationalisme, en l'occurrence (et je souligne) le nationalisme européen, vient occuper le rôle attribué par Embiricos à l'Orient. Selon Redslob : « Il suffira que [le droit] … vienne se réfléchir sur le mouvement réel des nationalités,… vienne se modeler sur ce pathos d’une force élémentaire qui se produit dans l’histoire des peuples .… [Et alors], l’élan d’émancipation, flot tumultueux de l’histoire … rencontre [le droit] et en fait son allié. Ayant pactisé avec [lui], il subira son influence régulatrice. Dès lors … il ne se jettera plus à l’aventure, mais cherchera dans l’idée de droit sa justification préalable. … La passion [nationaliste] … se disciplinera en s’adaptant à la conception de droit dont elle dérive son titre légitime. » Il me parait évident qu’il s’agit là de deux discours de la même famille. On y retrouve la même sorte de vitalisme, le même désir d’énergie de l’Autre imaginé comme « primitif », comme « élémentaire » ; on retrouve dans les deux cas la nature littéralement fluide attribuée au primitif (« les flots de vie » et « la sève » pour Embiricos, « le flot tumultueux » pour Redslob) … et, en même temps, la même certitude que cette force vitale, cet élan indispensable, doit être structurée, signifiée, et surtout « disciplinée » par la forme civilisée, son « allié ». Comment dès lors comprendre ce parallèle, cette homologie entre le rôle de ces « primitifs » d'apparence si diverses, l’européen et l’« Orientale » ? Certes, la mobilisation des « primitifs » d'origines diverses pour les fins du renouvellement de la culture européenne est loin d'être inconnue à cette époque. Songeons par exemple à Picasso et à son chef-d’œuvre « Les Demoiselles d’Avignon » -- où l’artiste représente des masques divers évoquant le primitif : en particulier, des masques du folklore ibérique aussi bien qu'africain. Il utilise ces deux primitifs, européen et africain, pour 4 Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 évoquer l’étrangeté, l’énergie, la dislocation … et en même temps il commence avec cette œuvre elle-même de lancer cette méthode révolutionnaire de représenter l’espace qui allait se dénommer « le cubisme ». Ainsi ce tableau de Picasso incarne-t-il cette juxtaposition du primitif et des innovations sophistiquées qu’un historien du modernisme appelle « l’alliance du primitivisme et de l’abstraction », une des marques-clés du modernisme artistique dont ce tableau marque une étape cruciale. Cette juxtaposition, cette « alliance » est étroitement apparentée à une autre « alliance », cette fois-ci juridique : la juxtaposition des deux phénomènes clefs du droit international moderne: d’une part, l’accueil, si ambivalent soit-il, du nationalisme imaginé comme force primitive et, d’autre part, des innovations sophistiquées politico-juridiques – une juxtaposition évoquée par Redslob précisément par les termes de « pacte » et d’ « alliance. ». Le droit international nouveau qui surgit de cette « alliance » fut doté d'une autonomie sans précédent -- voire d'un pouvoir de transformer radicalement les acteurs principaux de la scène internationale. Lisez avec moi le juge international McNair quand il célèbre la portée révolutionnaire du système des Mandats, une célébration du droit nouveau qui semble aller bien au-delà du champ restreint de l’application des Mandats: « Le Régime des Mandats (ainsi que le …régime international de Tutelle) est une nouvelle institution -- un nouveau rapport entre le territoire et ses habitants, d'une part, et le gouvernement qui les représente à l'extérieur, d'autre part --, une nouvelle sorte de gouvernement international qui ne rentre pas dans la vieille conception de la souveraineté (…) La souveraineté sur un territoire sous Mandat est en suspens ; si les habitants du territoire obtiennent que ce territoire soit reconnu comme un Etat indépendant (…) la souveraineté revit et elle est confiée au nouvel Etat. » Les « institutions nouvelles » que sont le régime des Mandats et ses successeurs comme les Tutelles ou les MINUK onusiennes prétendent transformer l'essence à la fois des Etats et des peuples – les premiers, les Etats, n’étant plus l'Alpha et l'Omega du droit international, tandis que les seconds, les peuples, ne sont plus condamnés à l’invisibilité ou la nonpertinence juridique. Les uns comme les autres trouvent leur identité transformée par leur entrée dans les «institution nouvelles » 5 Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 internationaliste. Et même si, selon McNair, la souveraineté classique pourra, le cas échéant, se réveiller de son "suspens," la décision de le lui permettre reste du ressort de l'instance internationale. Autrement dit, le droit devient une instance de formation des sujets, d’une véritable « subjectivation », comme dirait Foucault, ou plutôt d’une « résubjectivation » des acteurs de la scène internationale. Ce rôle élargi convient à une communauté internationale qui se considérait comme l’"héritière" des empires classiques, selon la formulation d'un internationaliste américain en 1923. Mais nous savons bien, au moins depuis Freud, que le désir d'être un "héritier" est compliqué. L’"héritier" (en l'occurrence le droit international nouveau) désire remplacer son père (en l'occurrence les empires), mais ce désir comporte toujours aussi bien le désir de changer, voire de rejeter le régime du père, que celui de le prolonger, voire de s'identifier à lui. Et en effet, ces "nouvelle institutions" (allant des Mandat aux Minuks) avaient leurs prédécesseurs d'avant la Première Guerre, au premier rang desquels on trouve les Protectorats français en Afrique du nord. Le traité de Fez, qui institua le protectorat français au Maroc, avait aussi utiliser précisément la phrase -- "nouveau régime" -- pour décrire cette tutelle qui prévoyait des réformes couvrant tous les secteurs sociaux et politiques du Maroc. Décrivant ce "nouveau régime" en 1923 devant la Cour internationale, le juriste renommé A. De Lapradelle s’est permis ce cri de cœur : « Hélas si le Maroc arrivait à l’indépendance sans une réforme complète de sa civilisation » : autrement dit, pas d’indépendance sans une « ré-subjectivation » complète. Or, ce pouvoir de « subjectivation » que s’arroge le droit international s’étend aussi bien au Protecteur qu’au Protégé : « Appelée par les traités [de protectorat avec la Tunisie et le Maroc] à les guider l’une et l’autre dans les voies de la civilisation et du progrès, la France tenait de cette mission le devoir de les aider à prendre, sur l’assiette du territoire, la base ferme d’une population homogène, cohérente, attachée au Prince, Bey ou Sultan, par un lien direct, en éveillant dans ces Etats, tout pénétrés des principes d’une civilisation théocratique, l’idée, indépendante, libre, plus durable et plus forte, d’une nationalité (…) dégagée de toutes contingences 6 Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 religieuses … (C'est) une oeuvre de civilisation . . . (à laquelle) toutes (les nations) sont également intéressées . . . » Certes les traités de protectorat, selon De Lapradelle, avaient pour but principal la transformation des Tunisiens et des Marocains – en fait à les rendre eux-mêmes pour la première fois. Les réformes instituées par le protectorat allaient « dégager » les nord-africains de leur « contingences » – et pas n'importe lesquelles: les "contingences religieuses" – afin de purifier ces nations pour qu'elles puissent rejoindre leurs "essences," les rendant ainsi "cohérentes" et "libres" pour la première fois. L’essence de leur identité nationale, laisse-t-il entendre, ne saurait être acquise que par le biais de la domination française. Mais c'est aussi la France qui est transformée par cette relation. C'est la France qui est "appelée par les traités" et non l’inverse – en bons Althusseriens nous dirions plutôt que la France est "interpellée" par les traités. La France est convoquée elle aussi à devenir elle-même, c'est-à-dire, non plus seulement un simple état ou empire égoïste, mais un agent de l'internationalisme, l’agent d' "une oeuvre de civilisation . . . (à laquelle) toutes (les nations) sont également intéressées." Et finalement, c'est aussi le droit lui-même qui en ressort transformé – « enrichi » et « renouvelé ». Et me voici revenu à la question de l'« enrichissement » et du « renouvellement » du droit, pour reprendre les termes de l'enquête "Les Appels de l'Orient." par laquelle j’ai commencé. Je note qu’à la question de l’enquête sur l’enrichissement et le renouvellement qu’on pourrait tirer de l’Orient, André Breton a répondu en parfait provocateur, et je cite : « Je n'attends pas que "l'Est" nous enrichisse ou nous renouvelle en quoi que ce soit, mais bien qu'il nous conquière. » Mais les juristes de toutes tendances ont, bien entendu, choisi une autre voie. Même les juristes les plus anticoloniaux se sont toujours efforcés de maintenir une certaine fidélité, bien que fortement ambivalente, à la tradition internationaliste – tout en exigeant que le droit international se réforme au travers ses relation avec cet Autre, qui d’antan se dénommait « l'Orient », et plus tard « le Tiers Monde. » Mais cette posture dédoublée, n’est-ce pas celui de l’Orientalisme moderniste avec lequel j’ai commencé, celle des « Appels de l’Orient » ? La formulation de la Cour International en 1971 à propos du système des Mandats est exemplaire à cet égard, et je la cite telle qu’elle est reprise par le juge Fouad Ammoun, un juriste fortement anticolonial : 7 Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 "Du fait de cette évolution il n'y a guère de doute que la « mission sacrée de civilisation » avait pour objectif ultime l'autodétermination et l'indépendance des peuples en cause. Dans ce domaine comme dans les autres, le corpus juris gentium s'est beaucoup enrichi ..." Or, comme on l’a vu, ce discours d’ « enrichissement » fait partie de la tradition dont les « Appels de l’Orient » marque une de ses étapes les plus explicites. Le droit international, ainsi de plus en plus «enrichi » au cours d’un siècle, est devenu une sorte d’instance alchimique qui a la prétention de transmuer, pas exactement de vils métaux en nobles substances, mais plutôt des "flots" et des "sèves" primitifs en formes cohérentes et stables, ou, encore plus clairement, des populations supposément « indisciplinées » en des sujets politico-juridiques compatibles avec l’ordre international. De Lapradelle parlait, comme on l'a vu, de la purification des tunisiens et des marocains de leur « contingences religieuses » pour retrouver leur vrai essence. Mais ce n’était là qu’une manière de traduire la tâche inscrite au fameux Article 22 du Pacte de la SDN qui a prévu des Mandats pour des peuples, "non encore capables de se diriger eux-mêmes. » Mais toujours en 1945, on trouve Olivier Lapie – juriste, socialiste, résistant, et ex-gouverneur du Tchad – s’exprimer à propos de la mission coloniale en ces termes, je cite : « Comment pouvons-nous créer des hommes à partir de ceux qui ne sont pas encore des hommes puis d’en faire des citoyens … ? » On ne parle plus comme ça – au moins en public – mais l’essentiel est toujours là. Ce rôle alchimique du droit continue à être proclamé, et je parie que nous sommes quasiment tous susceptibles d’un tel culte juridique à l’occasion (et j'avoue que je le suis à plus d’une occasion). En 1999, Bernard Kouchner, tout au début de la MINUK, proclamait: « C'est un nouveau Kosovo qui commence ; on a changé la loi ! » Un an plus tard, il s’est lancé dans une campagne de publicité auprès de la population kosovare, en lui proposant une alliance semblable à celle que l’on a déjà recontré chez Embiricos et Redslob - quoique dans un langage un peu moins poétique que ces précurseurs. Selon Kouchner : 8 Nathaniel Berman – Sciences Po 3.25.10 Je leur offrais (aux Kosovars) un pacte qui fit un certain bruit dans les milieux diplomatiques, tant il paraissait hétérodoxe. Je le présentais comme un cadre d'entente entre le peuple du Kosovo et la MINUK (…) Je souhaitais que le peuple manifeste sa responsabilité (…) à accepter la démocratie en menant à leur terme les élections honnêtes et non violentes. En retour la MINUK et la communauté internationale les aideraient à avancer dans la direction de l'autonomie de gouvernement. Ainsi se retrouve-t-on en face d’un avatar de la tradition de cet internationalisme alchimique, déjà vieux d’un siècle. La foi dans cette alchimie internationaliste rassemble des fidèles de diverses tendances – allant des néo-colonialistes fiers de l’être tels les aventuriers américains en Iraq, jusqu’à des anticolonialistes de principe comme le juge Ammoun, en passant par des figures plus équivoques comme Kouchner. Et avec cette évocation de la foi, je conclus. Parlant du sacré, Julia Kristeva écrit que "les diverses modalités de purification de l'abject – les diverses catharsis – constituent l'histoire des religions". Je voudrais me réapproprier sa formule, l’appliquer au droit et dès lors affirmer que « Les diverses modalité de "former" des "flots" et des "sèves" élémentaires, de "subjectiver" ces peuples indisciplinées, de les purifier de leurs contingences par les divers « nouveaux régimes » juridiques – constitue l’histoire du droit international. » Mais où est-ce que je me situe, où situer l’analyste critique dans tout cela ? Je n’ai pas trouvé d’ « en-dehors » à cette histoire, pas plus que le psychanalyste ne prétend être à l’abri des secousses de l’inconscient. Mais, pour répondre à cette question, je cède la place à mes collègues de cette "journée d'études." Merci! 9