Revitalisation des favelas de Rio de Janeiro

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Revitalisation des favelas de Rio de Janeiro
Revitalisation des favelas de Rio de Janeiro
Kenan Handzic
À Rio de Janeiro, un grand nombre de favelas, ou colonies de squatters, sont depuis longtemps la scène
de conflits de faible intensité et de crimes violents liés directement au commerce organisé de la drogue,
aux inégalités socioéconomiques (exclusion) et à la faiblesse de l’État1. La majorité des délits violents et
des autres types d’activités criminelles ont lieu dans les favelas et dans les banlieues périphériques de Rio,
ce qui dénote une corrélation étroite entre, d’une part, les quartiers démunis, caractérisés par le manque
de services et d’infrastructures de base et, d’autre part, le niveau de la criminalité. L’immense vide créé par
l’absence de l’État est comblé par de puissants gangs qui se livrent au trafic de la drogue ou par des
milices privées tout aussi puissantes, ce qui fait des favelas un terreau fertile pour la violence et les
activités criminelles. Une cartographie de la criminalité à Rio montre que l’opulente zone sud a un taux
d’homicide de 12,6 par 100 000 habitants, comparativement à 56,8 et 41,6 dans deux secteurs de la zone
nord, où abondent les favelas et les banlieues pauvres2.
Programme Favela Bairro : améliorations infrastructurelles
Le programme Favela Bairro, axé sur l’assainissement des bidonvilles, avait pour but de rendre
accessibles aux transports publics ainsi qu’aux voitures de police et autres véhicules d’urgence des favelas
qui étaient jusque-là impénétrables, en élargissant et pavant les voies publiques. Les résidents des favelas
ont ainsi pu jouir d’une plus grande mobilité, car les chemins de leur quartier étaient désormais mieux
intégrés dans le réseau des rues de Rio3. Ces investissements infrastructurels ont aidé à hausser
sensiblement les revenus des citadins pauvres et à améliorer les services de base dans des domaines
comme la santé, l’éducation, le logement et les transports4. En outre, des postes de police permanents ont
été installés dans certains secteurs.
Favela Bairro s’est déroulé en deux phases, soit de 1994 à 1999 et de 2000 à 2004. La première
comportait la mise en place de divers éléments d’infrastructure qui ont permis de relever le niveau de vie
des habitants des favelas au moyen de projets spécifiques dans chacune d’entre elles. Au nombre des
objectifs précis visés par ces initiatives, on peut notamment citer l’atténuation des risques géologiques et
environnementaux comme les glissements de terrain et les inondations, la réduction des maladies
vectorielles et l’utilisation accrue des services publics5. À la fin de la première phase en 1999, le
programme avait été mis en marche dans plus de 90 favelas. Les améliorations réalisées comprenaient
l’alimentation en électricité, l’installation d’égouts, la canalisation de rivières, la plantation d’arbres et
l’aménagement paysager, ainsi que l’éclairage, l’élargissement et le pavage des voies publiques6.
L’aménagement de places publiques a constitué une grande amélioration pour la vie publique dans les
favelas, car la plupart des habitants passent beaucoup de temps à l’extérieur parce que les logements sont
trop exigus. Par exemple, la place publique à l’entrée de la favela de Vidigal offre un espace dynamique où
se rencontrent nuit et jour chauffeurs de mototaxi, policiers, habitants du quartier, adolescents, enfants et
une multitude d’autres acteurs. Cela rend la favela plus accessible aux étrangers, et chacun y est le
bienvenu même si le trafic de la drogue va son train dans les collines qui se dressent derrière le bidonville.
Amélioration des services
La deuxième phase du programme Favela Bairro s’est amorcée en 2000. On débordait alors le domaine
des améliorations purement structurelles pour attacher plus d’importance à la prestation de divers services
sociaux, y compris la construction d’installations récréatives et sportives, d’écoles et de centres
communautaires, ainsi qu’un programme d’attribution de titres fonciers7. Ces mesures ont accru la
présence de l’État par des moyens sociaux et ont permis aux habitants dans le besoin de réduire leur
dépendance envers les narcotrafiquants pour obtenir de l’aide. Tout au long des projets d’amélioration
menés dans le cadre du programme Favela Bairro, on a tenu des consultations avec les populations
locales afin de s’assurer que les améliorations envisagées répondraient à leurs besoins; certains
observateurs ont néanmoins critiqué l’insuffisance des services sociaux8.
À l’action du programme Favela Bairro s’est ajoutée la prestation de services de sécurité plus stables, ce
qui a également eu des effets bénéfiques. Dans la favela Rio das Pedras, par exemple, la présence de la
milice Comando Azul (Commandement bleu), composée de policiers hors service et d’anciens policiers, a
aidé à sécuriser et à dynamiser la population plus que ne l’auraient fait de simples aménagements
physiques9. Cela vaut également pour la mise en place du programme dans chacune des 40 favelas
contrôlées par des milices dans la zone ouest de Rio10, contrairement aux favelas des zones nord et sud,
qui sont essentiellement contrôlées par les narcotrafiquants.
Défis
Il importe de reconnaître que l’assainissement des bidonvilles pour neutraliser la criminalité et chasser les
trafiquants de drogue a ses limites. Malgré l’amélioration des voies d’accès, les voitures de police ont
encore de la difficulté à entrer dans de nombreuses favelas, car les trafiquants ou bien ouvrent le feu ou
bien bloquent les entrées. Dans certaines favelas, ils se sont tout simplement installés ailleurs et ont
commencé à opérer la nuit plutôt que le jour, comme on a pu le voir dans le documentaire Falcão : Os
meninos do trafico11. Dans les favelas où les projets sont bien implantés et où l’accent est résolument mis
sur des espaces publics sûrs (la favela Parque Royal, par exemple), les trafiquants ont déplacé leurs
opérations dans des endroits plus éloignés12.
Le caractère urbain des favelas est resté à peu près inchangé, même avec la revitalisation des bidonvilles,
car on n’a pas entrepris de démolitions massives. En raison des limites posées par les coûts et de la
répugnance à déplacer un grand nombre d’habitants, l’amélioration des quartiers pauvres suit
généralement la ligne de moindre résistance, c’est-à-dire le pavage des rues et la mise en place
d’infrastructures le long d’emprises bien établies.
Élargissement du programme
Le programme Favela Bairro a certes été fertile en résultats concrets, mais pour en maximiser l’impact il
faudrait que toute phase ultérieure s’inspire des leçons tirées du plan de renouveau urbain et de sécurité
réalisé à Medellín, en Colombie. Ce plan a entraîné une baisse exceptionnelle de plus de 90 % du taux
d’homicide entre le milieu des années 1990 et 200913. L’assainissement des bidonvilles dans les secteurs
les plus violents de Medellín a été un élément majeur d’une stratégie qui englobait aussi la réforme de
services publics (la police, par exemple), le développement du capital social et l’offre de diverses
possibilités socioéconomiques au bénéfice des pauvres. Contrairement à ce qui s’est fait à Rio, où on a
voulu couvrir la plus grande superficie possible dans les efforts de renouveau, Medellín a choisi de mener
plusieurs stratégies axées sur la sécurité afin de renforcer la résilience aux conflits. La leçon la plus
importante à retenir de l’expérience de Medellín, c’est que l’amélioration physique des espaces publics a
un impact visible sur la vie des habitants et aide à attirer les entrepreneurs et les visiteurs. Par exemple, la
ville, en collaboration avec des organisations locales et internationales, a investi dans un trajet en gondole
de deux kilomètres de longueur et construit des installations de première classe, y compris des
bibliothèques innovantes14. C’était là une tentative d’améliorer aussi bien le visage de la ville que le
caractère de sa population au moyen d’investissements massifs dans les espaces publics.
L’expérience de l’assainissement des bidonvilles de Rio et la situation actuelle de ses favelas montrent
clairement que l’État doit s’investir totalement dans les favelas et offrir à leurs résidents les mêmes
services économiques, policiers et sociaux que ceux auxquels s’attendent les habitants de la ville ellemême. La revitalisation des bidonvilles ne doit donc pas se limiter à des améliorations infrastructurelles
ponctuelles, comme cela s’est produit avec de nombreux projets réalisés dans le cadre du programme
Favela Bairro. Elle doit aussi s’inscrire dans un plan de sécurité plus vaste assorti de multiples stratégies.
Leonarda Musumeci, « Homicídios no Rio de Janeiro: tragédia em busca de políticas », Boletim Segurança e Cidadania, vol. 1,
no 2, 2002.
2 Musumeci, 2002
3 Ayse Pamuk et Paulo Fernando A. Cavallieri, « Alleviating urban poverty in a global city: new trends in upgrading Rio de
Janeiro's favelas », Habitat International, vol. 22, no 4, 1998.
4 Hamilton C. Tolosa, « Rio de Janeiro as a world city », Globalization and the World of Large Cities, publié sous la direction de
Fu-Chen Lo et Yue-Man Yeung, Tokyo, United Nations University Press, 1998, p. 224.
5 Fabio Soares et Yuri Soares, « The socio-economic impact of Favela-Bairro: what do the data say? », Bureau de l’évaluation et
de la supervision, Banque interaméricaine de développement, document de travail, 2005, p. 13.
6 Anne-Marie Broudehoux, « Image making, city marketing, and the aesthetization of social inequality in Rio de Janeiro »,
Consuming Tradition, Manufacturing Heritage: Global norms and urban forms in the age of tourism, publié sous la direction de
Nezar Alsayyad, Londres, Routledge, 2001, p. 280.
7 Soares et Soares, 2005.
8 Dimmi Amora, Paula Autran et Sérgio Ramalho, « Experiências que deram certo na Colômbia são abandonadas no Rio », O
Globo, 4 novembre 2007.
9 Vera Araujo, « Policiais cariocas montam milícias e expulsam tráfico de favelas », CMI Brasil: Centro de midia independente,
20 mars 2005, http://www.midiaindependente.org/pt/blue/2005/03/310699.shtml.
10 Araujo, 2005.
11 MV Bill, Falcão: Os meninos do trafico, Rio de Janeiro, O Globo, 2006.
12 Folha de São Paulo, « Projeto de urbanização de favelas do Rio não elimina narcotráfico », Folha de Sao Paulo: Folha Online,
22 mai 2000, http://www1.folha.uol.com.br/fol/geral/ult22052000007.htm.
13 Chris Kraul, « Medellín cleans up its act », Los Angeles Times, 26 mars 2009, http://articles.latimes.com/2009/mar/26/world/fgmedellin-comeback26.
14 Ruth de Aquino, « As lições da Colômbia para o Brasil: como um país com dilemas maiores que os nossos reduziu
drasticamente os índeces de criminalidade nas grandes cidades em pouco mais de uma década », Epoca, 29 février 2007.
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