TRIBUNALDE GRANDE INSTANCEDEPARIS ORDONNANCE DE

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TRIBUNALDE GRANDE INSTANCEDEPARIS ORDONNANCE DE
TRIBUNAL
D E GRANDE
INSTANCE
DE PARIS
ê
N° RG :
12/55986
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 21 août 2012
BF/N° :1
par Claude CIVALERO, Vice-Président au Tribunal de Grande
Assignation du 9 Août Instance de Paris, tenant l'audience publique des référés par délégation
du Président du Tribunal,
2012
1
Assisté de Sylvaine LE STRAT, Greffier.
DEMANDEUR
Monsieur Maurice DANTEC
CP 632 Succ.
Place du Parc, Montréal (QC), H2X 4A6
CANADA
représenté par Me Arnaud PELPEL, avocat au barreau de PARIS
- E1668
DEFENDERESSES
Société D'EDITION RING
22 avenue des Gobelins
75005 PARIS
représentée par Me Camille LENOBLE, avocat au barreau de
PARIS - #C2547
S.A. DE DIFFUSION INTERFORUM
3 allée de la Seine
Immeuble Paryseine
94200 IVRY SUR SEINE
représentée par Me Sophana NAM, avocat au barreau de PARIS
- W15
Copies exécutoires
délivrées le:
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DÉBATS
A l’audience du 17 Août 2012, tenue publiquement, présidée par
Claude CIVALERO, Vice-Président, assisté de Sylvaine LE
STRAT, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation en référé d’heure à heure que, sur autorisation
donnée le 10 août 2012, Maurice DANTEC a fait délivrer le même
jour à la société d’édition RING et à la société de diffusion
INTERFORMUM pour notre audience du 17 août 2012, aux fins
d’obtenir :
- qu’interdiction soit faite à la société RING d’éditer, publier et
promouvoir le livre Satellite Sisters, jusqu’à l’issue de l’action au
fond en nullité que Maurice DANTEC entend engager,
- qu’interdiction soit faite à la société INTERFORUM de diffuser
le livre Satellite Sisters, également jusqu’à l’issue de l’action au
fond,
- que la société RING soit condamnée au paiement de 6 000 Ä au
titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux
entiers dépens ;
Vu les conclusions que la société RING a fait déposer et les
observations de son avocat tendant au débouté et à la
condamnation de Maurice DANTEC au paiement de 3 000 Ä sur
le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Vu enfin les observations orales du conseil de la société
INTERFORMUM qui tendent également au débouté de Maurice
DANTEC et à sa condamnation au paiement de 2 000 Ä au titre des
dispositions de l’article 700 précité ;
Attendu que Maurice DANTEC, qui se présente comme l’auteur
d’ouvrages à succès, « à cheval entre l’univers du polar et celui de
la science-fiction », a publié son premier livre, «La sirène rouge»,
chez Gallimard, en 1993, maison d’édition qu’il quittera en 2004,
après la publication de cinq autres livres, dont «Les Racines du
mal» et «Babylon Babies», pour la maison d’édition Albin Michel
chez laquelle il a publié six livres, le dernier étant «Métacortex» ;
qu’il a signé le 2 août 2011 avec les éditions Ring, dont le créateur
et représentant légal est David SERRA, dit David KERSAN, son
agent littéraire depuis 2004, un contrat intitulé «contrat de
commande d’ouvrage» aux termes duquel il s’est engagé à
remettre à cette toute nouvelle maison d’édition, moyennant
notamment le versement de droits d’auteur fixés à 16% pour les
exemplaires ordinaires, le manuscrit de huit nouveaux livres entre
avril 2012 et avril 2017, le premier - un roman - devant avoir pour
titre «Satellite Sisters» ; qu’il a signé avec la même maison
d’édition, également le 2 août 2011, un contrat de cession des
droits d’adaptation audiovisuelle de ces huit oeuvres futures ;
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Attendu que le roman «Satellite Sisters», dont un exemplaire a été
versé aux débats, doit être mis en vente le 23 août 2012, après
avoir été distribué aux différents points de vente par la société
INTERFORMUM avec qui l’éditeur, la société RING, a contracté ;
Attendu qu’au visa de l’article 809 du code de procédure civile
disposant que «le président peut toujours, même en présence d’une
contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures
conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour
prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble
manifestement illicite», Maurice DANTEC nous demande
d’interdire l’édition, la publication, la promotion et la diffusion du
livre, au motif que les contrats du 2 août 2012 seraient entachés de
nullité pour vice du consentement, en ce qu’il les auraient signé
dans un état d’« affaiblissement majeur de ses capacités de
jugement » faisant suite aux différentes interventions chirurgicales
dont il a fait l’objet au cours de l’année 2011 et à la prise d’« une
quantité très importante de médicaments psychotropes et de
médicaments morphiniques », ainsi que sous l’emprise psychique
de son agent littéraire, David SERRA, dit David KERSAN, par
ailleurs président de la société d’édition RING, qui se serait livré
« à une véritable campagne de harcèlement quotidien par mail et
téléphone » pour l’inciter à signer les contrats et aurait ensuite
exercé « une très forte pression » pendant le cours de l’écriture «
pour contrôler le style de l’ouvrage et les structures narratives,
dépassant largement les prérogatives de l’éditeur » ;
Attendu que pour justifier du bien fondé de son allégation d’un
vice du consentement, Maurice DANTEC produit, par
l’intermédiaire de son avocat qui le représente à l’instance, un
volumineux dossier médical et des courriels échangés avec David
KERSAN, son agent littéraire, ainsi qu’une plainte contre ce
dernier et les éditions RING « pour abus frauduleux de l’état de
faiblesse », qu’il a déposée le 6 août 2012 auprès du procureur de
la République ; qu’en outre, mais sans en justifier, son avocat a
indiqué lors des débats qu’il avait saisi le tribunal d’une
assignation tendant à l’annulation des contrats ;
**
Attendu qu’en défense la société des éditions RING relève à juste
titre qu’alors que la publication du livre est annoncée depuis
plusieurs mois, le demandeur a attendu le dernier moment pour
déposer une plainte auprès du procureur de la République et nous
saisir, créant ainsi artificiellement, par cette tardiveté à agir, la
condition d’urgence et le risque « d’un dommage imminent »
susceptible de justifier une décision en référé ; qu’il doit être
souligné également qu’en faisant le choix de ne pas saisir le juge
du fond selon la procédure à jour fixe, qui permet d’obtenir un
jugement dans des délais relativement brefs, et par ailleurs de
déposer une plainte au pénal, le demandeur a manifesté son peu
d’empressement à obtenir une décision statuant sur la validité par
lui contestée des contrats, alors même qu’il demande que
l’interdiction d’éditer, publier, promouvoir et diffuser l’ouvrage ait
effet « jusqu’à l’issue de l’action au fond » ;
Attendu que, outre le fait que le contrat à l’origine de la parution
imminente du livre a été dûment paraphé et signé par Maurice
DANTEC, ce dernier a confirmé à plusieurs reprises et jusqu’à une
date très récente son désir que «Satellite Sisters» soit publié par les
éditions RING, ainsi que cela ressort, notamment:
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- d’un courriel qu’il a adressé le 8 août 2011, soit quelques jours
après la signature du contrat, à David KERSAN, écrivant :
«Reboosté à mort je reprend l’écriture dans moins d’une heure
(...). Je mets en place la “partie d’échecs” orbitale et le retour des
personnages des anciens bouquins. Pour économiser temps,
énergie et pognon, je te propose de laisser momentanément la
plate forme TransFixion, je crois que tu devrais concentrer toutes
tes batteries sur Ring éditions. Ma plate-forme est bien moins
stratégique.» ;
- d’un courriel du 23 février 2012 destiné à une prénommée Julie
et dont il a adressé une copie à David KERSAN, y indiquant : «En
septembre, la suite de Babylon Babies sera publié chez RING
éditions, Ring.fr. Cette maison d’édition se positionne d’emblée
comme une plate-forme de lancement promo-commerciale pour la
vente de livres (papier) par internet, tout en ayant un accord de
distribution conventionnel avec un grand diffuseur en librairies et
la complicité active de Virgin International (...)» ;
- d’un courriel du 2 mars 2012 destiné à un prénommé Hervé et
dont il a également adressé une copie à David KERSAN, y
expliquant ses projets avec les éditions RING et la parution début
septembre de «Satellite Sisters», avec «le retour des personnages
de Babylon Babies 15 ans plus tard» ;
- d’une longue attestation du 16 janvier 2012 qu’il a rédigée en
faveur de David KERSAN dans un litige opposant le site internet
www.surlering.com à un autre site ;
- de sa participation le 5 mai 2012 à une soirée organisée dans les
nouveaux locaux des éditions RING, avec la présence de critiques
littéraires ;
- d’un entretien filmé qu’il a accordé le 7 mai 2012 à l’hôtel
Lutecia de Paris et le 9 mai 2012 dans les locaux des éditions
RING, en vue de la présentation de son livre (pièces n°17-1 et 172) ;
- de sa participation à la bande-annonce du livre, dont les prises de
vue ont eu lieu du 10 au 12 mai 2012 au Cap Ferrat, qui prévoit «
des signatures » dans plusieurs grandes librairies françaises au
cours du mois de septembre 2012 (pièce n°17-3) ;
- des entretiens qu’il a accordés en mai et début juin 2012 à des
journaux d’actualité littéraire ;
- de ses courriels des 29 et 30 mai 2012 dans lesquels il exprime
son avis sur le graphisme de la page de couverture (pièces 32 et
33) ;
Attendu certes qu’à compter d’un courriel du 8 juin 2012 - pour
des motifs non clairement explicités mais révélateurs de forts
ressentiments exprimés par Maurice DANTEC -, les relations entre
l’auteur et David KERSAN, jusqu’alors très confiantes et
amicales, se sont transformées en simples relations d’affaires
(pièce n°13) ;
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Attendu qu’il n’en demeure pas moins que, confirmant encore, si
besoin était, son intention de donner suite au projet de publication,
Maurice DANTEC a délivré le bon à tirer de l’ouvrage le 21 juin
2012 (après l’avoir subordonné à diverses corrections) puis, dans
un courriel du 1er juillet 2012 (pièce n°35) , tout en évoquant «une
crise psychologique», a annoncé à son éditeur qu’il était en mesure
d’honorer ses engagements concernant sa venue à Paris pour la
promotion du livre et sa «motivation pleine et entière pour
rencontrer libraires et lecteurs» ;
Attendu que les éléments médicaux qui concernent essentiellement
- quoique non exclusivement - l’année 2011 ne permettent pas,
avec l’évidence nécessaire en référé, d’estimer que Maurice
DANTEC n’avait pas toutes ses capacités de jugement lorsqu’il a
signé le contrat puis délivré le bon à tirer ; qu’il n’est pas explicité
en quoi ce contrat, qui par ailleurs prévoit un pourcentage de droits
d’auteur supérieur à ceux que Maurice DANTEC avait perçus
jusque là d’autres éditeurs, porterait atteinte « aux droits de
l’auteur de disposer librement de son oeuvre » ;
Attendu que faire droit à la demande d’interdiction de parution du
livre jusqu’à une date à ce jour indéterminée, causerait un
préjudice moral et financier considérable à l’éditeur, dès lors que
ce dernier a engagé d’importants frais d’édition et de distribution,
et que la publication du livre a été annoncée dans de nombreux
journaux professionnels ; qu’il n’y sera pas fait droit ;
Attendu que, succombant en son action, Maurice DANTEC doit
être condamné aux entiers dépens, ainsi qu’à verser la somme de
1 500 Ä à l’éditeur et de 1 000 Ä au diffuseur, en remboursement
d’une partie des frais non compris dans les dépens que les deux
sociétés ont dû exposer pour se défendre ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, en référé, par décision contradictoire, mise
à disposition au greffe et en premier ressort,
Rejetons les demandes de Maurice DANTEC ;
Le condamnons aux dépens et à verser mille cinq cents euros
(1500 Ä) à la société d’édition RING et mille euros (1000 Ä) à la
société de diffusion INTERFORUM au titre de l’article 700 du
code de procédure civile.
Fait à Paris le 21 août 2012
Le Greffier,
Le Président,
Sylvaine LE STRAT
Claude CIVALERO
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