L`art des objectifs
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L`art des objectifs
L’art des objectifs Antoine Henry de Frahan L e concept d’ « objectif » est au cœur de la pratique du coaching. La maîtrise de cet outil est une compétence essentielle du coach. Quelles sont les règles de l’art en la matière ?* Quel est l’objectif ? La meilleure manière de découvrir ou de fixer des objectifs, c’est tout simplement de se poser la question : quel est mon objectif ? (ou ceux de mon interlocuteur, ou de l’entreprise). La question est moins évidente qu’il n’y paraît : demandez à chacun des membres du comité de direction d’une entreprise d’écrire les trois objectifs prioritaires de leur société. Des enquêtes montrent que les réponses seront rarement concordantes. Bien sûr, beaucoup d’entreprises définissent des objectifs annuels à leurs collaborateurs. Mais la question de l’objectif mérite d’être posée plus qu’une fois par an. Elle peut devenir une pratique quotidienne et s’appliquer aux mille et une situations de la vie de l’entreprise : quel est l’objectif de cette réunion ? Quel est mon objectif dans cette négociation avec mon associé ? Quel est l’objectif que je poursuis en achetant un nouveau logiciel ? C’est en forgeant que l’on devient forgeron, et c’est en se demandant « quel est mon objectif ? », et en formulant la réponse à cette question, que l’on devient maître dans l’art des objectifs. Poser souvent question « quel est l’objectif » peut transformer radicalement la culture de l’entreprise. (*) L’article qui suit a été publié dans L’Echo du 20 février 2002. L’art des objectifs 2 Le réflexe du pilote Dans les stages de pilotage automobile, les conducteurs apprennent que pour éviter un obstacle soudain, il faut concentrer son regard non pas sur l’obstacle, mais sur le passage libre qui permet de le contourner. Si le pilote garde les yeux fixés sur l’obstacle, il fonce dedans. De la même façon, un objectif sera plus efficace s’il est formulé positivement, comme un résultat désiré plutôt que comme un problème à éviter ou à régler. Augmenter la rentabilité plutôt que réduire les coûts ; développer une relation conviviale avec son associé plutôt que ne plus me disputer avec mon associé ; consolider la santé financière de l’entreprise plutôt qu’éviter la faillite. Un objectif formulé positivement est plus efficace. Il donne une direction claire au mouvement. Il galvanise et concentre les énergies vers un but désirable. L’art des objectifs se distingue en cela du problem solving où l’on dissèque le problème pour en comprendre les causes et tenter de le faire disparaître. Dans l’orientation « objectifs », l’attention se porte non pas tant sur le problème que sur ce qu’on veut à la place. Empowerment Un bon objectif est un objectif dont la réalisation est en notre pouvoir. Face à une conjoncture économique difficile, il serait vain d’avoir comme objectif la reprise de la croissance. La bonne question est donc : « Par rapport à cette situation que je ne contrôle pas (le marché, mes concurrents, l’évolution technologique, etc.), qu’est-ce qui est en mon pouvoir ? ». A moins d’être sorcier, il n’est pas en mon pouvoir d’arrêter la pluie, mais il est en mon pouvoir d’acquérir un parapluie. Dans cette situation, acquérir un parapluie sera donc un bon objectif. En réalité, il n’existe guère de situation face à laquelle nous ne disposons d’aucune marge de manœuvre. Même confronté à une catastrophe, un objectif sous notre contrôle peut être de conserver notre sang froid et notre capacité de discernement. L’art des objectifs passe donc par la ré-appropriation de notre pouvoir : la prise de conscience, dans une situation concrète, que nous disposons toujours d’une marge de manœuvre. Cette ré-appropriation n’est pas seulement le résultat d’une analyse objective (bilan de compétences ou autres) : c’est aussi le fruit d’une attitude intérieure (empowerment). Ne dit-on pas « qui veut peut », et ne parle-t-on pas de la foi qui soulève les montagnes ? L’art des objectifs 3 Des vacances cette année ? Si l’un de vos objectifs pour 2002 est de prendre des vacances, vous risquez fort de ne jamais partir. Par contre, si votre objectif est de faire un safari au Kenya du 1 au 15 juillet, vous avez déjà un pied dans l’avion. Formuler un objectif de manière concrète (quoi ? qui ? quand ? où ? combien ?) est un pas important vers sa réalisation. Un objectif concret est un objectif mesurable. « Accroître la prospection commerciale » ne signifie pas grand-chose. « Obtenir 10 rendez-vous par semaine chez des clients potentiels » est un objectif concret, et donc mesurable. La plupart du temps, un objectif mesurable est un objectif chiffré. La technique est simple, il suffit de remplacer des mots (« accroissement substantiel », programme intensif » «mission urgente ») par des nombres (« augmentation de 25%» « programme de 8 heures par jour pendant 5 jours », « mission à accomplir dans les 48 heures ». L’avantage d’un objectif chiffré est qu’il simplifie fortement la question de savoir s’il est atteint ou non. Si mon objectif est d’arriver plus tôt le matin, s’agit-il d’arriver un quart d’heure ou une heure plus tôt ? Un objectif chiffré réduit la marge de malentendu. Mettez un tigre dans vos objectifs Comment vous sentez-vous quand vous pensez à vos objectifs ? Vos objectifs vous donnent-ils envie de vous lever le matin ? Si l’on reconnaît le manager compétent à sa capacité de formuler des objectifs concrets et mesurables, le leader lui a le talent de rendre en plus l’objectif sexy, motivant, dynamisant. L’objectif du manager est un ratio. L’objectif du leader est un étendard, un coup de clairon, une vision. Le pouvoir d’imaginer et de partager de telles images mentales caractérise le leader visionnaire. Une image qui touche l’émotion, met en mouvement, galvanise les énergies. C’est le tigre dans le moteur. Le prix à payer Réaliser un objectif peut nécessiter un investissement financier ou humain important. Quel est exactement le prix à payer pour réaliser l’objectif ? L’objectif justifie-t-il ce prix ? Une entreprise avait développé un logiciel spécialisé dans le secteur médical et l’avait commercialisé avec succès sur le marché belge. Elle L’art des objectifs 4 décida ensuite de s’implanter sur le marché français. Objectif en tout point conforme aux critères d’un « bon objectif », sauf que le coût en avait été sousestimé. Les frais de développement étaient tels que l’entreprise fut rapidement en prise à de sérieuses difficultés financières. La question du prix de l’objectif n’avait pas été correctement posée. Bénéfices secondaires Parfois, atteindre notre objectif nous ferait perdre des avantages plus ou moins conscients dont nous bénéficions en restant dans le problème : il s’agit des bénéfices secondaires, frein parfois redoutable au changement. L’exemple du malade est classique : une personne malade peut avoir comme objectif d’être en bonne santé, mais si son état lui procure une attention affectueuse et bienveillante, elle préfèrera, peut-être même inconsciemment, rester au lit. La stratégie la plus efficace consiste à identifier le bénéfice secondaire, et à l’inclure dans l’objectif : si l’on convainc notre malade qu’une fois guéri, il recevra encore plus d’affection bienveillante, il sera sur pied dès le lendemain. La gestion du bénéfice secondaire est particulièrement pertinente dans l’entreprise lorsque les collaborateurs résistent activement ou passivement (démotivation, « oubli », sabotage) à la réalisation des objectifs. Si les bénéfices secondaires sont ignorés, ils peuvent entraver fortement les processus de changement mis en œuvre dans l’entreprise. A titre personnel également, il est parfois éclairant de s’interroger sur les bénéfices secondaires d’une situation problématique dont on a l’objectif de sortir. Ecologie de l’objectif Un bon objectif est respectueux vis-à-vis des personnes concernées et du système dans lequel il s’inscrit (l’entreprise, le marché, la communauté, l’environnement). Au-delà d’éventuelles préoccupations éthiques, ce critère relève du simple bon sens. Si mes objectifs sont autodestructeurs, je ne serai plus là pour profiter de leur réalisation. Si mes objectifs sont nuisibles aux autres personnes concernées, je risque que tôt ou tard elles se rebellent et m’en fassent payer le prix. L’art des objectifs 5 Objectif, identité, mission L’objectif que se fixe l’entreprise est-il cohérent avec l’identité de celle-ci ? La réalisation de cet objectif va-t-il contribuer à renforcer cette identité ou va-t-il au contraire la diluer ? Au cours d’un atelier de créativité, une équipe d’entreprise avait produit un grand nombre d’idées de nouveaux projets. Comment parmi tous ces projets possibles choisir ceux que l’entreprise allait garder et se fixer comme objectifs ? Parmi d’autres critères, la cohérence du projet par rapport à l’identité de l’entreprise fut déterminante pour effectuer la sélection. Cela présuppose bien entendu que l’identité de l’entreprise ait été définie. De la même manière, la réalisation d’un objectif va-t-il dans le sens de la réalisation de la mission de l’entreprise ? Dans ce cas également, répondre à la question nécessite d’avoir préalablement défini la mission de l’entreprise. Méta-objectifs Une fois que l’on a formulé son objectif, qu’on s’est assuré qu’il est formulé positivement, que sa réalisation est en notre pouvoir, qu’il est concret et mesurable, sexy, et écologique, qu’il prend en compte les bénéfices secondaires éventuels de la situation présente, que le prix à payer en vaut la peine, qu’il est cohérent avec l’identité et la mission de l’entreprise, reste encore à se poser la question maîtresse de l’art des objectifs : quel est l’objectif de mon objectif ? Posez-vous la question, vous verrez, les résultats sont surprenants. La métaphore de l’âne Recourir aux objectifs est une attitude orientée sur le futur : il s’agit de définir un point dans l’avenir qui va aimanter l’attention, les ressources et les efforts. Si la gestion par objectifs, orientée sur le futur, est un outil capital à la disposition du dirigeant, celui-ci a néanmoins intérêt à développer parallèlement sa capacité à percevoir le présent. Si toute l’attention est focalisée sur un point du futur, il n’en reste plus pour scruter le présent et y dénicher les opportunités. La question orientée futur « quel est l’objectif ? » est déterminante, mais la question « quelle sont les opportunités qu’offre la situation présente ? » est tout aussi intéressante. L’art des objectifs 6 Sinon le dirigeant risque de ressembler à cet âne affamé qui s’était fixé comme objectif d’aller manger une botte de foin : il escalade avec entêtement l’interminable sentier escarpé qui mène à son étable, sans s’apercevoir que le chemin est bordé d’herbe verte, fraîche et abondante.