L`accompagnement du projet personnel et professionnel à l`Université
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L`accompagnement du projet personnel et professionnel à l`Université
L’accompagnement du projet personnel et professionnel à l’Université Dominique GILLES, Université Claude Bernard Lyon, France Les étudiants de premier cycle des Universités françaises sont confrontés à de multiples difficultés : la surpopulation, l'absence fréquente de motivations ou d'objectifs clairement identifiés, l'anonymat, l'isolement, la peur de l'échec, l'inadéquation de leurs méthodes de travail. Pris dans une dialectique liberté-contrainte qui les fragilise, ils sont rarement en mesure de dépasser leurs représentations, souvent négatives, de l'Université. Les premiers cycles universitaires scientifiques, littéraires, économiques, juridiques ou de sciences humaines des Universités n'ont pas l'infrastructure matérielle, organisationnelle et pédagogique nécessaire pour encadrer ces étudiants qui ne sont souvent, paradoxalement, ni les plus motivés, ni les mieux préparés à entreprendre ce type d'études. Cette situation entraîne un malaise considérable se manifestant par un taux d'échec élevé, vécu difficilement par les étudiants (et les enseignants). Depuis 1984, les réformes successives ont donné l’occasion aux équipes pédagogiques en charge des premiers cycles d'amorcer une réaction face à ces difficultés, souvent avec le soutien des Services d’Orientation Universitaires, véritables observatoires des parcours d'études et d’insertion professionnelle. La mise en place de l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur, dite réforme du LMD (Licence, Master, Doctorat), invite à passer d’une situation traditionnelle de formation à des situations de parcours ; ce sont les étudiants qui vont, à un rythme semestriel, construire leur cursus, en capitalisant des crédits de formation, et à travers des stages professionnels, des échanges internationaux… : l’étudiant est incité à devenir acteur de sa formation, auteur de son projet. Autant d’évolutions, évidemment souhaitables, mais qui posent problème car les étudiants ne sont pas égaux dans la perspective de responsabilisation requise. L’expérience acquise dans les universités françaises à travers les modules "Projet personnel et professionnel" Depuis 1984 fonctionne à l’Université Claude Bernard de Lyon un module obligatoire en première année des études scientifiques, appelé module « Projet Professionnel ». Il a été adopté depuis 1994 par d’autres universités et progressivement par un tiers d’entre elles. Ce module connaît des prolongements, horizontaux quand ils prennent place dans la même année d’enseignement, verticaux quand il s’agit d’années ultérieures. A l’origine, le constat que bon nombre de jeunes diplômés en recherche d'emploi étaient réellement déconcertés par la nécessité d'élaborer un bilan personnel en situation d'urgence : cette démarche de préparation à l'insertion met en évidence chez certains diplômés une absence de projet, leur cursus s’étant déroulé au hasard des succès et des échecs, des opportunités et des obstacles sans réflexion particulière. L’évidence au début des années 80 s’est vite imposée d’amener les étudiants beaucoup plus tôt dans les cursus à élaborer progressivement un projet personnel et professionnel. L'objectif étant de leur permettre de prendre les décisions indispensables tout au long de leur cheminement universitaire pour les amener à une insertion professionnelle réfléchie. Deuxième constat concernant les bacheliers entrant à l’Université : s’ils sont en mesure de justifier leur choix de filière de façon apparemment rationnelle : "j'aime la biologie, je désirerais l'enseigner" ; "je voudrais travailler dans l'environnement" ; "je veux être ingénieur" etc., on constate dans une très grande majorité des cas, y compris pour les élèves de sections sélectives, que ce "projet" masque un flou important, sinon une représentation erronée, ou tronquée de la fonction envisagée. On peut vérifier également qu'aucune tentative (dans le cas le plus courant) n'a été faite pour affiner ou tester ce choix. Pourtant ces jeunes n'ont pas manqué d'information, si on se réfère à la multiplication impressionnante des sources d'information sur les études et les métiers, les innombrables publications, salons, opérations carrières, officines spécialisées, etc. On constate donc que l'information, bien que nécessaire, n'est pas suffisante pour élaborer de façon dynamique un projet et aller au-delà de l'expression d'un voeu, d'un choix. D’autre part la recherche d'adéquation par l’institution entre les capacités d'un élève et les prérequis de telle ou telle filière sélective, laisse le plus souvent l'individu en dehors de la décision, et n'aura que peu d'effet sur sa motivation. Par ailleurs jeunes bacheliers et jeunes diplômés disent ne pas connaître les débouchés et les réalités professionnelles. Comme dans un certain nombre d’universités les consultants du service d’orientation de l’Université Claude Bernard dès 1981 ont proposé aux étudiants de première et deuxième année d’études scientifiques des sessions, alternant un travail sur la connaissance de soi et sur la connaissance de l'environnement socio-économique : qualitativement, ces actions étaient très satisfaisantes et permettaient entre autres choses aux étudiants de retrouver une réelle motivation pour leurs études, mais elles ne concernaient qu'une trentaine d'étudiants chaque année, sur les 2500 inscrits en premier cycle. Il faut noter, pour comprendre le développement ultérieur de ce travail, la découverte faite par les consultants : pour être intégrée dans la formation, cette option devait être validée donc notée, or c’était une démarche nouvelle pour ce genre d’approche ; en discutant avec les enseignants-chercheurs qui animaient d’autres options du type « sciences et sociétés » fut mis en évidence le total parallélisme entre la démarche du chercheur et sa concrétisation sous forme de publication scientifique, et la démarche qu’accompagnaient chez l’étudiant les consultants du service d’orientation. En clair exploration, expérience, analyse et discussion des résultats, jusqu’à la rédaction d’un dossier et l’exposé oral, on retrouvait toutes ces étapes dans les deux démarches ; ainsi l’idée simple qui apparut à la suite de ce travail est que le processus d’orientation est un processus de recherche ! Enoncé ainsi, l’accompagnement des étudiants dans l’élaboration de leur projet ouvrait des perspectives nouvelles dans l’Université. C’est ainsi que l’on fut en mesure d'imaginer un dispositif moins lourd en temps au moment où, en 1984, la réforme SAVARY « recommandait de permettre à l'étudiant de réunir les éléments d'un choix professionnel » : le service d'orientation de l'Université Claude Bernard put étendre cette action aux 1400 étudiants de première année en constituant une équipe d'enseignants-chercheurs chargés d’encadrer eux-mêmes, chacun un groupe de trente étudiants, grâce à leurs compétences méthodologiques de chercheur. Entre 1984 et 2004 près de 30.000 étudiants de Lyon 1 ont réalisé cette démarche avec la collaboration de plus de 150 enseignants-chercheurs de toutes disciplines, dans le cadre d'heures spécifiquement allouées à ce travail d’accompagnement du projet. Le rôle de l'enseignant est purement d'ordre méthodologique : rappeler les objectifs, soutenir la recherche bibliographique, encourager le questionnement pour les contacts directs, préciser les contraintes à respecter pour la présentation des résultats. Les Universitaires, entraînés à la rigueur méthodologique et chargés de former leurs étudiants à cette démarche ont toute compétence pour intervenir dans un tel contexte. Pour que l'investissement de chaque enseignant puisse rester limité, ils doivent pouvoir s'appuyer sur un coordonnateur, personne-ressource pour l'équipe enseignante, qu'on appelle aussi le pilote. Il faut souligner l'intérêt pour un enseignant d'intervenir hors de son champ disciplinaire: dans l'élaboration du projet personnel, l'enseignant livre sa méthode, l'étudiant livre ses découvertes dans le champ des métiers et du questionnement face aux choix. Ainsi l'enseignant découvre souvent la complexité de l'orientation et la richesse du monde professionnel à travers des témoignages vivants d'adultes interviewés par leurs étudiants dans des secteurs parfois ignorés d'eux. Une formule apparemment très simple mais dont la méthodologie permet d'activer un processus de maturation chez l'étudiant, relativement complexe. Ce sont les principes de l'approche éducative et expérientielle en orientation qui sont mis en œuvre dans ce dispositif de première ligne. Il ne s’agit plus uniquement de permettre à de jeunes étudiants de piloter leur formation afin qu’ils n’éprouvent plus ces étonnements (« mais comment en suis-je arrivé là ? »), voire ces regrets, que nous observions régulièrement chez ceux qui participaient aux stages « Techniques de recherche d’emploi » à la fin de leurs études. En amenant les étudiants à explorer des pistes nouvelles et en les incitant à s’intéresser à leur insertion professionnelle dès le début de leurs études, le module les rapproche de l’environnement professionnel et, en retour, progressivement conduit les professionnels à porter un autre regard sur les « produits » de l’université. On constate que ces étudiants : - apprennent à travailler par petites équipes et par ce biais élargissent leur réseau de relations estudiantines (ces groupes étant inter filières), - font l'expérience du contact direct auprès des entreprises (qui leur sera utile très vite pour une recherche de stage ou d'emploi), - "ouvrent les yeux" sur l'Entreprise (au sens large), - découvrent à travers le discours des professionnels les pré-requis transversaux inhérents aux emplois du monde économique actuel (ce qui fortifie leur motivation pour l'étude des langues, de l'informatique et des sciences humaines, en complément de leurs acquis scientifiques), - font l'apprentissage de l'écrit sous la forme très opérationnelle utilisée en général dans la vie professionnelle : constat / propositions. On est tenté alors de mettre en parallèle les capacités développées par ces jeunes étudiants à l'occasion de cet enseignement dit "Projet Professionnel" et le profil idéal des candidats aux postes de cadres tracé par les responsables de recrutement : une tête bien pleine certes, mais aussi (et surtout ?) une capacité à s'intégrer dans une équipe, une "aptitude au travail", de l'adaptabilité, une capacité à se projeter dans l'avenir, des preuves d'opérationnalité. Ce travail de construction fait en amont sera déterminant pour une bonne insertion du jeune diplômé. Ce dispositif essaie d'accélérer des prises de conscience en prenant chaque individu au niveau de maturation qui est le sien, mais en aucun cas il ne force un individu à franchir des étapes pour lesquelles il n'est pas prêt. L'objectif n'est pas un nivellement des prises de conscience, chacun est maître de son développement : ainsi certains étudiants (très peu) ne verront dans ce travail qu'un exercice d'enquête somme toute banal qu'ils exécuteront (ou bâcleront) passivement ; d'autres découvriront a posteriori l'intérêt personnel de la démarche proposée, et même s'ils ne se sont pas impliqués au cours de la séquence, ils seront capables de l'appliquer ultérieurement. C'est donc bien une éducation à la prise de décision qui est ici amorcée : ces jeunes adultes vivent en trois mois le cheminement inhérent à toute prise de décision, avec des étapes clairement repérées et une méthodologie rigoureuse ; le "tuteur" propose des situations qui vont mettre l'étudiant dans l'obligation constante de prendre des microdécisions : choix de thème, choix de sous-groupe, choix de tâches dans la répartition, choix des interviewés, choix des questions, choix des résultats importants pour l'analyse ou pour les communiquer à ses pairs... L'étudiant est confronté aux réalités par ses contacts directs dans l'entreprise : c'est une implication en grandeur réelle avec toutes les émotions liées à l'expérientiel. Ce travail n'est possible bien sûr avec cet encadrement minimum (cinq séances de deux heures) que parce que l'on s'adresse à des jeunes adultes engagés dans des études supérieures, qui sont pour la plupart à même de suivre les consignes données par leur "tuteur". La méthodologie proposée est d'autant plus facile à mettre en oeuvre que l'on utilise chez les "tuteurs" universitaires les compétences du chercheur rôdé au travail expérimental, à l'analyse de résultats et à la publication ou communication de ces résultats et ce en respectant des normes internationales. L'enseignant, expert en méthodologie, ne sera pas tenté d'intervenir sur la production de ses étudiants : thème, représentations, valeurs personnelles. Par contre il apprendra souvent beaucoup sur les réalités professionnelles mais aussi sur les inquiétudes, interrogations, motivations de ses étudiants, qui redeviennent ainsi des individus sortis de la masse indifférenciée que constituent souvent les promotions de plus en plus nombreuses d'étudiants. Par ailleurs le fait de recueillir les thèmes choisis par des milliers d'étudiants permet une approche sociologique très instructive sur l'évolution des tendances motivationnelles par classe d'âge et l'influence des médias, campagnes de promotion etc., auxquels les jeunes croient échapper. Si l'on peut traiter ces données, il est utile de les restituer dans leur ensemble aux étudiants en les commentant. L'objectif pour les équipes pédagogiques qui ont le souci de la réussite de leurs étudiants est bien de mettre en oeuvre une dynamique, de leur donner une méthode pour analyser des données et de mettre l'étudiant dans la position d'un décideur quant à son orientation : pour cela, il a besoin de multiplier ses expériences (simples prises de contact, stages ou mises à l'essai). Cette démarche ne peut être l'objet d'une session de trois ou quinze jours, ni même d'un semestre ; c'est progressivement que les expériences accumulées seront intégrées et deviendront des arguments de choix. L'inscription en université après les années lycée représente elle-même une expérience initiatique qui accélère les prises de conscience ; il s'agit de profiter de cette situation déclenchante pour proposer à ces étudiants une réflexion guidée mais cette démarche, tout juste amorcée, doit être entretenue tout au long du cursus par des groupes de travail centrés alternativement sur l'étudiant et sur l'environnement socio-économique. Le transfert du module Projet Professionnel de l’Université Claude Bernard à d'autres Universités a fait l'objet de deux rapports d'évaluation menée par des équipes universitaires de Rennes et Paris X Nanterre ; les conclusions très positives de ces rapports ont sans aucun doute accéléré l'extension de ces actions. Cette diffusion a elle-même légitimé le module dans son Université d'origine et facilité d'autres innovations : par exemple le prolongement de cette démarche pour les étudiants de deuxième année à travers un module obligatoire pour 1200 étudiants avec la participation de 150 enseignants et professionnels. Il s’agit de demander à chaque étudiant en dix minutes maximum de communiquer son projet personnel à un jury de trois personnes dont au moins un professionnel et au moins un universitaire. Le jeune doit s’appuyer sur un support visuel, s’obligeant, par là même, à présenter une synthèse de son projet. La nécessaire explicitation impose donc de réfléchir à son futur, de donner les raisons de son choix et de recueillir l’opinion du jury sur sa présentation. La considération ressentie au travers de l’attention qui leur est accordée est perçue comme très valorisante par les étudiants qui ne regrettent pas les efforts que cet exposé leur demande. L’objectif est de réactiver, chez chaque étudiant la démarche d’élaboration de son projet personnel et professionnel, et lui faire vivre la situation de l’entretien de motivation. Ce module de deuxième année mise sur le fait qu’il n’est plus besoin d’accompagner la démarche d’exploration de l’étudiant, qui est en mesure de réactiver de lui-même cette démarche mise en œuvre en première année. On constate, par ailleurs, un effet d’entraînement des étudiants bénéficiant d’une validation d’acquis ou venant d’une autre université, qui n’ont pas acquis cette démarche, mais vont suivre leurs pairs. La situation d’entretien de motivation oblige l’étudiant au « récit » à la première personne : il doit présenter de façon cohérente les éléments de son itinéraire passés et à venir, étape nécessaire à la structuration de l’individu. Ecouté par trois adultes (dont ses enseignants et des professionnels venus tout exprès pour l’entendre), le jeune se voit valorisé, et ce moment privilégié marque une avancée vers son futur professionnel. L’impact personnel pour l’étudiant est important, aussi faut-il être très vigilant sur les réactions des membres des jurys dont le rôle est de dynamiser et encourager, mais surtout pas d’insécuriser, démobiliser, ou renvoyer une image définitivement négative : il ne faut pas qu’il y ait amalgame pour l’étudiant entre « ce que je dis ou fais aujourd’hui dans cette situation d’entretien» n’est pas satisfaisant, et « ce que je suis ou mon projet » n’est pas satisfaisant. Il est important de pointer auprès des participants aux jurys ce distinguo entre les critiques sur la prestation, … et celles sur le projet : les critères d’évaluation portent exclusivement sur la forme et l’argumentation, pas sur la validité du projet de l’étudiant. Ce dispositif, comme celui du « Projet Professionnel » s’appuie sur les compétences existantes dans l’institution, la culture ambiante (jurys), une crédibilité avérée par la mise en place précédemment du « Projet Professionnel » (organisation et financements). La participation d’un grand nombre de professionnels, facilitée à Lyon 1 par l’existence d’une base de données des « Anciens » , jeunes diplômés de l’Université, est bien sûr très intéressante, et prouve que ces relations université / professionnels ne sont pas si difficiles à établir. Faire acquérir un « savoir s’orienter » à de jeunes étudiants, c’est contribuer à la formation d’acteurs sociaux qui auront plusieurs rôles à jouer dans la société de demain, un demain dont on peut dire qu’on ne sait pas de quoi il sera fait, mais avec lequel on peut se familiariser. Bruxelles, décembre 2004 Principales publications : • GILLES D., Millaud-Collier C., SAULNIER-CAZALS J. ET VUILLERMET-CORTOT M.J., (2002) Projet professionnel de l’étudiant : les nouvelles donnes, le livre « Passeurs de futurs » + le cédérom, (Paris) ONISEP collection Références. • GILLES D., SAULNIER-CAZALS J. ET VUILLERMET-CORTOT M.J., (1994) Socrate, le retour... pour accompagner la réussite universitaire et professionnelle des étudiants, (Québec) Ed. Septembre. • Site WEB: http://nte-serveur.univ-lyon1.fr/nte/gilles/