Jean Fautrier - Domaine de Sceaux

Transcription

Jean Fautrier - Domaine de Sceaux
les Hauts-de-Seine
un département Culturel
SAISON 2014-2015
Jean Fautrier
la pulsion du trait
12 sept-14 déc 2014
Collection Trait pour Trait
Domaine départemental de Sceaux
Château et Petit Château
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JEAN FAUTRIER
(1898-1964)
la pulsion du trait
À l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Jean Fautrier (1898-1964),
le musée du Domaine départemental de Sceaux présente une centaine
d’œuvres graphiques de ce grand artiste français, un des maîtres de l’art
moderne à qui le Japon dédie cette année une importante rétrospective.
L’exposition au Petit Château et au Château s’inscrit dans ce contexte
et dans le cadre du cycle d’expositions « Trait pour Trait », centré sur
les arts graphiques.
Le Conseil général des Hauts-de-Seine rend ainsi hommage à cet artiste
précurseur dont un fonds d’œuvres graphiques est conservé au musée.
Ce corpus rassemble des gravures et des dessins relatifs aux Otages, des
dessins antérieurs ainsi que les illustrations pour les deux livres réalisés
en collaboration avec Georges Bataille, Madame Edwarda et L’Alleluiah.
La donation effectuée par Fautrier lui-même, en 1964, ne se limitait pas
aux œuvres graphiques : le musée reçut également six tableaux peints
entre 1942 et 1954 ainsi qu’une sculpture, la Tête d’otage en plomb,
datée de 1944. La majorité des œuvres picturales sont actuellement
exposées dans la rétrospective japonaise. Fautrier s’était engagé à
accorder d’autres œuvres, tous les cinq ans, au musée. Sa mort l’en empêcha. Le musée a pu acquérir récemment Le Bouquet bleu (1929), qui est
présenté ici.
Quelques généreux prêts éclairent le parcours graphique d’un artiste
avide d’explorations plastiques et visuelles. L’œuvre de Jean Fautrier
rappelle que le territoire où se déploie le projet de la Vallée de la Culture a
été marqué par l’aura de figures associées à la lutte contre la barbarie et
aux transformations de l’art.
Patrick Devedjian
Couverture
Dessin de nu pour L’Alleluiah, de Georges Bataille,1947.
Encre rouge et fusain sur papier.
Député et président
du Conseil général des hauts-de-Seine
Domaine départemental de Sceaux
jean fautrier
 Plan de l’exposition
4
1898, 16 mai : naissance à Paris. Jean Fautrier y
est élevé par sa grand-mère, irlandaise catholique
pratiquante.
1907 : décès de son père, puis de sa grand-mère.
Sa mère, Marguerite Fautrier, part s’installer à
Londres. Son fils, resté dans un collège anglais à
Paris, la rejoint l’année suivante.
1912 : à quatorze ans, il intègre la Royal Academy
de Londres. Il rejoint en 1915 la Slade School
moins académique. Il fréquente la Tate Gallery où
il est ébloui par l’œuvre de Turner.
1917 : engagé volontaire, il rentre en France.
Gazé, il fait plusieurs séjours en hôpital.
1920-1921 : définitivement réformé, il s’installe à Paris où il loue un atelier à Montmartre et
effectue ses premiers séjours à la montagne pour
soigner ses poumons.
1923 : il expose à la galerie Fabre où il rencontre
Jeanne Castel. Premiers essais de gravures.
1924 : première exposition en mai à la galerie
Visconti à Paris. Salon des Tuileries.
1925 : il est présenté au marchand Paul Guillaume
par Jeanne Castel. Exposition personnelle à la
galerie Fabre en décembre.
1926 : Léopold Zborowski expose Fautrier aux
côtés de Soutine et Modigliani. Période « noire ».
1928 : séjour à l’île de Port-Cros, non loin de Toulon. Il rencontre André Malraux qui sera l’un des
premiers à le soutenir. Projet de L’Enfer de Dante
avec les éditions Gallimard.
1929 : il participe à plusieurs expositions parisiennes, à la galerie Paul Guillaume et à la galerie Cardo, aux côtés de Derain, Friesz, Picasso,
Rouault et Soutine.
1932 : le projet de publication des lithographies
de L’Enfer est abandonné.
1933 : les lithographies pour L’Enfer sont exposées dans la galerie de la NRF, du 6 au 28 février.
1934-1939 : touché par la crise financière,
il quitte la scène parisienne pour les Alpes. Il
devient moniteur de ski et continue à s’exercer à
la peinture.
1940 : il installe son atelier boulevard Raspail, à
Paris, où se rencontrent ses amis résistants.
1942 : parution de Madame Edwarda de Georges
Bataille, avec les illustrations de Fautrier.
1943 : première rétrospective organisée par la
galerie parisienne de René Drouin, 81 œuvres
sont exposées. Après une courte arrestation par
la police allemande en janvier, il se réfugie dans
une clinique à Châtenay-Malabry (92), aujourd’hui
Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups –
Maison de Chateaubriand.
1943-1945 : il peint la série des Otages à la
Vallée-aux-Loups, au fond du parc de la clinique
du docteur Le Savoureux, non loin duquel les
Allemands ont fusillé des prisonniers-résistants
incarcérés à Fresnes. Ces œuvres sont exposées
à la galerie Drouin à Paris.
1945 : il travaille avec l’éditeur Georges Blaizot
pour illustrer les livres de Robert Ganzo, Jean
Paulhan ou Georges Bataille.
1947 : Blaizot publie L’Alleluiah de Georges
Bataille, illustré par Fautrier.
1950 : mise au point avec Jeanine Aeply des
« originaux multiples ».
1960 : publication, à Milan, du livre Jean Fautrier :
Pittura e materia, de Palma Bucarelli. L’artiste
obtient le Grand Prix international de la peinture
à la Biennale de Venise, ex-æquo avec Hans
Hartung. Expositions de ses œuvres à Madrid,
Turin et Bergame.
1961 : Fautrier est récompensé par le Grand Prix
international de la Biennale de Tokyo.
1963 : publication du dernier livre illustré, L’Asparagus, de Francis Ponge. Un film, Fautrier l’enragé,
de Philippe Baraduc, livre un dialogue entre
l’artiste et Jean Paulhan.
1964 : Fautrier fait une donation au musée du
Domaine départemental de Sceaux et une autre au
musée d’Art moderne de la Ville de Paris qui organise
cette année-là une rétrospective de son œuvre.
1964, 21 juillet : gravement malade, il meurt à
Châtenay-Malabry.
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jean fautrier
La femme et le cosmos
Jean Fautrier conçut très tôt de grandes attentes
de son activité graphique. Sa formation à la Royal
Academy de Londres, où il fut reçu premier, puis à
la Slade School of Fine Art, devait confirmer cette
démarche. De 1922 à 1925, il dessina des sanguines de différentes tailles. Les grands formats,
dont l’imposant Nu féminin (n° 1) de 1924 (Centre
Pompidou, musée national d’Art moderne), furent
réalisés d’après le modèle vivant. La sanguine
foncée est associée à la pierre noire. Le modelé en
clair-obscur règne. Le Nu de dos (n° 2) est un autre
exemple de la consécration de « l’univers de la
courbure » (Giulio Carlo Argan). Les études furent
exposées au Salon d’automne, au Salon des Tuileries et lors de sa première exposition personnelle,
en juin 1924, à la galerie Visconti. Pour MarcelAndré Stalter, l’artiste cherchait à décrire une
vérité sociologique et objective, sans aller certes
aussi loin que la Neue Sachlichkeit allemande.
L’année 1926 fut une période de mutation. Les
nus devinrent plus schématiques et subirent
l’influence des arts africain et préhistorique.
Les paysages de montagne constituèrent une
référence essentielle parmi les sources d’inspiration de Fautrier. Ses séjours dans le Tyrol
(1920), en Corse (1922), dans le Tarn (1925),
dans l’Oisans (1927), dans l’île méditerranéenne
de Port-Cros (1928), à Chamonix (1929), à Tignes
et à Val d’Isère, représentèrent des expériences
physiques majeures pour l’artiste. Le cycle de
planches lithographiques destinées à illustrer
L’Enfer de Dante permit de retranscrire son
envoûtement devant la nature. Les compositions
au crayon et au pastel (n° 4) se succédèrent
alors, révélant l’influence de Turner. Le médium
de la gouache s’affirma également, à travers des
contrastes de lumière et une amplification de
l’abstraction (n° 5). Les Compositions, traversées
6
de traits d’encre à la plume (n° 6 et n° 7) provenant
de la donation Fautrier du musée du Domaine
départemental de Sceaux, attestent la pulsion qui
traverse le trait.
Dès la fin des années 1920, l’artiste fut en quête
de « l’indistinct » (Palma Bucarelli) : cette image
des choses qui affleure quand celles-ci sont
libérées des limites de la forme. À partir de 1928,
ces œuvres riches en gouache se multiplièrent,
présentant un lit blanc aux reflets bleus et verts
(n° 9) alors que les grands bouquets de fleurs,
comme Le Bouquet bleu (n° 8) réalisaient la
fusion entre les lithographies de L’Enfer de Dante
et la leçon des peintures de grands paysages
plus abstraits. La guerre va changer la destinée
de l’artiste. Les figures d’Otages apparaissent
pendant l’Occupation.
Dessin de femme pour L’Alleluiah, 1947.
Encre noire à la plume et fusain sur papier.
the woman and the cosmos
Even very early on, Jean Fautrier harboured great
expectations of his graphical work. His training at
the Royal Academy in London, to which he was
first admitted, then at the Slade School of Fine
Arts, convinced him that this approach had been
the right one. From 1922 to 1925, he drew red
chalk drawings of various sizes. The large format
works, including the impressive Female Nude
(no. 1) dating from 1924 (Pompidou Centre,
national modern art museum), were produced
from living models. The dark red chalk is used in
combination with black stone and the chiaroscuro
model reigns supreme. The Nude Seen From
Behind (no. 2) is a further example of the recognition of “the world of curvature” (Giulio Carlo
Argan). The studies were shown at the Salon
d’Automne, at the Salon des Tuileries and at his
first solo exhibition, held at the Visconti gallery
in June 1924. Marcel-André Stalter believes that
the artist was seeking to describe a sociological,
objective truth, although certainly without going
as far as the German Neue Sachlichkeit movement. 1926 was a period of transition - the nudes
became more simplistic and were influenced by
African and prehistoric arts.
Mountain landscapes were an essential point of
reference among Fautrier’s sources of inspiration.
His stays in the Tyrol (1920), Corsica (1922), the
Tarn (1925), the Oisans (1927), on the Mediterranean island of Port-Cros (1928), in Chamonix
(1929), Tignes and Val d’Isère were all major
physical experiences for the artist. The cycle of
lithographic plates produced to illustrate Dante’s
Inferno helped to translate his enthusiasm for
nature. There then followed a series of compositions in pencil and pastel (no. 4) revealing the
influence of Turner. The gouache medium also
asserted itself, through contrasts of light and
a heightening of abstraction (no. 5). The Compositions, which have pen and ink lines running
through them (no. 6 and no. 7) come from the
Musée du Domaine Départemental de Sceaux’s
Fautrier donation and bear witness to the impulse which runs through the strokes.
From 1928 onwards, there are increasing numbers of these works, which are full of gouache,
showing a white bed with blue and green glints
(no. 9) whereas the large bouquets of flowers,
such as The Blue Bouquet (no. 8) achieved a
fusion between the lithographs for Dante’s
Inferno and the lesson given by the large, more
abstract, landscape paintings. The war would
then change the artist’s life forever. The figures of
Hostages appear during the Occupation.
Le Bouquet bleu, 1929-30. Huile sur toile.
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Domaine départemental de Sceaux
jean fautrier
Les otages et les nus
Après sa période d’exil dans les Alpes, Fautrier
reparut sur la scène artistique parisienne, en
1941 et 1942, à l’occasion des Salons d’automne
et des Tuileries. En novembre 1943, il exposa à
la galerie Drouin, place Vendôme. Le dessin fit
d’ailleurs un retour décisif. L’artiste avait déjà
entamé sa réflexion sur la série des Otages dans
son atelier du boulevard Raspail. Daniel Wallard,
proche de l’artiste, indiqua à ce sujet : « Je l’ai vu
commencer en 1943 par un visage banal, informe,
puis s’est enfoncé dans une impasse, il s’est jeté
dans le difficile, l’inexprimable ». La Jeune Fille
(n° 14) fut la fleur ambiguë de ses investigations.
Daniel Marchesseau a bien résumé l’intention de
l’artiste, en estimant que « son engagement pour
la liberté soutient le fondement de sa conviction
picturale ».
Les exécutions des otages-résistants à ChâtenayMalabry obsédèrent Fautrier au point qu’il paracheva plusieurs séries sur ce thème, notamment
à travers l’estampe et une suite de dessins à la
plume et au fusain. Les épreuves présentées ici
(n° 18, 19, 20, 21) ont été identifiées comme des
héliogravures et eaux-fortes. Dans cet ensemble,
ce visage humain, qui résume l’Homme dans sa
totalité, reste encore discernable. Le trait recèle
toute la force dramatique de l’Histoire. Au moment
de la fameuse exposition Les Otages, à la galerie
Drouin, à Paris, du 26 octobre au 17 novembre
1945, Jean Dubuffet écrit à Jean Paulhan, le
27 octobre 1945 : « Ma pensée est toute remplie
de Fautrier. De sa personne, de son art. C’est irritant, un peu douloureux, je me sens une éponge
gorgée, un caméléon sursaturé d’une couleur qui
n’est pas la sienne ».
À partir de 1942, Fautrier illustra le poème
Lespugue, de Robert Ganzo (1898-1995).
Son inspiration penchait vers l’archaïsme et le
primitivisme. La statuette de Lespugue avait été
découverte en août 1922 et publiée en 1923,
dans la revue Anthropologie, que lisait le docteur
8
Paul Chevallier, premier collectionneur important
d’œuvres de Fautrier. L’évocation de formes préhistoriques reste perceptible dans les figures des
illustrations des années 1940. Au début de sa
carrière, Fautrier avait déjà souhaité interpréter
Charles Baudelaire et Edgar Poe. Mais cette activité
d’illustrateur s’affirma pleinement dans les années 1930. Deux ouvrages de l’écrivain Georges
Bataille (1897-1962) bénéficièrent d’estampes
et de dessins de Fautrier : Madame Edwarda,
dès 1942, et L’Alleluiah, en 1947. Fautrier suit
Bataille jusqu’aux extrémités de la luxure et de
« l’impossible ». La série de dessins originaux
de nu pour L’Alleluiah constitue un somptueux
ensemble où les gracieuses arabesques d’encre
à la plume dévoilent la variété des poses et des
contorsions. Castor Seibel note que « le dessin hésite parfois entre l’anthropomorphe et le
végétal ».
Composition antérieure aux Otages, 1932.
Aquarelle, plume et gouache sur carton.
the hostages and the nudes
After his period of exile in the Alps, Fautrier
reappeared on the Parisian artistic scene in 1941
and 1942, coinciding with the Salon d’Automne
and the Salon des Tuileries. In November 1943,
he exhibited at the Drouin gallery in the Place
Vendôme. Indeed drawing was making a decisive
comeback. The artist had already started thinking
about the Hostages series in his workshop in the
Boulevard Raspail. On this subject Daniel Wallard,
a close friend of the artist’s, said: “I saw him start
out in 1943 with a commonplace, shapeless face,
but then he hurled himself down a blind alley,
throwing himself into something truly difficult
and inexpressible”. The Young Girl (no. 14) was
the ambiguous flowering of his investigations.
Daniel Marchesseau puts the artist’s intentions
into a nutshell, believing that “his commitment to
freedom supports the foundations of his pictorial
conviction”.
Fautrier was so obsessed with the executions of
Resistance hostages in Châtenay-Malabry that
he completed a number of series on the subject,
including an engraving and a sequence of pen and
ink and charcoal drawings. The proofs shown here
(nos. 18, 19, 20 and 21) have been identified as
rotogravures and etchings. In this series, the human
face, which symbolises Mankind, is still discernible.
The strokes contain all the dramatic power of History. At the time of the famous The Hostages exhibition, held at the Drouin gallery in Paris from 26th
October to 17th November 1945, Jean Dubuffet
wrote to Jean Paulhan, on 27th October 1945: “my
thoughts are totally filled with Fautrier - both his
person and his art. It’s annoying, a bit painful, I feel
like a soaked sponge, a chameleon oversaturated
with a colour which is not his own”.
In 1942 Fautrier began illustrating Lespugue, a
poem by Robert Ganzo (1898-1995). His inspiration leant towards archaism and primitivism.
The statuette of Lespugue had been discovered in August 1922 and published in 1923, in
the magazine Anthropologie, which was read by
Doctor Paul Chevallier, Fautrier’s first public collector. The evocation of prehistoric shapes remains
perceptible in the figures which appear in the
illustrations of the 1940s. Although Fautrier had
wanted to interpret Charles Baudelaire and Edgar
Allan Poe even at the start of his career, this work
as an illustrator became fully established in the
1930s. Two pieces by the writer Georges Bataille
(1897-1962) were given engravings and drawings
by Fautrier: Madame Edwarda, in 1942, and L’Alleluiah, in 1947. Fautrier followed Bataille to the
furthest extremes of lust and “the impossible”. The
original drawings of nudes for L’Alleluiah make up
a sumptuous series in which the graceful pen and
ink arabesques unveil the variety of poses and
contortions. Castor Seibel notes that “the drawing
sometimes wavers between the anthropomorphic
and the plant world”.
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jean fautrier
Figurations informelles
Jean Fautrier n’a jamais abandonné le réel. S’il
déforme les corps et les malaxe dans tous les
sens, comme en témoignent les estampes provenant de la Bibliothèque nationale de France
(n° 28 et 29) et destinées à l’ouvrage Fautrier
l’enragé, il entend faire aboutir son trait vers
une nouvelle expressivité. Dès la fin des années
1940 était consacré le geste libre, instaurant une
rupture radicale avec les esthétiques d’avantguerre. En 1952, le critique d’art et artiste Michel
Tapié (1909-1987) inventa le terme « informel »
pour définir ce nouvel art. Fautrier devait, selon
lui, en être le précurseur. Wols et Jean Dubuffet
en étaient les autres tenants. Notre artiste se
méfia cependant de ce magistère qu’on lui infligeait. Il se tint plutôt en retrait de la scène artistique et des évolutions de l’art informel qui prit
ensuite la dénomination « d’abstraction lyrique ».
Il tenta de démultiplier les œuvres, grâce aux
« originaux multiples » (n° 34), mais sans succès.
Fautrier avait senti, avant les autres, la manière
de rendre les vibrations et la densité des matières
qui changent la perception des êtres, des corps
et de l’espace. La réalité est ainsi présente dans
un « fragment », sous la forme d’un « lambeau
de réalité » (Palma Bucarelli). Il explora les possibilités de la gravure comme on peint, restituant
de violents effets de contraste et de charge de
matière (n° 32). En novembre 1957, la galerie Rive
Droite présenta la rétrospective Trente années
de figuration informelle rassemblant des œuvres
datant de 1928 à 1957. Dans le texte introductif
de cette exposition, Pierre Restany (1930-2003)
salua en Fautrier un « solitaire capable de dominer
toute une génération ».
La puissante Composition mauve (n° 36 musée
d’Art, Histoire et Archéologie d’Evreux) et Le dessin sans titre (n° 37), du début des années 1960,
10
allient plusieurs techniques. La mine de plomb, la
gouache et le pastel introduisent le regard à un
espace illimité, où les formes sont impondérables.
La pulsion du trait conquiert sa pleine et entière
expression. Le majestueux Nu violet (n° 38) juxtapose les graphes animés au fond d’encre qui revêt
le buvard d’ondulations et d’effets de moirures.
Paysage et nu se confondent. La volupté des coloris et l’agilité du trait laissent entrevoir une danse
paradisiaque, où la création s’est définitivement
libérée de toute emprise.
L’enragée. 1949
Eau-forte et aquatinte sur papier vergé d’Arches.
informal potrayal
Jean Fautrier never abandoned reality. Although
he deformed bodies and mixed them up in all
directions, as can be seen in the engravings from
the Bibliothèque Nationale de France (nos. 28 and
29), which were intended for the book Fautrier
l’enragé (Fautrier The Fanatic), his aim was to take
his technique towards a new expressiveness.
Starting at the end of the 1940s free hand became recognised, leading to a radical break with
pre-war aesthetics. In 1952, the art critic and
artist Michel Tapié (1909-1987) invented the
term informal to define this new art, and claimed
that Fautrier had pioneered it. Wols and Jean
Dubuffet were the other advocates. However
our artist was wary of having leadership status
foisted upon him. He rather kept his distance from
the artistic scene and the changes in informal art
which then became known as “lyrical abstraction”.
He attempted to increase the number of works
he produced by means of the “multiple originals”
(no. 34), although without success. So Fautrier
had felt, before anyone else, the way of depicting
the vibrations and density of materials which
change the perception of beings, bodies and
space. Thus reality is present in a “fragment”, in
the form of a “scrap of reality” (Palma Bucarelli).
He explored the possibilities of engraving in the
way that you paint, producing violent effects
involving contrast and packing in the material (no.
32). In November 1957, the Rive Droite gallery
presented the thirty years of informal portrayal
retrospective, gathering works ranging from
1928 to 1957. In the introductory text to this
exhibition, Pierre Restany (1930-2003) hailed
Fautrier as “a solitary man capable of dominating
a whole generation”.
the Untitled Drawing (no. 37), from the early
1960s, combine a number of techniques. Graphite, gouache and pastel introduce our eyes
to an unlimited space, in which the shapes are
imponderable. The impulse behind the stroke
thus achieves its fullest expression. The majestic
Violet Nude (no. 38) juxtaposes the lively graphs
against an ink background which covers the blotter in undulations and shimmering effects. The
landscape and the nude melt into one another.
The voluptuousness of the colours and the agility
of the strokes give a glimpse of a heavenly dance,
in which creation has finally released itself from
any hold over it.
The powerful Mauve Composition (no. 36, Musée d’Art, Histoire Archéologie d’Evreux) and
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jean fautrier
les techniques
Fautrier a exécuté des estampes et des dessins qui relèvent de différentes
techniques graphiques. Chaque médium a sa raison propre. L’artiste a toujours
eu un vif intérêt pour les modes de reproduction de ses innovations plastiques.
Dans son travail de graveur, Fautrier trahit ses talents de dessinateur. Il utilise des
procédés – qu’il détourne et transforme – qui lui permettent de retranscrire ce qu’il
expérimente dans le dessin et la peinture.
La sanguine et la pierre noire : la sanguine
provient d’une terre contenant de l’oxyde de fer,
appelé hématite. Les tons de ce pigment naturel
peuvent aller du rouge orangé au brun presque
violet. Employée pour le dessin sur papier dès le
XVe siècle, la sanguine est une argile ferrugineuse
qui peut prendre la forme de bâtonnet friable, de
plaque ou de poudre. Fautrier l’utilise seulement
au début de sa carrière.
Schiste argileux, la pierre noire peut être taillée à
l’aide d’un couteau. Son emploi se répand en Italie
dès la fin du XVe siècle. La pierre noire sera remplacée, au XIXe siècle, par le fusain et la mine de
plomb. La sanguine et la pierre noire ont souvent
été associées. On parle alors de « technique aux
deux crayons ».
Le dessin à la plume (voir la suite de dessins
originaux de L’Alleluiah, catéchisme de Dianus)
permet à l’artiste d’appliquer l’encre grâce à une
technique cursive, en jouant sur des déliés très
fins et des pleins généreux. Rapidement tracé, cet
exercice élabore de nouvelles formes, empreintes
qui savent jouer avec la surface du papier.
Le pastel est une craie, en forme de bâtonnet, de
pigments en poudre liés par de la gomme laque.
Utilisé dès le XVe siècle, il peut présenter une très
large gamme de tons. Cette technique autorise
une grande souplesse et une mise en place de
fondus de couleurs.
La gravure désigne un ensemble de techniques
qui consistent à graver une matrice, transposée
après encrage sur un support, notamment du
12
« Le dessin n’a pas pour but de reconstituer fidèlement un sujet, il a le pouvoir de figer ce
qui est ressenti en son for intérieur. C’est par le dessin qu’il convient d’abord de donner une
forme figée à ses émotions ».
Jean Fautrier
Otages, 1943. Encre bleue à la plume sur papier.
papier. L’œuvre finale ainsi obtenue s’appelle une
estampe.
La gravure en taille-douce, ou gravure en creux,
se pratique le plus souvent sur du cuivre. Contrairement à la taille d’épargne, l’encre va se déposer
dans les creux gravés par l’artiste. L’impression
de la plaque se fait sur une presse à taille-douce.
La lithographie est très appréciée de Fautrier.
Historiquement, elle concerne au départ un
procédé de reproduction sur une pierre calcaire.
Ce support fut ensuite remplacé par des plaques
métalliques (zinc ou aluminium). Cette technique,
qui ne nécessite pas de reliefs, n’est donc pas une
« gravure » au sens strict du terme.
L’eau-forte est un procédé de gravure en tailledouce sur une plaque métallique à l’aide d’un
mordant chimique (un acide). Cette appellation
elle-même est celle de l’acide nitrique étendu
d’eau : l’aqua-fortis des anciens alchimistes. Aujourd’hui, l’acide nitrique est remplacé par des
mordants moins toxiques, tel le perchlorure de fer.
L’héliogravure ou rotogravure est un procédé
d’impression particulièrement adapté aux très
longs tirages où une haute qualité de reproduction est exigée. L’héliogravure est aussi un
procédé ancien et de très haute qualité pour
les tirages photographiques d’art. Le cylindre
est gravé mécaniquement, à l’aide d’un diamant
ou au laser. La taille et la profondeur des creux
(alvéoles) déterminent une trame plus ou moins
dense et donc une intensité de couleur plus ou
moins importante.
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Domaine départemental de Sceaux
Commissariat
Bertrand de Sainte-Marie
Commissaire de l’exposition
Conservateur au musée du Domaine départemental de Sceaux
Crédits
© Musée du Domaine départemental de Sceaux
© Adagp 2014
Informations pratiques
Exposition ouverte tous les jours, sauf le mardi
– De septembre à octobre : de 10h à 13h et de 14h à 18h (jusqu’à 18h30 le dimanche).
– De novembre à décembre : de 10h à 13h et de 14h à 17h.
Fermeture le 1er novembre et le 25 décembre.
Tarif
Plein tarif : 4 €
Tarif réduit : 2, 50 €
Domaine départemental de Sceaux
Château : avenue Claude-Perrault - 92330 Sceaux
Petit Château : 9, rue du Docteur Berger - 92330 Sceaux
Renseignements
01 41 87 29 50
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Accès
– Transports en commun :
– RER B depuis Paris, arrêt « Bourg-la-Reine », « Sceaux » ou « Parc de Sceaux »
– Bus : ligne 192, arrêt « Église de Sceaux »
– Voiture : RD920 depuis la porte d’Orléans ; par l’A86, sortie en direction de Sceaux.
Pour le public en situation de handicap
Les deux bâtiments sont accessibles aux personnes à mobilité réduite ; 2 boucles auditives, 60 audiophones et des livrets de visite en gros caractères sont mis à disposition.
Consultez l’actualité du musée et le programme des animations, concerts, ateliers
sur le site domaine-de-sceaux.hauts-de-seine.net
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