Article du Journal du Textile apparu sur le

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Article du Journal du Textile apparu sur le
L’ÉVÈNEMENT
DE LA SEMAINE
L’EFFET DE LEVIER
PIEGE VIVARTE
L
Racheté par le biais d’un Lbo en 2007, le groupe fait face
aujourd’hui à une lourde dette qu’il ne peut rembourser.
e Lbo, ou Leverage buy out, cette technique de rachat
d’entreprise par endettement, a connu une belle
popularité dans l’univers des marques et des enseignes
d’habillement jusqu’à la crise de 2008, et même un peu
au-delà. Grâce à un crédit facile et abondant, mais aussi
un environnement économique favorable, nombre de ces
marques ont pu ainsi aisément changer de mains, parfois
même à plusieurs reprises. Et leurs acquéreurs, des
cadres de l’entreprise bien souvent accompagnés de
fonds d’investissement, n’avaient aucune peine à
rembourser les prêteurs – des banques dans la plupart
des cas. Mais, aujourd’hui, le paysage a bien changé.
Des marchés en recul et un crédit devenu plus chiche ne
permettent plus aux acteurs de ces Lbo de rembourser
leur dette au rythme convenu. Et certains sont du coup
confrontés à des difficultés parfois même spectaculaires.
L’exemple du géant français de la distribution
d’habillement et de chaussures Vivarte, aux vingt-trois
enseignes, contraint de tenter de renégocier un
gigantesque mur de dettes est le plus emblématique. Des
discussions tendues entre actionnaires et créanciers sont
L
’AVENIR de Vivarte se joue
dans les semaines qui viennent. Selon une indiscrétion
révélée par l’agence économique Bloomberg – en marge de la conciliation actuellement en cours afin de renégocier la dette
engendrée par son Lbo –, plusieurs groupes financiers, actuels créanciers ou non,
ont fait connaître leur intérêt pour cet acteur de poids. Plusieurs de ceux-ci se verraient bien prendre le contrôle de ce
groupe de distribution, l’un des leaders
français et européens de l’habillement et
des chaussures, avec ses 23 enseignes (La
Halle, Naf Naf, Caroll, Kookaï, André ou
Pataugas, notamment). Un groupe à la
tête de 5.000 magasins et qui réalise un
chiffre d’affaires de 3 milliards d’€ (en recul de 1,8% lors de l’exercice 2012-2013).
Une issue sous la forme d’un changement de mains s’ajoute donc au champ
des possibles pour ce géant français de la
distribution. Parmi les candidats potentiels, sont cités des hedge funds déjà présents au tour de table, tels que Avenue
Capital ou Angelo Gordon. Tout comme
le fonds américain Oaktree, autre créancier du groupe. A aussi été cité le fonds
géant américain Kkr qui, il y a tout juste
un an, avait pris le contrôle du groupe
Smcp (Sandro, Maje, Claudie Pierlot). Ce
que dément formellement ce dernier,
évoquant «des rumeurs infondées».
Pour sa part, le groupe Vivarte ne fait
aucun commentaire. Seuls quelques observateurs font valoir que ces marques
d’intérêt apparaissent comme un signe
positif pour le groupe. «Le fait qu’il y ait
de nombreux candidats financiers pour
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Journal du Textile N°2211 / 6 mai 2014
en cours, qui pourraient déboucher sur plusieurs
scénarios possibles : plan de refinancement, abandon
d’une partie des dettes, réinjection de liquidités, ou
encore reprise du groupe par un ou plusieurs
créanciers… Mais Vivarte n’est pas le seul à faire face à
ce type de situation. Camaïeu, Gérard Darel ou Un jour
Ailleurs sont dans le même cas. D’autres pourraient
encore apparaître dans les mois à venir. Alors que leurs
espérances d’un retour rapide sur investissement
s’éloignent, la plupart des fonds et des banques
impliqués ont généralement intérêt à se mettre autour
d’une table pour trouver des solutions. Certains peuvent
décider de «remettre au pot», quand le jeu en vaut la
chandelle, que les fondamentaux sont bons et que le
projet proposé semble tenir la route. D’autres préfèreront
remettre les choses à plat sans toujours éviter une issue
judiciaire. En tout état de cause, les intéressés devront
miser sur le facteur humain pour sortir de ces situations
délicates, c’est-à-dire trouver les bons managers
capables de faire évoluer le business model et de
réinventer des recettes gagnantes.
un éventuel rachat veut dire qu’ils croient
dans ce groupe et dans la stratégie de relance menée par son dirigeant, Marc Lelandais», observent-ils.
Vivarte, lui, se retranche derrière la
procédure, confidentielle, de conciliation
dans laquelle il est engagé. La conciliation ? Une évolution du mandat ad hoc
décidée par le tribunal de commerce en
février dernier et confié à Hélène Bourbouloux, afin de régler «à l’amiable» la
question de la dette d’acquisition portée
par les holdings. Celle-ci atteint encore le
total astronomique de 2,8 milliards d’€,
après un remboursement de 1,1 milliard
d’€ déjà intervenu. Comme ce fut le cas
encore récemment pour plusieurs acteurs
de la distribution engagés dans ce type de
procédure (Camaïeu, Gérard Darel, Un
jour Ailleurs…), cette dette est héritée
d’un Lbo (Leverage buy out, ou rachat
par endettement) réalisé avant la crise. Il
avait alors permis, notamment, au fonds
d’investissement anglais Charterhouse de
prendre possession en 2007 de Vivarte
pour 3,5 milliards d’€. Charterhouse avait
ainsi succédé au tour de table à un autre
fonds, français, Pai Partners. Ce Lbo ayant
été négocié selon des «covenants» (clauses financières) que l’évolution négative
du marché de l’habillement français, en
baisse significative depuis plus de cinq
ans, bousculé aussi par l’arrivée en France
de nouveaux et puissants compétiteurs,
ne permettait plus de respecter. Aussi, à
l’automne dernier, et avant que le mandat ad hoc ne soit décidé, le groupe avait
été contraint d’entamer des discussions
avec ses créanciers afin de revoir les
termes de ces «covenants». Autrement dit
de «détendre les obligations financières
contractées en 2007». En vain, même si de
l’aveu même de Vivarte cela s’était joué à
un fil : 65,1% des créanciers avaient, en
janvier dernier, donné leur accord à ces
propositions. Mais il aurait fallu une majorité de 66,6% pour que les conditions financières auxquelles avait été soumis Vivarte soient remises à plat.
Question de confiance
S’en est suivi la procédure qui court actuellement et qui peut être – selon un calendrier établi jusqu’à fin juin – reconduite un mois. Un calendrier que Vivarte
assure vouloir tenir. En attendant, le
groupe a décidé unilatéralement de suspendre les remboursements de sa dette
afin d’assurer «une situation de liquidité
satisfaisante» au groupe. «Dans le cas où
une cession serait finalement envisagée, ce
respect du calendrier donne un peu de
temps au dirigeant pour lui permettre de
choisir au mieux le ou les fonds qui l’ac-
Les créanciers pourraient réinjecter de l’argent
dans le groupe, mais il n’est pas impossible
que certains de ceux-ci veuillent le racheter.
compagneront dans la poursuite de sa
stratégie», analyse un autre observateur,
tout en assurant «qu’aucune option n’apparaît être privilégiée» entre la conciliation et un éventuel changement de mains.
Les discussions se poursuivent donc
entre Vivarte et le groupe resserré de
créanciers, représentant l’ensemble des
financiers. D’autant que ces dernières semaines ont laissé entrevoir d’autres issues que celle d’une reprise. En effet, selon la presse économique, dans le cadre
de la conciliation, l’équipe dirigeante aurait par ailleurs fait une autre proposition
détonante, mi-avril. Elle aurait présenté
un nouveau plan de financement dans lequel il serait demandé aux créanciers
d’abandonner une large partie de la dette,
soit près de 2 milliards d’€. Le plan prévoirait de surcroît un nouvel investissement de 500 millions d’€.
Afin de convaincre les créanciers du
groupe à consentir ce lourd sacrifice et à
une remise au pot – éventuelle –, Marc
Lelandais a évidemment mis en avant la
stratégie engagée depuis son arrivée à la
tête du groupe. Une stratégie de transformation qualitative touchant l’ensemble
de ses enseignes, laquelle porterait déjà
ses fruits et surtout se révèlerait prometteuse. Ce qu’il a souligné en analysant les
prévisions de résultats, marque par marque. Prévisions plutôt favorables et visiblement «très proches» de celles réalisées
par le cabinet d’audit mandaté pour présenter ses propres analyses de la situation. Un point marquant dans la quête de
confiance en la politique menée, réclamée par cet exercice et par le dirigeant.
La «révolution» engagée chez La Halle
tion qui de plus s’appuie sur une campagne d’ouvertures de magasins assez
emblématique. En quelques semaines,
l’enseigne a ainsi ouvert deux unités au
cœur de Paris. La première, de 3.000 m2,
boulevard Montmartre, et la seconde, à
quelques pas de là, sur le très évocateur
et attractif boulevard Haussmann. Là
encore, l’enseigne et le groupe frappent
les esprits.
Trouver son public
Magasin La Halle.
Pour convaincre ses
créanciers de lui
faire confiance, le
groupe Vivarte veut
s’appuyer sur le
vaste plan de
transformation qu’il
a mis au point pour
La Halle, son
enseigne phare. DR
– l’enseigne poids lourd du groupe – illustre bien ce qu’entend entreprendre le dirigeant de Vivarte. L’enseigne phare du
groupe, dont le chiffre d’affaires représente 50% de l’activité totale, vient en ef-
P
fet de se lancer dans une vaste transformation avec l’ambition de devenir «le
multimarque français des secondes lignes
exclusives». Une révolution qui concerne
toutes les caractéristiques de l’enseigne
(son offre, le décor de ses magasins, sa
stratégie d’implantation et de développement) et dont la gestation aura duré dixhuit mois. Elle n’a en effet été entièrement présentée que mi-mars. Une révolu-
Un mois après cette quasi «re-création» cruciale, il est encore un peu tôt
pour tirer les enseignements de ce chamboulement total mené par le dirigeant de
l’enseigne, Renaud Mazière, et ses équipes. De source sûre, néanmoins, «les premiers chiffres fournis» semblent indiquer
que «le concept fonctionne». Mais, analyse un observateur, «il faut encore savoir
si cela va se confirmer sur le long terme».
Autrement dit, laisser passer quelques
semaines, quelques mois, une saison,
pour donner à ce nouveau modèle de
distribution le temps de faire pleinement
ses preuves. Et démontrer qu’il a su trouver son public sans déstabiliser l’ancien.
Prouver surtout qu’ainsi transformée, La
Halle a su se donner les armes lui permettant de rivaliser sur son marché domestique, comme à l’international, avec
les géants de la fast fashion venus le
concurrencer sur son terrain.
Un temps que la holding d’acquisition
de Vivarte ne possède pas forcément au
vu de son calendrier pré-établi. «Mais
par ailleurs, aller au bout du processus engagé, ce qui pourrait mener jusqu’à fin
juillet, peut s’avérer favorable. Cela permettra justement une observation plus
longue des performances de La Halle et
donnera aux partenaires une première direction claire sur l’avenir de l’enseigne et
donc du groupe.» De là à dire que cela influencera significativement l’issue de la
conciliation… C’est envisageable, mais
guère certain. Reste que les semaines qui
s’annoncent devraient être déterminantes pour Vivarte.
STÉPHANIE ATHANÉ ●
La liste des victimes de l’endettement s’allonge
RÉSENTÉ par certains comme le
plus important Lbo de l’époque
dans son secteur, le cas de Vivarte
est emblématique. Parce qu’il est au
cœur de l’actualité et que la procédure
de conciliation en cours avec ses créanciers voit son échéance approcher. Mais
aussi parce qu’il s’agit d’un acteur de
tout premier plan et historique de la
distribution d’habillement et de chaussures. Pourtant, la situation dans laquelle se trouve le groupe n’a rien de
particulier. Ces dernières années, plusieurs autres enseignes ou marques de
mode, dont le Lbo avait été négocié
avant la crise, ont dû revoir les termes
de ce dernier. Car les clauses de remboursement, «dimensionnées pour les
conditions de l’époque», avaient été
construites à partir de données et de
prévisions qui sont aujourd’hui en décalage avec la nouvelle réalité caractérisée par un marché affaibli.
Parmi les autres enseignes victimes
de cet effet de contrepied provoqué par
la crise, il faut citer ainsi Camaïeu. Acteur majeur de distribution de mode féminine qui comptait, en 2013, 1.060 ma-
gasins (dont 630 en France), l’enseigne
réalise un chiffre d’affaires de 1 milliard
d’€. Détenu à 97% par le fonds britannique Cinven, entré au capital en 2007
avant d’y devenir majoritaire, Camaïeu
est entré l’année dernière en négociations avec ses créanciers afin de refinancer la dette (contractée pour un total d’1 milliard d’€) portée par la holding dans le cadre du Lbo. Plusieurs
mois de discussions ont finalement permis de trouver une solution mi-décembre 2013 lorsque créanciers et actionnaires sont tous tombés d’accord sur
une formule de refinancement de la
dette. Cinven, de même que les hedge
funds Polygone et Boussard & Gavaudan, ont consenti à réinjecter 50 millions d’€ dans la holding d’acquisition
contre un report de l’échéance à l’horiMAGASIN
CAMAÏEU.
L’enseigne a
réussi à trouver
un accord entre
ses créanciers
et ses
actionnaires
pour refinancer
sa dette. DR
Suite de l’Evènement : page 6
...
zon 2018. A l’époque, certains observateurs tablaient sur le fait que cette négociation engendrerait un changement
dans le tour de table. Il n’en est rien
pour le moment.
Autre cas, celui de la chaîne Un jour
Ailleurs. Cette enseigne, qui s’adresse à
la femme active avec une offre positionnée milieu-haut de gamme, est, elle aussi,
aux prises avec un problème de remboursement. En juillet 2013, le tribunal
de commerce de Paris a ainsi ouvert
«une procédure de sauvegarde» au bénéfice de Vetsoca, société exploitant l’enseigne. Ceci faisant suite à plusieurs mois
de conciliation entre les créanciers et les
actionnaires, au premier rang duquel le
fonds Atria Capital Partners, mais aussi
Euromezzanine et le fondateur de l’enseigne, Félix Soussan. Atria ayant remplacé un autre fonds, Astorg, au capital
d’Un Jour Ailleurs lorsqu’avait été
monté ce Lbo, en 2006. Procédure de six
mois renouvelable, la sauvegarde arrive
bientôt à échéance, et les signaux semblent prometteurs quant à l’issue positive de ce dossier, même si la décision du
tribunal n’a pas encore été rendue. S.A. ●
N°2211 / 6 mai 2014 Journal du Textile
3
L’ÉVÈNEMENT
DE LA SEMAINE
Les Lbo à répétition ont déréglé
la machine et usé les équipes
T
les observateurs en conviennent : les difficultés que connaissent actuellement des enseignes
et des marques de mode confrontées à un mur de dettes alors qu’elles évoluent sur un marché morose, ont souvent
pour racine commune un changement de
mains réalisé par Lbo avant la crise. Le
Lbo (Leverage buy out, ou, en bon français, rachat par effet de levier) rappelonsle, a été initié dans les années 80 par les
fonds d’investissement pour faciliter la
transmission d’entreprises, via le levier de
l’endettement. «Le point commun de ces
enseignes et marques de mode est qu’en général, elles ont réalisé leur Lbo avant la
crise, à une période où les affaires marchaient bien et où les leviers d’endettement
pouvaient être très importants sans dommages. Mais, aujourd’hui, les acquéreurs,
qui se sont fortement endettés à l’époque,
ne parviennent plus à rembourser», observe Chantal Baudron, fondatrice du cabinet de recrutement qui porte son nom,
notamment spécialisé dans les prestations
de recrutement et d’audit dans le cadre de
Lbo (dans le textile en particulier). «Un
grand nombre de Lbo ont été réalisés pendant la période 2001 à 2008, lorsque les clignotants économiques et financiers étaient
au vert. Les situations actuelles n’avaient
pas été forcément anticipées», confirme
Alexandre Lefebvre, codirigeant du fonds
Silverfleet Capital (lire par ailleurs).
Problème récurrent de ces accords
d’avant-crise : avoir enclenché une cascade de Lbo successifs. «On observe pas
mal de Lbo secondaires, tertiaires voire
même quaternaires, découlant de ces Lbo
noués avant la crise, remarque Chantal
Baudron. Les fonds doivent en effet fournir un certain niveau de performances à
leurs actionnaires, et quand l’une des entreprises dans lesquelles ils ont investi a
des résultats trop médiocres, ils la cèdent.
On a un peu l’impression parfois qu’ils se
refilent la patate chaude !»
Le «serial dirigeant» Richard Simonin,
qui a été confronté au cas difficile d’un
Lbo chez Gentleman Farmer, et est actuellement à la tête de l’enseigne italienne Limoni (lire par ailleurs), connaît
bien la question. «Chez Camaïeu, comme
dans d’autres cas, le problème est qu’il y a
eu après le premier, des Lbo successifs,
fait-il remarquer. Et à un moment donné,
compte tenu du caractère éminemment cyclique de cette activité, la machine se dérègle, la rentabilité baisse et par voie de conséquence, le niveau d’endettement devient
intenable. Dans ces cas de Lbo à répétition, un autre phénomène est généralement sous-estimé, à savoir l’usure et le
changement d’état d’esprit des équipes dirigeantes. De façon quasi systématique, à
partir du troisième Lbo, elles ont souvent –
et c’est humain – un peu moins l’esprit
d’entreprise. La sécurisation de leurs gains
en capital acquis à l’issue d’une succession
de Lbo devient leur vraie priorité. De ce
fait, alors qu’elles voient clairement que
certaines choses devraient changer radicalement, elles n’ont plus autant envie de
prendre le risque de faire des réformes qui
pourraient faire baisser la rentabilité de
leur entreprise. Du coup, contrairement à
sa philosophie générale, le Lbo provoque
lui-même une certaine paralysie du système. Il faut aussi admettre qu’il n’est pas
forcément facile pour un fonds de décider
de redémarrer et de s’aventurer avec une
lucidité, c’est que ces affaires sont cycliques. Les très rares exceptions à cette règle sont Zara et, dans une moindre mesure, H&M. On voit régulièrement des enseignes naître, ou renaître, en ayant trouvé
ou retrouvé une sorte d’équilibre magique
entre l’offre-produit, l’expérience client, le
positionnement prix et un segment de marché porteur. Trop souvent, la faiblesse des
financiers, mais aussi parfois des managers, est de croire que les arbres montent
jusqu’au ciel.»
OUS
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Journal du Textile N°2211 / 6 mai 2014
Principe de réalité
CHANTAL BAUDRON. «Les acquéreurs qui
se sont fortement endettés à l’époque où
les affaires marchaient bien ne parviennent
plus à rembourser.» DR
nouvelle équipe. Car, quand il y a déjà eu
deux ou trois Lbo de suite, c’est un véritable défi de parvenir à relancer les ventes en
comparable à un niveau satisfaisant.»
Or, souligne encore Richard Simonin,
«dans la plupart des entreprises de mode
sous Lbo – de Camaïeu à Gérard Darel
en passant par Vivarte – ce que presque
personne dans le monde financier ne semble vouloir reconnaître, avec bon sens et
M
La crise les a fait parfois brutalement
renouer avec le principe de réalité. «Dans
un Lbo, il y a un cadre et des clauses bancaires à respecter, en terme d’endettement,
de résultats, explique un observateur. Si
ceux-ci ne sont pas respectés, les conditions
de l’accord prévoient que le remboursement devient immédiat. Il faut alors trouver une solution et c’est à chacun de faire
un pas. Les fonds, en remettant au pot, les
créanciers, en donnant de l’air (effacement
d’une partie de la dette, report de l’échéance, baisse du taux) et l’entreprise, en donnant de nouvelles garanties. Le souci dans
un Lbo, c’est qu’il y a souvent un très grand
nombre de prêteurs : banques, fonds, fonds
mezzanine.»
Evidemment, il n’y a pas d’accord standard dans ce type de situation. Cepen-
dant, pour Richard Simonin, «d’une façon générale, ce qui se dégage, à la fois de
mon expérience et de ce qu’on constate récemment sur le marché, est assez cynique
mais pas vraiment surprenant : si une entreprise sous Lbo se trouve en difficulté et
que sa dette est faible en valeur absolue
(inférieure à 50 millions d’€), son pouvoir
de négociation envers ses prêteurs est assez faible. Par voie de conséquence, ses
chances de survie le sont aussi. Par contre,
si sa dette est élevée, voire très élevée, les
prêteurs y réfléchissent en général à deux
fois.»
Mais il arrive également qu’un accord
soit trouvé plus rapidement pour une
enseigne moyenne que pour un grand
groupe. Dans le cas de Camaïeu, explique
un observateur, «si on a pu aboutir à une
solution commune, c’est que tout le monde
était d’accord pour juger qu’il s’agissait
d’une entreprise profitable, avec une histoire de croissance extraordinaire, et encore une bonne dynamique en 2013, puisque sa croissance est supérieure à celle du
marché, Personne n’avait envie de gâcher
ce potentiel en risquant le redressement judiciaire. Pour Vivarte, la donne est différente… c’est pourquoi aussi on sent une
certaine tension dans les échanges».
Pour leur part, les fonds ont-ils plutôt
intérêt à laisser une entreprise sous Lbo
aller jusqu’au redressement judiciaire ou
à remettre au pot ? «Cela dépend du profil du fonds, estime Richard Simonin.
Quand il est assez important, comme par
exemple Charterhouse ou Axa, le dépôt de
bilan est une option extrêmement délicate,
à la fois pour son image, envers ses actionnaires et les banques finançant les Lbo. Il a
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La crise n’empêche pas de nouer des Lbo
IEUX vaut souvent réaliser un
Lbo après une crise qu’avant.
Alexandre Lefebvre codirige
avec Maïré Deslandes le bureau parisien de Silverfleet Capital, un fonds européen entré début 2013 au capital de la
marque La Fée Maraboutée dans le cadre d’un deuxième Lbo. Un premier
Lbo avait été noué avec le fonds Dzeta
Conseil de 2010 à 2012 et trois codirigeants, Jean-Pierre Braillard, le fondateur, Christophe Astruc et Thierry Perusat, qui avaient rallié l’entreprise en
2010. Ceux-ci ont aussi participé au
deuxième Lbo aux côtés de Silverfleet.
Le premier Lbo s’était soldé par la
réalisation remarquable du plan. Les
objectifs assignés à l’entreprise pour
quatre à cinq ans avaient été remplis en
deux ans. De fait, le chiffre d’affaires de
l’entreprise a crû de 36%, à 46 millions
d’€ entre 2010 et 2012 (dont 20% avec
le détail et 80% avec le gros), soit environ 100 millions d’€ en termes de chiffre
d’affaires sous la marque, dont 35% à
l’export. Le second Lbo a démarré dans
un contexte plus difficile. «Le premier
semestre 2013 n’a pas été simple, mais
nous avons connu un redressement au
second semestre. Le chiffre d’affaires a
du coup connu une croissance assez limitée, entre +1% et +2%. Et l’année
2014 a bien démarré», indique Alexandre Lefebvre.
Pour autant, ce dernier ne regrette
pas d’avoir réalisé l’opération en pleine
crise. «Lorsque nous avons monté ce
deuxième Lbo, nous avions fait des simulations et pris en compte l’environnement. Nous savions que 2013 ne serait
pas extraordinaire en termes de conjonc-
ture pour la distribution.» «Quand vous
investissez dans une marque via un Lbo,
souligne-t-il, vous investissez à la fois
sur son territoire, ce qui le rend unique.
Mais aussi sur un modèle économique.
Or, nous sommes très confiants sur le
potentiel de développement de la Fée
Maraboutée en France et à l’international. Son modèle repose en effet à 80%
sur le gros. Et la marque est très bien diffusée en multimarques. D’autre part,
comme elle n’a pas un réseau propre très
développé (8 succursales début 2013),
elle a peu de frais fixes. Notre idée est
plutôt de la développer de façon raisonnable, en plus des multimarques, à travers des affiliés partenaires.»
La légèreté des structures, c’est ce qui
fait à ses yeux la différence du cas Fée
Maraboutée avec ceux d’autres dossiers
Lbo du textile-habillement. «Quand la
conjoncture devient difficile, nous ne rencontrons pas les mêmes problèmes que
les entreprises dotées d’un lourd réseau,
explique Alexandre Lefebvre. L’activité
distribution est en effet encore très sensible à la conjoncture. Quand le marché
fonctionne bien, c’est une activité extrêmement profitable. Mais quand les performances commerciales ne sont pas au
rendez-vous, que vous devez supporter
les frais fixes d’un réseau et que vous avez
noué un Lbo à des conditions antérieures
à la crise, vous êtes dans les ennuis.»
Toutefois, pour Alexandre Lefebvre,
Lbo et succursalisme ne font pas forcément mauvais ménage. Alexandre Lefebvre évoque par exemple le cas de
Maisons du Monde, objet de deux Lbo
bien menés en 2006 et 2009. Mais également celui du groupe Smcp (Sandro,
...
Maje, Claudie Pierlot) qui a noué un
premier Lbo fin 2010 avec les deux
fonds L Capital et Florac, puis un autre,
en avril 2013, avec le géant américain
Kkr. «Même dans une conjoncture difficile, ces enseignes parviennent à vendre
très bien leurs produits et font preuve
d’une capacité créative qui leur permet
de fournir le bon produit au bon prix»,
observe Alexandre Lefebvre.
La crise n’est donc pas pour lui un
empêchement absolu pour nouer des
Lbo. «Un Lbo peut être conçu pour une
période prospère comme pour une période plus difficile. Cela ne remet pas forcément en cause les fondamentaux de
l’entreprise. Et si les choses sont plus difficiles, on fait comme dans toute entreprise, on essaie de revoir le remboursement des dettes et de trouver des solutions innovantes.»
Silverfleet se lancerait-il encore aujourd’hui dans un Lbo mettant en jeu
un distributeur succursaliste du textile
habillement ? «Silverfleet est un fonds
plutôt généraliste, ayant réalisé une dizaine d’investissements et nous essayons
donc de ne pas trop nous surexposer
dans un secteur en particulier, répond
Alexandre Lefebvre. Outre la Fée Maraboutée, nous sommes aussi présents
chez Creatrade, une société allemande
de vente sur catalogue et de vente en
ligne d’articles de mode et d’accessoires
pour la maison, et chez Office, une enseigne britannique de distribution de
chaussures tendance. Mais si on nous
proposait aujourd’hui une entreprise
d’une certaine taille, avec un concept qui
a fait ses preuves, nous regarderions le
dossier.»
S.B.E. ●
L’ÉVÈNEMENT
DE LA SEMAINE
●●●
besoin de crédibilité dans la durée, que ce
soit pour ses futures levées de fonds ou
pour financer de nouvelles acquisitions.
Pour ce faire, mieux vaut ne pas laisser trop
de “traces de sang” sur le parcours. D’un
autre côté, le taux de succès ne peut pas être
de 100%. Il y a donc forcément de la “casse”. Mais quand il y en a, on a un peu vite
tendance à vilipender les fonds d’investissement. C’est un peu facile, ils ont aussi pas
mal de vertus et donc de belles réussites à
leur actif. N’oublions pas non plus qu’il y a
parfois aussi de la “casse” dans les affaires
familiales comme dans les grands groupes.
Pour avoir travaillé avec ces trois types
d’actionnaires, j’ai pu constater que “nobody is perfect”. Chacun d’eux a ses points
forts et ses points faibles.»
Sur le choix cornélien des fonds – réinvestir ou aller au dépôt de bilan – Richard
Simonin note encore «qu’il n’y a pas de
réponse standard. C’est évidemment très
difficile pour un fonds, particulièrement si
une affaire a été achetée à un prix élevé, de
devoir reconsidérer totalement son horizon de sortie et de remettre de l’argent
dans l’affaire. Dans certains cas, c’est peutêtre malgré tout la bonne décision, dans
d’autres, la sagesse est de ne pas le faire.
C’est très loin d’être une science exacte.
Chez Gentleman Farmer, c’est moi qui ai
recommandé au fonds Cobalt de jeter
l’éponge compte tenu du manque de “souplesse” des banques. Au contraire chez Limoni, il m’est apparu clairement que réinvestir était la solution compte tenu du fait
que les banques avaient accepté une réduction de la dette plus que substantielle».
Sauvegarde
Pour Chantal Baudron, «aujourd’hui,
les difficultés sont telles que cela peut
pousser davantage de fonds à placer en
sauvegarde judiciaire l’entreprise sous
Lbo. Cela permet alors de renégocier la
dette». Celle-ci, qui conseille aussi les
fonds, observe d’ailleurs au passage des
difficultés croissantes chez ces derniers.,
avec cependant «une diversité notable des
performances de l’un à l’autre». Autre
évolution soulignée par Chantal Baudron, héritée selon elle de la culture anglo-saxonne : «Les fonds ne se contentent
plus de suivre les tableaux de bord de l’entreprise. Ils recrutent des conseillers qui
viennent du monde de l’entreprise et qui
les aident à accompagner et suivre les
chefs d’entreprise.»
Car personne ne peut évidemment remplacer les hommes de terrain pour entretenir, accélérer un succès, mais également
parfois pour le relancer. Richard Simonin
le rappelle : même une affaire en grande
difficulté peut renaître de ses cendres. Et
pour lui, l’histoire de Camaïeu est un cas
d’école. Créée en 1984 par la famille
Torck, cette enseigne visait à l’origine à la
fois la femme, l’homme et l’enfant. Après
quelques années «formidables», l’enseigne a connu des difficultés. C’est alors
qu’est intervenu en 1998, ce qui a été, rappelle-t-il, «l’un des premiers Lbo importants dans la distribution de textile-habillement», associant le fonds 3i, un nouveau
dirigeant, Jean-François Duprez, et la famille fondatrice. Les trois activités ont
alors été scindées : seule la femme est restée dans le giron de Camaïeu, l’enfant est
devenu Okaïdi et l’homme Jules. Une relance qui a débouché à la fois sur la renaissance de Camaïeu et la création de
deux autres belles success-stories. Aujourd’hui encore, malgré ses récentes difficultés, Richard Simonin estime que «Camaïeu reste une belle affaire» dont il
«pense qu’elle va être remise sur les rails».
SOPHIE BOUHIER DE L’ECLUSE
AVEC STÉPHANIE ATHANÉ ●
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Journal du Textile N°2211 / 6 mai 2014
Un Lbo échoue à cause de trop
de changements... ou de pas assez
R
connaît extrêmement bien le monde de la
mode et les Lbo. Ce manager expérimenté, ex-dirigeant de Givenchy, Kenzo, Escada, Harrod’s ou Etam,
avait été appelé à la rescousse (en 2010)
de la marque-enseigne Gentleman Farmer, confrontée après un Lbo à une «crise
de transition et de transformation». Richard Simonin avait été alors le dernier,
après Alain Moreau et Anémone Bérès,
d’une série de dirigeants, qui s’étaient succédé entre 2008 et fin 2011. Mais il n’avait
pas pu empêcher le dépôt de bilan.
Depuis, il a lancé son bureau de conseil
et est aujourd’hui président de la chaîne
de parfumerie sélective Limoni – leader
du marché italien –, dont il a piloté avec
succès la restructuration financière en
2012. Il est aussi senior advisor de la
chaîne de lingerie Hunkemöller pour le
compte du fonds Pai. Connaissant la difficulté de l’exercice auquel sont confrontés
ses pairs, il se montre très modeste dans
son approche et ses jugements. Commentant les «cas» Vivarte, Camaïeu et Gérard
Darel, il entend se limiter «à exprimer son
opinion» et «se défend de vouloir donner
des leçons».
A ses yeux, «les cas Camaïeu et Vivarte
sont très intéressants pour illustrer la difficulté qu’il y a à faire évoluer un businessmodel existant, même si les principaux dirigeants sont convaincus de la nécessité de
ce changement. Dans ces deux enseignes,
les dirigeants avaient certainement perçu
que leur modèle avait perdu de son efficacité et que les affaires déclinaient. Il fallait
donc changer. Mais la difficulté, c’est de
définir sur quels paramètres agir». Or, Richard Simonin dit n’avoir «jamais oublié
la leçon de François Baufumé, son patron
chez Kenzo pendant huit ans, à savoir
qu’il ne faut pas (voire jamais) changer
trop de paramètres à la fois».
«Si malgré tout, le dirigeant décide de
tout bousculer en même temps, il prend des
risques, poursuit-il. C’est ce qui s’est passé à
un moment donné chez Camaïeu. Lorsque
ICHARD SIMONIN
RICHARD SIMONIN. «Quand on change trop
de paramètres à la fois sur un marché
extrêmement tendu, les chances de réussite
ne sont pas énormes.» DR
ficile. Dans de tels cas de figure, que le
nouveau dirigeant mis en place soit exceptionnel ou pas, s’il hérite à la fois d’une
dette colossale et d’une rentabilité en déclin sur un marché morose, le pari devient
difficile. Il se retrouve à la barre d’un
énorme paquebot difficile à manœuvrer.»
Multiplication des fronts
Richard Simonin se refuse aujourd’hui
à dire «si la stratégie mise en place par le
nouveau manager de Vivarte est bonne ou
pas». «Il est trop tôt pour le savoir», estime-t-il. Mais il remarque «seulement»,
et là encore il insiste sur le fait qu’il ne
s’agit que d’«un avis, d’une opinion personnelle», que «quand on change trop de
paramètres à la fois, comme cela a été fait
Il est très difficile de faire évoluer
un business-model même si les dirigeants sont
convaincus de la nécessité du changement.
sont apparues ses premières difficultés,
quelque temps après le premier Lbo, il a été
décidé de mettre en place une démarche
marketing qui n’a été faite qu’à moitié. Le
précédent business model a donc été déréglé sans qu’on parvienne à faire fonctionner le nouveau. Dans un tel cas de figure,
vous accélérez la perte de votre clientèle
existante qui ne s’y retrouve plus, sans avoir
réussi à en conquérir une nouvelle.»
Dans le cas de Vivarte, Richard Simonin retrouve certains éléments du cas Camaïeu. «A un moment donné, l’affaire a
été formidablement profilée, analyse-t-il.
Mais là aussi, sans blâmer qui que ce soit,
son équipe dirigeante historique était, de
mon point de vue, à la fin d’une histoire.
Le niveau d’endettement stratosphérique
et un marché tendu par la crise, n’ont pas
contribué à améliorer la situation. Après le
départ de Georges Plassat, et un bref interim du directeur financier, Antoine Metzger, l’arrivée de Marc Lelandais s’est forcément déroulée dans un contexte très dif-
pour La Halle, sur un marché extrêmement tendu, les chances de réussite ne sont
pas énormes. Quand on bouge beaucoup
de curseurs à la fois, cela induit logiquement qu’au niveau de l’exécution on doive
se battre sur trop de fronts à la fois.»
«Chez Vivarte, il y a déjà eu une évolution importante, avec le renouvellement
d’une partie de l’équipe dirigeante, suite au
départ de Georges Plassat, poursuit Richard Simonin. Or, dans le cas de La
Halle, l’enseigne la plus importante du
groupe, décider d’abandonner, presque
brutalement, un positionnement discount
pour aller vers une politique de marques
propres, principalement basée sur la déclinaison de marques-enseignes de centreville, pose plusieurs questions : la clientèle
de périphérie actuelle en est-elle demandeuse et à quel niveau de prix ? Comment
la clientèle de centre-ville de ces marques
comme Kookaï, qui se portent assez bien,
va-t-elle réagir à ces marques-bis ? Enfin,
quand vous évoluez vers un univers plus
qualitatif et donc beaucoup plus segmenté
en termes d’offre, cela entraîne aussi un
changement important de la supply chain,
avec des cycles-produits, des prix, et des
problématiques de réassort très différentes
du discount. C’est encore une difficulté
supplémentaire et non des moindres.»
Richard Simonin ouvre une parenthèse
en rappelant le précédent de Carrefour,
qui avait fortement innové avec son concept Carrefour Planet. «L’idée d’introduire des univers, des ambiances différentes
dans l’hypermarché, semblait tout à fait intéressante à première vue. Or, je me souviens d’avoir visité un hyper Carrefour en
Belgique, et constaté que si le concept était
plutôt bien exécuté et attractif, plusieurs
rayons – notamment ceux du textile-habillement – étaient à moitié vides.»
Chez Camaïeu, l’option prise est différente. «La nouvelle dirigeante semble
avoir l’intention de revenir aux fondamentaux, de se concentrer sur l’offre-produit, la
supply-chain et les “bonnes pratiques retail”, indique-t-il. J’ai tendance à penser
qu’elle va remettre assez rapidement les
choses “d’équerre”. Dans de telles situations, je suis sincèrement convaincu qu’il
faut d’abord commencer par faire repartir
le chiffre d’affaires, les marges, et donc les
résultats, avant de réfléchir à la transformation d’un business-model. C’est moins glamour, certes, mais ça permet de limiter significativement les risques.»
A propos d’un autre cas d’enseigne de
mode sous Lbo, rencontrant quelques accrocs, Gérard Darel, Richard Simonin la
qualifie de «superbe affaire», de «son
point de vue personnel payée cher». Et ce
d’autant que son «actif le plus important –
qui avait été la source principale de création de valeur – constituait également un
risque non négligeable pour l’avenir : Madame Darel. Elle a été dans cette maison
une «femme orchestre» exceptionnelle. De
l’offre-produit au concept-magasin en passant par l’image et la communication, elle a
piloté l’ensemble du marketing mix et ce,
pendant des années. Le remplacement de
ce type de personnage-clé est épouvantablement difficile à préparer, organiser, exécuter, j’en suis pleinement conscient. Mais
choisir le «changement dans la continuité»
est une garantie absolue d’échec. On pense
ne pas prendre de risques et en fait on les
prend tous ! C’est l’extrême opposé de la
transformation dans laquelle on change
trop de paramètres à la fois. Là, en fait, on
ne change rien. Si ce n’est gérer le départ du
chef d’orchestre. On fait monter en première ligne quelques musiciens de très bon
niveau, présents de longue date et on se
rend compte trop tard que la musique ne
fait plus vibrer les foules. Du coup, la marque est devenue sans saveur, elle a perdu
ses aspérités. Ces trois années de flottement
ont certainement affecté négativement le
chiffre d’affaires comme la rentabilité».
Pour autant, Richard Simonin ne croit pas
du tout «que la situation soit – toutes proportions gardées – analogue à celle de Vivarte». «C’est dommage, mais à mon sens
pas dramatique, conclut-il. Aujourd’hui, il
s’agit pour les nouvelles dirigeantes (Sandrine Lilienfeld et la directrice artistique
Brigitte Comazzi-Duval, Ndlr), de relancer la machine. Ce n’est pas facile, il leur
faudra prendre quelques risques, mais si
l’on n’en prend pas, on est certain de ne pas
réussir.»
S.B.E. ●