Résumé de la thèsex

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Résumé de la thèsex
Fanny Georges
CNRS-UMR5508
Candidature au prix du CREIS
« Sémiotique de la représentation de soi dans les dispositifs interactifs :
l’hexis numérique »
La thèse de doctorat « Sémiotique de la représentation de soi dans les dispositifs interactifs :
l’hexis numérique » :
• n’a pas encore fait l'objet d'une publication.
• traite de l’impact des technologies de l'information et de la communication sur la société
et la construction du Sujet.
• présente les dispositifs interactifs comme médiateurs du réel et développe leur impact
social, cognitif et culturel, devenu particulièrement crucial en raison de leur forte
utilisation chez les jeunes.
Le système de la représentation de soi présenté dans cette thèse répond au besoin d’analyse
appliquée du phénomène de construction de soi à l’écran pour :
• nuancer les jugements moraux propres aux technologies émergentes
• ancrer le regard critique sur l'informatisation de la société dans une réalité observable
• et apporter des solutions pour améliorer les produits.
Le jury de la thèse a reconnu l’originalité du travail de réflexion et la prise de risque
inhérente au traitement pionnier d’un thème aussi complexe et ancien qu’est le questionnement du
Sujet et de l’identité appliqué à des technologies contemporaines en perpétuelle mutation.
Les logiciels de réseaux sociaux, les chats, les blogs, tout autant les jeux vidéo participent de
nouveaux usages qui s’installent, semble-t-il, durablement, dans la société.
Selon un sondage de PEW, 55% des jeunes (12-17 ans) qui utilisent internet ont des profils en ligne
dont plus de la moitié fait usage quotidiennement [Lenhart & Madden 2007]. Ces usages suivent une
mode : après les messageries instantanées en 2000, les blogs en 2004, les logiciels de réseaux sociaux
(Facebook et Myspace) sont aujourd’hui les plus utilisés.
A ce phénomène communicationnel se greffe le phénomène ludique : les jeux vidéo en ligne, utilisés
par 49% des jeunes internautes, se révèlent un cadre propice au développement de nouveaux « réseaux
d’amis ». Dialoguer, partager photos et vidéos et jouer en ligne font partie de la réalité quotidienne des
adolescents. Cette double réalité s’unifie dans la sociabilité.
La plupart (91 %) des adolescents utilisent les réseaux sociaux pour discuter avec des personnes qu’ils
connaissent déjà et 49% pour faire de nouvelles connaissances. Les interfaces homme-machine, au
cours du développement de ces sociabilités informatisées, sont devenues progressivement des
médiateurs du réel.
Au cours de la construction des usages, ces dernières années, à la perception naturelle du Sujet s’est
agrégé un second dispositif, perceptif et agissant, (l’hexis numérique, cf. p.3) modélisé par le
dispositif informatisé.
1
Le phénomène social de la représentation de soi dans le jeu et la communication touche les
nouvelles générations à une période intense de construction identitaire : l’impact des pratiques de
communication informatisée sur la perception de soi et la représentation de l’entourage social
est un enjeu sociétal de première importance. Cette thèse s’est donc donnée pour objectif de
répondre au besoin social de mieux comprendre l’homme et son développement dans les
environnements augmentés de dispositifs interactifs.
Le concept de représentation de soi fait référence à la notion de présentation de soi d’Erving
Goffman, à la représentation graphique en informatique et à la représentation mentale des sciences
cognitives. Cette expression, susceptible de se référer à trois degrés d’abstraction du processus
interprétatif, condense la problématique : comment une représentation technique peut-elle être
investie d’un niveau symbolique, et quels sont ses enjeux du point de vue de la présentation de soi
et du développement du sujet ?
La problématique de ce travail se noue donc autour de la relation ambiguë entre le « réel » et le
« virtuel » dans le cadre de ces nouvelles sociabilités médiées par des représentations.
Les travaux de G. Lakoff et M. Jonhson sur les métaphores cognitives [Lakoff & Johnson
1985] montrent que l’homme se développe en interagissant avec les objets et symboles du monde.
Poursuivant cette perspective dans le champ de la communication médiatisée, D. Peraya et J.-P.
Meunier [Meunier & Peraya 1999, Peraya 1999] ont tracé les lignes d’une approche sémiotique
sociocognitive: la construction de signification dans le cadre de ce dispositif cognitif et
informationnel peut être analysée par les notions piagétiennes de centration et de décentration. Nous
avons poursuivi ces travaux en précisant les enjeux de la représentation de soi au sein de ce dispositif,
comme A. Klein le fit avant nous concernant les pages personnelles. Notre apport a été d’étendre la
notion de décentration, définis par D. Peraya et A. Klein comme les adresses textuelles à
l’interlocuteur (« tu », « cher lecteur ») à tous les signes qui représentent l’interacteur dans la
représentation de soi (amis, médias partagés) et d’étendre le champ d’investigation au jeu vidéo et aux
outils du web 2.0.
Considérant que les schèmes d’interprétation du Sujet se modifient par l’interaction avec
l’environnement « réel-virtuel », la perception du sujet se trouverait augmentée, dans le « virtuel »
tout comme dans le « réel », par les schèmes de présentation de soi informatisés.
Prenant appui sur cette hypothèse, cette recherche approfondit les travaux de D. Peraya par une
sémiotique appliquée issue d’une analyse comparative. Réinvestissant dans ce champ les théories de
G. Lakoff et M. Johnson, la typologie présentée se fonde sur la notion d’embrayage de
signification1. Identifiant le système d’embrayeurs de la représentation de soi dans le dispositif
technique, l’approche appliquée du phénomène de construction identitaire du sujet est ainsi obtenue.
Le traitement de ce programme de recherche a nécessité d’une part d’examiner la structure de la
représentation de soi, et d’autre part de mieux comprendre la façon dont il s’agrège à la perception
humaine et adopte son fonctionnement pour former une continuité cognitive qui permette une
transition perceptive naturelle. Le système de représentation de soi ainsi défini a été comparé dans une
soixantaine de dispositifs interactifs ; cette analyse comparée a permis l’élaboration d’une
grammaire de la représentation de soi (cf. le chapitre Phanérologie morphosyntaxique) qui
formalise les attendus culturellement conditionnés par la fréquence des occurrences; des outils
d’analyse formelle des cas de déviance ont été développés (cf. le chapitre Poïétique de la
signification).
1
Dans la métaphore conceptuelle, un concept-source embraye un concept cible : dans le cas présent l’interaction
avec les signes du dispositif embraye une construction de signification.
2
Cette thèse aboutit à la conclusion que le mécanisme fondamental d’habituation à
l’identité est la continuité de l’interaction avec le dispositif. L’identité et la représentation de soi
prennent forme par la répétition du geste d’interagir avec le dispositif pour mettre à jour sa
représentation par un phénomène de modelage et remodelage.
Le concept d'hexis, issu du grec ancien, est très proche de cette nouvelle culture de soi. Il désigne
« l'action d'être », ou plutôt l'action d' « avoir de façon répétitive » c'est-à-dire l'action de conquérir le
territoire par sa fréquentation répétitive. L’hexis corporelle [Détrez 2002] est le corps en tant qu’il est
informé par l’action et en tant qu’il informe l’action ; l’hexis numérique est la représentation de soi
en tant qu’elle est informée par le dispositif informatisé et qu’elle s’informe en l’écran. Ainsi, la
représentation de soi dans les dispositifs interactifs conduit le Sujet à prendre conscience de son
identité dans un continuum d’action.
Comme nous l’avons montré dans des travaux ultérieurs, cette perception de soi conduit à une urgence
de mettre à jour sa représentation et à une urgence de communiquer, en un mot à une immédiateté
entre le Soi du Sujet et le Soi de la représentation. Or, si l’on considère que la construction d’une
identité et d’une personnalité fortes nécessite d’accorder du temps à la réflexion sur soi-même (sans
interagir continuellement avec un objet extérieur), on peut douter de la capacité de ces dispositifs à
stimuler une solide construction de soi.
Résumé linéaire
Chapitre I Approche conceptuelle et sociotechnique
Le chapitre I présente la notion de représentation de soi sous le double angle d’observation
abstractive (C.-S. Peirce) de soi-même et de représentation agissante de la personne. Cette approche
conceptuelle permet de dégager des propriétés générales2 de la représentation de soi. Sa particularité
est de manifester la présence du Sujet qui la manipule.
Cette formulation conceptuelle permet de concevoir autrement l’objet technique et de l’étendre aux
traces observables que l’utilisateur laisse de lui-même. Une généalogie sociotechnique de l’objet
examiné est ainsi décrite : l’histoire d’une représentation graphique et cognitive modélisée par le
réseau informatique.
Cette double perspective conceptuelle et sociotechnique permet de déduire les propriétés spécifiques3
de la représentation de soi.
Chapitre II Etat de la recherche
En l’absence de travaux portant sur la représentation de soi, le chapitre II présente les recherches sur
les dispositifs interactifs, le soi de l’écran et les approches appliquées des dispositifs interactifs4. Cette
approche thématique délivre des cadres de référence en identifiant les théories qui seront utilisées dans
le programme de recherche et les besoins précis en termes d’analyse appliquée.
Chapitre III « Un dispositif métamorphique »
Le chapitre III présente le phénomène de la représentation de soi selon trois procédures intriquées :
• L’inscription, par laquelle l’utilisateur laisse des traces de son action. Cette procédure, d’un point
de vue ergonomique, constitue techniquement l’habitacle qui comporte les fonctionnalités par
lesquelles l’utilisateur agit.
• L’information, par laquelle l’utilisateur donne forme à ses traces. Cette opération se déroule sur
un plan proprement technosémiotique dans la mesure où l’interprétation se fonde sur la perception
2
Klinkenberg (1996) distingue les niveaux appliqué, spécifique et général.
Cf. note 2.
4
Cf. note 2.
3
3
des traces laissées par soi-même et par les autres membres de la communauté d’usage. Cette
procédure constitue l’hexis numérique, c'est-à-dire le corps d’action et d’habitudes de l’utilisateur.
• L’hystérisation passe par l’appréhension de l’inclusion du regard de l’Autre dans la boucle
sémiotique.
Ces trois procédures sont les dynamiques principales de l’hexis numérique. La phanérologie
morphosyntaxique (Chapitre V) est la description de l’inscription, et le chapitre Poïétique de la
signification examine la relation entre l’information et l’hystérisation.
Chapitre IV Programme de recherche
L’hypothèse examinée est que s’opère une métaphore entre l'interface et l'intériorité par l’interactivité.
Les concepts d’inscription, d’information et d’hystérisation sont mis en regard de la triade sémiotique
fondée sur la substitution-idem d’un élément à un autre par l’entremise d’un troisième. Le système
peircien et le système saussurien du signe sont problématisés de sorte à faire émerger la problématique
du signe qui est mis pour la personne qui le produit. Ainsi, après avoir cerné les vides auxquels ces
systèmes ne permettent pas de répondre, nous sommes à même de formuler les pistes par lesquelles ils
doivent être complétés : principalement celle de la poïétique, science de l’observation des conditions
de production de l’œuvre. Cet appareil méthodologique n’existant pas dans son ensemble, il est
nécessaire de le construire en intégrant des ouvertures à la microsociologie et aux sciences de la
cognition sur le plan théorique, et sur le plan appliqué avec l’ergonomie.
Chapitre V Phanérologie morphosyntaxique
L’étude morphosyntaxique du phaneron (phanérologie) décrit les mécanismes du sens (par
différentiation des mécanismes sémiocognitifs de signification) des représentations, c'est-à-dire les
règles qui concourent à l’agencement d’unités (ou morphèmes) pour former des unités, des lexies et
des textes (en place des mots, des propositions et de la structuration du raisonnement).
Cette description se divise en deux parties : l’étude des agencements (syntaxe, cf. Figure 1) et l’étude
des unités significatives ou signifiantes (morphologie), le tout nous rapprochant d’une étude de la coconstruction du pouvoir représentationnel.
Dans une troisième partie, nous synthétiserons les résultats obtenus afin de dresser les jalons de l’étude
du phainomenon et de la décision sémiotique.
L’ensemble est appliqué dans le chapitre suivant à plusieurs dispositifs interactifs, de sorte à être en
mesure de rendre compte de la singularité de l’expérience créative (poïétique) à l’écran dans le
troisième chapitre.
Figure 1 Représentation de soi : étude phanérologique de l’observable avec mouvement de décentration
représenté par les cercles (schéma synthétique), p. 404
4
Chapitre VI Applications
Le chapitre VII présente des applications du système développé dans le chapitre précédent et trace des
lignes directrices d’analyse des déviances d’usage : stratégie identitaire (étude du blog Livejournal),
métaphore du Moi-Peau et immersion (étude de Silent Hill 4), ergonomie et figures de style (approche
poïétique du dispositif orogestuel Mille Lieues de Cédric Doutriaux), interactivité-réflexe et effort
cognitif (étude de la ritournelle dans les animations interactives de Cyril Noyelle). Le geste d'interagir
stimule un effort cognitif de sémiotisation. L’étude des métaphores conceptuelles d’interactivité et
d'agencement permet de localiser les indices stimulant des déviances par lesquelles est stimulée la
production de signification.
Chapitre VIII Poïétique de la signification
Le chapitre VIII propose un système sémiotique adapté à l’étude de la représentation de soi en ligne
comme poïétique de la signification. L’acte de se représenter à l’écran implique en lui-même, une
expérience de pensée. Le regardeur-manipulateur s’inscrit en sa lecture, non seulement par un clic, la
saisie textuelle, mais aussi par les mécanismes de son interprétation, c'est-à-dire dans le dévoilement
même de son contenu, qu’il ne perçoit qu’à la mesure de son implication. D’un geste technique à la
charge symbolique de /soi/ (image de soi), l’interactivité confère au geste le pouvoir créer du sens, et
ce faisant, donner vie à une représentation.
Conclusion
L'identité à l'écran est une construction comme l’identité en général, si ce n’est qu’elle produit un objet
concret. Elle donne forme à ce qui est complexe par un phénomène de modelage et de remodelage.
Elle conduit le sujet à questionner ce qui le caractérise et par là son identité : qui suis-je ? Pour qui ? A
quels égards ? et à agir par cette image de lui-même.
Extension du geste du sujet et image de lui-même, la représentation de soi contracte certaines
propriétés de ce caractère subjectile : elle est présente et vivante, elle se manifeste elle-même, agit et
évolue. Mobilité/rythme, permanence/précarité, intériorité/extériorité.
En ce mouvement continué de réduction-abstraction, elle peut contracter une dimension d'expérience
ontologique. Il s'agit bien de créer une représentation de l'image que l'on a de soi et d’en faire
expérience dans une simulation de réalité. Or cette simulation s’inscrit bien dans une expérience
concrète : le réel étant lui-même, pour le sujet, inséparable de son dispositif perceptif, une
représentation.
Références citées dans ce document :
Détrez, Christine (2002). La construction sociale du corps. Paris : Paris : Seuil, 2002.
Klein, Annabelle (2001). « Les homepages, nouvelles écritures de soi, nouvelles lectures de l'autre »
[En ligne]. In Spirale, Nouveaux outils, nouvelles écritures, nouvelles lectures, 28. Lille : Université
Lille III, 2001. 67-83. Disponible sur: http://www.univ-lille3.fr/www/revues/spirale
Klinkenberg, Jean-Marie (1996). Précis de sémiotique générale. Paris : De Boeck . 1996 . - 500 p .
Lakoff, George & Johnson, Mark (1985). Les métaphores dans la vie quotidienne. Les Éditions de Minuit, 1985.
Lenhart, Amanda & Madden, Mary (2007). Teens, Privacy & Online Social Networks. Washington, DC: Pew
Internet & American Life Project, April 18, 2007.
Peirce, Charles Sanders (1978). Écrits sur le signe. Textes traduits par Gérard Deledalle. Paris : Seuil . 1978 . 262 p.
Peraya, Daniel et Meunier, Jean-Pierre (1999). « Vers une sémiotique cognitive », In Cognito, 14, 1999. 1-16
Peraya, Daniel (1999). « Les changements induits par les technologies ». In Actes du Colloque CETSIS-EEA 99,
Montpellier, 4 et 5 novembre 1999. Montpellier : Université de Montpellier II, Cépaduès. 185-188.
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